Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 039

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 1er novembre 2002 Dossier No : 1350-01-007


Dans l'affaire d'une demande de réexamen de la décision no 033, modifiée par la décision no 036, déposée par The Writers' Union of Canada


Décision du Tribunal

La décision no 033 et la décision no 036 sont annulées.

L'ordonnance d'accréditation émise à la suite de la décision no 036 est annulée et une nouvelle ordonnance sera délivrée afin de confirmer l'accréditation de la Editors' Association of Canada / l'Association canadienne des réviseurs pour un secteur modifié.

Lieu de l'audience : Toronto (Ontario)

Date de l'audience : Les 9 et 10 mai 2002

Quorum: M. David P. Silcox, président

Ont comparu : Pour The Writers' Union of Canada :
Me Marian D. Hebb et Mme Penny Dickens, directrice exécutive.

Pour la Editors' Association of Canada / l'Association canadienne des réviseurs :
Mme Connie John, directrice exécutive, Mme Jennifer Latham, présidente et Mme Rosemary Shipton.

Pour l'intervenante la Playwrights Union of Canada :
Me Otto Sibenmann et Mme Angela Rebeiro, ancienne directrice exécutive.

Pour l'intervenante la Writers Guild of Canada :
Me Joshua Phillips et M. Jim McKee, directeur de la politique et des communications.


Motifs de décision

1350-01-007 : Dans l'affaire d'une demande de réexamen de la décision no 033, modifiée par la décision no 036, déposée par The Writers' Union of Canada


Contexte

[1] La présente décision porte sur la demande de réexamen de la décision no 033, modifiée par la décision no 036, déposée auprès du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (le « Tribunal ») conformément à l'article 20 de la Loi sur le statut de l'artiste (L.C. 1992, c. 33, ci-après la « Loi ») par The Writers' Union of Canada (« TWUC ») le 29 octobre 2001. La demande de réexamen a été entendue à Toronto les 9 et 10 mai 2002.

[2] La décision 033, publiée le 28 février 2001, est une décision partielle 2001 TCRPAP 033 rendue par le Tribunal dans le cadre d'une demande d'accréditation présentée par la Editors' Association of Canada / l'Association canadienne des réviseurs (« l'ACR »). Dans cette décision, le Tribunal a accrédité le secteur suivant :

[79] [...] le secteur approprié pour la négociation se compose des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont des auteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur et qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de :

  1. préparer une oeuvre originale sous forme de compilation ou de recueil au sens de la Loi sur le droit d'auteur,

  2. préparer une oeuvre originale créée en collaboration lorsque la contribution du réviseur-rédacteur représente un travail de coauteur,

en langue française ou en langue anglaise, mais à l'exclusion :

  1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal le 4 juin 1996;

  2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal le 25 juin 1996,

  3. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDEC) (renommée la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (la SARTeC)) par le Tribunal le 30 janvier 1996,

  4. des auteurs visés par l'accréditation accordée à The Writers' Union of Canada par le Tribunal le 17 novembre 1998.

[3] La décision 033 a été suspendue par le Tribunal parce que le règlement de l'ACR n'était pas conforme aux exigences énoncées au paragraphe 23(1) de la Loi. Le 21 juin 2001, l'ACR a informé le Tribunal que ses membres avaient approuvé deux modifications à son règlement. Le règlement de l'ACR respectait alors le paragraphe 23(1) de la Loi. Par conséquent, dans la décision 036 2001 TCRPAP 036 publiée le 14 septembre 2001, le Tribunal a levé la suspension de la décision et ordonné l'accréditation de l'ACR pour représenter un secteur composé des réviseurs-rédacteurs indépendants qui sont des artistes au sens de la Loi.

[4] Toutefois, la décision 036 a légèrement modifié la définition du secteur prévue dans la décision 033 en excluant aussi les auteurs visés par l'accréditation accordée à l'Union des écrivaines et écrivains québécois (« l'UNEQ ») et les auteurs visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada (« la PUC »). De plus, la définition du secteur se limitait désormais explicitement aux auteurs d'« oeuvres littéraires ».

