Régie de l'énergie du Québec

Informations sur la décision

Résumé :

[1]    Le 10 avril 2013, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie) une demande d’approbation du plan d’approvisionnement et de modification des Conditions de service et Tarif à compter du 1er octobre 2013. Elle propose de traiter ce dossier en trois phases.

Contenu de la décision

 

QUÉBEC                                                                             RÉGIE DE L’ÉNERGIE

 

D‑2014-032

R‑3837‑2013

4 mars 2014

 

Phase 2

 

 

PRÉSENTS :

 

Marc Turgeon

Gilles Boulianne

Françoise Gagnon

Régisseurs

 

 

Société en commandite Gaz Métro

Demanderesse

 

et

 

Intervenants dont les noms apparaissent ci-après

 

 

Décision relative à la répartition des coûts de l’usine LSR entre l’activité réglementée et l’activité non réglementée ainsi qu’aux modalités tarifaires applicables au liquéfacteur qu’entend construire l’activité non réglementée et sur le préavis d’entrée et de sortie du service de transport

 

Demande d’approbation du plan d’approvisionnement et de modification des Conditions de service et Tarif de Société en commandite Gaz Métro à compter du 1er octobre 2013


 


Intervenants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG);

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI);

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME);

Option consommateurs (OC);

Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ);

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ/AQLPA);

TransCanada Energy Ltd. (TCE);

Union des consommateurs (UC);

Union des municipalités du Québec (UMQ).


1.            introduction

 

[1]              Le 10 avril 2013, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie) une demande d’approbation du plan d’approvisionnement et de modification des Conditions de service et Tarif à compter du 1er octobre 2013. Elle propose de traiter ce dossier en trois phases.

 

[2]             Le 18 avril 2013, la Régie rend sa décision procédurale D-2013-059 par laquelle elle accueille la proposition du Distributeur de procéder à l’examen de cette demande en trois phases.

 

[3]              Le 16 mai 2013, par sa décision procédurale D-2013-079, la Régie accorde à l’ACIG, la FCEI, le GRAME, OC, le ROEÉ, SÉ/AQLPA et l’UC le droit d’intervenir dans le cadre de la phase 2 et accorde ce droit également à l’ensemble des intervenants reconnus au dossier pour la phase 3.

 

[4]             Le 7 juin 2013, le Distributeur dépose une demande amendée et la preuve sur les différents sujets traités dans le cadre de la phase 2, soit :

 

        le plan d’approvisionnement – horizon 2014-2016;

        la vente de gaz naturel liquéfié (GNL) et son impact sur le plan d’approvisionnement;

        la stratégie de diversification des indices d’achats de fourniture;

        le projet de déplacement de la structure d’approvisionnement vers Dawn;

        les options d’achats de gaz naturel en remplacement de la capacité d’entreposage non renouvelée au 1er avril 2013.

 

[5]             Le 28 juin 2013, la Régie rend sa décision procédurale D-2013-093 portant sur le déroulement de la phase 2. Dans cette décision, elle demande au Distributeur de déposer une preuve complémentaire sur la suite qu’il entend donner à l’activité de vente de GNL prévoyant l’utilisation d’un équipement de l’activité réglementée.


[6]             Le 16 août 2013, le Distributeur dépose une 2demande réamendée par laquelle il requiert, en vertu du premier paragraphe de l’article 73 (1) de la Loi sur la Régie de l’énergie[1] (la Loi) et de l’article 1 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie[2] (le Règlement), les autorisations suivantes relatives à un projet d’agrandissement de l’usine de liquéfaction, de stockage et de regazéification (l’usine LSR) :

 

« AUTORISER Gaz Métro à procéder à un projet d’investissement visant l’augmentation de la capacité de liquéfaction de l’usine LSR, tel que plus amplement décrit à la pièce Gaz Métro-2, Document 6;

 

AUTORISER la création d’un compte de frais reportés hors base, portant intérêts, dans lequel seront cumulés les coûts reliés au projet jusqu’à leur inclusion dans la base de tarification à l’occasion du dossier tarifaire approprié;

 

AUTORISER les modifications proposées dans la pièce Gaz Métro-2, Document 6 à la méthode de partage des coûts »[3].

 

[7]             Le projet d’investissement du Distributeur consiste en l’ajout d’un second liquéfacteur destiné essentiellement à sa filiale non réglementée, Gaz Métro GNL (l’ANR ou le client GNL). En effet, le Distributeur entend vendre le GNL à l’ANR, laquelle le revendra à des clients dans le domaine du transport terrestre ou maritime ainsi qu’à des industries non desservies par le réseau gazier actuel[4].

 

[8]             Le 9 septembre 2013, par sa décision procédurale D-2013-144, la Régie indique qu’elle doit d’abord trancher la question de sa compétence à l’égard de ce projet d’investissement :

 

« [15] […] la Régie est d’avis qu’avant de se prononcer au fond sur la demande de Gaz Métro relative à l’autorisation d’« un investissement visant à augmenter la capacité de liquéfaction de gaz naturel de l’usine LSR » et celle relative à l’adaptation « de la méthode de partage des coûts », elle doit d’abord trancher la question de l’opportunité, eu égard à sa juridiction, de rendre une décision sur de telles demandes.

[16] En effet, la Régie est d’avis qu’elle doit préliminairement déterminer si elle a compétence pour examiner (donc éventuellement, autoriser ou refuser) une demande d’investissement pour un actif lié à une activité non réglementée, à l’usage de l’activité non réglementée (tel que présenté en preuve), dont le coût en capital serait assumé par l’activité non réglementée, mais qui serait versé dans la base de tarification »[5].

 

[9]              Les 6, 7, 8 et 12 novembre 2013, la Régie tient une audience, conformément aux décisions procédurales D-2013-093 et D-2013-144.

 

[10]         Le 2 décembre 2013, par sa décision D-2013-187, la Régie conclut qu’elle ne peut autoriser le projet d’agrandissement de l’usine LSR, car il ne s’agit pas d’un actif visé par le premier paragraphe de l’article 73 (1) de la Loi[6].

 

[11]         Le 21 janvier 2014, à la suite de cette décision, le Distributeur dépose à la Régie une 8e demande réamendée par laquelle il recherche les conclusions suivantes à l’égard de la construction du second liquéfacteur :

 

« APPROUVER les ajustements à la méthode de répartition des coûts entre l’activité réglementée et l’activité non réglementée découlant de l’exploitation du second liquéfacteur plus amplement exposé dans la pièce Gaz Métro-2, Document 49;

 

DÉCLARER que le second liquéfacteur et l’activité non réglementée qui l’exploite sont assujettis à l’ensemble des Conditions de service et Tarif, notamment en ce qui concerne les OMA découlant du service de transport »[7].

