Régie de l'énergie du Québec

Informations sur la décision

Résumé :

Le 10 octobre 2014, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie), en vertu des articles 31 (5º), 73 al. 1, par. 1°, de la Loi sur la Régie de l’énergie (la Loi) et de l’article 1 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie (le Règlement), une demande pour le raccordement de la ville de Saint-Hyacinthe (la Ville) à des fins d’injection et pour l’établissement de certains taux (la Demande).

Contenu de la décision

 

QUÉBEC                                                                                              RÉGIE DE L’ÉNERGIE

 

 

 

D-2015-010

R-3909-2014

10 février 2015

 

 

 

 

 

PRÉSENTS :

 

Pierre Méthé

Louise Pelletier

Bernard Houle

Régisseurs

 

 

Société en commandite Gaz Métro

Demanderesse

 

et

 

Intervenants dont les noms apparaissent ci-après

 

 

Décision interlocutoire

 

Demande de Société en commandite Gaz Métro relative à un projet d’investissement pour le raccordement de la ville de Saint-Hyacinthe à des fins d’injection et à l’établissement de certains taux



Intervenants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG);

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ-AQLPA).

 


1.            Introduction

 

[1]             Le 10 octobre 2014, Société en commandite Gaz Métro (Gaz Métro ou le Distributeur) dépose à la Régie de l’énergie (la Régie), en vertu des articles 31 (5º), 73 al. 1, par. 1°, de la Loi sur la Régie de l’énergie[1] (la Loi) et de l’article 1 du Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l’énergie[2] (le Règlement), une demande pour le raccordement de la ville de Saint-Hyacinthe (la Ville) à des fins d’injection et pour l’établissement de certains taux (la Demande).

 

[2]             Le 18 novembre 2014, la Régie rend sa décision D-2014-197 par laquelle elle met en place la procédure encadrant le déroulement du présent dossier. La Régie y indique, dans les termes suivants, qu’elle doit déterminer au préalable si la Demande est recevable :

 

« [8]  Gaz Métro demande l’autorisation de la Régie en vue de construire une conduite de raccordement et un poste de réception (ou mesurage) afin d’acheminer le gaz produit par l’usine de biométhanisation de la Ville jusqu’à son réseau gazier existant. La demande est présentée par le Distributeur à titre de titulaire d’un droit exclusif de distribution de gaz naturel.

 

[9]  La Régie est d’avis qu’elle doit déterminer au préalable si la Demande concerne des installations en vue d’acheminer du gaz naturel au sens de la Loi, produit faisant l’objet du droit exclusif visé par l’article 63 de la Loi, et si elle entre dans le champ de compétence de la Régie en vertu de cette Loi.

 

[10] L’article 2 de cette Loi, stipule :

 

« 2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

[]

“gaz naturel”: le méthane à l’état gazeux ou liquide, à l’exception des biogaz et des gaz de synthèse ».

 

[11] Dans la décision D-2013-041, la Régie émettait ses préoccupations, à savoir si la conduite de raccordement envisagée dans le dossier R-3824-2012 servait au transport de gaz naturel au sens de la Loi et si cette conduite relevait du droit exclusif de distribution de Gaz Métro [note de bas de page omise].

 

[12] La Régie demande au Distributeur de produire, au plus tard le 3 décembre 2014, une preuve complémentaire permettant de déterminer si le gaz produit par le centre de biométhanisation de la Ville est du gaz naturel au sens de la Loi et de présenter sa position quant au fait que sa demande relève de la juridiction de la Régie en vertu de la Loi. »[3]

 

[3]             Le 19 novembre 2014, le gouvernement prend le décret 1012-2014 concernant les préoccupations économiques, sociales et environnementales indiquées à la Régie de l’énergie à l’égard des projets de raccordement des sites de production de gaz naturel renouvelable aux réseaux de distribution de gaz naturel.

 

[4]             Le 3 décembre 2014, Gaz Métro dépose une preuve complémentaire.

