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Canada

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Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

1998-01-30

Référence

DOSSIERS : Exécution publique de la musique 1994, 1995, 1996, 1997

Régime

Exécution publique de la musique

Loi sur le droit d’auteur, article 67.2

Commissaires

Mme Adrian Burns

M. Andrew E. Fenus

Michel Hétu, c.r.

Projets de tarif examinés

2.A — Stations de télévision commerciales en 1994, 1995, 1996 et 1997

Tarif des droits à percevoir pour lexécution ou la communication par télécommunication, au Canada, d’œuvres musicales ou dramatico-musicales

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

Conformément à l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur (la Loi), la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) a déposé auprès de la Commission des projets de tarifs pour l’exécution publique ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’œuvres musicales ou dramatico-musicales pour les années 1994 à 1997. Ces projets ont été publiés dans la Gazette du Canada les 9 octobre 1993, 24 septembre 1994, 30 septembre 1995 et 19 octobre 1996. Par la même occasion, la Commission avisait les utilisateurs de leur droit de s’opposer aux projets.

L’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), le réseau de télévision CTV (CTV) et d’autres se sont opposés dans les délais prescrits au projet de tarif 2.A, visant les stations de télévision commerciales, pour chacune de ces années. La Commission a permis à la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) d’intervenir afin de s’opposer, pour motif d’incompétence de la Commission, à la production et à l’examen, dans le cadre de la présente affaire, d’une preuve portant sur les redevances que les télédiffuseurs québécois versent à la SODRAC.

La décision de la Commission du 6 décembre 1993 reprend l’historique du tarif 2.A jusqu’en 1989. [1] Pour les années 1990 à 1993, l’ACR avait demandé que la Commission réduise le montant des redevances, modifie la formule tarifaire et offre l’option d’une licence «à la pièce» (la PPL). [2] L’ACR avait aussi soutenu qu’un radiodiffuseur ne devrait pas verser de redevances à l’égard des spectateurs qui syntonisent la station sur le câble. La Commission a rejeté les prétentions de l’ACR et maintenu le statu quo. Le 24 octobre 1994, la Cour d’appel fédérale rejetait la demande de révision judiciaire de la décision de la Commission formulée par l’ACR.

Les projets de tarif 2.A que la SOCAN a déposés pour les années 1994 à 1997 visaient tant les stations que les réseaux, ce qui a soulevé un certain nombre de questions que la Commission a décidé de trancher en premier. Éventuellement, la Commission a homologué un tarif visant CTV. [3] Cela a eu pour effet de retarder jusqu’à la fin de l’année 1996 l’examen des projets de tarif en ce qui concerne les stations de télévision commerciales.

Suivent les motifs de la Commission au soutien de sa décision par rapport au tarif 2.A pour les années 1994 à 1997. Le dossier a nécessité la tenue de quatorze journées d’audiences entre les 8 et 24 avril 1997 ainsi que le 6 juin 1997. Le dépôt de l’argumentation écrite a pris fin le 11 juillet 1997.

II. LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SOCAN demande à la Commission de maintenir la situation actuelle. Pour sa part, l’ACR voudrait que les «revenus bruts» continuent de servir d’assiette tarifaire mais que le taux passe de 2,1 pour cent à entre 0,86 pour cent et 1,63 pour cent. L’ACR demande aussi la création d’une «licence générale modifiée» (LGM) permettant aux stations de réduire encore davantage les redevances qu’elles versent à la SOCAN si elles diffusent de la programmation pour laquelle elles n’ont pas besoin de licence de la SOCAN.

A. La SOCAN

Au soutien de ses prétentions, la SOCAN avance plusieurs arguments. Premièrement, il existe en ce moment un équilibre entre le marché «en amont», qui n’est pas réglementé, et le marché «en aval», qui l’est. [4] Cet équilibre n’est peut-être pas optimal, mais il existe peu de chances d’en établir un meilleur : pour ce faire, il faudrait disposer de renseignements que la Commission n’obtiendra jamais. Il est donc préférable de laisser au marché en amont le soin d’opérer les ajustements mineurs permettant de refléter les conditions du marché. Deuxièmement, une réduction du taux, si minime soit-elle, ne fait qu’augmenter l’écart grandissant qui existe entre les droits d’exécution et les autres intrants de production. Troisièmement, la LGM devrait être rejetée pour des motifs pratiques autant que de principe. Elle remet en cause le concept même de gestion collective, forcerait les compositeurs soit à quitter la SOCAN, soit à provoquer des changements à sa gestion et à ses structures internes, et pourrait avantager des compositeurs étrangers membres de l’American Society of Composers, Authors and Publishers (ASCAP). La LGM encouragerait les cessions de droits à forfait plutôt qu’une rémunération qui varie en fonction de l’utilisation de l’œuvre. Telle que formulée par l’ACR, la LGM entraînerait des différends inutiles sur les obligations de rapport et les cessions de droits. Enfin, la formule mise de l’avant par l’ACR encouragerait la pratique du «cherry-picking» : les radiodiffuseurs seraient en mesure d’obtenir d’importants escomptes en affranchissant les droits dans la programmation qui rapporte beaucoup mais contient peu de musique gérée par la SOCAN.

B. L’ACR

Pour sa part, l’ACR soutient que des changements dans les conditions du marché, y compris une concurrence qui continue de s’accélérer, un nouveau cadre politique et les changements de plus en plus rapides de la technologie et du milieu des affaires, ajoutés à une nouvelle preuve d’experts qui vient compléter celle présentée en 1993, constituent ensemble un plaidoyer éloquent au soutien de sa demande de réduction du taux et de création de la LGM. Une réduction du taux prendrait acte de nouvelles pressions concurrentielles, et la LGM, de la capacité des producteurs de transiger dans le marché en amont. Chacun de ces changements encouragerait la conclusion d’un plus grand nombre de transactions directes, ce qui rendrait le système plus efficace et bénéficierait tant aux compositeurs canadiens qu’aux radiodiffuseurs. L’ACR soutient aussi que les compositeurs sont en mesure d’exercer leur pouvoir de négociation dans les marchés en amont en ayant recours, entre autres, à la négociation collective. Enfin, l’ACR prétend que la LGM est tout à fait compatible avec la gestion collective.

L’ACR demande aussi des réductions du taux pour tenir compte de trois facteurs : le fait que CTV verse désormais des redevances; le fait que les stations affiliées à CTV versent des redevances sur les montants qu’elles reçoivent du réseau; le fait que les télédiffuseurs québécois versent des droits de reproduction à la SODRAC.

III. LA PREUVE

Les personnes suivantes ont témoigné pour la SOCAN.

Les compositeurs Glenn Morley, François Dompierre et Pierre-Daniel Rheault ont parlé du rôle des créateurs, ainsi que de l’importance sociale et du rôle des sociétés de gestion du droit d’exécution. Ils ont aussi traité de l’importance de la musique dans la programmation télévisuelle et de la nature des rapports entre compositeurs, producteurs et télédiffuseurs.

MM. Paul Hoffert, compositeur et professeur, et Michael Horner, agent américain de compositeurs de musique de films, se sont penchés sur les différences entre les industries canadienne et américaine de la musique destinée à la télévision, sur le pouvoir relatif de négociation des compositeurs et producteurs, ainsi que sur le rôle des agences américaines de musique et les motifs qui font en sorte qu’elles n’ont pas d’équivalent canadien.

M. Alexander Crawley, président national de l’Alliance of Canadian Cinema, Television et Radio Artists (ACTRA), a parlé du rôle de la négociation collective dans le monde artistique et a décrit le régime qui s’est développé en matière de négociations entre artistes-interprètes et producteurs d’émissions de télévision.

M. David Ellis, expert-conseil en communications, a décrit de façon sommaire l’industrie canadienne de la télédiffusion conventionnelle et le cadre réglementaire dans lequel elle opère. Quant à M. Tim Casey, analyste financier, il a analysé la performance financière de l’industrie au cours des dix dernières années et commenté sur ses perspectives à moyen et à long terme.

M. Barry Kiefl, directeur de la recherche à la Société Radio-Canada (SRC), a longuement témoigné sur les diverses données d’écoute disponibles, sur la façon dont l’écoute télévisuelle a évolué au cours des dix dernières années et sur les changements dans l’importance relative de l’écoute télévisuelle conventionnelle durant cette même période.

Le témoignage de M. Jean-Loup Tournier, président du directoire de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), a porté sur la gestion collective des droits d’exécution à l’échelle internationale, la place de la licence générale dans ces régimes, les taux pratiqués dans divers pays et l’impact éventuel pour les compositeurs d’un affranchissement des droits à la source. M. Richard Reimer, directeur des services juridiques de l’ASCAP, a offert son point de vue sur le régime américain, la PPL, la façon dont elle a vu le jour et les difficultés d’application qu’elle soulève en ce moment.

Le professeur Stanley Liebowitz a présenté la preuve économique de la SOCAN. Il a offert son point de vue sur les mérites relatifs des formules mises de l’avant par la SOCAN et par l’ACR.

MM. Victor Perkins et Michael Rock de la SOCAN ont décrit l’évolution du tarif 2.A et le fonctionnement de la SOCAN. Ils ont aussi donné leur point de vue sur le mérite de la proposition mise de l’avant par l’ACR.

Les personnes suivantes ont témoigné pour l’ACR.

M. Ken Goldstein, expert-conseil en économie des mass média, a brossé un portrait de l’industrie de la télévision et des façons dont elle réagit aux défis compétitifs auxquels elle fait face. MM. James Macdonald, Michael McCabe, Peter Miller et Rob Scarth, qui travaillent tous pour l’ACR ou dans l’industrie de la télédiffusion, ont offert le point de vue des radiodiffuseurs par rapport aux commentaires formulés par M. Goldstein.

Les professeurs Steven Globerman et William Stanbury ont offert la preuve économique de l’ACR au soutien d’un changement dans la situation actuelle. Ils ont parlé des effets qu’une réduction du taux et la création d’une LGM auraient sur l’efficacité et l’équité du marché des droits d’exécution de la musique à la télévision.

M. Jack Zwaska est directeur général du Television Music Licence Committee mis sur pied par les télédiffuseurs américains. M. Ronald Gertz dirige une société qui fournit des services de contrôle/monitorage aux télédiffuseurs américains qui utilisent la PPL. Ils ont traité de l’évolution des droits américains d’exécution de la musique à la télévision et du fonctionnement de la PPL.

MM. Tony Scapillati et Robert Fillingham ont fourni des explications et répondu aux questions portant sur la formule de la LGM mise de l’avant par l’ACR.

MM. Paul Gratton, Bill Mustos et André Provencher ont donné leur point de vue quant à la nature et à l’importance de l’industrie canadienne de la programmation télévisuelle et à la place qu’occupe la musique dans cette industrie. Enfin, M. Mark Lewis, Mme Tandy Greer Yull, Mme Grace Shafran et M. Philippe Labelle ont parlé de la façon dont l’utilisation de la musique a évolué à la télévision et dont les droits musicaux sont négociés dans ce marché. Ils ont aussi traité du rôle joué par les radiodiffuseurs dans leurs filiales d’édition.

Trois témoins ont comparu à la demande de la Commission. Mesdames Francine Bertrand-Venne et Colette Matteau, comparaissant au nom de la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec (SPACQ), ont offert leur point de vue quant au rôle de la Loi sur le statut de l’artiste (LSA) [5] et le rapport entre cette loi et la gestion collective des droits d’exécution. M. Paul Spurgeon, avocat général de la SOCAN, a traité d’un certain nombre de questions portant sur la nature des rapports juridiques et contractuels entre compositeurs, éditeurs, producteurs et télédiffuseurs.

IV. QUESTION PRÉLIMINAIRE

La SODRAC s’est opposée à la production de contrats établissant les montants que deux télédiffuseurs québécois lui versent au titre du droit de synchronisation. Elle soutient que ces renseignements ne sauraient être pertinents à l’établissement de redevances devant être versées pour des droits distincts et que, par conséquent, la Commission ne peut en ordonner la production.

À maintes reprises, la Commission a énoncé le principe voulant que le prix payé par un utilisateur de droits d’exécution pour un intrant de production, quel qu’il soit, est présumé pertinent lorsque vient le temps d’établir le montant de ces droits, ne serait-ce que parce que le prix ainsi payé peut avoir un effet sur la capacité de payer de l’utilisateur. Les démembrements du droit d’auteur autres que le droit d’exécution font partie de ces intrants. Les contrats sont donc pertinents à la présente affaire. Le fait que la Commission puisse décider de ne pas en tenir compte n’enlève rien à leur pertinence. Elle doit les examiner avant de déterminer s’ils devraient ou non avoir une influence sur le résultat final.

L’objection de la SODRAC à la production de la preuve est donc rejetée.

V. ANALYSE

A. Le mandat de la Commission

Tel qu’énoncé dans la décision disposant du tarif 2.A pour les années 1990 à 1993, le mandat de la Commission est :

d’établir des tarifs dont le fondement est «raisonnable et convenable» ou encore «rationnel». Elle assure un certain équilibre dans les marchés entre les titulaires de droits et les usagers; cela ne veut pas dire qu’elle doive nécessairement établir les droits en fonction d’un prix librement négocié, que ce soit ou non dans un marché concurrentiel. [6]

La Cour d’appel fédérale a depuis fait sienne cet énoncé du mandat de la Commission. [7] Il est bon de le reprendre ici, pour deux motifs. Premièrement, il met fin une fois pour toutes aux prétentions voulant que la Commission ait pour mandat de protéger exclusivement les intérêts soit des utilisateurs, soit des titulaires de droits. Deuxièmement, il découle clairement de cette décision et d’autres que si un prix peut être rationnel même s’il n’est pas librement négocié, un prix négocié est toujours un prix rationnel. [8]

B. L’assiette tarifaire

Tant la SOCAN que l’ACR s’entendent pour que les redevances continuent d’être fonction des «revenus bruts» de la station, tels que présentement définis dans le texte du tarif 2.A. Durant les audiences, on a cependant fait allusion à la possibilité d’utiliser à la place les coûts de programmation.

Dans sa décision de 1993, lorsqu’elle traitait du tarif applicable à la radio commerciale, la Commission a expliqué les motifs qui font en sorte que ce tarif ne devrait pas être fonction des coûts de programmation. Entre autres, l’établissement d’un lien entre les redevances pour la musique et les autres coûts de programmation suppose que dans un marché libre, la part relative des intrants de production reste à peu près toujours la même, ce qui est incorrect. [9] La Commission partage ce point de vue, et le considère tout aussi pertinent par rapport à la situation actuelle de l’industrie de la télévision.

C. Le taux

Tout comme l’ACR, la Commission croit qu’il y a lieu de réduire le taux. Un ensemble de motifs, plutôt qu’un seul argument dirimant, nous amène à conclure qu’il est trop élevé compte tenu de l’environnement dans lequel opèrent les télédiffuseurs canadiens.

i. L’environnement a évolué

Le monde dans lequel les télédiffuseurs conventionnels évoluent aujourd’hui est fort différent de celui d’il y a 15 ou 20 ans. Avant tout, la concurrence à laquelle ils font face a considérablement augmenté et un nouveau cadre politique a émergé.

a. La concurrence

Le monde dans lequel évoluent les télédiffuseurs conventionnels est plus concurrentiel que jamais. Cette concurrence croît à une vitesse accélérée et provient de sources de plus en plus diversifiées.

Le marché s’est fragmenté : depuis dix ans, 19 nouveaux services de programmation payante ou spécialisée se sont ajoutés, sans compter les 15 qui ont commencé à diffuser cet automne. L’assiette de la publicité télévisuelle a sans doute augmenté un peu, mais le nombre de ceux qui veulent une part du gâteau est beaucoup plus grand. [10] Au même moment, d’autres sources d’information et de divertissement sont venues s’ajouter, y compris les services de diffusion directe par satellite et l’incontournable Internet, entraînant encore davantage de concurrence et de fragmentation. Rien ne permet de croire, au contraire, que le rythme ralentira dans les années à venir.

Ces pressions concurrentielles ont eu au moins trois effets négatifs. Premièrement, les télédiffuseurs conventionnels privés ont perdu plus de 9 pour cent de leur part d’écoute entre 1991 et 1996. [11] Deuxièmement, le rendement de l’industrie a diminué. Elle n’est plus aussi profitable qu’elle l’était au milieu des années 1980; même le témoin expert de la SOCAN a admis candidement qu’on ne s’attend pas à de tels niveaux à l’avenir. [12] Troisièmement, les revenus des télédiffuseurs conventionnels croissent plus lentement que ceux des nouveaux arrivants dans le marché : depuis cinq ans, les ventes de temps d’antenne des télédiffuseurs conventionnels ont augmenté à un taux annuel composé de 3 pour cent et celles des services spécialisés, à un taux de 14 pour cent. [13]

Pendant ce temps, la SOCAN tire des bénéfices directs de l’arrivée de nouveaux participants qui font concurrence aux télédiffuseurs conventionnels. Ainsi, la SOCAN devrait percevoir près de 9 millions de dollars en redevances au titre de l’utilisation de musique par les services de télévision payante et les services spécialisés en 1995.

Pour qu’un participant dans un marché où la concurrence augmente puisse demeurer concurrentiel, il lui faut nécessairement réexaminer toutes ses dépenses. Lorsqu’il s’agit de dépenses dont le coût est établi par un tiers, comme c’est le cas pour les redevances que perçoit la SOCAN, seul l’organisme de réglementation, avec l’aide des intéressés, peut se livrer à ce réexamen.

Une concurrence accrue a aussi un impact sur la rentabilité et donc, sur la capacité de payer des télédiffuseurs. Est-il besoin de répéter que la Commission considère la capacité de payer comme étant un facteur pertinent, bien que non déterminant, à l’établissement d’un tarif juste et équitable compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce.

b. Le cadre politique

Le cadre politique dans lequel évoluent les radiodiffuseurs a lui aussi évolué de façon dramatique. Avant tout, de nouvelles politiques mises de l’avant par le Cabinet et par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) font en sorte qu’on s’en remet de plus en plus aux forces du marché tout en encourageant de façon agressive la programmation canadienne. [14] Ces mesures ont profondément changé le cadre d’opération des télédiffuseurs conventionnels, comme l’a clairement démontré la preuve déposée par M. Goldstein et par le panel de témoins de l’ACR.

La Commission n’est pas obligée de tenir compte de ces changements de politique à moins qu’une directive émise en vertu de la Loi l’y oblige. Ces changements n’en sont pas moins pertinents lorsque vient le temps d’établir un tarif juste et équitable, pour autant que les politiques qui les sous-tendent n’aillent pas à l’encontre des objectifs que la Commission doit promouvoir. La Commission est d’avis que les politiques pertinentes du Cabinet et du CRTC sont compatibles avec les objets de sa loi constitutive, ne serait-ce que parce qu’elles définissent dans une large mesure le monde à l’intérieur duquel les radiodiffuseurs opèrent. Tout comme elle l’avait fait dans sa première décision en matière de retransmission, [15] la Commission entend tenir à l’esprit les domaines pertinents de politiques publiques, et les changements qu’on y apporte, lorsque vient le temps d’établir le tarif.

ii. Les Américains paient moins cher

Les télédiffuseurs américains versent au titre du droit d’exécution de la musique une part de revenus de loin inférieure à celle que versent leurs collègues canadiens. La SOCAN prétend que ce fait, qu’elle ne conteste pas, n’est pas pertinent. Elle soutient que ce taux est le résultat de décisions de justice et non, comme l’ACR le prétend, de négociations libres. Elle s’appuie aussi sur le témoignage du professeur Liebowitz, qui soutient que la façon dont l’autorité américaine en est arrivée à établir un prix est «saugrenue», [16] pour mettre en cause la pertinence de ce taux.