 

[12]         Le 6 février 2014, la Régie tient une audience portant sur ces conclusions apparaissant dans la 8demande réamendée du Distributeur[8].

 


[13]         La présente décision porte notamment sur la détermination du statut de l’activité du client GNL aux fins de l’application des Conditions de service et Tarif, la répartition des coûts entre l’activité réglementée et l’ANR ainsi que sur l’approbation d’un code de conduite régissant les relations entre l’activité réglementée et l’ANR, sujet soulevé par certains intervenants en audience. Elle porte également sur les préavis d’entrée et de sortie du service de transport.

 

 

 

2.            le statut du client gnl

 

[14]         Dans le cadre de sa décision D-2013-187, la Régie aborde la question du statut du client GNL comme suit :

 

« [48] […], selon le modèle commercial envisagé par le Distributeur, la Régie est également d’avis que le GNL ne sera pas livré à un « consommateur », soit, selon le sens commun, la « personne qui utilise des marchandises, des richesses, des services pour la satisfaction de ses besoins » [note de bas de page omise]. En effet, le Distributeur entend vendre le GNL à sa filiale non réglementée, Gaz Métro GNL, laquelle le revendra à des clients, dont Gaz Métro Solutions Transport, S.E.C. (GMST) »[9].

 

[15]         Le 30 janvier 2014, la Régie demande au Distributeur de concilier les conclusions recherchées dans sa 8e demande réamendée « avec le paragraphe 48 de la décision D‑2013‑187 qui traite de la notion de « consommateur » en référence à l’article 1 de la Loi sur la Régie de l’énergie »[10]. En audience, la Régie invite également les intervenants à plaider sur cette question[11].

 

 


2.1             Position de Gaz Métro

 

[16]         Selon le Distributeur, le « consommateur » visé par la Loi ne se limite pas à l’utilisateur final du gaz naturel. Au soutien de sa position, il invoque les arguments suivants[12] :

 

        l’article 73 de la Loi utilise l’expression « consommateur du service de transport d’électricité ». Le Règlement utilise une terminologie similaire. Ainsi, le « consommateur » au sens de la Loi n’est pas l’utilisateur final du gaz naturel, mais plutôt le consommateur du service de distribution;

        la décision D-2011-108[13] de la Régie dans le dossier R-3732-2010 relatif au tarif de réception serait ultra vires, considérant que les producteurs de gaz naturel ne sont pas des utilisateurs finaux;

        certains clients incorporent le gaz naturel dans des produits (sans combustion) pour ensuite le revendre à des tiers. Ces derniers ne sont pas les utilisateurs finaux du gaz naturel;

        un tarif de gaz porté, lequel implique la revente de gaz naturel, a été autorisé en 1988 par l’ordonnance G-482 de la Régie;

        les actionnaires de Gaz Métro ont investi dans un réseau de distribution et, en contrepartie, le gouvernement a consenti à Gaz Métro un droit exclusif ne prévoyant aucune restriction quant au type d’utilisation du gaz naturel qui pourrait être fait par le client. Une telle restriction « battrait en brèche » le droit exclusif de Gaz Métro et causerait un préjudice à la clientèle.

 

 

2.2             Position des intervenants

 

[17]         Les intervenants partagent l’interprétation de Gaz Métro. Ils présentent, notamment, les arguments suivants :

 


        L’ACIG rappelle à la Régie ce qu’elle a déjà mentionné, lors de la déréglementation de l’achat et de la vente du gaz naturel, que « le Distributeur n’a pas d’affaire dans la molécule, il devrait réaliser que ce sont des opérateurs de tuyaux. C’est ça qu’ils font dans la vie, eux autres ». L’article 1 de la Loi fait ainsi référence au « consommateur du service de distribution par opposition au consommateur de la molécule ». L’intervenante conclut que « la façon la plus facile de protéger la clientèle réglementée c’est justement de leur charger le tarif qui est là et qui reflète justement toute cette protection et cette juridiction »[14].

        Pour la FCEI, le consommateur dont il est question « n’est pas nécessairement le consommateur final et donc, dans la situation présentement, on parle d’un consommateur qui consomme un service de distribution ou un service de transport »[15].

        Le GRAME est d’avis que la Régie, par sa décision, n’a pas voulu cristalliser la notion de « consommateur », mais plutôt rappeler le sens commun de ce terme. Par conséquent, cette décision « ne devrait pas constituer un précédent à l’interprétation de la définition de « consommateur » qui doit être retenue par la Régie »[16].

        SÉ/AQLPA invoque trois arguments additionnels. D’abord, la Loi n’utilise pas le terme « consommateur final ». Ensuite, Hydro-Québec dans ses activités de distribution d’électricité (Hydro-Québec Distribution) a plusieurs clients qui ne sont pas des « consommateurs finaux », soit les réseaux municipaux de distribution d’électricité. Enfin, la quote-part payable à l’ancienne Agence de l’efficacité énergétique et la redevance au Fonds vert s’applique à la consommation du gaz naturel dans les procédés industriels[17].

        Quant à l’UC, elle précise qu’il ne faut pas accorder au mot « consommateur » le même sens que celui que l’on retrouve dans la Loi sur la protection du consommateur[18].

 


2.3             opinion de la régie

 

[18]         La Loi utilise, à plusieurs endroits, le terme « consommateur » et ses dérivés (consommation ou consommé), sans toutefois les définir. Par exemple :

 

        selon son article 1, la Loi s’applique à la fourniture, au transport, à la distribution et à l’emmagasinage du gaz naturel « livré ou destiné à être livré par canalisation à un consommateur » [nous soulignons];

        selon l’article 5 de la Loi, la Régie « assure la conciliation entre l’intérêt public, la protection des consommateurs et un traitement équitable » du distributeur de gaz naturel [nous soulignons];

        l’article 31 (4.1o) de la Loi mentionne que la Régie a compétence pour « examiner toute plainte d’un consommateur portant sur l’application d’un tarif […] » [nous soulignons];

        à l’article 63 de la Loi, il est prévu qu’un droit exclusif « confère à son titulaire, sur le territoire où il porte et à l’exclusion de quiconque, le droit d’exploiter un réseau de distribution de gaz naturel et celui de transporter et de livrer par canalisation le gaz naturel destiné à la consommation » [nous soulignons];

        enfin, selon l’article 77 de la Loi, le distributeur de gaz naturel doit, sur son territoire exclusif « recevoir, transporter et livrer au consommateur qui lui en fait la demande, le gaz naturel acquis d’un tiers par ce consommateur et destiné à être consommé par ce dernier » [nous soulignons].

