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Date : 20180508


Dossier : T-450-17

Référence : 2018 CF 494

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2018

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE SERVICES AUDIONUMÉRIQUES/PAY AUDIO SERVICES LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  L’aperçu

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision de la défenderesse, la ministre du Revenu national [ministre], de ne pas recommander au gouverneur en conseil la remise de la taxe de vente harmonisée [TVH] et des intérêts et pénalités afférents totalisant 203 093,33 $ demandée par la demanderesse, Société en commandite Services audionumériques [Services audionumériques]. La question à trancher par la Cour est de savoir si la décision est déraisonnable.

[2]  Services audionumériques soutient que la ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en rejetant sa demande de remise. Elle demande une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à la ministre pour qu’elle rende une décision avec la directive que le montant demandé soit versé immédiatement à Services audionumériques.

[3]  Pour les motifs énoncés ci-après, je suis d’avis que cette demande doit être rejetée.

II.  Le cadre législatif et stratégique

[4]  Les décrets de remise sont faits en vertu du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, ch. F-11 [LGFP], qui prévoit ce qui suit :

Remise de taxes ou de pénalités

23 (2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise

Remission of taxes and penalties

23 (2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty.

[5]  En guise d’aide aux fonctionnaires lors de l’évaluation des demandes de remise, l’Agence du revenu du Canada [ARC] a élaboré des lignes directrices concernant les remises d’impôt sur le revenu, de TPS/TVH, de taxe d’accise, de droits d’accise ou de TVF en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques [lignes directrices de l'ARC concernant les remises], qui établit les circonstances pouvant donner lieu à un décret de remise. Les lignes directrices de l'ARC concernant les remises énumèrent quatre facteurs précis justifiant l’émission d’une recommandation de remise positive :

  1. des difficultés excessives;

  2. des difficultés financières assorties de circonstances atténuantes;

  3. des mesures ou des conseils erronés de la part des fonctionnaires de l’ARC;

  4. des résultats imprévus découlant de la législation.

[6]  Les lignes directrices de l'ARC concernant les remises prévoient que la remise ne sera probablement pas recommandée si [traduction] « il n’y a aucune preuve que le recul financier était attribuable à des facteurs indépendants de la volonté du contribuable ». Elles prévoient en outre que [traduction] « de façon générale, tous les moyens disponibles dans la législation devraient être épuisés avant que l’on envisage la remise, c.-à-d. le dépôt d’un avis d’opposition, d’un appel ou la demande de tout recours en vertu d’une convention fiscale ». Elles précisent également que chaque remise doit être évaluée comme un cas d'espèce et que des motifs valides autres que les lignes directrices de l'ARC concernant les remises peuvent justifier l’octroi d’un décret de remise, comme les antécédents de conformité, la crédibilité, les circonstances, l’âge et la santé d’une personne.

III.  Les faits

[7]  Les faits qui sous-tendent cette demande ne sont pas contestés.

[8]  Services audionumériques est une société en commandite constituée en vertu de la Loi sur les sociétés en commandite de l’Ontario, LRO 1990, chap. L 16. Stingray Digital Group Inc. [Stingray] est un commanditaire de Services audionumériques et un fournisseur de services musicaux multiplateformes et d’expériences numériques pour les opérateurs de télévision payante, les établissements commerciaux, les opérateurs de téléphonie mobile et autres. Services audionumériques fournit de la musique numérique aux entreprises de câblodistribution situées dans diverses provinces du Canada.

[9]  La musique numérique fournie par Services audionumériques est envoyée aux serveurs situés dans les locaux des câblodistributeurs. L’emplacement à partir duquel s’effectue la prestation des services de musique numérique à des fins fiscales est déterminé en fonction de l’endroit où sont captés les signaux de télécommunication, notamment dans les provinces où se trouvent les serveurs vers lesquels est envoyée la musique numérique, en vertu de l’alinéa 2d) de la partie III de l’annexe IX de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985), ch. E-15) [LTA] et du paragraphe 32(1) du Règlement sur le nouveau régime de la taxe à valeur ajoutée harmonisée (DORS/2010-117).

