Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

 

Référence : 2015 TCDP  5

Date : Le 24 septembre 2015

No dossier : T2019/2014

Entre :

Michael Moffat

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Davey Cartage Co. (1973) Ltd.

l’intimé

Décision

Membre instructeur : David L. Thomas

 



I.  Plainte

[1]  Il s’agit d’une décision concernant une plainte déposée le 25 juillet 2013 par Michael Moffat, le plaignant, contre Davey Cartage Co. (1973) Ltd. (« Davey Cartage »), l’intimé, dans laquelle il allègue que ce dernier a agi de façon discriminatoire envers lui en mettant fin à son emploi en raison de sa déficience physique. M. Moffat soutient que l’acte reproché a été posé après qu’il eut subi une déficience temporaire et qu’il eut été incapable de s’acquitter de son travail de « répartiteur/agent de vente interne » pour l’intimé par suite d’un accident de la route survenu en dehors des heures de travail. L’accident s’est produit le 16 février 2013 ou aux environs de cette date. M. Moffat a alors subi une commotion cérébrale qui l’a empêché de travailler pendant près de deux mois. Lorsqu’il est retourné au travail le 8 avril 2013, l’intimé l’a congédié le jour même.

[2]  Le 29 avril 2014, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le « tribunal »), en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « Loi »), d’instruire la plainte que le plaignant avait déposée.

[3]  M. Moffat a témoigné à l’audience, aidé parfois de son amie, Mme Lynne Dunstan. Il a fourni par écrit la chronologie des événements, un document utile, et rendu un témoignage clair et convaincant. Le président du défenseur, M. Michael (Mick) Thomas, et le directeur des opérations, M. Keith Freeman, ont comparu au nom de Davey Cartage et ont aussi présenté un témoignage utile et détaillé à l’audience. L’intimé était représenté par un avocat, Me Joe Coutts, du cabinet Coutts Pulver LLP. La Commission n’a pas participé à l’audience.

II.  Décision

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte n’est pas fondée, et elle est donc rejetée.

III.  Faits

[5]  Davey Cartage est une entreprise de camionnage située à Surrey, en Colombie‑Britannique. Elle a prospéré au fil des ans, mais possède et opère actuellement 11 véhicules tracteurs et environ 100 remorques. Elle se spécialise dans le transport lourd à l’aide de camions à plate-forme. Selon M. Thomas, 90 % du travail de l’entreprise est lié à la construction; elle se spécialise dans le déplacement de gros éléments comme des ponts à poutre, de l’acier de construction et des grues. Bien qu’elle réalise 85 à 90 % de son chiffre d’affaires en Colombie-Britannique, elle exerce aussi ses activités en Alberta, à Washington et en Oregon. Ses chauffeurs sont syndiqués. Au moment de l’audience, l’intimé employait 15 personnes, dont MM. Thomas et Freeman. L’année précédente, l’entreprise comptait 25 employés.

[6]  À l’époque de l’embauche de M. Moffat, Davey Cartage ne transportait pas de conteneurs à destination et en provenance des différents ports du Grand Vancouver. Auparavant, M. Moffat était répartiteur dans une entreprise de camionnage qui transportait seulement des conteneurs. M. Thomas a témoigné que Davey Cartage souhaitait embaucher M. Moffat parce que l’entreprise voulait étendre ses activités au transport de conteneurs et il croyait que le plaignant pourrait l’aider à atteindre son objectif. M. Moffat a admis avoir discuté de sa capacité à attirer une nouvelle clientèle, mais sans promettre qu’il pourrait y parvenir.

[7]  Néanmoins, le contrat de travail entre M. Moffat et Davey Cartage mentionnait qu’il occuperait le poste de « répartiteur/agent de vente interne », la dernière partie du titre indiquant que l’entreprise s’attendait dans une certaine mesure à ce que le plaignant attire une nouvelle clientèle. M. Moffat a admis son inexpérience en matière de répartition de véhicules de transport lourd, l’activité principale de l’intimé. Les témoins de ce dernier ont également reconnu les faits, déclarant qu’ils croyaient que M. Moffat acquerrait les connaissances spécialisées en exerçant le métier.