 

[19]         La Régie a déjà eu l’occasion d’analyser ce terme. Dans sa décision D-2011-108 relative au tarif de réception de Gaz Métro, elle interprétait le mot « consommation » en fonction de la qualité de la molécule :

 

« [24] La Régie considère que le réseau de collecte, incluant les installations de traitement du gaz pour le rendre conforme aux normes de qualité du réseau de Gaz Métro, n’est pas utilisé pour transporter du gaz naturel destiné à la consommation, ce gaz n’étant pas prêt à la consommation. Ainsi, la Régie considère que le transport de gaz dans le réseau de collecte n’est pas réglementé »[19]. [nous soulignons]

 

[20]         Par sa décision D-2013-028, la Régie concluait que le propriétaire d’un immeuble, qui n’est pas titulaire d’un abonnement au service d’électricité, peut quand même être considéré comme un « consommateur » puisqu’il bénéficie du service électrique :

 

« [45] Le fait que la demanderesse ne soit pas titulaire de l’abonnement ne constitue pas un obstacle à ce qu’elle puisse être considérée comme un « consommateur » au sens de la Loi. Il n’y a aucun doute que l’électricité a été livrée aux deux unités appartenant à la demanderesse et qu’elle a, par conséquent, bénéficié du service électrique. La décision du Distributeur d’interrompre le service électrique pour le motif de distribution illégale a affecté directement la demanderesse qui a été privée d’un service essentiel. Dans les circonstances, la Régie est d’avis que la demanderesse doit être considérée comme un consommateur au sens de la Loi et qu’elle possède un intérêt suffisant pour déposer une plainte pour contester l’interruption de service »[20]. [nous soulignons]

 

[21]         Utilisée dans la Loi sous différentes formulations et dans des contextes particuliers, la notion de « consommateur » présente une certaine difficulté d’interprétation.

 

[22]         La Loi d’interprétation[21] présente différentes règles d’interprétation. D’abord, l’article 41 mentionne qu’une loi doit recevoir « une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin ». Ensuite, selon l’article 41.1, les dispositions d’une loi « s’interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’ensemble et qui lui donne effet » [nous soulignons].

 

[23]         Dans le même sens, selon la Cour suprême du Canada, en matière d’interprétation, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[22] [nous soulignons].

 


[24]         Un consommateur est, selon le sens ordinaire de ce mot et tel qu’indiqué dans la décision D-2013-187 de la Régie, la « personne qui utilise des marchandises, des richesses, des services pour la satisfaction de ses besoins »[23] [nous soulignons]. Il peut donc s’agir de la consommation de marchandises ou de services.

 

[25]         Comme le mentionne le Distributeur, l’article 73 de la Loi et le Règlement associent, en matière d’électricité, la notion de « consommateur » à celle de « service ». La Régie note également que le législateur utilise, à différents endroits dans la Loi, la notion de « service ». À titre d’exemples :

 

        l’article 2 de la Loi prévoit que tout « service de transport d’électricité par le transporteur d’électricité avec Hydro-Québec est réputé constituer un contrat de service de transport » [nous soulignons];

        selon l’article 32 (2o) de la Loi, la Régie peut « déterminer la méthode d’allocation du coût de service applicable […] à un distributeur de gaz naturel » [nous soulignons];

        l’article 49 (7o) de la Loi mentionne que lorsqu’elle fixe un tarif, la Régie doit « s’assurer que les tarifs et autres conditions applicables à la prestation du service sont justes et raisonnables » [nous soulignons];

        un distributeur de gaz naturel ne peut, selon l’article 54 de la Loi « discontinuer ou suspendre le service au consommateur pour la raison que ce dernier refuse de payer un montant autre que celui résultant de l’application d’un tarif » [nous soulignons];

        l’article 79 prévoit qu’un distributeur de gaz naturel peut être dispensé de fournir et livrer le gaz naturel si « les coûts inhérents au service demandé ne seront pas supportés par ce consommateur » [nous soulignons].

 

 


[26]         Enfin, comme indiqué par Gaz Métro, la Régie a, par le passé, autorisé des tarifs applicables au gaz comprimé et au gaz porté[24], lesquels sous-entendaient la revente du gaz naturel acquis par des tiers auprès de Gaz Métro. D’ailleurs, relativement au gaz comprimé pour les véhicules motorisés, la Régie écrivait :

 

« La Régie accueille la demande de la requérante d’introduire dans son Règlement Tarifaire un tarif permettant la vente de gaz canalisé à des revendeurs qui le comprimeraient pour le commercialiser comme carburant pour véhicules motorisés. La formulation révisée de ce tarif, telle que soumise le 6 janvier 1983, rencontre l’assentiment de la Régie, sous réserve des modifications qu’elle jugera opportunes, après une période d’essai, tant en ce qui concerne les aspects juridiques qu’économiques de ce projet »[25]. [nous soulignons]

 

[27]         Selon la Régie, l’interprétation présentée par le Distributeur s’harmonise avec l’objet et l’esprit de la Loi. L’extrait suivant de la Politique énergétique de 1996 du gouvernement du Québec rappelle les fondements et les objectifs de la régulation économique :

 

« La formule des régies, qui constitue une approche typiquement nord-américaine, est une réponse à un problème économique et administratif délicat : dans certains secteurs de l’activité économique – le transport et la distribution du gaz naturel et de l’électricité, les télécommunications, par exemple –, la technologie utilisée impose que le produit en cause soit livré au consommateur par l’intermédiaire d’un réseau de canalisations ou de lignes. Ces canalisations et ces lignes nécessitent des investissements lourds, et il est exclu, pour des raisons financières évidentes, que des réseaux concurrents soient mis en place afin de desservir une région ou une zone donnée. Ainsi, les compagnies possédant ces réseaux sont placées dans une situation de « monopole naturel » vis-à-vis des consommateurs : n’étant pas soumises à la concurrence pour approvisionner les utilisateurs qui sont branchés au réseau, elles peuvent imposer aux consommateurs des tarifs injustifiés. Les pouvoirs publics doivent donc intervenir, afin de protéger ces derniers et établir l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement des marchés »[26]. [nous soulignons]

 

[28]         L’intervention de l’État est donc requise dans une situation de « monopole naturel » afin de protéger les consommateurs et d’établir l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement des marchés.