 

[5]             Le 5 décembre 2014, la Régie reçoit une demande d’intervention de l’ACIG et de SÉ‑AQLPA.

 

[6]             Le 12 décembre 2014, la Régie rend sa décision D-2014-209, par laquelle elle accorde le statut d’intervenant à l’ACIG et à SÉ-AQLPA.

 

[7]             Le 18 décembre 2014, l’ACIG dépose son argumentation sur la question de la recevabilité de la Demande. L’intervenante précise par ailleurs qu’à moins d’indication contraire de la part de la Régie, elle n’entend pas participer à l’audience qui portera sur la recevabilité de la Demande.

 

[8]             Le 19 décembre 2014, la Régie transmet une demande de renseignements à Gaz Métro, qui y répond le 8 janvier 2015.

 

[9]             Le 8 janvier 2015, la Régie reçoit les plans d’argumentation de Gaz Métro et de SÉ‑AQLPA.

 

[10]         Le 13 janvier 2015, la Régie tient une audience sur la recevabilité de la Demande.

 

[11]         Dans la présente décision, la Régie se prononce sur la recevabilité de la Demande.

 

 

 

2.            RECEVABILITÉ de la DEMANDE

 

[12]         Les participants au dossier sont tous d’avis que le gaz produit par la Ville et destiné à être injecté dans le réseau de Gaz Métro constitue du gaz naturel au sens de la Loi et par conséquent, que la Demande est recevable. La Régie résume ci-après les prétentions des participants.

 

GAZ MÉTRO

 

[13]         Gaz Métro soutient que le gaz produit par la Ville et destiné à être injecté dans son réseau constitue du gaz naturel au sens de la Loi. Une preuve technique a été administrée par le Distributeur à cet égard[4].

 

[14]         Dans cette preuve, Gaz Métro présente les caractéristiques particulières quant à la composition du biogaz et des gaz de synthèse, tous deux exclus de la définition de gaz naturel à l’article 2 de la Loi. Selon la preuve, ces caractéristiques étaient reconnues par l’industrie au moment de l’amendement apporté à l’article 2 de la Loi en 2006.

 

[15]         La preuve révèle également que l’une des particularités des biogaz et des gaz de synthèse est qu’ils sont difficilement commercialisables par l’intermédiaire d’un réseau de distribution de gaz naturel en raison de leur composition particulière. Leur commercialisation requiert des conduites dédiées et des équipements de combustion adaptés.

 

[16]         À cet égard, Gaz Métro précise que, préalablement au changement législatif[5], ces caractéristiques particulières quant à la composition du biogaz l’ont amenée à desservir l’usine de papiers Cascades de Saint-Jérôme, par l’intermédiaire d’une conduite dédiée acheminant le gaz produit au site d’enfouissement de Sainte-Sophie.

[17]         Le Distributeur présente ensuite le procédé de production de la Ville par lequel le biogaz (l’amalgame initial) est épuré, pour devenir presque exclusivement du méthane (CH4)[6].

 

[18]         Selon la preuve, la plupart des caractéristiques particulières du biogaz et des gaz de synthèse ne se retrouvent pas dans le produit issu de cette transformation.

 

[19]         Gaz Métro soumet que si le gaz produit par la Ville rencontre les spécifications prévues à l’article 16.5.4 des Conditions de service et Tarif de Gaz Métro[7] (le Gaz produit par la Ville), il constitue du gaz naturel au sens de la Loi. De plus, si le gaz ne rencontre pas ces spécifications, il sera refusé et retourné à son producteur.