[5] Ces modifications ont été apportées à l'issue de trois demandes de réexamen déposées auprès du Tribunal à la suite de la publication de la décision 033. La première requête a été déposée par l'UNEQ, la deuxième par la Guilde canadienne des réalisateurs (« la GCR ») et la troisième par la PUC. Dans leur demande de réexamen, l'UNEQ et la PUC demandaient essentiellement au Tribunal d'exclure les auteurs visés par leur accréditation respective de la définition du secteur de l'ACR, et la GCR demandait au Tribunal de limiter le secteur visé par l'accréditation accordée à l'ACR aux réviseurs-rédacteurs qui sont des auteurs d'« oeuvres littéraires ».

[6] Concernant ces demandes, le Tribunal a fait les commentaires suivants dans la décision 036 :

Demandes de réexamen

[4] Avant que l'ACR avise le Tribunal de la modification de ses statuts, les organisations suivantes ont présenté chacune une demande en vue de faire réexaminer la décision no 033 :

  1. L'Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) (7 mai 2001);

  2. La Guilde canadienne des réalisateurs (GCR) (29 mai 2001);

  3. La Playwrights Union of Canada (PUC) (le 15 juin 2001).

[5] Une formation différente du Tribunal a été saisie de ces trois demandes de réexamen. Toutefois, étant donné que ces demandes sont inextricablement liées à la décision no 033, une copie des observations des parties a été distribuée à la formation originale du Tribunal. La formation saisie des demandes de réexamen a décidé de suspendre les procédures sine die en attendant le prononcé de la présente décision 2001 TCRPAP 036, à la suite de quoi, si nécessaire, elle examinera le bien fondé de chacune des demandes et rendra une décision à leur sujet.

[6] Étant donné la confusion qui semble régner concernant la définition du secteur de l'ACR, la présente formation du Tribunal a décidé d'exercer les pouvoirs que lui confère l'article 20 de la Loi et de modifier proprio motu la décision no 033. Le paragraphe 20(1) prévoit que « Le Tribunal peut maintenir, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une affaire avant de la trancher. »

[7] Le paragraphe 20(1) de la Loi est presque identique à l'article 18 du Code canadien du travail. La Cour fédérale du Canada a confirmé l'interprétation du Conseil canadien des relations du travail (maintenant le Conseil canadien des relations industrielles) de cette disposition selon laquelle les pouvoirs prévus à l'article 18 du Code canadien du travail peuvent être exercés de sa propre initiative. Plus précisément, le Conseil n'a pas besoin qu'une partie dépose une demande pour procéder au réexamen d'une décision (voir S.C.F.P. c. Société Radio-Canada (1985), répertorié Latrémouille c. Canada (Conseil canadien des relations du travail) 14 Admin. L.R. 210, 57 N.R. 1888, 17 D.L.R. (4th) 709 (C.A.F.)).

Modification de la définition du secteur

[8] Par conséquent, afin de préciser la définition du secteur jugé approprié dans le cas de l'ACR et d'éliminer toute confusion, le Tribunal a décidé d'exclure les auteurs visés par les certificats décernés à l'UNEQ et à la PUC, tout comme ont été exclus les auteurs visés par les certificats décernés à la Periodical Writers Association of Canada (PWAC), la Writers' Guild of Canada (WGC), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTeC) et The Writers' Union of Canada (TWUC), même si l'UNEQ et la PUC ne sont pas intervenues dans la demande d'accréditation présentée par l'ACR.

[9] De plus, la description du secteur initialement défini par le Tribunal dans la décision no 033 parlait d'« oeuvre littéraire », bien que cette expression n'ait pas été employée de façon régulière dans la définition du secteur. Le Tribunal ajoutera par conséquent le terme « littéraire », s'il y a lieu et s'il est approprié, à la description du secteur.

