Régie de l'énergie du Québec

Informations sur la décision

Résumé :

Le 29 novembre 2013, Intragaz, société en commandite (Intragaz) dépose auprès de la Régie de l’énergie (la Régie) une demande d’autorisation relative à un projet d’investissement visant à accroître la capacité du site d’emmagasinage de Pointe-du-Lac (le Projet).

Contenu de la décision

 

QUÉBEC                                                                             RÉGIE DE L’ÉNERGIE

 

 

D‑2014-053

R‑3868‑2013

25 mars 2014

 

 

 

 

 

PRÉSENT :

 

Laurent Pilotto

Régisseur

 

 

 

 

Intragaz, Société en commandite

Demanderesse

 

et

 

Personnes intéressées dont les noms apparaissent ci-après

 

 

 

 

Décision finale et sur les frais

 

Demande afin d’obtenir l’autorisation de procéder à des investissements dans le but d’accroître la capacité du site d’emmagasinage de Pointe-du-Lac


 

 


Personnes intéressées :

 

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI);

Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro).

 


1.            introduction

 

[1]             Le 29 novembre 2013, Intragaz, société en commandite (Intragaz) dépose auprès de la Régie de l’énergie (la Régie) une demande d’autorisation relative à un projet d’investissement visant à accroître la capacité du site d’emmagasinage de Pointe-du-Lac (le Projet).

 

[2]             Le 16 décembre 2013, la Régie fait paraître un avis aux personnes intéressées. Elle y indique que la demande sera traitée sur dossier et elle fixe la date limite de dépôt d’éventuelles observations au 6 février 2014.

 

[3]             Le 20 janvier 2014, la Régie transmet la demande de renseignements (DDR) no 1 à Intragaz. Cette dernière y répond le 31 janvier 2014.

 

[4]             Le 6 février 2014, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI) et Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro) déposent leurs observations, auxquelles Intragaz réplique le 14 février 2014. À compter de cette date, la Régie entame son délibéré sur le fond.

 

[5]             Le 21 février 2014, la FCEI dépose une demande de remboursement de frais.

 

[6]             Le 3 mars 2014, Intragaz dépose ses commentaires sur la demande de remboursement de frais de la FCEI.

 

[7]             Dans la présente décision, la Régie se prononce sur la demande d’Intragaz et sur la demande de remboursement de frais de la FCEI.

 

 

 

2.            cadre juridique

 

[8]             Intragaz est un emmagasineur de gaz naturel dont les tarifs sont réglementés conformément aux articles 1, 31, 48 et 49 de la Loi sur la Régie de l’énergie[1].

 

[9]             Toutefois, contrairement aux distributeurs de gaz naturel ou à Hydro-Québec dans ses activités de transport ou de distribution d’électricité, Intragaz n’a pas l’obligation d’obtenir une autorisation préalable de la Régie en vertu de l’article 73 de la Loi lorsqu’elle procède à des investissements. Conséquemment, Intragaz n’est pas visée par les prescriptions du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie[2] (le Règlement).

 

[10]         Dans le dossier R-3807-2012, Intragaz demandait à la Régie de fixer ses tarifs d’emmagasinage de gaz naturel sur la base du coût de service. Elle proposait également de soumettre à la Régie une demande d’autorisation préalable pour tout investissement supérieur à 2,5 M$.

 

[11]         Dans la décision D-2013-081[3], la Régie s’est prononcée sur cette proposition dans ces termes :

 

« [109] La Régie accueille la proposition d’Intragaz de soumettre une demande d’autorisation préalable pour tout investissement excédant 2,5 M$, sauf pour les situations nécessitant des interventions d’urgence [note de bas de page omise]. Toute demande d’autorisation d’un tel projet devra être déposée à la Régie et être accompagnée des renseignements prévus à l’article 2 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie ».

 

[12]         La Régie a donc ordonné que les renseignements prévus à l’article 2 du Règlement soient fournis par Intragaz afin qu’elle puisse disposer de tous les renseignements pertinents pour juger du bien-fondé de la demande d’autorisation de l’investissement. La présente demande d’Intragaz découle donc de cette ordonnance de la Régie et non de l’obligation statutaire prévue à l’article 73 de la Loi.

 

 

 


3.            analyse

 

3.1             MISE EN CONTEXTE ET OBJECTIFS DU PROJET

 

[13]         Selon Intragaz, les importants changements au niveau du transport gazier au Canada font en sorte que Gaz Métro, son unique cliente, est intéressée à avoir accès à de la capacité additionnelle d’emmagasinage en franchise.