La Commission conclut que le fait que les télédiffuseurs américains paient une part plus petite de leurs revenus que les télédiffuseurs canadiens au titre du droit d’exécution de la musique est pertinent, pour trois motifs. Premièrement, plus de 60 pour cent des redevances versées par les télédiffuseurs canadiens le sont à l’égard de revenus provenant de la diffusion d’une programmation américaine produite et utilisée d’abord et avant tout dans le marché américain. Qui plus est, la moitié des sommes ainsi versées sont distribuées à des compositeurs américains suite à la diffusion de cette même programmation. Autrement dit, qu’il s’agisse des sommes que la SOCAN perçoit ou de celles qu’elle distribue, ASCAP et Broadcast Music Inc. (BMI), par le truchement de la SOCAN, fournissent aux télédiffuseurs canadiens entre 50 et 60 pour cent de la musique qu’ils utilisent. La Commission conclut que des acteurs contrôlant une part aussi importante de marché doivent nécessairement influencer ce marché. Qui plus est, il n’est pas déraisonnable de tenir pour acquis que le prix payé pour un bien dans son marché principal a une certaine influence sur le prix payé pour ce même bien dans un marché secondaire. [17] Par conséquent, il est raisonnable de tenir compte du prix payé pour la musique américaine dans le marché américain lorsqu’on établit les redevances qui seront versées pour la même musique, incorporée aux mêmes émissions, par des usagers similaires, dans un marché secondaire. [18]

Deuxièmement, peu importe ses caractéristiques, le prix américain peut être pertinent au seul motif qu’il existe. Le fait qu’on y soit arrivé d’une façon qui soit ou non optimale, suite ou non à des négociations, ou même d’une façon qui n’a ni queue ni tête pour certains économistes n’y change rien. La pertinence d’un prix n’est pas nécessairement fonction de la façon dont on l’a établi au départ. [19] Les stations américaines situées près de la frontière et les chaînes américaines les plus importantes sont les plus farouches concurrentes des télédiffuseurs canadiens en matière de parts d’écoute. [20] Cela suffit à faire du prix américain un facteur dans un marché global nord-américain.

Par ailleurs, la Commission se refuse à fermer les yeux sur le fait que «lors de la mise au point de la formule tarifaire actuelle, en 1958, les parties et la Commission d’appel du droit d’auteur avaient voulu établir une corrélation entre les droits américains et canadiens.» [21] Cette corrélation peut et doit jouer un rôle dans l’établissement du taux applicable.

iii. La valeur de la licence de la SOCAN pour les radiodiffuseurs a diminué avec les années

Il y a quatre ans, la Commission disait ce qui suit :

... des changements importants sont intervenus depuis 1959, date à laquelle le tarif a été établi à 2,1 pour cent des recettes d’une station de télévision commerciale. De radio en images, la télévision s’est transformée en médium indépendant. Les émissions préenregistrées ont remplacé les émissions en direct. On fait une utilisation moins importante d’œuvres faisant déjà partie du répertoire, et plus importante d’œuvres commandées pour chaque production. Les émissions de variétés ont perdu le rôle de tout premier plan qu’elles assumaient au tout début. ... ces changements sont intervenus bien avant l’examen du projet de tarif pour 1986, date à laquelle la Commission d’appel du droit d’auteur a établi le taux à son niveau actuel. ... la façon dont on utilise la musique est restée la même à toutes fins pratiques depuis 1985.

La Commission est d’avis que toute comparaison, s’il doit en être faite, devrait se faire par rapport à la situation telle qu’elle existait en 1986, et non en 1959. ... La preuve déposée durant la présente audience ne vient d’ailleurs que confirmer l’état de faits qui existait à l’époque. ... La Commission ne voit rien dans l’évolution de l’industrie depuis 1986 justifiant un changement d’approche. [22]

Avec égards, la Commission n’est pas d’accord avec cet énoncé. Elle considère cette interprétation trop restrictive et limitative. Une évaluation de ce genre doit être établie en fonction de toute la période durant laquelle le tarif a existé. Il faut tenir compte, d’une façon ou d’une autre, des changements qui se sont produits progressivement durant toute cette période dans la façon dont la musique est utilisée et, par conséquent, dans la valeur que la licence de la SOCAN procure aux radiodiffuseurs. La Commission conclut aussi qu’à ce jour, il n’a pas été suffisamment tenu compte de ces changements. La réduction du taux reflète cette façon plus englobante d’aborder la question.

iv. Une réduction du taux pourrait augmenter les revenus des compositeurs

La réduction du taux payé par les télédiffuseurs n’entraînera pas nécessairement une perte de revenus pour les compositeurs et ce, à cause de trois facteurs: les exigences que le CRTC impose aux radiodiffuseurs en matière de dépenses de programmation canadienne; le fait que, pour être rentable, la programmation canadienne doit être vendue à l’étranger; et l’importance grandissante pour les compositeurs canadiens des revenus provenant de l’étranger.

Comme les redevances versées à la SOCAN font partie des dépenses attribuables à la programmation canadienne, [23] une réduction du tarif entraîne nécessairement une augmentation des autres dépenses de programmation canadienne. Pour être rentable, cette programmation doit absolument être vendue à l’étranger. [24] Ces ventes entraînent à leur tour des diffusions à l’étranger, qui génèrent des revenus pour les compositeurs. Par conséquent, une réduction du taux pourrait fort bien bénéficier éventuellement aux auteurs tout comme aux télédiffuseurs.

Le dossier de la présente affaire vient appuyer cette analyse. Dans la cagnotte télévision de la SOCAN, les recettes provenant de l’étranger augmentent beaucoup plus rapidement que les revenus domestiques : en 1995, elles ont augmenté de 75 pour cent par rapport à 1994. [25] M. Perkins a confirmé que la SOCAN s’attend à ce que ces recettes continuent d’augmenter. De fait, depuis 1993, les auteurs membres de la SOCAN ont reçu davantage de revenus de l’étranger que ce qu’ils ont reçu à l’égard de toutes les utilisations du droit d’exécution faites au Canada. [26]

v. Les prétendus rapports entre les marchés en amont et en aval et le prix relatif des intrants de programmation

La Commission conclut que le prétendu équilibre entre les marchés en amont et en aval n’est pas pertinent en l’espèce. La Commission a pour mission d’évaluer la musique utilisée dans la programmation télévisuelle uniquement par rapport au droit d’exécution. Elle ne se préoccupe pas outre mesure du rapport, si rapport il y a, entre les redevances en aval et les ententes en amont. Dans une large mesure, ces rapports, s’ils existent, ne sont pas pertinents lorsque vient le temps d’établir la valeur de l’utilisation du droit d’exécution; en tout cas, ils n’ont certainement pas l’importance que semble leur prêter le professeur Liebowitz. Les droits mécaniques et de composition sont négociés sans égard aux droits d’exécution : d’ailleurs, le dossier de la présente affaire met sérieusement en doute l’affirmation faite par la Commission en 1993 portant qu’«il existe probablement un lien entre les droits de composition et les droits d’exécution : à long terme, si les seconds diminuent, les premiers devraient augmenter, et vice versa.» [27] Il semble, au contraire, que les droits de composition soient les mêmes aux États-Unis qu’au Canada. [28]

SOCAN soutient qu’il existe un écart grandissant entre droits d’exécution et autres intrants de programmation. La Commission conclut que l’écart dont la SOCAN parle, concerne l’utilisation du droit d’auteur, et non la prestation du service de création qui sert à la production de l’émission. Nous ne savons toujours pas si un tel écart existe entre cette prestation et les autres intrants de programmation. Nous ne savons pas non plus la mesure dans laquelle le rapport entre les droits d’exécution et les droits de suite versés aux membres de l’ACTRA (par exemple) a pu évoluer. Le dossier de la présente affaire permet de croire que la compensation versée pour la musique est raisonnable à tous ces égards. [29]

Il faut garder à l’esprit un principe important. La musique a beau être omniprésente dans la programmation télévisuelle, elle n’est jamais qu’un intrant parmi d’autres dans un produit de divertissement complexe. Qui plus est, ces autres intrants sont souvent des facteurs autrement plus importants lorsqu’il s’agit d’établir ce qui attire l’auditoire. Les revenus dans ce medium sont produits par le produit final, pas par ses composantes individuelles. Étant une des composantes de la programmation télévisuelle, la musique a fort bien tiré profit de ces recettes et l’importance qu’on lui accorde par rapport au produit final est exagérée. Par contre, dans le domaine de la radio, la musique peut constituer, et constitue souvent, le facteur qui attire l’écoute.

vi. Conclusion quant au niveau des redevances

Compte tenu de tous ces facteurs, la Commission croit qu’une réduction du taux d’environ 15 pour cent, à 1,8 pour cent, est raisonnable. Comme on peut le constater à la lecture du tableau I, on aurait obtenu le même résultat en plafonnant les redevances à leur niveau de 1994 et ce, jusqu’en 1996, qui est la dernière année pour laquelle le dossier contient des données fiables. Il s’agit donc d’une coupure que la SOCAN est tout à fait en mesure d’absorber à plus long terme, d’autant plus que durant la période en question, l’inflation a été très réduite. Cet ajustement reconnaît donc les nouvelles réalités économiques tout en ayant peut-être un impact favorable pour les compositeurs et auteurs qui seront affectés.

TABLE I / TABLEAU I

EFFECTIVE RATE ACHIEVED BY CAPPING ROYALTIES TO THEIR 1994 LEVEL 30

TAUX EFFECTIF ATTEINT EN PLAFONNANT LES REDEVANCES À LEUR NIVEAU DE 1994 [30]

Year Année

[1] SOCAN 1994 Revenues From Tariff 2.A [000$]

 

Revenus de la SOCAN en 1994 provenant du tarif 2.A [000 $]

[2] SOCAN Actual Revenues From Tariff 2.A [000$]

 

Revenus réels de la SOCAN provenant du tarif 2.A [000 $]

[3] Commercial TV Stations Revenues [000$] [2]÷ 0.021 31

 

Revenus des stations de télévision commerciales [000 $] [2]÷ 0,021 [31]

[4] Percentage of Commercial TV Stations Revenues Paid to SOCAN if Royalties Capped [1]÷ [3]

 

Pourcentage de leurs revenus que les stations de télévision commerciales auraient versé à la SOCAN si les redevances avaient été plafonnées [1]÷ [3]

1994

23,752

23,752

1,131,047.62

0.0210

1995

23,752

26,332

1,253,904.76

0.02

1996

23,752

27,721

1,320,047.62

0.02

D. Les autres ajustements du taux

Pour les motifs suivants, toutes les autres demandes d’ajustement du taux formulées par l’ACR sont rejetées. Toutes se fondent sur la prémisse que les radiodiffuseurs devraient continuer de jouir des avantages d’une situation anormale. Les premières perpétueraient les effets d’une décision de justice qui a entraîné un aberration économique. La seconde demande à la Commission de «désamorcer» une décision de la Cour suprême déclarative de droits que les compositeurs avaient toujours détenus mais que les radiodiffuseurs avaient choisi de passer sous silence.

i. Les «ajustements» à l’égard de CTV

Le tarif ne sera pas réduit pour tenir compte du fait que CTV verse des redevances depuis le mois de septembre 1993. Auparavant, certaines décisions de justice [32] avaient fait en sorte que ni CTV, ni ses stations affiliées n’étaient tenus de verser des redevances à l’égard des revenus du réseau. Compte tenu de la structure du tarif applicable depuis 1959 aux stations de télévision commerciale, cette situation procurait à CTV et à ses stations affiliées un avantage par rapport à leurs compétiteurs : tant les stations indépendantes que les autres réseaux (TVA) qui se conformaient à l’esprit du tarif versaient des redevances à l’égard de tous les revenus de publicité attribuables à leur programmation. Le fait que CTV verse des redevances à l’égard de ses propres revenus ne crée pas un déséquilibre, mais dispose d’une anomalie que la Commission corrige à la toute première occasion.

Les stations affiliées à CTV continueront par ailleurs de verser des redevances sur les sommes qu’elles reçoivent du réseau. Bien que nous disposions de peu de preuve à cet effet, il nous faut néanmoins rendre une décision. Contrairement à l’ACR, la Commission ne croit pas qu’il en résultera un double comptage. Nous préférons retenir l’explication de la SOCAN. Il est plus que probable que le réseau, au moment de conclure une entente sur le tarif, ait eu à l’esprit la pratique, établie depuis fort longtemps, voulant que ses stations affiliées (tout comme celles qui sont affiliées à la SRC) paient des redevances sur les montants qu’elles reçoivent du réseau. Nous allons même jusqu’à croire que si CTV avait envisagé que son entente réduirait les obligations de ses stations affiliées, elle aurait obtenu de la SOCAN une confirmation écrite à cet effet.

ii. L’«ajustement» à l’égard de la SODRAC

La Commission se refuse aussi à réduire le taux de façon à tenir compte du fait que certains télédiffuseurs québécois versent des redevances à la SODRAC pour les copies éphémères qu’ils effectuent.

Le droit de synchronisation, y compris le droit de faire des copies dites éphémères, est un droit distinct du droit d’exécution; il ne faut pas les confondre. Dans la présente affaire, la Commission a pour tâche d’établir la valeur du second droit, non du premier. Elle ne réglemente pas la rémunération des auteurs; pourtant, c’est précisément ce à quoi on en arrive si l’on tient compte, dans l’établissement du tarif pour l’exécution publique, du prix payé pour le droit de synchronisation de la façon suggérée par l’ACR.

Qui plus est, l’adoption récente, dans le cadre du projet de loi C-32 (Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur, L.C., 1997, ch. 24), d’un régime traitant précisément des enregistrements éphémères et des transpositions de supports ne fait que renforcer le point de vue voulant que le droit de synchronisation ait une valeur intrinsèque et distincte de celle des autres démembrements du droit d’auteur. [33]

L’exercice de ces autres démembrements, il est vrai, peut affecter la capacité de payer d’un utilisateur, dans la mesure où ils représentent des intrants de production, et donc des coûts, pour cet utilisateur. Il s’agit donc là d’un élément pertinent à l’établissement d’un tarif pour les droits qui relèvent directement de la compétence de la Commission. Dans le cas qui nous intéresse, les versements à la SODRAC n’ont pas, en soi, un impact sur la valeur des droits d’exécution. [34] Les montants en jeu ne sont pas connus : le dossier établit le prix payé pour le droit de synchronisation, sans isoler le prix (nécessairement inférieur) qui pourrait être attribué aux «copies éphémères». Il est plus que probable que ces montants sont suffisamment bas pour ne pas avoir d’effet significatif sur la capacité de payer des télédiffuseurs.

E. La date de prise d’effet de la réduction

Entre le 1er janvier 1994 et la date de la présente décision, les télédiffuseurs se sont conformés aux dispositions du tarif de 1993, en application de l’article 67.3 de la Loi . Leurs paiements ont été effectués à titre intérimaire et la Commission peut réduire le taux à partir du 1er janvier 1994. Dans les circonstances de l’espèce, plusieurs motifs nous amènent néanmoins à n’appliquer la réduction qu’à partir du 1er janvier 1997.

Premièrement, réduire le taux dès janvier 1994 compliquerait sérieusement les choses tant pour les télédiffuseurs que pour les compositeurs. Il faudrait ajuster non seulement les versements effectués à la SOCAN, mais aussi les montants que les auteurs ont reçus. Les coûts de ces ajustements dépasseraient les bénéfices que les radiodiffuseurs pourraient tirer d’un remboursement. Il faudrait que les radiodiffuseurs supportent eux aussi ces coûts : comme dans ce cas-ci, personne n’est à blâmer pour le temps mis à rendre une décision finale, il serait injuste de faire porter uniquement par les auteurs le fardeau découlant de ces ajustements.

Deuxièmement, le taux en vigueur en 1993 était le même depuis presque une dizaine d’années. Les pratiques financières et comptables exigeaient donc que les décisions d’affaires soient prises, et les rapports déposés, en tenant pour acquis que le taux resterait le même. Il n’est pas nécessaire de revenir sur des transactions passées et fermées.

Troisièmement, si les conséquences d’un retard dans la réduction du taux sont relativement minimes pour l’industrie de la télévision, celles qu’entraînerait pour la SOCAN une baisse du taux à partir de janvier 1994 sont beaucoup plus importantes. Si la Commission avait opté pour appliquer une réduction avant 1997, elle aurait choisi de le faire progressivement, en plafonnant les redevances pour deux ans à leur niveau de 1994. Ce plafonnement aurait entraîné des économies de 2,6 millions de dollars en 1995 et de 4 millions de dollars en 1996. [35] Pour importants qu’ils puissent paraître, ces montants ne représentent que 0,2 pour cent des revenus de l’industrie en 1995, et 0,3 pour cent en 1996. Par contre, 2,6 millions de dollars, c’est 5 pour cent de tous les montants distribués par la SOCAN en 1995, et 10 pour cent des distributions pour la cagnotte télévision. [36] De plus, comme on l’a déjà dit, les économies réalisées auraient été réduites pour tenir compte, du moins pour partie, des dépenses importantes que la SOCAN aurait dû engager pour effectuer les corrections nécessaires aux perceptions et distributions antérieures.

Quatrièmement, la Commission croit que la réduction du taux à 1,8 pour cent, combinée à l’autre mesure que contient la présente décision, fournira aux radiodiffuseurs des bénéfices à long terme qui compenseront largement le manque à gagner que pourrait entraîner un retard dans l’application de cette réduction.

Cinquièmement, la Commission a tenu compte, en établissant le nouveau taux à 1,8 pour cent plutôt qu’à un autre niveau, du fait que la réduction prendrait effet en 1997 plutôt qu’en 1994.

F. La licence générale modifiée (LGM)

i. Le principe

La Commission est convaincue que le tarif devrait permettre expressément aux télédiffuseurs de réduire le montant des redevances qu’ils versent à la SOCAN s’ils diffusent de la programmation ne contenant pas de musique pour laquelle ils ont besoin de la licence de cette société, que ce soit parce que la musique utilisée ne fait pas partie de son répertoire ou que les droits nécessaires ont été affranchis d’une autre façon. Pour les motifs suivants, la Commission conclut que les télédiffuseurs devraient pouvoir opter pour une LGM.

Premièrement, la Commission fait sienne la preuve présentée par les professeurs Globerman et Stanbury portant que la structure institutionnelle actuelle, fondée sur le «tout ou rien», ne convient plus aujourd’hui. Cette conclusion se fonde sur les motifs exposés dans la partie V.C.1. La Commission conclut par ailleurs qu’une licence permettant aux télédiffuseurs de ne pas avoir à payer pour la licence SOCAN à l’égard de certaines émissions peut co-exister avec la licence générale standard sans pour autant mettre en péril la protection de nature universelle qu’offre le présent régime.

Deuxièmement, une part importante de la musique incorporée aux émissions de télévision est composée sur commande; les producteurs font déjà affaire avec les compositeurs pour acquérir le droit de synchronisation. Comme les télédiffuseurs sont aussi producteurs d’émissions de télévision, il leur est d’autant plus facile de conclure des ententes avec les compositeurs. Tous ces facteurs nous amènent à penser qu’il y a lieu de permettre aux télédiffuseurs de faire affaire directement avec les compositeurs dans le but d’en arriver à des ententes librement négociées.

Troisièmement, avec la LGM, les compositeurs peuvent continuer d’avoir recours à la structure institutionnelle actuelle ou opter pour d’autres modes de rémunération. S’en tenir au régime actuel leur impose un modèle de taille unique.

