Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2015 TCDP 17

Date : le 21 juillet 2015

Numéro du dossier : T1886/11612M

Entre :

Douglas George Cawson

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Air Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Susheel Gupta

 


I.  Confidentialité

[1]  Au cours d’une conférence téléphonique de gestion d’instance (la CTGI) tenue le 6 octobre 2014, j’ai rendu une ordonnance de confidentialité prévoyant ce qui suit :

[traduction] La présente requête soulevant des questions au sujet du processus de règlement confidentiel, j’ordonne, en vertu de l’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la présente conférence téléphonique de gestion d’instance et tous les documents déposés en l’espèce depuis l’avis de règlement soient considérés comme étant confidentiels.

 

J’ordonne en outre que les parties ne divulguent aucun document déposé ou reçu, sauf dans le cadre d’un contrôle judiciaire demandé en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. Tous les documents déposés relativement à la présente requête ainsi que l’enregistrement de la présente conférence téléphonique seront traités comme étant confidentiels par le Tribunal. Il est particulièrement important de protéger la confidentialité de l’entente de règlement. Aucune partie ne doit divulguer cette entente ni son contenu à quiconque, sauf si elle a obtenu au préalable la permission du Tribunal.

[2]  Compte tenu de cette ordonnance qui visait à maintenir la confidentialité du procès‑verbal du règlement, la présente décision n’approfondira pas les détails de l’affaire, sauf dans la mesure nécessaire pour statuer sur la requête. Le procès‑verbal du règlement demeure scellé par le Tribunal.

[3]  La plainte en l’espèce a été déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) par le plaignant, Douglas George Cawson, le 19 octobre 2011. Le 7 décembre 2012, la Commission a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte, en vertu de l’article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Il n’est pas nécessaire pour le moment, aux fins de la présente décision, que le Tribunal étudie à fond les allégations contenues dans la plainte sous‑jacente. Avant qu’une instruction ait lieu, l’affaire a été réglée par les parties au moyen du processus de médiation volontaire du Tribunal.

[4]  La présente décision concerne une requête par laquelle le plaignant sollicite une ordonnance de réouverture de l’affaire. Au soutien de sa requête, le plaignant allègue qu’il y a eu violation de contrat relativement à la mise en œuvre du procès‑verbal du règlement (l’entente de règlement) et qu’il a subi des pressions ou a fait l’objet de contrainte pendant le processus de médiation.

[5]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette la requête du plaignant.

II.  Contexte et résumé

[6]  Le 23 juillet 2013, le plaignant, l’intimée et la Commission ont participé à un processus de médiation. La médiation a été menée avec l’aide d’un membre du Tribunal qui agissait comme médiateur.

[7]  L’entente de règlement a été signée par toutes les parties au terme de la médiation.

[8]  L’entente de règlement obligeait l’intimée à verser des montants particuliers au plaignant, une fois que les parties auraient reçu la confirmation écrite de la Commission attestant qu’elle approuvait le règlement, dans un délai précis à compter de cette date.

[9]  Dans une lettre datée du 30 août 2013 qui a été reçue par l’intimée le 5 septembre suivant, la Commission a informé l’intimée que l’entente de règlement avait été approuvée. La copie de cette entente déposée dans le cadre la présente requête indique que l’entente de règlement a été signée et approuvée par la Commission le 14 août 2013.

[10]  Le 6 septembre 2013, le Tribunal a écrit aux parties pour leur faire savoir qu’il allait fermer son dossier étant donné que l’entente de règlement avait été approuvée par la Commission.