[8]  Une clause du contrat de travail précisait les conditions permettant à Davey Cartage de congédier M. Moffat. Selon la durée de l’emploi, l’entreprise devrait soit lui donner un préavis de licenciement, soit lui verser une indemnité en tenant lieu. Selon la preuve de l’intimé, de tels montants correspondaient au minimum requis aux termes de l’Employment Standards Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 113, ou l’excédaient. L’intimé a également présenté des copies de contrats de travail d’autres employés pour démontrer qu’il s’agissait d’une clause type des contrats de travail.

[9]  M. Moffat est entré au service de l’intimé le 1er mai 2012. Le 26 juillet 2012 ou aux environs de cette date, l’intimé a remis au plaignant la lettre de confirmation d’emploi qu’il avait demandée pour le financement de sa maison. Cette lettre, en plus de fournir les renseignements sur son emploi et son salaire, mentionnait notamment que M. Moffat était [traduction] « un employé compétent et digne de confiance ».

[10]  Le 1er août 2012, après avoir complété avec satisfaction une période d’essai de trois mois, M. Moffat a obtenu une augmentation de 400 $ par mois. M. Thomas a déclaré qu’il avait l’habitude d’accorder une augmentation de salaire à l’employé qui demeurait à son service après la période d’essai initiale de trois mois.

[11]  Le 16 février 2013, M. Moffat a été impliqué dans un très grave accident de la route. Il se trouvait dans son propre véhicule et l’accident n’était pas lié à son travail. Plusieurs personnes ont été gravement blessées, dont M. Moffat. Il a notamment subi une commotion cérébrale et a été incapable de travailler pendant près de deux mois.

[12]  Les employés de l’intimé ont droit à une assurance-invalidité de courte durée de la Great West, compagnie d’assurance-vie (la « Great West »). Le plaignant a présenté une demande de prestations le 21 février 2013 et a reçu des prestations d’invalidité pendant sa convalescence et qu’il était incapable de travailler. Les prestations lui ont été versées rétroactivement à la date de l’accident.

[13]  M. Freeman a témoigné qu’avant de devenir directeur des opérations, il avait acquis une vaste expérience à titre de répartiteur. Lorsque M. Moffat a été dans l’incapacité de travailler, M. Freeman s’est acquitté des tâches de répartiteur en février 2013 et a continué de le faire pendant plusieurs mois. C’est alors que M. Freeman a découvert des problèmes opérationnels attribuables, à son avis, à M. Moffat.

[14]  Plus particulièrement, après avoir assumé les tâches de répartiteur, M. Freeman a découvert qu’il manquait essentiellement cinq remorques parce qu’aucun document ne faisait état de leur localisation. Selon lui, M. Moffat n’avait pas bien assuré le suivi des remorques et personne n’en aurait jamais rien su s’il ne l’avait pas remplacé. Il a dû se rendre sur différents chantiers des clients de l’entreprise pour tenter de localiser les cinq remorques manquantes. Lorsqu’il les a eu trouvées, il a constaté que l’entreprise en avait perdu la trace pendant trois mois et, par conséquent, Davey Cartage a dû facturer à son client des droits de stationnement de trois mois. Bien que ces droits aient finalement été recouvrés auprès du client, l’incident a terni les relations entre Davey Cartage et son client.

[15]  D’autres éléments de preuve ont été présentés relativement à la perte d’un client important de Davey Cartage et au fait que le travail de M. Moffat aurait pu y contribuer. Le client avait exprimé un certain mécontentement à l’égard du service avant l’arrivée de M. Moffat dans l’entreprise. Cependant, de l’avis de M. Thomas, au lieu de calmer les appréhensions du client, M. Moffat a exacerbé les problèmes. Le client a finalement décidé de mettre fin à sa relation d’affaires avec Davey Cartage peu de temps avant l’accident de M. Moffat. Celui-ci devait rencontrer son homologue chez le client pour tenter d’arranger les choses, mais l’accident est survenu quelques jours avant la date de la rencontre, qui n’a jamais eu lieu. Il a été prouvé que la perte de ce client a entraîné une importante perte de revenus mensuels pour Davey Cartage.

