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Copyright Board
Canada

Canada Coat of Arms/Armoiries du Canada

Commission du droit d’auteur
Canada

 

Date

1999-08-13

Référence

DOSSIER : Exécution publique d’enregistrements sonores 1998-2002

Régime

Exécution publique d’enregistrements sonores

Loi sur le droit d’auteur, article 68(3)

Commissaires

Michel Hétu, c.r.

Mme Adrian Burns

M. Andrew E. Fenus

Projets de tarif examinés

1.A – RADIO COMMERCIALE EN 1998, 1999, 2000, 2001 ET 2002

Tarif des redevances à percevoir par la scgdv pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication, au Canada, d’enregistrements sonores publiés constitués d’œuvres musicales et de la prestation de telles œuvres

Motifs de la décision

I. INTRODUCTION

Au 1er septembre 1997, conformément à l’article 67 de la Loi sur le droit d’auteur [la Loi] et à l’article 53.1 de la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur [L.C. 1997, ch. 24], la Société canadienne de gestion des droits voisins (SCGDV) et la Société de gestion des droits des artistes-musiciens (SOGEDAM) déposaient auprès de la Commission des projets de tarifs pour l’exécution publique ou la communication au public par télécommunication au Canada de prestations d’œuvres musicales ou d’enregistrements sonores constitués de ces prestations, tarifs qu’elles entendaient percevoir à partir du 1er janvier 1998. Ces projets ont été publiés dans la Gazette du Canada le 18 octobre 1997. Par la même occasion, la Commission avisait les utilisateurs de leur droit de s’opposer aux projets de tarifs.

Les présents motifs traitent du tarif 1.A (Radio commerciale). Les autres tarifs feront l’objet de décisions ultérieures.

L’Association canadienne des radiodiffuseurs (ACR), Shaw Radio Limited et Radiomutuel inc. se sont opposées dans les délais prescrits. Shaw a éventuellement retiré son opposition alors que Radiomutuel informait la Commission qu’elle serait représentée par l’ACR. Les audiences, qui ont duré 16 jours, ont été tenues en juin, juillet et août 1998. Le dépôt de l’argumentation finale a pris fin le 16 novembre 1998.

II. LE CADRE LÉGISLATIF

C’est la première fois que la Commission se penche sur le régime dit des droits voisins, mis en place en 1997 par l’entrée en vigueur du projet de loi C-32 [L.C. 1997, ch. 24]. Il paraît donc utile de faire un survol de l’évolution de la protection que le droit d’auteur canadien accordait jusque-là aux artistes-interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores et de décrire les éléments essentiels du nouveau régime.

Les producteurs d’enregistrements sonores ont acquis depuis longtemps le droit exclusif d’autoriser la reproduction de ces enregistrements. Jusqu’en 1971, ils jouissaient aussi du droit d’autoriser leur exécution publique, droit qu’ils ont perdu peu après que la Commission d’appel du droit d’auteur ait homologué des tarifs à cet effet. En 1994, dans le cadre de la mise en application de l’Accord de libre-échange nord-américain, les producteurs d’enregistrements obtenaient le droit exclusif de les louer.

Jusqu’à tout récemment, la législation canadienne en matière de droit d’auteur accordait peu ou pas de droits aux artistes-interprètes. Ce n’est qu’en 1994 que la loi de mise en application de certaines obligations du Canada découlant de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce leur a octroyé certains droits exclusifs sur leurs prestations en direct.

L’adoption du projet de loi C-32 a permis au Canada d’adhérer à la Convention de Rome de 1961 pour la protection des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion. Le 4 juin 1998, le Canada rejoignait 56 autres pays. Les États-Unis n’ont pas adhéré à cette Convention.

Tous les droits dont jouissent les artistes-interprètes, producteurs d’enregistrements sonores et radiodiffuseurs se retrouvent maintenant à la Partie II de la Loi. Les articles 15, 18, 21 et 26 prévoient divers droits exclusifs, tous qualifiés de droit d’auteur selon la définition de l’expression nouvellement ajoutée à la Loi. L’article 19 accorde par ailleurs aux producteurs et artistes-interprètes un droit à rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public par télécommunication d’enregistrements sonores admissibles publiés. Certaines des nombreuses caractéristiques de ce droit ont un impact direct sur la présente décision.

Premièrement, le droit bénéficie conjointement aux producteurs et artistes-interprètes d’enregistrements admissibles. [a. 19(1)]

Deuxièmement, l’enregistrement est admissible non seulement si le producteur, à la date de la première fixation, était citoyen canadien ou résident permanent du Canada ou d’un pays partie à la Convention de Rome, mais aussi si toutes les fixations réalisées en vue de la confection de l’enregistrement sonore ont eu lieu dans l’un de ces pays. [a. 20(1)] Il s’ensuit que les artistes-interprètes et producteurs qui ne sont pas citoyens ou résidents permanents d’un de ces pays peuvent avoir droit à la rémunération.

Troisièmement, la façon dont les redevances sont perçues varie en fonction de la nature de l’œuvre enregistrée. Pour les enregistrements d’œuvres musicales, le paiement se fait à la société de gestion chargée, en vertu de la partie VII, de les percevoir. Pour les enregistrements d’œuvres littéraires ou dramatiques, le versement se fait soit au producteur, soit à l’artiste-interprète. [a. 19(2)]

Quatrièmement, les redevances, une fois versées, sont partagées par moitié entre le producteur et l’artiste-interprète, sans égard à celui qui a reçu le paiement. [a. 19(3)]

Cinquièmement, bien que les artistes-interprètes et les producteurs aient droit à une part égale de la rémunération, c’est l’exécution ou la télécommunication de l’enregistrement appartenant au producteur qui donne lieu à cette rémunération. [a. 19(1)]

Enfin, l’exercice du droit à rémunération pour les enregistrements d’œuvres musicales s’exerce nécessairement par le truchement d’une société de gestion. [aa. 19(2)(a), 67.1(1), 67.1(4)(b)] Ces sociétés sont assujetties au régime de réglementation tarifaire déjà en place pour les sociétés qui gèrent le droit d’exécution et de télécommunication d’œuvres musicales. Toutes doivent répondre aux demandes de renseignements concernant leurs répertoires. Toutes doivent déposer des projets de tarifs ou voir leur recours en recouvrement des redevances dépendre de la permission écrite du ministre. Enfin, le même processus d’examen et d’homologation s’applique pour l’essentiel à tous ces tarifs.

Certaines différences subsistent. Dans le cas du droit à rémunération, le pouvoir de la Commission d’établir le montant des redevances et leurs modalités s’accompagne de trois conditions. [1] Le tarif homologué ne doit s’appliquer qu’aux enregistrements admissibles. Il ne doit pas désavantager sur le plan financier certains utilisateurs en raison d’exigences différentes concernant la langue et le contenu imposées par le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion. Enfin, il doit prévoir que le paiement des redevances soit fait en un versement unique.

La Loi prévoit par ailleurs certaines conditions spéciales s’appliquant par dérogation aux tarifs homologués par la Commission aux «systèmes de transmission par ondes radioélectriques» (les stations de radio). Les systèmes communautaires ne payent que 100 $ par année. Les systèmes autres que les systèmes communautaires ou les systèmes de transmission publics ne payent que 100 $ sur la partie de leurs recettes publicitaires annuelles qui ne dépasse pas 1,25 million de dollars. Autrement, les redevances sont soumises à un régime transitoire au cours des trois premières années, aux termes duquel un tiers est payable en 1998, les deux tiers en 1999 et la totalité par la suite. [a. 68.1(1)]

La Loi prévoit enfin l’adoption de définitions réglementaires. La Commission peut definer l’expression «recettes publicitaires», [2] et le gouverneur en conseil, les expressions «système communautaire», «système de transmission par ondes radioélectriques» et «système de transmission public». [3]

Le droit à rémunération comporte d’autres caractéristiques qui n’ont pas d’impact sur la présente décision. Premièrement, il ne s’agit pas d’un droit d’auteur au sens où la Loi l’entend. Par conséquent, y contrevenir ne viole pas le droit d’auteur. Deuxièmement, le ministre peut limiter l’étendue et la durée de la protection accordée aux enregistrements confectionnés dans les pays parties à la Convention de Rome qui n’accordent pas de droits semblables à ceux prévus à l’article 19 de la Loi. Une déclaration à cet effet a été émise le 23 mars 1999. [4] En pratique, cette déclaration ne diminue en rien l’étendue du répertoire admissible qu’utilisent les stations de radio commerciale. Troisièmement, le ministre peut aussi accorder le droit à rémunération aux artistes-interprètes et producteurs d’un pays autre qu’un pays partie à la Convention de Rome qui accorde aux artistes-interprètes et producteurs canadiens essentiellement les mêmes avantages que ceux conférés par la législation canadienne. [a. 22] À ce jour, le ministre n’a pas émis de déclaration à cet effet.

III. LES CONCLUSIONS RECHERCHÉES

Les prétentions des participants sont reprises en détail lorsque nécessaire dans le reste de la décision. Les conclusions qu’ils recherchent peuvent se résumer comme suit.

La SCGDV demande un tarif valide pour cinq années, entrant en vigueur progressivement sur toute cette période plutôt que celle de trois ans prévue par la Loi. La dernière année, les stations verseraient 4,68 pour cent de leurs recettes publicitaires entre 1,25 et 1,5 million de dollars, et 9,78 pour cent de leurs recettes au-delà de cinq millions de dollars. La SCGDV accepte que les stations utilisant peu de musique paient à un taux moindre que les autres. Enfin, elle demande à être la société de gestion chargée de percevoir toutes les redevances, y compris celles revenant à des titulaires qu’elle pourrait ne pas représenter.

La SOGEDAM demande que le tarif soit établi à cinq pour cent des recettes publicitaires pour trois ans. Elle soutient qu’il n’est pas nécessaire d’inclure dans le tarif des dispositions transitoires additionnelles à celles que prévoit la Loi. Elle demande enfin de recevoir 2,88 pour cent des redevances pour la rémunération du répertoire qu’elle représente.

L’ACR demande un tarif d’une durée de trois ans. Elle propose 0,7 pour cent des recettes publicitaires, 0,3 pour cent pour les stations utilisant peu de musique et 1 000 $ l’an pour les stations de radio parlée. Elle ne voit pas non plus la nécessité d’ajouter aux dispositions transitoires de la Loi.

IV. PRINCIPES DIRECTEURS

La Commission croit utile d’énoncer dès le départ les principes dont elle entend s’inspirer pour rendre sa décision. Certains sont déjà connus; d’autres s’imposent à la lecture de la Loi. Lorsque nécessaire, ils feront l’objet de commentaires additionnels dans le reste de la présente décision.

La Loi exige que la Commission tienne compte des principes suivants. Les redevances doivent représenter la rémunération à laquelle les artistes-interprètes et producteurs ont droit en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi. Le tarif doit compenser uniquement l’utilisation du répertoire admissible dûment représenté. Il ne doit pas désavantager sur le plan financier certains utilisateurs en raison d’exigences différentes découlant de la Loi sur la radiodiffusion en matière de langue ou de contenu. Il doit prévoir que le paiement des redevances soit fait en un versement unique.