 

[14]         Le Projet vise à accroître le volume maximal de retrait quotidien et le volume utile du site Pointe-du-Lac, selon les besoins exprimés par Gaz Métro

 

[15]         Plus spécifiquement, le Projet permettrait de faire passer le volume maximal de retrait quotidien au site Pointe-du-Lac de 1 200 103 m3 à 1 600 103 m3, ce qui correspond à une augmentation de 33 %. Quant au volume utile contractuel, celui-ci passerait de 22,7 à 36,0 106 m3, représentant une augmentation de 59 %[4].

 

 

3.2             DESCRIPTION DU PROJET, COÛTS ET RISQUES

 

[16]         Le Projet consiste essentiellement à réaliser les travaux suivants :

        raccordement des puits existants B‑57, B‑297 et B‑306 à l’actuelle infrastructure d’emmagasinage du site Pointe-du-Lac, exigeant la construction de conduites de collecte totalisant 2 782 mètres, composées d’une conduite de 219,1 mm de diamètre d’une longueur de 2 015 mètres ainsi que d’une conduite de 114,3 mm de diamètre d’une longueur de 767 mètres;

        ajout d’un compresseur de 2 520 HP identifié C‑5 et qui serait logé dans une extension du bâtiment abritant présentement les compresseurs C‑3 et C‑4.

 

[17]         Intragaz précise que les puits B‑57, B‑297 et B‑306 sont présentement utilisés comme puits d’observation. L’intérêt principal de raccorder ces puits réside dans le fait qu’ils sont situés dans une zone présentement moins exploitée du réservoir de Pointe-du-Lac. Leur localisation relativement éloignée des autres puits actuellement en fonction fait en sorte que leur exploitation ne viendrait pas réduire la contribution des puits existants. Intragaz soutient que, en permettant une meilleure exploitation du réservoir, ces puits viendraient en accroître le volume utile. Leur raccordement permettrait ainsi d’optimiser l’exploitation de l’ensemble du réservoir.

 

[18]         Quant au volume maximal de retrait quotidien, Intragaz prévoit que du raccordement de ces trois puits résultera une augmentation d’environ 13 % du volume maximal de retrait quotidien de 1 200 10m3 présentement disponible, soit 160 10m3/jour. Intragaz affirme que le nouveau compresseur de 2 520 HP entraînera, quant à lui, une augmentation d’environ 20 % du volume maximal de retrait quotidien, soit un apport de 240 10m3/jour.

 

[19]         Intragaz estime que les investissements requis pour réaliser le Projet s’élèvent à 8,1 M $.

 

[20]         Intragaz soutient que les investissements associés au Projet entraîneront une augmentation de 1,024 M$ du revenu requis annuel uniforme d’Intragaz jusqu’à la fin du contrat existant avec Gaz Métro, soit le 30 avril 2023.

 

[21]         Sur la base du Tarif E‑6 existant, l’application de l’accroissement généré par le Projet à la capacité réservée et au volume maximal de retrait souscrit par Gaz Métro générerait des revenus additionnels de l’ordre de 2,282 M$/année. Étant donné que l’augmentation du revenu requis annuel uniforme découlant du Projet n’est que de 1,024 M$, Intragaz explique que le Tarif E‑6 existant produirait des revenus excédentaires de l’ordre de 1,258 M$/année.

 

[22]         Intragaz indique qu’elle soumettra ultérieurement une demande d’approbation d’un cavalier tarifaire, qui serait en vigueur à compter du 1er décembre 2014, pour la durée restante d’application du Tarif E‑6, afin d’ajuster à la baisse ce dernier de l’ordre de 1,258 M$/année.

 

[23]         Intragaz affirme que le Projet est le résultat d’un long processus qui a culminé en une étude de faisabilité technique à l’été 2013. Cette étude repose sur:

        l’information géologique et géophysique ainsi que sur les données d’exploitation recueillies au fil des ans, qui procurent une très bonne connaissance du réservoir de Pointe-du-Lac;

        des données de production des puits B-57, B-297 et B-306;

        le modèle mathématique de prévision de performance validé par plus de vingt années de données historiques qui a permis de simuler de façon précise la contribution du raccordement de puits et de l’ajout de compression;

        une validation des résultats par des experts externes.