[10]  Dans ses déclarations de taxe sur les produits et services (TPS), la société Services audionumériques a déclaré des ventes brutes et des recettes de l’ordre de 16 620 526 $, 22 648 394 $, 24 684 315 $ et 29 584 358 $ pour les années 2009, 2010, 2011 et 2012 respectivement.

[11]  En août 2012, Revenu Québec a décidé d’effectuer une vérification de routine de la TPS, de la TVH et de la taxe de vente du Québec auprès de Services audionumériques. Services audionumériques a pleinement collaboré avec Revenu Québec au cours de sa vérification. Dans le cadre de cette vérification, Revenu Québec a demandé des renseignements sur l’emplacement des serveurs vers lesquels Services audionumériques a transmis la musique numérique. Selon les renseignements fournis par Services audionumériques, le vérificateur de Revenu Québec a déterminé que les serveurs de certains de ses clients, dont Telus, étaient situés en Ontario. Le vérificateur a proposé des redressements après vérification totalisant 527 733,06 $, correspondant à la portion provinciale de 8 % de la TVH que la société a omis de verser dans le cas des serveurs situés en Ontario, et à la TPS non remise.

[12]  En avril 2013, des représentants de Services audionumériques ont rencontré le vérificateur et ont présenté des arguments par rapport aux redressements après vérification proposés. Stingray a écrit au vérificateur pour confirmer que la « tête de ligne » des serveurs utilisés pour livrer du contenu musical à Shaw Communications et à StarChoice se trouvait en Alberta plutôt qu’en Ontario. Une fois de plus, Services audionumériques a fourni des renseignements erronés selon lesquels les serveurs utilisés par Telus pour recevoir de la musique numérique se trouvaient en Ontario. L’information avait été fournie par erreur à Services audionumériques par un employé de Stingray qui avait toujours, dans l’exercice normal de ses fonctions, traité exclusivement avec des représentants de Telus en Ontario.

[13]  Le vérificateur a écrit à Stingray le 22 avril 2013 pour confirmer son acceptation du fait que les transactions liées à Shaw Communications et à StarChoice ne devraient pas être assujetties à la TVH, puisque le serveur est situé en Alberta. Il a en outre confirmé que les redressements proposés ne s’appliqueraient qu’à deux autres câblodistributeurs. Le vérificateur a déterminé que Services audionumériques facturait la TPS à Telus au taux de 5 % sur sa prestation de services de musique numérique, plutôt qu’au taux de 13 % applicable en Ontario, endroit où Services audionumériques et Revenu Québec croyaient que les serveurs Telus étaient situés. Par conséquent, Revenu Québec a émis le 4 juillet 2013 une cotisation à l’intention de Services audionumériques correspondant à la différence de 8 %.

[14]  Services audionumériques n’a pas contesté la cotisation émise par Revenu Québec et a versé la somme de 232 889,32 $ en TVH non perçue et non remise, ainsi que les intérêts et pénalités afférents. Services audionumériques s’attendait à ce que Telus respecte ses obligations fiscales et lui verse le montant de TVH qu’elle aurait dû payer.

[15]  Par voie de lettre datée du 2 mai 2014 qu’elle a fait parvenir à Telus, Services audionumériques a tenté de percevoir la TVH qui n’avait pas été facturée et perçue auparavant. Telus a refusé de payer le montant demandé au motif que les serveurs auxquels la musique numérique avait été envoyée étaient situés en Alberta, où la TVH ne s’appliquait pas.

[16]  Services audionumériques n’a appris que le 3 juin 2014 que des renseignements erronés concernant l’emplacement des serveurs de Telus avaient été fournis à Revenu Québec, après l’expiration du délai au cours duquel elle aurait pu s’opposer à la cotisation émise par Revenu Québec en juillet 2013. À ce moment-là, Services audionumériques était forclose, en vertu de l’alinéa 261(2)b) de la LTA, de demander un remboursement du paiement effectué par erreur, étant donné que celui-ci découlait d’une cotisation émise en vertu de l’article 296 de la LTA.

