Régie de l'énergie du Québec

Informations sur la décision

Résumé :

Le 21 avril 2017, Gazifère Inc. (Gazifère ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie), en vertu des articles 31 (1°) (5°), 32, 34, 48, 49, 72 et 73 de la Loi sur la Régie de l’énergie[1] (la Loi), de l’article 1 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie[2] et de l’article 4 du Règlement sur la teneur et la périodicité du plan d’approvisionnement[3], une demande relative à la fermeture réglementaire de ses livres pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, à l’approbation de son plan d’approvisionnement et à la modification de ses tarifs à compter du 1er janvier 2018 (la Demande).

Contenu de la décision

 

QUÉBEC                                                                             RÉGIE DE L’ÉNERGIE

 

 

 

D-2017-062

R-4003-2017

19 juin 2017

 

 

 

 

 

PRÉSENTES :

 

Louise Rozon

Louise Pelletier

Françoise Gagnon

Régisseurs

 

 

Gazière Inc.

Demanderesse

 

et

 

Intervenants dont les noms apparaissent ci-après

 

 

Décision relative à la demande interlocutoire de Gazifère Inc.

 

Demande relative à la fermeture réglementaire des livres pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, à l’approbation du plan d’approvisionnement et à la modification des tarifs à compter du 1er janvier 2018

 



Intervenants :

 

Association coopérative d’économie familiale de l’Outaouais (ACEFO);

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG);

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI);

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME);

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ-AQLPA).

 


1.            DEMANDe

 

[1]             Le 21 avril 2017, Gazifère Inc. (Gazifère ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie), en vertu des articles 31 (1°) (5°), 32, 34, 48, 49, 72 et 73 de la Loi sur la Régie de l’énergie[1] (la Loi), de l’article 1 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie[2] et de l’article 4 du Règlement sur la teneur et la périodicité du plan d’approvisionnement[3], une demande relative à la fermeture réglementaire de ses livres pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2016, à l’approbation de son plan d’approvisionnement et à la modification de ses tarifs à compter du 1er janvier 2018 (la Demande).

 

[2]             Le 24 avril 2017, la Régie rend sa décision D-2017-048[4] (la Décision) par laquelle, notamment, elle accueille la proposition de Gazifère de procéder à l’examen de la Demande en deux phases et fixe l’échéancier pour le dépôt des demandes d’intervention.

 

[3]             La première phase porte sur la fermeture réglementaire des livres pour la période se terminant le 31 décembre 2016. La deuxième phase porte sur l’approbation du plan d’approvisionnement, l’allocation des coûts pour les services rendus par les compagnies affiliées et entre les activités réglementées et non réglementées de Gazifère, le service‑T de Dawn et l’établissement du revenu requis pour l’exercice 2018 ainsi que sur les modifications aux tarifs et au texte des Conditions de service et Tarif.

 

[4]             Le 11 mai 2017, Gazifère dépose une demande interlocutoire afin de faire approuver la création de deux comptes de frais reportés (CFR) pour comptabiliser les dépenses exceptionnelles qu’elle a encourues depuis le 1er mai 2017 afin d’assurer la sécurité de ses clients directement affectés par les importantes inondations qui ont sévi dans la région de l’Outaouais (la Demande interlocutoire). Eu égard aux circonstances, Gazifère demande à la Régie de statuer de façon prioritaire sur cette demande.

 

[5]             Le 24 mai 2017, la Régie rend sa décision D-2017-055 par laquelle, notamment, elle fixe l’échéancier de traitement de la Demande interlocutoire. Aucun intervenant reconnu au dossier n’a formulé de commentaire dans les délais indiqués.

 

[6]             Dans la présente décision, la Régie se prononce sur la création de deux CFR pour les coûts découlant des inondations.

 

 

 

2.             Position du distributeur

 

[7]             Gazifère demande l’autorisation de créer un CFR hors base de tarification de type compte d’écart et de report (CER) et un CFR hors base de tarification de type compte relié à des investissements (CRI) afin de comptabiliser les dépenses d’exploitation et en capital encourues et à encourir par elle pendant la période du 1er mai 2017 au 31 décembre 2017 pour assurer la sécurité de ses clients touchés par les inondations dans la Ville de Gatineau.