 

[24]         Selon Intragaz, étant donné que le Projet ne prévoit pas le forage de nouveaux puits, le risque principal qui y est associé découle de la possibilité de dépassements des coûts estimés.

 

[25]         Le demandeur décrit ainsi les principales démarches qu’il a effectuées en vue de limiter les risques associés au Projet :

 

« Nous avons déployé beaucoup d’effort de planification afin de réduire dans la mesure du possible les incertitudes. Par contre, il faut spécifier que nous n’avons pas encore commencé l’ingénierie détaillée qui pourrait modifier certaines composantes du projet;

Nous avons obtenu des soumissions de prix fermes pour environ 52 % du projet tel que présentement défini, c’est-à-dire sujet aux résultats de l’ingénierie détaillée;

Nous avons ajouté aux prévisions de coûts une provision pour les contingences (4 % pour l’achat de l’unité de compression, 10% pour l’installation et 15 % pour les autres composantes du projet)»[5].

 

[26]         Intragaz est d’avis que, dans l’ensemble, les risques opérationnels du Projet sont comparables aux risques de ses activités existantes[6].

 

[27]         Intragaz propose d’assumer le risque associé aux dépenses d’exploitation découlant du Projet pour la période restante des tarifs en vigueur, de la même manière qu’elle assume le risque pour l’ensemble de ses dépenses d’exploitation existantes.

 

[28]         En ce qui à trait au risque associé au Projet en matière de performance, Intragaz est d’avis qu’il est relativement peu élevé pour les raisons évoquées dans sa preuve. Par ailleurs, elle précise qu’il s’agit d’un risque asymétrique, c’est-à-dire que la performance pourrait s’avérer moindre que prévue mais qu’il n’y a pas de possibilité que la performance additionnelle générée par le Projet soit plus élevée que celle indiquée en preuve.

[29]         En réponse à la DDR de la Régie[7], Intragaz explique que, considérant le niveau de risque relativement élevé auquel elle est déjà exposée, sa proposition est de ne pas assumer les risques associés à la performance et au coût du Projet.

 

 

 

4.            Commentaires des personnes intéressées

 

4.1             FCEI

 

[30]         Selon la FCEI, il ne fait aucun doute qu’Intragaz est beaucoup plus à même que la Régie ou les intervenants d’évaluer les niveaux de risque que présente le Projet. Afin de favoriser une décision d’investissement optimale, la FCEI estime qu’il est nécessaire qu’Intragaz soit exposée non seulement au risque d’exploitation, mais aussi aux risques d’investissement et de performance. De plus, elle soutient que les bénéfices anticipés du Projet pour les clients réglementés sont plutôt modestes et que la Régie en a une connaissance directe limitée. Ainsi, selon la FCEI, il ne serait pas approprié que la clientèle réglementée de Gaz Métro supporte seule les risques associés à cet investissement.

 

[31]         La FCEI soumet une formule de partage des risques associés au Projet. D’une part, elle propose que la clientèle réglementée de Gaz Métro supporte la première tranche de 100 000 $ de variation (à la hausse ou à la baisse) des bénéfices associés au Projet en maintenant constants les autres paramètres de l’estimation des bénéfices réalisée par Gaz Métro dans le cadre du dossier R‑3837‑2013. Elle allègue que cette variation pourrait être tout autant le résultat d’une performance moindre à investissement égal, d’un investissement supérieur (ou moindre) à performance égale, ou d’une combinaison des deux. D’autre part, la FCEI propose que toute autre variation des investissements ou de la performance soit à la charge de l’actionnaire d’Intragaz.

 

 

4.2             Gaz Métro

 

[32]         Gaz Métro mentionne que le nouveau profil de retrait du site de Pointe-du-Lac qui résulterait de la mise en œuvre du Projet correspond à des besoins réels de sa part. Elle ajoute qu’elle a pris les mesures nécessaires pour considérer cette capacité additionnelle dans sa structure d’approvisionnement à compter de l’hiver 2014-2015.

 

[33]         Ainsi, Gaz Métro recommande à la Régie d’autoriser Intragaz à procéder aux investissements requis par le Projet et, une fois que la demande à cet égard sera déposée, d’approuver le cavalier tarifaire proposé par Intragaz qui serait en vigueur à compter du 1er décembre 2014 pour la durée restante d’application du Tarif E-6.

