Régie de l'énergie du Québec

Informations sur la décision

Résumé :

[1] Le 15 novembre 2013, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie) une demande relative au dossier générique portant sur l’allocation des coûts et la structure tarifaire de Gaz Métro.

Contenu de la décision

 

QUÉBEC                                                                             RÉGIE DE L’ÉNERGIE

 

 

 

D‑2018-069

R-3867-2013

14 juin 2018

 

Phase 1

 

 

 

PRÉSENTS :

 

Laurent Pilotto

Marc Turgeon

Louise Pelletier

Régisseurs

 

 

Énergir, s.e.c.

Demanderesse

 

et

 

Intervenants dont les noms apparaissent ci-après

 

 

Décision portant sur la recevabilité de la 3e Demande réamendée

 

Demande relative au dossier générique portant sur l’allocation des coûts et la structure tarifaire de Gaz Métro



Intervenants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG);

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI);

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME);

Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ);

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ-AQLPA);

TransCanada Energy Ltd. (TCE);

Union des consommateurs (UC);

Union des municipalités du Québec (UMQ).

 

 


1.            Demande

 

[1]              Le 15 novembre 2013, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie) une demande relative au dossier générique portant sur l’allocation des coûts et la structure tarifaire de Gaz Métro.

 

[2]              Le 30 janvier 2014, la Régie rend sa décision D-2014-011[1], par laquelle elle se prononce sur la reconnaissance des intervenants et sur le déroulement procédural du dossier. Elle scinde l’examen du dossier en deux phases : la phase 1, portant sur l’ensemble des méthodes d’allocation des coûts, et la phase 2, portant sur la structure tarifaire, l’interfinancement et la stratégie tarifaire du service de distribution.

 

[3]              L’audience relative à la phase 1 se déroule du 13 au 17 avril 2015.

 

[4]              Le 28 avril 2016, Gaz Métro dépose une demande relative à la phase 2 du dossier. Elle y propose de le scinder finalement en quatre phases et de traiter, dans le cadre de la phase 2, de la révision des services de fourniture, de transport et d’équilibrage ainsi que de l’offre de service interruptible. Elle propose également de traiter en phase 3 de la fixation des coûts marginaux de prestation de service de long terme.

 

[5]               Le 23 juin 2016, la Régie rend sa décision D-2016-100[2] (la Décision) relative à la phase 1, par laquelle elle ordonne au Distributeur de mettre à jour l’étude d’allocation du coût de service de distribution (l’Étude) pour tenir compte de la Décision. Elle demande au Distributeur, notamment, de déposer les résultats de cette mise à jour au plus tard le 21 octobre 2016 afin que la Régie puisse juger de sa conformité d’application aux dispositions de la Décision[3].

 

[6]              Le 21 octobre 2016, Gaz Métro dépose les documents requis par la Régie dans la Décision. Elle dépose également une demande intitulée « 2e demande réamendée relative à la phase 1 du dossier générique portant sur l’allocation des coûts et la structure tarifaire de Gaz Métro »[4] (la 2e Demande réamendée).

 

[7]              Le 2 novembre 2016, dans le cadre de la phase 1, la Régie tient une rencontre préparatoire portant sur la nature de la 2e Demande réamendée et sur le traitement à y donner, le cas échéant.

 

[8]              Le 17 novembre 2016, la Régie rend sa décision D-2016-178[5], par laquelle elle se prononce sur la procédure retenue pour la suite du traitement de la phase 1, conséquemment au dépôt de la 2e Demande réamendée. Elle mentionne, notamment, qu’elle doit d’abord s’assurer que les informations déposées par le Distributeur, le 21 octobre 2016, sont conformes aux dispositions de la Décision avant de se prononcer sur l’autre volet de la 2e Demande réamendée.

 

[9]              Les 18 et 20 janvier 2017, Gaz Métro dépose l’ensemble des réponses aux demandes de renseignements (DDR) nos 4 et 6 de la Régie portant sur l’examen de la conformité de la preuve déposée le 21 octobre 2016, en suivi de la Décision.

 

[10]          Le 16 février 2017, la Régie tient une séance de travail avec Gaz Métro afin de clarifier certains éléments de l’Étude, à la suite des réponses obtenues aux DDR nºs 4 et 6.

 

[11]          Le 22 juin 2017, la Régie rend sa décision D-2017-063[6], décision partielle sur la conformité de la mise à jour de l’Étude déposée par le Distributeur le 21 octobre 2016. Dans cette décision, notamment, elle juge conforme l’application de la méthode de classification des coûts des conduites de distribution (la Méthode)[7]. Elle ordonne également au Distributeur de modifier l’application de certains éléments de la mise à jour de l’Étude afin de les rendre conformes aux dispositions de la Décision.

 

[12]          Le 31 août 2017, le Distributeur dépose une 3e demande réamendée intitulée « 3e demande réamendée relative à la phase 1 du dossier générique portant sur l’allocation des coûts et la structure tarifaire de Gaz Métro »[8] (la 3e Demande réamendée). Il dépose également une seconde mise à jour de l’Étude afin de respecter les ordonnances rendues par la Régie dans la décision D-2017-063, en suivi de la Décision.

 


[13]          Le 18 octobre 2017, le Distributeur dépose une version révisée de la seconde mise à jour de l’Étude.

 

[14]          Le 11 décembre 2017, Gaz Métro informe la Régie qu’à compter du 29 novembre 2017, Société en commandite Gaz Métro a modifié sa dénomination sociale, en français et en anglais, pour Énergir, s.e.c. (Énergir ou le Distributeur).

 

[15]          Le 13 décembre 2017, la Régie rend sa décision D-2017-134[9], par laquelle elle conclut à la conformité des résultats de l’Étude mise à jour.

 

[16]          Le 28 mars 2018, la Régie convoque les participants à une audience le 26 avril 2018. Celle-ci porte sur la recevabilité de la 3e Demande réamendée et l’assise juridique sur laquelle celle-ci s’appuie.

 

[17]          L’audience se tient le 26 avril 2018 et les participants y présentent leurs positions respectives. Lors de cette audience, le Distributeur précise qu’il demande maintenant à la Régie de ne prendre acte que d’un seul ajustement possible à la Méthode[10]. Ainsi, il lui demande de n’examiner de sa 3e Demande réamendée que la conclusion visant à ajuster le seuil de capacité assignée par client à 1 200 m3-jour plutôt qu’à 30 m3-jour, tel que déterminé dans la Décision.

 

[18]          Dans la présente décision, la Régie se prononce sur la recevabilité de la 3e Demande réamendée d’Énergir, par laquelle cette dernière lui demande de « prendre acte » de l’ajustement possible à la Méthode.