[11]  Dans une lettre datée des 1er et 2 octobre 2013 (remarque : le plaignant a écrit deux lettres, une datée du 1er octobre 2013 et l’autre, dont la numérotation faisait suite à la première lettre, du 2 octobre 2013), le plaignant a écrit au Tribunal que l’intimée n’avait pas envoyé les sommes d’argent qu’elle devait payer dans les délais prescrits par l’entente de règlement. Le plaignant alléguait qu’il y avait eu violation du contrat, c.‑à‑d. l’entente de règlement, qu’il avait le sentiment que le médiateur avait un parti pris et qu’il n’avait dormi que trois heures la nuit précédant la médiation, ce qui avait eu un effet sur lui pendant le processus de médiation. De plus, la lettre traitait de manière approfondie du bien‑fondé de sa plainte en matière de droits de la personne. Le plaignant a indiqué qu’il aimerait que son dossier soit rouvert. Cette lettre n’a pas été envoyée par le plaignant à l’intimée ou à la Commission.

[12]  Dans une lettre datée du 4 novembre 2013 qu’il a envoyée au Tribunal, le plaignant alléguait qu’il avait l’impression de ne pas avoir été représenté comme il l’aurait pu par le médiateur et qu’il avait le sentiment que celui‑ci était favorable aux intérêts de l’intimée. Il a affirmé à nouveau que lui et sa femme avaient très peu dormi la nuit précédant la médiation. Le plaignant a aussi décrit la manière dont il se sentait à cause de l’entente de règlement et du processus de médiation. Il a à nouveau fait des assertions et mis de l’avant des arguments concernant le bien‑fondé de sa plainte en matière de droits de la personne. Enfin, il a indiqué qu’il avait encaissé le premier chèque qu’il avait reçu de l’intimée, mais pas le deuxième parce que celui‑ci avait été envoyé en retard et qu’il était [traduction] « content lorsque le deuxième chèque d’Air Canada était arrivé en retard parce cela me donnait l’occasion de dire ce que je pensais de la décision que j’avais obtenue – en ce qui concerne ma séance de médiation. Ils ont fait une gaffe. Tant mieux pour moi, j’espère. » Enfin, le plaignant a dit qu’il aimerait avoir une autre chance de faire valoir son point de vue dans le cadre d’une séance de médiation ou d’une audience. Cette lettre n’a pas été transmise à l’intimée ou à la Commission.

[13]  Dans une lettre datée du 12 février 2014, le plaignant a écrit au Tribunal qu’il aimerait déposer une requête en réouverture de son dossier. C’était la première fois que le plaignant avisait le Tribunal qu’il allait déposer une requête. Le plaignant a mentionné à nouveau qu’il avait l’impression de ne pas avoir été [traduction] « représenté » équitablement par le médiateur et il a décrit comment il se sentait à cause du processus. Il a répété certaines des allégations contenues dans ses lettres précédentes et a défendu encore une fois le bien‑fondé de ses plaintes en matière de droits de la personne. Il a indiqué qu’il avait encaissé le premier chèque envoyé par l’intimée conformément à l’entente de règlement, car ce chèque représentait [traduction] « les dépenses que j’avais encourues, etc., jusqu’à l’audience de médiation ».

[14]  Le registraire du Tribunal a, par la suite, transmis une copie de l’avis de requête du plaignant, daté du 12 février 2014, à l’intimée et à la Commission. Le Tribunal a établi avec toutes les parties un calendrier des dates de dépôt des observations en réponse.

[15]  Dans les observations qu’elle a déposées en réponse le 17 mars 2014, l’intimée a contesté la requête du plaignant pour diverses raisons, notamment le fait que le processus de médiation avait été suivi, qu’un règlement valide avait été conclu, que les conditions du règlement avaient été respectées, que le Tribunal était functus officio et que le caractère définitif d’un règlement devait l’emporter – en d’autres termes, que la confirmation de la validité des conditions d’un règlement convenu par les parties répond à un intérêt public important.

[16]  Le plaignant a déposé ses observations en réponse le 27 mars 2014. Dans ses observations, il a décrit de manière détaillée la teneur de sa plainte en matière de droits de la personne. De plus, il affirme qu’il n’avait pas peur, mais qu’il était simplement nerveux et n’avait pas beaucoup dormi la nuit précédant la médiation. Il soutient que le médiateur était partial parce qu’il était peut‑être déjà intervenu dans des cas intéressant l’intimée. Il fait valoir qu’il n’était pas content de l’issue de la médiation et qu’il avait assimilé le processus de négociation mené dans le cadre de la médiation à des négociations semblables qui surviennent lorsqu’une personne achète une voiture.