 

[20]         En ce qui a trait aux spécifications prévues à l’article 16.5.4 des Conditions de service et Tarif pour que le gaz puisse être considéré comme du gaz naturel au sens de la Loi, le Distributeur indique plus particulièrement ce qui suit :

 

« Gaz Métro entend par « spécifications requises » celles prévues à l’article 16.5.4 des Conditions de service et Tarif, c’est-à-dire que le gaz doit rencontrer les critères de TransCanada Pipelines, Canadian Mainlines, lesquels comprennent maintenant les critères énoncés à la norme BNQ 3672-100/2012. Afin de rencontrer les « exigences opérationnelles du réseau », le gaz produit par la Ville de Saint-Hyacinthe doit rencontrer ces critères, tel que le prévoit d’ailleurs l’annexe C de l’entente de principe conclue avec la Ville de Saint‑Hyacinthe [Note de bas de page omise], qui reprend la norme BNQ 3672-100/2012. Dans le cas contraire, le gaz ne pourrait être commercialisé par l’intermédiaire du réseau de distribution et, comme précisé à la pièce B-0017, Gaz Métro-1, Document 3 (p. 6, ligne 17), requerrait des conduites dédiées et des équipements de combustion adaptés »[8].

 

[21]         La preuve de Gaz Métro démontre également qu’en 2006, au moment de l’entrée en vigueur de la modification apportée à la définition de l’expression « gaz naturel » à l’article 2 de la Loi, il n’existait pas, au Québec, de produit similaire au Gaz produit par la Ville[9].

 

Résumé des principaux arguments

 

[22]         Gaz Métro a présenté de nombreux arguments au soutien de ses prétentions, dont ceux mentionnés ci-après.

 

Le sens technique des mots

 

[23]         Les termes « biogaz » et « gaz de synthèse » sont des termes techniques et le sens technique, notamment celui employé par l’industrie, doit prévaloir sur le « langage courant ». En ce qui a trait à la signification technique de ces termes, Gaz Métro réfère à la preuve qu’il a produite au dossier.

 

La règle des mots associés

 

[24]         La règle d’interprétation des mots associés (noscitur a sociis) devrait être appliquée par la Régie pour cerner l’intention du législateur. À cet égard, Gaz Métro cite les extraits suivants :

 

« Le sens d’un terme peut être révélé par son association à d’autres termes : il est connu par ceux auquel il est associé (noscitur a sociis) »[10].

 

« Souvent, les mots ont le sens restreint de leur dénominateur commun général »[11].

 

[25]         Dans le présent cas, le sens du mot biogaz peut être révélé en recherchant les caractéristiques communes (ou le dénominateur commun) qu’il partage avec les « gaz de synthèse », auquel il est associé. Ces caractéristiques communes sont, selon le sens technique mis en preuve au dossier, les suivantes :

 

           ils ont une valeur calorifique (indice de Wobbe) largement inférieure à celle du gaz naturel;

           leur commercialisation requiert des conduites dédiées et des équipements de combustion adaptés;

           ils peuvent difficilement être distribués par l’intermédiaire d’un réseau de distribution de gaz naturel.

 

[26]         Gaz Métro, appliquant la règle d’interprétation des mots associés, soumet que ce sont ces caractéristiques communes qui ont amené le législateur à amender l’article 2 de la Loi en 2006, afin d’y introduire les exceptions - biogaz et gaz de synthèse - à la définition de gaz naturel.

 

[27]         Le Distributeur précise que le Gaz produit par la Ville ne présente aucune des caractéristiques communes au biogaz et au gaz de synthèse et qu’il n’est ainsi pas visé par ces exceptions.

 

[28]         Gaz Métro prétend que l’intention du législateur, lors de l’introduction des modifications à la Loi, était de déréglementer la distribution de mélanges gazeux (le biogaz et les gaz de synthèse) dont la composition chimique était telle que ces gaz ne pouvaient être facilement valorisés par le réseau de distribution de Gaz Métro, puisque nécessitant des conduites dédiées et des équipements de combustion adaptés. Or, le Gaz produit par la Ville serait parfaitement compatible avec le gaz présent dans le réseau du Distributeur.