 

 

 

2.            Position du distributeur

 

[19]          Énergir est d’avis que sa 3e Demande réamendée est recevable et que la Régie devrait l’entendre sur l’ajustement qu’elle propose à la Méthode.

 

[20]          Le Distributeur soutient que la Décision n’est pas une décision finale et que, par conséquent, les articles 37 et 40 de la Loi sur la Régie de l’énergie[11] (la Loi) ne rendent pas irrecevables sa 2e Demande réamendée et sa 3e Demande réamendée. Elle cite la décision D-2001-49[12] dans laquelle la Régie énonce que l’article 37 de la Loi s’applique en présence d’une décision finale et soumet que la règle du dessaisissement est tempérée, en ce que seules les décisions finales y sont assujetties.

 

[21]          Présentant un schéma de la chronologie de la phase 1 du présent dossier depuis la Décision[13], Énergir soutient que la Régie doit se questionner si une des décisions rendue à la suite de la Décision était de la nature d’une décision ultime. Selon Énergir, cette question doit recevoir une réponse négative. Ainsi, elle plaide que dans le cas présent, on doit exclure l’application des articles 37 et 40 de la Loi[14].

 

[22]          Énergir se réfère de nouveau à la décision D-2001-49 dans laquelle la Régie cite les commentaires du professeur Yves Ouellette. Ce dernier indique, notamment, que le fait de reconnaître aux tribunaux administratifs une compétence implicite pour réviser, et au besoin révoquer pour cause, des décisions interlocutoires, est dans l’intérêt de l’efficacité de la procédure et de la primauté du droit[15]. La Régie aurait donc le pouvoir, selon le Distributeur, de revoir des décisions rendues en cours de dossier.

 

[23]          Énergir cite également l’arrêt Chandler[16] de la Cour suprême du Canada, relativement à l’application de la règle du dessaisissement, qui énonce que :

 

« […] son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit ».

 

[24]          Selon Énergir, le fait que la Régie lui demande de fournir une mise à jour de l’Étude portant sur les données du dossier tarifaire 2014 pour tenir compte de la Décision fait en sorte que la Régie n’était pas functus officio au lendemain de cette dernière et pouvait continuer à recevoir et considérer des éléments de preuve, sous réserve du respect des règles de justice naturelle[17]. Ainsi, elle est d’avis qu’elle pouvait, dans une demande réamendée, proposer des « ajustements possibles » à la Méthode pour fins de considération.

 

[25]          Énergir invoque qu’à l’occasion de la rencontre préparatoire du 2 novembre 2016, aucun avocat n’a plaidé que l’article 40 de la Loi rendait impossible l’examen des conclusions de la 2e Demande réamendée relatives aux ajustements proposés. Ainsi, Énergir soumet qu’au sortir de cette rencontre préparatoire, s’il existait toujours un doute quant à la possibilité pour la Régie de se pencher sur les ajustements proposés, cette dernière l’aurait signalé dans la décision D-2016-178[18].

 

[26]          Énergir avance que, par la décision procédurale D-2016-178, la Régie a « scindé virtuellement » la phase 1 du présent dossier. Une première sous-phase visait à s’assurer que les informations déposées par Énergir satisfaisaient aux ordonnances de la Décision et qu’elle en avait fait une application conforme. Une deuxième sous-phase portait sur l’examen des ajustements proposés dans la 2e Demande réamendée[19].

 

[27]          Selon Énergir, plusieurs éléments de la décision D-2016-178 signalaient que la Régie traiterait des ajustements possibles dans un second temps. Elle évoque, à cet égard, l’utilisation du terme « d’abord » au paragraphe 40 de cette décision, le paragraphe 42 où la Régie emploie le terme « étape » et le paragraphe 44 où la Régie énonce qu’il était alors prématuré de se prononcer sur les ajustements.

 

[28]          Selon Énergir, ce traitement en deux « sous-phases » était confirmé par le contenu des DDR que lui a adressées la Régie, qui ne comportaient pas de questions sur les ajustements, et par la séance de travail tenue le 16 février 2017, pour laquelle les ajustements n’étaient pas à l’ordre du jour. Cette omission par la Régie de se prononcer illustre bien, selon Énergir, une volonté de disposer d’abord de la conformité et ultérieurement de la question des ajustements.

 

[29]          Énergir est d’avis que les décisions D-2017-063 et D-2017-134 clôturaient la première « sous-phase ». Elle cite à cet effet la décision D-2017-063 :

 

« [97] Comme mentionné dans la décision D-2016-178, dans l’attente de la mise à jour de l’Étude, conformément à l’ensemble des décisions rendues dans le cadre de la phase 1, la Régie réserve sa décision sur la 2e demande réamendée du Distributeur ».

 

[30]          Énergir soutient que cette réserve ne pouvait concerner toutes les conclusions recherchées dans la 2e Demande réamendée, puisque, dans cette décision, la Régie donne partiellement suite à une des conclusions qui y était contenue.

 

[31]          De plus, selon Énergir, l’absence de caractère final ou ultime de la Décision est confirmée par la demande de la Régie visant à ce qu’Énergir dépose une seconde mise à jour au plus tard le 31 août 2017, illustrant ainsi que les travaux d’analyse n’étaient pas terminés.

 

[32]          En audience, Énergir indique que rien dans la décision D-2017-134 ne lui permet de comprendre un raisonnement conduisant la Régie à disposer des ajustements possibles qu’elle propose ou à rejeter sa conclusion soutenant qu’il y a un problème d’appariement entre les principes énoncés dans la Décision et les résultats de la mise à jour de l’Étude[20].

 

[33]          Énergir est d’avis que le silence de la Régie quant aux ajustements proposés et le constat quant à la conformité de la mise à jour de l’Étude ne peuvent être interprétés comme un rejet de la conclusion maintenue par Énergir dans la 3e Demande réamendée[21]. En audience, Énergir précise, par ailleurs, que la Régie ne doit dorénavant examiner que la conclusion visant à ajuster le seuil de capacité assignée par client à 1 200 m3-jour plutôt qu’à 30 m3-jour, tel que déterminé dans la Décision.

 

[34]          En réponse à une question de la Formation en charge du dossier (la Formation), souhaitant que lui soit expliqué en quoi les demandes réamendées ne constituent pas une demande d’appel déguisé, le représentant d’Énergir assure que ce n’est pas le cas, et que l’usage des termes « prendre acte » dans les demandes réamendées en témoigne[22]. De plus, Énergir affirme que, pour qu’il y ait appel déguisé, on doit être en présence d’une décision finale, ce que, selon elle, la Décision n’est pas.