 

[8]             Dans son témoignage écrit[5], le témoin du Distributeur indique que les coûts accumulés dans ces comptes seront soumis pour approbation par la Régie dans le cadre du dossier portant sur la fermeture de ses livres pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2017. Une proposition visant la récupération de ces coûts dans les tarifs de l’année 2019 sera soumise dans le cadre du même dossier, soit le dossier tarifaire 2019.

 

[9]             Au soutien de la demande de création des CFR, Gazifère soumet qu’elle ne dispose pas d’un fonds de réserve dans ses budgets pour faire face à des situations d’urgence de cette nature et de cette ampleur, contrairement aux situations d’urgence.

 

[10]         La situation actuelle est différente des situations d’urgence pouvant survenir dans le cadre de ses opérations courantes, qui sont de courte durée. Gazifère souligne que, dans le cas présent, elle a déjà dû encourir des dépenses importantes pour assurer la sécurité de ses clients et qu’il est à prévoir qu’elle continuera à encourir des coûts importants pendant une période qu’elle n’est pas en mesure de déterminer avec précision à ce stade. Ces coûts n’ont pas été budgétés et il appert qu’ils ne pourront vraisemblablement pas être récupérés via les assurances dont bénéficie Gazifère.

 

[11]         En ce qui a trait à la date de création du CER et du CRI au 1er mai 2017, Gazifère mentionne qu’il ne lui était pas possible de prévoir de telles inondations et encore moins leur ampleur et les impacts qu’elles auraient sur ses clients et, par incidence, sur ses opérations. Le Distributeur n’était donc pas en mesure de prévoir la nécessité, ni même d’envisager la possibilité de demander la mise en place de tels comptes, considérant qu’il s’agit d’une situation d’urgence.

 

[12]         Eu égard à ces circonstances particulières, Gazifère soumet qu’elle a agi avec diligence en avisant la Régie par lettre datée du 10 mai 2017, soit quelques jours après le début des inondations, de son intention de soumettre la présente Demande interlocutoire.

 

Nature des dépenses exceptionnelles

 

[13]         Gazifère a mis sur pied, dès le début du mois de mai, une équipe d’intervention disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour mener divers travaux et a rendu disponibles des ressources additionnelles au service à la clientèle et aux communications.

 

[14]         Le Distributeur ajoute que les coûts exceptionnels auxquels Gazifère réfère, et qui font l’objet de la présente Demande interlocutoire, comprennent les frais de déplacements, d’hébergement et de repas des personnes qui sont responsables d’effectuer les divers travaux permettant d’assurer la sécurité des clients touchés par ces inondations.

 

[15]         Ces coûts comprennent également les coûts qui seront facturés à Gazifère pour le temps des ressources externes qui se sont déplacées pour lui prêter main-forte ainsi que les heures supplémentaires qu’elle devra payer à ses employés, en surplus de leurs salaires usuels.

 

 

 

3.             opinion de la Régie

 

[16]         La Régie a, à de nombreuses reprises, autorisé la création de CFR, lesquels constituent des « […] outil réglementaire auquel les organismes réglementaires ont recours en diverses circonstances et pour des objectifs spécifiques »[6].

 

[17]         Gazifère demande, le 11 mai 2017, la création de CFR afin de comptabiliser des dépenses encourues et à encourir, pour la période du 1er mai 2017 au 31 décembre 2017.

[18]         Or, tel que précisé dans la décision D-2000-222[7], le système d’approbation des tarifs en vigueur à la Régie est, de manière générale, de nature prospective. La Régie applique donc, de manière générale, le principe de non-rétroactivité tarifaire, tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada dans Bell Canada c. CRTC[8], au sens où elle considère qu’elle ne pourrait pas rendre « des ordonnances applicables à des périodes antérieures à la décision finale ».