La SOCAN met de l’avant certains arguments à l’encontre de la création de la LGM. La Commission les rejette, pour les motifs suivants.

a. La LGM est compatible avec la politique publique

Contrairement à ce que soutient la SOCAN, la Commission conclut que la LGM est compatible non seulement avec la politique gouvernementale en général, mais aussi avec les politiques qui sous-tendent la Loi. La LGM ne met pas en péril la notion de licence générale, puisqu’elle est elle-même une licence générale. [37] Les compositeurs ne sont pas obligés d’octroyer directement aux télédiffuseurs des licences pour leurs droits d’exécution; ils peuvent refuser de traiter et continuer de s’en remettre à la SOCAN pour percevoir des redevances. La LGM ne prive pas les compositeurs de leur droit d’opter pour la gestion collective de leurs droits d’exécution; seule la SOCAN pourrait restreindre l’accès des compositeurs à la gestion collective, en continuant d’exiger des cessions exclusives du droit d’exécution.

La SOCAN prétend par ailleurs que la LGM nuira aux compositeurs canadiens, puisqu’elle entraînera la mise sur pied d’un système à deux vitesses : la musique incorporée à la programmation canadienne sera affranchie à la source, et seule la musique incorporée à la programmation étrangère verra son droit d’exécution géré collectivement. Cette façon de voir exagère la portée éventuelle de la LGM. La Loi permet aux compositeurs de gérer presque tous leurs droits, y compris le droit d’exécution, soit eux-mêmes, soit collectivement, sans devoir tenir compte de la façon dont les compositeurs étrangers ont décidé de gérer ces mêmes droits. Par conséquent, la décision du compositeur de gérer lui-même ses droits d’exécution dans un marché donné ne devrait pas être fonction de la décision de compositeurs étrangers sur la façon dont ils entendent gérer leurs droits au Canada. Qui plus est, il n’y a rien d’intrinsèquement pervers dans le scénario que décrit la SOCAN, pour autant que ses membres décident qu’il devrait en être ainsi.

Les craintes de la SOCAN à l’égard d’une mesure qui ne fait que permettre la conclusion d’ententes a de quoi surprendre lorsqu’on connaît la position, maintes fois répétée, de la SOCAN à l’égard des ententes qu’elle conclut elle-même avec des utilisateurs ou avec certains groupes. La SOCAN demande souvent à la Commission d’avaliser de telles ententes. Parfois, elle s’y conforme sans déposer de tarif. [38] Il lui arrive même de respecter les termes d’une entente incompatible avec un tarif que la Commission a homologué. [39] La création de la LGM permet simplement à certaines autres ententes, d’un genre différent, d’agir sur le montant des redevances que la SOCAN peut percevoir. On comprend mal pourquoi la SOCAN voudrait empêcher ses membres d’avoir recours à des mécanismes qu’elle utilise constamment.

b. Les télédiffuseurs feront preuve de bonne foi dans leurs rapports avec les compositeurs

La SOCAN, se fondant sur le témoignage des compositeurs qui ont comparu, se dit préoccupée du fait que ceux-ci ne pourront traiter d’égal à égal avec les télédiffuseurs lors de négociations en amont. La Commission conclut que ces craintes n’ont pas de fondement économique. Les télédiffuseurs ont intérêt à négocier de bonne foi et à maintenir à long terme des rapports cordiaux. Ces craintes ignorent par ailleurs les modèles de négociation collective mis au point par d’autres et qui sont maintenant accessibles de façon plus générale suite à l’adoption de la LSA.

Le dossier de la présente affaire amène la Commission à formuler les conclusions qui suivent. Premièrement, les télédiffuseurs et les compositeurs concluent déjà des ententes bilatérales visant la composition sur commande et le droit de synchronisation (du moins ailleurs qu’au Québec). Deuxièmement, les intéressés sont à peu près d’égale force dans le marché qui nous concerne, bien que les acheteurs aient un peu plus de pouvoir. Les transactions qui s’effectuent ne semblent en rien refléter un déséquilibre de pouvoir relatif dans ce marché; d’ailleurs, le fait que les télédiffuseurs soient en mesure d’obtenir la part de l’éditeur du droit d’exécution n’est pas le signe d’un tel déséquilibre. Troisièmement, les télédiffuseurs jouent un rôle important de promotion de la programmation, y compris de la musique qu’on y retrouve, à travers le monde.

La Commission prend acte des assurances offertes par l’ACR portant que ses membres traiteront de bonne foi avec les compositeurs. De telles assurances ne constituent pas des preuves; la Commission s’attend néanmoins à ce que les télédiffuseurs les respectent. Elle n’entend pas permettre l’émergence d’une situation qui verrait les compositeurs transiger à partir d’une position de faiblesse.

De toute façon, le fait de permettre la conclusion de marchés en amont ne devrait pas créer de désavantage pour les compositeurs. Ces derniers transigent déjà dans plusieurs marchés où la gestion collective n’existe pas, tel le marché des «grands droits». Ils peuvent se syndiquer ou avoir recours aux services de conseillers juridiques ou d’agents. Le pouvoir des compositeurs est évidemment beaucoup plus grand s’ils décident d’avoir recours à la négociation collective. Certains ressorts, dont le Québec et le fédéral, ont déjà mis sur pied des régimes protégeant les artistes. Dans d’autres, les compositeurs sont en mesure de se constituer en syndicats ouvriers. [40] Et surtout, on peut avoir recours avec succès à la négociation collective même en l’absence de tout régime juridique la prévoyant, comme le démontre clairement le cheminement de l’ACTRA. [41]

Ce qui est encore plus important, finalement, est le fait que rien n’empêche la SOCAN de s’adapter aux nouvelles réalités du marché. Elle peut modifier son mandat de façon à être en mesure de protéger et de défendre les intérêts de ses membres dans les domaines autres que le droit d’exécution. Elle l’a clairement démontré récemment en ouvrant la porte à une action de sa part dans le domaine des droits de reproduction en matière de copie privée. [42]

c. La LGM n’avantagera pas les compositeurs américains

La SOCAN prétend que la création de la LGM encouragera les producteurs, y compris les télédiffuseurs, à utiliser les services de compositeurs américains membres de l’ASCAP, seule société de gestion à obtenir de ses membres des cessions à caractère non exclusif pour le monde entier. [43] Le dossier de la présente affaire est à l’effet contraire.

Premièrement, l’utilisation de compositeurs canadiens confère un des «points» servant à établir si une émission se qualifie aux fins des exigences de contenu canadien du CRTC. Le régime encourage donc de façon significative le recours à des compositeurs canadiens. [44]

Deuxièmement, le fait que la SOCAN obtienne à l’heure actuelle des cessions exclusives n’est pas pertinent, et certainement pas déterminant. Les radiodiffuseurs seraient en mesure d’obtenir de la musique canadienne de plusieurs façons même si cette situation perdurait. Le scénario le plus plausible voudrait que de nouveaux compositeurs ne se joignent pas à la SOCAN et que certains membres la quittent à l’expiration de leur contrat d’affiliation. Ces compositeurs deviendraient alors membres de l’ASCAP, qui n’exige pas que ses membres résident aux États-Unis. [45] Ce faisant, ils obtiendraient tous les bénéfices de la gestion collective et ce, même si la SOCAN continuait d’exiger des cessions exclusives de la part de ses membres. [46]

D’autres scénarios peuvent être envisagés. Des compositeurs canadiens pourraient être à l’emploi de sociétés qui ne sont pas membres de la SOCAN. Les télédiffuseurs pourraient avoir recours aux services de «bibliothèques de musique». [47] Le fait qu’autant de possibilités existent atténue considérablement les risques que la création de la LGM avantage les compositeurs américains, comme l’avait mentionné la Commission auparavant. [48]

La création de la LGM pourrait avantager les membres canadiens de l’ASCAP, mais uniquement si la SOCAN insiste pour empêcher ses membres de transiger directement en matière de droits d’exécution à la télévision.

Comme le vice-président Hétu le souligne dans sa dissidence, il existe, du moins en théorie, un scénario en vertu duquel l’intégrité de la licence générale serait mise en péril. Pour que cela se produise, il faudrait que la SOCAN continue d’exiger des cessions exclusives et que les compositeurs canadiens quittent la SOCAN sans devenir membres de l’ASCAP. Pour en arriver à cela, il faudrait que les intéressés aient un comportement irrationnel ou fassent preuve de mauvaise foi, et, qui plus est, se concertent de façon consciente et volontaire.

d. La création de la LGM se fera sans grandes difficultés

La SOCAN a raison de prétendre qu’au début, la LGM soulèvera certaines difficultés. Toutefois, la preuve portant sur l’expérience américaine et la PPL semble indiquer que ces difficultés devraient être relativement mineures. Ainsi, la technologie dont les parties disposent ainsi que les méthodes comptables existantes font en sorte qu’il est relativement facile de répartir les recettes entre les émissions. [49] La plupart des télédiffuseurs canadiens disposent déjà de systèmes de gestion du trafic et de la programmation leur permettant d’exécuter les tâches nécessaires à la mise en œuvre de la licence. [50] D’ailleurs, le fait que les mécanismes de distribution de la cagnotte télévision utilisés par la SOCAN soient beaucoup plus au point que ceux de l’ASCAP permettra d’écarter certaines des difficultés de mise en œuvre que la PPL a connues aux États-Unis. [51]

Quant au reste, l’ACR offre de coopérer avec la SOCAN pour aplanir les inévitables problèmes qui se soulèveront en pratique. La Commission s’attend à ce que l’ACR donne suite à cette offre. De toute façon, tous ces problèmes auront probablement été identifiés d’ici à ce que la Commission homologue le tarif s’appliquant à compter de 1998, ce qui lui permettra d’en disposer à ce moment-là. Il est improbable qu’entre-temps, les parties aient à faire face à une difficulté dont elles doivent disposer immédiatement et sur laquelle elles n’arrivent pas à s’entendre; le cas échéant, elles pourront toujours avoir recours à des modes alternatifs de règlement des conflits.

ii. Le directeur

La dissidence fait référence au Directeur des enquêtes et recherches. La décision majoritaire n’en parle pas. La Commission tient à souligner que le directeur n’est pas intervenu dans la présente affaire. Toute discussion sur les mesures que le directeur pourrait ou non décider de prendre dans l’exercice de sa compétence reste hypothétique. Ce genre d’hypothèse n’est pas pertinente pour la Commission; par conséquent, elle ne traite pas de la question.

iii. Les modalités

La création d’un mécanisme tel la LGM est chose délicate. Il faut garder à l’esprit plusieurs objectifs. Les télédiffuseurs doivent obtenir leur juste part des bénéfices engendrés par cette mesure, sans pour autant mettre en péril la gestion collective. Il ne faut pas que la SOCAN paie la note pour la décision de l’utilisateur d’acquérir autrement les droits d’exécution dont il a besoin. Les consommateurs doivent continuer de payer pour l’utilisation qu’ils font de la musique faisant partie du répertoire de la SOCAN. Enfin, la mesure ne doit pas mettre en péril la licence générale.

a. Les modalités de paiement

Tel qu’il se lit actuellement, le tarif 2.A utilise des données vieilles de deux mois pour établir le montant de la redevance pour une période donnée : la redevance de février est versée le 31 janvier et calculée en fonction des revenus du mois de décembre précédent. Cette façon de faire ne soulève pas de difficultés en ce moment : éventuellement, il est tenu compte de tous les revenus pertinents. Il n’en serait pas de même, toutefois, si la redevance pour la LGM du mois de février était fonction de la programmation du mois de décembre.

Il nous semble plus équitable que l’escompte dont bénéficiera un télédiffuseur soit fonction des droits qu’il a pu affranchir ce mois-là. On peut y arriver de deux façons; pour illustrer, utilisons encore une fois la licence du mois de février. On pourrait exiger du télédiffuseur qu’il verse une redevance intérimaire le 31 janvier, établie en fonction des données du mois de décembre (tant les revenus que les droits affranchis); le 31 mars, on procéderait à un ajustement en fonction des données réelles du mois de février. On pourrait aussi demander que les redevances pour la licence du mois de février soient versées le 31 mars et établies en fonction des données réelles de février.

La Commission opte pour le deuxième scénario. Le premier est inutilement lourd; chaque mois, il nécessite deux rapports, un paiement intérimaire et un ajustement. Le second n’exige qu’un rapport et un versement.

Le scénario envisagé fait en sorte que les titulaires d’une LGM versent leurs redevances deux mois plus tard que les autres stations. Il faut donc corriger pour tenir compte du facteur d’intérêt. La Commission établit cette correction à 1 pour cent des redevances qui seraient versées en vertu de la licence standard, soit environ 6 pour cent par année.

b. Les exigences de rapport

Les exigences de rapport mises de l’avant par l’ACR semblent raisonnables. La SOCAN n’en propose pas d’autres. Celles de l’ACR sont donc retenues.

Par conséquent, les titulaires d’une LGM devront, en même temps que leur paiement, énumérer les émissions pour lesquelles ils se prévalent de la LGM, identifier la musique qu’elles contiennent et préciser les revenus qu’elles ont produits.

Nous avons ajouté au texte du tarif une clause qui oblige le titulaire d’une LGM à fournir à la SOCAN copie des documents sur lesquels elle se fonde pour dire que les droits sur une œuvre ont été affranchis. Cette disposition devrait permettre d’atténuer certaines des craintes que la SOCAN a exprimées quant aux éventuelles difficultés d’implantation que la licence pourrait soulever.

c. Les ajustements

Tout au cours de la présente affaire, on a fait allusion à un certain nombre de correctifs. De tels ajustements sont nécessaires pour tenir compte des coûts additionnels engendrés par la LGM et de la musique ambiante. D’autres ajustements s’imposent pour tenir compte du temps supplémentaire dont disposent les titulaires d’une LGM pour verser leurs redevances, et pour compenser la SOCAN au titre des frais généraux d’exploitation.

Comme on peut le voir à la lecture du formulaire A, il est facile d’établir précisément le montant versé par une station au titre de chacun des éléments de la LGM. Cela permettra entre autres à la SOCAN, le cas échéant, d’affecter certaines sommes aux fins pour lesquelles elles ont été perçues plutôt que de les imputer à la cagnotte télévision.

Les frais supplémentaires engendrés par la LGM

Une prime de 3 pour cent des redevances qui seraient versées en vertu de la licence standard est imposée pour tenir compte des frais supplémentaires engendrés par la LGM. Seule l’ACR, qui propose une majoration de 2 pour cent, a déposé une preuve à cet égard. Aux États-Unis, la prime est de 7 pour cent. Une prime de 2 pour cent est sans doute insuffisante, même si l’on tient pour acquis, comme le propose l’ACR, que les frais additionnels engagés par la SOCAN au titre de la LGM seront moindres que pour l’ASCAP.

Le facteur d’intérêt

Comme on l’a déjà dit, une prime de 1 pour cent des redevances qui seraient versées en vertu de la licence standard est imposée pour tenir compte du fait que les titulaires d’une LGM versent leurs redevances deux mois plus tard que les autres stations.

Les frais d’exploitation

Une prime de 22 pour cent de 95 pour cent des redevances qui seraient autrement versées au titre de la programmation dont les droits ont été affranchis est imposée pour tenir compte des frais d’exploitation généraux de la SOCAN. La proposition de l’ACR passe ces frais sous silence. Ce faisant, on fait supporter une plus grande part des frais d’exploitation aux autres cagnottes. L’ACR demande donc, en quelque sorte, que les compositeurs qui reçoivent une part de la cagnotte concerts, par exemple, supportent une plus grande part des frais généraux d’exploitation de la SOCAN parce que les télédiffuseurs sont en mesure d’affranchir une portion de leurs droits d’exécution ailleurs qu’à la SOCAN, ou que certains compositeurs ont opté de se faire payer autrement que par cette dernière. La Commission n’entend pas qu’une telle chose se produise.

La LGM met en péril la gestion collective si elle ne tient pas compte de toutes les dépenses de la SOCAN, et pas seulement des frais additionnels engendrés par la LGM elle-même. Il faut donc, à tout le moins au départ, que la mesure n’entraîne pas de déplacement de coûts pour la SOCAN. Les avantages dont bénéficieront les titulaires d’une LGM ne doivent pas être obtenus aux dépens des compositeurs qui reçoivent de l’argent des autres cagnottes. Les titulaires d’une LGM devraient donc continuer de payer leur part des dépenses d’exploitation de la SOCAN, sans égard à la quantité de musique qu’ils affranchissent.

De plus, il est probable, et même certain pour ce qui est de la musique ambiante, que les titulaires d’une LGM continueront de tirer profit de son caractère général pour la majorité de leur programmation. Le caractère universel de la licence repose sur l’existence même de la SOCAN. Les titulaires d’une LGM doivent donc payer leur juste part de ses frais d’exploitation.

Puisque la LGM tient maintenant compte des frais généraux d’exploitation de la SOCAN, ces derniers deviennent pertinents à la fixation du tarif. Cela entraîne trois conséquences. Premièrement, la prime pourra être ajustée si le rapport entre les frais généraux de la SOCAN et ses revenus augmente ou diminue de façon significative. Deuxièmement, tant l’efficacité de la SOCAN que ses règles de distribution entrent maintenant en jeu au moment de l’examen d’au moins un des éléments du tarif 2.A. [52] Troisièmement, la SOCAN devrait envisager sérieusement la possibilité de recueillir des données permettant à la Commission comme à d’autres d’établir plus facilement les frais réels imputables à l’exploitation des diverses cagnottes.

On obtient le chiffre de 22 pour cent en divisant les frais d’exploitation de la SOCAN en 1996 par le total de ses revenus et d’un montant qui tient compte des sommes à percevoir en application du tarif 17 (Transmission de services par câble, y compris les services de télévision payante et les services spécialisés). Aucun ajustement n’est fait pour tenir compte de la réduction du taux de 2,1 à 1,8. La prime s’applique uniquement à 95 pour cent des revenus attribuables à la programmation dont les droits sont affranchis : tant les redevances versées au titre de la programmation pour laquelle la station a besoin de la licence SOCAN que les sommes versées au titre de la musique ambiante et incidente tiennent déjà compte des frais d’exploitation généraux.

TABLE II 53 / TABLEAU II [53]

Calculation of the Compensatory Operating Fee

Calcul des droits compensatoires des frais d’exploitation

Actual domestic revenues in 1996 [000$] 54

Revenus domestiques réels en 1996 [000$] [54]

 

75,752

1996 domestic revenues with Tariff 2.A at 1.8% [000$]

Revenus domestiques en 1996 si le tarif 2.A avait été de 1,8% [000 $]

 

71,792

1996 domestic revenues corrected to account for Tariff 17 55

Revenus domestiques en 1996 ajustés pour tenir compte du tarif 17 [55]

 

80,792

1996 operating expenses 56

Frais d’exploitation en 1996 [56]

 

17,553

Ratio of operating expenses to corrected domestic revenues

Rapport entre les frais d’exploitation et les revenus domestiques révisés [17,553/ 80,792]

21.73%

Musique ambiante et incidente, y compris la musique dans les messages publicitaires

La musique ambiante est celle qui accompagne inévitablement la diffusion ou l’enregistrement d’un événement tel un défilé ou un discours. La musique incidente est celle contenue dans les messages publicitaires, les messages d’intérêt public, l’autopromotion et les indicatifs de station. Dans un cas comme dans l’autre, il est impossible ou peu pratique d’affranchir les droits pour cette musique; il faut donc prévoir à cet égard une prime distincte que devront verser les titulaires d’une LGM.

Cette prime est fixée à 5 pour cent des redevances qui seraient autrement versées au titre de la programmation dont les droits ont été affranchis. C’est la même que versent les télédiffuseurs américains. L’ACR avait demandé de la fixer à 3 pour cent. Elle n’a toutefois pas fourni de motifs convaincants pour cette réduction, et rien dans la preuve ne permet de croire que les stations canadiennes utilisent moins de musique de ce genre que les stations américaines.