 

[35]          Subsidiairement, Énergir fait valoir que, si la Régie considère que la Décision revêt le caractère d’une décision finale, elle peut d’office la réviser en vertu de l’article 37 (1°) de la Loi. Énergir est d’avis que son constat d’absence d’arrimage entre les résultats de l’application de la Méthode et les principes retenus par la Régie dans la Décision pourrait être assimilé à un fait nouveau au sens de l’article 37 (1°) de la Loi[23].

 

[36]          Énergir soutient que son constat satisfait les critères définis par la doctrine et la jurisprudence lui permettant d’être qualifié de fait nouveau, soit la découverte de celui-ci postérieurement à la Décision, la non-disponibilité de cet élément au moment de l’audience et le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément s’il avait été connu en temps utile.

 

[37]          Énergir soulève que depuis le dépôt de la 2e Demande réamendée et de la preuve relative aux ajustements possibles, ni elle, ni les intervenants n’ont pu se faire entendre à ce sujet, puisque la deuxième sous-phase n’a jamais été amorcée. Pour pouvoir statuer sur l’application de l’article 37 (1°) de la Loi et déterminer si la Régie accepte de réviser d’office la Décision ou non, cette dernière doit, selon Énergir, permettre aux participants de se faire entendre sur « l’exactitude du constat »[24].

 

 

 

3.            Position des intervenants

 

ACIG

 

[38]          L’ACIG partage la position du Distributeur, selon laquelle la 3e Demande réamendée est recevable et elle appuie la modification proposée qui est, selon elle, un ajustement juste et raisonnable dans les circonstances[25]. Elle allègue que la présente Formation a le pouvoir, mais également le devoir de la traiter.

 

[39]          L’ACIG rappelle que sa position est restée la même et réfère à cette dernière, exprimée dans des communications antérieures, soit dans sa lettre transmise à la Régie le 19 juillet 2016[26], dans ses représentations faites lors de la rencontre préparatoire du 2 novembre 2016, ainsi que dans sa lettre transmise à la Régie le 25 juillet 2017[27].

 

[40]          Selon l’ACIG, le paragraphe 693 de la Décision, par lequel la Régie demande un suivi qualitatif et quantitatif, est un suivi de nature exceptionnelle, ayant pour objectif de valider les impacts que la Décision pouvait avoir relativement aux principes directeurs, à commencer par la causalité des coûts.

 

[41]          L’ACIG soutient que les échanges entre Énergir et la Régie qui ont suivi la Décision n’auraient pas été requis si ce suivi n’avait pas été de nature exceptionnelle, et que celui-ci impliquait nécessairement que des ajustements puissent subséquemment être apportés afin de respecter les principes directeurs. Et si tel n’est pas le cas, elle s’explique mal pourquoi la Régie aurait demandé un suivi aussi élaboré[28].

 

[42]          Selon l’ACIG, la Décision n’était ni finale, ni exécutoire et d’autres étapes devaient être franchies avant que ne soit rendue une décision finale. Elle cite le paragraphe 42 de la décision D-2016-178, afin d’appuyer sa prétention :

 

« [42] La Régie entend conduire cette étape au cours des prochaines semaines. Au terme de cette étape, elle devra rendre une décision visant l’approbation et la mise en vigueur de l’Étude »[29].

 

[43]          L’intervenante réfère aux paragraphes 51, 66, 67, 78, 82, 83, 87 de la décision D‑2017-063, ainsi qu’à ses conclusions, qui indiquent, selon elle, que cette décision ne peut être considérée comme finale et exécutoire. L’ACIG prétend que ceux-ci constituent des ajustements et des raffinements apportés à la Méthode retenue dans la Décision.

 

[44]          Pour ce qui est de l’assise juridique de la 3e Demande réamendée, l’ACIG soutient que la proposition d’ajustements d’Énergir constitue ce qui s’avère nécessaire afin de respecter les principes et objectifs directeurs énoncés dans la Décision. Puisqu’elle n’était pas finale et exécutoire, selon l’ACIG, il n’y a pas lieu de considérer les articles 37 et 40 de la Loi.

 

[45]          L’ACIG souligne que la façon de procéder du Distributeur est nettement préférable au processus de révision en vertu de l’article 37 de la Loi. Cette façon de procéder est, selon l’ACIG, tout à fait légale et appropriée, à condition que la 3e Demande réamendée soit traitée dans le respect du droit des intervenants de faire des représentations, conformément à la règle audi alteram partem.

 

FCEI

 

[46]          La FCEI indique que les demandes réamendées arrivent trop tard en cours de dossier, car la Décision lui apparaît finale. Or, elle souligne que le présent dossier ne s’apparente pas à un dossier tarifaire présenté chaque année et qu’il est rare que la Régie étudie les éléments sur lesquels porte ce dossier[30]. L’intervenante insiste donc sur l’importance, pour la Régie, de considérer le contexte particulier du présent dossier et ainsi faire preuve de flexibilité.

 

[47]          La FCEI soumet que l’ordonnance contenue au paragraphe 693 de la Décision, de déposer les impacts des modifications sur les résultats de l’Étude par rapport aux résultats obtenus avec la méthode actuelle, était ouverte. Ainsi, la Régie aurait pu intervenir dans l’éventualité où l’analyse aurait révélé une incongruité dans l’application des méthodes qu’elle a retenues.

 

[48]          La FCEI suggère à la Régie de prendre sous réserve l’irrecevabilité de la 3e Demande réamendée et de vérifier quel serait l’impact, sur les résultats de l’Étude, de changer le seuil de capacité assignée par client de 30 m3-jour à 1 200 m3-jour.

 

[49]          La FCEI mentionne qu’elle appuie pour l’essentiel la position de l’ACIG, en y apportant certaines nuances[31]. Elle suggère qu’il est préférable de se pencher sur la question dans le cadre du présent dossier alors que la Régie a une vue complète du sujet, plutôt que de fermer le débat et que le Distributeur présente la même demande dans un autre dossier où une formation n’aurait pas fait tout le travail d’analyse de la présente Formation.

 


ROEÉ

 

[50]          Selon le ROEÉ, la 3e Demande réamendée est irrecevable et ne devrait pas être traitée par la Régie dans le présent dossier parce que la Décision est finale et complète. Il mentionne que celle-ci octroie même les frais aux intervenants et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une demande en révision.

