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Copyright Board
Canada

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Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

2004-01-19

Référence

DOSSIER : Mise à exécution du tarif de la copie privée

Régime

Copie pour usage privé

Loi sur le droit d’auteur, paragraphe 66.7(1)

Commissaires

M. le juge John H. Gomery

M. Stephen J. Callary

Me Sylvie Charron

Demande d’ordonnances présentée par la société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) au soutien de l’exécution du tarif pour la copie privée en 2001-2002 et du tarif provisoire des redevances à percevoir par la scpcp en 2003 sur la vente de supports audio vierges au Canada

Motifs de la décision

Le 7 mai 2003, la Société canadienne de perception de la copie privée (SCPCP) demandait à la Commission d’émettre des ordonnances visant certains importateurs de supports audio vierges qui, soutient-elle, ne respectent pas les modalités du Tarif pour la copie privée, 2001-2002 et du tarif provisoire de 2003 (collectivement «tarif pour la copie privée»). Les ordonnances obligeraient les importateurs à acquitter les redevances et les intérêts impayés et les sommes qui seraient exigibles dans l’avenir; à respecter les exigences de rapport prévues par le tarif; à donner aux vérificateurs accès à leurs livres et à leurs locaux, à coopérer avec les vérificateurs, à répondre à toutes les questions raisonnables et à ne pas sortir de leurs locaux les documents dont les vérificateurs pourraient avoir besoin; enfin à respecter de façon générale, à l’avenir, les obligations que leur impose le tarif.

D’entrée de jeu, la Commission a soulevé la question de savoir si elle a le pouvoir d’ordonner qu’on se conforme à un tarif homologué. Les importateurs en cause ont été informés de la demande de la SCPCP, ont reçu copie des documents pertinents et ont été autorisés à faire valoir leurs arguments. Puisqu’elle n’a besoin d’aucune preuve pour trancher la question de compétence soulevée par la demande, la Commission a fait abstraction de toute la preuve déposée en même temps que les observations, et des allégations de fait que celles-ci contenaient.

En bref, selon la SCPCP, la Commission a le pouvoir d’ordonner à une personne de respecter les obligations visant les rapports, la vérification et les paiements que lui impose un tarif homologué et à la déclarer coupable d’outrage si celle-ci refuse d’obtempérer. La Commission ne souscrit pas à ce point de vue, pour les raisons énoncées ci-dessous.

Dispositions législatives pertinentes

La SCPCP fonde essentiellement ses arguments sur l’article 66.7 de la Loi sur le droit d’auteur (la «Loi»), dont voici le texte :

«66.7(1) La Commission a, pour la comparution, la prestation de serments, l’assignation et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production d’éléments de preuve, l’exécution de ses décisions et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d'archives.

(2) Les décisions de la Commission peuvent, en vue de leur exécution, être assimilées à des actes de la Cour fédérale ou de toute cour supérieure d’une province; le cas échéant, leur exécution s’effectue selon les mêmes modalités.

(3) L’assimilation se fait selon la pratique et la procédure suivies par le tribunal saisi ou par la production au greffe du tribunal d’une copie certifiée conforme de la décision. La décision devient dès lors un acte du tribunal.

(4) Les décisions qui modifient les décisions déjà assimilées à des actes d’un tribunal sont réputées modifier ceux-ci et peuvent, selon les mêmes modalités, faire l’objet d’une assimilation.»

Est également pertinent, pour des motifs qui deviendront clairs par la suite, l’article 8 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence (LTC), version de 1990, époque à laquelle le Tribunal de la concurrence a rendu l’ordonnance pour outrage dont traite l’arrêt Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence). [1] Le texte de la disposition était le suivant :

«8(1) Le Tribunal entend les demandes qui lui sont présentées en application de la partie VIII de la Loi sur la concurrence de même que toute question s’y rattachant.

(2) Le Tribunal a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives.

(3) Personne ne peut être puni pour outrage au Tribunal à moins qu’un juge ne soit d’avis que la conclusion qu’il y a eu outrage et la peine sont justifiées dans les circonstances.»

I. ANALYSE

La demande de la SCPCP soulève deux questions. La Commission a-t-elle le pouvoir d’ordonner à quelqu’un de respecter les modalités d’un tarif homologué; dans l’affirmative, peut-elle sanctionner l’inobservation de l’ordonnance au moyen d’une procédure pour outrage?