[17]  La Commission a avisé le Tribunal et toutes les parties qu’elle ne déposerait pas d’observations relativement à la requête.

[18]  Le 6 octobre 2014, une CTGI a réuni toutes les parties. Un certain nombre de questions ont été abordées, notamment le dépôt de l’entente de règlement auprès du Tribunal, l’ordonnance de confidentialité mentionnée précédemment et la transmission à l’intimée des communications que le plaignant avait eues avant le 12 février 2014. Enfin, l’intimée a eu la possibilité d’examiner les lettres datant d’avant février 2014, puis de déposer des observations additionnelles.

[19]  L’intimée a déposé des observations additionnelles le 29 octobre 2014. Dans ces observations, elle faisait notamment valoir que le plaignant avait mal calculé les délais prévus par l’entente de règlement dans lesquels elle devait remplir ses obligations, que le plaignant ne pouvait pas accepter une partie de l’entente de règlement puis prétendre maintenant que celle‑ci est nulle, et que le plaignant ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver la contrainte.

III.  Analyse et constatations

[20]  Je dois trancher les questions suivantes :

A)  Le Tribunal a-t-il compétence à l’égard des différends relatifs aux ententes de règlement qui ont été approuvées par la Commission en vertu de l’article 48 de la LCDP?

Si le Tribunal a compétence :

B)  De la contrainte a-t-elle été exercée au point où l’entente de règlement devrait être annulée?

C)  L’entente de règlement a-t-elle été violée de manière à entraîner sa nullité?

A.  Compétence du tribunal à l’égard des différends relatifs aux ententes de règlement qui ont été approuvées par la Commission en vertu de l’article 48 de la LCDP

[21]  Dans ses observations, l’intimée remet en cause la compétence du Tribunal pour trancher les questions soulevées par le plaignant. Elle soutient que le Tribunal est functus officio puisqu’il a fermé son dossier après que la Commission a approuvé l’entente de règlement. En général, j’estime que le Tribunal n’a pas compétence à l’égard des différends relatifs aux ententes de règlement qui ont été approuvées par la Commission en vertu de l’article 48 de la LCDP.

[22]  Le rôle confié au Tribunal par la LCDP consiste à instruire les plaintes qui lui sont renvoyées par la Commission (par. 49(2) et art. 50) et à décider si une plainte est fondée ou non (art. 53). Contrairement à la Commission (voir l’art. 47), le Tribunal n’a pas le mandat légal explicite de mener une médiation. Il offre plutôt aux parties de participer à un processus de médiation sur une base volontaire et informelle. Cela étant dit, le Tribunal est d’avis qu’il est très utile d’offrir la médiation aux parties. Grâce à l’expertise et à la connaissance en matière de droits de la personne du membre du Tribunal qui agit comme médiateur, les parties peuvent explorer les possibilités de règlement qui permettront de régler une plainte à leur satisfaction, tout en économisant le temps, les efforts et le coût qu’exige des deux parties et du Tribunal la tenue d’une audience. Si une affaire n’est pas réglée, une séance de médiation peut tout de même servir à circonscrire les questions en litige ou à résoudre des questions de procédure. Dans l’ensemble, la médiation est un outil important dont le Tribunal se sert pour gérer sa charge de travail et pour régler sans formalisme et de façon expéditive les plaintes en matière de droits de la personne (voir le par. 48.9(1)).