La Commission entend aussi se fonder sur certains principes énoncés dans ses décisions antérieures. Par conséquent, le tarif devrait refléter la situation canadienne, être facile à appliquer, à administrer et à comprendre, et être fondé sur un ensemble de données pour une période témoin.

La Commission ajoute que, de par sa nature, le tarif est prospectif. Par conséquent, c’est en jetant un regard sur le passé qu’elle peut établir l’étendue du répertoire admissible ou l’usage qu’en font les stations de radio commerciale. Si des changements significatifs devaient survenir pendant la durée du tarif, l’article 66.52 de la Loi permet aux sociétés ou aux utilisateurs de demander la modification du tarif.

V. LES QUESTIONS EN LITIGE

Les principales questions auxquelles la Commission doit répondre afin de rendre sa décision dans la présente affaire se résument comme suit :

  • Qu’entend-on par «rémunération équitable»?
  • En quoi consiste le répertoire admissible dûment représenté et quel usage les stations de radio commerciale en font-elles?
  • Comment faut-il tenir compte de la politique canadienne en matière de radiodiffusion?
  • Combien les stations de radio devraient-elles payer pour l’usage qu’elles font du répertoire admissible dûment représenté?
  • Comment les redevances devraient-elles être réparties?

A. Qu’entend-on par «rémunération équitable»?

Les participants abordent le concept de rémunération équitable de diverses façons. La SCGDV soutient qu’il faut l’établir uniquement en fonction des droits des titulaires. L’ACR prétend que cette rémunération doit aussi être équitable à l’endroit des utilisateurs, en plus de refléter d’autres éléments, tels l’identification précise du répertoire rémunéré et le bénéfice que tirent les titulaires de l’utilisation même des enregistrements. En bout de piste, la tâche qui incombe à la Commission demeure celle qui a toujours été la sienne en matière de réglementation des tarifs, à savoir : établir un tarif qui soit juste et équitable tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce.

B. En quoi consiste le répertoire admissible dûment représenté et quel usage les stations de radio commerciale en font-elles?

Seul l’enregistrement admissible emporte le droit à rémunération. Pour l’essentiel, cela veut dire qu’il doit avoir été publié, remplir les conditions énumérées à l’article 20 de la Loi et remonter à moins de 50 ans. Le droit à rémunération de l’enregistrement d’une œuvre musicale suppose par ailleurs que l’enregistrement admissible fasse partie du répertoire d’une société de gestion ayant déposé un projet de tarif.

Par conséquent, il incombe aux sociétés qui réclament des redevances pour l’utilisation de tels enregistrements de démontrer qu’elles représentent effectivement le répertoire dont elles se réclament. Le fait que les enregistrements sonores américains, si répandus à la radio, ne soient pas admissibles, ne fait qu’ajouter à l’importance de bien distinguer ce qui est admissible de ce qui ne l’est pas. Cela ne veut pas dire pour autant que les sociétés aient le fardeau d’établir la titularité de chacun des titres faisant partie de leurs repertoires : leur droit à rémunération est établi dès lors qu’elles représentent dûment les titulaires dont elles se réclament.

Établir quels enregistrements se retrouvent devant la Commission exige de répondre à deux questions. La SCGDV et la SOGEDAM sont-elles des sociétés de gestion? Représentent-elles les titulaires dont elles se réclament? Il faudra ensuite déterminer l’usage que les stations de radio commerciale font du répertoire admissible.

i. La SCGDV et la SOGEDAM sont-elles des sociétés de gestion?

La SCGDV est une société de gestion qui en regroupe d’autres. Peuvent en devenir member uniquement les organisations et sociétés représentant un nombre important de titulaires du droit à rémunération. Créée pour percevoir les redevances auxquelles les titulaires de droits voisins ont droit, elle agit pour le compte de cinq sociétés membres : l’ACTRA Performers’ Rights Society (APRS), l’American Federation of Musicians (AFM), la Société de gestion collective de l’Union des artistes (ArtistI), l’AVLA Audio-Video Licensing Agency Inc. (AVLA) et la Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec (SOPROQ).

La SOGEDAM est une société de type plus traditionnel, dont le répertoire provient de deux sources. Elle représente un petit nombre de musiciens canadiens qui l’ont autorisée par voie de cession. Elle a surtout signé une entente de réciprocité avec la SPEDIDAM, société de gestion à laquelle la loi française confie la gestion des droits de tous les artistes-interprètes dont le nom n’est pas mentionné dans la documentation accompagnant l’enregistrement sonore. [5]

Il ne fait aucun doute que la SCGDV et la SOGEDAM sont des sociétés de gestion. Leurs objets sont clairement ceux qu’énonce la Loi. Qui plus est, et contrairement à ce que semble prétendre l’ACR, le fait que certaines des sociétés membres de la SCGDV ne soient pas des personnes morales n’est aucunement pertinent. La Loi permet clairement qu’une association non constituée en corporation agisse à titre de société de gestion. Les règles du mandat permettent à une telle association d’obtenir la gestion du droit à rémunération et d’en confier la perception à d’autres personnes, pour autant que l’instrument par lequel le mandat est accordé respecte les conditions prévues par la législation ou le droit privé.

La vraie difficulté est d’établir l’étendue du répertoire admissible que représentent la SCGDV et la SOGEDAM. Cela exige d’examiner le statut des sociétés membres de la SCGDV.

ii. La SCGDV et la SOGEDAM représentent-elles les titulaires dont elles se réclament?

Comme on l’a dit précédemment, il incombe aux sociétés qui demandent à recevoir des redevances au titre du droit voisin de démontrer qu’elles représentent effectivement le répertoire dont elles se réclament. L’ACR soutient que ni la SCGDV, ni la SOGEDAM ne se sont acquittées de cette obligation. Elle prétend que la première n’a pu établir sa titularité à l’égard des artistes-interprètes canadiens ou des titulaires de droits étrangers. Elle ajoute que la seconde n’a pu établir l’usage que les stations de radio commerciale font effectivement du répertoire qu’elle représente. L’ACR en conclut que le seul répertoire dont la Commission soit réellement saisie est la part du droit à rémunération revenant aux producteurs canadiens, qui ne représente que 15 pour cent des enregistrements utilisés par les stations de radio commerciale, compte tenu du quota de 30 pour cent de contenu canadien imposé par le CRTC.

Ce que l’ACR conteste d’abord et avant tout, c’est le droit de la SCGDV d’agir au nom des artistes-interprètes canadiens et étrangers : pour les premiers, elle met en cause les moyens utilisés par l’AFM et l’APRS pour obtenir les droits, et pour les seconds, elle invoque le fait que la SCGDV (par le biais d’ArtistI) n’a toujours pas conclu d’accords de réciprocité avec les sociétés étrangères agissant pour leur compte.

Il ne fait aucun doute que la SOGEDAM représente le répertoire dont elle se réclame. C’est plutôt la façon dont la SCGDV prétend avoir acquis certains droits qui pose problème.

a. Les droits des producteurs et la SCGDV

Le témoignage non contredit de madame Lucie Beauchemin démontre que l’AVLA et la SOPROQ représentent à toutes fins pratiques l’ensemble des producteurs canadiens. Les membres de l’AVLA lui ont confié des mandats non exclusifs, alors que ceux de la SOPROQ l’ont autorisée par voie de cession. À son tour, la SCGDV détient les droits dont l’AVLA et la SOPROQ ont fait apport en devenant membres de celle-ci.

Le témoignage non contredit de plusieurs témoins permet aussi de conclure que les producteurs canadiens font apport non seulement des droits qu’ils détiennent sur leurs propres enregistrements, mais aussi de ceux qu’ils détiennent sur la plupart des enregistrements étrangers. Ce sont eux qui acquièrent la totalité ou presque des bandes-maîtresses étrangères pour le marché canadien et qui les exploitent dans ce marché. Les producteurs indépendants canadiens détiennent des licences que leur octroient les producteurs étrangers. Quant au répertoire des six sociétés les plus importantes (les majors), il fait l’objet d’ententes inter-corporatives entre filiales canadiennes et étrangères. Il reste sans doute certains producteurs étrangers qui ne sont pas représentés au Canada ni d’une façon, ni de l’autre. En ce qui les concerne, la SCGDV ou ses membres devront s’entendre avec des sociétés de gestion étrangères avant de représenter ces producteurs au Canada. La preuve, particulièrement l’étude déposée sous la cote NRCC-21, permet toutefois de conclure que cette portion du répertoire représente tout au plus cinq pour cent du répertoire admissible.

Pour les fins de la présente affaire, on peut donc tenir pour acquis sans risque de se tromper que la SCGDV détient la quasi-totalité des droits dont jouissent les producteurs en vertu de l’article 19 de la Loi. La situation est loin d’être aussi simple à l’égard des droits des artistes-interprètes.

b. Les droits des artistes-interprètes et la SCGDV

La SCGDV gère ce que ses sociétés membres et associées l’ont autorisée à gérer «notamment par voie de cession, licence ou mandat». Ces dernières doivent elles-mêmes avoir obtenu des droits des producteurs et artistes-interprètes de la même façon. Autrement dit, l’AFM, l’APRS et ArtistI peuvent faire apport à la SCGDV des droits de leurs membres uniquement si elles-mêmes ont obtenu des autorisations valides au sens où l’entend la Loi. Il faut donc se pencher sur la façon dont elles prétendent avoir obtenu ces droits pour leurs répertoires respectifs.

ArtistI a été créée par l’Union des artistes (UDA), qui représente surtout des artistes-interprètes francophones, dans le but de gérer les droits de ses membres qui sont des chanteurs. Elle seule a obtenu systématiquement des cessions du droit à rémunération de la part des artistes-interprètes qu’elle représente.

Sont membres de l’AFM la presque totalité des musiciens canadiens. L’AFM soutient que des modifications apportées à ses règlements administratifs visant l’acquisition et la gestion du droit à rémunération de ses membres lui permettent de faire apport de ces droits. L’article 12, qui traite des droits et obligations des membres, prévoit maintenant à son paragraphe 20(c), que [TRADUCTION] «La fédération est autorisée à agir à titre de représentante des musiciens aux fins de percevoir et de distribuer les redevances et droits à rémunération obligatoires, y compris ceux qui sont imposés par un gouvernement, que détiennent les musiciens en vertu des lois des États-Unis, du Canada ou d’autres pays.» Quiconque demande à en devenir membre consent par ailleurs à se conformer aux règlements administratifs tels que libellés ou tels qu’ils pourraient l’être à l’avenir. L’AFM prétend que cet engagement lui permet de faire apport du droit à rémunération sans qu’elle ait besoin de conclure des ententes individuelles de mandat ou de cession avec ses membres.