[16]  Les deux parties ont aussi déposé en détail sur l’incapacité de Davey Cartage d’élargir ses activités au domaine du transport de conteneurs après l’embauche de M. Moffat. D’après la preuve, des efforts ont été faits après l’embauche de M. Moffat, comme l’immatriculation de véhicules et la délivrance de permis au personnel pour le transport de conteneurs dans les ports, mais aucun système essentiel de réservation n’a été établi. L’intimé a affirmé qu’il appartenait à M. Moffat d’établir le système de réservation, mais la question semblait litigieuse. M. Moffat a avancé d’autres raisons pour justifier cette incapacité. Quelle qu’en soit la cause, il était clair que Davey Cartage était incapable d’exercer des activités de transport de conteneurs dans les ports avant le départ de M. Moffat. Il n’est pas nécessaire que le Tribunal se prononce sur la question. Il lui suffit de constater qu’il s’agissait d’une préoccupation légitime de l’intimé.

[17]  M. Thomas a témoigné que les états financiers mensuels internes étaient produits environ 7 à 10 jours après la fin du mois. Selon son témoignage, lorsque M. Freeman et lui ont examiné les états financiers de février 2013, soit au cours de la première ou de la deuxième semaine de mars 2013, ils ont décidé de licencier M. Moffat. Les revenus de l’intimé diminuaient, le salaire de M. Moffat était très élevé et l’entreprise avait de sérieuses réserves quant au rendement de ce dernier. Selon le témoignage de M. Thomas, ce qui l’a vraiment décidé à licencier M. Moffat a été la découverte de la disparition des remorques. Cependant, la direction de Davey Cartage a décidé de ne pas communiquer sa décision à M. Moffat avant qu’il soit en mesure de reprendre le travail.

[18]  L’état de santé du plaignant était suivi par la Dre R. Demian, qui informait périodiquement la compagnie d’assurance, la Great West. Elle tenait également M. Moffat au courant de son pronostic et du moment où il pourrait retourner au travail.

[19]  Le 7 mars 2013, M. Moffat a envoyé un courriel à M. Freeman, lui disant : [traduction] « Bonjour Keith, j’ai vu la docteure aujourd’hui et elle dit que je pourrais retourner au travail le lundi 18 mars, si je continue à faire des progrès. Je te tiens au courant. Mike. »

[20]  M. Freeman a témoigné qu’il avait parlé à M. Moffat au téléphone après la réception du courriel du 7 mars 2013. Il a dit lui avoir parlé de sa santé en général et lui avoir conseillé de téléphoner de nouveau lorsqu’il serait prêt à reprendre le travail.

[21]  Le 14 mars 2013, M. Moffat a envoyé un autre courriel à M. Freeman, rédigé ainsi : [traduction] « Bonjour Keith, désolé, la docteure a dit encore 2 à 3 semaines de plus. Je te tiens au courant. Mike. »

[22]  M. Freeman a témoigné avoir parlé à M. Moffat après le courriel du 14 mars 2013 et lui avoir dit de prendre tout le temps nécessaire pour se remettre, puisque la Great West avait alors accepté la demande de M. Moffat et lui versait des prestations d’invalidité à court terme. Selon son témoignage, il a dit à M. Moffat de ne pas revenir au travail tant qu’il ne serait pas entièrement remis et en mesure d’assumer l’ensemble de ses tâches.

[23]  La Dre Demian a remis un rapport à jour à la Great West le 4 avril 2013. Le point saillant du rapport est sa réponse à la question 5, rédigée ainsi : [traduction] « Si le patient est en mesure de retourner au travail dans un proche avenir, est-ce que des mesures d’adaptation sont nécessaires en raison de restrictions ou de limitations? » La réponse manuscrite de la Dre Demian est la suivante : « Le 8 avril 2013 – retour progressif au travail échelonné sur un mois. »

[24]  La Dre Demian n’a pas été appelée à témoigner. Cependant, je crois comprendre qu’elle indiquait que M. Moffat était prêt à retourner au travail le 8 avril 2013, mais qu’il devait s’agir d’un retour progressif échelonné sur un mois. Dans les observations qu’elles ont présentées à l’audience, les parties n’ont pas proposé une interprétation différente de la réponse écrite à la question 5 du rapport.