 

[34]         Gaz Métro appuie donc le Projet. Elle réitère que le fait de détenir des capacités d’entreposage dédiées sur son territoire lui procure une plus grande sécurité d’approvisionnement ainsi qu’une plus grande flexibilité opérationnelle en ce qui à trait à la gestion de la journée de pointe hivernale. En plus de lui permettre de répondre à la demande de sa clientèle, l’augmentation de capacité d’emmagasinage découlant de la réalisation du Projet permettrait à Gaz Métro de réaliser des économies d’approvisionnement significatives dont bénéficierait sa clientèle réglementée.

 

 

4.3             Réplique d’Intragaz

 

[35]         Intragaz constate que la FCEI ne remet pas le Projet en question et qu’elle reconnaît que la non-réalisation du projet entraînerait une perte de bénéfices anticipés pour la clientèle de Gaz Métro.

 

[36]         En réplique aux commentaires de la FCEI, sur le fait que la Régie a une connaissance directe limitée du Projet, Intragaz indique avoir déposé une preuve complète au soutien de sa demande permettant à la Régie de prendre une décision éclairée.

 

[37]         Quant à la position de la FCEI, qui qualifie de « modestes » les gains potentiels pour la clientèle de Gaz Métro, Intragaz souligne que cette dernière fait état d’économies de coûts significatives pour sa clientèle en plus de faire valoir des avantages au niveau de la sécurité d’approvisionnement et de la flexibilité opérationnelle.

 

[38]         Intragaz soutient également que la clientèle de Gaz Métro bénéficierait d’économies, même si les coûts du projet augmentaient de 15 % ou que la performance se détériorait de 15 %.

 

[39]         Intragaz demande à la Régie de rejeter la proposition de FCEI sur le partage des risques d’investissement :

 

« Sans atténuer la portée des commentaires qui précèdent, nous soumettons que le fait de hausser davantage le niveau de risque que présente le projet pour les investisseurs aurait pour effet d’exacerber les réticences déjà exprimées par le conseil d’administration d’Intragaz quant à la rentabilité attendue du projet et de potentiellement mettre sa réalisation en péril. La non-réalisation du projet priverait non seulement les clients de Gaz Métro d’économies bien réelles, mais les exposerait à un niveau de risque accru en termes d’approvisionnement étant donné que Gaz Métro « a pris les mesures nécessaires pour considérer cette capacité additionnelle dans sa structure d’approvisionnement à compter de l’hiver 2014-2015 »[8].

 

[40]         Intragaz demande à la Régie d’autoriser la réalisation du Projet, incluant sa proposition de traitement des risques qui y sont associés.

 

 

 

5.            opinion de la régie

 

5.1             Contexte

 

[41]         En premier lieu, la Régie souligne que le Projet a fait l’objet d’échanges dans le cadre de la demande d’approbation du plan d’approvisionnement 2015-2019 de Gaz Métro[9]. D’ailleurs, dans ses commentaires, cette dernière a référé la Régie à certains extraits de preuve de ce dossier. Gaz Métro y proposait, notamment, d’incorporer à son plan le nouveau profil de retrait associé au Projet et de réduire, en contrepartie, la capacité de transport à sécuriser auprès de TransCanada PipeLines Limited (TCPL) ou de tiers.

 

[42]         Dans sa décision D-2014-003, portant sur certains éléments du plan d’approvisionnement couvrant la période 2015-2019, la Régie indique que le Projet présente certaines caractéristiques intéressantes, dont tout particulièrement son délai de réalisation[10].

[43]         Dans cette même décision, la Régie note que les économies que peut générer le Projet demeurent sujettes à certains aléas hors du contrôle de Gaz Métro « tels que son coût et sa performance réelle »[11].

 

[44]         Toujours dans sa décision D-2014-003, rendue dans le contexte du plan d’approvisionnement de Gaz Métro, la Régie retient la proposition de cette dernière quant au Projet, sous certaines réserves:

 

« [104] La Régie retient la proposition du Distributeur quant au projet de Pointe-du-Lac sous réserve des considérations énoncées dans le paragraphe qui suit.

 

[105] Le projet d’investissement de Pointe-du-Lac a été soumis pour approbation à la Régie [note de bas de page omise]. Si cette dernière autorise le projet d’investissement de Pointe-du-Lac, le Distributeur pourra, en tenant compte de l’évolution de la prévision de la demande, du délai de réalisation et de la rentabilité pour les clients, choisir une date de mise en service de cet outil d’approvisionnement.