 

[29]         Dans sa décision D-2003-93, la Régie mentionnait d’ailleurs que « [l]’objet de la Loi est la régulation économique, entre autres de la distribution d’électricité, en vue de fixer des tarifs justes et raisonnables »[27]. Cette affirmation est également valable pour la distribution du gaz naturel. Quant à l’esprit de la Loi, dans cette même décision, la Régie référait à l’article 5 de la Loi et conclut que le « rôle de la Régie est avant tout de concilier l’intérêt public avec la protection des consommateurs de toutes catégories et un traitement équitable du Distributeur »[28].

 

[30]         L’une des pierres angulaires de la régulation économique consiste en la reconnaissance du « monopole naturel » dans la législation par l’intermédiaire d’une disposition permettant au gouvernement d’accorder un droit exclusif sur un territoire précis. Selon l’article 63 de la Loi :

 

« 63. Un droit exclusif de distribution de gaz naturel confère à son titulaire, sur le territoire où il porte et à l’exclusion de quiconque, le droit d’exploiter un réseau de distribution de gaz naturel et celui de transporter et de livrer par canalisation le gaz naturel destiné à la consommation.

 

Un droit exclusif de distribution de gaz naturel ne confère pas le droit exclusif d’acheter, de vendre ou d’emmagasiner le gaz naturel ». [nous soulignons]

 

[31]         En contrepartie, la Loi prévoit l’obligation pour le titulaire d’un tel droit exclusif de desservir toute personne qui le demande[29].

 


[32]         L’exclusivité porte, d’une part, sur l’exploitation d’un « réseau de distribution de gaz naturel »[30] et, d’autre part, sur le transport et la livraison par canalisation du gaz naturel destiné à la consommation. Quant à l’obligation de desservir, l’article 77 de la Loi mentionne que :

 

« 77. Un distributeur de gaz naturel est tenu de fournir et de livrer le gaz naturel à toute personne qui le demande dans le territoire desservi par son réseau de distribution.

 

Dans ce territoire, il doit en outre recevoir, transporter et livrer au consommateur qui lui en fait la demande, le gaz naturel acquis d’un tiers par ce consommateur et destiné à être consommé par ce dernier ou lorsque la demande est faite par un courtier en gaz naturel agissant en son nom propre, celui d’un producteur ou d’un consommateur ». [nous soulignons]

 

[33]         Le Distributeur doit ainsi fournir et livrer le gaz naturel à « toute personne » qui le demande dans le territoire desservi par son réseau de distribution. Il doit également recevoir, transporter et livrer le gaz naturel selon les conditions précisées au second alinéa de cet article, lequel vise les achats directs.

 

[34]         Le législateur a donc mis en place un cadre juridique qui assure la fourniture et la livraison du gaz naturel au Québec. Comme l’indique l’auteur Raoul Barbes :

 

« L’entreprise régulée […] est tenue de demander un prix raisonnable et non discriminatoire; ses profits sont limités; elle doit fournir un service convenable, sur demande, à toute la clientèle de son territoire; elle ne doit pas modifier le service ou s’étendre dans un nouveau marché sans l’autorisation préalable d’un organisme régulateur qui doit tenir compte de l’intérêt public »[31].

 


[35]         Ce cadre juridique présente un équilibre entre les différents intérêts en jeu, lesquels apparaissent à l’article 5 de la Loi. Ainsi, selon la Régie, le fait de ne pas reconnaître le client GNL comme un « consommateur » au sens de la Loi pourrait avoir comme conséquence de créer une brèche dans le territoire exclusif du Distributeur. Des tiers pourraient en effet y construire un réseau de distribution de gaz naturel aux seules fins de revente autrement que par canalisation. Suivant l’analyse qui précède, la Régie est d’avis que cette interprétation n’est pas compatible avec l’objet de la Loi et l’intention du législateur.

 

 

 

3.            répartition des coûts communs

 

3.1             Position de Gaz Métro[32]

 

[36]         Selon la méthode actuelle, les coûts de l’usine LSR qui ne peuvent être attribués directement à une des fonctions de l’usine sont répartis selon la valeur nette comptable inscrite à la base de tarification des actifs faisant partie de chacune de ces fonctions.

 

[37]         L’ajout d’un liquéfacteur dont l’investissement est non réglementé (le liquéfacteur 2) ferait en sorte qu’aucun coût ne lui serait attribué dans la base de tarification et, qu’en conséquence, sa valeur nette comptable dans les livres de l’activité réglementée serait nulle. La méthode actuelle n’attribuerait donc pas de coûts communs à ce liquéfacteur.

 

[38]         Même en supposant que la valeur nette de l’actif non réglementé puisse être obtenue, l’application de la méthode actuelle aurait comme impact d’attribuer la plus grande portion des coûts communs au nouvel actif non encore déprécié, générant ainsi une répartition inéquitable.

 


[39]         Gaz Métro propose donc d’utiliser une méthode de répartition basée sur un facteur d’utilisation des différentes fonctions de l’usine LSR, incluant le liquéfacteur 2. Ce facteur d’utilisation est défini en fonction du personnel requis pour chacune des fonctions de l’usine, en supposant que ces fonctions se déroulent indépendamment les unes des autres, et du nombre de jours d’exercice de chaque fonction dans une année.

 

[40]         Gaz Métro propose également que la part d’utilisation de chaque fonction soit évaluée, autant au dossier tarifaire qu’au rapport annuel, afin de partager les coûts non directement attribuables à une fonction.

 

[41]         Le Distributeur a effectué des analyses plus détaillées qui ont permis de développer une répartition plus précise des actifs et des dépenses d’exploitation entre les différentes fonctions, de manière à ce que plus de coûts soient directement attribués à une fonction. Il indique que 45 % des coûts communs peuvent être attribués sur la base d’une répartition directe, ce qui laisse 55 % des coûts communs qui sont alloués sur la base du facteur d’utilisation.

 

[42]         Gaz Métro précise que les coûts associés au terrain, à l’exception des taxes municipales, seront répartis sur la base du facteur d’utilisation, tandis que les coûts associés aux taxes municipales et assurances feront l’objet d’une allocation directe.

 

[43]         En réponse à une question de la Régie, Gaz Métro confirme que le mode d’allocation des coûts du GNL produit pour l’ANR, à partir de l’usine actuelle de GNL (le liquéfacteur 1), sera le même que celui qui est en vigueur actuellement, sous réserve des modifications relativement au partage de certains coûts de l’usine LSR dans le présent dossier[33].

 


3.2             Position des intervenants

 

[44]         De façon générale, tous les intervenants sont d’accord avec la méthode de répartition proposée par Gaz Métro. Trois éléments spécifiques ont cependant fait l’objet de questions et de recommandations de leur part, soit les coûts d’assurance, les taxes municipales et l’utilisation du terrain.