 

[51]          Selon le ROEÉ, la 3e Demande réamendée aurait pour effet de permettre à Énergir de faire infirmer les décisions D-2016-100, D-2016-178, D-2017-063 et D‑2017‑134. Pour l’intervenant, cette demande correspond à un refus du Distributeur de se soumettre aux décisions de la Régie[32].

 

[52]          Le ROEÉ soutient que la seule façon de renverser les décisions de la Régie est la demande en révision ou en révocation, en vertu de l’article 37 de la Loi, et que le Distributeur n’a pas cette possibilité dans les circonstances. L’intervenant rappelle que pour des raisons de stabilité juridique, un tel recours doit être entamé dans un délai raisonnable à partir de la date de la décision contestée, soit 30 jours tel que normalement accepté, à moins de circonstances justifiant une dérogation[33].

 

[53]          La 3e Demande réamendée, selon le ROEÉ, ne reflète pas la découverte de faits nouveaux au sens de l’article 37 de la Loi et ne révèle aucun vice de fond de nature à l’invalider.

 

[54]          Subsidiairement, si la Régie devait accepter de se pencher à nouveau sur la détermination de la Méthode, le ROEÉ demande de bénéficier d’une procédure complète et équitable, y compris le droit à l’assistance de son expert, de soumettre des DDR, de déposer une preuve écrite et orale et le droit de contre-interroger et d’argumenter.

 

[55]          Le ROEÉ indique qu’il n’est pas en mesure de déterminer si la proposition d’ajustement du Distributeur constitue réellement une modification mineure. À l’heure actuelle, il ne peut se prononcer quant à l’impact sur les résultats de l’Étude que pourrait avoir une telle modification[34].

 

[56]          Enfin, le ROEÉ souligne l’ampleur du travail déjà effectué dans le cadre du présent dossier et signale qu’il faut, éventuellement, envisager d’y mettre un terme. À son avis, il y a un danger à réinterpréter les décisions de la Régie comme le fait le Distributeur et il soutient que ce dernier propose des sous-phases qui n’existent pas[35].

 

[57]          Le ROEÉ met la Régie en garde quant à la procédure proposée par SÉ-AQLPA. Celle-ci représente la voie de l’ « insécurité juridique »[36]. Il rappelle que le présent dossier va affecter des milliers de consommateurs et il est d’avis qu’il n’est pas dans l’intérêt public, dans un tel contexte, de multiplier les phases[37].

 

[58]          Selon le ROEÉ, bien qu’il soit question dans l’arrêt Chandler, cité par Énergir, de souplesse dans l’application du principe du dessaisissement, le présent dossier se distingue de cet arrêt. Selon l’intervenant, il faut tenir compte du fait que les principes énoncés dans cet arrêt doivent être examinés à la lumière de la Loi, notamment lorsqu’on se penche sur le principe du « functus officio ». Il cite l’extrait suivant de l’arrêt Chandler[38] :

 

« […] Accordingly, the principle should not be strictly applied where there are indications in the enabling statute that a decision can be reopened to enable the tribunal to discharge the function committed to it by enabling legislation »[39].

 

[59]          L’intervenant indique, de plus, que la Loi prévoit à l’article 37 les cas précis pour lesquels la Régie peut revenir sur ses décisions. Il soutient qu’il ne s’agit pas de pouvoirs généraux découlant de la common law comme dans l’arrêt Chandler.

 

[60]          De plus, le ROEÉ indique, en se référant aux enseignements de l’arrêt Chandler, que la Régie a fait ce qu’elle devait faire. Elle a complété sa tâche et le constat se trouve dans la série de décisions qu’elle a rendues à l’égard de l’Étude, en partant de la Décision jusqu’à la décision D-2017-134[40] :

 

« Furthermore, if the tribunal has failed to dispose of an issue which is fairly raised by the proceedings and of which the tribunal is empowered by its enabling statute to dispose it ought to be allowed to complete its statutory task »[41].

 

SÉ-AQLPA

 

[61]          SÉ-AQLPA partage la position du Distributeur selon laquelle la 3e Demande réamendée est recevable.

 

[62]          SÉ-AQLPA allègue, par ailleurs, que la Régie a déjà décidé au paragraphe 44 de sa décision D-2016-178 que la 3e Demande réamendée est recevable. Ainsi, il n’est pas nécessaire de déterminer l’assise juridique en vertu de laquelle la Régie a émis une telle conclusion. L’intervenant souligne que la recevabilité de la 3e Demande réamendée repose sur de multiples fondements juridiques[42].

 

[63]          Selon SÉ-AQLPA, la Régie a un pouvoir réglementaire qui s’exerce en continu. En tant que tribunal administratif, elle n’est pas liée par la règle de la chose jugée. À son avis, la Régie dispose d’un pouvoir continu de modifier, même d’office, notamment les principes réglementaires qu’elle édicte[43]. Selon l’intervenant, la Décision n’était pas une décision finale. Il mentionne cependant en audience :

 

« C’est que le texte de la méthode a été décidé, mais aussi les principes sous-tendant cette méthode ont aussi été décidés. Donc, s’il y a chose jugée ou irrévocabilité ou finalité, ça s’applique aux deux aspects de la décision, à la fois la méthode et les principes sous-jacents à cette méthode qui sont également décidés par la décision D-2016-100 »[44].

 

[64]          L’intervenant soutient que le pouvoir de la Régie d’exercer sa juridiction en continu relativement aux tarifs, conditions de service et principes tarifaires, implique qu’il n’est pas nécessaire de qualifier la Décision de finale ou non. La question que la présente Formation doit se poser est celle de déterminer si, dans le cas où la Décision se qualifie de finale, elle demeure saisie du dossier après sa signature[45].

 

[65]          Enfin, SÉ-AQLPA considère que le pouvoir de la Régie de modifier la Méthode, si elle le souhaite, n’est pas une question de juridiction, mais relève plutôt de sa discrétion et de son pouvoir décisionnel[46].

 

[66]          L’intervenant recommande à la Régie de convoquer une audience pour que les participants soient entendus sur la modification proposée par Énergir[47].

 

[67]          Subsidiairement, l’intervenant suggère trois autres fondements juridiques à la recevabilité de la 3e Demande réamendée. Il mentionne tout d’abord le pouvoir de rectification en vertu de l’article 38 de la Loi qui devrait être interprété de manière plus large que devant un tribunal judiciaire. Il plaide par ailleurs qu’il pourrait s’agir d’une révision en vertu de l’article 37(1°) de la Loi pour cause de découverte de faits nouveaux, c’est-à-dire l’allégation du Distributeur à l’effet que les résultats produits par la Méthode sont incompatibles avec les principes établis par la Décision. Finalement, il soutient qu’il pourrait également s’agir d’une révision de la Décision en vertu de l’article 37(2°) de la Loi.