 

[106] Si la Régie n’autorise pas le projet d’investissement Pointe-du-Lac, le Distributeur devra s’approvisionner sur le marché secondaire advenant que la marge de manœuvre prévue ne soit pas suffisante pour satisfaire à la demande ».

 

[45]         C’est en tenant compte de ce contexte que la Régie, dans le présent dossier, doit déterminer si le Projet présenté par Intragaz, incluant sa proposition de traitement des risques, doit être autorisé.

 

 

5.2             Risques

 

[46]         La Régie note que les risques identifiés au présent dossier sont les risques associés au Projet en matière de coût d’investissement, de performance opérationnelle additionnelle et de dépenses d’exploitation additionnelles.

 


[47]         Elle constate qu’Intragaz est prête à assumer le risque associé aux dépenses d’exploitation additionnelles, si celles-ci s’avéraient plus ou moins élevées que les charges identifiées au présent dossier. Elle note, cependant, qu’Intragaz refuse d’absorber, en tout ou en partie, les coûts supplémentaires qui résulteraient de la matérialisation des risques associés à l’investissement requis ou à la performance du Projet.

 

[48]         Au soutien de cette position, Intragaz invoque le taux de rendement autorisé par la Régie pour l’établissement de ses tarifs[12]. Elle souligne que le taux de rendement sur les capitaux propres octroyé par la Régie fait en sorte que les investisseurs ne sont plus incités à assumer seuls les risques associés au développement des sites d’emmagasinage de Pointe-du-Lac et de St-Flavien[13].

 

[49]         Intragaz invoque également le caractère asymétrique du risque de performance associé au Projet. Elle souligne qu’il existe un risque, peu élevé mais réel, que le Projet ne génère pas la performance additionnelle attendue « mais pas d’opportunité correspondante que la performance soit plus élevée que prévue ». Aussi, « considérant le niveau de risque relativement élevé auquel elle est déjà exposée, la proposition d’Intragaz est de ne pas assumer ce risque » [14].

 

[50]         La Régie note également qu’Intragaz demande le rejet de la proposition de partage de risques présentée par la FCEI[15].

 

[51]         Compte tenu de la position exprimée par Intragaz quant aux risques qu’elle est prête à assumer, la Régie est d’avis qu’elle doit examiner la pertinence de réalisation du Projet dans la perspective où c’est la clientèle de Gaz Métro qui supportera la majorité des risques associés au Projet. C’est donc dans ce contexte qu’elle doit déterminer si le Projet doit être autorisé.

 

 


5.3             Coût du Projet

 

[52]         Entre le moment où il a été évoqué pour la première fois dans le dossier tarifaire 2014 de Gaz Métro[16] et le moment du dépôt de la preuve au présent dossier, la Régie note que le coût du projet est passé de 7,6 à 8,1 M$, soit une augmentation de 6,6 %[17].

 

[53]         La Régie constate également, comme le précise Intragaz, que l’ingénierie détaillée du Projet n’est pas encore commencée et, donc, que certaines composantes pourraient être modifiées. D’ailleurs, à ce sujet, la Régie note qu’Intragaz a obtenu « des soumissions de prix fermes pour environ 52 % du projet tel que présentement défini, c’est-à-dire sujet aux résultats de l’ingénierie détaillée »[18]. [nous soulignons]

 

[54]         La Régie en déduit que près de la moitié (48 %) des coûts du Projet doivent encore être précisés alors que l’autre moitié (52 %), bien que sécurisée par des soumissions de prix fermes, pourrait être appelée à varier en fonction de l’ingénierie détaillée. Ainsi, elle estime qu’il existe un risque réel que le coût final du Projet soit supérieur à 8,1 M$. La Régie note, cependant, que ce risque est atténué en partie par le fait que des contingences sont actuellement incluses dans le coût du Projet.

 

[55]         À la suite des réponses d’Intragaz à sa DDR, la Régie constate que si le coût d’investissement était majoré de 15 %, le coût de service marginal du Projet augmenterait de 121 600 $[19]. Ainsi, comme en fait foi le tableau suivant, en déduisant cette augmentation de coût de service des économies présentées par Gaz Métro dans le cadre de son Plan d’approvisionnement 2015-2019, les gains que procurerait le Projet à la clientèle de Gaz Métro s’amenuisent.