Le fait que la SOCAN ne tienne pas compte de ce genre de musique dans ses règles de distribution n’est pas pertinent. Elle appartient malgré tout à la SOCAN, et les télédiffuseurs ont besoin d’une licence pour l’utiliser. L’ACR n’a pas convaincu la Commission que ce genre de musique est sans valeur pour les télédiffuseurs. Enfin, l’exemption prévue à l’article 30.7 de la Loi , tel qu’édicté par le projet de loi C-32, n’est pas aussi généreuse que l’ACR le prétend. [57]

Toutefois, il ne sera pas tenu compte de la musique contenue dans les messages publicitaires.

Encore une fois, le fait que la SOCAN ne rémunère pas ce genre de musique n’est pas pertinent. De toute façon, il ne saurait être question de permettre à la SOCAN de dicter la structure tarifaire par le biais de changements à ses règles internes de distribution. Cela ne règle pas pour autant la question.

Les messages publicitaires sont soit des émissions à part entière, soit parties des émissions dans lesquelles ils sont incorporés. Dans un cas comme dans l’autre, la Commission conclut qu’ils ne devraient pas entraîner le versement de redevances par le télédiffuseur.

Dans la première hypothèse, les messages publicitaires sont des émissions qui ne génèrent pas de revenus pour le télédiffuseur. Le prix payé pour faire diffuser le message est versé dans le but de le faire diffuser en même temps qu’une autre émission qui, elle, bénéficie d’une certaine écoute : le concessionnaire automobile paie pour que son message soit diffusé en même temps que le bulletin de nouvelles locales de 18 h, et non l’inverse. Par conséquent, si l’on s’en tient à l’hypothèse voulant que la valeur de la musique soit fonction des revenus générés par la programmation dans laquelle on la retrouve, on peut se permettre de ne pas tenir compte de la musique contenue dans les messages publicitaires.

Si, par contre, les messages publicitaires font partie intégrante des émissions auxquelles on les incorpore, la Commission conclut que la musique de la SOCAN dans ces messages a une valeur pour le publicitaire, mais peu ou pas pour le télédiffuseur. Il est intéressant de noter que c’est exactement la façon dont le marché pertinent opère : ce sont les agences de publicité qui versent aux compositeurs (à titre de musiciens) des droits de suite. [58]

Enfin, en ne tenant pas compte de la musique incorporée aux messages publicitaires dans la LGM, la Commission sera davantage en mesure de déterminer la vraie nature des profils d’utilisation de musique par les télédiffuseurs.

Ce n’est pas la première fois que la Commission traite la programmation incidente comme ayant une valeur négligeable. Dans sa deuxième décision portant sur la retransmission, elle n’a pas tenu compte, pour fins de distribution, des émissions interstitielles au motif qu’«elles revêtent moins d’intérêt pour le téléspectateur éloigné que les émissions qu’elles suivent, précèdent ou interrompent.» [59] Il en va de même pour le téléspectateur local, du moins en ce qui concerne la musique.

Comme c’est le cas pour la prime de 22 pour cent visant les frais généraux d’exploitation de la SOCAN, la prime versée pour la musique ambiante s’applique uniquement aux revenus attribuables à la programmation dont les droits sont affranchis. Encore une fois, les redevances versées au titre de la programmation pour laquelle la station a besoin de la licence SOCAN tient déjà compte de cette musique.

Dans le texte du tarif, on utilise l’expression «musique de production» plutôt que «musique incidente», puisqu’il s’agit de l’expression déjà utilisée dans le tarif 1.A (Radio commerciale).

d. Formule fondée sur les revenus ou formule hybride

L’ACR demande que l’escompte permis par la LGM soit établi en fonction des revenus. La SOCAN, se fondant sur le témoignage du professeur Liebowitz, craint qu’une telle formule encourage la pratique du cherry-picking. C’est ce qui se produirait si les télédiffuseurs obtenaient des escomptes importants en affranchissant peu de musique.

Une formule hybride est moins susceptible de mener au cherry-picking. Toutefois, pour trois motifs, la Commission retient, pour l’instant, une formule fondée sur les revenus. D’abord, l’administration de la licence s’en trouve simplifiée; une formule hybride la compliquerait inutilement à ce stade-ci. Il faut permettre à la SOCAN et aux télédiffuseurs de voir comment la formule opère; on pourra toujours procéder ultérieurement à des ajustements. Ensuite, les primes imposées réduisent de beaucoup l’impact éventuel du cherry-picking. Pour autant que la SOCAN soit concernée, la prime de 22 pour cent au titre de ses frais d’exploitation les élimine complètement. Enfin, les profils d’utilisation de musique dans la programmation télévisuelle font en sorte qu’une formule hybride n’avantagerait pas les compositeurs ou les télédiffuseurs canadiens.

e. La façon d’opter pour la LGM

L’ACR demande qu’un télédiffuseur puisse exercer une option deux fois par année. C’est la formule américaine. La SOCAN n’a pas offert de commentaire. À première vue, la suggestion semble raisonnable.

Les télédiffuseurs ne pourront donc exercer cette option qu’à l’égard de périodes subséquentes à la présente décision. Cela concorde avec la position prise par l’ACR. [60]

f. Rapports mensuels ou trimestriels

L’ACR a demandé que les titulaires d’une LGM fassent rapport à tous les trois mois. Nous ne voyons pas pourquoi ceux-ci ne devraient pas fournir à la SOCAN des rapports complets à tous les mois, comme le font les autres stations.

g. Plafonds et planchers

M. Zwaska a révélé, durant son témoignage, que les ententes conclues par l’ASCAP et la BMI garantissent à ces sociétés un montant-plancher. L’entente conclue par la BMI prévoit par ailleurs un montant-plafond. La Commission a discuté davantage de cette question avec divers témoins. Aucun d’entre eux ne s’est opposé à ces mesures, alors que certains ont semblé la trouver intéressante. Ni la SOCAN, ni l’ACR ont traité de la question dans leur argumentation.

La Commission n’entend pas avoir recours à l’une ou l’autre de ces mesures. Comme la surprime non remboursable attribuable à la LGM n’est que de 4 pour cent des redevances qui seraient versées en vertu de la licence standard, [61] il n’est pas nécessaire d’imposer un montant-plafond. La surprime américaine est beaucoup plus importante, en partie parce qu’il existe plus d’une société de gestion. Le risque de versements excessifs est donc, à toutes fins utiles, éliminé.

De prime abord, un montant-plancher pourrait s’avérer utile à plusieurs égards. Il assurerait une implantation progressive de la LGM, permettant ainsi à la Commission d’en jauger l’impact sur le marché visé avant d’en permettre la pleine application. Dans certaines circonstances, il aiderait aussi à garantir l’existence continue de la gestion collective et à limiter les risques de cherry-picking.

Un montant-plancher n’est toutefois réellement utile que si la plupart de la programmation provient du même pays. Compte tenu de l’importance de la programmation étrangère pour la télévision canadienne et de la difficulté relative d’en affranchir les droits, la présence d’un montant-plancher pourrait décourager les télédiffuseurs canadiens de tenter d’affranchir ces droits, ce qui irait à l’encontre du but recherché.

Il convient davantage de régler ce problème en corrigeant la structure même de la LGM. Cette façon de procéder élimine par ailleurs le besoin d’établir un montant-plancher. Encore une fois, la Commission conclut que la prime de 22 pour cent imposée au titre des dépenses d’exploitation de la SOCAN rend cette mesure inutile.

h. La possibilité de se prévaloir de la LGM lorsque le télédiffuseur détient la part de l’éditeur pour toute la musique d’une émission

Les télédiffuseurs détiennent parfois la part de l’éditeur de la musique composée dans le but exprès d’être incorporée dans leur programmation. L’ACR demande que les télédiffuseurs puissent obtenir la moitié des bénéfices qui découlent de la LGM lorsqu’ils détiennent, directement ou indirectement, cette part à l’égard de toute la musique comprise dans une émission. La Commission rejette cette demande, pour deux motifs.

Premièrement, c’est la SOCAN, et non les télédiffuseurs, qui détient la part de l’éditeur des droits d’exécution. Le télédiffuseur n’a qu’un droit de rémunération, qui s’exerce conformément aux règles internes de distribution de la SOCAN. Dans presque tous les cas, la SOCAN acquiert tous les droits d’exécution du compositeur au moment de son adhésion à la SOCAN. Exceptionnellement, il arrive qu’un compositeur cède tout ou partie du droit d’exécution à un éditeur avant de devenir membre de la SOCAN; dans ce cas, cette dernière acquiert les droits lorsque l’éditeur lui-même joint ses rangs. Un télédiffuseur ne peut véritablement être titulaire du droit d’auteur qu’à deux conditions qui se retrouvent rarement : l’éditeur, qui n’est pas membre de la SOCAN, acquiert des droits d’un compositeur qui ne l’est pas non plus.

Deuxièmement, faire droit à la demande de l’ACR ouvrirait la porte à une autre forme de cherry-picking. Le télédiffuseur établirait deux maisons d’édition. La première, qui n’adhérerait pas à la SOCAN, affranchirait les droits pour la programmation dont les revenus dépassent la moyenne. La seconde, qui en serait membre, détiendrait les droits à l’égard des autres émissions. Ce faisant, compte tenu des pratiques de la SOCAN en matière de distribution, elle recevrait davantage que si elle avait affranchi ses propres droits à la source. La Commission n’entend pas permettre qu’une telle chose se produise.

i. Modes alternatifs de règlement des conflits

Durant les audiences, la Commission a soulevé la question des mécanismes de règlement des conflits. Les parties ont dit trouver l’idée intéressante. [62] Dans son argumentation principale, la SOCAN n’a pas commenté la question, mais l’ACR a reconnu la nécessité d’avoir recours à de tels mécanismes; [63] en réplique, la SOCAN n’a pas commenté cette partie de l’argumentation de l’ACR.

Le recours aux tribunaux judiciaires est coûteux. Quant aux décisions de la Commission, elles ne peuvent corriger les problèmes pour le passé. Les parties doivent disposer de moyens leur permettant d’aplanir les difficultés que l’implantation de la LGM pourrait soulever. Elles devraient donc envisager le recours à la médiation et à l’arbitrage.

Cela étant dit, le tarif ne comporte pas de dispositions portant sur le règlement des conflits. Une telle disposition aurait été nécessairement de nature très générale. Avant de l’inclure, il est important de traiter des divers éléments qui devraient l’accompagner.

La Commission invite les parties à commenter l’à-propos d’inclure un tel mécanisme dans le tarif.

G. Conclusion de l’analyse : l’impact combiné de la réduction du taux et de la création de la LGM

Les mesures mises de l’avant dans la présente décision procurent aux télédiffuseurs certains bénéfices, tout en confirmant à long terme le rôle de la SOCAN dans le domaine des droits d’exécution à la télévision. Ainsi, la baisse du taux de 2,1 pour cent à 1,8 pour cent réduit le montant des redevances payables par les télédiffuseurs tout en procurant à la SOCAN en 1996 un montant égal à ce qu’elle avait perçu en 1994; or, entre 1994 et 1997, l’inflation a été très réduite.

Quant à la LGM, ses effets devraient être bénéfiques sous plusieurs aspects. Le marché pourra jouer un rôle plus important qu’en ce moment. Les télédiffuseurs et compositeurs disposeront de nouvelles façons de transiger les droits d’exécution, sans pour autant que la gestion collective ou le caractère général de la licence soient mis en péril. Telle que formulée, la LGM procurera des bénéfices additionnels aux télédiffuseurs sans nuire à la situation financière de la SOCAN. Comme on peut le constater à la lecture du tableau III, une station devra affranchir les droits musicaux afférents à une programmation générant un peu moins de 40 pour cent de ses revenus si elle entend réduire les redevances qu’elle verse à la SOCAN de 25 pour cent.

TABLE III / TABLEAU III

REDUCTION FOR A STATION THAT CLEARS 40 PER CENT OF REVENUES

(all figures as a percentage of royalties payable by a non-MBL station)

RÉDUCTION OBTENUE EN AFFRANCHISSANT 40 POUR CENT DES REVENUS

(en pourcentage des redevances payables en vertu de la licence standard)

Payment on account of uncleared program / Redevances pour la programmation non affranchie

60%

Payment for additional operating expenses / Prime pour les dépenses additionnelles

3%

Interest factor / Facteur d’intérêt

1%

Payment for SOCAN’s general expenses / Dépenses générales de la SOCAN : 22% × 95% × 40%

8.4%

Ambient music payment / Musique ambiante : 5% × 40%

2%

TOTAL

74.4%

REDUCTION / RÉDUCTION

25.6%

Pour les motifs qui précèdent, la Commission est convaincue qu’à long terme, ces mesures bénéficieront aux compositeurs canadiens, ne serait-ce qu’à cause de l’importance croissante des redevances provenant de l’étranger. Personne ne peut prédire précisément l’impact de ces mesures sur les paiements en amont que recevra chaque compositeur ou encore, sur le montant total de ses revenus. Si, comme d’autres le prétendent, il existe un rapport entre les montants versés en amont et en aval, alors, avec le temps et dans l’ensemble, le second a probablement un effet sur le premier et donc, les mesures prévues dans la présente décision accroîtront l’importance des transactions de marché. Il s’agit là d’une conséquence d’un marché en pleine évolution, que la Commission croit qu’il est temps qu’on accepte.

Le secrétaire de la Commission,

Signature

Claude Majeau


DISSIDENCE DU VICE-PRÉSIDENT HÉTU

VI. INTRODUCTION

Tout comme mes collègues, et pour les mêmes motifs, je considère injustifiés les ajustements proposés à l’égard du réseau CTV et de la SODRAC, et je rejetterais l’objection de la SODRAC à la production de certains éléments de preuve.

Pour le reste, j’en arrive à des conclusions diamétralement opposées. Je trouve la structure et le taux du présent tarif non seulement satisfaisants, mais supérieurs à ce que propose l’ACR. Selon moi, tant la réduction du taux que la création de la licence générale modifiée (LGM) sont des mesures injustifiées, nuisibles, voire dangereuses.

A. Le context

Je crois utile de refaire brièvement l’historique du tarif et de rappeler les contestations dont il a fait l’objet depuis une dizaine d’années de la part des télédiffuseurs.

L’Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada (CAPAC) dépose son premier projet de tarif visant les stations de télévision commerciales en 1951; BMI Canada [64] le fait en 1954. Les tarifs homologués entre 1951 et 1955 énoncent que l’étude de ces projets est «ajournée sine die». Les tarifs de 1956 et 1957 comportent un tarif télévision pour BMI Canada, et mentionnent que la CAPAC a conclu une entente. En 1958, après la tenue d’audiences, les parties s’entendent. Durant ces trois années, les stations versent chacune une quote-part d’un montant forfaitaire établi pour l’ensemble de l’industrie.

À partir de 1959 et jusqu’en 1971, le tarif reflète les termes d’ententes conclues entre l’industrie et les sociétés de gestion. En 1959, les parties demandent à ce que le tarif soit établi à 2,1 pour cent des recettes d’une station. D’autres ententes font passer le taux à 2,2 pour cent en 1963 puis à 2,25 pour cent en 1969. En 1972, BMI Canada formule une demande qui ferait passer le taux combiné à 2,5 pour cent. L’ACR s’oppose et le statu quo est maintenu. Une autre entente fait passer le taux à 2,35 pour cent en 1973 et à 2,4 pour cent en 1974. L’ACR demande une réduction du taux en 1978; la Commission d’appel du droit d’auteur rejette la demande. Suite à d’autres ententes, le taux demeure à 2,4 pour cent de 1979 à 1984.

Depuis 1985, les télédiffuseurs se sont constamment opposés au tarif, ce qui a entraîné la tenue de sept audiences. En 1985, l’ACR demande de ramener le taux à 1,75 pour cent, à mi-chemin entre le taux de 2,4 pour cent et le taux versé par les stations américaines, qu’on estime alors à environ 1,09 pour cent. Le réseau de télévision Global demande une «licence limitée couvrant uniquement l’usage de la musique dans la programmation non canadienne», de façon à permettre l’affranchissement à la source des droits d’exécution de la musique contenue dans la programmation canadienne. [65] La station CJOH recherche une licence générale permettant de réduire les redevances en fonction de la quote-part représentée par la musique affranchie par rapport à la quantité totale de musique utilisée. La Commission d’appel du droit d’auteur rejette ces demandes, maintient le taux à 2,4 pour cent tout en plafonnant les redevances aux montants versés en 1984. Comme les revenus de l’industrie continuent d’augmenter, la part de revenus que représentent les droits d’exécution passe à 2,18 pour cent en 1985. En 1986, la Commission élimine le plafonnement et réduit le taux à 2,1 pour cent. D’autres demandes de réduction formulées en 1987, 1988 et 1989 sont rejetées.

Enfin, pour la période allant de 1990 à 1993, l’ACR demande l’application pure et simple de la formule américaine. Un montant fixe de redevances serait établi pour toute l’industrie. Ce montant, représentant une part de revenus équivalente à celle versée par les télédiffuseurs américains à l’ASCAP et à la BMI, modifié annuellement pour tenir compte de l’inflation, serait réparti entre les stations en fonction des parts de redevances versées en 1990. Une licence «à la pièce» (PPL) aurait permis une réduction en fonction des émissions ne contenant pas de musique de la SOCAN, ce qui aurait permis d’affranchir directement ou à la source les droits d’exécution. La nouvelle Commission s’en est tenue à la formule tarifaire et au taux existants.

Comme on peut le voir, les demandes visant à tenir compte de l’affranchissement direct des droits d’exécution ont été fréquentes. Toutes ont été rejetées et toujours, pour l’essentiel, pour les mêmes motifs. Premièrement, la façon dont la SOCAN gère les droits d’exécution rend impossible l’affranchissement direct des droits. Deuxièmement, et par conséquent, il n’y a pas lieu de mettre en place un système que seuls les compositeurs étrangers pourraient utiliser, ce qui pourrait nuire aux compositeurs canadiens.

Cette fois-ci, et sans doute de façon à répondre à cette objection fondamentale, l’ACR a insisté sur les avantages que pourraient tirer les compositeurs et télédiffuseurs canadiens d’une modification de l’organisation institutionnelle actuelle, ainsi que sur la compétence de la Commission de l’effectuer. Dans son ensemble, la preuve reprend des thèmes familiers; le discours est toutefois différent. Plutôt que de critiquer ouvertement la SOCAN en tant que monopoleur, on a dénoncé, au moyen de divers preuves et arguments, les maux engendrés par l’inefficacité, l’interfinancement et les prix réglementés. On a aussi vanté les mérites de la négociation directe, de l’offre aux compositeurs de choix qu’ils ne demandent pas et même de l’action collective (sauf celle de la SOCAN).

L’ACR ne remet plus en cause la formule tarifaire fondée sur le pourcentage des revenus. Ce qu’elle demande, en fin de compte, c’est que les télédiffuseurs canadiens aient à payer à la SOCAN la même part de leurs recettes que celle que les télédiffuseurs américains ont à payer à l’ASCAP et à la BMI. La LGM mise de l’avant par l’ACR est par ailleurs légèrement différente et plus au point que la PPL proposée en 1993.

B. Analyse

C’est entre autres dans le but d’augmenter l’importance des transactions en amont que l’ACR demande tant une réduction du taux que la création de la LGM. Je traite d’abord de cette question, pour analyser ensuite l’une et l’autre des mesures mises de l’avant par l’ACR.

VII. L’ENCOURAGEMENT DES TRANSACTIONS EN AMONT

A. Introduction

L’ACR veut que les droits d’exécution se transigent le plus souvent possible dans le marché en amont. Pour les nouvelles émissions, cela pourrait se faire en même temps que les droits de composition. [66] L’ACR soutient que cette façon de procéder avantagerait les créateurs canadiens et serait plus efficace.