L’ACTRA représente les artistes-interprètes de langue anglaise. Sa «filiale», l’APRS, dit fonder son statut de société de gestion sur trois modifications aux règlements administratifs de sa «société mère». Le formulaire d’adhésion à l’ACTRA contient désormais une disposition semblable à celle qu’on retrouve dans celui de l’AFM en ce qui concerne l’obligation de se conformer aux règlements administratifs tels que libellés ou tels qu’ils pourraient l’être à l’avenir. Le formulaire comporte par ailleurs une disposition qui vise à céder à titre irrévocable le droit à rémunération à l’ACTRA Performers Guild (APG) et à sa société de gestion, l’APRS. Enfin, les règlements administratifs modifiés stipulent que [TRADUCTION] «Tout membre actuel de la guilde qui entend le demeurer est réputé avoir signé le formulaire d’adhésion tel qu’il a été modifié par le présent règlement, ou tel qu’il pourrait être libellé à l’avenir.» Contrairement à l’AFM, l’APRS a demandé et dans certains cas, obtenu des mandats exclusifs et irrévocables de cinq ans de la part de ses membres. [6]

Pour les raisons qui suivent, la Commission conclut que la SCGDV ne représente pas la plus grande partie du répertoire dont se réclament l’APRS et l’AFM.

La prétendue acquisition des droits des artistes-interprètes par le biais de règlements administratifs ne constitue pas une autorisation par voie de cession ou licence, certaines des conditions prévues par la Loi, entre autres au paragraphe 13(4), n’ayant pas été remplies.

Par contre, la Loi ne prévoit pas de conditions en ce qui concerne l’autorisation accordée par voie de mandat. Il faut donc s’en remettre aux règles générales de droit privé pour établir s’il y a bien mandat. Après avoir examiné ces règles, la Commission en vient à la conclusion que la prétendue acquisition des droits des artistes-interprètes par le biais de règlements administratifs ne constitue pas davantage une autorisation par voie de mandat. [7]

Les formes de mandat qui pourraient s’appliquer à l’espèce sont le mandat contractuel et le mandat par voie de ratification. Le mandat contractuel peut être exprès, implicite, habituel ou coutumier. Comme les sociétés se réclament uniquement d’une modification à leurs règlements administratifs, il ne peut s’agir d’un mandat exprès. Il y aura mandat contractuel implicite si la gestion du droit à rémunération constitue un accessoire nécessaire aux pouvoirs exprès des sociétés, compte tenu de la façon dont les accords de ce type sont habituellement formulés. Cela est peu probable dans le cas présent, à tout le moins à l’égard des membres qui n’ont pas signé le nouveau formulaire d’adhésion, les formulaires antérieurs ne faisant aucune allusion à la gestion des droits d’exécution. Enfin, il ne peut s’agir de mandat usuel ou coutumier, qui vise le cas où une personne agit à titre de mandataire dans des domaines commerciaux ou professionnels bien précis ou encore, de mandats découlant de règles spéciales gouvernant certains marchés.

Deux conditions sont nécessaires pour qu’il y ait mandat par voie de ratification. Le mandant doit d’abord être au courant de tous les faits pertinents avant que la ratification intervienne; en supposant même que l’AFM et l’APRS aient avisé leurs membres par voie de communiqué des mesures qu’elles entendaient prendre, cela pourrait difficilement suffire. Le mandataire doit ensuite déclarer agir pour le bénéfice d’un tiers identifié ou identifiable qui, seul, peut ratifier les gestes que le mandataire a posés. Rien dans la preuve présentée par la SCGDV ne permet de croire que les artistes-interprètes se pressent pour endosser la décision de l’AFM ou de l’APRS visant à s’approprier leur droit à rémunération et à demander à la SCGDV de les gérer.

L’APRS et l’AFM pourraient aussi prétendre avoir été autorisées à administrer les droits voisins de leurs membres par d’autres moyens. Le «notamment» dans la définition pertinente renvoie de toute évidence aux autres modes de transmission des droits prévus par le droit privé : subrogation, don, succession et ainsi de suite. Rien de cela n’est applicable ici.

Pour savoir si une association peut s’approprier les droits voisins de ses membres par le biais de ses règlements administratifs, il faut s’en remettre au droit des associations. [8] La SCGDV soutient ne connaître aucun principe du droit des mandats empêchant une association de procéder comme elle l’a fait sans consulter chacun de ses membres. La Commission est d’avis que la SCGDV aborde le problème sous le mauvais angle. On ne peut prétendre s’approprier le droit à un revenu découlant de la loi sans le consentement exprès de l’intéressé ou, à tout le moins, sans s’appuyer sur un principe de droit clair. Or, la SCGDV n’en a cité aucun.

Normalement, les règlements administratifs d’une association traitent de la poursuite de buts communs. Ce qui peut être acceptable à l’égard de versements de nature contractuelle obtenus grâce aux efforts de l’association dans le cadre de la poursuite de ses objets (par exemple, les droits de suite) ne l’est pas lorsqu’il s’agit de la gestion ou de l’acquisition de bénéfices des membres de l’association assimilables à des droits de propriété et qui découlent de la loi. L’AFM et l’APRS ne peuvent pas plus s’approprier le droit à rémunération de la façon dont elles prétendent l’avoir fait qu’elles pourraient de la même manière s’approprier d’autres biens appartenant à leurs membres.

Une simple déclaration portant que les membres sont liés par les règlements administratifs de l’association n’est pas suffisamment précise pour lui permettre de s’approprier la gestion de leurs droits voisins. Par contre, une association peut sans doute y arriver en incluant dans son contrat d’adhésion une disposition expresse à cet effet. Une disposition avertissant clairement un postulant que ses droits voisins seront administrés par l’association devrait suffire aux fins de la Loi, bien qu’elle puisse représenter une pratique commerciale douteuse aux fins du droit de la concurrence. L’APRS et l’AFM n’ont obtenu des autorisations de ce genre que d’une minorité de leurs membres.

Lorsqu’on se penche sur cette question, il faut bien faire la distinction entre les pouvoirs dont l’ACTRA et l’AFM jouissent à titre d’agents négociateurs et ceux dont elles disposent à titre de simples associations de personnes. Être agent négociateur ne suffit pas pour prétendre au rôle de société de gestion. Qui plus est, la société de gestion qui traite avec la Commission ne dispose pas des pouvoirs et privilèges dont elle jouit par ailleurs à titre d’agent négociateur en vertu des législations du droit du travail ou du statut de l’artiste. Des recoupements sont toujours possibles. L’ACTRA ou l’AFM pourraient imposer des sanctions aux membres qui refusent de leur confier la gestion de leurs droits ou qui l’ont déjà confiée à d’autres. Dans un tel cas, c’est l’agent négociateur et non la société de gestion qui agirait. Cela ne change toutefois rien au fait qu’elles ne détiennent tout simplement pas les autorisations qui s’imposent.

Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de traiter des prétentions de l’ACR portant sur l’incorporation par renvoi de documents et autres questions du genre qu’elle a soulevées. De même, il est évident que la SOGEDAM est bien-fondée à représenter les membres de l’AFM qui l’ont autorisée par voie de cession.

Par conséquent, les seuls droits des artistes-interprètes que la SCGDV détient par le biais de l’APRS et de l’AFM sont ceux de personnes ayant signé une cession, un contrat d’adhésion ou autre document qui aborde expressément la question du droit à rémunération.

Cela ne dispose pas pour autant de la question de savoir ce qui fait partie du répertoire de la SCGDV.

c. La SCGDV est-elle néanmoins autorisée à gérer le droit à rémunération des artistes-interprètes qui n’ont pas retenu ses services en tant que société de gestion?

Pour décider quelles prestations font partie du répertoire de la SCGDV, il faut d’abord établir la nature des droits que l’article 19 de la Loi accorde aux producteurs et aux artistes-interprètes. Deux personnes ou groupes de personnes se voient accorder un droit à rémunération découlant d’une utilisation unique, soit l’exécution ou la télécommunication d’un enregistrement sonore. La rémunération est toujours versée à une seule personne et ensuite partagée par moitié entre artistes-interprètes et producteurs. Voilà bien les caractéristiques essentielles d’un rapport juridique impliquant une seule dette due à deux groupes de créanciers solidaires. [9] Cela étant, il devient plus aisé de déterminer ce qu’il advient lorsque certains titulaires du droit à rémunération à l’égard d’un enregistrement donné ne sont pas représentés directement par une société de gestion ayant déposé un projet de tarif.

L’ACR soutient que l’obligation de verser des redevances ne vise que les artistes-interprètes et producteurs ayant dûment autorisé une société de gestion qui a déposé un projet de tarif. Lorsque seul le producteur est dûment représenté, c’est la moitié de la redevance qui devrait être versée. Or, cette prétention ne peut tenir si nous avons affaire à des créanciers solidaires. En outre, elle donne un sens absurde au paragraphe 19(3) de la Loi, qui exige le partage de tout versement après qu’il a été fait.

À l’opposé, on retrouve l’interprétation que défend la SCGDV. Selon elle, tous les enregistrements sonores admissibles peuvent faire l’objet du tarif, même si les droits à rémunération afférents ne font pas partie du répertoire d’une société ayant déposé un projet de tarif. Il faut écarter cette solution. Elle rend inopérants le paragraphe 67.1(4) de la Loi et l’exigence que les droits d’exécution sur les enregistrements sonores soient gérés collectivement. Seuls les enregistrements représentés ont droit à une rémunération.

L’interprétation qu’il faut retenir est que la Commission est saisie d’un enregistrement sonore dès lors qu’une société de gestion ayant déposé un projet de tarif représente au moins un des titulaires du droit à rémunération pour l’exécution ou la télécommunication de l’enregistrement en question. Cette interprétation découle des droits complémentaires que détient tout créancier solidaire : celui de se faire payer la totalité de la dette, celui d’en garder la part qui lui revient tout en détenant celle de ses co-créanciers s’il a reçu le paiement, et celui de réclamer sa quote-part si c’est un autre co-créancier qui a reçu le paiement. Cette interprétation répond clairement aux exigences de la Loi. Elle est aussi conforme aux principes généralement applicables aux créances solidaires.

Premièrement, elle respecte l’exigence que les droits d’exécution sur les enregistrements sonores soient gérés collectivement. Le dépôt d’un projet de tarif par l’un ou l’autre des co-créanciers opère saisine de la Commission.

Deuxièmement, elle permet à l’un des co-créanciers d’agir en quelque sorte pour le compte des autres. Il est courant que des créanciers solidaires agissent ainsi pour le bénéfice de leurs co-créanciers.

Troisièmement, elle explique en partie le libellé du sous-alinéa 68(2)(a)(iii) de la Loi, qui exige le versement unique «aux fins d’examen des projets de tarifs déposés pour [l’exécution ou la télécommunication] de prestations d’œuvres musicales ou d’enregistrements sonores constitués de ces prestations». Si, comme la Commission le croit, la société qui gère le droit à rémunération d’un artiste-interprète acquiert celui de percevoir la quote-part du producteur, le dépôt par celle-ci d’un projet de tarif pour le compte de l’artiste-interprète vaut également pour le compte du producteur, sujet à l’obligation de partage, et vice-versa.