[23]  Bien que le Tribunal n’ait pas, en vertu de la loi, le mandat explicite de mener des médiations, la LCDP prévoit la possibilité qu’un règlement soit conclu avant l’audience devant le Tribunal :

48. (1) Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

 

(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

 

(3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

[24]  Sous le régime de l’article 48 de la LCDP, la décision de la Commission d’approuver les conditions d’un règlement a pour effet de mettre un terme à une plainte en matière de droits de la personne et, en conséquence, à la compétence du Tribunal à l’égard de cette plainte. De plus, cette décision est susceptible de contrôle juduciaire (voir, par exemple, Johnson c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1021). Le paragraphe 48(3) prévoit aussi que la Cour fédérale peut résoudre les différends concernant les ententes de règlement qui ont été approuvées par la Commission. J’estime donc que, lorsqu’une entente de règlement a été approuvée par la Commission, le Tribunal n’a plus compétence pour instruire la plainte en matière de droits de la personne faisant l’objet du règlement, ni pour traiter les différends relatifs à cette entente.

[25]  Je mentionne en outre que la volonté des parties de participer au processus de médiation avec le Tribunal peut être compromise si les parties qui ont conclu un règlement relativement à leur plainte en matière de droits de la personne ont été autorisées à se manifester, après l’approbation du règlement soumis à la Commission, et à tenter de poursuivre leur plainte maintenant réglée devant le Tribunal. Je souscris au passage suivant tiré de Nolan c Royal Ottawa Health Care Group, 2014 HRTO 1604, au paragraphe 43 :

[traduction] […] Lorsque deux parties conviennent de régler un différend juridique, le principe du caractère définitif des instances exige que le contrat prenne effet et empêche les parties de débattre de questions déjà réglées, à moins qu’il n’existe des raisons impérieuses d’annuler le contrat. La plupart des litiges aboutissent à un règlement et presque tous les règlements renferment une disposition par laquelle le plaignant dégage entièrement l’intimé de toute réclamation éventuelle relative à l’objet du règlement. Il faut que les règlements soient définitifs pour être efficaces, sinon rien n’inciterait les parties à conclure des règlements pour mettre fin à leur litige. […]

[26]  Ce paragraphe de la décision Nolan traitait de la question de savoir si une demande de réouverture d’une affaire déjà réglée qui prévoyait une décharge complète et définitive constituait un abus de procédure, mais j’estime qu’il démontre bien également à quel point il est important que les tribunaux et les cours de justice confirment le caractère définitif des ententes de règlement lorsqu’il n’y a aucune raison impérieuse de les annuler.

[27]  En l’espèce, le plaignant n’a soulevé aucune question concernant la validité de l’entente de règlement à la suite de la médiation avec le Tribunal. La Commission a alors examiné et approuvé le règlement. Le plaignant n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’approuver le règlement. Si le plaignant est d’avis que l’entente de règlement soulève des problèmes ou, subsidiairement, si l’intimée souhaite faire exécuter celle‑ci, ils sont libres de faire appel à la Cour fédérale comme le prévoit la LCDP.

[28]  Bien qu’il y ait des affaires où la compétence des tribunaux administratifs à l’égard des différends relatifs à une entente de règlement a été reconnue (voir, par exemple, Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38), je crois que le cas du Tribunal est différent en raison du régime particulier de la LCDP (en particulier l’art. 48).

[29]  Pour les motifs exposés ci‑dessus, je ne crois pas que le Tribunal est compétent pour traiter les affaires soulevées par le plaignant relativement à l’entente de règlement. 

[30]  Quoi qu’il en soit, je ne reconnais pas que l’entente de règlement a été conclue sous l’effet de la contrainte ou que l’intimée a violé les conditions de cette entente, comme je l’expliquerai dans les pages qui suivent.

B.  De la contrainte a-t-elle été exercée au point où l’entente de règlement devrait être annulée?

[31]  Les parties ont conclu une entente de règlement sous la supervision d’un membre du Tribunal. La Commission était représentée par un spécialiste du MARC lors de la médiation. Celle‑ci et la signature de l’entente de règlement sont survenues le 23 juillet 2013.

