Régie de l'énergie du Québec

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QUÉBEC                                                                             RÉGIE DE L’ÉNERGIE

 

D‑2013-187

R‑3837‑2013

2 décembre 2013

 

Phase 2

 

 

PRÉSENTS :

 

Marc Turgeon

Gilles Boulianne

Françoise Gagnon

Régisseurs

 

 

Société en commandite Gaz Métro

Demanderesse

 

et

 

Intervenants dont les noms apparaissent ci-après

 

 

Décision relative au projet d’investissement visant à augmenter la capacité de liquéfaction de gaz naturel de l’usine LSR

 

Demande d’approbation du plan d’approvisionnement et de modification des Conditions de service et Tarif de Société en commandite Gaz Métro à compter du 1er octobre 2013


 


Intervenants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG);

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI);

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME);

Option consommateurs (OC);

Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ);

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ/AQLPA);

TransCanada Energy Ltd. (TCE);

Union des consommateurs (UC);

Union des municipalités du Québec (UMQ).


1.            introduction

 

[1]             Le 10 avril 2013, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie) une demande d’approbation du plan d’approvisionnement et de modification des Conditions de service et Tarif à compter du 1er octobre 2013 (la Demande). Elle propose de traiter ce dossier en trois phases.

 

[2]             Le 18 avril 2013, la Régie rend sa décision procédurale D-2013-059 par laquelle elle accueille la proposition du Distributeur de procéder à l’examen de la Demande en trois phases.

 

[3]             Le 16 mai 2013, par sa décision procédurale D-2013-079, la Régie accorde à l’ACIG, la FCEI, le GRAME, OC, le ROEÉ, SÉ/AQLPA et l’UC le droit d’intervenir dans le cadre de la phase 2 et accorde ce droit également à l’ensemble des intervenants reconnus au dossier, dans le cadre de la phase 3.

 

[4]             Le 7 juin 2013, le Distributeur dépose une demande amendée et la preuve sur les différents sujets traités dans le cadre de la phase 2, soit :

 

-         le plan d’approvisionnement – horizon 2014-2016;

-         la vente de gaz naturel liquéfié (GNL) et son impact sur le plan d’approvisionnement;

-         la stratégie de diversification des indices d’achats de fourniture;

-         le projet de déplacement de la structure d’approvisionnement vers Dawn;

-         l’option d’achats de gaz naturel de remplacement de la capacité d’entreposage non renouvelée au 1er avril 2013.

 

[5]             Le 28 juin 2013, la Régie rend sa décision procédurale D-2013-093 portant sur le déroulement de la phase 2. Dans cette décision, elle demande au Distributeur de déposer une preuve complémentaire sur la suite qu’il entend donner à l’activité de vente de GNL prévoyant l’utilisation d’un équipement de l’activité réglementée.

 


[6]             Le 16 août 2013, le Distributeur dépose une seconde demande réamendée par laquelle il demande, en vertu du premier alinéa de l’article 73 (1) de la Loi sur la Régie de l’énergie[1] (la Loi) et de l’article 1 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie[2] (le Règlement), les autorisations suivantes relatives à un projet d’agrandissement de l’usine de liquéfaction, de stockage et de regazéification (l’usine LSR) :

 

« AUTORISER Gaz Métro à procéder à un projet d’investissement visant l’augmentation de la capacité de liquéfaction de l’usine LSR, tel que plus amplement décrit à la pièce Gaz Métro-2, Document 6;

 

AUTORISER la création d’un compte de frais reportés hors base, portant intérêts, dans lequel seront cumulés les coûts reliés au projet jusqu’à leur inclusion dans la base de tarification à l’occasion du dossier tarifaire approprié;

 

AUTORISER les modifications proposées dans la pièce Gaz Métro-2, Document 6 à la méthode de partage des coûts »[3].

 

[7]             Le 9 septembre 2013, par sa décision procédurale D-2013-144, la Régie statue qu’elle doit d’abord trancher la question de sa compétence à l’égard de ce projet d’investissement :

 

« [15] […], la Régie est d’avis qu’avant de se prononcer au fond sur la demande de Gaz Métro relative à l’autorisation d’« un investissement visant à augmenter la capacité de liquéfaction de gaz naturel de l’usine LSR » et celle relative à l’adaptation « de la méthode de partage des coûts », elle doit d’abord trancher la question de l’opportunité, eu égard à sa juridiction, de rendre une décision sur de telles demandes.