Encore faut-il déterminer si les tarifs que la Commission adopte devraient encourager la négociation directe des droits d’exécution. Pour ce faire, il me faut d’abord établir qui peut (ou doit) décider de faire gérer collectivement les droits d’exécution d’un compositeur et qui peut (ou doit) déterminer la nature des transactions entre compositeurs et sociétés d’exécution ou agir sur celle-ci.

B. Les compositeurs ont-ils le droit de décider eux-mêmes de faire gérer collectivement, de façon exclusive, leurs droits d’exécution?

L’ACR soutient que deux caractéristiques institutionnelles du régime canadien de gestion collective des droits d’exécution de la musique empêchent l’affranchissement des droits à la source. Il y a le fait que la SOCAN obtient des cessions exclusives du droit d’exécution. Et puis il y a la pratique des licences générales. Il convient tout d’abord de mettre en perspective la question des cessions exclusives, tant par rapport aux droits que la Loi accorde aux compositeurs qu’aux choix qu’elle leur offre. [67]

La Loi accorde à chaque compositeur le droit exclusif d’autoriser ou non l’utilisation de son répertoire, aux conditions qu’il juge à propos d’imposer. Celui qui décide de gérer lui-même ses droits d’exécution exerce sur ceux-ci un contrôle absolu. [68]

La Loi accorde aussi aux compositeurs le droit de décider d’avoir ou non recours à la gestion collective pour tout ou partie de leurs droits. [69] La gestion collective est assujettie à divers régimes réglementaires, dont un vise précisément le droit d’exécution de la musique. [70] Les compositeurs qui optent pour la gestion collective du droit d’exécution en tirent certains avantages, tout en acceptant certaines contraintes. Les sociétés de gestion ne peuvent percevoir de redevances sans avoir fait homologuer un tarif par la Commission. Elles ne contrôlent pas non plus l’accès à leur répertoire : l’utilisateur n’a pas besoin d’une licence; il peut utiliser les œuvres du répertoire s’il offre de verser les redevances établies dans le tarif. [71] Donc, les utilisateurs sont assurés d’avoir accès à ces répertoires, à un prix garanti, juste et équitable.

C’est dans ce contexte législatif que s’exerce le choix des compositeurs d’accorder à la SOCAN des cessions exclusives du droit d’exécution. Ce choix s’exprime tant dans les décisions du conseil d’administration de la SOCAN que par l’adhésion volontaire de chaque compositeur à la société et à ses règlements.

Les compositeurs qui optent pour la gestion collective du droit d’exécution acceptent volontiers, dans l’intérêt de tous, que leur capacité de transiger directement soit limitée. En permettant à la SOCAN d’obtenir des cessions exclusives, ils s’interdisent certaines formes d’écrémage favorables aux compositeurs plus connus mais nuisibles aux autres. Les compositeurs qui ont témoigné devant la Commission font tous partie de ce petit groupe qui pourrait tirer profit de l’abolition des cessions exclusives; ils ont pourtant tous défendu farouchement cette mesure.

Les cessions exclusives sont la règle partout sauf aux États-Unis, dans certains pays d’Amérique latine et (dans une certaine mesure) au Royaume-Uni. [72] Tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, les limites imposées au caractère exclusif des cessions découlent de l’application du droit de la concurrence. Au Royaume-Uni, ces mesures ont été mises en place suite à des plaintes formulées non pas par des utilisateurs, mais par quelques super vedettes.

La Loi n’impose pas l’exclusivité des cessions. Le Directeur des enquêtes et recherches pourrait donc contester cette pratique s’il était d’avis qu’elle réduit la concurrence. Lors de la fusion de la Société de droits d’exécution du Canada (SDE) et de la CAPAC, le directeur, sans endosser la pratique, a permis qu’elle soit maintenue. Je suis d’accord avec cette décision. On comprend facilement les motifs qui amènent les compositeurs à considérer cette mesure essentielle à la protection de leurs intérêts. En adhérant à la SOCAN, ils renoncent à exercer quelque contrôle que ce soit sur l’utilisation de leurs œuvres. Le fait de transiger à la pièce les droits d’exécution entraînerait inévitablement une rémunération inférieure au prix fixé dans le tarif de la SOCAN. [73] La cession exclusive de leurs droits à la SOCAN est la seule façon d’éviter de traiter à partir d’une position de faiblesse avec des utilisateurs puissants. [74] En fin de compte, mettre fin aux cessions exclusives irait à l’encontre des buts de la gestion collective. [75] On ne peut demander aux compositeurs de payer le prix de la gestion collective sans leur garantir qu’ils en tireront les avantages.

Les compositeurs ont le droit de s’organiser comme ils l’ont fait. C’est à eux, et seulement à eux, que revient la décision de gérer leurs droits d’exécution, dans un marché donné, par eux-mêmes ou collectivement. C’est même de cette décision dont dépend la compétence de la Commission pour établir le prix à payer pour l’utilisation de ces droits. Tant et aussi longtemps que les compositeurs choisissent d’utiliser la SOCAN pour gérer ces droits, la Commission doit respecter ce choix et établir des prix et des conditions justes et raisonnables.

C’est aussi aux compositeurs qu’il revient de décider d’avoir ou non recours à des cessions exclusives, à moins que le Directeur des enquêtes et recherches ne remette en cause cette décision. Les compositeurs ne veulent pas d’un tarif qui leur permettrait de transiger eux-mêmes leurs droits d’exécution. Dans ces circonstances, la Commission ne devrait pas modifier cet aspect du régime, ni prendre des décisions dont l’objet ou l’effet est d’encourager les titulaires de droits à le modifier.

C’est pour cette raison que je ne peux endosser le point de vue des professeurs Globerman et Stanbury. La Commission a pour rôle de déterminer un prix juste et raisonnable pour l’utilisation du répertoire de la SOCAN, non de prendre des mesures (réduction du taux, création de la LGM ou autre) visant à accroître le nombre de transactions directes. J’en demeure convaincu même si, comme certains le prétendent, ces mesures pourraient rendre le système plus efficace.

C. Des motifs de politiques publiques s’opposent à ce qu’on encourage les transactions en amont

Compte tenu de la situation actuelle, les compositeurs ont plusieurs bonnes raisons de préférer s’en remettre aux mécanismes actuels plutôt qu’à des mesures, quelles qu’elles soient, visant à encourager les transactions directes. Les rapports de force existants favorisent déjà les télédiffuseurs. Un changement de régime serait coûteux. Les solutions de rechange à la gestion collective sont moins attrayantes. Enfin, rien ne porte à croire qu’il en résulterait un système plus efficace.

i. La nature des rapports existants en amont

Certaines transactions ont lieu en amont. En pratique, elles pourraient aussi traiter des droits d’exécution. Toutefois, compte tenu de la nature de ces rapports et des conditions actuelles du marché, les compositeurs ont raison de craindre toute mesure qui pourrait en accroître l’importance.

Premièrement, les témoignages des compositeurs entendus durant la présente affaire ont illustré de façon claire le fait que ces derniers, pour reprendre un lieu commun, doivent faire plus avec moins. Les conditions de travail des compositeurs de musique pour la télévision se sont altérées depuis une dizaine d’années. Les droits de composition ont diminué, et le contrat de composition traite maintenant d’un éventail beaucoup plus large de services : en pratique, le compositeur prend en charge tout le processus de production de la musique. Qui plus est, le producteur exige maintenant, la plupart du temps, qu’on lui cède la part des redevances revenant à l’éditeur. [76]

Deuxièmement, le rapport de forces dans ce marché favorise les télédiffuseurs, au détriment des compositeurs. À cet égard, je retiens l’analyse du professeur Liebowitz, qui me paraît beaucoup plus convaincante que celle des témoins de l’ACR. Il a clairement identifié les facteurs dont il faut tenir compte dans l’évaluation du pouvoir de marché : liberté d’accès, capacité de se concerter, asymétrie de l’information, de la taille, etc. [77] Sur tous ces points, les télédiffuseurs ont un net avantage. Il s’est aussi livré à une analyse approfondie de la concentration de la demande dans les marchés locaux, régionaux et national, et a conclu que les compositeurs sont confrontés à de sérieux problèmes de pouvoir sur le marché, [78] particulièrement au niveau local et régional. Cette distinction est capitale, puisque c’est fort probablement à l’égard de la programmation de nouvelles et d’information qu’on fera d’abord usage de la LGM; or, cette programmation est produite surtout localement, un marché que le professeur Liebowitz a qualifié d’extrêmement concentré. [79]

Les compositeurs qui ont témoigné à ce sujet ont confirmé leur incapacité de se livrer à de véritables négociations dans le marché de la composition. Fait à remarquer, aucun des témoins de l’ACR ne les a contredits. Quant à eux, les professeurs Globerman et Stanbury ont concédé que très peu de compositeurs détiendraient une certaine puissance de marché. [80]

L’existence même d’un paiement réglementé pour l’exécution publique prémunit les compositeurs contre l’emprise excessive que les télédiffuseurs peuvent exercer dans des négociations directes. Il n’est pas surprenant que la SOCAN voie dans les mesures mises de l’avant par l’ACR, et particulièrement dans la LGM, une tentative de détournement de cette protection.

L’engagement que l’ACR a pris au nom de ses membres de négocier de bonne foi me laisse froid. Il ne lie personne. La Commission peut exprimer des attentes à cet égard; mais rien ne garantit qu’on en tiendra compte.

Troisièmement, les compositeurs ne demandent pas ce changement. L’ACR nous assure que ses propositions permettent simplement de composer avec les préférences individuelles des compositeurs sans mettre en péril les choix qu’ils ont déjà faits. Pourtant, la Commission ne peut donner suite à ces propositions sans faire fi de la décision expresse des compositeurs de s’interdire de tels choix. Même les compositeurs de renom, qui seuls pourraient tirer avantage des changements proposés, demandent à la Commission, comme ils l’avaient fait en 1986, [81] de ne pas toucher à la structure institutionnelle en place.

ii. Un changement serait coûteux

Il ne peut être plus économique de gérer un régime qui exige plusieurs paiements au lieu d’un seul. D’entrée de jeu, mes collègues concèdent ce point lorsqu’ils appliquent une prime de 3 pour cent au titre des dépenses d’exploitation supplémentaires.

La mesure proposée ne peut d’ailleurs amener une réduction des frais d’exploitation de la SOCAN. La SOCAN continuera de procéder à son habituel recensement pour fins de distribution; ce faisant, elle répertoriera des exécutions qui ne sont plus visées par sa licence. Par ailleurs, il faudra continuer d’avoir recours aux services de la SOCAN pour répertorier les utilisations à l’étranger de musique affranchie à la source, sinon dans le marché de la télévision, du moins dans les autres marchés. Encore une fois, mes collègues concèdent ce point lorsqu’ils appliquent une prime de 22 pour cent au titre des frais généraux d’exploitation de la SOCAN.

Il se peut que la mesure soit plus efficace pour certains titulaires de droits. Il est toutefois évident qu’elle rend la gestion de la SOCAN moins efficace, puisqu’elle entraîne une diminution de revenus sans réduction des coûts.

iii. Les solutions de rechange à la gestion collective du droit d’auteur sont moins attrayantes

L’ACR prétend que quatre voies s’ouvrent aux compositeurs qui auraient à transiger leurs droits d’exécution en même temps que leurs droits de composition. Ils pourraient échanger des renseignements sur les transactions conclues, retenir les services d’avocats ou d’agents, négocier collectivement des conditions minimales de travail comme l’a fait l’ACTRA, ou encore se prévaloir des dispositions de la Loi sur le statut de l’artiste (LSA) dans leurs rapports avec les télédiffuseurs, lesquels sont assujettis à la réglementation fédérale.

L’ACR n’explique toutefois pas les motifs qui pourraient amener les compositeurs à recourir à de tels moyens en lieu et place d’un système dont ils se disent tout à fait satisfaits, surtout à la lumière de la réduction de leurs droits de composition depuis quelques années. Je tiens néanmoins à souligner ce que je crois être les faiblesses des deux dernières options mises de l’avant par l’ACR. [82]

Tout d’abord, je note que l’ACR soutient qu’on peut réduire le rôle de la gestion collective sans risque pour les compositeurs au motif que ceux-ci peuvent se syndiquer. En admettant même que ces syndicats soient en mesure d’exercer toute l’emprise que leur prête l’ACR, je dois admettre qu’il me paraît plutôt illogique de vouloir remplacer une forme de négociation collective éprouvée et de portée universelle par une autre, qui n’a pas fait ses preuves et dont la portée est réduite.

De toute façon, les deux modèles mis de l’avant comme solutions de rechange comportent des limites découlant de leur nature même, limites que la gestion collective en vertu de la Loi contourne de façon efficace.

Ces modèles visent avant tout la fourniture de services plutôt que l’utilisation de biens. L’un comme l’autre se prêtent mal au contrôle de l’utilisation des œuvres dans d’autres marchés domestiques ou à l’étranger. [83] Les associations comme l’ACTRA ou la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec (SPACQ) ne disposent pas, à travers le monde, de réseaux de contacts ou d’ententes de réciprocité du même ordre que ceux qui existent entre la SOCAN et les autres sociétés d’exécution. Elles ne disposent pas non plus de moyens leur permettant de percevoir les redevances au titre de milliers de petits usages qui peuvent être faits de musique composée pour une émission de télévision populaire. Il faudra donc continuer d’avoir recours aux services de la SOCAN. Ce double emploi est nécessairement inefficace.

En supposant même que les «accords-cadre» puissent prévoir des formes de rémunération liées à la vente de l’émission, [84] ils ne peuvent traiter du droit d’auteur s’il a déjà été cédé à la SOCAN ou à une autre personne. Même dans le cas contraire, l’association accréditée en vertu de la LSA n’est pas en mesure, comme on l’a déjà dit, de percevoir efficacement les redevances attribuables à des usages faits dans d’autres marchés domestiques ou à l’étranger. Cela suffit pour comprendre pourquoi les compositeurs ne veulent pas transiger leurs droits à la façon de l’ACTRA ou en se prévalant de la LSA. [85]

Il ne faut pas non plus perdre de vue que la LSA vise uniquement les producteurs de juridiction fédérale. Les télédiffuseurs peuvent en contourner l’application en cessant simplement de produire leur propre programmation et en ayant recours aux services de producteurs indépendants. Non seulement cette pratique prend de l’ampleur; elle est même encouragée par le CRTC.

De toute façon, le recours à la LSA nécessite probablement la création d’une nouvelle société ou association. J’ai du mal à croire que le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs accréditerait comme agent négociateur une société qui compte parmi ses membres des «producteurs» au sens où l’entend la LSA.

La question finalement en est une d’efficacité. Je ne vois pas comment on peut soutenir qu’un système nécessitant l’accréditation d’une association, la conclusion d’une entente collective et des transactions individuelles [86] puisse être plus efficace qu’un système requérant uniquement l’homologation d’un tarif, d’autant plus qu’il faudra de toute façon continuer d’avoir recours à la SOCAN pour les usages faits à l’étranger et dans les autres marchés domestiques.

iv. L’inefficacité de la SOCAN

Les professeurs Globerman et Stanbury ont reproché à la SOCAN d’être inefficace et de pratiquer l’interfinancement de façon systématique. Pour l’essentiel, leurs arguments au soutien de ce point de vue sont les suivants. Premièrement, les services offerts par la SOCAN pourraient l’être à moindre coût. Deuxièmement, la fusion de la CAPAC et de la SDE n’a pas entraîné les économies d’échelle auxquelles on s’attendait. Troisièmement, chaque compositeur n’a pas besoin de tous les services offerts par la SOCAN; on devrait leur permettre de choisir ceux qui leur conviennent. Quatrièmement, les redevances perçues au titre de certains tarifs subventionnent nécessairement la gestion de certains autres, puisque le coût relatif des perceptions et des distributions des redevances ne peut être le même pour tous les tarifs. Ils soutiennent que les pratiques de la SOCAN empêchent d’assortir correctement les redevances et la valeur des usages effectués. Les compositeurs dont les œuvres sont sous-évaluées par la SOCAN tireraient donc profit d’un régime leur permettant de traiter directement avec les producteurs.

L’analyse qui précède procède d’un point de vue trop étroit de la gestion collective. L’argument d’inefficacité a peut-être un certain sens quand on le regarde uniquement du point de vue du marché de la télévision domestique, pour des œuvres précises et pour des compositeurs précis. Par contre, chaque compositeur cherche avant tout à optimaliser la perception des droits d’exécution pour toute utilisation de ses œuvres partout dans le monde. Vue de cette façon plus large, la décision des compositeurs d’avoir recours à la gestion collective semble clairement fondée sur des considérations d’efficacité.

Il en est de même pour l’interfinancement. Dans un raisonnement à courte vue, cela peut nuire aux intérêts d’un compositeur. Toutefois, comme ces subsides se pratiquent pour tous les types d’utilisation, pour toutes les œuvres et tout le temps, il est possible que tous les compositeurs en tirent dans l’ensemble certains bénéfices. Celui qui en subventionne un autre aujourd’hui a fort bien pu bénéficier d’un tel subside hier ou pourrait en bénéficier demain. Ceux qui, parce qu’ils œuvrent dans le marché de la télévision, subventionnent d’autres compositeurs sont peut-être eux-mêmes subventionnés dans d’autres marchés, que ce soit à l’égard des mêmes œuvres ou d’autres œuvres.

De toute façon, l’inefficacité et l’interfinancement, pour autant qu’ils existent, concernent d’abord et avant tout les membres de la SOCAN. Il n’appartient ni à la Commission, ni à l’ACR de s’en plaindre. Les compositeurs qui s’en préoccupent, s’il en est, disposent de plusieurs recours. Ils peuvent changer la composition du conseil d’administration de la SOCAN, demander au Directeur des enquêtes et recherches d’examiner la question, créer une nouvelle société de gestion [87] ou même demander à la Commission d’homologuer des tarifs leur permettant de transiger de personne à personne avec les utilisateurs. [88] Rien de cela n’a été fait.

L’inefficacité et l’interfinancement pratiqués par la SOCAN concernent l’ACR uniquement si, à cause de l’un ou de l’autre, les télédiffuseurs paient leur musique plus cher. La Commission a toujours établi les tarifs sans égard aux frais d’exploitation de la SOCAN. Le tarif sous examen est resté le même depuis cinq ans et ce, malgré la prétention de l’ACR portant que ces frais ont augmenté.

L’ACR se demande par ailleurs si tous les compositeurs ont besoin de tous les services offerts par la SOCAN. Encore une fois, les compositeurs ont décidé de dépenser de cette façon les revenus qu’ils produisent. Cela ne regarde en rien l’ACR ou la Commission.

D. Conclusion

L’ACR demande à la Commission d’offrir certains «choix» aux compositeurs, dans le but d’accroître les négociations directes. Tous les compositeurs qui ont témoigné devant nous font partie de ce groupe sélect qui, si l’ACR a raison, profiterait le plus des mesures qu’elle met de l’avant; tous nous disent que leur choix est déjà fait et qu’ils désirent s’en tenir aux arrangements déjà conclus avec la SOCAN. La raison pour ce faire me paraît évidente : ils ne veulent pas que les télédiffuseurs profitent de leur force de marché pour leur imposer leurs propres choix.

Par conséquent, je suis d’avis que la seule question en litige n’est pas de savoir si la Commission devrait homologuer une structure tarifaire qui facilite ou accroît l’importance des transactions individuelles en amont, ce que je n’estime pas être dans l’intérêt public, mais bien de savoir si les mesures mises de l’avant par l’ACR ont un mérite en soi.