 

Le type de gaz produit n’était pas une réalité de l’industrie en 2006

 

[29]         La preuve démontre qu’il n’existait pas, au Québec, en 2006, de produit similaire au Gaz produit par la Ville, au moment de l’entrée en vigueur de la modification législative apportée à l’article 2 de la Loi. Il est donc peu probable, selon Gaz Métro, que le législateur ait voulu exclure de la juridiction de la Régie un type de gaz parfaitement compatible au gaz naturel qui ne faisait pas partie de la réalité technologique et industrielle québécoise à cette époque.

 

Interprétation large et libérale de la règle – Préséance de la règle sur les exceptions

 

[30]         Selon les règles d’interprétation législative, la règle (par opposition à une exception) doit recevoir une interprétation large et libérale. Dans le cas présent, la règle prévue à l’article 2 de la Loi est à l’effet que du méthane à l’état gazeux ou liquide constitue du gaz naturel. En cas de doute ou d’ambiguïté quant à savoir si le gaz visé par la Demande est du gaz naturel, Gaz Métro est d’avis que la Loi doit être interprétée de manière à ce que ce soit la règle qui trouve application plutôt que les exceptions.

Les débats parlementaires

 

[31]         La volonté des élus identifiée par la Régie dans sa décision D‑2013‑041 serait également respectée si la Régie retenait l’interprétation suggérée par le Distributeur. Gaz Métro s’exprime comme suit sur ce point :

 

« En effet, la Régie peut conclure que la volonté du législateur était de réduire les effets indésirables associés aux émissions des biogaz et que cela requérait la déréglementation de la distribution d’un tel gaz puisque cette lutte contre les effets indésirables ne pouvait en 2006 (comme en 2014) être menée grâce à l’injection du biogaz dans les réseaux de distribution de gaz naturel, et ce, en raison de son incompatibilité avec le gaz naturel circulant dans ces réseaux;

 

Considérant une telle incompatibilité du biogaz avec son réseau de distribution de gaz naturel, il est donc manifeste que « Gaz Métro ne valoriserait pas les gaz (dont le méthane) en provenance des sites d’enfouissement » »[12].

 

Le décret 1012-2014

 

[32]         Gaz Métro soumet que « la Régie peut difficilement conclure que tout méthane est exclu de sa juridiction simplement en raison de son origine biologique. Une telle interprétation s’harmoniserait mal avec les termes du décret 1012-2014 »[13].

 

Préoccupations émises par la Régie dans sa décision D-2013-041

 

[33]         Gaz Métro rappelle, par ailleurs, que les préoccupations formulées par la Régie dans sa décision D-2013-041[14] constituent un obiter dictum qui ne saurait lier la présente formation dans le cadre de l’examen de la recevabilité de la Demande.

 

ACIG

 

[34]         L’ACIG est d’avis qu’une preuve technique et scientifique quant aux caractéristiques du produit sous étude est nécessaire afin de déterminer si le gaz visé par la Demande constitue du biogaz ou du gaz de synthèse.

[35]         L’intervenante convient que l’amalgame initial produit par la Ville constitue du biogaz. Cependant, elle est d’avis que la preuve complémentaire déposée par Gaz Métro démontre de façon scientifique que l’usine de traitement de la Ville parvient à transformer le biogaz en véritable gaz naturel, lequel rencontre les exigences prévues à l’article 16.5.4 des Conditions de service et Tarif et peut, dès lors, être intégré au réseau de distribution.

 

[36]         L’ACIG indique que le procédé de traitement parvient à extraire du biogaz les composants chimiques qui sont incompatibles avec la nature du véritable gaz naturel.

 

[37]         Pour ces motifs, l’intervenante est donc d’avis que la Régie a la juridiction nécessaire pour disposer de la Demande.

 

SÉ-AQLPA

 

[38]         SÉ-AQLPA est d’avis que la Demande est recevable, puisque le gaz qui y est visé constitue du gaz naturel au sens de la Loi. Au soutien de sa position, l’intervenant fait valoir plusieurs arguments, dont les suivants.

 

[39]         L’intervenant est d’avis que le Gaz produit par la Ville est du « biométhane » qu’il définit comme étant du méthane presque pur, fongible ou interchangeable avec le gaz naturel distribué dans le réseau de Gaz Métro, un produit distinct du biogaz. Il appuie son opinion sur différentes définitions du biogaz et du biométhane utilisées par l’industrie[15].