 

[16] En effet, la Régie est d’avis qu’elle doit préliminairement déterminer si elle a compétence pour examiner (donc éventuellement, autoriser ou refuser) une demande d’investissement pour un actif lié à une activité non réglementée, à l’usage de l’activité non réglementée (tel que présenté en preuve), dont le coût en capital serait assumé par l’activité non réglementée, mais qui serait versé dans la base de tarification ».

[8]             La Régie demande alors à l’ensemble des participants au dossier de plaider par écrit la question de savoir si la construction d’un actif destiné à l’usage de l’activité non réglementée (l’ANR) et dont le coût est assumé en totalité par cette dernière doit faire l’objet d’une autorisation en vertu de l’article 73 de la Loi.

 

[9]             Les 6, 7, 8 et 12 novembre 2013, la Régie tient une audience, conformément aux décisions procédurales D-2013-093 et D-2013-144.

 

[10]         Dans la présente décision, la Régie se prononce uniquement sur la question de sa compétence à l’égard de la demande d’investissement du Distributeur relative à l’usine LSR eu égard au premier paragraphe de l’article 73 (1) de la Loi.

 

 

 

2.            position des participants

 

2.1             Position de Gaz Métro[4]

 

[11]         Selon le Distributeur, le projet d’investissement à l’usine LSR consiste essentiellement en « l’ajout d’un système de purification et de déshydratation du gaz naturel, d’un système de refroidissement, d’un système de liquéfaction, des interconnections entre ces systèmes et d’une nouvelle entrée électrique »[5].

 

[12]         Il précise que cet investissement est rendu nécessaire « par la croissance de la demande en GNL prévue d’ici 2016 qui ferait en sorte que la capacité maximale de 45 106 m³ autorisée par la Régie dans sa décision D-2012-171 sera atteinte »[6].

 


[13]         En plaidoirie, le Distributeur indique plus particulièrement que l’augmentation de la production de GNL « tire son origine dans la demande croissante de ce type de produit dans divers secteurs, induite notamment par les diverses législations environnementales qui entrent peu à peu en vigueur (SPEDE, Zone Emission Control Area (ECA)) ». Il y aurait ainsi une « mouvance en faveur de l’utilisation du GNL » dans le transport terrestre (Route Bleue), le transport maritime (traversiers) et par les industries non desservies par le réseau gazier actuel, notamment sur la Côte-Nord (Alouette)[7].

 

[14]         Gaz Métro demande à la Régie d’inclure ce projet dans la base de tarification[8] et précise que l’ANR « assumera l’entièreté du coût en capital lié à l’investissement, quels que soient les volumes liquéfiés, de même que les coûts d’opération y étant associés, déterminés par la méthode de répartition des coûts »[9]. L’actionnaire assumera ainsi tous les risques associés au projet[10].

 

[15]         Le Distributeur identifie des avantages pour l’activité réglementée, notamment « la redondance des équipements et une diminution à terme du revenu requis en distribution d’environ 2,7 millions de dollars »[11].

 

[16]         Quant à la question de la compétence de la Régie à l’égard de la demande d’autorisation, le Distributeur invoque d’abord, comme « toile de fond », l’article 5 de la Loi qui prévoit que, « dans l’exercice de ses fonctions, la Régie assure la conciliation entre l’intérêt public, la protection des consommateurs et un traitement équitable […] [du distributeur] ». Il ajoute que, bien qu’elle ne soit pas attributive de compétence, cette disposition doit servir de guide à la Régie lorsqu’elle tranche une question qui lui est soumise[12].

 


[17]         De l’avis du Distributeur, la question que doit se poser la Régie consiste à déterminer si le projet d’investissement « vise la construction d’un actif destiné à la distribution ». Ainsi :

 

« Le fait que cet actif puisse être utilisé pour une activité non réglementée (« ARN ») nous apparaît pertinent au stade de l’allocation des coûts […] mais, dans la mesure où cet actif est destiné à la distribution, en tout ou en partie, il tombe sous la juridiction de la Régie. Sinon, nous pourrions nous retrouver dans une situation où un actif se trouverait en partie réglementé et en partie non réglementé »[13].