Tableau 1

Gains pour la clientèle de Gaz Métro associés au Projet Pointe-du-Lac

(en M$)

 

 

2014-2015

2015-2016

2016-2017

2017-2018

2018-2019

Scénario de base[20]

0,650

1,109

0,160

0,277

0,296

Scénario de base ajusté[21]

0,600

1,059

0,110

0,227

0,246

Coût du Projet majoré de 15 %

0,478

0,937

- 0,012

0,105

0,124

Source : Pièce C-GM-0003, Gaz Métro-2, Document 40 Annexes 5 et 6 et Pièce B-0008, p. 4 et 5.

 

[56]         La Régie constate que les opportunités de gains, particulièrement à compter de la troisième année, sont plutôt faibles compte tenu du montant de l’investissement requis et des risques associés au Projet.

 

 

5.4             Performance du Projet

 

[57]         La Régie ne partage pas entièrement l’opinion d’Intragaz selon laquelle le principal risque du Projet est celui associé au coût d’investissement. Contrairement à Intragaz, elle considère que le risque de performance est un risque non négligeable.

 

[58]         La Régie retient du Projet que l’augmentation visée de la capacité d’emmagasinage au site Pointe-du-Lac est considérable, soit une croissance de 33 % du volume maximal de retrait quotidien et de 59 % du volume utile contractuel. D’ailleurs, Intragaz reconnaît elle-même que cette capacité accrue l’amènerait à opérer le site Pointe-du-Lac à des niveaux jusqu’à maintenant inconnus et que le risque de connaître des problèmes d’exploitation existe.

 

[59]         La Régie note que l’étude de faisabilité déposée par Intragaz conclut sur les risques de performance en ces termes :

 

« Ce projet ne comporte pas de risque majeur lié à sa faisabilité ou à la performance globale du stockage n’impliquant pas de nouveau forage. Toutefois, le risque de dépassement des coûts et de problèmes d’exploitation subsistent. En effet, malgré la modélisation effectuée, il demeure que l’augmentation de près de 40 % du débit de nos installations nous fait sortir du niveau connu de nos opérations »[22]. [nous soulignons]

 

[60]         Par ailleurs, la Régie note que le risque de performance est asymétrique et que, conséquemment, la performance réelle du site Pointe-du-Lac après la réalisation du Projet ne pourrait être meilleure que celle anticipée dans le présent dossier. Elle pourrait cependant être inférieure aux attentes d’Intragaz. La Régie conclut de ces observations que le risque de performance du Projet ne peut être qualifié de négligeable ou de minime.

 

[61]         La Régie comprend que les gains pour la clientèle de Gaz Métro identifiés au présent dossier découlent principalement de coûts d’achat d’outils de transport évités grâce à la performance accrue du site Pointe-du-Lac à la suite de la réalisation du Projet. Elle considère donc qu’une performance moindre du Projet réduirait les gains qui lui sont associés. En conséquence, la Régie retient que la matérialisation du risque de performance aurait un impact direct sur la rentabilité du Projet pour la clientèle de Gaz Métro.

 

[62]         La Régie constate que 40 % de l’accroissement de capacité de retrait de 400 10m3/jour prévue au Projet, soit 160 10m3/jour, provient du raccordement des puits B‑57, B‑297 et B‑306. L’autre portion de 60 %, soit 240 10m3/jour, est attribuable à l’ajout d’un nouveau compresseur de 2 520 HP[23].

 

[63]         La Régie note que, selon le rapport de la firme d’experts Sproule Associates Limited (Sproule)[24], les risques de performance du Projet sont surtout associés au raccordement des puits B‑57, B‑297 et B‑306. Plus particulièrement, le puits B‑306 est considéré par Sproule comme le puits le moins productif et celui dont le raccordement présente le moins de valeur ajoutée. D’ailleurs, la Régie note que Sproule recommande de n’utiliser ce puits qu’à titre de puits d’observation. Le Projet soumis par Intragaz ne retient pas cette recommandation et prévoit, au contraire, de raccorder ce puits afin de s’en servir pour injecter et soutirer du gaz naturel.

 

« The three north wells to be considered for tie-in are B‑297, B‑057, B‑306. B‑306 is the least productive of the three and has produced some water during recent testing, making it the least attractive.

 

[…]

 

The north well tie-in does add deliverability, but it requires a new pipeline. A 6-inch line appears adequate based on the current development plans. However, the final design should consider the pressure drop for the maximum potential withdrawal rate from the north. The B-306 well requires additional pipe and is the poorest of the north wells, so it does not add much value.