 

[45]         La FCEI est préoccupée par le mode d’allocation des taxes municipales et des coûts d’assurance. Elle considère qu’il subsiste une incertitude à cet égard. L’intervenante demande à la Régie de réserver sa décision sur la répartition de ces coûts jusqu’à ce que le Distributeur démontre, à partir de données plus précises, qu’ils sont alloués directement.

 

[46]         Gaz Métro s’oppose à cette proposition de la FCEI. Elle considère que l’approbation, par la Régie, du principe de l’allocation directe de ces dépenses n’empêchera pas les discussions sur les montants alloués, au moment où ils seront connus[34].

 

[47]         L’UC souligne que l’activité réglementée sera privée de l’usage de 10 % du terrain de l’usine LSR et propose qu’elle soit compensée par l’ANR, selon la juste valeur du terrain.

 

[48]         Le Distributeur indique que la proposition de l’UC crée un interfinancement entre l’activité réglementée et l’ANR. Il explique que le fait de prendre une valeur pour le terrain plus élevée que celle inscrite à la base de tarification aux fins de détermination du rendement, conduirait à faire payer à l’ANR un coût plus élevé que celui encouru par l’activité réglementée. Il précise que cette situation contreviendrait aux principes établis par la Régie dans ses décisions antérieures.

 

[49]         Le GRAME est favorable à la méthode de répartition des coûts proposée par Gaz Métro. L’intervenant indique toutefois qu’il y aurait lieu d’avoir une entente pour que l’ANR paie un montant minimum à l’activité réglementée dans le cas où elle n’utiliserait plus les nouvelles installations de liquéfaction et que son facteur d’utilisation deviendrait nul.

 


3.3             Opinion de la Régie

 

[50]         La Régie est d’avis que les ajustements proposés par Gaz Métro à la méthode de répartition des coûts entre l’activité réglementée et l’ANR relatifs à l’exploitation du liquéfacteur 2 sont acceptables. Elle considère également que l’application d’un facteur d’utilisation pour répartir les coûts communs qui ne peuvent être alloués directement constitue une formule d’allocation raisonnable.

 

[51]         La Régie retient la proposition de Gaz Métro de répartir les coûts d’assurance et les taxes municipales selon le principe d’allocation directe. Son application sera examiné au moment où les coûts réels à allouer seront connus.

 

[52]         Dans le cas du terrain, la Régie est d’avis que l’ANR ne doit compenser l’activité réglementée que pour les coûts que cette dernière encourt réellement.

 

[53]         De plus, la Régie considère que les coûts associés au terrain de l’usine LSR devraient être répartis directement plutôt que sur la base du facteur d’utilisation, tel que proposé par Gaz Métro. En effet, dans la mesure où l’utilisation du terrain par le client GNL est indépendante du ratio d’utilisation et que le Distributeur confirme qu’il est possible d’identifier le coût spécifique du terrain[35], la Régie juge que l’allocation directe est la méthode la plus appropriée.

 

[54]         Enfin, la Régie ne retient pas la proposition du GRAME d’établir des frais minimums à allouer à l’ANR pour le cas où cette dernière n’utiliserait pas le liquéfacteur 2. Elle considère que l’allocation directe de certains coûts, comme les assurances, les taxes municipales, l’entretien spécifique et les coûts associés au terrain, assure que l’ANR devra toujours payer les frais non liés à son niveau d’utilisation des installations.

 

[55]         Par conséquent, la Régie approuve les ajustements proposés par le Distributeur à la méthode de répartition des coûts entre l’activité réglementée et l’ANR découlant de l’exploitation du liquéfacteur 2. Elle lui demande toutefois de faire une allocation directe des coûts associés au terrain (rendement et impôts).

 

[56]         Pour ce qui est de l’utilisation du liquéfacteur 1 par l’ANR, la Régie prend acte de la position de Gaz Métro de maintenir les méthodes actuelles qui permettent d’établir les coûts à soustraire de son revenu requis, sous réserve des ajustements approuvés dans le présent dossier.

 

[57]         Dans sa décision D-2012-171[36] portant, entre autres, sur la répartition des coûts du liquéfacteur 1, la Régie demandait à Gaz Métro de considérer une fonction liquéfaction d’hiver et de lui répartir les coûts d’électricité associés à la liquéfaction en période hivernale. La Régie demande à Gaz Métro de maintenir, dans le cas des coûts d’électricité, les modalités de répartition établies dans la décision D-2012-171.

 

 

 

4.            utilisation de la capacité d’entreposage

 

4.1             Position de Gaz Métro

 

[58]         Gaz Métro indique qu’elle va maintenir sa politique d’achat d’outils de fiabilité pour s’assurer que l’approvisionnement de la clientèle de l’activité réglementée soit complètement compensée pour la réduction de la capacité d’entreposage de l’usine LSR disponible pour ses besoins.

 

[59]         Gaz Métro demande que l’ANR dispose d’une capacité maximale d’entreposage égale à 10 106m3. Elle indique qu’annuellement, avant le dépôt du plan d’approvisionnement à la Régie, l’ANR confirmera quel volume lui sera nécessaire, à l’intérieur de cette limite. Selon le volume réservé par l’ANR, le Distributeur évaluera l’outil d’approvisionnement requis pour assurer le maintien de la fiabilité d’approvisionnement de l’activité réglementée. Cet outil sera entièrement à la charge de l’ANR. Annuellement, l’écart entre la capacité de 10 106m³ et la capacité réservée pour l’activité de vente de GNL sera donc rendue disponible pour les clients de l’activité réglementée.

 


[60]         En audience, le Distributeur indique que, comme la quantité d’entreposage réservée par l’ANR pourra varier année après année, il ne contractera pas de transport long terme pour assurer la fiabilité. Il précise que pour permettre à l’ANR d’avoir accès à des capacités d’entreposage, la sécurité d’approvisionnement de la clientèle de l’activité réglementée devra être assurée[37].

 

 

4.2             Position des intervenants

 

[61]         La FCEI est d’avis qu’advenant que des engagements à long terme doivent être pris pour assurer la fiabilité d’approvisionnement, l’entité ayant réservé la capacité d’entreposage devrait se porter garante de ces engagements[38].

 

 

4.3             Opinion de la Régie

 

[62]         La Régie constate que Gaz Métro ne propose pas de changement de méthode par rapport à ce qui a déjà été approuvé.

 

[63]         La Régie demande de maintenir le traitement réglementaire, présentement en vigueur dans les dossiers tarifaire et de fermeture, pour l’examen des coûts de maintien de la fiabilité.