 

[18]         La position du Distributeur « s’articule principalement autour du fait que l’usine LSR et l’agrandissement forment un ensemble intégré qui doit être considéré comme un seul et même actif destiné à la distribution et sujet à l’autorisation » prévue à l’article 73 de la Loi. Il précise que :

 

« Un élément central […] réside dans le fait que l’agrandissement et l’usine actuelle forment un tout intégré physiquement. En d’autres termes, l’unité de liquéfaction […] ne peut fonctionner sans l’existence de l’usine actuelle. L’unité de liquéfaction dépend de l’usine actuelle dans la mesure où elle utilise plusieurs des équipements de l’usine. À titre d’exemple, mentionnons la salle de contrôle ou encore les réservoirs »[14].

 

[19]         Au soutien de son argumentation, le Distributeur réfère la Régie à la décision D‑2010-144[15] dans laquelle il est précisé que l’usine LSR forme un tout indissociable ainsi qu’à la décision D-2011-108[16] relative à la compétence de la Régie à l’égard d’un actif utilisé à la fois dans le cadre d’une activité réglementée et d’une ANR[17].

 


[20]         Le Distributeur plaide subsidiairement que si la Régie considère que l’usine LSR et l’agrandissement constituent deux actifs distincts, l’agrandissement constituerait tout de même un actif destiné à la distribution au sens de l’article 73 de la Loi, car ce dernier est un actif inhérent aux activités qui découlent de son droit exclusif, soit l’exploitation d’un réseau de gaz naturel, le transport et la livraison de gaz naturel par canalisation[18].

 

 

2.2             Position des intervenants

 

[21]         Les principaux arguments présentés par les intervenants sont résumés ci-après.

 

ACIG[19]

 

[22]         L’ACIG partage l’avis de Gaz Métro relativement à la juridiction de la Régie à l’égard de l’investissement à l’usine LSR.

 

[23]         Selon elle, le projet consiste en un agrandissement de l’usine actuelle et en sera partie intégrante. L’ACIG indique que l’investissement constitue ce que la Régie décrit à la décision D-2010-144, dans laquelle elle soutenait que l’usine « est un tout indissociable ainsi qu’un actif réglementé alimenté et opéré par le Distributeur pour assurer la sécurité d’approvisionnement de ses clients ». L’intervenante se base également sur la décision D‑2011-108 relative à la création d’un tarif de réception :

 

« […] le fait que l’agrandissement, bien que pouvant être utilisé à des fins non réglementées, fasse partie intégrante de l’usine LSR soulève l’application du principe retenu par la Régie dans sa décision D-2011-108 dans laquelle la Régie a déclaré que, dans la mesure ou des actifs sont utilisés en tout ou en partie pour la distribution du gaz naturel, elle a juridiction en la matière ».

 

[24]         Enfin, l’ACIG considère que le projet d’agrandissement sera « utile à l’activité réglementée en ce que la capacité supplémentaire en découlant pourrait facilement être utilisé en cas de besoin supplémentaire d’équilibrage pour desservir la clientèle de Gaz Métro […] ».


FCEI[20]

 

[25]         En audience, la FCEI se dit convaincue d’une « certaine indissociabilité » entre l’agrandissement et l’usine LSR. Elle précise son raisonnement dans les termes suivants : « Un actif qui est là, on ajoute des éléments d’actif. Mais ultimement l’élément d’actif n’est pas « stand alone ». Il faut que ça fonctionne avec le reste ».

 

[26]         Privilégiant une « approche pragmatique » et référant à la nécessité de pouvoir surveiller (« oversight ») l’ensemble de l’actif, la FCEI est d’avis que la Régie a compétence « de manière ad hoc, ponctuelle » à l’égard du projet d’investissement du Distributeur.

 

GRAME[21]

 

[27]         Selon le GRAME, vu que l’usine LSR est un actif réglementé et qu’il s’agit d’un « tout indissociable » au sens de la décision D-2010-144, un ajout à cette usine devrait également être considéré comme un « tout indissociable ». Ainsi, le fait d’ajouter une capacité additionnelle de liquéfaction « notamment en vue d’augmenter l’activité non réglementée de vente de GNL, ne devrait pas lui faire perdre sa qualité d’actif réglementé ». L’intervenant est donc d’avis que le projet devrait faire l’objet d’une autorisation en application du premier paragraphe de l’article 73 (1) de la Loi.