 

[40]         SÉ-AQLPA est d’avis que l’intention du législateur était d’exclure du droit exclusif des distributeurs gaziers les gaz impurs, à faible taux de méthane, non fongibles et non interchangeables avec le gaz naturel présent dans le réseau, soit les biogaz et les gaz de synthèse. Selon l’intervenant, le traitement législatif similaire, à l’article 2 de la Loi, des deux gaz impurs que sont le biogaz et le gaz de synthèse le démontre.

 

[41]         Le législateur ne pouvait, selon l’intervenant, avoir eu l’intention, lors de l’amendement législatif en 2006, d’exclure de la juridiction de la Régie le méthane issu du procédé de biométhanisation de la Ville, car ce procédé n’existait pas encore au Québec à cette époque.

 

[42]         Selon SÉ-AQLPA, l’intention du législateur, en 2006, était de corriger l’interprétation de la Loi donnée par la Régie dans sa décision D-2004-128[16]. La Régie avait alors statué que la Loi ne limitait pas le droit exclusif des distributeurs gaziers en fonction de la proportion de méthane contenu dans un mélange gazeux distribué et elle avait alors conclu que le biogaz visé était du gaz naturel.

 

[43]         L’intervenant est d’avis que l’interprétation de la Loi selon laquelle le mot biogaz ne vise que du gaz biologique qui serait resté non fongible (non interchangeable) est celle qui est la plus cohérente avec les grands principes du droit civil québécois, notamment celui portant sur les biens fongibles.

 

[44]         SÉ-AQLPA soumet également que l’interprétation de la Loi selon laquelle il est permis à Gaz Métro d’injecter du biométhane dans son réseau est celle qui respecte le plus les politiques énergétiques du gouvernement du Québec visant à favoriser l’essor du gaz naturel renouvelable issu du biogaz et à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

 

[45]         Il s’agit de plus, selon l’intervenant, de l’interprétation qui est la plus cohérente avec les notions de développement normal d’un réseau de distribution de gaz[17], d’intérêt public, de développement durable et d’équité[18]contenues à la Loi.

 

 

 

3.            OPINION de la Régie

 

[46]         La Régie doit déterminer si le Gaz produit par la Ville constitue du gaz naturel au sens de la Loi.

 

[47]         Après avoir examiné la preuve et les argumentations des participants, la Régie est d’avis que le Gaz produit par la Ville est effectivement du gaz naturel au sens de la Loi.

 


[48]         L’article 2 de la Loi, stipule :

 

« 2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

 

“gaz naturel”: le méthane à l’état gazeux ou liquide, à l’exception des biogaz et des gaz de synthèse ».

 

[49]         La preuve au dossier démontre que le Gaz produit par la Ville a une composition similaire au gaz naturel distribué par Gaz Métro. Ce gaz est composé principalement, voire presque exclusivement, de méthane (CH4) et il respecte les exigences quant à la composition du gaz naturel définies à l’article 16.5.4 des Conditions de service et Tarif et, par voie de conséquence, aux critères de TransCanada Pipelines Canadian Mainlines approuvés par l’Office national de l’énergie.

 

[50]         Comme le Gaz produit par la Ville est du méthane, il doit être considéré comme du gaz naturel au sens de l’article 2 de la Loi, à moins qu’il ne soit visé, en raison de son origine biologique, par l’exception qui y est prévue relative au biogaz.

 

[51]         La Régie est d’avis, pour les motifs qui suivent, que le Gaz produit par la Ville n’est pas visé par cette exception.

 

[52]         La Régie doit tenter de circonscrire l’intention du législateur lorsqu’il a introduit le mot biogaz à l’article 2 de la Loi.