 

[64]         La Régie prend acte du fait que Gaz Métro ne contractera pas les outils de maintien de la fiabilité à long terme. Elle précise toutefois qu’advenant qu’il soit nécessaire de le faire, le Distributeur devra exiger que l’ANR garantisse ces engagements.

 

[65]         Enfin, la Régie prend acte du fait que la prévision de l’utilisation de la capacité de transport sera effectuée dans le plan d’approvisionnement.

 

 

 

5.            SUIVI de l’activité GNL

 

[66]         Lorsque le liquéfacteur 2 sera en fonction, la Régie demande au Distributeur d’ajouter des données au suivi de l’activité GNL déjà déposé dans le cadre du dossier d’examen de son rapport annuel. Ces données devront permettre de faire un bilan complet et détaillé sur le GNL destiné à l’activité réglementée et l’activité de GNL. Ce rapport devra notamment contenir les informations suivantes :

 

        les volumes quotidiens de GNL injectés par le client GNL dans le réservoir en provenance du liquéfacteur 1;

        les volumes quotidiens de GNL injectés par l’activité réglementée dans le réservoir en provenance du liquéfacteur 1;

        les volumes quotidiens de GNL injectés dans le réservoir en provenance du liquéfacteur 2;

        les volumes quotidiens de GNL retirés par le client GNL du réservoir en provenance du liquéfacteur 1;

        les volumes quotidiens de GNL retirés par l’activité réglementée aux fins de vaporisation;

        les volumes quotidiens de GNL retirés du réservoir en provenance du liquéfacteur 2;

        la capacité d’entreposage utilisée par le client GNL;

        le volume annuel de GNL provenant du liquéfacteur 1 et destiné au client GNL;

        le volume total annuel du client GNL;

        le volume total annuel de GNL utilisé par l’activité réglementée;

        le volume d’évaporation associé au client GNL;

        le volume d’évaporation associé à l’activité réglementée;

        toutes autres données requises pour l’établissement du bilan.

 

 

 


6.            code de conduite

 

6.1             Position des participants

 

[67]         Lors de l’audience du 6 février dernier, l’UC demandait au Distributeur s’il avait objection à ce que la Régie approuve un code de conduite (le Code) régissant ses rapports avec le client GNL, filiale de Gaz Métro. Le Distributeur répondait comme suit :

 

« La juridiction de la Régie qui est à l’égard, disons-le très rapidement, qui est à l’égard des coûts, je me pose des questions sur la juridiction de la Régie sur son pouvoir d’approuver ce genre de code de conduite-là. Je pense que vous avez certainement à en être informé et on va le faire avec plaisir, mais j’ai beaucoup de difficulté à imaginer la Régie approuver ce genre de code »[39].

 

[68]         Selon l’UC, dans la décision D-2002-95, la Régie a déjà approuvé un Code à l’égard d’Hydro-Québec dans ses activités de transport d’électricité. Elle cite l’extrait suivant de cette décision[40] :

 

« [Le code] ne détaille pas non plus la politique de prix de cession à laquelle le code fait référence. La Régie considère qu’une référence aux principes énoncés dans la présente décision concernant la politique de prix de cession permettra de faciliter l’application du code et de prévenir toute forme d’interfinancement.

 

[…]

 

Ce code devra porter sur l’interface avec toutes les activités, qu’elles soient réglementées ou non, et non uniquement sur les activités de commerce de gros […] »[41].

 


[69]         L’intervenante indique être préoccupée par le fait que, dans le cas où la Régie rendait une décision satisfaisante pour Gaz Métro à l’égard de la répartition des coûts, il y aurait un lien « très intime » entre les activités réglementées et non réglementées qui partageraient « le même lit dans le terrain et le réservoir […] »[42]. Dans ce contexte, l’intervenante est d’avis que l’approbation et le suivi d’un Code par la Régie sont essentiels.

 

[70]         En ce qui a trait à la juridiction de la Régie à l’égard de l’approbation d’un tel Code, l’UC réfère à la compétence de surveillance de la Régie (article 31 de la Loi), à son pouvoir de déterminer des méthodes d’allocations des coûts et d’énoncer des principes généraux (article 32 de la Loi) ainsi qu’à son obligation d’établir des tarifs justes et raisonnables (article 49 de la Loi)[43].

 

[71]         Le GRAME, quant à lui, soutient qu’il serait dans l’intérêt public qu’un Code soit mis en place, eu égard au fait qu’il y a un chevauchement d’une activité réglementée avec une ANR, mais ne se prononce pas sur la suggestion de l’UC de faire approuver ce Code par la Régie[44].

 

[72]         Enfin, selon SÉ/AQLPA[45], la Régie a juridiction pour approuver un Code en raison des décisions D-2004-122[46] et D-2003-49[47]. Il précise que, dans cette dernière décision, la Régie a décidé qu’elle avait juridiction pour approuver un Code, ce pouvoir étant implicite à sa juridiction tarifaire.

 

 


6.2             opinion de la régie

 

[73]         Les articles pertinents à l’examen de cette question sont les suivants :

 

« 31. La Régie a compétence exclusive pour :

 

1° fixer ou modifier les tarifs et les conditions […] auxquels le gaz naturel est fourni, transporté ou livré par un distributeur de gaz naturel ou emmagasiné;

 

2° surveiller les opérations des titulaires d’un droit exclusif de distribution […] de gaz naturel afin de s’assurer que les consommateurs aient des approvisionnements suffisants;

 

2.1° surveiller les opérations […] des distributeurs de gaz naturel afin de s’assurer que les consommateurs paient selon un juste tarif;

 

[…]

 

32. La Régie peut de sa propre initiative ou à la demande d’une personne intéressée :

 

1° déterminer le taux de rendement […] d’un distributeur de gaz naturel;

 

2° déterminer la méthode d’allocation du coût de service applicable […] à un distributeur de gaz naturel;

 

3° énoncer des principes généraux pour la détermination et l’application des tarifs qu’elle fixe;

 

3.1° déterminer, pour […] chaque distributeur de gaz naturel les méthodes comptables et financières qui leur sont applicables;

 

[…]

 

49. Lorsqu’elle fixe ou modifie […] un tarif de transport, de livraison ou d’emmagasinage de gaz naturel, la Régie doit notamment:

 

1° établir la base de tarification […] d’un distributeur de gaz naturel en tenant compte, notamment, de la juste valeur des actifs qu’elle estime prudemment acquis et utiles pour l’exploitation […] d’un réseau de distribution de gaz naturel […];

 

2° déterminer les montants globaux des dépenses qu’elle juge nécessaires pour assumer le coût de la prestation du service notamment, pour tout tarif, les dépenses afférentes aux programmes commerciaux […];

 

[…]

 

7° s’assurer que les tarifs et autres conditions applicables à la prestation du service sont justes et raisonnables […] ».