 

 

 

4.            Opinion de la Régie

 

[68]          Afin de déterminer si la 3e Demande réamendée est recevable, la Régie doit déterminer quelle en est l’assise juridique. Or, une mise en contexte et un rappel de la chronologie des décisions rendues dans le présent dossier s’imposent.

 

Contexte

 

[69]          Le 23 juin 2016, la Régie rend, dans le cadre du présent dossier, la Décision intitulée « Décision sur le fond et sur les frais des intervenants – Phase 1 ». Par cette décision, la Régie statue sur l’ensemble des méthodes de fonctionnalisation, de classification et de répartition des coûts qui composent l’Étude dont, notamment, la Méthode. Elle ordonne à Énergir de mettre à jour l’Étude en appliquant aux données de l’année tarifaire 2014 l’ensemble des méthodes qu’elle a retenues et de lui fournir un suivi à cet égard.

[70]          En octobre 2016, Énergir dépose, en même temps que le suivi demandé par la Régie, sa 2e Demande réamendée en vertu des articles 31(1o), 31(5o), 32(3o) 49(6o) et 51 de la Loi. Elle lui demande notamment de « prendre acte » de certains ajustements possibles à la Méthode, dont la modification à 500 m3‑jour par client de la capacité assignée, établie par la Décision à 30 m3‑jour par client.

 

[71]          La Régie convoque alors les participants à une rencontre préparatoire, le 2 novembre 2016, afin qu’ils présentent leurs commentaires sur la nature de la 2e Demande réamendée et des conclusions recherchées par le Distributeur, ainsi que sur le traitement, le cas échéant, de la 2e Demande réamendée et son incidence anticipée sur l’examen des différentes phases du dossier[48].

 

[72]          À la suite de cette rencontre préparatoire, la Régie rend sa décision D-2016-178 le 17 novembre 2016, dans laquelle elle indique :

 

« [43] En ce qui a trait à l’autre volet de la 2e Demande réamendée, qui concerne les ajustements possibles à la Méthode proposés par le Distributeur, la Régie a pris bonne note des commentaires formulés lors de la rencontre préparatoire. Elle constate, par ailleurs, une certaine unanimité sur le fait qu’il n’y a pas lieu de revoir l’ensemble des sujets traités dans la Décision.

 

 [44] Si, à la lumière des résultats de l’Étude mise à jour, la Régie considère que ceux-ci ne satisfont pas aux principes qu’elle a retenus et à l’esprit de la Décision, et si elle juge qu’il y a lieu de reconsidérer certains paramètres de la Méthode, elle en informera les participants et établira la procédure appropriée à cette reconsidération. À l’instar de plusieurs participants, la Régie est d’avis qu’il serait plus opportun et efficient que cet examen se fasse dans le cadre du présent dossier.

 

[45] En conséquence, la Régie considère qu’il est prématuré de se prononcer sur la 2e Demande réamendée en ce qui a trait aux ajustements possibles à la Méthode proposés par le Distributeur »[49]. [nous soulignons]

 


[73]          Par la suite, la Régie tient, le 16 février 2017, une séance de travail afin de valider la conformité de la preuve déposée par le Distributeur en suivi de la Décision, tel que prévu aux paragraphes 40 et 41 de la décision D-2016-178, et de « clarifier certains éléments de l’Étude d’allocation des coûts »[50].

 

[74]          Le 22 juin 2017, la Régie rend sa décision D-2017-063 intitulée « Décision partielle – Conformité d’application de la décision D-2016-100 relative à l’étude d’allocation du coût de service » portant sur la conformité de la mise à jour de l’Étude. Dans cette décision, elle se prononce uniquement sur les suivis exigés par la Décision. Elle ne traite pas des autres volets de la 2e Demande réamendée du Distributeur. Quant aux éléments de suivi, elle mentionne :

 

« [11] La Régie juge que la grande majorité des éléments de cette mise à jour sont conformes à la Décision. Elle dresse, en annexe, un tableau synthèse reprenant chacun des éléments soumis et y indique ceux jugés conformes ainsi que ceux jugés non conformes, pour lesquels des correctifs doivent être apportés »[51]. [nous soulignons]

 

[75]          Le 31 août 2017, Énergir dépose une 3e Demande réamendée, dans laquelle elle demande toujours à la Régie de prendre acte d’ajustements possibles à la Méthode, mais propose, cette fois, que la capacité assignée par client soit fixée à 1 200 m3-jour par client plutôt qu’à 500 m3-jour par client, tel que suggéré dans la 2e Demande réamendée. Il dépose également une seconde mise à jour de l’Étude[52] afin de respecter les ordonnances rendues par la Régie dans la décision D-2017-063, en suivi de la Décision.

 

[76]          Le 13 décembre 2017, la Régie rend sa décision D-2017-134, par laquelle elle conclut à la conformité des résultats de l’Étude mise à jour en fonction de la Décision. À ce moment, elle ne se prononce pas sur les ajustements proposés à la 3e Demande réamendée.

 

[77]          Le 26 avril 2018, la Régie tient une audience portant sur la recevabilité de la 3e Demande réamendée.

 


Décision D-2016-100

 

[78]          La Régie souligne que la 3e Demande réamendée a été déposée par le Distributeur après que la Décision a été rendue.

 

[79]          Or, dans le cadre de la phase 1, Énergir plaide que sa 2e Demande réamendée, maintenant la 3e Demande réamendée, ne constitue pas une demande en révision de la Décision car cette dernière ne donne pas ouverture à l’application des articles 37 et 40 de la Loi, puisqu’elle n’est pas finale. Au soutien de sa position, Énergir dépose lors de l’audience, un schéma faisant état de la chronologie de la phase 1[53].

 

[80]          La Régie ne partage pas l’avis du Distributeur.

 

[81]          La Régie est d’avis que le fait d’avoir ordonné à Énergir de déposer la mise à jour de l’Étude en suivi de la Décision ne change rien à son caractère final. La Décision établit des principes, détermine et approuve des méthodes de fonctionnalisation, de classification et d’allocation des coûts de l’activité de distribution de gaz naturel d’Énergir. Elle a rendu cette décision après avoir entendu, notamment, des preuves d’expert étoffées et avoir débattu de nombreux sujets lors d’une audience qui s’est déroulée sur plusieurs jours, au cours de laquelle les participants ont tous pu se faire entendre et contre-interroger les témoins et les experts.