VIII. LE TAUX DE LA LICENCE GÉNÉRALE DEVRAIT DEMEURER À SON NIVEAU ACTUEL

A. Introduction

En 1993, la Commission déclarait que «les changements intervenus depuis 1986 sont ou bien non pertinents, ou bien pas assez significatifs pour justifier une réduction du taux». [89] C’est toujours le cas. Le dossier de la présente affaire ne fait que raffermir ma conviction que le taux devrait rester le même.

Ainsi, je partage l’avis du professeur Liebowitz selon lequel les marchés en amont et en aval sont en équilibre, que cet équilibre est satisfaisant et qu’il n’y a pas lieu de le perturber. Je suis moi aussi d’avis que les transactions directes suffisent à effectuer les corrections qui pourraient s’imposer dans le montant total des compensations reçues par les compositeurs, surtout si l’on tient compte du pouvoir que les télédiffuseurs et les producteurs exercent sur ce marché. J’en suis d’autant plus convaincu ayant appris que les télédiffuseurs réussissent en général à se faire céder la part de l’éditeur du droit de rémunération pour la musique qu’ils commandent pour leurs propres productions, ce qui réduit le coût réel de leurs droits d’exécution. Rien ne les empêche d’ailleurs d’obtenir ces mêmes droits lorsqu’ils achètent de la programmation de producteurs canadiens ou américains : les premiers se font habituellement céder la part de l’éditeur, et les seconds sont habituellement les premiers titulaires du droit d’auteur. [90]

Qui plus est, une augmentation de la demande pour la programmation télévisuelle a fait en sorte que les stations consacrent une part plus importante de leurs revenus aux coûts de programmation. Pendant ce temps, le rapport entre les droits d’exécution et les coûts de programmation a diminué. [91] Toutes choses étant égales par ailleurs, une augmentation de la demande pour la programmation devrait entraîner une hausse du prix de chacun des intrants de programmation, la musique y compris. Je ne vois pas pourquoi les compositeurs ne devraient pas obtenir leur part des bénéfices découlant d’une augmentation de la demande.

J’en viens maintenant aux arguments mis de l’avant par l’ACR au soutien d’une diminution du taux. Je note en passant que les experts de l’ACR n’ont pas soutenu que le taux actuel était trop élevé; ils ont uniquement prétendu qu’une réduction augmenterait l’efficacité du système en encourageant la négociation directe.

B. L’évolution de l’environnement

Il va sans dire que le cadre économique et politique dans lequel les télédiffuseurs évoluent est bien différent de ce qu’il était il y a 15 ou 20 ans, que la concurrence s’est accrue à un rythme accéléré et qu’elle continuera de croître dans les années à venir. L’ACR prétend que ces constats exigent une réévaluation des décisions prises en 1993. Je ne suis pas d’accord, pour les motifs qui suivent.

i. Le nouveau cadre politique

Des changements de politiques publiques ont modifié le cadre dans lequel les télédiffuseurs évoluent. L’ACR fonde ses propositions sur deux de ces politiques; [92] ni l’une, ni l’autre n’est significative ou pertinente par rapport à la question qui nous préoccupe.

Le fait qu’on ait décidé «de s’en remettre de plus en plus aux forces du marché» n’est pas pertinent ici, puisque la Loi exige que la Commission établisse le prix à payer pour les droits d’exécution lorsqu’ils sont gérés collectivement. La Commission a pour mandat d’établir des prix équitables pour ces droits, pas de confier cette tâche aux marchés. Le marché canadien pour ces droits est réglementé lorsqu’ils sont gérés collectivement; en s’en remettant à la négociation directe pour en fixer le prix, la Commission abdiquerait ses responsabilités.

Je ne vois pas non plus pourquoi le fait «d’encourager de façon agressive la programmation canadienne» devrait entraîner une diminution du prix payé pour les droits d’exécution. Le CRTC cherche à créer de nouvelles occasions pour les participants dans l’industrie de la télévision et à fournir davantage de choix aux consommateurs canadiens. Réduire le taux du tarif de la SOCAN n’a rien à voir avec cela. Une telle réduction ne fait que transférer de l’argent des poches des créateurs à celles des télédiffuseurs, qui pourront décider ou non de s’en servir pour des productions canadiennes. La Commission ne dispose pas des outils lui permettant de contrôler la façon dont seront dépensées les sommes dégagées par une réduction du taux.

De toute façon, ces montants ne sont pas suffisamment importants dans le marché de la production télévisuelle pour changer quoi que ce soit. En 1996, une réduction de 2,1 pour cent à 1,8 pour cent aurait retranché 3,96 millions de dollars de la cagnotte télévision, soit 13,7 pour cent des sommes pouvant être distribuées. Ce montant représente moins de 0,8 pour cent des dépenses de programmation des télédiffuseurs privés canadiens et 0,28 pour cent des revenus des stations. [93] Même si ces sommes étaient entièrement affectées à la programmation canadienne, seule une mince part reviendrait aux compositeurs.

ii. La concurrence et le rendement financier

La concurrence pour l’auditoire et les parts du marché de la publicité sont des facteurs pertinents à l’établissement d’un tarif équitable. Cela étant dit, une formule tarifaire fondée sur un taux réagit aux pressions concurrentielles. Qui plus est, on peut difficilement justifier une réduction du taux quand le dossier démontre que le rendement financier des télédiffuseurs conventionnels s’est en fait amélioré au cours des dix dernières années et ce, malgré un accroissement de la concurrence.

Il faut faire preuve de circonspection lorsqu’on songe à utiliser les variations de parts d’auditoire pour établir le taux d’un tarif. Les fluctuations d’écoute ne peuvent à elles seules motiver un changement du taux. Le taux permet précisément un ajustement automatique du montant des redevances aux conditions du marché. L’hypothèse, que personne ne conteste devant nous, veut que les fluctuations d’écoute entraînent une variation des revenus et donc du montant des redevances. [94] Je doute que l’ACR consentirait à une augmentation du taux au seul motif que la part d’écoute de ses membres aurait augmenté.

De toute façon, le nombre d’heures passées à regarder la télévision conventionnelle canadienne est demeuré relativement constant entre 1986 et 1996. [95] Les télédiffuseurs conventionnels n’ont pas perdu de ventes; le marché a pris de l’expansion avec l’arrivée de nouveaux services. Durant cette même période, les télédiffuseurs conventionnels ont été en mesure de vendre leur temps d’antenne de plus en plus cher. [96] L’importance du marché est le facteur déterminant. Certes, il y a plus de convives à la table, mais il y a aussi plus à se mettre sous la dent.

Les tarifs que la Commission établit ne devraient pas varier en fonction de la rentabilité. Si tel était le cas, le tarif applicable à la télévision commerciale aurait augmenté sensiblement entre 1980 et 1984. De toute façon, si le CRTC est peut-être en mesure d’aider les télédiffuseurs à cet égard, la Commission ne l’est certainement pas.

Cela dit, le portrait financier qui ressort de la présente affaire est celui d’une industrie qui se défend plutôt bien, non celui d’une industrie chancelante. Le taux de croissance composé de ses revenus est de 4,8 pour cent pour les dix dernières années, et de 2,3 pour les cinq dernières. [97] Pour la dernière décennie, ce chiffre est plus élevé que l’IPC. [98] Les services conventionnels ont donc été en mesure d’augmenter leurs ventes en termes réels alors même que l’offre de temps d’antenne augmentait rapidement. Il s’agit là d’un signe de santé financière. [99]

Pendant ce temps, les marges bénéficiaires ont fluctué d’un spectaculaire 24,2 pour cent en 1985 à 10,3 pour cent en 1990 pour passer au niveau fort respectable de 16,4 pour cent en 1995. [100] Personne ne s’attend à ce que l’on retrouve les marges bénéficiaires du milieu des années 1980; on peut donc difficilement se fonder sur ce fait pour réduire le tarif. Même la preuve déposée par l’ACR fait preuve d’optimisme et non d’alarmisme. Depuis juillet 1996, l’index des titres en radiodiffusion a progressé plus vite que le TSE 300. Un rapport préparé par la firme TD Securities et déposé par l’ACR prend note de l’intérêt accru porté au secteur au cours des derniers mois. [101] La tendance à long terme vers une consolidation de l’industrie, de même que certaines transactions privées, viennent confirmer la valeur intrinsèque des actifs télévisuels.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que le marché de la télévision opère dans un cadre où la concurrence est contrôlée. L’entrée sur ce marché est réglementée dans le but de protéger les participants déjà en place. [102] Ce n’est pas parce qu’il existe de la concurrence à l’intérieur d’un marché, comme celui de la télévision, qu’il s’agit d’un marché non réglementé.

iii. L’émergence d’autres sources de revenus

Mes collègues semblent croire que l’émergence de nouvelles sources de revenus pour les compositeurs devrait entraîner une réduction du taux. Je ne partage pas ce point de vue.

Je ne vois pas comment on peut fonder une réduction du taux sur une augmentation des ventes à l’étranger d’émissions canadiennes. Les producteurs de ces émissions en tirent des revenus supplémentaires; il devrait en être de même pour les compositeurs.

C’est la même chose pour les revenus additionnels attribuables aux services spécialisés visés par le tarif 17. Éventuellement, il se peut qu’une diminution de revenus attribuable à la présence de ces nouveaux arrivants entraîne une diminution des redevances que les télédiffuseurs versent à la SOCAN. Cela se produira sans qu’il soit nécessaire de changer le taux. Qui plus est, le tarif 17 tient compte du taux du tarif 2.A. Une réduction du second implique nécessairement une diminution de l’importance des revenus attribuables au premier, et peut-être même à tous les tarifs visant des services qui font concurrence à la télévision commerciale. En bout de piste, il se peut fort bien que tout cela se solde non pas par des gains, mais bien par des pertes.

iv. Le prix américain

Pour comprendre les motifs m’amenant à conclure qu’il ne faut pas tenir compte du prix américain pour fixer le taux canadien, il faut comprendre la façon dont on s’y est pris pour l’établir. [103]

Aux États-Unis, la façon dont l’ASCAP et la BMI opèrent est régie en partie par des consent decrees remontant à 1941, émis en vertu de la législation antitrust. Il leur est interdit d’obtenir des cessions exclusives de droits, [104] et les télédiffuseurs ont droit à la PPL. [105] Le consent decree de l’ASCAP confie par ailleurs à la United States District Court du district sud de New York (la Rate Court) la compétence pour établir, à la demande d’un utilisateur ou d’un groupe d’utilisateurs, le montant des redevances payables pour une licence de l’ASCAP. [106]

Les rapports entre les stations locales de télévision et l’ASCAP ont donné lieu à une pléthore de litiges. [107] Pour nos fins, toutefois, on peut se contenter de faire référence à trois groupes d’affaires.

En 1954, une première affaire [108] mène à une entente établissant le taux pour la licence générale de l’ASCAP à environ 2,25 pour cent, ce qui comprend une «redevance commerciale» et une «redevance de soutien». [109]

En 1961, les stations de télévision demandent une modification à la licence générale, modification qui leur est refusée. [110] D’autres procédures devant la Rate Court mènent en 1969 à une entente visant les années 1968 à 1972. La formule tarifaire est étagée : les télédiffuseurs versent 2 pour cent des revenus pour une «période de référence» et 1 pour cent pour le reste. [111] L’entente est reconduite pour les années 1973 à 1977.

En 1978, l’ASCAP et les télédiffuseurs s’entendent pour reconduire la licence sur une base mensuelle pendant que des négociations ont lieu. En novembre 1978, les stations déposent un recours antitrust. Suivent une série de licences provisoires, émises conformément aux termes du consent decree, jusqu’à ce que les tribunaux disposent définitivement de la poursuite en 1985, en la rejetant.

Les stations locales de télévision demandent alors à la Rate Court d’établir les droits de licence, y compris des droits provisoires. [112] Quant aux droits provisoires, les parties s’entendent pour mettre de côté la formule Shenandoah et demandent au tribunal d’établir un montant forfaitaire pour toutes les stations, montant qui est ensuite réparti entre elles en fonction de la part de droits qu’elles avaient versés en vertu de leur licence Shenandoah; le tribunal implante aussi une PPL provisoire. La première décision provisoire est rendue en 1987.

La décision finale de la Rate Court, rendue en février 1993, vise la période allant du 1er février 1983 au 31 décembre 1995. Pour l’essentiel, le prix est établi en se servant du montant des droits versés par l’ensemble des stations en 1972, [113] augmenté d’un facteur égal à la hausse de l’IPC plus la moitié de l’augmentation en pourcentage dans le nombre de stations; la somme ainsi déterminée est ensuite répartie en fonction de l’importance de chaque marché et des cotes d’écoute de chaque station. Suivent d’autres litiges et d’autres négociations entre février 1993 et octobre 1995, y compris trois autres décisions de la Rate Court visant à préciser certains aspects de la décision de février 1993. On en arrive finalement à une entente visant les conditions des licences générales et «à la pièce» pour la télévision locale, entente qui est entérinée par la Rate Court. Ces conditions s’appliquent du 1er octobre 1995 au 31 mars 1998. [114]

Il découle de toutes ces affaires et d’autres du même genre que les droits versés par les télédiffuseurs conventionnels américains [115] représentent aujourd’hui 0,86 pour cent de leurs recettes publicitaires. Encore une fois cette année, l’ACR entend se fonder sur ce chiffre pour remettre en cause le taux payé par les télédiffuseurs canadiens. Encore une fois, pour les motifs énoncés par la Commission en 1993, ainsi que pour d’autres que je vais maintenant exposer, j’en viens à la conclusion qu’il serait extrêmement déplacé de le faire.

a. Les résultats varient en fonction des comparaisons retenues

En 1995, les télédiffuseurs américains versaient 0,86 pour cent de leurs recettes publicitaires au titre du droit d’exécution, et les télédiffuseurs canadiens, 2,1 pour cent. Au même moment, les revenus des télédiffuseurs américains étaient quelque 23 fois plus élevés que ceux des télédiffuseurs canadiens, pour une population qui n’était que neuf fois plus importante.

La comparaison qu’établit l’ACR entre les prix payés par les télédiffuseurs américains et canadiens pour leurs droits d’exécution n’est pas la seule valide; on peut s’y prendre autrement. En 1995, la somme payée par les télédiffuseurs américains est 286 millions de dollars (canadiens), et celle payée par les télédiffuseurs canadiens 23,8 millions de dollars, soit 8,3 pour cent : si l’on retient cette comparaison, les télédiffuseurs américains paient plus cher leurs droits que les canadiens. Par habitant et en dollars canadiens, les télédiffuseurs américains paient 1,09 $ et les canadiens, 0,80 $. Les droits d’exécution représentent 2,78 pour cent des coûts de programmation aux États-Unis, 3,19 pour cent au Canada. Chacune de ces comparaisons est certainement aussi valide que celle retenue par l’ACR. [116]

b. Le prix américain n’est pas une approximation d’un prix de marché appropriée

Tout bien considéré, et pour plusieurs motifs, il y a lieu d’ignorer le prix américain.

Premièrement, le témoignage de M. Reimer démontre amplement que le prix et la structure tarifaire pour les droits d’exécution à la télévision américaine ont été très instables, et sujets à des changements subits et importants. Règle générale, il n’est pas conseillé d’utiliser un facteur aussi instable comme prix témoin.

Deuxièmement, comme la décision de la Commission de 1993 et les présents motifs l’expliquent clairement, le prix américain découle d’un processus qui n’est pas pertinent à l’établissement du taux canadien. Le dossier de la présente affaire ne peut que raffermir mon point de vue à cet égard.

Troisièmement, la façon dont la Rate Court américaine établit le prix pour les années 1983 à 1995 me laisse extrêmement perplexe quant à son caractère juste et raisonnable. J’abonde dans le même sens que le professeur Liebowitz : établir, dans ces circonstances, un prix pour 1995 en se fondant sur un chiffre de 1972 pour l’ajuster ensuite à l’inflation n’est tout simplement pas raisonnable du point de vue de la théorie économique. [117] Ce faisant, on ne prend aucun compte des changements de structure intervenus durant plus de vingt ans dans le marché pertinent [118] ou des fluctuations dans les coûts de programmation ou les recettes publicitaires. Les revenus des compositeurs, en dollars constants, sont gelés au niveau où ils étaient en 1972; on passe sous silence le fait que durant cette même période les recettes publicitaires ont pu croître à un taux qui dépasse largement l’inflation. La seule conclusion possible est que le prix américain est probablement beaucoup trop bas.

Finalement, le prix américain n’est pas un prix de marché. Le prix, la structure tarifaire et les conditions d’accès au répertoire de l’ASCAP sont le résultat de décisions de justice remontant aux années 1940. De toute évidence, les ententes conclues avec la BMI s’inspirent largement de la décision de la Rate Court concernant l’ASCAP. [119] Même l’entente la plus récente n’est pas le résultat de négociations libres. Certes, les parties ont réglé les quelques questions encore en suspens plutôt que d’avoir recours aux tribunaux. Il n’en reste pas moins que le prix dont ils ont convenu a été établi en fonction de la formule mise au point par la Rate Court, et que la part de chacune des stations a été établie conformément à une formule que ce même tribunal a entérinée. [120]

Je trouve particulièrement ironique que la meilleure approximation d’un prix de marché dont dispose la Commission soit le taux qui s’est appliqué au Canada entre 1974 et 1984. Entre 1959 et 1971, 1973 et 1977 et 1979 et 1984, bien qu’il ait augmenté de 2,1 pour cent en 1959 à 2,4 pour cent en 1974, le tarif canadien a toujours reflété des ententes conclues entre les parties. Le taux actuel de 2,1 pour cent est donc inférieur à celui qui se rapproche le plus d’un prix négocié par les intervenants dans le marché pertinent.

c. Le taux américain n’a jamais été le même que le taux canadien

En 1959, l’ASCAP percevait 2,25 pour cent; ensemble, l’ASCAP et la BMI percevaient au moins 3,34 pour cent. [121] La même année, les Canadiens s’entendaient sur un taux de 2,1 pour cent.

De plus, comme on l’a bien établi durant la présente affaire, l’assiette tarifaire n’a jamais été la même là-bas et ici, ne serait-ce que parce que les revenus qui en sont exclus ne sont tout simplement pas les mêmes. [122]

De toute façon, le prix américain et le taux canadien sont établis pour des marchés distincts, selon des processus distincts, en fonction de règles distinctes. Il serait surprenant que le résultat soit le même. Il se peut qu’à un certain moment, la Commission d’appel du droit d’auteur ait tenu compte du taux perçu par l’ASCAP pour établir le taux canadien. Cela ne fait pas du prix ASCAP un point de référence. Les tarifs canadiens ne sont pas, et n’ont pas à être, la réplique pure et simple des tarifs étrangers, américains ou autres.

d. Les télédiffuseurs américains ne sont pas les principaux concurrents des télédiffuseurs canadiens en matière de recettes publicitaires

Le tableau qui suit démontre que ce sont les services spécialisés et payants, non les télédiffuseurs conventionnels américains, qui ont affecté les parts d’écoute des télédiffuseurs canadiens. La consommation de télévision conventionnelle est restée à peu près la même. La part d’écoute de l’ensemble des services canadiens a baissé de 2,6 pour cent; celle des services américains, de 9 pour cent. Le seul gain net est enregistré dans la catégorie «magnétoscopes et autres services» qui enlève peut-être aux télédiffuseurs conventionnels des parts d’écoute, mais probablement pas des recettes publicitaires. [123]

Percentage Share of Weekly Hours of Tuning by All Persons 2+ , Canada 1986-1996 61

Part d’écoute hebdomadaire, toutes personnes, 2 ans et plus, Canada 1986-1996 [124]

 

1986

1992

1996

Canadian Private Commercial Broadcasters

Télévision conventionnelle privée canadienne

54.4

51.6

48.3

CBC/Radio Canada Owned and Operated

CBC/Radio Canada, y compris les stations affiliées

16.4

11.5

12.0

Canadian Pay and Specialty Services

Services spécialisés et payants canadiens

1.9

6.3

10.5

Other Canadian Services / Autres services canadiens

1.8

2.1

1.8

Total Canadian Services / Tous les services canadiens

74.5

71.5

72.6

U.S. Conventional Broadcasters / Télévision conventionnelle américaine

22.0

19.3

15.3

U.S. Specialty Services / Services spécialisés américains

0.4

3.0

5.1

Total U.S. Services / Tous les services américains

22.4

22.3

20.4

All Other Services + VCR Use / Magnétoscopes et autres services

3.1

6.2

7.0

Total Hours Tuned (million) / Écoute totale (en millions d’heures)

599.5

619.1

676.5

Total Hours Tuned to Canadian Conventional Broadcasters (million) Écoute totale, télévision conventionnelle canadienne (en millions d’heures)

326.1

319.5

326.7

Comme on peut le constater, seuls les services payants et spécialisés canadiens et américains ont augmenté leur part d’écoute. Tous ces services partagent deux caractéristiques importantes. Premièrement, le CRTC réglemente leur accès au marché canadien. Deuxièmement, tous sont assujettis au tarif 17 de la SOCAN, qui trouve son origine dans le tarif 2.A. [125] Autrement dit, ceux qui enlèvent aux télédiffuseurs canadiens des parts d’écoute paient déjà pour leur musique un prix qui tient compte de ce que ces derniers paient pour la leur.