 

[28]         Subsidiairement, le GRAME souligne que si la Régie considère que l’investissement n’est pas destiné à la distribution du gaz naturel par canalisation, elle a toutefois juridiction pour examiner la demande en vertu des paragraphes 2° et 4° de l’article 73 (1) de la Loi, car il s’agit d’un projet visant à « étendre, modifier ou changer l’utilisation de leur réseau de transport ou de distribution » et à « effectuer une restructuration de leurs activités ayant pout effet d’en soustraire une partie de l’application de la présente loi ».

 


SÉ/AQLPA[22]

 

[29]         SÉ/AQLPA mentionne que si le coût de l’investissement était alloué à l’activité réglementée, il ne ferait aucun doute qu’une autorisation de la Régie serait requise pour réaliser le projet, puisqu’il servirait en partie à l’activité réglementée. Cependant, en l’espèce, la part du coût d’investissement supportée par l’activité réglementée est nulle et, par conséquent :

 

« […] un investissement à coût nul pour l’activité règlementée ne requiert pas d’autorisation de la Régie selon l’article 73 al. 1(1o) de la Loi car il ne correspond pas à ce qui est visé par cet article ni son Règlement d’application.

 

Nous nous trouvons donc devant le rare cas d’un investissement qui ne requiert aucune autorisation préalable de la Régie, même si une part de son coût sera peut-être incluse dans la base de tarification […] ».

 

[30]         SÉ/AQLPA plaide toutefois que l’agrandissement de l’usine aurait pour effet de « modifier ou changer l’utilisation » du réseau de distribution de Gaz Métro et pourrait même « étendre » l’usine LSR. Il ajoute que le projet pourrait aussi avoir comme conséquence d’« effectuer une restructuration » de l’usine LSR « ayant pour effet d’en soustraire une partie de l’application » de la Loi. L’intervenant conclut donc que le projet d’investissement de Gaz Métro requiert une autorisation en vertu des paragraphes 2o et 4o de l’article 73 (1) de la Loi.

 

UC[23]

 

[31]         En audience, l’UC souligne que l’usine LSR, étant un actif réglementé, une autorisation de la Régie en vertu de l’article 73 de la Loi est requise dans le cas où des modifications y sont apportées. L’intervenante se questionne également à savoir si l’activité réglementée a vraiment besoin d’une sécurité et à quels « coûts bruts ». Elle fait état de l’existence d’alternatives pour assurer une sécurité à l’activité réglementée :

 


« […] s’il y a une sécurité à apporter à la daQ, ne croyez-vous pas qu’il y a des alternatives beaucoup moins dispendieuses que d’ajouter tout ce train de liquéfaction. Si on ajoute un train parce qu’il y a un besoin de gaz naturel liquéfié à injecter dans le réseau parce que la daQ en a besoin, c’est une chose. Mais là on ajoute un train, et c’est noble de vouloir développer, desservir les régions éloignées, et on n’est pas contre ce but-là. Sauf que ce n’est pas des activités réglementées de vendre du GNL à la Côte-Nord »[24].

 

[32]         Référant à l’article 2 du Règlement, l’UC note que le Distributeur n’a pas présenté « les autres solutions envisagées accompagnées des renseignements visés au paragraphe précédent dont les coûts et la faisabilité ».

 

[33]         De l’avis de l’UC, il existe, à l’égard des décisions d’affaires, une possibilité de conflit d’intérêts entre Gaz Métro et sa filiale si un éventuel réseau de distribution prenait place sur la Côte-Nord. L’intervenante précise que « [l]es décisions relatives au développement des activités et à la santé financière de l’entreprise réglementée et de sa filiale non réglementée sont tributaires les unes des autres ».

 

[34]         Enfin, l’UC fait part de différentes recommandations à la Régie dans l’éventualité où elle concluait qu’elle a compétence à l’égard du projet d’investissement, notamment en ce qui a trait au partage des coûts et aux conflits d’intérêts.