La Commission est donc saisie d’un enregistrement sonore dans la présente affaire dès lors que la SCGDV ou la SOGEDAM représente soit le producteur, soit l’artiste-interprète. Le dépôt en temps voulu d’un projet de tarif pour le compte de l’un ou l’autre des co-créanciers vaut pour la totalité de la créance, sans égard au comportement de l’autre créancier. Par conséquent, la SCGDV peut demander à recevoir toute la rémunération à l’égard de chaque enregistrement dont elle représente le producteur même si elle ne représente pas les artistes-interprètes qui y figurent, soit parce qu’il n’y a pas eu autorisation valable aux yeux de la Loi, comme c’est le cas, par exemple, pour les membres de l’AFM, soit tout simplement parce que les ententes nécessaires n’ont toujours pas été conclues avec les sociétés étrangères, comme c’est le cas notamment pour les membres de l’ADAMI. La nature même des droits que l’article 19 de la Loi confère aux producteurs et aux artistes-interprètes fait en sorte qu’un enregistrement emporte le droit à rémunération même si certains co-titulaires n’ont pas eux-mêmes autorisé une société à les représenter. [10]

Compte tenu que la Commission a déjà conclu que la SCGDV gère la quote-part des producteurs de pratiquement tous les enregistrements admissibles, on peut dire sans crainte de se tromper que la Commission est également saisie de la quote-part revenant aux artistes-interprètes de ces enregistrements.

iii. Quel usage les stations de radio commerciale font-elles du répertoire admissible?

Afin d’aider la Commission à déterminer quel usage les stations de radio font du répertoire admissible, la SCGDV a déposé une étude tendant à démontrer que le répertoire admissible représente 49,3 pour cent de l’ensemble des enregistrements sonores utilisés par les stations de radio commerciale. Pour réaliser cette étude, on a analysé les enregistrements utilisés durant une période témoin par plusieurs stations de radio, choisies selon un échantillonnage pondéré et stratifié. Les données d’utilisation de musique identifient, pour chaque enregistrement, la station qui l’a diffusé, le nom du ou des artistes-interprètes, le titre de la chanson, le nombre de diffusions et la maison de disque. On indique également si, selon la SCGDV, l’enregistrement est ou non admissible.

Pour l’essentiel, ce sont les producteurs membres de l’AVLA et de la SOPROQ qui ont identifié les enregistrements. Dans certains cas, les maisons de disque et les artistes-interprètes indépendants ont été mis à contribution. Sous ce rapport, l’étude n’est pas aussi exhaustive qu’on aurait pu l’espérer. Elle ne précise pas le pays d’origine ou la date de l’enregistrement. Elle ne permet pas non plus au lecteur d’établir si l’admissibilité de l’enregistrement découle de la nationalité du producteur ou de l’endroit où il a été confectionné. Enfin, dans 4,9 pour cent des cas, on ne sait pas si les enregistrements sont admissibles ou non. Cela comprend non seulement les disques importés directement de pays non-signataires de la Convention de Rome, mais aussi certains titres provenant apparemment de pays signataires et donc probablement admissibles, mais qu’on n’a pas pu identifier avec certitude. On a donc réparti ces enregistrements dans les mêmes proportions que ce qui avait été constaté à l’égard des enregistrements identifiés. Cela dit, dans l’ensemble, il semble que l’analyse ait été effectuée de façon sérieuse et conservatrice.

L’ACR n’a pas effectué d’étude distincte, se contentant de revoir et de critiquer celle de la SCGDV. Ses critiques ont porté sur des sujets tels le choix de la stratification et de la pondération utilisées lors de l’échantillonnage des stations. L’ACR n’a pas réussi à discréditer la méthodologie et les conclusions de la SCGDV. Qui plus est, sa propre analyse s’est avérée mal fondée à plusieurs égards, tel que la SCGDV l’a relevé dans son argumentation écrite, et qu’il n’y a pas lieu de reprendre ici. L’analyse de l’ACR est donc peu utile.

Quant à elle, dans le but d’établir l’utilisation du répertoire français sur les ondes canadiennes, la SOGEDAM a analysé, à partir de plusieurs ensembles de données, le pourcentage de temps d’antenne consacré aux enregistrements étrangers de langue française, puis la part qui lui revient de ces enregistrements. [11] Pour des motifs qui deviendront clairs par la suite, il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse détaillée de ces prétentions. On se contentera de dire que l’analyse semble peu fiable et comporte certaines erreurs de calcul. Elle ne peut donc servir à établir l’étendue du répertoire de la SOGEDAM utilisé par les stations de radio commerciale canadiennes.

La Commission accepte la conclusion de la SCGDV selon laquelle le répertoire admissible représente 49,3 pour cent de l’usage d’enregistrements sonores par les stations de radio commerciale. Elle accepte aussi la preuve de la SCGDV démontrant qu’elle représente les producteurs d’au moins 95 pour cent de ces enregistrements. Puisque la SCGDV se dit prête à accepter un tarif fondé sur un répertoire représentant 45 pour cent de l’utilisation d’enregistrements sonores par les stations de radio commerciale, c’est ce chiffre qui sera utilisé pour établir le tarif.

C. Comment faut-il tenir compte de la politique canadienne en matière de radiodiffusion?

Le sous-alinéa 68(2)(a)(ii) de la Loi stipule que le tarif ne peut avoir «pour effet, en raison d’exigences différentes concernant la langue et le contenu imposées par le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion établi à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, de désavantager sur le plan financier certains utilisateurs assujettis à cette loi». Le dossier de la présente affaire révèle que le répertoire admissible représente environ les trois quarts du temps d’antenne des stations de langue française, par opposition à la moitié pour les stations de langue anglaise. N’eût été l’exigence du sous-alinéa 68(2)(a)(ii), on aurait pu soutenir que les premières stations devraient verser des redevances passablement plus élevées que les secondes. Reste à déterminer comment cette exigence peut être satisfaite d’une façon qui soit équitable tant pour les utilisateurs que pour les titulaires de droits.

Les passages pertinents de l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion prévoient ce qui suit :

3 (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :

...

b) le système canadien de radiodiffusion,... offre, par sa programmation essentiellement en français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle;

c) les radiodiffusions de langues française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d’exploitation et, éventuellement, quant à leurs besoins;

...

k) une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais doit être progressivement offerte à tous les Canadiens, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens;

...

(2) Il est déclaré en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique...

L’ACR soutient que la seule façon d’aborder le sous-alinéa 68(2)(a)(ii) de la Loi est de ne pas tenir compte de la part d’utilisation du répertoire admissible découlant de l’application différente de la politique canadienne en matière de radiodiffusion aux stations de langue française et de langue anglaise. Autrement dit, l’ACR voudrait que la Commission permette aux stations tenues d’utiliser une partie plus grande du répertoire admissible pour se conformer à cette politique, de le faire gratuitement. Cette prétention se fonde sur deux propositions. La première veut que les radiodiffuseurs de langue française ne puissent être désavantagés sur le plan financier uniquement à cause des exigences de la Loi sur la radiodiffusion en matière de langue. La seconde est que le taux des redevances ne saurait être fondé sur l’utilisation du répertoire admissible par l’ensemble de l’industrie, car les stations de langue anglaise se trouveraient à payer plus que leur niveau propre d’utilisation.

L’ACR se trompe. La Loi n’exige pas que la Commission ignore ou ne tienne pas compte de l’impact du contexte réglementaire sur le niveau d’utilisation. Elle exige plutôt que certains utilisateurs ne soient pas désavantagés par rapport à d’autres à cause des exigences de la politique canadienne en matière de radiodiffusion. On y arrive si tous les utilisateurs faisant partie d’un groupe donné supportent également le fardeau découlant de cette politique, en autant que le fardeau soit équitable. Le coût attribuable à cet exercice d’égalisation peut être imposé à l’ensemble de l’industrie, d’autant plus que la politique même dont la Commission doit tenir compte déclare que tous ses membres constituent un «système unique».

L’interprétation mise de l’avant par l’ACR comporte par ailleurs des risques évidents. Le sous-alinéa 68(2)(a)(ii) de la Loi traite non seulement de langue, mais aussi de contenu. La démarche de l’ACR pourrait mener à l’octroi de rabais pour tenir compte de la part du répertoire admissible que les stations utilisent non pas volontairement, mais pour se conformer aux exigences de contenu canadien. Le régime n’exige pas que les titulaires de droits subventionnent l’industrie de la radio au motif que cette dernière doit répondre à certaines exigences de nature réglementaire; il serait plutôt injuste d’agir ainsi, surtout si l’on tient compte des mesures que la Loi prévoit déjà pour réduire l’impact des nouvelles redevances.

Par conséquent, la façon de tenir compte de la politique canadienne en matière de radiodiffusion dans l’espèce est de faire payer le même prix à toutes les stations de radio, sans égard aux niveaux individuels d’utilisation d’enregistrements admissibles, sous réserve de deux exceptions sur lesquelles nous reviendrons plus tard.

D. Combien les stations de radio devraient-elles payer pour l’usage qu’elles font du répertoire admissible dûment représenté?

La Loi exige que la Commission établisse «une rémunération équitable» pour l’utilisation de musique enregistrée par les stations de radio, pour le bénéfice des producteurs et artistes-interprètes. Pour établir un tarif qui, comme on l’a déjà annoncé, soit juste et équitable tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, il faut se pencher sur la valeur de l’apport des titulaires de droits et sur l’avantage que les utilisateurs en tirent.

La SOGEDAM n’a rien avancé à l’appui du taux de cinq pour cent qu’elle propose. Dans son argumentation finale, elle a soutenu la démarche et les conclusions de la SCGDV. L’analyse qui suit porte donc uniquement sur les prétentions mises de l’avant par la SCGDV et par l’ACR.

i. La démarche que propose la SCGDV

Pour mettre au point les modèles qu’elle offre au soutien de ses propositions, la SCGDV a retenu un certain nombre de postulats. Premièrement, le prix payé pour les droits voisins devrait être celui qui serait autrement établi de gré à gré. Deuxièmement, les stations de radio commerciale diffusent peu ou pas de musique en direct ou d’enregistrements faisant partie du domaine public. Troisièmement, les redevances devraient tenir compte tant des droits des producteurs que de ceux des artistes-interprètes. Quatrièmement, une rémunération équitable devrait offrir aux titulaires de droits un rendement équitable pour leur apport en talent et en ressources financières et devrait refléter le bénéfice que les radiodiffuseurs, en tant qu’entités commerciales, tirent de l’utilisation d’enregistrements sonores pour gagner des revenus.

Lorsqu’elle parle des engagements financiers des titulaires de droits, la SCGDV insiste avant tout sur les coûts de production et de promotion d’un album et les risques qu’implique le développement des artistes. Ses témoins ont aussi souligné que l’industrie du disque cherche avant tout à dériver des bénéfices de ses droits d’auteur, et non seulement à générer des ventes d’albums.

Quant aux avantages que les stations de radio tirent de l’utilisation d’enregistrements sonores, la SCGDV s’est fondée sur certaines affirmations qui, selon elle, tendent à prouver que les recettes publicitaires des stations sont directement fonction de cette utilisation. Selon elle, cela indique à quel point l’industrie a besoin de ces enregistrements. À l’appui, elle invoque, entre autres, les «faits» suivants. Premièrement, les Canadiens écoutent avant tout les stations de format musical. Deuxièmement, la musique est le moteur de la plupart des stations de radio commerciale; la majorité des personnes interrogées disent écouter la radio avant tout pour la musique et la plupart affirment qu’elles réduiraient leur écoute s’il y avait moins d’enregistrements sonores. Troisièmement, les annonceurs achètent des auditoires, et c’est la musique qui les attire. Quatrièmement, l’apport des artistes-interprètes a plus de valeur pour les stations que celui des compositeurs; les stations dépendent des vedettes et cherchent à être identifiées à des artistes- interprètes connus. Cinquièmement, la musique représente 78,4 pour cent du temps d’antenne total et 88,2 pour cent du temps de programmation. Sixièmement, les redevances versées à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) représentent approximativement 10 pour cent des dépenses de programmation.