 

[82]          Par la Décision, la Régie a disposé de l’ensemble des conclusions recherchées par le Distributeur dans sa demande du 20 novembre 2014[54] relative à la Phase 1. Aussi, aucun commentaire supplémentaire n’a été sollicité des participants à la suite du dépôt du suivi, puisque l’examen était clos à la suite de la Décision.

 

[83]          Il importe de souligner que lorsque la Régie a rendu la Décision et qu’elle a ordonné au Distributeur de mettre à jour l’Étude en appliquant, notamment, la Méthode, il ne s’agissait pas d’une demande inhabituelle. En effet, il est de pratique courante pour la Régie de demander ce genre de suivi, particulièrement lors des dossiers tarifaires lors desquels elle demande à Énergir de mettre à jour sa grille tarifaire afin qu’elle reflète sa décision sur le revenu requis et les ajustements tarifaires. Il s’agit d’une procédure par étape qui confie à Énergir les tâches qu’elle seule peut accomplir et qui permet à la Régie, ultimement, de constater l’application et les impacts de sa décision.

 

[84]          En effet, ces suivis ne peuvent être fournis que par Énergir puisque c’est elle qui possède les outils informatiques et les bases de données requises pour donner effet à la décision de la Régie. Il ne peut en être autrement dans le cas de la Décision et l’ordonnance de suivi qu’elle contient n’altère en rien son caractère final, tout comme c’est le cas d’une décision qui établit les tarifs du Distributeur.

 

[85]          Au surplus, la Régie note qu’en phase 3 du présent dossier, Énergir a elle-même qualifié la Décision de finale :

 

« 8. Ainsi, lors du dépôt de sa demande en phase 2 le 28 avril 2016, Énergir a proposé que le présent dossier générique soit scindé en quatre phases, soit :

a)      une phase 1 relative aux méthodes d’allocation de coûts, […] dont la décision finale a été rendue le 23 juin 2016 (D-2016-100) […] »[55].

[nous soulignons]

 

Nature de la 3e Demande réamendée et recevabilité

 

[86]          C’est à la suite de la Décision, en même temps que le dépôt du suivi relatif à la mise à jour de l’Étude, que le Distributeur a déposé la 2e Demande réamendée dans laquelle il demande à la Régie de « prendre acte » de certains ajustements possibles relatifs à des éléments sur lesquels elle a statué dans la Décision. La 3e Demande réamendée, déposée environ un an plus tard, est de la même nature que la 2e, sauf en ce qui a trait à la valeur d’un des ajustements proposés.

 

[87]          Il s’agit d’une demande inhabituelle et irrégulière, d’autant plus qu’aucune demande de révision en vertu de l’article 37 de la Loi n’a été logée à l’encontre de la Décision. Aussi, le fait de demander à la Régie de « prendre acte » d’ajustements possibles à la Méthode est d’autant plus inusité que l’effet qu’aurait une telle conclusion est abstrait. À cet égard, le dictionnaire de droit québécois et canadien indique que « prendre acte » d’un fait signifie :

 

« Lors d’un procès, affirmer que l’on a constaté un fait ou une déclaration de la partie adverse et que l’on a l’intention de s’en prévaloir ultérieurement. Ex. Prendre acte d’un aveu fait par la partie adverse dans un acte de procédure »[56]. [nous soulignons]

 

[88]          Dans le cas présent, l’effet recherché par le Distributeur, lorsqu’il demande à la Régie de « prendre acte » des ajustements possibles à la Méthode, n’apparaît pas comme étant une recherche, par ce dernier, d’un simple constat. Il souhaite pouvoir appliquer ces ajustements sans requérir une autorisation expresse de la Régie.

 

[89]          Aussi, si la Régie « prenait acte » des ajustements proposés et que le Distributeur les appliquait, cela ferait en sorte que ce dernier obtiendrait le même résultat que si une demande en révision à cet égard était accueillie, sans toutefois qu’il ait déposé une telle demande.

 

[90]          Dans sa correspondance du 26 octobre 2016, où il fait état de l’argumentation qu’il prévoyait présenter à la Régie lors de la rencontre préparatoire du 2 novembre 2016, le Distributeur affirme que sa demande réamendée ne constitue pas une demande en révision de la Décision. Il mentionne notamment qu’il est en « mode communication » avec son régulateur, plutôt qu’en mode « demande »[57], à la suite du constat que lorsque appliquée, la Méthode ne satisfait pas à certains principes établis dans la Décision.

 

[91]          La Régie ne souscrit pas à cette position d’Énergir. Elle est d’avis que la conclusion lui demandant de « prendre acte » d’ajustements possibles à la Méthode dans sa 3e Demande réamendée est de la nature d’une demande en révision de la Décision.

 

[92]          La Régie juge qu’à sa face même, la demande d’ajustements d’Énergir vise à modifier la Méthode retenue dans la Décision de telle sorte qu’elle produise des résultats similaires à ceux qu’aurait donnés la « méthode du réseau de taille minimale modifiée », proposée par le Distributeur dans sa demande initiale et que la Régie a rejetée[58].

 

[93]          En somme, Énergir demande à la Régie de remplacer un paramètre fixé par une décision finale[59]. Or, la Régie a analysé avec soin chacune des méthodes proposées et a exposé en détail dans la Décision le raisonnement qui l’a conduit à retenir la Méthode et à fixer la capacité assignée à 30 m3-jour par client. L’analyse de la Régie est fondée sur des faits et des preuves d’experts et cette analyse étoffée a résulté en une décision motivée et documentée.

 

[94]          La Régie rappelle que l’article 40 de la Loi stipule que ses décisions sont sans appel et ce n’est que dans les cas prévus à l’article 37 de la Loi que celles-ci peuvent faire l’objet d’une révision.

 

« 40. Les décisions rendues par la Régie sont sans appel ».

 

« 37. La Régie peut d’office ou sur demande réviser ou révoquer toute décision qu’elle a rendue:

1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2° lorsqu’une personne intéressée à l’affaire n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, présenter ses observations;

3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Avant de réviser ou de révoquer une décision, la Régie doit permettre aux personnes concernées de présenter leurs observations.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision ne peut être révisée ou révoquée par les régisseurs qui l’ont rendue ».

 

[95]          Ainsi, dans l’éventualité où un participant aurait considéré que la Décision pouvait être remise en question, la demande en révision en vertu de l’article 37 de la Loi aurait été le véhicule approprié et non pas une demande réamendée, qui recherche indirectement, par ses conclusions, le même résultat qu’une demande en révision.