 

[19]         À cet effet, le principe de non-rétroactivité a été établi afin d’éviter que la stabilité financière des services publics réglementés soit ébranlée, avec toutes les conséquences prévisibles sur le service à rendre aux usagers, si les tarifs connaissaient des variations.

 

[20]         Dans le cas présent, l’ordonnance finale créant les CFR vise, entre autre, la récupération de sommes engagées avant le dépôt de la demande le 11 mai 2017, soit depuis le 1er mai 2017. Bien que la demande de création des CFR soit contemporaine aux événements survenus à compter du 1er mai 2017, il pourrait s’agir de rétroactivité tarifaire si l’on se fie à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Métro-Richelieu Inc. c. Collin[9], qui distingue les principes de rétroactivité tarifaire et de rétrospectivité tarifaire:

 

« 46 En effet, les principes de rétroactivité, d’application immédiate et de rétrospectivité des lois nouvelles ne doivent pas être confondus. Il n’y a pas de rétroactivité lorsqu’une loi nouvelle s’applique à une situation constituée d’un ensemble de faits survenus avant et après l’entrée en vigueur du nouveau texte de loi ou à des effets juridiques qui chevauchent cette date (Côté, op. cit., p. 220). Lorsque des faits sont en cours au moment de son entrée en vigueur, la loi nouvelle s’applique selon le principe de l’application immédiate, c’est-à-dire qu’elle régit le déroulement futur de la situation juridique (Côté, op. cit., p. 191 et suiv.). Si les effets juridiques sont en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, le principe de la rétrospectivité s’applique. Selon ce principe, la loi nouvelle régit les conséquences futures de faits accomplis avant son entrée en vigueur, sans toutefois modifier les effets qui se sont produits avant cette date (Côté, op. cit., p. 167 et suiv., et p. 245 et suiv.). Dans le cas où elle vient modifier ces effets antérieurs, la loi nouvelle a un effet rétroactif (Côté, op. cit., p. 167 et suiv.).[...] ».

 

[21]         Or, il existe toutefois certaines circonstances pour lesquelles il est possible de déroger au principe de non-rétroactivité tarifaire.

 

[22]         Par exemple, dans le cadre du dossier R-3854-2013, la Régie a jugé pertinent d’appliquer une exception au principe de non-rétroactivité des tarifs, compte tenu des circonstances particulières et exceptionnelles du Projet de lecture à distance d’Hydro-Québec Distribution :

 

« [...] un projet de très grande envergure pour le Distributeur. Ce projet consiste en effet à remplacer 3,8 millions de compteurs électromécaniques et électroniques utilisés pour mesurer la consommation de ses clients par des [compteurs de nouvelle génération] CNG, sur tout le territoire du Québec »[10].

 

[23]         Dans cette décision, la Régie a accepté de déroger au principe de non-rétroactivité tarifaire en raison de l’envergure du projet, du fait que les frais payés par les clients ayant adhéré à l’option de retrait n’avaient finalement pas tous été engagés par le Distributeur, et du fait que la période visée par cette modification rétroactive des tarifs était relativement courte et que le nombre de clients du Distributeur qui seraient touchés par cette décision était peu élevé. La Régie a également pris en compte le Décret concernant les préoccupations économiques, sociales et environnementales indiquées à la Régie se rapportant à la tarification relative à l’Option de retrait[11] et a jugé que le fait de modifier rétroactivement les tarifs prenait en compte les préoccupations émises par le gouvernement dans ledit décret.

 

[24]         Puis, aux États-Unis, la Public Service Commission of Utah a indiqué que des dépenses extraordinaires et imprévisibles pouvaient être considérées comme étant des circonstances exceptionnelles menant à l’application d’une exception au principe de non‑rétroactivité des tarifs :

 

« Another exception to the rule against retroactivity is the extraordinary circumstance exception derived from U.S. case law. In essence the exception is that retroactive ratemaking is allowed when there are extraordinary and unforeseeable expenses or revenues. This is because by definition the extraordinary and unforeseeable expenses or revenues cannot be taken into account in the ratemaking process and "justice and equity require that adjustments be made for unforeseen windfalls or disasters not caused by the utility »[12].