La SCGDV a ensuite examiné un certain nombre de méthodes d’évaluation qui, selon elle, tendent à soutenir la proposition voulant qu’ensemble, les auteurs, artistes-interprètes et producteurs devraient recevoir entre 18 et 23 pour cent des recettes publicitaires des stations de radio commerciale, et que la valeur combinée des droits voisins est d’au moins 12 pour cent. Après avoir ajusté cette valeur pour tenir compte des enregistrements non admissibles et du caractère général du régime, la SCGDV en vient à la conclusion que les stations devraient verser 6,06 pour cent de leurs recettes publicitaires pour l’utilisation qu’elles font des enregistrements sonores d’œuvres musicales.

La SCGDV a examiné plusieurs façons d’établir un montant approprié de redevances. Conformément à sa position de départ concernant l’évaluation des droits, les analogies qu’elle a mises de l’avant portent sur des marchés dans lesquels le prix payé pour l’utilisation de l’enregistrement sonore est établi de gré à gré. Chacun de ces modèles fera maintenant l’objet de commentaires.

La SCGDV souligne d’abord que les stations de format musical dépensent 29 pour cent de leurs revenus pour la programmation, par rapport au 49 pour cent dépensé par les stations qui utilisent peu de musique. La SCGDV emploie cette comparaison pour soutenir que les fournisseurs d’enregistrements sonores devraient pouvoir réclamer 20 pour cent des revenus des stations de format musical. L’ACR s’oppose à l’emploi de cette comparaison. La rareté d’un bien en augmente la valeur; la programmation verbale s’achète presque toujours sur une base exclusive alors que toutes les stations ont accès à la même musique. Qui plus est, cette démarche repose sur deux prémisses également fausses. La première est que la valeur d’un intrant peut être établie à partir de substituts possibles mais plus coûteux. La seconde veut que tous les intrants contribuent également à générer des revenus. La Commission partage le point de vue de l’ACR, ne serait-ce que parce que l’on ne peut prétendre sérieusement que dans un marché libre, la musique enregistrée accessible à tous se vendrait plus ou moins au même prix que la programmation parlée ou l’information. Pour les mêmes motifs, il faut rejeter toute comparaison avec les coûts de la programmation télévisuelle.

La SCGDV a ensuite mis de l’avant deux méthodes donnant des résultats similaires. Les artistes-interprètes et les producteurs perçoivent 15 pour cent ou plus du prix de vente au détail des disques CD et cassettes représentant des compilations de chansons pré-enregistrées. Quant à ceux qui fournissent de la musique enregistrée aux disc-jockeys, aux restaurateurs et à d’autres, ils versent 15 pour cent de leurs recettes brutes pour la licence générale leur permettant de reproduire le répertoire de l’AVLA. La SCGDV croit qu’il s’agit là de comparaisons particulièrement pertinentes, s’agissant d’exemples de l’exploitation commerciale de prestations enregistrées, dans un marché où les transactions se font de gré à gré. L’ACR s’y oppose pour des motifs qu’il n’y a pas lieu de commenter. Pour sa part, la Commission rejette ces comparaisons au motif qu’elles concernent le droit de reproduire et non celui de diffuser.

Subsidiairement, et bien qu’elle s’oppose à l’établissement d’un lien entre le tarif de droits voisins et celui de la SOCAN, la SCGDV s’est livrée à une comparaison à l’égard de la valeur relative des deux droits dans le marché du disque pour conclure que toutes choses égales, la SCGDV devrait recevoir davantage que la SOCAN dans le marché de la radiodiffusion. Elle fonde cette prétention sur une preuve tendant à établir qu’il en coûte environ 4,5 fois plus pour produire un enregistrement sonore que pour écrire une chanson. Tout comme l’ACR, la Commission croit qu’on ne peut établir la valeur à accorder pour la diffusion d’un enregistrement sonore à partir de ce qu’il en coûte pour le produire. Qui plus est, la Commission n’est pas du tout convaincue qu’il soit possible d’établir ce coût ou encore, que la façon dont la SCGDV s’y est prise soit la bonne. Enfin, le tarif de la SOCAN n’a jamais été fonction de ce qu’il en coûte pour écrire une chanson.

La SCGDV a aussi cherché à établir que les redevances versées aux artistes-interprètes et producteurs d’enregistrements sonores dans des transactions libres étaient environ 2,5 fois plus élevées que celles versées aux auteurs. Nous revenons sur cette question un peu plus loin.

ii. La démarche que propose l’ACR

Pour sa part, l’ACR soutient que le tarif de la SOCAN représente le point de départ le plus utile. Dans les deux cas, les redevances sont versées pour les mêmes droits suite à l’utilisation du même produit. Même s’il s’agit de situations différentes, la Commission ne peut espérer trouver meilleure comparaison. Enfin, c’est la Commission qui a évalué les droits d’auteur à l’origine, et ces derniers ont été récemment reconduits suite à une entente.

Cela dit, l’ACR réduirait le taux à 0,7 pour cent, invoquant divers motifs que la Commission rejette.

a. L’utilisation du répertoire représenté

L’ACR prétend qu’une partie du répertoire admissible n’est pas dûment représentée dans la présente affaire. Cet argument a déjà été examiné et rejeté.

b. De par leur nature, les droits voisins valent moins que les droits d’auteur

L’argument se fonde sur deux prémisses que la Commission rejette.

Ainsi, l’ACR se fonde sur le fait que la Convention de Rome et la Loi accordent moins de droits aux titulaires des droits voisins qu’aux titulaires des droits d’auteur. Pourtant, certains experts, dont le sien, admettent qu’il n’existe pas de hiérarchie formelle entre les deux catégories de droits. L’ACR méconnaît trop facilement un certain nombre de réalités. Premièrement, la Loi n’établit pas d’ordre de priorité entre le droit d’auteur et les droits voisins. Au contraire, la définition de droit d’auteur inclut tous les droits exclusifs des artistes-interprètes, producteurs d’enregistrements sonores et radiodiffuseurs. Deuxièmement, les droits énumérés à l’article 19 de la Loi ressemblent fortement à ceux dont jouit la SOCAN : dans un cas comme dans l’autre, on ne peut interdire l’usage et le prix est établi par la Commission. Troisièmement, ce n’est pas parce que les auteurs ont plus de droits que les artistes-interprètes, producteurs ou radiodiffuseurs que la valeur des uns est supérieure à la valeur des autres; chacun devrait être évalué à sa juste valeur et selon une méthode d’évaluation appropriée. Quatrièmement, le fait que l’artiste-interprète puisse interdire qu’on utilise sa prestation lorsque l’auteur consent à l’utilisation de son œuvre est incompatible avec la notion même de hiérarchie.

L’ACR soutient par ailleurs que, mis à part toute hiérarchie formelle, les droits voisins valent généralement moins que les droits d’auteur. Tant l’ACR que la SCGDV ont offert le témoignage d’experts sur les prix payés à l’étranger pour ces droits. L’expert de l’ACR affirme que les radiodiffuseurs commerciaux et publics confondus paient moins pour les droits voisins, bien que le rapport soit plutôt en faveur de ces derniers si l’on tient compte uniquement des stations commerciales. Pour sa part, l’expert de la SCGDV soutient que les stations de radio commerciale paient davantage pour les droits voisins. Cela dit, la preuve sur cette question a été décevante. Ainsi, il n’a pas été possible d’établir l’importance relative des répertoires admissibles ni de l’usage qui en est fait. Compte tenu qu’il est pratiquement impossible d’établir des comparaisons valables avec le marché canadien, il n’y a pas lieu d’utiliser ces données dans l’établissement du taux canadien. De toute façon, les comparaisons de ce genre doivent être traitées avec beaucoup de précaution, car elles sont nécessairement affectées par les conditions locales des marchés en cause.

c. Artistes-interprètes et producteurs bénéficient davantage du temps d’antenne que les titulaires de droits d’auteur

L’ACR a soutenu avec insistance qu’un tarif juste et équitable doit tenir compte des nombreux avantages que les artistes-interprètes et producteurs tirent du temps d’antenne consacré à leurs enregistrements sonores. Cette prétention n’a rien de nouveau.

Certes, la radio contribue à la vente de disques. Elle a été et demeure un véhicule promotionnel important. Cela dit, l’industrie ne diffuse pas les disques dans ce but, mais afin d’exploiter son entreprise, qui consiste à vendre des auditoires aux annonceurs. Comme la Commission l’a dit par le passé dans le contexte de l’exécution publique d’œuvres musicales, il s’agit là d’un cas parmi d’autres de rapport symbiotique entre deux industries, sans lien direct avec le prix.

d. Les stations de radio contribuent à l’industrie du disque de plusieurs autres façons

Comme elle l’a fait par le passé à l’égard des droits d’exécution publique d’œuvres musicales, l’ACR a aussi demandé à la Commission de tenir compte des diverses contributions directes et indirectes des stations de radio à l’industrie du disque. Cela comprend la promotion en ondes des artistes-interprètes, les contributions financières au développement du talent local, ainsi que celles découlant des exigences imposées par le CRTC en matière de développement des talents canadiens et du «critère relatif aux avantages» lorsqu’il y a transfert de propriété.

Ces arguments demeurent peu convaincants. On pourrait même prétendre que l’introduction des droits voisins devrait motiver un réexamen de ces pratiques. Quant aux politiques du CRTC, leur objet est différent. La protection du droit d’auteur vise la rémunération pour l’utilisation de tous les enregistrements admissibles; les politiques du CRTC répondent aux objets de la Loi sur la radiodiffusion et visent avant tout la création d’œuvres et d’enregistrements canadiens. Réduire la rémunération des titulaires de droits en raison de celles-ci serait à la fois inopportun et injuste.

iii. La démarche que retient la Commission

Pour plusieurs motifs, la Commission croit que le tarif de la SOCAN constitue le meilleur point de départ.

Premièrement, le tarif de la SOCAN vise principalement l’utilisation d’œuvres musicales enregistrées, et les droits voisins portent sur l’utilisation de prestations enregistrées de ces mêmes œuvres. On traite donc d’un usage similaire dans un marché similaire.

Deuxièmement, ce tarif est en place depuis un bon moment. Il s’agit d’un prix réglementé, mais que la Commission ne peut tout de même pas ignorer. Comme elle l’a déjà dit, dans un contexte différent mais similaire :

... le besoin de recourir à un prix analogue se fait moins sentir s’il existe un prix, même réglementé, pouvant servir de point de départ. Ceci est d’autant plus vrai si l’on dispose de renseignements permettant de déterminer si ce prix convient toujours et s’il doit être rajusté pour tenir compte de l’évolution de la situation. [12]

Troisièmement, le tarif actuel vaut pour cinq ans, suite à une entente, malgré le fait que la SOCAN continue de soutenir qu’il est trop bas et que l’ACR prétende le contraire. Peu importe leurs motifs, le taux de 3,2 pour cent est le taux en vigueur, et il n’est pas nécessaire pour nos fins de mettre en doute son bien-fondé.