 

 

 

3.            opinion de la régie

 

[35]         La demande d’autorisation du Distributeur est déposée en vertu du paragraphe 1o de l’article 73 (1) de la Loi. Le GRAME et SÉ/AQLPA réfèrent également la Régie aux paragraphes 2° et 4° de cette même disposition, rédigée comme suit :

 


« 73. […] les distributeurs de gaz naturel doivent obtenir l’autorisation de la Régie, aux conditions et dans les cas qu’elle fixe par règlement, pour:

1° acquérir, construire ou disposer des immeubles ou des actifs destinés au transport ou à la distribution;

2° étendre, modifier ou changer l’utilisation de leur réseau de transport ou de distribution;

3° cesser ou interrompre leurs opérations;

4° effectuer une restructuration de leurs activités ayant pour effet d’en soustraire une partie de l’application de la présente loi.

Dans l’examen d’une demande d’autorisation, la Régie […], dans le cas d’une demande visée au paragraphe 1°, tient compte le cas échéant :

1° des prévisions de vente […] des distributeurs de gaz naturel et de leur obligation de distribuer […] ».

 

[36]         Au soutien de sa position, le Distributeur invoque, d’une part, le fait que l’usine LSR et l’agrandissement forment un tout indissociable constituant un seul et même actif destiné à la distribution et, d’autre part, qu’il s’agit d’un investissement qui procurera des avantages pour l’activité réglementée.

 

[37]         Subsidiairement, Gaz Métro plaide que si la Régie considère que l’usine LSR et l’agrandissement constituent deux actifs distincts, l’agrandissement serait quand même un actif destiné à la distribution au sens de l’article 73 de la Loi, car ce dernier est un actif inhérent aux activités qui découlent de son droit exclusif de distribution.

 

[38]         La Régie examine ces différents motifs présentés par le Distributeur, lesquels sont étroitement liés.

 

1.         L’usine LSR et l’agrandissement projeté forment un tout indissociable

 

[39]         Relativement à ce premier argument, le Distributeur réfère la Régie à la décision D-2010-144[25]. Dans cette décision, la Régie fait état de la proposition de Gaz Métro qui était la suivante :

 


« [189] […] Gaz Métro propose un modèle commercial à deux niveaux. Dans un premier temps, le distributeur vend, dans un contexte règlementé, du gaz naturel sous forme gazeuse à un client GNL qui, dans un second temps, liquéfie ce gaz et le vend sous forme liquide dans le cadre d’une activité non règlementée. Ainsi, selon ce modèle, Gaz Métro ne vend pas de GNL.

 

[…]

 

[192] Le distributeur explique que le modèle proposé reproduit la situation où un client règlementé possède sa propre usine de liquéfaction et vend du GNL dans un marché non règlementé. En audience, il ajoute que l’usine LSR est un actif règlementé et qu’avec le modèle proposé, la partie de l’usine LSR servant à la gestion du réseau demeurerait règlementée [note de bas de page omise] ».

[nous soulignons]

 

[40]         En réponse à cette proposition de « modèle commercial à deux niveaux », la Régie conclut comme suit :

 

« [193] La Régie ne retient pas le modèle proposé par Gaz Métro. Elle considère que l’usine LSR est un tout indissociable ainsi qu’un actif règlementé alimenté et opéré par le distributeur pour assurer la sécurité d’approvisionnement de ses clients. C’est donc Gaz Métro, dans ses activités réglementées au Québec, qui reçoit le gaz naturel à l’usine LSR, le liquéfie, l’entrepose et le regazéifie lorsque les besoins de la clientèle régulière le justifient. Par ailleurs, dans le cadre du projet-pilote associé à une activité non réglementée, le distributeur vend le GNL à un tiers. En demandant, dans la décision D-2010-057 [note de bas de page omise], de déduire du revenu requis l’ensemble des coûts de l’activité GNL, incluant le coût des composantes fourniture, compression, transport et équilibrage, la Régie considère que ces coûts sont encourus par le distributeur, ce qui implique que c’est ce dernier qui fournit l’alimentation en gaz naturel de l’usine LSR et non pas un tiers ». [nous soulignons]

 

[41]         Cette décision porte donc sur un « modèle commercial à deux niveaux » alors proposé par le Distributeur. La Régie a refusé un tel modèle ayant comme effet que l’usine LSR, actif réglementé et formant un tout indissociable, serait opérée par deux entités distinctes.