 

[74]         La Régie possède une compétence d’attribution, c’est-à-dire que ses pouvoirs lui sont spécifiquement attribués dans sa loi constitutive. Or, la Loi ne prévoit nulle part un pouvoir explicite d’approuver un Code. Elle prévoit plutôt l’approbation d’un code d’éthique dans le cas d’appels d’offres d’Hydro-Québec Distribution[48].

 

[75]         L’absence d’une disposition dans la Loi ne signifie toutefois pas que la Régie n’a pas compétence à cet égard. Elle possède une telle compétence en vertu de son pouvoir implicite. Comme l’indique la Cour suprême du Canada, les « pouvoirs d’un tribunal administratif doivent évidemment être énoncés dans la loi habilitante, mais ils peuvent également découler implicitement du texte de la loi, de son économie et de son objet »[49].

 

[76]         Dans sa décision D-2003-49, référant à sa compétence générale de surveillance, la Régie mentionnait que :

 

« Les articles 74.1 et 74.2 sont significatifs à cet égard puisque le législateur a lui-même reconnu la nécessité d’instaurer un mécanisme de contrôle qualitatif quant à certains liens que l’assujetti, le Distributeur, entretient notamment avec le non-assujetti, le Producteur : il s’agit d’un code d’éthique. Toutefois, la portée et l’objet de ce code d’éthique diffèrent du code de conduite. Il a été adopté dans le cadre de la modification législative à la Loi visant l’ajout de l’article 74.1 et 74.2. Il n’y a pas lieu d’y voir une volonté législative d’exclure tout autre moyen non expressément dicté par la Loi. En effet, la doctrine reconnaît que :

 

« L’ajout d’une compétence générale de surveillance a pour effet d’élargir l’autorité de l’organisme et de lui permettre de rendre des ordonnances sur des sujets omis ou non expressément prévus par la loi, sous réserve de l’obligation de l’organisme d’exercer sa discrétion conformément à la finalité de la loi. En vertu d’une longue tradition jurisprudentielle remontant aux années 20, la compétence générale de surveillance, interprétée largement, a permis à des organismes d’exercer leur mandat de régulation même en l’absence de textes spécifiques et de rendre des ordonnances sur diverses questions reliées à leur mandat, mais qu’il était difficile pour le législateur de prévoir dans l’abstrait » »[50]. [nous soulignons]

 

[77]         La Régie est d’avis que la logique applicable dans le cadre de la relation entre Hydro-Québec Distribution et les activités non réglementées d’Hydro-Québec s’applique également dans le cas de Gaz Métro face à ses filiales.

 

[78]         Dans sa décision D-2003-49, référant aux articles précités de la Loi, notamment à sa compétence en matière de tarification et de surveillance des opérations du Distributeur, la Régie soulignait que :

 

« Plus particulièrement l’article 31(1) mentionne la compétence exclusive de la Régie de fixer les conditions auxquelles l’électricité est transportée et la Régie considère que le code de conduite s’inscrit dans cette perspective. L’article 31(2.1) confère à la Régie un rôle de surveillance des opérations du Transporteur afin d’assurer le maintien de tarifs justes et raisonnables. En outre, les articles 49(2), 49(4), 49(6) et 49(7) sont autant de dispositions dont l’économie générale impose à la Régie de vérifier non seulement le caractère raisonnable des tarifs mais également celui des autres conditions applicables à la prestation du service.

 

La Régie est d’avis que l’exercice de ces compétences implique qu’elle puisse faire appel à un certain nombre d’outils de contrôle réglementaire, tant préventifs que curatifs, dont celui d’approuver un code de conduite »[51]. [nous soulignons]

 

[79]         L’adoption d’un tel Code est également nécessaire afin d’assurer la protection des consommateurs, comme requis à l’article 5 de la Loi. À cet égard, la Régie écrivait ce qui suit dans sa décision D-2002-95 :

 

« Le code de conduite est un outil utilisé par plusieurs organismes de régulation dans le cadre de leur mandat de protection de la clientèle du service réglementé. Par exemple, il est mentionné à l’article 4 du Règlement 659 et est l’un des objets de l’Ordonnance 889 de FERC.

Un code de conduite vise à prévenir toute forme de traitement préférentiel en faveur des autres unités et affiliés de l’entreprise intégrée en régissant les comportements, les échanges d’employés et d’informations. Il vise aussi à prévenir l’interfinancement en encadrant les transactions avec le transporteur qui ont des impacts financiers pour ce dernier »[52]. [nous soulignons]

 

[80]         Considérant ce qui précède, la Régie ordonne au Distributeur de déposer  pour approbation, lors du dépôt du dossier tarifaire 2015, un Code régissant les relations entre les activités réglementées et non réglementées.

 

 

 

7.            PRÉAVIS D’ENTRÉE ET DE SORTIE DU SERVICE DE TRANSPORT

 

7.1             Position de Gaz Métro

 

[81]         Gaz Métro propose de modifier le texte, dans les Conditions de service et Tarif, relatif au préavis d’entrée à son service de transport, de telle sorte que le client qui désire le service au plus tôt le 1er novembre doive l’en informer avant le 1er mars précédent.

 

[82]         Le Distributeur est d’avis qu’il sera alors mieux à même d’ajuster son plan d’approvisionnement, puisque, actuellement, c’est au 1er avril de chaque année qu’il doit donner un avis de renouvellement à TransCanada Pipelines Limited.

 


[83]         À la demande de la Régie, le Distributeur a analysé les problèmes associés à la sortie du service de transport qu’il fournit. Il n’anticipe pas de migration importante des clients. Il indique néanmoins que, dans les cas de cession de capacité, certaines situations pourraient s’avérer problématiques et propose d’ajouter, à l’article 13.1.4.2 des Conditions de service et Tarif, la mention qu’il n’accepterait de céder de la capacité de transport au client que s’il était rentable et opérationnellement possible pour lui de le faire.

 

 

7.2             Position des intervenants

 

[84]         Aucun intervenant ne s’est prononcé sur ce sujet.

 

 

7.3             Opinion de la Régie

 

[85]         La Régie considère que les propositions de Gaz Métro sont de nature à améliorer la gestion du plan d’approvisionnement dans le cas du préavis d’entrée et à mieux protéger les intérêts de l’ensemble de la clientèle dans le cas du préavis de sortie.