[25]  Le 4 avril 2013, M. Moffat a envoyé un courriel à M. Freeman, rédigé ainsi : [traduction] « Bonjour Keith, je serai de retour le 8, lundi, prêt à travailler, je t’appelle demain (vendredi) pour les détails. J’espère que tout va bien. Mike. »

[26]  M. Freeman a témoigné qu’il avait parlé à M. Moffat au téléphone après la réception du troisième courriel, le vendredi 5 avril 2013. Il s’est rappelé que M. Moffat était enthousiaste à l’idée de retourner au travail et qu’il lui avait répondu qu’il était prêt à le faire lorsqu’il lui avait posé la question. Selon le témoignage de M. Freeman, au cours de la conversation téléphonique, M. Moffat n’a aucunement indiqué qu’il n’était pas prêt à assumer toutes ses tâches. M. Moffat a aussi témoigné qu’il n’avait pas mentionné la recommandation relative à son retour progressif lors de sa conversation téléphonique avec M. Freeman.

[27]  À son retour au travail le lundi 8 avril 2013, M. Moffat s’est fait remettre une lettre de congédiement et un chèque. La lettre indiquait que son emploi prenait fin conformément à la clause de licenciement prévu au contrat de travail. Le montant du chèque comprenait :

  • a) 2 semaines de salaire tenant lieu de préavis comme l’exige le contrat de travail;

  • b) 2 jours de salaires pour le 18 février 2013 et le 8 avril 2013;

  • c) 3 jours de salaire pour 3 jours de vacances inutilisés;

  • d) un paiement à titre gracieux représentant 5 jours de salaire mentionné dans la lettre de congédiement, soit un [traduction] « paiement pour favoriser votre transition vers un nouvel emploi ».

[28]  M. Thomas a témoigné que le versement des 5 jours de salaire ne découlait d’aucune obligation, mais visait à faciliter la transition de M. Moffat et à éviter toute « animosité » entre les parties.

[29]  La question de savoir si, le 8 avril 2013, le plaignant était au courant de la recommandation de la Dre Demian relativement au retour progressif au travail échelonné sur un mois ne fait pas consensus. Le rapport de la Dre Demian était destiné à la Great West. Selon son témoignage, M. Moffat avait le rapport en sa possession lors de son retour au travail le 8 avril 2013. Cependant, durant le contre-interrogatoire, il a été incapable de se rappeler comment il avait obtenu ce rapport signé seulement quatre jours plus tôt. Il a aussi reconnu ne pas avoir mentionné le rapport, ni en avoir remis une copie à l’intimé, à son retour au travail le 8 avril 2013. Il a également admis n’avoir jamais mentionné que des restrictions s’appliquaient à son retour au travail.

[30]  M. Thomas a témoigné qu’il avait été mis au courant de l’existence du rapport du 4 avril 2013 de la Dre Demian pour la première fois en août 2014, puisqu’il accompagnait l’énoncé des précisions du plaignant dans la présente instance.

[31]  L’avocat de l’intimé a avancé dans ses observations que M. Moffat ne se rappelait peut-être pas les faits avec exactitude et qu’il n’avait peut-être pas le rapport de la docteure en sa possession seulement quatre jours après sa rédaction. J’ai certains doutes quant à savoir si M. Moffat avait le rapport de la Dre Demian lorsqu’il s’est présenté au travail le 8 avril 2013. Il ne pouvait pas expliquer comment le rapport s’était trouvé en sa possession si rapidement après sa rédaction, ni pour quelles raisons il n’avait jamais parlé de son contenu avec son employeur. Néanmoins, je ne suis pas convaincu de l’importance de la question. Compte tenu de la preuve qui m’était soumise, je conclus qu’à la date du licenciement, l’employeur ne connaissant pas l’existence de restrictions à la capacité de M. Moffat de reprendre son travail et, en fait, M. Moffat a laissé croire à l’intimé à l’absence de telles restrictions.