 

[96]          La Régie a cependant reconnu dans la décision D-2016-178, à l’instar de tous les participants à la rencontre préparatoire, que si elle découvrait que des ajustements étaient requis, le présent dossier constituerait le meilleur forum pour en traiter. Toutefois elle a énoncé clairement au paragraphe 44 de cette décision, à quelles conditions elle procéderait ainsi.

 

[97]          La Régie reconnaît que son mode procédural est plus souple que celui des tribunaux de droit commun. Elle est toutefois d’avis que le « mode de communication » choisi par Énergir en l’instance n’est pas une approche appropriée lorsqu’il est question de remettre en cause une ordonnance fondamentale d’une décision finale, particulièrement dans le contexte propre au présent dossier.

 

[98]          La FCEI propose à la Régie de faire preuve de flexibilité et de juger recevable la demande réamendée afin de la traiter dans le présent dossier[60]. L’ACIG est de cet avis[61], tout comme SÉ-AQLPA, qui ajoute que la Régie a un pouvoir réglementaire qui s’exerce en continu, lui permettant de modifier, même d’office, notamment les principes réglementaires qu’elle édicte[62].

 

[99]          Bien que la Régie exerce effectivement ses pouvoirs réglementaires en continu et qu’à cet effet, il lui est possible de faire preuve de souplesse et de revoir de son propre chef les décisions qu’elle a rendues, elle est d’avis qu’il n’est pas approprié de le faire dans le cas présent, eu égard au contexte particulier du présent dossier et à son importance. Pour ces raisons et en tenant compte de l’intérêt public, la Régie considère que l’Étude ayant fait l’objet d’autant de réflexion doit être appliquée et produire pleinement ses effets durant plusieurs exercices tarifaires avant qu’il ne soit opportun d’envisager de la modifier.

 

[100]     Dans le présent dossier, la Régie a non seulement rendu une décision finale, la décision D‑2016-100, mais elle a confirmé, par ses décisions D-2017-063 et D‑2017-134, que l’Étude mise à jour est conforme aux ordonnances de la Décision. Cette conformité s’entend au sens où le fond et les principes établis dans la Décision sont indissociables. La Régie rappelle à cet effet qu’elle a référé à de nombreuses reprises, dans la Décision, aux principes fondamentaux qui sous-tendent cette dernière et qui ont guidé son analyse de la conformité de l’Étude :

 

« [273] Pour l’ensemble de ces motifs, la Régie considère que la méthode du réseau de taille minimale modifiée ne reflète pas adéquatement les relations causales entre les coûts des conduites de distribution et les facteurs inducteurs de ces coûts. En conséquence, elle juge que cette méthode ne satisfait pas au principe de respect de la causalité des coûts » [nous soulignons]

 

« [280] En conséquence, la Régie juge que la méthode du réseau de taille minimale modifiée proposée par le Distributeur ne satisfait pas à deux des principes retenus précédemment. Elle rejette donc la méthode proposée pour établir la composante accès des conduites de distribution ». [nous soulignons]

 

« [313] La Régie a pris connaissance du point de vue de trois experts sur les méthodes de classification des conduites principales. Comme l’a souligné Gaz Métro, le dossier est constitué d’une preuve étoffée [note de bas de page omise]. Tenant compte de ces différentes opinions, des lacunes des bases de données dont dispose le Distributeur et du contexte particulier dans lequel ce dernier évolue, la Régie veut retenir une méthode qui respecte les principes retenus précédemment ». [nous soulignons]

 

« [323] En conclusion, la Régie est d’avis que la méthode de l’allocation directe serait la méthode qui reflèterait le mieux la causalité des coûts et permettrait un partage équitable des économies et déséconomies d’échelle entre les catégories de clients. Toutefois, elle considère que cette méthode est impraticable tenant compte des carences de la BDC. De plus, elle nécessiterait une adaptation pour y introduire une composante accès ». [nous soulignons]

 

« [350] La Régie conclut que les méthodes de l’intercepte zéro et de l’expert Chernick ne reflètent pas adéquatement la causalité des coûts et ne tiennent pas compte du contexte particulier du réseau de Gaz Métro. De même, elles ne permettent pas un partage équitable des économies d’échelle entre les différentes catégories de clientèle. La Régie ne peut donc retenir ces méthodes ». [nous soulignons]

 

« [376] La Régie est d’avis qu’une méthode dérivée de la méthode 100 % capacité, mais qui fixe une valeur non nulle de la composante accès à partir d’une capacité minimale à allouer à chacun des clients, produira des résultats satisfaisants quant au respect de la causalité des coûts et du partage équitable des économies et déséconomies d’échelle ». [nous soulignons]

 

« [383] Pour ces motifs, la Régie juge que la Méthode retenue satisfait aux principes énoncés précédemment. En conséquence, elle ordonne au Distributeur d’utiliser la Méthode retenue aux fins de la classification des conduites de distribution »[63]. [nous soulignons]

 

[101]     Au surplus, la Régie réitère que la Décision a été rendue à l’issue d’un débat public complet, impliquant des experts chevronnés, un nombre important de DDR, des audiences et un nombre impressionnant d’heures de travail de la part des participants et de la Régie.

 

[102]     Dans l’exercice de ses fonctions, en vertu de l’article 5 de la Loi, la Régie doit concilier l’intérêt public, la protection des consommateurs et un traitement équitable des distributeurs. En l’instance, elle est convaincue que rouvrir un tel débat dans le but de « prendre acte » d’ajustements possibles à la Méthode va manifestement à l’encontre de l’intérêt public.

 

[103]     Pour l’ensemble des motifs énoncés ci-dessus, la Régie juge irrecevable la conclusion recherchée de la 3e Demande réamendée traitant des ajustements possibles à la Méthode.

 

[104]     Dans sa plaidoirie, Énergir fait valoir une position subsidiaire, dans le cas où la Régie conclurait que la Décision est une décision finale. Cet argument est à l’effet que la Régie peut d’office réviser la Décision en vertu du paragraphe 1 de l’alinéa 1 de l’article 37 de la Loi, en raison de la découverte d’un fait nouveau.

 

[105]     La Régie souligne que même si elle avait conclu que la Décision n’est pas finale et que la 3e Demande réamendée est recevable, elle ne souscrit pas à la position subsidiaire d’Énergir et ne déclenchera pas, d’office, une révision de la Décision en vertu du premier paragraphe de l’alinéa 1 de l’article 37 de la Loi. À cet égard, la Régie réitère la décision D-2016-178 dans laquelle elle indique que :

 

« [43] En ce qui a trait à l’autre volet de la 2e Demande réamendée, qui concerne les ajustements possibles à la Méthode proposés par le Distributeur, la Régie a pris bonne note des commentaires formulés lors de la rencontre préparatoire. Elle constate, par ailleurs, une certaine unanimité sur le fait qu’il n’y a pas lieu de revoir l’ensemble des sujets traités dans la Décision.