 


[42]         La situation décrite dans ce dernier dossier diffère nettement de celle présentement à l’étude. Il ne s’agit pas ici de décider du traitement de la vente de GNL (modèle commercial) produit à partir de l’usine LSR, actif réglementé et constituant un tout indissociable, dans le cadre d’un « projet-pilote » autorisé par la Régie. Il s’agit plutôt d’autoriser un investissement visant l’ajout d’un actif important à l’usine réglementée destiné, comme nous le verrons ci-après, à l’ANR. La Régie ne peut donc souscrire au parallèle établi par le Distributeur avec les faits présentés dans la décision D‑2010-144.

 

2.         Les avantages de l’agrandissement de l’usine LSR pour l’activité réglementée

 

[43]         Gaz Métro mentionne que plusieurs éléments mis en preuve « supportent le fait que, en tout temps ou une portion du temps, l’agrandissement sera utile ou utilisé à des fins d’équilibrage du réseau de distribution »[26].

 

[44]         L’analyse de l’utilité d’un actif découle de l’application de l’article 49 de la Loi aux fins de l’établissement de la base de tarification du Distributeur. Or, la Régie doit d’abord analyser la demande d’investissement sous l’angle du premier paragraphe de l’article 73 (1) de la Loi qui mentionne qu’une autorisation est requise pour « acquérir, construire ou disposer des immeubles ou des actifs destinés […] à la distribution » [nous soulignons].

 

[45]         Selon le dictionnaire Le Petit Robert, le verbe « destiner » signifie : « fixer d’avance (qqch.) pour être employé à un usage. […] affecter, appliquer, réserver »[27]. Quant à la « distribution », elle s’entend au sens de l’article 1 de la Loi qui détermine son champ d’application :

 

« 1. La présente loi s'applique […] à la distribution et à l’emmagasinage du gaz naturel livré ou destiné à être livré par canalisation à un consommateur […] ». [nous soulignons]

 


[46]         En l’espèce, il est clairement établi que le projet d’agrandissement du Distributeur est d’abord et avant tout « destiné » à l’usage de l’ANR, laquelle entend d’ailleurs assumer la totalité des coûts en capital liés à l’investissement. L’ANR désire satisfaire la croissance de la demande de GNL dans divers secteurs de l’activité économique (transport terrestre et maritime, entreprises non desservies par le réseau gazier). Il s’agit de la seule fin pour laquelle l’investissement est demandé et, de l’avis de la Régie, il ne fait aucun doute que l’activité réglementée n’aurait jamais présenté une telle demande d’investissement pour ses propres opérations.

 

[47]         De plus, selon la Régie, le projet d’investissement ne porte pas sur la « distribution […] du gaz naturel livré ou destiné à être livré par canalisation » au sens de l’article 1 de la Loi. Dans sa décision D-2010-057, la Régie tranchait cette question comme suit :

 

« [24] La Régie est d’avis que la vente de GNL est une activité non réglementée qui n’est pas soumise à sa juridiction, et ce, tel que l’avait mentionné à l’époque la Régie de l’électricité et du gaz dans l’Ordonnance G-339.

 

[25] En effet, seul le gaz naturel livré ou destiné à être livré par canalisation est soumis à la juridiction de la Régie, tel qu’il appert de l’article 1 de la Loi :

 

[…]

 

[26] Or, dans le cadre de l’activité de vente de GNL décrite dans la preuve de Gaz Métro, le GNL n’est pas livré ou destiné à être livré par canalisation.

 

[27] La Régie partage l’avis de Gaz Métro selon lequel l’interprétation de l’expression canalisation prévue à l’article 1 de la Loi ne peut englober le tuyau et la pompe cryogénique allant de l’usine LSR au camion chargé de transporter le GNL. La Régie est d’avis que ce tuyau et cette pompe ne peuvent être considérés comme une canalisation faisant partie du droit exclusif de distribution dont jouit Gaz Métro »[28]. [nous soulignons]

 


[48]         Enfin, selon le modèle commercial envisagé par le Distributeur, la Régie est également d’avis que le GNL ne sera pas livré à un « consommateur », soit, selon le sens commun, la « personne qui utilise des marchandises, des richesses, des services pour la satisfaction de ses besoins »[29]. En effet, le Distributeur entend vendre le GNL à sa filiale non réglementée, Gaz Métro GNL, laquelle le revendra à des clients, dont Gaz Métro Solutions Transport, S.E.C. (GMST)[30].