 

[53]         Le sens technique du terme biogaz, mis en preuve par Gaz Métro dans le présent dossier, et les différents éléments contextuels mentionnés ci-après indiquent que ce mot ne vise pas le Gaz produit par la Ville, soit le méthane extrait du biogaz qui respecte les exigences quant à la composition du gaz naturel, tel que défini aux Conditions de service et Tarif de Gaz Métro.

 

[54]         Le mot biogaz vise plutôt un mélange gazeux d’origine biologique ayant une composition distincte du méthane distribué par Gaz Métro.

 

[55]         Dans le présent dossier, le Distributeur a administré une preuve visant à démontrer le sens technique du mot biogaz, tel qu’il était reconnu par l’industrie au moment de l’amendement législatif apporté, en 2006, à l’article 2 de la Loi.

[56]         Selon le sens technique du mot biogaz, il s’agit d’un mélange gazeux non purifié ayant une composition distincte du gaz naturel distribué par Gaz Métro. Plus particulièrement, la preuve établit ce qui suit à cet égard :

 

« Le biogaz, un gaz d’origine biologique produit par la fermentation de matières organiques en l’absence d’oxygène, est un amalgame composé notamment de méthane (CH4) (50-60 %) et de dioxyde de carbone (CO2) (35-40 %). Le biogaz, contrairement au gaz naturel, est toujours saturé d’eau, donc il est à 100 % d’humidité relative. De plus, selon l’origine des matières organiques, le biogaz, contrairement au gaz naturel, contiendra une vaste diversité de composants en trace, notamment des concentrations importantes de sulfure d’hydrogène (H2S). De plus, l’indice Wobbe du biogaz est d’environ 24 MJ/m³ alors qu’il est d’environ 50 MJ/m³ pour le gaz naturel. Ces caractéristiques du biogaz étaient reconnues par l’industrie au moment de l’amendement de l’article 2 de la Loi sur la Régie de l’énergie en 2006. D’ailleurs, préalablement au changement législatif, ces caractéristiques particulières quant à la composition du biogaz ont amené Gaz Métro à desservir Cascades, à Ste-Sophie, par l’intermédiaire d’une conduite dédiée, notamment pour les raisons ci-après énoncées.

 

Commercialisation

 

Une des principales particularités du biogaz est qu’il soit, contrairement au gaz naturel, difficilement commercialisable par l’intermédiaire des réseaux de distribution des utilités publiques en raison de sa composition. Sa commercialisation requiert donc des conduites dédiées et des équipements de combustion adaptés. En effet, l’infrastructure pour manipuler le biogaz a besoin de matériaux de construction capables de résister aux conditions corrosives causées par la concentration élevée de dioxyde de carbone (CO2) et du sulfure d’hydrogène (H2S) en présence d’un taux d’humidité élevé. Les équipements de combustion doivent donc être configurés pour un gaz ayant un pouvoir calorifique correspondant à un indice Wobbe équivalent à la moitié de celui du gaz naturel. Il est essentiel de considérer ces facteurs pour la conception d’un réseau de biogaz dédié »[19].

 


[57]         Ce sens technique est également reflété dans différents documents déposés au dossier qui décrivent le biogaz comme étant un gaz non purifié ayant une composition distincte du gaz naturel :

 

« 14.2.5 Le biogaz et le biométhane

 

Le biogaz est le produit de la fermentation de matières organiques animales ou végétales en l’absence d’oxygène. Il est composé à parts égales de méthane (CH4), principale composante du gaz naturel, et de dioxyde de carbone (CO2). Il contient aussi de l’azote (N2) et d’autres contaminants, selon son origine. Utilisé comme tel, le biogaz possède une capacité calorifique correspondant à environ 50 % de celle du gaz naturel. Il peut toutefois être épuré pour devenir du biométhane, identique au gaz naturel.

 

[…]

 

Définition de quelques termes importants utilisés par l’industrie

 

Biogaz : gaz non purifié produit durant le processus de digestion.