[7] À la suite de la communication de cette décision aux parties intéressées, l'UNEQ et la GCR ont fait savoir qu'elles ne souhaitaient pas donner suite à leur demande de réexamen. Toutefois, la PUC a fait savoir que malgré son exclusion de la description du secteur de l'ACR, elle souhaitait donner suite à sa demande parce qu'à son avis, la décision 033, modifiée par la décision 036, avait créé un précédent au sujet de l'interprétation donnée par le Tribunal de la notion de travail de coauteur en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, c. C-42.

[8] La demande de réexamen présentée par la PUC a été rejetée; le Tribunal a conclu qu'elle ne soulevait pas une erreur de droit ou une erreur de fait grave justifiant un réexamen de la décision. Cette décision a été transmise aux parties par lettre le 20 novembre 2001.

[9] En ce qui a trait à la demande de réexamen de la décision 033, modifiée par la décision 036, présentée par TWUC, le Tribunal a reçu les observations écrites des intervenantes suivantes : la SARTeC, la PUC, la WGC, la PWAC, la GCR et l'ACR. Ces associations ont participé à la demande originale d'accréditation présentée par l'ACR ou ont déposé leur propre demande de réexamen de la décision 033. L'UNEQ a aussi obtenu le statut d'intervenante, mais elle n'a pas présenté d'observations. Toutefois, elle s'est réservée le droit d'être tenue informée de l'évolution de l'audience.

[10] Dans sa demande de réexamen, TWUC affirme que le Tribunal a commis cinq erreurs de droit et deux erreurs de fait dans la décision 033, modifiée par la décision 036. Les arguments soumis se résument ainsi :

Erreurs de droit
  1. La conclusion selon laquelle les réviseurs-rédacteurs peuvent être considérés comme des coauteurs est erronée parce que l'auteur conserve le droit d'accepter ou de refuser la contribution du réviseur; la question du « projet commun » et de « l'intention mutuelle », critères qui doivent être examinés pour déterminer la paternité conjointe en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, n'ont pas été considérés par le Tribunal.

  2. Si les réviseurs sont des coauteurs avec les rédacteurs des oeuvres qu'ils créent, la conclusion du Tribunal constitue une révocation partielle de l'accréditation de TWUC parce que tous les auteurs sont déjà visés par l'accréditation accordée par le Tribunal. TWUC est d'avis que la distinction entre les rédacteurs (writers) qui sont des auteurs et les réviseurs (editors) qui sont des auteurs est artificielle et n'existe pas en vertu de la Loi sur le droit d'auteur.

  3. Les conclusions du Tribunal constitueront automatiquement une reconnaissance des intérêts en matière de droit d'auteur et des droits moraux, même si l'ACR soutient que les réviseurs n'affirmeront pas l'existence de ces droits. Cette reconnaissance imposera aux producteurs l'obligation de négocier les intérêts en matière de droit d'auteur et les droits moraux avec deux « auteurs », causant ainsi des « problèmes complexes et inextricables ».

  4. Le secteur de l'ACR, tel que défini par le Tribunal, n'est pas approprié pour la négociation parce qu'il est impossible de définir avec une exactitude raisonnable quels réviseurs seront inclus dans le secteur avant que le travail soit complété.

  5. Si les réviseurs peuvent être considérés des auteurs, ils partageraient avec les rédacteurs qui sont des auteurs des intérêts communs et un historique de relations professionnelles justifiant l'inclusion des réviseurs et des auteurs dans un même secteur de négociation. De plus, l'accréditation d'un secteur distinct pour les réviseurs minera la relation de travail entre les rédacteurs et les réviseurs. « L'éthique de l'invisibilité » selon laquelle les réviseurs n'affirment pas normalement un intérêt en matière de droit d'auteur n'écartera pas l'obligation des auteurs d'obtenir la cession ou la renonciation à ces droits de la part d'un réviseur, à défaut de quoi il pourrait s'agir « d'une bombe à retardement ». Ces décisions auront des répercussions dépassant la compétence fédérale et donc créeront un « précédent malheureux ». Cet état de chose donnera aussi l'occasion à une maison d'édition de réclamer une paternité conjointe en raison du travail effectué par ses propres réviseurs.
Erreurs de fait
  1. Contrairement aux conclusions du Tribunal au paragraphe 21 de la décision 033, TWUC souhaite représenter toutes les personnes désignées comme des auteurs et, à ce titre, l'ACR n'est pas la seule association intéressée à représenter les réviseurs.