 

[49]         Bien que ces motifs suffisent pour trancher l’argumentation principale et subsidiaire du Distributeur, il convient quand même d’examiner son argumentation portant sur les avantages pour l’activité réglementée de l’agrandissement de l’usine LSR. Gaz Métro décrit ces avantages comme suit :

 

« L’investissement proposé comporte des avantages pour la sécurité de l’approvisionnement de l’activité réglementée. D’abord, en cas de force majeure, la nouvelle capacité pourra être utilisée pour répondre aux besoins de l’activité réglementée. Cet élément représente une amélioration à la sécurité d’approvisionnement par rapport à la situation actuelle. De plus, les modifications aux installations électriques existantes permettront à l’activité réglementée de bénéficier de redondance en cas de problèmes techniques, par rapport à la situation actuelle.

 

[…]

 

La clientèle de la distribution au Québec (daQ) pourra profiter d’une réduction du coût de service de distribution provenant d’un volume additionnel pouvant atteindre 169 901 080 m3/an transitant sur son réseau grâce à l’ajout de la capacité de liquéfaction de 6 Bcf annuellement. Cela représente environ 2,7 M$ de coûts, estimé à 1,616 cents/m3 en se basant sur le profil de l’usine LSR et sur la dernière allocation des coûts disponible (allocation du coût de service 2012-2013 qui sera déposée dans la phase 4 de la Cause tarifaire 2014), qui seront déduits du coût de service de distribution chaque année au bénéfice de la clientèle actuelle de la daQ »[31].

 


[50]         La Régie doute sérieusement de l’avantage que peut conférer le projet pour l’activité réglementée en matière de sécurité d’approvisionnement. La preuve établit clairement que la redondance de l’unité de liquéfaction, bien qu’elle soit utile, n’est pas un avantage essentiel pour l’usine LSR[32].

 

[51]         De plus, l’utilisation par l’activité réglementée du nouvel équipement en cas de bris de celui présentement en place est « tributaire du fait que le nouveau liquéfacteur ne soit pas pleinement utilisé afin de répondre à la demande de GM GNL ». Le Distributeur présente cette condition comme suit :

 

« Cette condition s’explique par le fait que GM GNL desservira ses clients sur une base ferme. Dans la mesure où, contractuellement, elle s’engage à assumer tous les coûts associés à l’agrandissement quels que soient les volumes vendus, c’est-à-dire qu’elle assume tous les risques, elle doit en contrepartie avoir l’assurance que l’actif sera en tout temps disponible pour répondre à ses besoins »[33].

 

[52]         Quant à l’impact des ventes de GNL sur les coûts de service de l’activité réglementée, il ne permet pas, de l’avis de la Régie, de déterminer si l’investissement est destiné ou non à la distribution au sens de l’article 73 de la Loi. Il s’agit plutôt d’un revenu additionnel résultant de l’ajout d’un nouveau client. Gaz Métro confirme, en audience, que ce revenu additionnel est indépendant de l’inclusion ou non de l’investissement dans la base de tarification de l’activité réglementée[34].

 

3.         Conclusion

 

[53]         En somme, la Régie ne peut autoriser l’investissement demandé par le Distributeur, car il ne s’agit pas d’un actif visé par le premier paragraphe de l’article 73 (1) de la Loi.