IV.  Droit applicable

[32]  Le plaignant cite l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne comme acte discriminatoire auquel l’intimé aurait eu recours en raison de la déficience de M. Moffat. L’article est libellé ainsi :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le favoriser en cours d’emploi.

[33]  Aux termes de l’article 3 de la Loi, la déficience est un motif de distinction illicite.

V.  Jurisprudence

[34]  La preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire est « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ». (Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558). Lorsqu’un plaignant a établi qu’il est, de prime abord, victime de discrimination, il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208; Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, par. 18).

[35]  Afin de présenter une preuve suffisante à première vue aux termes de l’alinéa 7a) de la Loi, le plaignant doit prouver que :

(i) l’intimé refuse d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(ii) qu’il existe un lien entre, d’une part, le refus d’employer ou de continuer d’employer cet individu et, d’autre part, un motif de distinction illicite énoncé à l’article 3 de la Loi (voir Québec (C.D.P.D.J.) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 52).

[36]  À cet égard, il n’est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient l’unique raison de l’acte reproché pour qu’une plainte soit accueillie. Il suffit que la discrimination soit un élément de l’acte ou de la décision de l’employeur (Ibid.; Holden c. Canadian National Railway Co. (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.)).

[37]  La plainte initiale déposée à la Commission faisait état de discrimination au sens de l’article 7 de la Loi, mais M. Moffat n’a présenté ni allégation ni de preuve laissant croire à l’existence d’un acte discriminatoire au sens de l’alinéa 7b) (défavorisé en cours d’emploi). Par conséquent, seules les allégations fondées sur l’alinéa 7a) de la Loi sont examinées.

[38]  L’intimé peut présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination prima facie, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux (Bombardier, supra, par. 64). Lorsque l’intimé réfute l’allégation, il doit fournir une explication raisonnable, qui ne peut constituer un prétexte pour dissimuler l’acte discriminatoire (Khiamal c. Canada, 2009 CF 495, par. 58).

[39]  La jurisprudence reconnaît la difficulté de prouver une allégation de discrimination par preuve directe. Comme il est mentionné dans la décision Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, « [l]a discrimination n’est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu’on puisse prouver par des preuves directes qu’un acte discriminatoire a été commis intentionnellement ». Il faut plutôt examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer s’il existe ce qu’on a appelé, dans la décision Basi, de « subtiles odeurs de discrimination » (Khiamal, supra, par. 59). Cela dit, « même circonstancielle, une preuve de discrimination doit néanmoins présenter un rapport tangible avec la décision ou la conduite contestée » (Bombardier, supra, par. 88).

VI.  Questions

[40]  Il s’agit de trancher les deux questions suivantes :

  1. Dans quelle mesure la preuve présentée par le plaignant permet‑elle d’établir une preuve prima facie de discrimination, au sens de l’alinéa 7a) de la Loi?

  2. L’intimé a-t-il réfuté l’allégation de discrimination prima facie en fournissant une explication raisonnable pour son acte, qui ne constitue pas un prétexte?

VII.  Analyse

A.  Question 1 – Dans quelle mesure la preuve présentée par le plaignant permet-elle d’établir une preuve prima facie de discrimination?

[41]  Je conclus que la preuve présentée par M. Moffat étaye jusqu’à un certain point la preuve prima facie. Sans tenir compte de la réponse de l’intimé, la preuve semble étayer les allégations du plaignant : en effet, M. Moffat était incapable de travailler en raison d’une déficience au moment où son employeur a décidé de le licencier. Quand la lettre de congédiement a été remise à M. Moffat, la Dre Demian avait déjà recommandé un retour progressif au travail échelonné sur un mois. Cependant, je dois également me demander si l’intimé a réfuté l’allégation de discrimination prima facie.

B.  Question 2 – Le demandeur a-t-il réfuté l’allégation de discrimination prima facie?

[42]  Il s’agit ici de savoir si l’intimé a fourni une explication raisonnable, ne constituant pas un prétexte, pour sa conduite. Lorsque l’intimé a décidé de congédier M. Moffat, est-ce que sa décision a été influencée par la déficience de son employé? À mon avis, ce n’est pas le cas. L’intimé a non seulement donné des raisons vraisemblables au congédiement, qui ne présentent pas les caractéristiques d’un prétexte visant à justifier la conduite discriminatoire, mais, de plus, l’ensemble de la preuve a établi que la décision de congédier M. Moffat n’était nullement influencée par la déficience de celui-ci.