 

Biométhane : biogaz purifié qui peut être brûlé par l’équipement existant

 

[…]

 

Gaz Naturel Renouvelable ou biométhane : gaz issu de sources renouvelables (dont la biomasse) ayant des spécifications proches voire identiques au gaz naturel (environ 95 % méthane (CH4)

 

-            Doit respecter des caractéristiques précises (composition, notamment) pour être interchangeable avec le gaz naturel

Norme 3672-100\2012 du BNQ du 01/072012 Biométhane – Spécifications de la qualité pour injection dans les réseaux de distribution et de transport de gaz naturel

 

-            Différent du biogaz »[20].

[58]         L’emploi du mot biogaz dans les dispositions de la Loi sur la Stratégie énergétique indique également que le législateur envisageait le biogaz en tant que mélange gazeux ayant une composition distincte du gaz naturel distribué par Gaz Métro.

 

[59]         Le terme biogaz a été introduit dans la Loi par l’article 28 de la Loi sur la Stratégie énergétique. Cette loi prévoit les dispositions suivantes portant sur le biogaz :

 

« 28. L’article 2 de la Loi sur la Régie de l’énergie (RLRQ, chapitre R-6.01) est modifié par l’insertion, à la fin de la définition de « gaz naturel », de « à l’exception des biogaz et des gaz de synthèse ».

 

DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES

 

63. Un distributeur de biogaz provenant d’un lieu d’enfouissement, dans le cadre d’un projet dont la réalisation a été autorisée par la Régie avant le 13 décembre 2006, conserve son droit exclusif de distribution accordé en vertu de l’article 63 de la Loi sur la Régie de l’énergie.

 

Aux fins de l’application des dispositions de cette loi relatives à la fixation des tarifs et des conditions auxquels le gaz naturel est fourni, transporté ou livré par un distributeur de gaz naturel, le biogaz visé par le présent article est réputé être du gaz naturel ». [nous soulignons]

 

[60]         Le projet dont il est question à l’article 63 est celui autorisé par la Régie dans le cadre du dossier R-3532-2004, concernant le projet d’investissement visant à desservir l’usine de papiers Cascades de Saint-Jérôme en biogaz par une conduite dédiée en provenance du site d’enfouissement de Sainte-Sophie.

 

[61]         Le biogaz distribué dans le cadre de ce projet, et donc visé par la disposition législative précitée, est un biogaz qui correspond essentiellement au sens technique de ce terme, tel que décrit ci-haut, c’est-à-dire un mélange gazeux dont la proportion en méthane est d’environ 50 % et qui, en raison de sa composition particulière, requiert des conduites dédiées et des équipements de combustion adaptés pour pouvoir être distribué[21].

 

[62]         La Stratégie énergétique du Québec 2006-2015, L’énergie pour construire le Québec de demain (la Stratégie énergétique) qui a été mise en œuvre par la Loi sur la Stratégie énergétique décrit le biogaz comme étant un « mélange gazeux » qui « pourra être utilisé pour produire de la chaleur ou de l’électricité, ou pour alimenter des installations de cogénération »,[22] dont le gouvernement souhaite déréglementer la distribution, afin qu’elle ne soit plus soumise aux droits exclusifs des distributeurs gaziers, contrairement au gaz naturel.

 

[63]         La Régie partage l’avis de SÉ-AQLPA selon lequel il est probable que le législateur ait voulu remédier, par l’insertion du mot biogaz, aux conclusions tirées par la Régie dans sa décision D-2004-128[23].

 

[64]         Dans cette décision, la Régie concluait que le biogaz constituait du gaz naturel au sens de la Loi de l’époque et ce, malgré sa faible teneur en méthane par rapport à celle du gaz naturel distribué par Gaz Métro.

 

[65]         Il apparaît raisonnable de croire que le législateur ait voulu déréglementer la distribution des biogaz ayant une composition distincte du gaz naturel distribué par le Distributeur, dont une teneur en méthane plus faible.