  2. TWUC représente déjà les auteurs de recueils et les coauteurs, incluant les « réviseurs » d'anthologies et les réviseurs qui sont des coauteurs.

[11] TWUC a signalé qu'elle appuierait un secteur accordé à l'ACR incluant les réviseurs des compilations découlant de l'agencement de données, y compris des répertoires, des glossaires, des tables de matières et des bibliographies et des réviseurs qui préparent des travaux destinés à faire partie d'un recueil ou d'une compilation d'oeuvres littéraires.

[12] Tous les intervenants appuient les arguments avancés par TWUC, à l'exception de l'ACR. Celle-ci soutient que la décision 033, modifiée par la décision 036, est bien fondée en droit et qu'elle encouragera les rédacteurs, les réviseurs et les maisons d'édition à signer les contrats nécessaires dans le domaine de la publication commerciale. Elle a réitéré sa position selon laquelle les réviseurs n'ont nullement l'intention de faire valoir leurs intérêts en matière de droits d'auteur parce que cette pratique aurait un effet négatif sur leur capacité de travailler.

[13] Le Tribunal s'est réuni le 15 janvier 2002 afin de décider si la demande de réexamen déposée par TWUC soulevait une erreur de droit, une erreur de fait grave ou montrait qu'il existait des nouveaux éléments de preuve non disponibles au moment où l'ACR a déposé sa demande d'accréditation qui justifierait un réexamen de la décision 033, modifiée par la décision 036.

[14] À l'issue de cette audience, le Tribunal a conclu que (i) la demande de réexamen soulevait suffisamment de motifs justifiant un réexamen de la décision 033 modifiée par la décision 036, (ii) le réexamen devait prendre la forme d'une audience orale et (iii) le Tribunal entendrait la preuve et les observations au sujet des questions suivantes :

  1. paternité conjointe — critères du « projet commun » ou de « l'intention mutuelle »;
  2. paternité conjointe — pouvoir d'un rédacteur d'accepter ou de refuser les suggestions d'un réviseur;
  3. révocation partielle des ordonnances d'accréditation en vigueur — les réviseurs en qualité de coauteurs et les réviseurs en qualité d'auteurs de recueils originaux ou de compilations.

[15] TWUC et l'ACR ont obtenu le droit de présenter des observations écrites et orales et de déposer des preuves au sujet des questions cernées par le Tribunal. Les autres intervenantes ont obtenu le droit de présenter des observations écrites et orales au sujet de ces questions. La décision a été communiquée aux parties par lettre en date du 17 janvier 2002.

Questions en litige

[16] La présente demande de réexamen soulève les questions suivantes :

  1. Quel est le critère approprié pour déterminer la paternité conjointe au sens de la Loi sur le droit d'auteur?

  2. La formation originale a-t-elle commis une erreur en déterminant que certains réviseurs professionnels indépendants étaient coauteurs d'une oeuvre littéraire au sens de la Loi sur le droit d'auteur et donc, qu'ils étaient des artistes au sens de la Loi?

  3. Si certains réviseurs professionnels indépendants sont coauteurs d'oeuvres littéraires au sens de la Loi sur le droit d'auteur, et donc des artistes au sens de la Loi, ces artistes sont-ils déjà visés par des accréditations en vigueur?

  4. Les réviseurs professionnels indépendants peuvent-ils être des auteurs d'oeuvres littéraires originales sous la forme de compilations ou de recueils au sens de la Loi sur le droit d'auteur?

  5. Si certains réviseurs professionnels indépendants sont des auteurs d'oeuvres littéraires originales sous la forme de compilations ou de recueils au sens de la Loi sur le droit d'auteur et donc des artistes au sens de la Loi, sont-ils déjà visés par des accréditations en vigueur?