 


[54]         La Régie reconnaît le potentiel du développement du marché du GNL et des avantages environnementaux que représente la substitution à cette forme d’énergie. Cependant, le cadre juridique ne lui permet pas d’autoriser l’investissement demandé par le Distributeur. Comme elle l’indiquait dans sa décision D-2013-041 relative au projet d’investissement pour l’injection de biométhane produit par la ville de Saint-Hyacinthe :

 

« [85] Du point de vue de l’intérêt public et des rôles réciproques des producteurs de gaz et des distributeurs de gaz naturel, la Régie partage la position de l’OEB :

 

“ In the Board’s view the applicants established the wrong goal for their programs. Their purpose in bringing the applications was expressly to create or enable a market for biomethane in Ontario. With respect, that is an objective which is beyond the scope of the distributor’s role. It is appropriate for the distributors to consider the conditions and pricing necessary to accept biomethane into their respective distribution systems, but it is not appropriate for them to use system gas customers as a means of subsidizing a variety of biomethane producers in the hope of developing a viable biomethane supply market. […] [nous soulignons] ” »[35].

 

[55]         La Régie note également que le GRAME et SÉ/AQLPA soulèvent l’application des paragraphes 2° et 4° de l’article 73 de la Loi. Considérant que le projet d’investissement du Distributeur est déposé en vertu de l’article 73 (1) de la Loi, la Régie juge qu’elle n’a pas à évaluer la demande en fonction de ces dispositions.

 

[56]         Enfin, si la Régie en était arrivée à la conclusion contraire quant à sa compétence en vertu du paragraphe 1o de l’article 73 (1) de la Loi, certaines questions reliées au volet économique du projet d’investissement auraient mérité d’être approfondies, en conformité avec l’article 2 du Règlement.

 


[57]         Pour ces motifs,

 

La Régie de l’énergie :

 

CESSE l’examen de la demande d’investissement du Distributeur.

 

 

 

 

 

Marc Turgeon

Régisseur

 

 

 

 

 

Gilles Boulianne

Régisseur

 

 

 

 

 

Françoise Gagnon

Régisseur


Représentants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG) représentée par Me Guy Sarault;

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI) représentée par Me André Turmel;

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME) représenté par Me Geneviève Paquet;

Option consommateurs (OC) représentée par Me Éric David;

Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ) représenté par Me Franklin S. Gertler;

Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro) représentée par Me Vincent Regnault et Me Hugo Sigouin-Plasse;

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ/AQLPA) représenté par Me Dominique Neuman;

TransCanada Energy Ltd. (TCE) représentée par Me Pierre Grenier;

Union des consommateurs (UC) représentée par Me Hélène Sicard;

Union des municipalités du Québec (UMQ) représentée par Me Marc‑André LeChasseur.



[1]        L.R.Q., c. R-6.01.

[2]        (2001) 133 G.O. II, 6165.

[3]        Pièce B-0038, p. 10.

[4]        Pièces B-0038 et B-0041.

[5]        Pièce B-0038, par. 44.

[6]        Pièce B-0038, par. 43.

[7]        Pièce B-0265, par. 110.

[8]        Pièce B-0041, p. 8 à 10.

[9]        Pièce B-0038, par. 48.

[10]       Pièce B-0265, par. 121.

[11]       Pièce B-0038, par. 49. Également, pièce B-0265, par. 118 à 120 et 122.

[12]       Pièce B-0074, p. 2.

[13]       Pièce B-0074, p. 2.

[14]       Pièce B-0074, p. 3.

[15]       Dossier R-3720-2010 Phase 2.

[16]       Dossier R-3732-2010.

[17]       Pièce B-0074, p. 4 et 5.

[18]       Pièce B-0074, p. 3.

[19]       Pièce C-ACIG-0018.

[20]       Pièce A-0061, p. 100 à 103.

[21]       Pièces C-GRAME-0011 et C-GRAME-0019.

[22]       Pièce C-SÉ-AQLPA-0017.

[23]       Pièce C-UC-0019, p. 6 à 9.

[24]       Pièce A-0061, p. 154 à 158.

[25]       Dossier R-3720-2010.

[26]       Pièce B-0265, par. 117.

[27]       Le Petit Robert, 2014, p. 713.

[28]       Dossier R-3727-2010, p. 8.

[29]       Le Petit Robert, 2014, p. 519.

[30]       Pièce A-0054, p. 149 et 150.

[31]       Pièce B-0041, p. 13 et 14.

[32]       Pièce B-0211, p. 9 et pièce A-0054, p. 123 à 125.

[33]       Pièce B-0265, p. 16, par. 121 et pièce A-0061, p. 56.

[34]       Pièce A-0054, p. 202 et 203.

[35]       Dossier R-3824-2012, p. 21.

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