[43]  Les témoins de l’intimé ont admis en toute franchise qu’ils avaient décidé de congédier M. Moffat quelques semaines avant son retour au travail. Ils ont donné plusieurs raisons précises, non liées à la déficience de M. Moffat, pour justifier leur décision.

[44]  Tout au long de l’audience, M. Moffat a défendu son rendement au travail et a mal pris les reproches qui lui étaient faits. Lors du contre-interrogatoire, il a mis en doute les décisions en matière de finance et de gestion de MM. Thomas et Freeman. Essentiellement, il tentait de démontrer les lacunes des décisions d’affaires de l’intimé.

[45]  S’il n’y a pas de preuves qu’elles ont été influencées directement ou indirectement par un motif de distinction, il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer après coup les décisions d’affaires d’une entreprise, qu’il est sans doute facile de critiquer avec le recul. Il appartient au Tribunal d’examiner tous les facteurs ayant mené à la décision reprochée. Ce faisant, le Tribunal se demandera si l’explication fournie à l’appui de la décision était raisonnable dans les circonstances, mais seulement dans la mesure nécessaire pour déterminer si cette explication ne constituait pas simplement un prétexte (voir Morin c. Canada, 2005 TCDP 41, par. 219; Durrer c. CIBC, 2007 TCDP 6, par. 63, conf. pour d’autres motifs par 2008 CAF 384).

[46]  Dans la défense de sa décision de congédier M. Moffat, l’intimé a également présenté des éléments de preuve indiquant que ses revenus bruts avaient chuté au cours des premiers mois de 2013. Les états financiers ont servi à montrer les conséquences de la perte d’un client important, que Davey Cartage attribue en partie à M. Moffat, et à prouver qu’il devenait trop coûteux de continuer de l’employer. À cet égard, l’intimé a également présenté des preuves démontrant que M. Moffat était le répartiteur le mieux rémunéré que l’entreprise n’avait jamais eu.

[47]  Lorsque le Tribunal examine les motifs du congédiement d’un employé et les circonstances qui l’entourent, il lui appartient de déterminer s’il existe ce qu’on appelle dans la décision Basi de « subtiles odeurs de discrimination ». En l’espèce, je ne conclus pas à de telles odeurs. Qu’avec le recul les décisions d’affaires soient bonnes ou mauvaises, je suis convaincu que l’intimé a pris la décision de congédier M. Moffat sans tenir aucun compte de la déficience qu’il l’a empêché de travailler pendant les deux mois précédents. Cette décision était fondée sur le fait qu’il croyait que le plaignant était complètement remis et apte à assumer l’ensemble de ses tâches. Les problèmes de rendement découverts et examinés en son absence n’avaient aucun lien avec sa déficience. Je conclus donc que la décision de l’intimé de congédier M. Moffat n’était pas fondée sur un motif de distinction illicite.

[48]  Il est certes possible de comprendre le choc que M. Moffat a dû ressentir lorsqu’il est finalement retourné au travail après l’accident pour apprendre qu’il était congédié. Cependant, vu toutes les circonstances de l’espèce, la façon dont il a été congédié ne peut étayer une conclusion de discrimination.

[49]  Dans ses observations finales, M. Moffat a avancé qu’il incombait à l’employeur de s’enquérir de son état de santé au moment de son retour au travail. Il a donné à entendre que son employeur aurait dû demander un rapport médical au médecin ou à la Great West. Je suis convaincu, au vu de la preuve, que Davey Cartage a fait de telles démarches directement auprès de M. Moffat et que celui-ci n’a donné aucune indication selon laquelle des restrictions s’appliquaient en raison de sa déficience. Dans les circonstances de l’espèce et compte tenu du fait que M. Moffat a donné l’assurance qu’il était complètement remis et apte à assumer l’ensemble de ses tâches, j’estime qu’il n’incombait pas à l’intimé d’entreprendre par la suite des démarches auprès de tiers.