[32]  Le plaignant indique dans les lettres qu’il a adressées au Tribunal et dans sa requête qu’il avait le sentiment que le médiateur avait un parti pris et qu’il ne le représentait pas équitablement. Il a indiqué aussi qu’il n’avait pas peur, mais qu’il était simplement nerveux et avait dormi seulement trois heures la nuit précédant la médiation, ce qui a eu un effet sur lui pendant la séance de médiation. Il ajoute qu’il n’était pas content du résultat.

[33]  En ce qui concerne d’abord le rôle du médiateur, les Procédures de médiation évaluative du Tribunal indiquent clairement que le rôle d’un médiateur du Tribunal consiste à favoriser la conclusion d’une entente de règlement par les parties. Ces procédures ont été remises à toutes les parties avant la médiation. On y explique très clairement que le médiateur du Tribunal ne représente pas les parties en plus d’y indiquer que les parties qui ne sont pas représentées disposent de sept jours à compter de la signature de l’entente de règlement pour obtenir des conseils juridiques ou pour se retirer de l’entente. Le rôle du médiateur consiste à faciliter les discussions en vue d’un règlement, non de donner des conseils juridiques aux parties. Le médiateur et le Tribunal n’ont aucun intérêt personnel dans l’issue de la médiation et le médiateur n’est pas un représentant, juriste ou non-juriste, de l’une ou l’autre des parties. Toutes les parties sont informées du fait que le médiateur n’a pas le pouvoir d’imposer un règlement ou les conditions d’une entente de règlement. Au bout du compte, le plaignant avait la possibilité de ne pas se prévaloir de la médiation et de se présenter à une audience. Le plaignant ne mentionne nulle part dans ses documents qu’il a été induit en erreur quant au rôle du médiateur.

[34]  Le plaignant n’était pas accompagné d’un conseiller juridique lors de la médiation le 23 juillet 2013, mais de sa femme. Il n’a pas mentionné dans ses documents s’il avait demandé des conseils juridiques après cette date ou non. Il est évident qu’il a communiqué avec le Tribunal la première fois afin de se retirer de l’entente de règlement les 1er et 2 octobre 2013, soit bien après la période de réflexion de sept jours accordée aux parties qui ne sont pas représentées lors des séances de médiation du Tribunal.

[35]  Cela étant dit, je dois encore décider si les événements survenus au cours de la médiation équivalaient à de la contrainte. Le critère juridique a été établi dans l’affaire Taber c Paris Boutique & Bridal Inc, 2010 ONCA 157, qui indique, au paragraphe 9, au sujet de la contrainte pouvant faire en sorte qu’une entente devient inexécutoire à l’encontre d’une partie qui a été contrainte de la conclure :

[traduction] Or, ce ne sont pas toutes les formes de pression, économique ou autre, qui constituent de la contrainte à un degré tel que cela entraîne des conséquences sur le plan juridique. Deux éléments doivent être présents : ce doit être une forme de pression que la loi considère comme illégale, et elle doit être exercée dans une mesure telle qu’elle équivaut à une « coercition exercée sur la volonté » de la partie qui invoque ce concept.

[36]  Rien dans les documents du plaignant ne démontre qu’il a fait l’objet de pressions illégales pour le forcer à régler le différend ou pour accepter l’entente offerte ou négociée avec l’intimée, ou qu’il n’avait aucune solution de rechange. Il n’était peut‑être pas en pleine forme ou il se sentait peut‑être fatigué à cause du manque de sommeil, et il était fort probablement nerveux comme c’est le cas de bon nombre de parties, qu’elles soient représentées ou non. Il ne s’agit pas de pressions illégales.