Certes, les télédiffuseurs canadiens perdent certaines recettes publicitaires au profit des stations frontalières américaines. Ces pertes n’ont toutefois pas de commune mesure avec les parts relatives d’écoute des télédiffuseurs canadiens et américains. On estime à 52,7 millions de dollars, soit moins de 4 pour cent des revenus des télédiffuseurs canadiens, les pertes attribuables à la concurrence des stations américaines frontalières. [126] Par contre, le rapport entre les parts d’audience des télédiffuseurs conventionnels américains et canadiens en 1996 dépassait les 30 pour cent. La raison pour cet écart est simple : l’écoute canadienne des stations américaines se fait avant tout dans les marchés éloignés. [127]

De toute façon, les tarifs de la Commission ne sont pas en mesure de régler des problèmes de cette envergure. Même l’abolition pure et simple du tarif 2.A n’arriverait pas à compenser toutes les pertes des télédiffuseurs canadiens attribuables à la concurrence des stations frontalières américaines. Visiblement, la solution à ce problème, si problème il y a, se trouve ailleurs.

e. L’exode des redevances vers l’étranger est attribuable à des décisions prises par les membres de l’ACR

L’ACR se dit particulièrement troublée du fait que près de la moitié des sommes distribuées au titre de la cagnotte télévision le sont vers l’étranger. Elle soutient qu’une réduction du taux réduirait cet exode de capitaux. Comme la Commission l’avait noté en 1993, [128] cette situation découle des choix de programmation effectués non pas par la SOCAN, par ses membres ou par la Commission, mais bien par les membres de l’ACR.

f. La valeur de la licence SOCAN pour les télédiffuseurs n’a pas diminué avec le temps

Comme le démontre mon analyse de l’évolution du tarif depuis 1951, les changements dans les profils d’utilisation de musique auxquels mes collègues font allusion se sont produits au moment même où le taux payé par les télédiffuseurs canadiens pour les droits d’exécution, suite à une série d’ententes négociées, passait de 2,1 pour cent à 2,4 pour cent entre 1959 et 1974, puis demeurait à ce niveau jusqu’en 1984; par la suite, le taux est revenu à 2,1 pour cent suite à des décisions de la Commission d’appel du droit d’auteur. J’en conclus que ces ententes et décisions ont tenu compte des changements qui ont pu survenir dans cette industrie durant toute cette période.

J’accorde plus de poids au fait que durant les 25 dernières années, le rapport entre le coût de tous les autres intrants de programmation et les revenus des télédiffuseurs n’a pas diminué, mais bien augmenté. Il est passé de 41 pour cent en 1972 à 50,3 pour cent en 1984, a atteint un sommet de 60,7 pour cent en 1991, pour se stabiliser entre 55 et 58 pour cent par la suite. [129]

Pendant ce temps, les compositeurs ont du absorber une baisse dans leurs droits de composition, alors même que les télédiffuseurs réussissaient à réduire le coût net de leurs droits d’exécution en s’en faisant céder la moitié. [130]

Compte tenu de ces circonstances, je conclus que mes collègues ont tort de prétendre que la valeur de la licence SOCAN pour les télédiffuseurs a diminué avec le temps. Les mesures qu’ils prennent dans leur décision ne peuvent servir qu’à priver encore davantage les compositeurs de leur juste part des revenus des stations de télévision.

C. Conclusion

L’ACR ne m’a tout simplement pas convaincu qu’il y a lieu de réduire le taux actuel de 2,1 pour cent.

IX. LA LICENCE GÉNÉRALE MODIFIÉE

Les télédiffuseurs voudraient pouvoir obtenir un escompte à l’égard des émissions pour lesquelles ils n’ont pas besoin de la licence de la SOCAN. Deux des caractéristiques institutionnelles du régime actuel empêchent dans les faits les négociations directes entre compositeurs et producteurs : les cessions exclusives de droits et la licence générale telle qu’on la connaît. L’ACR demande à la Commission de traiter de cette partie du problème qui relève de sa compétence, soit la licence. Elle prétend qu’un refus de traiter d’un des aspects du problème risque d’entraîner une paralysie permanente.

Je ne m’oppose pas en principe à ce qu’un utilisateur verse moins d’argent à la SOCAN s’il est en mesure d’acheter ailleurs ses droits d’exécution. Toutefois, compte tenu de la situation actuelle, je demeure convaincu qu’une telle mesure n’est pas souhaitable pour des motifs de politiques publiques. Comme je l’ai déjà dit, je trouve inapproprié d’adopter une structure tarifaire qui fait fi des arrangements institutionnels actuels et encourage les négociations directes comme substitut aux arrangements réglementaires. Je crois aussi que la formule mise de l’avant par l’ACR trouve ses origines dans des difficultés qui sont réelles chez nos voisins du Sud mais pas ici, qu’elle nuira aux choix légitimes des compositeurs et éventuellement, qu’elle sapera les fondements mêmes de la licence générale. Enfin, la mesure causera du tort aux compositeurs canadiens.

A. La LGM existe pour des motifs qui existent aux États-Unis et non au Canada

Le tout premier consent decree de l’ASCAP de 1941 fait allusion à la notion de PPL. Ce type de licence règle certains problèmes qui existent dans le marché américain, mais qui n’ont pas d’équivalent dans le marché canadien.

Le premier est la présence de deux sociétés de gestion principales. [131] La PPL permet au télédiffuseur de verser des redevances à une seule d’entre elles si une émission utilise uniquement ce répertoire.

Deuxièmement, la PPL a peut-être apporté aux États-Unis des gains en efficience qui sont déjà en place au Canada. Il semble que la PPL ait entraîné une amélioration des rapports d’utilisation de musique dans la programmation locale et une augmentation du nombre de stations faisant l’objet d’enquêtes pour fins de distribution. Auparavant, la musique contenue dans la programmation locale était sous-représentée dans ces enquêtes; qui plus est, on attribuait une valeur moindre à la musique utilisée dans les émissions locales et les bulletins de nouvelles. Ces pratiques n’ont pas cours au Canada. La SOCAN procède à un recensement complet de la musique utilisée à la télévision, et attribue la même valeur à la musique peu importe le type de programmation dans laquelle on la retrouve.

Troisièmement, les stations qui utilisent la PPL diffusent une programmation fort différente de celle des autres stations. Presque toutes sont affiliées à un réseau et se trouvent dans un marché important. Elles diffusent surtout de la programmation de réseau, pour laquelle les droits musicaux ont déjà été affranchis, et de la programmation produite localement (surtout des nouvelles), dont elles peuvent contrôler le contenu. Dans l’ensemble, elles utilisent assez peu d’émissions souscrites, contrairement aux stations indépendantes, qui en diffusent beaucoup. [132]

Quatrièmement, c’est le producteur de l’émission de télévision qui est généralement le premier titulaire du droit d’auteur, [133] et ce même si le compositeur a fait cession exclusive de ses droits à une société de gestion. Au Canada, le paragraphe 13(3) de la Loi a une portée beaucoup plus restreinte et n’a, à toutes fins utiles, pas d’effet sur la musique créée pour la télévision.

B. La LGM contrecarre les choix légitimes des compositeurs

Je me dois d’ajouter ici aux commentaires d’ordre général que j’ai déjà formulés au paragraphe I.B.

L’ACR prétend que la LGM peut être implantée de plusieurs façons, ce qui réduit d’autant le risque que la mesure avantage les compositeurs américains. [134] Elle ajoute qu’un tel avantage peut exister uniquement si la SOCAN entend empêcher ses propres membres de négocier directement leurs droits d’exécution pour la télévision.

J’aborde la question d’une toute autre façon. Comme je l’ai dit, je crois qu’il est légitime pour les compositeurs de céder leurs droits à la SOCAN à titre exclusif. Si cette prémisse est bonne, il est clair que l’impact de la LGM sera forcément nuisible. Mes collègues eux-mêmes reconnaissent que la SOCAN fera preuve d’irrationalité ou de mauvaise foi si elle continue d’obtenir des cessions exclusives après que la LGM sera implantée. Autrement dit, pour que la mesure produise les effets escomptés, les compositeurs doivent obligatoirement renoncer aux choix légitimes qu’ils ont déjà faits. Ce n’est pas en blâmant les compositeurs de se priver d’un choix dont ils ne veulent pas qu’on peut rendre la mesure plus méritoire.

Les compositeurs canadiens pourront évidemment décider de quitter la SOCAN pour adhérer à l’ASCAP. Cela confirme le fait, inacceptable selon moi, que la LGM encourage les compositeurs canadiens à adhérer à l’ASCAP.

C. La LGM pourrait saper les fondements mêmes de la licence générale

Tant et aussi longtemps que le Directeur des enquêtes et recherches tolère les cessions exclusives, la LGM ne peut que saper les fondements et l’utilité de la licence générale.

La LGM ne peut opérer de façon satisfaisante que si les œuvres musicales dont les droits sont affranchis directement ou à la source continuent de faire partie du répertoire de la SOCAN. Même les titulaires d’une LGM ont besoin de savoir que leur licence les prémunit contre les poursuites pour violation du droit d’auteur sur les œuvres dont ils n’ont pas eux-mêmes acquis les droits. Si le système américain fonctionne, c’est précisément parce que les termes du consent decree font en sorte que les œuvres dont les droits font l’objet de transactions directes font toujours partie du répertoire des sociétés de gestion.

Le fait pour les compositeurs canadiens de quitter la SOCAN sans adhérer à l’ASCAP entraînerait le démantèlement progressif de la licence générale. Les œuvres des compositeurs ayant quitté la SOCAN pour conclure des transactions directes ne feraient plus partie du répertoire de cette dernière. Ce répertoire perdrait donc sa valeur intrinsèque pour les titulaires de licences générales. Cela doit être évité.

Même la station qui opte pour la licence générale classique réaliserait rapidement qu’elle ne peut diffuser certaines émissions parce que la musique qu’elle contient n’appartient pas à la SOCAN. Elle serait donc obligée de payer des redevances supplémentaires. Dans de telles circonstances, la LGM deviendrait la seule option valable.

Le caractère général de la licence procure aux télédiffuseurs au moins deux avantages importants. Premièrement, il simplifie considérablement le processus d’acquisition des droits d’exécution. Deuxièmement, il offre une police d’assurance quasi totale contre les poursuites pour violation du droit d’auteur. La mesure proposée par l’ACR met en péril ces avantages non seulement à l’égard des télédiffuseurs qui désirent tenter l’aventure de la LGM, mais à l’égard de tous les télédiffuseurs.

D. La LGM confère aux télédiffuseurs des bénéfices sans contrepartie pour les compositeurs

Compte tenu de la façon dont mes collègues ont structuré la LGM, les télédiffuseurs gagnent sur tous les tableaux, et à peu de frais.

Les télédiffuseurs seront maintenant en mesure d’obtenir eux-mêmes les droits d’exécution lorsqu’il est facile et payant de le faire, tout en s’en remettant à la SOCAN pour les droits qui sont difficiles à obtenir, ou pour lesquels une licence directe coûterait plus cher. La SOCAN n’a pas le choix : elle ne peut refuser d’octroyer une licence.

En fondant l’escompte sur les revenus, on fait fi de la caractéristique principale et de la logique qui sous-tend le tarif actuel. Le tarif est établi à un pourcentage des revenus. Ce pourcentage est fonction de l’utilisation moyenne de musique dans toutes les émissions, sans égard à la quantité de musique utilisée dans une émission donnée. Il n’existe pas de corrélation entre l’utilisation de musique dans une émission et les revenus qu’elle produit. [135] Le taux est nécessairement trop haut ou trop bas à l’égard de chacune des émissions qu’une station diffuse; il faudrait établir des taux différents à l’égard de chaque émission, ou de divers types d’émissions. [136] On pourrait établir des formules plus appropriées de façon à s’assurer que l’escompte appliqué convienne dans les circonstances. En ne le faisant pas, on encourage le cherry-picking. [137]

Le contraste avec la situation américaine est frappant. À ce jour, quelque 150 des 1 020 stations sont titulaires d’une PPL; de l’aveu même des témoins de l’ACR, le plafond devrait se situer autour de 250. De toute évidence, le fait d’opter pour la PPL entraîne un coût. À l’opposé, je m’attends à ce que la plupart des stations canadiennes, sinon toutes, optent pour la LGM, puisqu’elle n’entraîne presque pas de coûts supplémentaires.

Enfin, la façon dont mes collègues disposent de la question des messages publicitaires m’inquiète. J’ai du mal à accepter leur conclusion selon laquelle la musique contenue dans ces messages est sans valeur. Je trouve aussi dangereuse l’analogie qu’ils établissent entre ces messages et les émissions de courte durée qui sont retransmises sur les signaux éloignés.

E. La LGM causera du tort aux compositeurs canadiens

L’ACR admet d’entrée de jeu que les compositeurs de musique pour les émissions locales seront les plus affectés, puisqu’il y a peu de chances que ces émissions soient exportées et que par conséquent, le Canada est probablement la seule source de redevances pour le droit d’exécution. [138] La plupart de ces compositeurs, sinon tous, sont probablement canadiens. Ce sont aussi eux qui sont le plus avantagés par les pratiques actuelles de la SOCAN en matière de distribution. Manifestement, l’ACR propose une mesure qui causera du tort aux compositeurs canadiens.

F. Conclusion

Le fait même d’avoir permis aux compositeurs canadiens de se coaliser comme ils l’ont fait rend la LGM impraticable ou peu souhaitable. Elle sous-entend soit la fin des cessions exclusives, soit un boycott des membres de la SOCAN de la part des télédiffuseurs. Tant et aussi longtemps que les compositeurs ou les autorités compétentes n’en viendront pas à la conclusion qu’il faut mettre fin à cette caractéristique institutionnelle fondamentale, la Commission fait fausse route en mettant au point un système qui ne peut fonctionner que dans un monde différent et qui contrecarre les choix légitimes des compositeurs.

À plus long terme, et dans un monde où les utilisateurs eux-mêmes réclament de plus en plus l’accès à des guichets uniques, les transactions individuelles ne peuvent que compliquer les choses. À cet égard, les arrangements institutionnels qui existent me semblent de beaucoup préférables au monde que recherche l’ACR.

Le fait de rejeter la LGM n’entraîne pas une paralysie permanente. Cela garantit simplement que l’existence de ce système qui, du dire même des témoins de l’ACR, doit continuer d’exister pour la télévision comme ailleurs, [139] n’est pas mise en péril en offrant une option qui, nécessairement, aura des conséquences néfastes pour tous les intéressés, y compris les télédiffuseurs.



[1] Voir Tarif des droits à percevoir pour l’exécution au Canada d’œuvres musicales et dramatico-musicales en 1990, 1991, 1992 et 1993 (1993), Recueil des décisions de la Commission du droit d’auteur, 1990-1994, 345, p. 355-6. [Ci-après Exécution publique, 1993]

[2] Dire que la licence américaine est une licence «à la pièce» ou «per program» pose problème. La licence donne accès à tout le répertoire des sociétés de gestion, et couvre même l’usage de certaines musiques (incidente ou autre) incorporées aux émissions dont les droits musicaux ont été affranchis. Heureusement, l’ACR a choisi d’utiliser une expression moins problématique, soit la «modified blanket licence» qui est traduite ici par «licence générale modifiée».

[3] La décision que la Commission a rendue le 21 décembre 1996 décrit en détail les événements qui ont mené à l’homologation de ce tarif.

[4] Les transactions «en amont» (front end) se passent avant la diffusion de l’émission : contrats de composition, affranchissement des droits au moment de sa production ou de son acquisition, etc. Les transactions «en aval» (back end), tel l’achat de la licence générale de la SOCAN, se produisent à la même époque que sa diffusion ou par la suite.

[5] L.C. 1992, ch. 33, L.R.C. ch. 19.6

[6] Exécution publique, 1993, p. 358 (les notes ont été omises).

[7] Canadian Association of Broadcasters v. SOCAN (1994), 58 C.P.R. (3d) 190, 196g (C.A.F.)

[8] Canadian Association of Broadcasters, supra, note 7, 196c; Exécution publique, 1993, p. 358; Canadian Broadcasting Corp. c. Canada (Copyright Board) (1993), 47 C.P.R. (3d) 426, 429h (C.A.F.)

[9] Exécution publique, 1993, p. 352

[10] Pièce CAB-28, p. 3

[11] Pièce CAB-31

[12] Contre-interrogatoire de M. Casey, tr. p. 872-3

[13] Les revenus des télédiffuseurs conventionnels ont augmenté même si leur part d’écoute a baissé. Cela signifie simplement que durant la première phase d’ouverture du marché à de nouvelles sources de concurrence pour la publicité, la demande a augmenté plus rapidement que l’offre. Il ne peut s’agir que d’un phénomène temporaire. La concurrence continuera d’augmenter. De toute évidence, si les participants, actuels ou nouveaux, dans ce marché continuent d’offrir de plus en plus de temps d’antenne publicitaire, la croissance des revenus devra ralentir ou s’arrêter, ce qui entraînera inévitablement une diminution des revenus en dollars constants.

[14] Pièce CAB-28, p. 2

[15] Voir, par exemple, Tarif des droits à payer pour la retransmission de signaux éloignés de radio et de télévision en 1990 et 1991 (1990), Recueil des décisions de la Commission du droit d’auteur, 1990-1994, 3, p. 60

[16] «Crazy» : tr. p. 1446, 1705

[17] Cela semble particulièrement plausible par rapport à des biens publics servant d’intrants dans la production d’autres biens qui sont consommés au même moment dans le marché primaire comme dans le marché secondaire, comme c’est le cas pour la majeure partie, sinon toute la programmation américaine diffusée aux heures de grande écoute.

[18] La décision de la Commission en 1993 était à l’effet contraire : voir Exécution publique, 1993, p. 362.

[19] Tarif des droits à payer pour la retransmission de signaux éloignés de radio et de télévision en 1992, 1993 et 1994 (1993), Recueil des décisions de la Commission du droit d’auteur, 1990-1994, 135, p. 159. [Ci-après Retransmission, 1992]

[20] Voir, par exemple, le rapport de M. Goldstein, pièce CAB-3, p. 3-4.

[21] Voir Exécution publique, 1993, p. 360.

[22] Exécution publique, 1993, p. 361 (les notes ont été omises).