[50]  Le Tribunal a déjà établi que l’employeur n’a aucune autre obligation de s’informer lorsqu’il n’a en toute bonne foi aucune connaissance de la déficience :

[42] Toutefois, en l’espèce, le plaignant, de son propre aveu, a délibérément induit en erreur les directeurs dont il relevait en les amenant à croire sincèrement qu’il n’était pas un alcoolique. S’il est du devoir d’un employeur de s’informer au sujet d’une déficience d’un employé et de la façon dont il peut composer avec cet employé, il ne semble que logique et équitable de ne pas étendre cette obligation aux situations où l’employeur n’a en toute bonne foi aucune connaissance de la déficience de l’employé.

(Benoit c. Bell Canada (Québec, 2004 TCDP 32, conf. par 2005 CF 926)

[51]  Certes, l’employeur intimé en l’espèce ne peut prétendre ne pas avoir eu connaissance de la déficience de M. Moffat. Davey Cartage savait qu’il était blessé; cependant, l’entreprise a cru que la déficience de M. Moffat était temporaire et qu’elle n’avait plus de conséquences sur son travail. Soit M. Moffat ne connaissait pas la recommandation de son propre médecin relativement à son retour au travail au moment de son congédiement, soit il a simplement décidé de ne pas en informer son employeur. De toute façon, je suis convaincu, au vu de la preuve, que M. Moffat a confirmé à son employeur qu’il était prêt à reprendre le travail sans restriction et que Davey Cartage n’a pris connaissance de la recommandation de retour progressif au travail que plus d’un an plus tard, lorsque le rapport de la Dre Demian a été remis à l’intimé au cours du processus de communication de la preuve en vue de l’audience.

VIII.  Conclusion

[52]  Comme je l’ai mentionné précédemment, il faut examiner toutes les circonstances pour déterminer s’il existe de « subtiles odeurs de discrimination ». Selon la preuve, il est clair que l’intimé a décidé de congédier le plaignant pour des raisons qui n’avaient absolument rien à voir avec sa déficience. Bien qu’une partie de la preuve semble indiquer qu’il existe une preuve prima facie de discrimination dans la mesure où le congédiement s’est produit peu de temps après l’accident de la route de M. Moffat, l’intimé a réussi à réfuter l’allégation en démontrant qu’il a pris sa décision sans tenir compte de cette déficience.

[53]  Je suis convaincu au vu de la preuve que l’intimé voulait attendre que le plaignant soit complètement remis de ses blessures avant de le congédier. Les raisons de ce congédiement ont été expliquées adéquatement par Davey Cartage et n’étaient absolument pas liées à la déficience. À mon avis, elles fournissent une explication raisonnable au congédiement et ne constituent pas un prétexte. Je conclus qu’il n’y avait aucune preuve d’autres considérations discriminatoires ultérieures.

[54]  Il est bien établi en droit que le fardeau de la preuve dans un contexte des droits de la personne est le même que dans un contexte de droit civil : le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités incombe à celui ou celle qui réclame l’exécution d’une obligation (Développement social Canada c. Canada (Commission des droits de la personne), 2011 CAF 202, par. 16; Bombardier, supra, par. 65). Lorsque l’intimé ne cherche pas à s’appuyer sur un moyen de défense prévu par la loi, le fardeau de la preuve incombe au plaignant qui doit démontrer que la preuve de l’intimé est fausse ou n’est qu’un prétexte (Wilson c. ASFC, 2015 TCDP 11, par. 22). Le plaignant ne s’est pas acquitté en l’espèce du fardeau qui lui incombait.

[55]  Comme j’ai conclu que la plainte n’était pas fondée, elle est par conséquent rejetée.

Signée par

David L. Thomas

Président du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 24 septembre 2015

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2019/2014

Intitulé de la cause : Michael Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd.

Date de la décision du Tribunal : Le 24 septembre 2015

Date et lieu de l’audience : Les 2 et 3 mars 2015
Tsawwassen (Colombie‑Britannique)

Comparutions :

Michael Moffat , pour son compte

Personne n’a comparu pour la Commission canadienne des droits de la personne

Joe Coutts, avocat de l’intimé

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