A. Ordonner le respect des modalités d’un tarif homologué

L’argument de la SCPCP selon lequel la Commission a le pouvoir d’ordonner à quelqu’un de respecter les modalités d’un tarif homologué repose sur trois propositions principales.

Premièrement, le paragraphe 66.7(1) de la Loi confère à la Commission les attributions d’une cour supérieure d’archives à plusieurs égards, notamment «l’exécution de ses décisions». Comme les tarifs homologués sont des décisions, la Commission a le pouvoir d’exécuter les tarifs homologués. L’exécution des tarifs donne nécessairement lieu à des mesures comme ordonner à un importateur de déposer des rapports, d’effectuer des paiements ou de tenir des dossiers conformes aux modalités du tarif.

Deuxièmement, le paragraphe 8(2) de la LTC confère au Tribunal de la concurrence de larges pouvoirs d’exécution relativement à ses propres ordonnances. Le paragraphe 66.7(1) de la Loi est libellé de façon presque identique; par conséquent, la Commission a les mêmes pouvoirs que le Tribunal de la concurrence.

Troisièmement, il est peu probable qu’un tarif homologué puisse être effectivement exécuté en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998) [2] sans une ordonnance de la Commission visant une personne particulière ou une ordonnance exigeant le paiement d’un montant précis. Sans une telle ordonnance, la SCPCP n’a aucun moyen d’obtenir ou de vérifier des renseignements relatifs aux rapports, sauf en intentant une action en justice distincte. Cette façon de procéder serait inefficace et priverait en fait la SCPCP de ses droits lorsque la réclamation ne justifie pas le coût d’une telle action ou que la SCPCP ne peut déterminer si une telle action est justifiée.

À première vue, le premier argument de la SCPCP est séduisant. Il n’en va pas moins à l’encontre de valeurs et de principes fort bien établis du droit administratif, comme de restreindre les pouvoirs d’un décideur à ceux que lui confère expressément la loi ou qui sont implicitement nécessaires à l’exercice régulier de sa compétence principale. Si ce n’était que pour cette raison, un simple renvoi à l’exécution de décisions ne suffit pas pour conclure que le législateur voulait que la Commission s’occupe de l’exécution quotidienne des tarifs. La disposition confère à la Commission des pouvoirs pour «toutes autres questions relevant de sa compétence». En d’autres termes, elle prévoit les moyens dont la Commission a besoin pour s’acquitter de son mandat principal. Ce renvoi suit la mention «la comparution, la prestation de serments, l’assignation et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production d’éléments de preuve»; un tel libellé tendrait à favoriser l’interprétation selon laquelle on traite ici de décisions de nature procédurale ou interlocutoire prises à l’appui de l’exercice de la fonction principale de la Commission, et de façon accessoire à celle-ci (en l’espèce, l’homologation d’un tarif).

L’emploi de l’expression «toutes autres questions relevant de sa compétence» semble renforcer cette conclusion. Les mots «toutes autres» sous-entendent que les pouvoirs énumérés qui précèdent sont eux-mêmes conférés à la Commission seulement s’ils «[relèvent] de sa compétence». [3] Le pouvoir d’exécuter un tarif n’est pas nécessaire pour homologuer un tarif.

Le paragraphe 66.7(2) de la Loi renforce également cette interprétation. En autorisant le recours à une cour supérieure aux fins de l’exécution des décisions de la Commission, la disposition prévoit implicitement qu’il faut davantage que le pouvoir conféré au paragraphe (1) pour que le régime soit tout à fait opérationnel, et qu’une cour supérieure est en mesure de faire certaines choses qui échappent au ressort de la Commission.

Quant aux similarités de libellé des paragraphes 66.7(1) de la Loi et 8(2) de la LTC, il faut les analyser à la lumière des dispositions conférant les pouvoirs «considérées les unes par rapport aux autres» et «compte tenu de l’ensemble du régime législatif». [4] Sous un tel éclairage, les différences et non les similarités entre la Commission et le Tribunal de la concurrence deviennent frappantes.