[17]  Dans une lettre datée du 16 décembre 2014, Telus confirme officiellement à Services audionumériques que l’Alberta constitue l’endroit où elle a reçu des services de musique numérique de Services audionumériques.

[18]  Le 29 octobre 2014, le cabinet comptable KPMG a transmis au directeur de la Division de l’intégration opérationnelle et des programmes opérationnels de la Direction des décisions en matière d’accise et de TPS/TVH de l’ARC [Direction], une demande de décret de remise pour le compte de Services audionumériques, conformément au paragraphe 23(2) de la LGFP. KPMG soutient qu’il serait juste et équitable d’accorder un décret de remise à la lumière des circonstances particulières de l’affaire. Elle fait valoir que : (a) Services audionumériques s’est toujours acquittée de ses obligations et réglé ses dettes fiscales de façon opportune; (b) le montant des taxes, intérêts et pénalités versé par erreur représente un manque à gagner important qui a privé Services audionumériques d’un investissement dans des activités productives; (c) le paiement découle d’une erreur commise de bonne foi par un employé de Stingray à partir de certains renseignements auxquels il avait accès à cette époque; et (d) le refus d’accorder à Services audionumériques la remise du montant qu’elle a versé par erreur irait à l’encontre de l’esprit et de l’objet de la LTA. Enfin, KPMG cite deux facteurs précis des lignes directrices de l'ARC concernant les remises qui appuient la demande de remise présentée par Services audionumériques : (1) des difficultés financières assorties de circonstances atténuantes et (2) des résultats imprévus découlant de la législation.

[19]  L’ARC a demandé des renseignements supplémentaires, qui ont été fournis rapidement par KPMG. Le dossier de Services audionumériques a ensuite été confié à Mme Karen Stirling, agente principale des décisions de la Direction, qui a examiné les documents fournis par KPMG. Mme Stirling a préparé un rapport [rapport de remise] pour le Comité de remise de l’administration centrale de l’ARC [comité de remise], dans lequel elle recommande de refuser la remise. Elle a fait remarquer que l’erreur commise lors du versement en trop de la taxe faisant l’objet du litige ne découle pas d’actions erronées ou de conseils trompeurs de Revenu Québec, mais est plutôt entièrement attribuable à un employé de l’entreprise qui a fourni des renseignements inexacts.

[20]  Le rapport de remise a été examiné et approuvé par les superviseurs de Mme Stirling le 29 septembre 2016, puis transmis au comité de remise. Lors d’une réunion tenue le 18 octobre 2016, le comité de remise a examiné la demande de remise de Services audionumériques et le rapport de remise, et a refusé de recommander qu’une remise soit accordée à Services audionumériques. Un projet de lettre de décision négative a ensuite été envoyé au délégué de la ministre, Geoff Trueman, commissaire adjoint de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires de l’ARC [délégué de la ministre].

[21]  Le 24 février 2017, le délégué de la ministre a rendu la décision contestée, selon laquelle il a refusé de recommander au gouverneur en conseil le décret de remise demandé par Services audionumériques. Les raisons suivantes ont été données :

[traduction]

  1. Lorsque Revenu Québec a transmis la nouvelle cotisation proposée à Services audionumériques en raison du défaut de celle-ci de percevoir la portion provinciale de 8 % de la TVH à compter du 1er juillet 2010, Services audionumériques a omis de vérifier le lieu de fourniture de chaque serveur, de telle sorte que les montants applicables à Shaw Communications et StarChoice ont été soustraits de la cotisation finale, mais non ceux applicables à Telus Communications, bien que la « tête de ligne » des serveurs de cette dernière se trouvait en Alberta.