[23] Témoignage de M. Ellis, tr. p. 790 et seq.; témoignage du professeur Liebowitz, tr. p. 1504-5.

[24] Les droits canadiens représentent seulement 20 pour cent du coût de production d’une émission canadienne : témoignage de M. Mustos, tr. p. 3089, et pièce CAB-2, tableau 8.

[25] Pièce SOCAN-6, p. 4-5

[26] Pièce SOCAN-6, Additional Financial Information, p. 7

[27] Exécution publique, 1993, p. 360-1

[28] Argumentation de l’ACR, paragraphes 103-106

[29] Pièce CAB-2, tableau 9A

[30] Source : pièce SOCAN-6, Additional Financial Information

[31] Les seules données disponibles auprès de Statistique Canada et du CRTC quant aux revenus de télévision commerciale incluent ceux du réseau CTV. De façon à exclure ces derniers, on a évalué les revenus des stations en divisant le montant des droits versés à la SOCAN par le taux prévu au tarif 2.A.

[32] CAPAC c. CTV, [1968] R.C.S. 676, suivi dans l’arrêt CTV Television Network c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1993] 2 C.F. 115 (C.A.)

[33] Voir les articles 30.8 et 30.9 de la Loi

[34] À cet égard, l’ACR fait erreur en se rapportant à la décision de 1985 de la Commission d’appel du droit d’auteur. La Commission avait dit que les paiements effectués pour les copies éphémères pourraient avoir un impact financier sur l’industrie de la radiodiffusion et réitéré la pertinence de la capacité de payer comme facteur dans l’établissement du tarif. Elle n’avait pas dit que la valeur du droit d’exécution était nécessairement moindre du seul fait qu’on attachait un prix à la licence de synchronisation : voir Final Report of the Copyright Appeal Board to the Minister of Consumer and Corporate Affairs for 1985 (1985), 3 C.P.R. (3d) 20, p. 37 (Cop.Ap.Bd.)

[35] Tableau I, supra

[36] Le dossier ne permet pas d’établir le montant des distributions effectuées en 1996.

[37] Les télédiffuseurs conserveront l’accès complet au répertoire de la SOCAN. La LGM leur permettra tout simplement de se passer de la licence générale à l’égard de certaines émissions.

[38] Une entente a été conclue entre la SOCAN et la SRC; aucun tarif ne s’applique à cette dernière.

[39] Une entente qui n’a jamais eu son pendant dans un tarif a régi, à partir de 1983 et pendant près d’une décennie, les rapports entre les anciennes sociétés de gestion et les membres de l’Association canadienne des orchestres, pourtant assujettis au tarif concerts. Le ministère de la Défense nationale du Canada a conclu des ententes avec la SOCAN par le passé, et est peut-être encore partie à un tel contrat; pourtant, certains des tarifs de la SOCAN s’appliquent sans aucun doute à ce ministère. Dans un affaire précédente, la SOCAN a même admis que si un tarif imposait le versement de redevances plus élevées que celles prévues par une entente, elle s’en tiendrait à l’entente. La Commission a refusé de permettre à la SOCAN de pratiquer ainsi des prix discriminatoires : SOCAN Statement of Royalties 1994-1997 (Re) (1996), 71 C.P.R. (3d) 196, 208c (Cop.Bd.)

[40] Témoignage de M. Crawley, tr. p. 510-1

[41] Argumentation de l’ACR, paragraphes 49-51; témoignage de M. Crawley, tr. p. 506 passim

[42] Voir «L’assemblée générale annuelle élargit le mandat de la société», Paroles et musique , septembre 1997, p. 4

[43] BMI obtient des cessions exclusives du droit d’exécution pour partout, sauf les États-Unis.

[44] Tr. p. 483, 3311-3

[45] Argumentation de l’ACR, paragraphe 183

[46] Les membres de l’ASCAP, dont certains sont canadiens, peuvent émettre des licences à des utilisateurs partout à travers le monde. Malgré cela, les ententes conclues entre l’ASCAP et la SOCAN font en sorte que leurs œuvres font partie, à titre non exclusif, du répertoire de cette dernière : témoignage de M. Reimer, tr. p. 1245-50. Voir aussi l’argumentation de l’ACR, paragraphe 183, et le témoignage du professeur Stanbury, tr. p. 2509-10.

[47] Ces «bibliothèques» louent des disques compacts contenant de la musique de production préenregistrée, classée selon différents types ou genres. Pour un prix fixe, le locataire obtient une licence non exclusive d’exécution pour une ou deux années.

[48] Exécution publique, 1993, p. 365

[49] Témoignage de M. Gertz, tr. p. 2690-2700

[50] Témoignage de M. Fillingham, tr. p. 2882-94

[51] Avant l’implantation de la PPL, l’ASCAP ne se livrait qu’à un échantillonnage très restreint de la programmation locale aux fins de distribution (30 000 heures par année, comportant 450 000 exécutions) : témoignage de M. Reimer, tr. p. 1268-70; pièce CAB-44, p. 3. Le processus de distribution déjà en place à la SOCAN implique le recensement complet de la programmation télévisuelle partout au Canada.

[52] Une preuve convaincante portant que la SOCAN opère de façon inefficace ou que la cagnotte télévision supporte une part démesurée des dépenses d’exploitation pourrait donc entraîner une réduction de cette prime. La preuve au dossier de la présente affaire n’a pas permis à la Commission de tirer de telles conclusions.

[53] Sources : pièce SOCAN-6 et décision de la Commission du droit d’auteur du 19 avril 1996 portant sur le tarif 17

[54] On utilise uniquement les revenus domestiques. Dans l’attribution de ses frais d’exploitation, la SOCAN ne tient pas compte des sommes qu’elle reçoit de ses sociétés affiliées. C’est la façon dont opèrent la plupart, sinon toutes, les sociétés étrangères : témoignage de M. Rock, tr. p. 1801-4.

Notons que cette façon de procéder avantage l’ACR. La cagnotte télévision reçoit une part disproportionnée des redevances étrangères. Le rapport est de 2,4 à 1 : pièce SOCAN-6, Additional Information, p. 5. Si l’on tenait compte de ce facteur, la prime s’en trouverait augmentée.

[55] La Commission avait estimé à 8,99 millions de dollars les revenus provenant du tarif 17 pour l’année 1994; SOCAN Statement of Royalties, 1990-1995 (Tariff 17) (Re) (1996), 70 C.P.R. (3d) 501, 554, tableau 12 (Cop.Bd.). Ce montant n’a probablement pas augmenté de façon significative depuis.

[56] Il s’agit des frais d’exploitation nets des revenus d’investissement et de loyer et ce, pour deux motifs. Premièrement, il s’agit d’une pratique généralement acceptée à travers le monde pour ces sociétés. Deuxièmement, et surtout, ce revenu étant imputé directement aux frais d’exploitation, il réduit de façon égale la part des frais d’exploitation de chacune des cagnottes.

[57] Pendant son témoignage, M. Scapillati a maintenu que l’utilisation de musique incidente ne constituerait plus désormais une violation du droit d’auteur et que, par conséquent, la licence de la SOCAN ne serait plus nécessaire : tr. p. 2879. Cela est inexact, ne serait-ce que parce que l’article 30.7 exige que le geste soit non délibéré.

[58] Témoignage de M. Hoffert, tr. p. 323. On peut en conclure, dans un certain sens, que des mécanismes adéquats de compensation pour l’utilisation subséquente de musique, par le biais de son exécution, sont en place et qu’il n’y a pas lieu d’y ajouter.

[59] Retransmission, 1992, p. 196

[60] Argumentation de l’ACR, paragraphe 206

[61] 3 pour cent au titre des coûts supplémentaires et 1 pour cent au titre du facteur d’intérêt

[62] Témoignage de M. Rock, tr. p. 1964-1965; pièce CAB-8 (projet d’une LGM)

[63] Argumentation de l’ACR, annexe C, p. 5

[64] Qui deviendra plus tard la SDE.

[65] La même demande a été reformulée de 1986 à 1989.

[66] Pour l’émission déjà produite, les droits pourraient être acquis du producteur, s’il en est titulaire. Tel pourrait être le cas des émissions américaines : la théorie américaine dite du «work-for-hire» fait en sorte que la plupart du temps, c’est le producteur qui est le premier titulaire du droit sur la musique composée sur commande : témoignage de M. Reimer, tr. p. 1208.

[67] La question des licences générales fait l’objet plus loin d’un développement.

[68] C’est ce qui se fait pour la gestion des «grands droits».

[69] Dans certains cas, (retransmission, exécution publique des prestations d’artistes-interprètes) la gestion collective est obligatoire ou constitue la seule façon d’obtenir une rémunération.

[70] Personne ne remet en cause ce régime ni ne demande de restreindre la faculté qu’ont les compositeurs d’opter pour la gestion collective. D’ailleurs, l’intention du Parlement depuis quelques années va clairement dans le sens de la gestion collective, et non le contraire.

[71] Paragraphe 68.2(2) de la Loi .

[72] En Europe, les compositeurs peuvent céder, de façon exclusive, différentes parties de leur répertoire à des sociétés distinctes. Voir, par exemple, la pièce SOCAN-47 (Acte d’adhésion aux statuts de la SACEM), art. 34. Selon M. Tournier, très peu de compositeurs se prévalent de cette disposition.

[73] Seul le compositeur canadien qui n’est membre d’aucune société de gestion peut négocier un prix plus élevé que le tarif SOCAN.

[74] Les télédiffuseurs prennent déjà plein avantage des règlements de la SOCAN en obtenant la plupart du temps la part de redevances qui revient à l’éditeur.

[75] Fait à souligner, le caractère exclusif de la représentation est imposé par la Loi sur le statut de l’artiste (LSA). Elle permet donc que se produise «en amont» ce qui était déjà permis depuis un certain temps «en aval».

[76] On est loin de savoir si les maisons d’édition des télédiffuseurs s’acquittent véritablement de leur travail d’éditeur : comparer, par exemple, les témoignages de M. Morley, tr. p. 81, et de Mme Schafran, tr. p. 3290, 3355-9. Le témoignage de cette dernière illustre particulièrement bien le conflit d’intérêts qui existe dans presque tous les cas entre compositeurs et télédiffuseurs : voir, par exemple, tr. p. 3292, 3371-2.

[77] Pièce SOCAN-48, p.2

[78] Pièce SOCAN-48, p.9

[79] Pièce SOCAN-48, p.9

[80] Pièce CAB-9, p. 28

[81] Final Report to the Minister of Consumer and Corporate Affairs for 1986 (1986), 11 C.P.R. (3d) 1, p. 11 (Cop.Ap.Bd.)

[82] Je tiens pour acquis que l’ACR ne croit pas vraiment que ses deux premières suggestions sont viables.

[83] L’ACR elle-même a souligné l’importance croissante des revenus étrangers, particulièrement dans le domaine de la télévision.

[84] Ce qu’ont clairement reconnu la SPACQ et la SOCAN dans leur accord portant sur l’accréditation de la première à titre d’unité de négociation : voir pièce CAB-11, p. 6.

[85] L’ACR a tort de prétendre que la LSA permet d’établir des conditions visant les compositeurs en tant que titulaires de droits : réplique de l’ACR, paragraphe 100. Le droit d’auteur est un bien, non un service.

[86] N’oublions pas que la LSA prévoit uniquement la négociation de conditions minimales.

[87] Le marché de la SOCAN est contestable. La seule entrave à l’accès dans ce marché est l’exigence de faire homologuer un tarif avant de percevoir des redevances.

[88] Les interventions de la SPACQ et d’autres associations devant cette Commission, par le passé, démontrent à quel point les membres de la SOCAN sont en mesure d’exprimer à la Commission leur mécontentement à l’égard de certaines décisions ou pratiques de leur société.

[89] Exécution publique, 1993, p. 361

[90] Voir supra, n. 3

[91] Pièce SOCAN-53, (tableau révisé accompagnant la pièce SOCAN-4); tr. p. 1500-5. Les droits d’exécution représentaient 5,58 pour cent des coûts de programmation en 1972, 4,18 pour cent en 1984, 2,96 pour cent en 1991 et 3,19 pour cent en 1995.

[92] Argumentation de l’ACR, p. iii et paragraphes 13 à 21.

[93] Pièces SOCAN-6 et Board-1

[94] L’hypothèse reste valable peu importe que la perte d’auditoire soit en faveur de divertissements qui génèrent des redevances pour la SOCAN, telle l’écoute des chaînes spécialisées, ou qui n’en génèrent pas, telle l’écoute de vidéocassettes, ou encore dont on ne sait toujours pas s’ils en généreront, tel l’Internet.

[95] Pièce CAB-3, annexe A, tableau 2, reproduit en partie dans le tableau qui accompagne la n. 61, infra.

[96] Pièce SOCAN-19

[97] Preuve de M. Casey, pièce SOCAN-3

[98] On établit ce fait en utilisant la pièce SOCAN-3.

[99] En soi, la comparaison du taux de croissance des ventes de temps d’antenne des services spécialisés et des télédiffuseurs conventionnels ne signifie rien. Les ventes des services spécialisés représentent toujours moins de 8 pour cent du total des ventes dans ce marché. Qui plus est, la différence dans le taux de croissance s’explique en grande partie par l’arrivée de nouveaux services : en cinq ans, leur nombre est passé de 13 à 21.

[100] Pièce SOCAN-3, p. 4

[101] Pièce CAB-29, p. 5

[102] Je ne sache pas qu’une station de télévision conventionnelle ait jamais fait faillite. À une première tentative infructueuse d’implantation des services spécialisés a fait suite un deuxième effort, étroitement surveillé et beaucoup plus réussi.

[103] Ce qui suit est fondé sur les témoignages de MM. Reimer et Zwaska, tr. p. 1142 passim, 2659 passim, ainsi que les pièces CAB-6 et SOCAN-10.

[104] Les cessions obtenues par l’ASCAP sont non exclusives. La BMI obtient des cessions exclusives sauf pour les États-Unis.

[105] Le consent decree de l’ASCAP et certaines ordonnances qui s’y rattachent traitent aussi d’échantillonnage et de distribution.

[106] Durant leur témoignage, MM. Reimer et Zwaska ont fait allusion à un régime similaire qui s’appliquerait désormais à la BMI. Nimmer on Copyright, p. 8-271, les corrobore sur ce point.

[107] Les réseaux CBS, ABC et NBC et les stations dont ils sont propriétaires sont assujettis à des licences distinctes ayant aussi fait l’objet de plusieurs litiges. Les redevances pour la musique incorporée à la programmation des réseaux Fox, Warner Brothers et UPN sont versées par leurs stations affiliées, toujours suite à une décision de justice.

[108] L’affaire dite Voice of Alabama.

[109] Un «commercial fee» et un «sustaining fee». Pour la BMI, les taux établis pour la première fois en 1959, vont de 0,81 pour cent à 1,09 pour cent pour les stations dont les revenus bruts dépassaient 100 000 $.

[110] United States v. ASCAP (Application de Shenandoah Valley Broadcasting Inc.) 1962 Trade Cases ¶ 70,466 (S.D.N.Y.), 1964 Trade Cases ¶ 71,102, cert. denied 377 U.S. 997 (1964)

[111] C’est ce qu’on appelle la formule Shenandoah. La part de revenus versée par les télédiffuseurs pour leurs droits d’exécution passe donc progressivement à 1,17 pour cent en 1985, dernière année d’application de la formule.

À partir de 1969, les réseaux versent des montants forfaitaires. Depuis l’adoption de la formule Shenandoah, la redevance de la BMI est un pourcentage du montant payable à l’ASCAP, pourcentage qui augmente progressivement de 58 pour cent en 1969 à 80 pour cent en 1995.

[112] Affaire Buffalo Broadcasting

[113] Soit la dernière année de la première entente Shenandoah.

[114] La BMI et les télédiffuseurs s’étaient entendus pour remettre leurs négociations jusqu’à la conclusion de l’affaire Buffalo Broadcasting. Une entente BMI traitant des licences générales et «à la pièce» s’applique de janvier 1995 à la fin mars 1999.

En janvier 1997, les stations et la SESAC concluent une première entente visant tout le secteur. Elle s’applique d’octobre 1995 à la fin de l’an 2000, et prévoit uniquement une licence générale.

[115] C’est-à-dire les droits versés par les stations de télévision à l’égard de leur programmation locale et par les réseaux CBS, ABC et NBC à l’égard de la programmation de réseau et de la programmation locale des stations dont ils sont propriétaires.

[116] Voir pièce CAB-3, annexe A, tableau 9 (droits d’exécution); pièce CAB-16 et supra, n. 28 (rapport entre les dépenses de programmation et les droits d’exécution aux États-Unis et au Canada). Les données de population utilisées (262,8 millions pour les États-Unis et 29,6 millions pour le Canada) sont pour l’année 1995 et proviennent des sites web du U.S. Census Bureau (www.census.gov/stat_abstract) et de Statistique Canada (www.statcan.ca/français/pgdb/people/population).

[117] Tr. p. 1706

[118] Sauf, pour partie, de l’augmentation du nombre de stations.

[119] Témoignage de M. Zwaska, tr. p. 2665-6. Le répertoire de la troisième société de gestion, la SESAC, n’est pas suffisamment important pour avoir un impact significatif sur ce marché.

[120] Pièce CAB-6, p.7; voir aussi le témoignage de M. Reimer, tr. p. 1315.

[121] Supra, n. 46 et le texte qui l’accompagne. Voir aussi le témoignage de M. Zwaska en 1993, pièce SOCAN-10, p. 1267-8.

[122] Voir, par exemple, le témoignage de M. Reimer, tr. p. 1316.

[123] Témoignage de M. Ellis, tr. p. 676; pièce CAB-3, p. 6

[124] Tableau dérivé de la pièce CAB-3, annexe A, tableau 2.

[125] Fait intéressant à noter, la part d’audience de tous les services assujettis aux tarifs de la Commission (tous les services canadiens et les services spécialisés américains) passe de 74,9 pour cent à 77,7 pour cent durant cette période.

[126] De ce montant, 23,7 millions de dollars est attribuable à la station de Bellingham (Washington). M. Goldstein a dit que cette situation était exceptionnelle.

[127] Ce fait peut être établi en utilisant certaines données contenues dans les décisions Retransmission, 1990 et Retransmission, 1992.

[128] Exécution publique, 1993, p. 362

[129] Les tableaux qui accompagnent la pièce SOCAN-4 permettent d’établir ces rapports.

[130] Témoignage de M. Morley, tr. p. 106-8

[131] Quant à la SESAC, voir la n. 56, supra

[132] La musique contenue dans les émissions souscrites fait rarement l’objet d’affranchissement des droits à la source : témoignage de M. Reimer, tr. p. 1207, 1293.

[133] Supra n. 3

[134] Exécution publique, 1993, p. 365

[135] Exécution publique, 1993, p. 359

[136] C’est précisément ce que le commissaire Fenus a fait dans sa dissidence à l’égard du tarif 17 de la SOCAN, dans la décision de la Commission du 19 avril 1996.

[137] Le fait que les émissions de nouvelles se prêtent particulièrement à l’utilisation de musique provenant des «bibliothèques de musique» n’a rien pour améliorer la situation. Le télédiffuseur qui produit une émission n’a pas besoin de passer une commande auprès d’un compositeur pour obtenir la musique qu’il lui faut pour produire une émission de nouvelles. Cela veut aussi dire que lorsqu’on remplace la musique de commande par de la musique «en boîte», les compositeurs perdent non seulement leurs droits d’exécution, mais aussi tous les revenus que leur procure la composition d’une œuvre originale.

[138] Argumentation de l’ACR, paragraphe 121

[139] Témoignage de MM. Zwaska et Gertz, tr. p. 2814-7.

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