 

[44] Si, à la lumière des résultats de l’Étude mise à jour, la Régie considère que ceux-ci ne satisfont pas aux principes qu’elle a retenus et à l’esprit de la Décision, et si elle juge qu’il y a lieu de reconsidérer certains paramètres de la Méthode, elle en informera les participants et établira la procédure appropriée à cette reconsidération. À l’instar de plusieurs participants, la Régie est d’avis qu’il serait plus opportun et efficient que cet examen se fasse dans le cadre du présent dossier »[64]. [nous soulignons]

 

[106]     Dans cette décision, la Régie évoquait la possibilité que, de sa propre initiative et à sa discrétion, à la suite de l’analyse de l’Étude mise à jour, si elle considérait qu’il y a lieu de revoir certains paramètres de la Méthode, elle en informerait les participants. C’est donc dans le cas prévu au paragraphe 44, cité ci-haut, que la Régie se réservait cette option, et que, le cas échéant, elle prendrait les mesures pour en informer les participants et enclencher ce processus.

 

[107]     Or, la Régie n’a pas constaté d’incongruité dans les résultats de l’Étude mise à jour. Au contraire, elle considère que les résultats de l’Étude, notamment ceux produits par la Méthode, sont dans l’ordre de grandeur qu’elle avait elle-même illustré au Graphique 7 de la Décision[65]. Les conditions à la reconsidération qu’elle a édictées au paragraphe 44 de la Décision n’ont donc pas été satisfaites. D’ailleurs, dans ses décisions D-2017-063 et D-2017-134, elle a jugé l’Étude mise à jour conforme à la Décision.

 

[108]     En conséquence, la Régie juge que les conditions établies au paragraphe 44 de la décision D-2016-178, permettant de donner ouverture à une reconsidération de certains paramètres de l’Étude, n’ont pas été satisfaites.

 

[109]     Pour ces motifs,

 


La Régie de l’énergie :

 

DÉCLARE IRRECEVABLE la conclusion recherchée de la 3e Demande réamendée traitant des ajustements possibles à la Méthode.

 

 

 

 

Laurent Pilotto

Régisseur

 

 

 

 

Marc Turgeon

Régisseur

 

 

 

 

Louise Pelletier

Régisseur


Représentants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG) représentée par Me Guy Sarault;

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI) représentée par Me André Turmel;

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME) représenté par Me Geneviève Paquet;

Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ) représenté par Me Franklin S. Gertler;

Énergir représentée par Me Hugo Sigouin-Plasse;

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ-AQLPA) représenté par Me Dominique Neuman;

TransCanada Energy Ltd. (TCE) représentée par Me Pierre D. Grenier;

Union des consommateurs (UC) représentée par Me Hélène Sicard;

Union des municipalités du Québec (UMQ) représentée par Me Raphaël Lescop.

 



[1]        Décision D-2014-011.

[2]        Décision D-2016-100.

[3]        Décision D-2016-100, p. 171 et 172.

[4]        2e Demande réamendée.

[5]        Décision D-2016-178.

[6]        Décision D-2017-063.

[7]        Décision D-2017-063, p. 6, et Annexe, p. 30.

[8]        3e Demande réamendée.

[9]        Décision D-2017-134.

[10]       Pièce A-0186, p. 57 et 119.

[11]       RLRQ, c. R-6.01.

[12]       Pièce B-0430, par. 1.

[13]       Pièce B-0431.

[14]       Pièce A-0186, p. 25.

[15]       Pièce B-0430, p. 2.

[16]       Chandler c. Alberta Association of Architects, (1989) 2 R.C.S. 848, p. 850.

[17]       Pièce B-0430, par. 6.

[18]       Pièce B-0430, par. 17.

[19]       Pièce B-0430, par. 21.

[20]       Pièce A-0186, p. 44 et 45.

[21]       Pièce A-0186, p. 45.

[22]       Pièce A-0186, p. 69.

[23]       Pièce B-0430, par. 56 et 57.

[24]       Pièce B-0430, par. 63.

[25]       Pièce A-0186, p. 99.

[26]       Pièce C-ACIG-0051.

[27]       Pièce C-ACIG-0079.

[28]       Pièce C-ACIG-0097, p. 2.

[29]       Décision D-2016-178, p. 11.

[30]       Pièce A-0186, p. 123.

[31]       Pièce A-0186, p. 127.

[32]       Pièce C-ROEÉ-0133, p. 5.

[33]       Pièce C-ROEÉ-0133, p. 6.

[34]       Pièce A-0186, p. 184 et 185.

[35]       Pièce A-0186, p. 183.

[36]       Pièce A-0186, p. 179.

[37]       Pièce A-0186, p. 180.

[38]       Chandler c. Alberta Association of Architects, (1989) 2 R.C.S. 848.

[39]       Pièce A-0186, p. 208.

[40]       Pièce A-0186, p. 209 et 210.

[41]       Pièce A-0186, p. 209.

[42]       Pièce C-SÉ-AQLPA-0064, p. 8.

[43]       Pièce C-SÉ-AQLPA-0064, p. 9.

[44]       Pièce A-0186, p. 132 et 133.

[45]       Pièce A-0186, p. 146 et 147.

[46]       Pièce A-0186, p. 155.

[47]       Pièce A-0186, p. 156.

[48]       Pièce A-0060.

[49]       Pages 11 et 12.

[50]       Pièce A-0085.

[51]       Page 6.

[52]       Pièce B-0312.

[53]       Pièce B-0431.

[54]       Pièce B-0028.

[55]       Pièce B-0355, p. 2.

[56]       H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e édition, Wilson & Lafleur, p. 470.

[57]       Pièce B-0154.

[58]       Décision D-2016-100, p. 102.

[59]       Énergir suggère dans sa 3e Demande réamendée d’ajuster la capacité assignée à 1 200 m3jour par client. Sa « méthode du réseau de taille minimale modifiée », rejetée par la Décision, équivalait à une capacité assignée de 692 m3jour par client. La Décision a fixé la capacité assignée à 30 m3-jour par client.

[60]       Pièce A-0186, p. 124.

[61]       Pièce A-0186, p. 96.

[62]       Pièce C-SÉ-AQLPA-0020, p. 9.

[63]       Pages 77, 78, 88, 90, 96, 100, 101 et 103.

[64]       Pages 11 et 12.

[65]       Décision D-2016-100, p. 103.

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