Ainsi, la LTC et la Loi énoncent de façon fort différente les principales fonctions de chaque organisme. L’article 8 de la LTC énumère tous et chacun des fonctions et pouvoirs du Tribunal. Le paragraphe (1) énonce en termes larges et généraux les pouvoirs substantiels. Le paragraphe (2) «confirme et consolide la compétence du Tribunal». [5] Le paragraphe (3) «non seulement ... confirm[e] le pouvoir que le Tribunal poss[ède] en matière d’outrage, mais encore il prévo[it] des garanties procédurales spécifiques à son exercice». [6] La Cour a accordé une importance considérable à «la portée des dispositions considérées les unes par rapport aux autres». [7] Par opposition, la Loi énonce le mandat de la Commission dans plus d’une demi-douzaine de dispositions éparses des parties VII et VIII; dans le contexte de la copie privée, ce rôle se limite à fixer les redevances et les modalités connexes.

Les deux organismes ont également des rôles fort différents. Le Tribunal supervise tous les comportements non criminels visant à éliminer la concurrence au Canada. Il décide ce qu’est un comportement approprié et ce qui ne l’est pas. Il conçoit des mesures correctives destinées à modifier les comportements inappropriés et voit au respect de ses ordonnances. La Commission fixe des taux qu’elle intègre à des tarifs. Elle décide ce qui en coûte pour poser certains gestes ainsi que la façon et le moment où ces coûts sont imposés et payés.

En troisième lieu, selon la Cour suprême du Canada, le Tribunal de la concurrence est la seule instance vraiment en mesure de voir au respect des ordonnances qu’il rend :

«Vu la complexité des ordonnances fondées sur la partie VIII, il n’était pas possible de faire de la surveillance de leur exécution un processus entièrement distinct, devant une cour de juridiction générale ou criminelle, sans qu’il y ait une perte d’efficacité correspondante». [8]

Par opposition, les tarifs de la Commission ne sont pas si difficiles à comprendre ou à exécuter. Il n’est pas facile de les contourner. Les tribunaux judiciaires se sont révélés une instance efficace pour voir à leur respect, comme l’ont démontré les nombreuses poursuites que la SOCAN a intentées avec succès.

Quatrièmement, la Loi laisse clairement à d’autres instances le soin d’exécuter les tarifs. Elle permet à la SCPCP de demander l’aide d’une cour supérieure pour exécuter les décisions de la Commission. Elle contient également des dispositions précises sur l’exécution des tarifs homologués en général et (à l’article 88) de ceux de la copie privée en particulier. La LTC ne prévoit ni l’un ni l’autre.

Cinquièmement, les similarités entre ces dispositions sont, au mieux, superficielles :

«On a souligné à notre Cour l’existence d’autres lois fédérales qui contiennent des dispositions dont le texte est semblable à ... son par. 8(2). Toutefois, aucune de ces dispositions n’est semblable à l’ensemble des trois paragraphes de l’art. 8 de la LTC. De plus, toutes les lois dans lesquelles se trouvent ces dispositions présentent des régimes différents de celui de la [Loi sur la concurrence] et de la LTC, en ce sens que la question de l’exécution au moyen de procédures pour outrage n’est soulevée dans aucune d’elles. Soit qu’elles prévoient un mécanisme particulier d’exécution par dépôt de l’ordonnance du Tribunal à la Cour fédérale, soit que le redressement accordé par le Tribunal est de nature auto-exécutoire. Dans d’autres cas, le Tribunal n’a que des pouvoirs de recommandation. L’article 8 de la LTC est donc unique et il doit être interprété en fonction de sa formulation et de son contexte». [9]

Ce qui importe en fin de compte est de savoir si le pouvoir conféré est nécessaire, étant donné la loi pertinente prise dans son contexte et les fonctions centrales de l’organisme. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) est en mesure de revoir les taux provisoires parce qu’en décider autrement «[l’]empêcherait de remplir son rôle principal qui était d’assurer que les taux exigés du public étaient justes et raisonnables». [10] Le Tribunal de la concurrence rend des ordonnances extrêmement complexes et peaufinées; il ne peut s’acquitter de son rôle sans pouvoir s’occuper de ceux qui ne se conforment pas à ses ordonnances. Par opposition, la Commission du droit d’auteur peut homologuer des tarifs et leurs modalités sans se préoccuper de les exécuter.

Selon la SCPCP, il ne sert à rien de déposer devant une cour supérieure des tarifs qui, parce qu’ils ne visent pas un importateur précis, ne peuvent être exécutés comme une ordonnance judiciaire. Même si une telle chose était vraie, [11] elle n’est pas pertinente. Les tarifs homologués énoncent les droits et les obligations des sociétés qui en ont fait la demande et des personnes qui sont tenues de s’y conformer. La Loi énonce la façon de les exécuter. Rien de plus n’est nécessaire. Quant à la question de devoir décider si l’exercice d’un recours juridique a du sens en pratique, c’est justement ce à quoi est confronté tout titulaire de droits qui se doute qu’un utilisateur ne satisfait pas à ses obligations envers lui.