Quatrièmement, les comparaisons effectuées par la SCGDV comportent toutes certaines faiblesses, et sont de toute manière beaucoup moins valables que la comparaison avec le tarif de la SOCAN.

Cinquièmement, la licence de la SOCAN est une licence générale. En utilisant le taux de la SOCAN comme point de départ, on évite d’avoir à attribuer une valeur distincte, si valeur il y a, au caractère général du régime.

Cela étant, reste à déterminer si le taux de 3,2 pour cent suffit à compenser de façon juste et équitable les artistes-interprètes et les producteurs ou s’il faut ajuster ce taux à la hausse ou à la baisse. Comme on a déjà conclu que la preuve et l’argumentation mises de l’avant par l’ACR ne sauraient justifier une réduction, les seules possibilités qui s’offrent sont de maintenir la parité entre les deux tarifs ou d’ajuster le taux à la hausse.

Par sa preuve, la SCGDV a cherché à établir que les redevances versées de gré à gré aux artistes-interprètes et producteurs dans le marché de la production des enregistrements sonores sont environ 2,5 fois plus élevées que celles versées aux auteurs. [13] Ce genre de comparaison se fonde sur la prémisse que les artistes-interprètes, gagnant davantage que les compositeurs dans un marché libre, devraient pouvoir faire aussi bien dans un marché réglementé. Or, le dossier de la présente affaire ne permet pas de tirer une telle conclusion. La preuve voulant que l’apport des artistes-interprètes aux stations de radio est plus important que celui des auteurs est loin d’être concluante. Les témoignages offerts à ce sujet constituent tout au plus des anecdotes ou des impressions et pourraient dans certains cas servir tout aussi bien à établir le contraire.

Ainsi, selon mesdames Smith et Kondruk, deux agents de publicité d’expérience, la musique est quelque chose de personnel et la radio est un organe de diffusion spécialisé; les annonceurs paient pour un auditoire attiré par le format musical. De telles affirmations, pour autant qu’elles prouvent quoi que ce soit, n’aident en rien la SCGDV, qui tente de démontrer l’importance des artistes-interprètes et non du format musical. Dans le même ordre d’idées, l’affirmation selon laquelle les stations utilisent le format musical et l’image des artistes-interprètes pour faire leur propre promotion ne signifie pas que les artistes-interprètes ont une valeur promotionnelle plus grande que le format musical; de fait, l’image sert également à identifier le format.

Pour leur part, messieurs Lefebvre et Stein-Sack, qui travaillent depuis longtemps dans le domaine de la vente et de la distribution d’enregistrements sonores affirment que, s’il est vrai de dire que sans chansons, il n’y a pas d’enregistrement qui vaille, la magie (cette symbiose entre la chanson, la prestation et la production) doit être là pour que le disque se vende. Et ils ajoutent que le compositeur est, de tous les collaborateurs dans le processus de production et de vente d’un enregistrement, le plus fragile, le moins visible et le moins bien rémunéré. Encore ici, ce genre d’affirmations, qui portent en outre sur la contribution relative des participants dans le marché du disque, ne sont guère utiles pour établir la valeur relative des enregistrements sonores dans le marché de la radiodiffusion.

En définitive, c’est sans doute M. Reynolds, président d’Universal Music Canada, qui a le mieux formulé le dilemme. À son avis, tenter de déterminer l’importance relative des compositeurs et des artistes-interprètes au succès d’un enregistrement, [TRADUCTION] «c’est s’engager dans le débat classique de la poule et de l’oeuf. Je ne crois pas qu’on puisse les isoler et pouvoir dire : celui-ci est plus important que celui-là.» [14]

La Commission estime qu’il n’y a pas de raison de croire qu’à la radio les enregistrements sonores ont une valeur supérieure aux œuvres enregistrées, et ce pour plusieurs motifs. D’abord, rien n’oblige la Commission à se guider sur les prix du marché, surtout s’il s’agit d’un marché différent; son pouvoir d’appréciation lui permet d’adopter toute autre démarche raisonnable. [15] Deuxièmement, il s’agit des mêmes utilisations, des mêmes enregistrements et des mêmes radiodiffuseurs. Troisièmement, on peut facilement soutenir qu’une prestation pré-enregistrée n’apporte ni plus, ni moins au radiodiffuseur qu’une œuvre pré-enregistrée : dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de quelque chose qui a déjà été fixé. Quatrièmement, il importe peu qu’un des participants ait reçu davantage qu’un autre pour la fixation de l’enregistrement; nous sommes en présence de marchés distincts et de droits différents à savoir, le droit de faire l’enregistrement et celui de le communiquer.

iv. Le taux

La Commission en vient donc à la conclusion que le taux payable par la plupart des stations de radio commerciale pour les droits voisins devrait être fixé à 1,44 pour cent de leurs recettes publicitaires, soit 45 pour cent du taux de la SOCAN.

Tous s’entendent pour dire que les stations ayant droit au statut de petit utilisateur pour les fins du tarif de la SOCAN devraient payer 43,75 pour cent de ce que versent les autres stations. Le taux pour ces stations, tel que les parties l’ont défini, est donc fixé à 0,63 pour cent.

Par contre, les participants ne s’entendent pas sur le besoin d’accorder un taux encore plus avantageux pour les stations de radio parlée. La SCGDV s’y oppose pour plusieurs motifs. Le tarif de la SOCAN ne prévoit pas de mesure semblable; l’ACR n’a pas établi le nombre de stations qui pourraient bénéficier de la mesure; enfin le concept est trop vague pour être fonctionnel. La Commission fait droit à la demande de l’ACR pour les motifs suivants. Premièrement, la Commission est convaincue que les stations n’utilisant pas d’enregistrements sonores admissibles à part la musique de production devraient verser peu ou pas de redevances. Deuxièmement, vu la composition des répertoires concernés, la mesure se justifie en matière de droits voisins même si elle n’est pas nécessairement indiquée dans le cas de la SOCAN. Troisièmement, comme très peu de stations pourront vraisemblablement s’en prévaloir, le fait d’expérimenter la formule comporte peu de risques. Cela dit, afin d’harmoniser davantage la mesure avec la structure tarifaire dont il sera question plus loin, ces stations seront assujetties à une redevance mensuelle et non annuelle.

v. La capacité de l’industrie de payer le tarif

Le tarif que la Commission homologue entraînerait le versement de 11,29 millions de dollars par année, [16] pendant la durée du tarif (1998 à 2002), en utilisant et tenant constantes les recettes publicitaires réalisées par l’industrie en 1997 (seules données disponibles lors de l’audience). Toutefois, l’application du sous-alinéa 68.1(1)(a)(i), qui prévoit le paiement de seulement 100 $ par les stations de radio commerciale sur la partie de leurs recettes publicitaires ne dépassant pas 1,25 million de dollars, réduit ces redevances à 5,68 millions de dollars et les mesures transitoires prévues à la Loi les ramènent à 1,89 million de dollars en 1998 et à 3,78 millions de dollars en 1999

La preuve déposée par la SCGDV, et tout particulièrement la pièce NRCC-29, démontre clairement que l’industrie aurait eu les moyens d’acquitter le plein tarif sans égard aux dispositions spéciales de la Loi. D’ailleurs, ni l’ACR ni ses témoins n’ont remis en question la validité ou la qualité de la preuve de la SCGDV à cet égard. L’ACR a plutôt soutenu que le projet tel qu’il a été déposé annulerait les récentes marges bénéficiaires de l’industrie, gagnées de haute lutte, la privant ainsi du capital de placement dont elle a besoin pour passer à la technologie numérique et pour faire face aux défis concurrentiels posés par les autres médias d’importance.

L’industrie a connu récemment des années difficiles. Toutefois, ses marges bénéficiaires ont augmenté et lui auraient permis d’acquitter le plein tarif. Seules les petites stations auraient connu des difficultés; or, comme le Parlement a déjà prévu des mesures à cet égard, la Commission n’a pas à s’en préoccuper. En bout de piste, le fait que toutes les stations ne versent que 100 $ sur la partie de leurs recettes publicitaires ne dépassant pas 1,25 million de dollars et que le tarif homologué ne soit pas un tarif gradué ne font que confirmer que les stations de radio commerciale auront bel et bien les moyens d’acquitter les redevances qu’elle devront payer à l’avenir pour les droits voisins.

VI. QUESTIONS LIÉES À LA PERCEPTION DES REDEVANCES ET À LA STRUCTURE TARIFAIRE

A. Qui devrait percevoir les redevances?

La SCGDV désire percevoir toutes les redevances exigibles en vertu du tarif. La SOGEDAM demande de percevoir la part qui revient à ses membres. Pour décider de la répartition, il faut trancher deux questions. Qu’entend-on par versement unique au sous-alinéa 68(2)(a)(iii) de la Loi? La Commission peut-elle ordonner aux utilisateurs de verser à la SOGEDAM sa part du droit à rémunération?

i. L’exigence du versement unique

La Commission croit que l’exigence du versement unique l’oblige à désigner une seule entité responsable de la perception des redevances pour l’ensemble du répertoire ayant droit à rémunération et trouve les arguments au soutien de cette interprétation particulièrement convaincants.

Ainsi, si cette exigence existe, c’est d’abord et avant tout pour le bénéfice des utilisateurs. L’interprétation retenue par la Commission confirme cet avantage.

Deuxièmement, cette interprétation donne un sens au sous-alinéa 68(2)(a)(iii) de la Loi. Le paragraphe 19(2) de la Loi, en limitant à un seul le versement devant être effectué à l’égard de toute utilisation donnée d’un enregistrement donné, aurait suffi si l’obligation du versement unique devait signifier moins.

Permettre aux utilisateurs d’effectuer un seul paiement pour tout le répertoire ne prive pas chaque société du droit de déposer un projet de tarif. Comme le régime de la copie privée le démontre clairement, on peut facilement établir une distinction entre le droit de proposer un tarif et celui d’agir à titre de société de perception. Cette interprétation n’écarte pas non plus la possibilité d’établir des structures tarifaires différentes pour différentes parties du répertoire.

Ainsi, la Commission pourrait fort bien homologuer une formule tarifaire pour le répertoire de la SOGEDAM et une autre pour celui de la SCGDV tout en ordonnant aux stations de radio de verser la totalité des redevances à une seule personne.

La Commission en vient donc à la conclusion que l’exigence du versement unique donne aux utilisateurs le droit de verser les redevances à un seul agent de perception. Compte tenu que la SCGDV, grâce aux producteurs qu’elle représente, fait apport de tout le répertoire admissible dont la Commission est saisie, il est tout à fait logique de la désigner pour agir à ce titre.