  2. Bien que le fait de ne pas recouvrer le montant faisant l’objet du présent litige puisse entraîner des répercussions financières sur Services audionumériques, il n’existe aucune circonstance exceptionnelle ayant empêché les représentants de celle-ci de fournir à Revenu Québec les renseignements exacts au sujet du lieu de fourniture de ses propres serveurs, soit à l’emplacement de Telus Communications situé en Alberta.

  3. On ne peut pas considérer que le fait de ne pas s’opposer à la cotisation dans les délais prescrits par la loi a entraîné un résultat inattendu. De plus, le processus de décret de remise n’a pas pour but de fournir un mécanisme d’appel supplémentaire se substituant aux mécanismes de recours en vertu de la LTA.

[22]  Le 27 mars 2017, Services audionumériques a entrepris sa demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du délégué de la ministre.

IV.  Les questions en litige

[23]  Comme je l’ai indiqué plus tôt, la question à trancher par la Cour est de savoir si la décision est déraisonnable.

V.  Analyse

A.  La norme de contrôle applicable

[24]  Dans son arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. La Cour doit d’abord vérifier si la jurisprudence a déjà déterminé de manière satisfaisante le degré de déférence à accorder à un décideur à l’égard d’une catégorie de questions en particulier. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. En l’espèce, il n’y a pas de différend entre les parties au sujet de la norme appropriée à appliquer lorsque le demandeur allègue que le décideur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ce qui est la norme de la décision raisonnable [voir Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 aux paragraphes 23 à 25].

B.  L’allégation d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[25]  Services audionumériques soutient que toutes les personnes qui ont participé au processus décisionnel ont interprété les faits présentés par Services audionumériques dans l’optique des quatre motifs précis de dispense énoncés dans les lignes directrices de l'ARC concernant les remises. Ce faisant, ils n’ont pas donné effet à l’intention générale et équitable de l’article 23 de la LGFP et ont bafoué la propre politique de l’ARC.

[26]  Services audionumériques prétend que même s’il n’est pas inapproprié pour un organisme gouvernemental chargé de l’administration et de l’application d’un régime législatif de formuler des politiques administratives générales pour guider le processus décisionnel, ces politiques ne peuvent être considérées comme contraignantes ni justifier l’exclusion de facteurs pertinents du processus décisionnel. Selon Services audionumériques, la décision était fondée uniquement sur le fait que la société ne respectait pas les facteurs restrictifs énumérés dans les lignes directrices de l'ARC concernant les remises.

[27]  Services audionumériques soutient que la ministre ou ses délégués ne semblent pas avoir tenu compte sérieusement d’autres facteurs ou circonstances dans leur analyse de sa demande. Services audionumériques allègue que la décision ainsi que l’ensemble du dossier de la ministre ont été entachés par la mauvaise appréciation, par le délégué de la ministre, de la portée du pouvoir discrétionnaire de la ministre et par le défaut d’évaluer les faits présentés en ne s’en tenant pas exclusivement aux limites établies par les lignes directrices de l'ARC concernant les remises.

[28]  Services audionumériques fait valoir que si le délégué de la ministre avait correctement apprécié l’étendue du pouvoir discrétionnaire accordé en vertu de l’article 23 de la LGFP, il aurait tenu compte des principes généraux d’équité lors de l’analyse de la demande de remise en plus des directives énoncées dans les lignes directrices de l'ARC concernant les remises. Selon Services audionumériques, le ministre a omis de tenir compte du fait que l’erreur commise de bonne foi par Services audionumériques lorsqu’il a fourni des renseignements à Revenu Québec au cours de sa vérification constituait une circonstance atténuante justifiant une recommandation de remise positive. Services audionumériques affirme qu’elle n’a pu prendre connaissance de l’erreur qu’environ un an plus tard, après que Telus ait refusé de payer le montant demandé de la TVH. Lorsque Services audionumériques a reçu les renseignements exacts de Telus et que les vérifications subséquentes ont été effectuées, Services audionumériques ne pouvait se prévaloir d’aucun recours juridique autre qu’une demande de décret de remise pour le recouvrement du montant payé par erreur.