B. Outrage

Si, par contre, la Commission a effectivement le pouvoir de rendre les ordonnances que la SCPCP demande, celle-ci a néanmoins tort d’affirmer que la Commission a le pouvoir de déclarer coupable d’outrage ceux qui ne s’y conformeraient pas. L’inobservation constituerait un outrage ex facie. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que le fait de conférer des pouvoirs par renvoi aux pouvoirs d’une cour supérieure d’archives suffit à conférer celui de déclarer quelqu’un coupable d’outrage ex facie. [12] Rien dans le libellé de la Loi ou le mandat de la Commission n’impose une irrésistible nécessité de lui reconnaître ce pouvoir. Au contraire, en prévoyant qu’une décision de la Commission peut être assimilée à une ordonnance d’une cour supérieure, dont les pouvoirs de connaître d’un tel outrage sont certains, la Loi semble indiquer que le pouvoir de sanctionner l’outrage ex facie se trouve ailleurs.

Le fait que le libellé du paragraphe 66.7(1) de la Loi ressemble de près à celui du paragraphe 8(2) de la LTC est sans importance. La décision rendue dans Chrysler Canada ne repose pas seulement sur le paragraphe 8(2), loin de là. Pour rendre sa décision, la Cour a examiné les dispositions conférant le pouvoir au Tribunal «les unes par rapport aux autres» et «compte tenu de l’ensemble du régime législatif». [13] Elle a accordé une importance particulière au fait que la LTC traite expressément de l’outrage et prévoit expressément des mesures de protection :

«... le par. 8(3) ... exige qu’un membre du Tribunal qui soit juge souscrive à la conclusion d’outrage ... Les tribunaux inférieurs, dont les membres sont rarement tous des avocats ou des juges, peuvent généralement déclarer des personnes coupables d’outrage commis en leur présence et les punir sans qu’aucune approbation judiciaire ne soit nécessaire ... Il semblerait quelque peu incongru que le Tribunal soit assujetti à une exigence aussi exceptionnelle s’il ne détenait, comme d’autres tribunaux, que la compétence en matière d’outrage commis en sa présence. Le paragraphe 8(3), en raison de cette exigence exceptionnelle, est une indication de l’intention du législateur de conférer au Tribunal des pouvoirs en matière d’outrage qui sont plus étendus que ceux qu’un tribunal inférieur exercerait normalement». [14]

II. DÉCISION

Pour ces motifs, la demande de la SCPCP est rejetée.

Le secrétaire général,

Signature

Claude Majeau



[1] Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence) [1992] 2 R.C.S. 394. La disposition pertinente a plus tard été modifiée pour tenir compte de l’élargissement de la compétence du Tribunal. La modification n’est pas pertinente en l’espèce.

[2] Voir en particulier l’art. 424 des Règles, qui énonce la façon dont la Cour exécute les ordonnances des offices fédéraux, et l’art. 433, qui porte sur la délivrance des brefs d’exécution.

[3] Par opposition, la compétence du Tribunal de la concurrence s’étend à toute question se rattachant aux demandes présentées en application de la partie VIII de la Loi sur la concurrence.

[4] Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, 743j, 744b.

[5] Supra note 1 à la p. 411i-j.

[6] Supra note 4 à la p. 744h.

[7] Ibid., à la p. 743i-j.

[8] Supra note 1 à la p. 408a-b. La Cour se reporte plus loin au besoin d’«éviter que ces ordonnances soient contournées au moyen d’ententes relationnelles complexes qui, bien que paraissant inoffensives à première vue, créent en fait les mêmes obstacles que ceux que les ordonnances cherchaient à supprimer». Id., 419d-e.

[9] Supra note 1 à la p. 408i-409c.

[10] Supra note 4 à la p. 746a, se reportant à Bell Canada c. Canada (CRTC), [1989] 1 R.C.S. 1722.

[11] Cependant, voir Zhang c. Chau [2003] J.Q. no 8071 (C.A.).

[12] À la connaissance de la Commission, seul le Tribunal de la concurrence s’est vu reconnaître ce pouvoir.

[13] Supra note 4.

[14] Supra note 1 à la p. 412b-g.

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