Des motifs pratiques amènent aussi la Commission àdésigner la SCGDV comme agent de perception unique. Premièrement, elle fait apport des droits de tous les producteurs ayant droit à la rémunération. Deuxièmement, il s’agit de la façon la plus efficace et la plus pratique de régler la situation. La SCGDV est plus en mesure que la SOGEDAM de répartir les redevances parmi tous les intéressés. Troisièmement, même à l’égard des titulaires français, l’enjeu pour la SOGEDAM, qui ne représente qu’une partie des artistes-interprètes, est moindre que pour la SCGDV, qui représente tous les producteurs. Quatrièmement, la SCGDV paraît mieux équipée pour gérer le tarif pour le bénéfice de tous les intéressés, qu’il s’agisse de la vérification des stations à travers le Canada ou de la mise sur pied de bases de données pour fins de distribution.

La Commission est consciente du fait que la SCGDV pourrait utiliser son statut d’unique agent de perception pour tenter d’amener la SOGEDAM àaccepter certaines règles de distribution qui sont al ’origine même de la création de cette dernière. La Commission existe d’abord et avant tout pour maintenir l’équilibre économique entre utilisateurs et titulaires de droits; à moins que la Loi ne prévoie le contraire, elle ne se mêle pas des différends entre titulaires. Si la SOGEDAM devait se sentir lésée à cet égard, elle devra s’adresser au Commissaire de la concurrence.

ii. La Commission peut-elle ordonner aux utilisateurs de verser à la SOGEDAM sa part du droit à rémunération?

L’interprétation que la Commission retient du principe du versement unique rend impossible d’exiger que les utilisateurs versent à la SOGEDAM sa quote-part du droit à rémunération.

Cette conclusion est soutenue par la version anglaise du paragraphe 19(3), qui prévoit la répartition des redevances entre artistes-interprètes et producteurs après qu’elles aient été versées. L’exigence de partage et le fait qu’il intervienne après la perception sont des conditions s’appliquant à toute rémunération équitable, assujettie ou non au régime de la SOCAN et sans égard au fait que la Commission soit appelée à établir le tarif. Si le partage survient après la perception, il ne peut intervenir avant.

Par conséquent, les membres de la SOGEDAM ne peuvent percevoir leur droit à rémunération directement des utilisateurs par le truchement de la société qu’ils ont choisie. Il s’agit là tout simplement d’une conséquence logique de l’économie du régime, qui n’est en rien plus choquante que l’exigence imposée au producteur de l’enregistrement sonore d’une œuvre dramatique de réclamer sa part des redevances auprès de l’artiste-interprète lorsque ce dernier les a perçues, et vice-versa.

B. La Commission peut-elle établir la quote-part de la SOGEDAM?

La SOGEDAM demande aussi à la Commission d’établir sa quote-part des redevances. La Commission croit qu’elle ne peut décider à la place des co-créanciers la façon dont ils entendent répartir le produit des redevances entre eux.

Règle générale, lorsque la Loi exige que la Commission répartisse les redevances entre sociétés représentant différents groupes d’ayants droit, elle le prévoit de façon expresse. [17] Elle ne l’a pas fait dans ce cas-ci. Par ailleurs, les régimes, tel celui de la copie privée, qui prévoient ce genre de répartition, ne fixent pas à l’avance les parts attribuables aux divers collèges d’ayants droit, chacun étant autorisé à réclamer la pleine valeur de son apport, peu importe la façon dont cette valeur est déterminée. Par contre, le régime des droits voisins prévoit expressément la répartition par moitié de la rémunération unique entre artistes-interprètes et producteurs.

Qui plus est, rien dans la Loi ne permet de conclure que la Commission a le pouvoir de fixer la quote-part de la SOGEDAM en tant qu’accessoire nécessaire à l’établissement du tarif des droits voisins. Tel que structuré, le régime exige que la Commission détermine les redevances qui seront versées pour l’utilisation de tous les enregistrements sonores ayant droit à rémunération. Une fois cette étape franchie, la Loi stipule le partage par moitié des redevances. C’est donc après ce partage que la Commission interviendrait si elle était appelée à établir la quote-part de la SOGEDAM, autrement dit pour répartir entre les artistes-interprètes la moitié des redevances qui leur revient. À ce stade, le mandat de la Commission est déjà épuisé.

Enfin, la Cour d’appel fédérale a déjà exhorté la Commission de ne pas se mêler de la répartition de la responsabilité entre co-débiteurs : [18]

la répartition des sommes payables... entre les personnes qui sont, en droit, solidairement tenues de les payer ne comporte pas la détermination d’un droit ou d’une modalité y afférente. Les sommes que les différentes personnes intéressées... peuvent se devoir mutuellement ne sont pas des droits même si elles sont payables en raison du paiement des droits par l’une d’elles. La Commission a donc eu raison de statuer qu’elle n’avait pas compétence pour faire cette répartition. [l’italique est de nous]

Qu’on parle de répartition de créances ou de répartition de dettes, le principe reste le même. Cette décision empêche la Commission de s’engager dans tout exercice de répartition non essentiel au fonctionnement du régime.

Par conséquent, il faudra que la SOGEDAM s’adresse à la SCGDV pour réclamer la part qui revient à ses membres à titre de co-créanciers des redevances que cette dernière aura perçues.

C. La structure tarifaire

Les commentaires qui suivent permettront de mieux comprendre le libellé du tarif.

i. Durée de la période de transition

La nature du tarif que la Commission homologue fait en sorte qu’il n’est pas nécessaire de débattre de la proposition visant à prolonger la période de transition à cinq ans.

ii. Un tarif graduel

La SCGDV a mis de l’avant plusieurs arguments au soutien d’un tarif graduel. Généralement parlant, les marges bénéficiaires des stations augmentent rapidement en fonction de leurs recettes publicitaires; cette structure répondrait donc davantage aux besoins financiers des stations selon leur taille. Réciproquement, un taux fixe imposerait aux stations plus petites, et moins profitables, un fardeau excessif. Un tarif graduel tient compte de la capacité de payer et chaque station paie le même taux pour une tranche donnée de revenus.

L’ACR s’oppose à cette proposition pour plusieurs motifs. Premièrement, si, comme la SCGDV semble convenir, la valeur de l’enregistrement sonore, mesurée en pourcentage des recettes, est constante sans égard à la taille de la station, un tarif graduel impose à certaines d’entre elles des obligations tarifaires dépassant la valeur du répertoire pour celles-ci. Deuxièmement, un taux fixe est le seul qui soit équitable pour tous les participants et s’harmonise avec le tarif 1.A de la SOCAN. Troisièmement, toutes les stations membres de l’ACR demandent un tarif à taux fixe.

La Commission est d’accord avec les motifs mis de l’avant par l’ACR pour rejeter une structure tarifaire graduelle. Elle ajoute ce qui suit.

Premièrement, l’inter-financement se justifie lorsqu’il sert à prévenir les réactions négatives prévisibles de la part de ceux qui sont appelés à payer un tarif ou encore, à éviter les conséquences néfastes qu’il peut avoir sur des politiques publiques existantes. C’est pourquoi la Commission a agi comme elle l’a fait en matière de retransmission de signaux éloignés de radio et de télévision; le risque d’abandon de certains signaux et le besoin de s’assurer que toutes les régions du pays bénéficient d’un service télévisuel similaire ont été des facteurs importants dans la décision d’exiger que tous les systèmes paient le même prix sans égard au nombre de signaux éloignés offerts. Ces risques n’existent pas dans la présente affaire.

Deuxièmement, l’inter-financement peut aussi servir à alléger le fardeau financier incombant à des entreprises moins profitables. Cela dit, si les stations plus petites ont véritablement besoin d’un rabais, cela ne veut pas dire que les stations de plus grande envergure devraient en faire les frais. Et surtout, dans l’espèce, le Parlement a déjà réglé le problème pour les stations dont les recettes n’excèdent pas 1,25 million de dollars.

Troisièmement, l’inter-financement que propose la SCGDV est rendu nécessaire uniquement par le prix qu’elle demande pour l’utilisation de son répertoire. Le tarif que la Commission homologue élimine tout besoin de réduire le fardeau des stations plus petites.

Quatrièmement, l’adoption de structures similaires pour les tarifs applicables aux œuvres musicales et aux enregistrements sonores rendra plus faciles les comparaisons entre les deux tarifs.

L’ACR a aussi raison de prétendre que la proposition de la SCGDV, telle qu’elle est formulée, va à l’encontre de la mesure législative permettant à toutes les stations de verser uniquement 100 $ sur la partie de leurs recettes publicitaires ne dépassant pas 1,25 million de dollars. Pour dériver sa grille tarifaire, la SCGDV s’est servie du taux moyen qu’elle propose pour ensuite l’appliquer à l’ensemble des recettes de l’industrie, plutôt qu’à la partie excédant les 1,25 million de dollars par station. Cela fait en sorte que l’industrie dans son ensemble se trouve à verser davantage que le taux moyen sur les recettes non visées par le tarif spécial. Seules ces dernières devraient servir à établir le rendement du tarif, et cela qu’il s’agisse d’un tarif à taux fixe ou d’un tarif graduel.

iii. La durée du tarif

Pour plusieurs motifs, la Commission croit que le tarif devrait être homologué pour cinq années plutôt que trois. Premièrement, vu le rapport que la Commission établit entre le tarif de la SOCAN et celui des droits voisins, il n’y a pas lieu de rouvrir ce dernier avant l’expiration du premier. Or, l’ACR et la SOCAN ont convenu d’une période de cinq ans. Deuxièmement, un tarif de cette durée permet, si la Commission le juge nécessaire, d’entendre en même temps les deux tarifs lorsqu’ils viendront à échéance en l’an 2002. Troisièmement, cette période de temps devrait permettre au marché de s’ajuster à la mesure, tout en permettant à la Commission de se livrer à des observations plus utiles sur son impact réel avant de procéder à un réexamen; elle pourra aussi servir à mettre au point de meilleures bases de données. Enfin, personne n’a intérêt à réactiver le débat sur ce tarif quelques mois à peine après son homologation.

iv. La structure générale du tarif

Le projet de tarif de la SCGDV reflétait dans une large mesure la structure du tarif de la retransmission. La Commission a préféré s’inspirer du tarif 17 de la SOCAN (Transmission de services par câble, y compris les services de télévision payante et les services spécialisés). Toutefois, quelques dispositions se rapprochent davantage du premier tarif (aa. 12 et 13) ou traitent de questions se soulevant uniquement dans le cadre du régime des droits voisins (a. 4).

v. Comment établir si on se qualifie pour un taux plus bas

Les définitions retenues sont celles mises de l’avant par les participants. Par conséquent, le statut de station à faible utilisation est relié directement à celui qui prévaut aux fins du tarif de la SOCAN, et la définition de station de radio parlée reprend la formulation mise de l’avant par l’ACR.

Comme c’est le cas pour la SOCAN, la station se réclamant d’un taux plus bas est tenue, comme condition du tarif, de conserver et de mettre à la disposition de la SCGDV l’enregistrement complet de ses 90 dernières journées de radiodiffusion. L’avantage que tirent les stations qui se prévalent de ce tarif justifie cette mesure.

vi. Un tarif mensuel

L’article 3 et certaines autres dispositions du tarif établissent que les redevances sont calculées et versées à chaque mois sans égard au taux applicable. Cette façon de procéder comporte plusieurs avantages. Tous les calculs peuvent être effectués en utilisant le même mois de référence qui sert au tarif de la SOCAN. On n’a pas ainsi à estimer les redevances ou à procéder à des ajustements. Enfin, la station qui changerait sa formule de programmation en cours d’année n’aura pas à tenir compte des incidences découlant d’un tarif fondé partiellement sur une base mensuelle, et partiellement sur une base annuelle.