[29]  Services audionumériques prétend également que le délégué de la ministre n’a pas tenu compte de la crédibilité de Services audionumériques et du fait qu’elle se soit toujours acquittée, sans exception, de ses obligations fiscales, ni du fait qu’elle n’ait jamais été légalement tenue de verser le montant de TVH et des intérêts et pénalités afférents établi au titre de la cotisation de Revenu Québec.

[30]  Contrairement à ce que fait valoir Services audionumériques, la décision démontre que le délégué de la ministre a tenu compte de tous les faits et de toutes les circonstances cernés par KPMG. Le délégué a tenu compte des quatre facteurs énoncés dans les lignes directrices de l'ARC concernant les remises, outre les deux énoncés par KPMG. De plus, il était parfaitement au courant des faits qui ont donné lieu à l’évaluation de Revenu Québec et a reconnu qu’une erreur de bonne foi avait été commise par Services audionumériques. Néanmoins, il a conclu qu’aucun des facteurs énoncés dans les lignes directrices de l'ARC concernant les remises ne s’appliquait et qu’aucune autre circonstance soulevée par Services audionumériques ne favorisait une recommandation positive.

[31]  Le délégué de la ministre a fourni des motifs convaincants à l’appui de la décision. Il a noté que les représentants de Services audionumériques ont soigneusement vérifié l’emplacement des serveurs de ses clients pendant la vérification effectuée par Revenu Québec et que, malgré cela, ils n’ont pas bien identifié l’emplacement des serveurs de Telus. Le délégué de la ministre a conclu qu’il ne pouvait pas recommander l’émission d’un décret de remise fondé uniquement sur une erreur commise par Services audionumériques.

[32]  Le délégué de la ministre était conscient du fait que le trop-payé pouvait avoir une incidence financière sur Services audionumériques, mais il a conclu qu’aucune circonstance atténuante, hors du contrôle de Services audionumériques, n’avait été établie pour son défaut de fournir des renseignements exacts au vérificateur de Revenu Québec.

[33]  Services audionumériques soutient que constitue un facteur crucial en l’espèce le fait que le montant versé par le demandeur n’ait jamais été « légalement » payable à Revenu Québec et payé plutôt à la suite d’une erreur non frauduleuse commise de bonne foi. Selon Services audionumériques, le refus de remettre le montant versé ne constitue rien de moins qu’un enrichissement injuste de la ministre aux frais d’un contribuable. Cet argument est sans fondement. Le défaut de contestation de la cotisation par Services audionumériques a rendu le montant pour lequel elle demande une remise légalement payable malgré l’erreur. En vertu du paragraphe 299(4) de la LTA, une cotisation est réputée valide et exécutoire, à moins qu’elle ne soit annulée par opposition, appel ou nouvelle cotisation. Il n’est pas loisible à Services audionumériques de remettre en question la légalité de l’évaluation puisque le délai pour s’opposer est expiré depuis longtemps.

[34]  Services audionumériques soutient que le délégué de la ministre a fondamentalement mal compris ou mal interprété un motif important de dispense soulevé par KPMG, ce qui fait que son analyse de la demande de remise est erronée et incomplète. Selon Services audionumériques, KPMG n’a pas adopté la position selon laquelle le défaut de s’opposer à l’évaluation dans le délai prescrit a découlé de conséquences imprévues de la loi. Elle était plutôt d’avis que Services audionumériques était effectivement obligée d’assumer le coût d’une taxe sur la valeur ajoutée dont seuls les utilisateurs finaux seraient normalement responsables. Le défaut du ministre de corriger la situation a donc mené à un résultat qui n’était pas visé par la LTA, ce qui va à l’encontre de son esprit et son objet.

[35]  Je reconnais que la présentation de Services audionumériques a été mal interprétée par le délégué de la ministre. Il n’en demeure pas moins que le trop-payé dans ce cas était une conséquence du défaut de l’entreprise Services audionumériques de fournir des renseignements exacts pendant la vérification. Cela n’avait rien à voir avec l’effet de la loi, qui a été appliquée comme prévu.