[37]  La médiation est un processus qui vise à encourager les parties à réfléchir à leurs options et, parfois, à effectuer une analyse coûts‑bénéfices de ce qui est dans leur intérêt. Un médiateur peut, afin d’aider une partie à examiner son plan d’action, tenir compte de facteurs comme les points forts et les points faibles de la thèse du plaignant, la période de temps précédant l’audience et le stress pouvant avoir été ressenti tout au long du processus jusqu’à ce qu’une décision soit rendue. Faire ressortir ces facteurs n’équivaut pas à une coercition exercée sur la volonté dans une mesure telle que le plaignant n’a d’autre choix que d’accepter un règlement. Cette façon de faire du médiateur ne saurait être interprétée comme si une personne était sous l’effet d’une contrainte illégale. En fait, lorsque le processus de médiation est mené par des membres du Tribunal, une partie a l’avantage d’entendre parler des forces, des faiblesses et des défis que présente sa thèse par un membre qui connaît bien la jurisprudence du Tribunal, ce qui peut l’aider à prendre une décision éclairée quant à la façon de faire valoir son point de vue. Une partie peut trouver difficile d’entendre une opinion sur son dossier, en particulier si les faiblesses sont plus nombreuses que les forces; au bout du compte, la partie a toujours le pouvoir de décider s’il y a lieu de faire instruire sa plainte.

[38]  Il faut noter que, selon les Procédures de médiation évaluative du Tribunal, le membre qui joue le rôle de médiateur n’est pas celui qui préside l’audience dans la plupart des cas. Ce n’est que dans les cas où toutes les parties donnent leur consentement que le membre du Tribunal qui est intervenu en qualité de médiateur instruira la plainte. À défaut de consentement de toutes les parties, un membre différent sera chargé de l’audience. En outre, le processus de médiation du Tribunal est entièrement confidentiel, de sorte que tous les renseignements échangés et communiqués pendant ce processus (y compris l’échange de documents avant et pendant la médiation) ne sont pas communiqués aux autres membres du Tribunal si la médiation ne mène pas à une entente de règlement. Ainsi, les parties sont certaines, si elles choisissent de faire instruire leur plainte, d’être protégées par la présence d’un décideur indépendant et impartial qui présidera l’audience sans rien savoir des renseignements échangés au cours du processus de médiation.

[39]  Par conséquent, j’estime que les exemples de pression mentionnés par le plaignant n’équivalent pas à de la contrainte ou ne satisfont pas au critère de la contrainte selon la jurisprudence citée précédemment. Bien que le plaignant ait eu l’impression de subir des pressions pendant la médiation, il n’a pas allégué qu’il ne pouvait pas rejeter les conditions du règlement que lui offrait l’intimée. En outre, les procédures qui doivent être suivies lors des médiations du Tribunal sont structurées précisément pour donner à un plaignant non représenté, comme c’est le cas en l’espèce, un délai de sept jours pour « se calmer » et prendre une décision définitive sans subir les pressions de la salle de médiation.

C.  L’entente de règlement a-t-elle été violée de manière à entraîner sa nullité?

[40]  Le plaignant allègue que l’intimée n’a pas fait parvenir les sommes d’argent qu’elle devait dans les délais précisés dans l’entente de règlement. Il soutient plus précisément (dans la lettre qu’il a adressée au Tribunal le 1er octobre) qu’il a reçu le premier chèque le 25 septembre 2013, soit, selon ses calculs, 65 jours après la signature de l’entente de règlement. Il mentionne que le deuxième chèque est arrivé le 2 octobre 2013 et il allègue, dans sa requête du 12 février 2014, que c’est ce chèque qui lui est parvenu en retard qui cause une violation du contrat.

[41]  Le paragraphe 1 de l’entente de règlement est libellé ainsi :

[traduction]

1) Dans les quarante‑cinq (45) jours suivant la réception de la lettre de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) attestant qu’elle a approuvé le présent règlement, l’intimée :

A) remet au plaignant XX [1] $ pour préjudice moral, une somme à laquelle aucune déduction imposable ne sera appliquée;

B) remet au plaignant XX [2] $ au titre des honoraires, une somme à laquelle les déductions prévues par la loi seront appliquées.

[Non souligné dans l’original.]

[42]  Bien que l’entente de règlement ait été approuvée par la Commission le 14 août 2013, aucune des parties n’a affirmé savoir que l’approbation avait été donnée à cette date.