 

[25]         Également, la Utah Supreme Court concluait qu’un désastre naturel peut constituer une circonstance exceptionnelle et imprévisible:

 

« A number of courts have recognized the exception for unforeseeable and extraordinary increases in a utility's expenses. Increased expenses from natural disasters, such as extreme weather conditions, and other extraordinary events are the typical bases for the exception »[13].

 

[26]         La Régie est d’avis que les inondations survenues dans la Ville de Gatineau constituent une circonstance exceptionnelle, imprévisible et hors du contrôle de Gazifère.

 

[27]          À cet effet, la Régie note que le Distributeur a fait preuve de diligence dans la gestion de la situation en informant la Régie par lettre, dès le 10 mai 2017, qu’elle avait encouru, depuis le 1er mai 2017, des dépenses exceptionnelles pour assurer la sécurité de ses clients dans le contexte des inondations. Ainsi, elle a rapidement déposé une demande interlocutoire, le 11 mai 2017, pour la création de deux CFR pour recouvrir ces dépenses.

 

[28]         Dans un tel contexte, la Régie est d’avis qu’un tel évènement justifie d’appliquer une exception au principe de non-rétroactivité des tarifs, d’autant plus qu’il ne s’est écoulé qu’environ 10 jours entre la date demandée pour la création des CFR (le 1er mai 2017) et le dépôt de la Demande interlocutoire. Finalement, aucun intervenant ne s’est opposé à cette demande du Distributeur.

 

[29]         La Régie autorise donc la création des deux CFR demandés et autorise Gazifère à y comptabiliser les dépenses encourues et à encourir dans le cadre des opérations urgentes en lien avec les inondations de la région de l’Outaouais et nécessaires au maintien de la sécurité des clients, pour la période du 1er mai 2017 au 31 décembre 2017.

 


[30]         Pour ces motifs,

 

La Régie de l’énergie :

 

ACCUEILLE la demande interlocutoire de Gazifère;

 

APPROUVE la création d’un compte de frais reportés hors base de tarification de type compte d’écart et de report afin de comptabiliser les dépenses d’exploitation encourues et à encourir par Gazifère pendant la période du 1er mai 2017 au 31 décembre 2017;

 

APPROUVE la création d’un compte de frais reportés hors base de tarification de type compte relié à des investissements afin de comptabiliser les dépenses en capital encourues et à encourir par Gazifère pendant la période du 1er mai 2017 au 31 décembre 2017.

 

 

 

 

 

Louise Rozon

Régisseur

 

 

 

 

 

Louise Pelletier

Régisseur

 

 

 

 

 

Françoise Gagnon

Régisseur


Représentants :

 

Association coopérative d’économie familiale de l’Outaouais (ACEFO) représentée par MSteve Cadrin;

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG) représentée par MGuy Sarault;

Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (section Québec) (FCEI) représentée par Me Pierre-Olivier Charlebois;

Gazifère Inc. (Gazifère) représentée par Me Louise Tremblay;

Groupe de recherche appliquée en macroécologie (GRAME) représenté par MGeneviève Paquet;

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ-AQLPA) représenté par Me Dominique Neuman.



[1]        RLRQ, c. R-6.01.

[2]        RLRQ, c. R-6.01, r. 2.

[3]        RLRQ, c. R-6.01, r. 8.

[4]        Décision D-2017-048.

[5]        Pièce B-0111.

[6]        Décision D-2004-47, p. 3.

[7]        Dossier R-3401-98.

[8]        Bell Canada c. CRTC, [1989] 1 R.C.S., 1722, p. 1758.

[9]        Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc., division « Éconogros » c. Collin, 2004 CSC 59 (CanLII).

[10]       Décision D-2014-164, p. 17, par. 59.

[11]       Décret 1326-2013.

[12]       Before the Public Service Commission of Utah, Docket no. 88-049-18 (August 31, 1998).

[13]       MCI Telecomminications v. PSC, 840 P.2d 765 (Utah 1992).

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