Pour ces mêmes motifs, le taux pour les stations de radio parlée est établi à 100 $ par mois.

vii. La prise en compte des dispositions spéciales du paragraphe 68.1(1) de la Loi

La structure tarifaire ne tient aucun compte des dispositions spéciales du paragraphe 68.1(1) de la Loi. On s’est contenté d’y référer dans l’article 4 du tarif. Ces dispositions s’appliquent «par dérogation aux tarifs homologués par la Commission». Il convient donc que le tarif reflète ce que la Commission aurait considéré être juste et équitable n’eût été de ces dispositions.

Il n’est pas non plus nécessaire de spécifier la façon dont les stations peuvent se prévaloir du sous-alinéa 68.1(1)(a)(i) de la Loi. Le texte stipule que les stations ne versent que 100 $ sur la partie de leurs recettes publicitaires n’excédant pas 1,25 million de dollars. La Commission est d’avis que l’obligation de paiement imposée par le tarif entre en jeu uniquement lorsque les recettes d’une station dépassent ce seuil. Par ailleurs, tenter de prévoir un mécanisme qui prenne en compte cette disposition aurait rendu le tarif inutilement compliqué. Si l’exception opère ainsi que la Commission le croit, la structure tarifaire est simple, tout comme ses règles d’application. Les stations n’ont qu’à surveiller le moment à partir duquel elles dépassent le seuil et à se gouverner en conséquence. Le fait que les revenus de la SCGDV seront conséquemment très faibles durant les premiers mois de l’année découle directement de choix clairement exprimés par le législateur.

viii. Les exigences de rapport

Les exigences de rapport reflètent, pour l’essentiel, l’accord des parties. Il y a lieu de traiter des points suivants.

A) L’obligation de fournir les listes de diffusion est incorporée au tarif bien que la mesure soit volontaire dans le cas de la SOCAN. Les difficultés auxquelles la SCGDV a eu à faire face dans sa cueillette d’information auprès de certaines stations (qui ne sont pas nécessairement membres de l’ACR) justifient amplement la décision de rendre cet aspect du régime obligatoire.

La SCGDV pourra exiger de chaque station des renseignements à l’égard de 14 jours, comme c’est la pratique à la SOCAN, plutôt que les 21 demandés. Le libellé permet à la SCGDV, si elle le désire, d’opter pour des journées individuelles plutôt que pour un ou plusieurs blocs de journées. La Commission s’attend fortement à ce que la SCGDV collabore avec la SOCAN afin de faciliter la tâche des stations, et prendra en considération toute demande visant à rendre plus formelle cette exigence de collaboration si le besoin s’en faisait sentir.

Il n’est pas nécessaire de traiter de la demande de l’ACR voulant que le tarif tienne compte de la valeur monétaire que la fourniture des listes de diffusion représente pour la SCGDV. Ce genre de renseignements est essentiel au bon fonctionnement d’un régime qui s’apparente à une licence générale. Les stations tirent des bénéfices d’un tel régime; il est donc normal qu’elles supportent une partie du fardeau nécessaire à son bon fonctionnement.

B) Le tarif n’impose pas de limite au nombre de vérifications auxquelles la SCGDV peut se livrer dans une année donnée. La Commission n’a jamais imposé de limite de ce genre à la SOCAN, qui ne semble pas avoir abusé de ce droit. La Commission est confiante que la SCGDV agira de même.

C) Les stations devront payer les coûts de vérification si les redevances ont été sous-estimées de plus de 10 pour cent pour un mois quelconque. La SCGDV demandait cinq pour cent et l’ACR, 20. Dix pour cent nous semble un compromis raisonnable.

D) La Commission s’étonne que les dispositions portant sur le traitement confidentiel aient soulevé autant de controverse. L’ACR s’est dite inquiète de devoir permettre l’accès aux données financières des stations à des personnes autres que la SCGDV, notamment aux titulaires de droits et aux autres sociétés de gestion collective, pour effectuer la distribution. Elle a demandé que seules les données concernant l’ensemble des stations soient fournies à ces fins. La Commission est convaincue que la disposition incorporée au tarif suffit à répondre aux préoccupations raisonnables de l’ACR à cet égard.

L’ACR a aussi demandé que les radiodiffuseurs traitent les listes de diffusion comme renseignements concurrentiels de nature délicate. La SCGDV a finalement concédé ce point. Le tarif ne fait pas de distinction entre les deux types de renseignements.

E) Toutes les stations, y compris celles qui ne versent que 100 $ par année, sont tenues aux exigences de rapport du tarif. Cette mesure est nécessaire afin de renseigner la SCGDV et éventuellement la Commission sur l’utilisation que l’ensemble de l’industrie fait du répertoire admissible.

ix. Intérêts sur paiements tardifs

La Commission a retenu la formule simplifiée qu’on retrouve dans le tarif 17 de la SOCAN plutôt que celle utilisée dans le tarif de la retransmission. Il n’est pas nécessaire d’être plus précis, compte tenu que la structure tarifaire évite les versements intérimaires et les ajustements.

x. Dispositions transitoires

Tout comme le tarif pour la retransmission de 1990-1992 et le tarif 17 de la SOCAN de 1990 à 1995, le présent tarif comporte des dispositions transitoires qui sont nécessaires parce qu’il prend effet le 1er janvier 1998 et ce, même s’il a été homologué beaucoup plus tard. Un tableau fournit les facteurs d’intérêts qui seront appliqués aux sommes dues pour les usages effectués durant un mois donné. Ces facteurs ont été établis en utilisant le taux d’escompte de la Banque du Canada. L’intérêt n’a pas été composé. Le montant dû par rapport aux usages effectués dans un mois donné est le montant des redevances établi conformément au tarif, multiplié par le facteur fourni pour le mois en question. La Commission est d’avis que ces mesures simplifieront de beaucoup les calculs et vérifications auxquels les stations et la SCGDV devront se livrer.

Le secrétaire de la Commission,

Signature

Claude Majeau



[1] Alinéa 68(2)(a). L’alinéa 68(2)(b), qui stipule que la Commission peut aussi «tenir compte de tout facteur qu’elle estime indiqué» n’ajoute rien au pouvoir d’appréciation, déjà fort large, dont la Commission dispose. Voir, par exemple, les arrêts SOCAN c. Association canadienne des radiodiffuseurs (C.A.), [1999] A.C.F. 389; Réseaux Premier Choix Inc. c. Association canadienne de télévision par câble, [1997] A.C.F. 78; FWS Joint Sports Claimant c. Canada (Commission du droit d’auteur) (C.A.), [1992] 1 C.F. 487.

[2] Paragraphe 68.1(3). Voir le Règlement sur la définition de recettes publicitaires, DORS/98-447, Gazette du Canada Partie II, vol. 132, no 19, p. 2589.

[3] Paragraphe 68.1(5). Seule la dernière expression a été définie. Voir le Règlement sur la définition de «système de transmission par ondes radioélectriques», DORS/98-307, Gazette du Canada Partie II, vol. 132, no 12, p. 1817.

[4] Article 20(2). Voir la Déclaration limitant le droit à rémunération équitable pour certains pays parties à la Convention de Rome, DORS/99-143, Gazette du Canada Partie II, vol. 133, no 8, p. 1020.

[5] C’est l’ADAMI qui agit en France pour le compte des autres artistes-interprètes. À l’époque où se sont tenues les audiences, la SCGDV était à négocier un accord de réciprocité avec cette société.

[6] Il faudrait mentionner en passant trois questions qui sont d’une importance capitale pour les participants mais sans grand rapport avec la présente affaire. Premièrement, les producteurs ont accepté de ne pas chercher à s’approprier les redevances versées aux artistes-interprètes, que ce soit par contrat ou autrement. Deuxièmement, l’AFM, ArtistI et l’APRS ont convenu que d’autres personnes que leurs membres pourront avoir recours à leurs services de gestion de droits, soit par mandat (pour l’AFM ou l’APRS), soit par cession (pour ArtistI) sans qu’il soit nécessaire d’adhérer au «syndicat» affilié. Troisièmement, les membres de l’AFM et de l’ACTRA pourront demander à une autre société membre de la SCGDV qui gère les droits d’artistes-interprètes de gérer leur droit à rémunération; de la sorte, un membre pourra appartenir à une société pour les fins de négociations collectives et à une autre pour la gestion de ses droits voisins. La nature des liens existant entre ArtistI et l’UDA fait en sorte que la question ne se soulève pas par rapport à cette dernière.

[7] Sur les règles du mandat en common law, on peut consulter GHL Fridman, The Law of Agency (7th ed.) 1996 Butterworths.

[8] Le droit québécois pourrait être différent à cet égard. L’article 2186 du Code civil du Québec prévoit en effet que «Le contrat d’association est celui par lequel les parties conviennent de poursuivre un but commun autre que la réalisation de bénéfices pécuniaires à partager entre les membres de l’association.»

[9] Voir J.-L. Baudouin, Les Obligations, (4e éd), paragraphe 864; GHL Fridman, The Law of Contracts (2d ed.) p. 168-170.

[10] Le titulaire représenté par un co-créancier n’est pas un «orphelin» au sens où on l’entend habituellement lorsqu’on se réfère à l’article 76 de la Loi, puisque ses droits sont en fait représentés. Les seuls véritables orphelins sont les titulaires de droit dans un enregistrement sonore pour lequel ni le producteur, ni l’artiste-interprète n’est représenté et pour lequel aucune redevance n’est exigible.

[11] La SOGEDAM s’est limitée à réclamer une quote-part à l’égard du répertoire français; elle n’a pas tenté d’établir l’usage fait des enregistrements sonores constitués de prestations de ses quelque 31 membres canadiens.

[12] Retransmission de signaux éloignés de radio et télévision, 1992-1994, (1990-1994) Recueil des décisions de la Commission du droit d’auteur, 135, 159.

[13] Ce rapport, s’il devait servir, devrait être réduit à deux titres. Premièrement, l’apport des «producteurs» doit être escompté : ces redevances sont versées aux directeurs artistiques, qui n’ont pas de droit à rémunération. Deuxièmement, il est raisonnable de penser que les droits de reproduction des compositeurs seraient plus élevés s’ils ne recevaient pas de redevances de la SOCAN.

[14] Tr. p. 673.

[15] Canadian Association of Broadcasters c. SOCAN [1994], 58 C.P.R. (3d) 190 (C.A.F.). Il est intéressant de noter que même les tribunaux américains commencent à établir une distinction entre prix de marché et prix raisonnable : Recording Industry Association of America v. Librarian of Congress, no 98-1263, 21 mai 1999 (U.S.C.A., D.C.)

[16] Montants dérivés à partir des données de Statistique Canada des recettes publicitaires de 1997 déposées sous la cote Board-3. [Le total de 1,44 % de 735,8 M$ plus 0,63% de 109,9 M$]

[17] Voir les articles 73(1)(b), 83(8)(c) et (d) et 84.

[18] Association canadienne de télévision par câble c. Société canadienne des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique, [1997] A.C.F. no 78.

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