 

The two best options, compression and increased pressure, carry the lowest risk but do not quite meet the target. The deliverability enhancements are very certain and no downside can be defined. That being said, the contact movement should continue to be monitored in case the development alters the equilibrium that has been established. The movement, if any, will be slow and can be mitigated by redesigning the end-of-season injection profile.

 

There is a potential downside with the north development. The wells could produce more water than anticipated, as long term production has not been tested. Most likely, the injection can be managed to mitigate that risk by injecting prior to the withdrawal season in the north wells. Lowering of the water table (to safe levels) is the key to minimizing the water production. The well B‑306 produced water after only 30 minutes during testing and may serve better as an observation well »[25]. [nous soulignons]

 

[64]         La Régie note également que, dans son rapport, Sproule souligne que les deux meilleures options qui s’offrent à Intragaz résident dans l’augmentation de la pression dans le réservoir ainsi que dans l’ajout de capacité de compression. Sproule affirme que ces options présentent les risques de performance les plus faibles mais il comprend qu’elles ne peuvent, à elles seules, satisfaire les objectifs d’augmentation de capacité qu’Intragaz s’est fixés.

 


[65]         Par ailleurs, la Régie constate que les analyses économiques présentées par Intragaz reposent sur une période moyenne d’amortissement du coût du Projet de 35 ans[26]. Toutefois, l’impact tarifaire calculé dans le présent dossier ne porte que sur la durée restante d’application des tarifs d’Intragaz, soit moins de neuf ans. Si les risques de coût d’investissement supplémentaire ou de performance moindre se matérialisent, la Régie note que c’est sur une période pouvant atteindre 35 ans que ces effets négatifs se feraient sentir.

 

[66]         Le présent dossier porte sur l’autorisation d’un projet d’investissement. La Régie doit exercer son jugement sur le Projet tel qu’il lui est soumis. Elle constate que la rentabilité du Projet est faible et pourrait facilement être anéantie par la matérialisation des risques identifiés en preuve. La Régie considère que ces risques sont non négligeables. Elle constate qu’Intragaz évalue ces risques comme étant peu élevés mais qu’elle n’est pas prête à assumer les conséquences financières de leur matérialisation. À cet égard, la Régie note que le conseil d’administration d’Intragaz, lui-même, semble s’être montré réticent à l’endroit du Projet :

 

« Finalement, nous croyons qu’il y a lieu de souligner que la direction d’Intragaz a rencontré des défis pour faire approuver le Projet Pointe-du-Lac par son conseil d’administration. En effet, des administrateurs étaient réticents à avancer les fonds requis à la réalisation du projet étant donné le taux de rendement autorisé sur équité. À la lumière des défis rencontrés afin d’obtenir les fonds requis pour la réalisation du projet, il n’est pas assuré qu’Intragaz serait autorisée par son conseil à procéder à la réalisation du Projet à une date ultérieure advenant qu’il ne puisse se réaliser, pour quelque raison que ce soit, en 2014 »[27].

 

[67]         La Régie prend note des autres avantages que procure le Projet et qui sont mentionnés par Intragaz et Gaz Métro, soit la flexibilité opérationnelle et la sécurité d’approvisionnement. La Régie rappelle qu’elle a déjà reconnu dans de nombreuses décisions ces avantages associés à l’existence même des capacités d’emmagasinage en franchise mises à la disposition de Gaz Métro par Intragaz[28].

 

[68]         Cependant, dans le présent dossier, la Régie ne peut prendre en considération, s’il en est, que la valeur marginale de ces avantages qui serait associée à l’augmentation de capacité d’emmagasinage découlant du Projet. De plus, la Régie souligne que cette valeur marginale étant également sujette au risque de performance du Projet, elle pourrait ne pas se matérialiser.

 

[69]         Pour ces motifs, la Régie rejette la demande d’autorisation du Projet.

 

 

 

6.            demande de traitement confidentiel

 

[70]         Intragaz demande à la Régie d’émettre une ordonnance de confidentialité à l’égard des informations caviardées contenues à la section Intragaz 2, document 1.1 de la pièce B‑0008 qui porte sur les coûts d’immobilisation estimés du Projet et qui comporte une ventilation de ces coûts.

 

[71]         Au soutien de cette demande, Intragaz dépose l’affirmation solennelle de monsieur Rock Marois, président d’Intragaz. Ce dernier mentionne qu’Intragaz a obtenu des prix fermes pour une partie du budget du Projet à la suite d’appels d’offres mais qu’aucun contrat n’a encore été octroyé à ce jour. Il précise que l’information caviardée doit être maintenue confidentielle afin de préserver le pouvoir de négociation d’Intragaz auprès des divers fournisseurs et lui permettre de bénéficier des meilleurs prix possibles. Il précise que la divulgation de ces renseignements porterait atteinte aux intérêts d’Intragaz et de son client Gaz Métro.