[36]  Le délégué de la ministre a conclu que le fait que l’entreprise Services audionumériques n’ait pas découvert l’erreur, conjugué au fait qu’elle ne s’était pas opposée à la cotisation dans le délai prescrit, n’était pas favorable. C’est une conclusion raisonnable. Services audionumériques a eu amplement l’occasion de corriger l’erreur, mais n’a pas agi en conséquence. La maxime selon laquelle l’equity favorise ceux qui sont vigilants et non ceux qui tardent trop à faire valoir leurs droits ainsi que le manque d’attention et le retard indu de Services audionumériques pour corriger l’erreur, minent ses arguments en faveur d’une réparation équitable.

[37]  Comme l’atteste la décision, le délégué de la ministre a soigneusement examiné la demande de remise de Services audionumériques selon son bien-fondé, en tenant compte de tous les faits et arguments présentés par KPMG, dans le but d’établir le caractère déraisonnable ou inéquitable de la perception de la taxe ou de déterminer, d’autre part, si l’intérêt public justifie la dispense en vertu du paragraphe 23(2) de la LGFP.

[38]  Il est notoire qu’un décideur est présumé avoir soupesé et tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, à moins que le contraire ne soit démontré (voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF nº 598 (CAF) (QL), au 1er paragraphe). Dans la présente affaire, les motifs sont plus que suffisants pour permettre à la Cour de comprendre pourquoi le délégué du ministre a pris la décision et de déterminer si la conclusion se situe dans la fourchette des résultats acceptables.

[39]  Services audionumériques n’a pas réussi à établir que des faits ou des circonstances pertinents ont été négligés, ignorés ou mal pris en compte par le délégué de la ministre.

[40]  Comme je l’indique dans ma conclusion, à savoir que la décision de la ministre constitue l’une des issues possibles et convenables, et défendables compte tenu des faits et du droit, il ne m’appartient pas de décider si la Cour a la compétence d’accorder la dispense demandée par Services audionumériques et de renvoyer l’affaire à la ministre pour qu’elle rende une décision avec la directive que le montant demandé de 203 093,33 $ soit versé à Services audionumériques. Cependant, je ferai simplement remarquer que si la Cour détermine, au cours du contrôle judiciaire, qu’un pouvoir discrétionnaire n’a pas été exercé correctement, l’affaire est généralement renvoyée pour réexamen. La Cour n’a pas pour fonction d’orienter la façon dont un décideur devrait exercer son pouvoir discrétionnaire. Quoi qu’il en soit, en vertu du paragraphe 23(2) de la LGFP, le pouvoir discrétionnaire de remettre des impôts ou des pénalités revient au gouverneur en conseil, et non à la ministre, dont le seul rôle est de faire une recommandation.

VI.  Conclusion

[41]  On s’entend pour dire que la remise d’impôt est un recours extraordinaire qui est accordé dans des circonstances exceptionnelles. La décision de refuser d’accorder une telle dispense constitue l’une des issues possibles et convenables, et défendables compte tenu des faits et du droit. De plus, la décision est conforme aux objectifs de la loi, aux lignes directrices de l'ARC concernant les remises et aux règles d’équité. Pour ces motifs, la requête est rejetée, avec dépens.

[42]  Les parties ont convenu à la conclusion de l’audience que les dépens devraient être adjugés à la partie ayant eu gain de cause et fixés à 3 000,00 $, y compris les débours et les taxes.


JUGEMENT au dossier T-450-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les frais de la demande, fixés par les présentes à 3 000,00 $, y compris les débours et les taxes, seront payés par la demanderesse à la défenderesse.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-450-17

 

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE SERVICES AUDIONUMÉRIQUES/PAY AUDIO SERVICES LIMITED PARTNERSHIP c LA MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Guy Du Pont

Me Anne-Sophie Villeneuve

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Ian Demers

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis Ward Phillips & Vineberg, LLP

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

For The Applicant

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

For The Respondent

 

 

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