 

[66]         Il paraît également peu probable que le législateur ait eu l’intention, par l’emploi du mot biogaz, de viser un gaz similaire à celui produit par la Ville, alors que selon la preuve « [u]n tel produit, c’est-à-dire un gaz issu du processus décrit ci-haut et susceptible d’être injecté dans le réseau de Gaz Métro, n’existait pas au Québec en 2006 au moment de l’entrée en vigueur de la modification apportée à la définition de « gaz naturel» à l’article 2 de la Loi sur la Régie de l’énergie »[24].

 

[67]         Finalement, la Régie constate que le mélange gazeux ou l’amalgame initial traité par la Ville constitue du biogaz au sens de la Loi.

 

[68]         Par ailleurs, la Régie constate aussi que le gaz issu du procédé de production de la Ville et destiné à être injecté dans le réseau de Gaz Métro est un produit fort différent de l’amalgame initial. Le biogaz a été purifié pour devenir du méthane ayant une composition similaire au gaz naturel distribué par Gaz Métro. Ce gaz rencontre les spécifications prévues aux Conditions de service et Tarif de Gaz Métro.

[69]         La Régie est donc d’avis que le Gaz produit par la Ville n’est pas du biogaz au sens de la Loi.

 

[70]         Pour ces motifs, la Régie est d’avis que le Gaz produit par la Ville est du gaz naturel au sens de la Loi, dans la mesure où il rencontre les exigences quant à la composition du gaz naturel prévues aux Conditions de service et Tarif de Gaz Métro.

 

[71]         La demande de Gaz Métro relève ainsi de la juridiction de la Régie et est recevable.

 

[72]         En regard de ces conclusions, la Régie procédera à l’étude au fond de la Demande et établira sous peu un calendrier à ces fins.

 

[73]         En conséquence,

 

La Régie de lénergie :

 

DÉCLARE la demande de Gaz Métro recevable.

 

 

 

Pierre Méthé

Régisseur

 

 

 

Louise Pelletier

Régisseur

 

 

 

Bernard Houle

Régisseur


Représentants :

 

Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG) représentée par Me Guy Sarault;

Société en commandite Gaz Métro représentée par Me Hugo Sigouin-Plasse;

Stratégies énergétiques et Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (SÉ-AQLPA) représenté par Me Dominique Neuman.



[1]        RLRQ, c. R-6.01.

[2]        RLRQ, c. R-6.01, r. 2.

[3]        Paragraphes 8 à 12.

[4]        Pièces A-0009 (p. 9 à 36), B-0021 et B-0026.

[5]        Loi concernant la mise en œuvre de la stratégie énergétique du Québec et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 2006, c. 46 (projet de loi 52 de la 2e session de la 37e législature, sanctionné le 13 décembre 2006) (Loi sur la Stratégie énergétique).

[6]        Pièce B-0027, par. 32.

[7]        En vigueur au 1er juin 2014.

[8]        Pièce B-0026, p. 2.

[9]        Pièce B-0017, p. 4.

[10]       Pierre-André Côté, Interprétation des lois, Les Éditions Thémis, 4e édition, 2009, p. 359.

[11]       Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, LexisNexis, 6e édition, 2014, p. 230.

[12]       Pièce B-0029, par. 79 et 80.

[13]       Pièce A-0004.

[14]       Dossier R-3824-2012, D-2013-041 par. 87 à 104.

[15]       Pièce C-SÉ-AQLPA-0006.

[16]       Dossier R-3532-2004.

[17]       Article 51 de la Loi.

[18]       Article 5 de la Loi.

[19]       Pièce B-0017, p. 9 à 11.

[20]       Pièce C-SÉ-AQLPA-0005, p. 9 et 10.

[21]       Pièce B-0017, p. 6.

[22]       Gouvernement du Québec, L’énergie pour construire le Québec de demain. La stratégie énergétique du Québec 2006-2015, Québec, Publications du Québec, Mai 2006, p. 78 et 79.

[23]       Dossier R-3532-2004, Décision D-2004-128, p. 12 et 13.

[24]       Pièce B-0017, p. 4 et 5.

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