[43]  En fait, l’approbation n’a pas été communiquée avant le 4 septembre 2013 par l’avocat de la Commission. Celle‑ci a approuvé l’entente de règlement et, le 5 septembre 2013, l’intimée a reçu une lettre d’accompagnement datée du 30 août 2013.

[44]  Le délai applicable à l’obligation incombant à l’intimée de se conformer au paragraphe 1 de l’entente de règlement a commencé à courir seulement lorsque l’intimée a reçu une lettre de la Commission l’informant que celle‑ci avait approuvé le règlement. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que le début du délai de 45 jours sur lequel le plaignant et l’intimée se sont entendus est le 5 septembre 2013.

[45]  Selon le plaignant, le premier chèque est arrivé le 25 septembre 2013, soit 20 jours après que l’intimée a reçu notification de l’approbation de l’entente de règlement par la Commission. Quant au deuxième chèque, le plaignant l’a reçu le 2 octobre 2013, soit 27 jours après que la Commission a avisé l’intimée, par écrit, qu’elle avait approuvé l’entente de règlement.

[46]  L’intimée n’a manifestement pas violé le contrat, car elle a envoyé les chèques dans le délai de 45 jours sur lequel les parties s’étaient entendues.

[47]  Le plaignant a fait une erreur en calculant le délai de 45 jours à compter de la date de la signature de l’entente de règlement par le plaignant et l’intimée ou à compter de la date à laquelle la Commission a approuvé l’entente de règlement. Le délai a commencé à courir seulement lorsque les parties ont été avisées par écrit de l’approbation.

[48]  Même si le délai devait commencer à courir le 4 septembre 2013, soit la date à laquelle l’avocat de la Commission a avisé l’intimée que la Commission avait approuvé l’entente de règlement, ou si la date du 30 août 2013, soit la date à laquelle la Commission a envoyé sa lettre, avait été utilisée, les deux chèques sont parvenus au plaignant dans le délai de 45 jours civils convenu par les parties.

[49]  Par conséquent, j’estime qu’il n’y a pas eu violation de l’entente de règlement.

[50]  J’estime qu’il est nécessaire de faire des observations sur le fait que le plaignant a choisi d’accepter le respect d’une partie de l’entente de règlement puis de demander l’annulation de l’ensemble de l’entente. Plus précisément, le plaignant a indiqué qu’il avait reçu le premier chèque de l’intimée qui avait été convenu à l’alinéa 1A) de l’entente de règlement. Il a indiqué dans ses documents qu’il avait encaissé ce chèque parce qu’il représentait [traduction] « les dépenses que j’avais encourues, etc., jusqu’à l’audience de médiation ». L’entente de règlement prévoit très clairement que le premier chèque visait à compenser le plaignant pour « préjudice moral », ce qui renvoie probablement aux dommages que le Tribunal peut accorder en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. Le plaignant ne peut pas prendre de mesures pour accepter une partie de l’entente de règlement – en l’espèce, en déposant et en encaissant le chèque – puis tenter de prétendre que l’ensemble de l’entente est nul. Les mesures qu’il a prises montraient également qu’il avait accepté l’entente de règlement.

[51]  En conséquence, la requête en réouverture de l’affaire est rejetée.

[52]  Il reste une question à trancher. Comme il a été mentionné précédemment, l’entente de règlement prévoyait l’envoi de deux chèques au plaignant. Celui‑ci reconnaît qu’il a reçu les deux chèques, mais qu’il n’a encaissé que le premier. D’après ce que je comprends, les chèques sont valides au Canada pendant une période de six mois à compter de la date qui y est inscrite. Le deuxième chèque serait donc maintenant périmé en raison de l’écoulement du temps. Il faudra que l’intimée envoie au plaignant un nouveau chèque du même montant que le deuxième chèque.

Signée par

Susheel Gupta

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 21 juillet 2015



[1] Mentionnons que le montant indiqué dans l’entente de règlement est confidentiel, conformément à l’entente intervenue entre les parties et à l’ordonnance de confidentialité mentionnée précédemment dans la présente décision.

[2] Ibid.

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