 

[72]         Pour ces motifs, la Régie accueille la demande de traitement confidentiel d’Intragaz.

 

 

 

7.            DEMANDE DE PAIEMENT DE FRAIS DE LA FCEI

 

[73]         La FCEI réclame un montant de 2 421,78 $ pour sa participation au présent dossier.

 

[74]         Intragaz constate que l’avis de la Régie aux personnes intéressées ne faisait pas mention de la possibilité de réclamer des frais. Intragaz indique qu’elle s’en remet à la Régie pour juger du caractère raisonnable des frais réclamés et de l’utilité des observations, dans le cas où elle jugerait opportun d’octroyer des frais.

 

[75]         La Régie considère que les observations de la FCEI ont été utiles à ses délibérations et juge qu’il y a lieu de lui accorder la totalité du montant réclamé.

 

[76]         En conséquence, la Régie octroie à la FCEI le remboursement de ses frais, au montant de 2 421,78 $.

 

[77]         Pour ces motifs,

 

La Régie de l’énergie :

 

REJETTE la demande d’Intragaz d’autorisation du Projet Pointe-du-Lac;

 

ACCUEILLE la demande de traitement confidentiel d’Intragaz à l’égard des renseignements caviardés contenus à la section Intragaz 2, document 1.1 de la pièce B‑0008;

 

INTERDIT la divulgation, la publication ou la diffusion des renseignements caviardés à la pièce B-0008;

 

ORDONNE à Gaz Métro de rembourser à la FCEI un montant de 2 421,78 $ dans les trente jours de la présente décision.

 

 

 

 

 

Laurent Pilotto,

Régisseur


Représentants :

 

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI) représentée par Me André Turmel;

Intragaz, Société en commandite (Intragaz) représentée par Me Louise Tremblay;

Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro) représentée par Me Marie Lemay Lachance.

 



[1]        RLRQ, c. R-6.01.

[2]        (2001) 133 G.O. II, 6165.

[3]        Dossier R-3807-2012 et R-3811-2012, p. 32, par. 109.

[4]        Pièce B-0004, p. 3.

[5]        Pièce B-0004, p. 10.

[6]        Ibid.

[7]        Pièce B-0008, p. 4 et 5.

[8]        Pièce B-0009.

[9]        Dossier R-3837-2013 Phase 2.

[10]       Dossier R-3837-2013 Phase 2, Décision D-2014-003, p. 25, par. 100

[11]       Dossier R-3837-2013 Phase 2, Décision D-2014-003, p. 25, par. 102.

[12]       Dossier R-3807-2012, Décision D-2013-081, p. 39, par. 142.

[13]       Pièce B-0008, p. 4.

[14]       Ibid.

[15]       Pièce B-0009, p. 3.

[16]       Dossier R-3837-2013 Phase 2.

[17]       Pièce B-0008, p. 2.

[18]       Pièce B-0004, p. 10.

[19]       Soit (1 145 700 $ – 1 024 100 $) : Pièce B-0008, p. 4 et 5.

[20]       Dossier R-3837-2013, pièce B-0291, annexes 5 et 6.

[21]       Les données de la Pièce B-0291 ont été corrigées pour tenir compte du fait qu’à cette pièce, le gain calculé pour la clientèle associé au Projet s'appuyait sur un coût de service marginal d'Intragaz de 974 000 $ alors que dans le présent dossier ce coût est établi à 1 024 000 $.

[22]       Pièce B-0008, Intragaz 2, document 1.1, p. 9.

[23]       Pièce B-0004, p. 4.

[24]       Pièce B-0008, Intragaz-2, Document 1.2, p. 52 à 54.

[25]       Pièce B-0008, Intragaz 2, document 1.2, p. 52 et 53.

[26]       Pièce B-0005, p. 17.

[27]       Pièce B-0008, p. 5.

[28]       Notamment : dossier R-3467-2001, décisions D-2002-149; dossier R-3601-2006, décision D-2007-65; dossiers R-3753-2011 et R-3754-2011, décision D-2011-140 et dossiers R-3753-2011 et R-3754-2011, décision D‑2012-005.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.