 

[86]         Pour ces motifs, la Régie approuve les modifications proposées aux articles 13.1.4.1, 13.1.4.2 et 13.2.3.2 du texte des Conditions de service et Tarif relativement aux préavis d’entrée et de sortie du service de transport du Distributeur et aux préavis d’entrée du service de transport fourni par le client. Ces modifications entrent en vigueur à la date de la présente décision.

 

[87]         La Régie ordonne au Distributeur de présenter les pages spécifiques modifiées des Conditions de service et Tarif pour approbation.

 

[88]         La Régie ordonne au Distributeur de faire état, à son rapport annuel, de la gestion qu’il aura faite dans chacun des cas de préavis de sortie.

 


[89]         Pour ces motifs,

 

La Régie de l’énergie :

 

DÉCLARE que le second liquéfacteur et l’activité non réglementée qui l’exploite sont assujettis à l’ensemble des Conditions de service et Tarif du Distributeur;

 

APPROUVE, sous réserve des modifications indiquées à la présente décision, les ajustements demandés par Gaz Métro à la méthode de répartition des coûts entre l’activité réglementée et l’activité non réglementée découlant de l’exploitation du second liquéfacteur;

 

ORDONNE au Distributeur de déposer à la Régie, pour approbation, lors du dépôt du dossier tarifaire 2015, un code de conduite régissant les relations entre les activités réglementées et non réglementées;

 

ORDONNE au Distributeur de se conformer à chacune des ordonnances, demandes, prescriptions et conditions énoncées dans la présente décision, selon les délais fixés.

 

 

 

Marc Turgeon

Régisseur

 

 

 

Gilles Boulianne

Régisseur

 

 

 

Françoise Gagnon

Régisseur


Représentants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG) représentée par Me Guy Sarault;

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI) représentée par Me André Turmel;

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME) représenté par Me Geneviève Paquet;

Option consommateurs (OC) représentée par Me Éric David;

Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ) représenté par Me Franklin S. Gertler;

Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro) représentée par Me Vincent Regnault et Me Hugo Sigouin-Plasse;

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ/AQLPA) représenté par Me Dominique Neuman;

TransCanada Energy Ltd. (TCE) représentée par Me Pierre Grenier;

Union des consommateurs (UC) représentée par Me Hélène Sicard;

Union des municipalités du Québec (UMQ) représentée par Me Marc‑André LeChasseur.



[1]        L.R.Q., c. R-6.01.

[2]        (2001) 133 G.O. II, 6165.

[3]        Pièce B-0038, p. 10.

[4]        Pièce A-0072, p. 6 et 7, par. 11 à 13 et p. 16 et 17, par. 46 à 48.

[5]        Page 8.

[6]        Pièce A-0072, p. 18, par. 53.

[7]        Pièce B-0309, p. 17.

[8]        Pièce A-0115.

[9]        Pièce A-0072, p. 17.

[10]       Pièce A-0114, p. 5.

[11]       Pièce A-0115, p. 9 et 10.

[12]       Pièce B-0351, p. 8 à 11 et pièce A-0115, p. 169 à 203.

[13]       Pièce A-20.

[14]       Pièce A-0115, p. 208 à 212.

[15]       Pièce A-0115, p. 254.

[16]       Pièce A-0115, p. 235 et 236.

[17]       Pièce A-0115, p. 243 à 247.

[18]       Pièce A-0115, p. 213 et 214.

[19]       Dossier R-3732-2010, pièce A-20, p. 11.

[20]       Dossier P-110-2232, décision D-2013-028, p. 10.

[21]       L.R.Q., c. I-16.

[22]       Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 (CanLII), [2012] 3 RCS 76; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42. Voir également le dossier R-3492-2002, décision D-2003-93, p. 180 et 181.

[23]   Le Petit Robert 2014. Voir également les définitions dans Le Grand dictionnaire de terminologie de l’Office de la langue française (site internet): « Personne qui, au moment de l’utilisation d’un produit, détruit (consomme) ce dernier pour satisfaire son besoin »; Le Petit Larousse 2009 : « Personne qui achète ou consomme des biens (denrées, marchandises) et des services »; Black’s Law Dictionary, Fith Edition, 1979 : « Individuals who purchase, use, maintain, and dispose of products and services [...]. Consumers are to be distinguished from manufacturers (who produce goods), and wholesalers or retailers (who sell goods) ».

[24]       Dossier R-3374-97, décision D-97-17.

[25]       Dossier 2683-81, décision G-323, p. 32.

[26]       L’énergie au service du Québec - Une perspective de développement durable, 1996, p. 19.

[27]       Dossier R-3492-2002, décision D-2003-93, p. 181.

[28]       Ibid.

[29]       L’obligation de desservir a été introduite à l’article 52 de la Loi sur la Régie du gaz naturel (1988, chapitre 23) sanctionnée le 17 juin 1988.

[30]       Selon l’article 2 de la Loi, un « réseau de distribution de gaz naturel » est défini comme suit : « l’ensemble des conduits, outillages, mécanismes, structures, gazomètres, compteurs et autres dispositifs et accessoires destinés à la fourniture, au transport ou à la livraison du gaz naturel dans un territoire déterminé à l’exclusion de tous les conduits à gaz installés à l’intérieur, en dessous et à la surface extérieure d’une maison, d’une usine, d’un édifice ou d’un bâtiment d’un consommateur ».

[31]       Les entreprises publiques, Wilson & Lafleur, 1985, p. 8.

[32]       Pièces B-0038 et B-0041.

[33]       Pièce A-0115, p. 136 et 137.

[34]       Pièce A-0115, p. 262.

[35]       Pièce A-0115, p. 55.

[36]       Dossier R-3800-2012, pièce A-0015, p. 15, par. 61.

[37]       Pièce A-0115, p.124 et 125.

[38]       Pièce A-0115, p. 253.

[39]       Pièce A-0115, p. 78.

[40]       Pièce A-0115, p. 215.

[41]       Dossier R-3401-98, décision D-2002-95, p. 48.

[42]       Pièce A-0115, p. 79.

[43]       Pièce A-0115, p. 164 et 165.

[44]       Pièce A-0115, p. 234.

[45]       Pièce A-0115, p. 241.

[46]       Dossier R-3401-98.

[47]       Dossier R-3496-2002.

[48]       Articles 74.1 et 74.2 de la Loi.

[49]       Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) [1989] 1 R.C.S. 1722, p. 1756.

[50]       Dossier R-3496-2002, décision D-2003-49, p. 11.

[51]       Dossier R-3496-2002, décision D-2003-49, p. 12.

[52]       Dossier R-3401-98, décision D-2002-95, p. 42.

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