Dispositions législatives

[17] Les dispositions applicables de la Loi sur le statut de l'artiste prévoient que :

5. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
[...]
« artiste » Entrepreneur indépendant visé à l'alinéa 6(2)b).

[...]

6. [...]
(2) La présente partie s'applique :
[...]

  • b) aux entrepreneurs indépendants professionnels - déterminés conformément à l'alinéa 18b) :
    1. qui sont des auteurs d'oeuvres artistiques, littéraires, dramatiques ou musicales au sens de la Loi sur le droit d'auteur, ou des réalisateurs d'oeuvres audiovisuelles,
    2. qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent de quelque manière que ce soit une oeuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes,
    3. qui, faisant partie de catégories professionnelles établies par règlement, participent à la création dans les domaines suivants : arts de la scène, musique, danse et variétés, cinéma, radio et télévision, enregistrements sonores, vidéo et doublage, réclame publicitaire, métiers d'art et arts visuels.

[...]

17. Le Tribunal peut, dans le cadre de toute affaire dont il est saisi :
[...]

  • p) trancher toute question qui peut survenir, et notamment déterminer :
    1. si une personne est un producteur ou un artiste,

[...]

20. (1) Le Tribunal peut maintenir, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une affaire avant de la trancher.

[...]

23. (1) L'accréditation d'une association d'artistes est subordonnée à la prise de règlements qui :

  1. établissent des conditions d'adhésion;
  2. habilitent ses membres actifs à participer à ses assemblées, à y voter et à se prononcer par scrutin sur la ratification de tout accord-cadre les visant;
  3. garantissent aux membres le droit d'obtenir une copie des états financiers du dernier exercice certifiée conforme par le dirigeant de l'association autorisé à le faire.

[...]

25. (1) Toute association d'artistes dûment autorisée par ses membres peut demander au Tribunal de l'accréditer pour un ou plusieurs secteurs :

  1. à tout moment, si la demande vise un ou des secteurs pour lesquels aucune association n'est accréditée et si le Tribunal n'a été saisi d'aucune autre demande;
  2. dans les trois mois précédant la date d'expiration d'une accréditation ou de son renouvellement, s'il y a au moins un accord-cadre en vigueur pour le secteur visé;
  3. sinon, un an après la date de l'accréditation ou de son renouvellement, ou dans le délai inférieur fixé, sur demande, par le Tribunal.

[...]

26. (1)Une fois expiré le délai mentionné au paragraphe 25(3), le Tribunal définit le ou les secteurs de négociation visés et tient compte notamment de la communauté d'intérêts des artistes en cause et de l'historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs concernés en matière de négociations, d'accords-cadres et de toutes autres ententes portant sur des conditions d'engagement d'artistes, ainsi que des critères linguistiques et géographiques qu'il estime pertinents.

[...]

27. (1) Une fois le secteur défini, le Tribunal détermine, à la date du dépôt de la demande ou à toute autre date qu'il estime indiquée, la représentativité de l'association d'artistes.

[...]

28. (1) Le Tribunal délivre l'accréditation s'il est convaincu que l'association est la plus représentative du secteur visé.

[18] Les dispositions applicables de la Loi sur le droit d'auteur prévoient que :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[...]

« compilation » Les oeuvres résultant du choix ou de l'arrangement de tout ou partie d'oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques ou de données.

[...]

« livre » Tout volume ou toute partie ou division d'un volume présentés sous forme imprimée, à l'exclusion :

  1. des brochures;
  2. des journaux, revues, magazines et autres périodiques;
  3. des feuilles de musique, cartes, graphiques ou plans, s'ils sont publiés séparément;
  4. des manuels d'instruction ou d'entretien qui accompagnent un produit ou sont fournis avec des services.

[...]

« oeuvre créée en collaboration » Oeuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l'un n'est pas distincte de celle créée par l'autre ou les autres.

[...]

« oeuvre littéraire » Y sont assimilés les tableaux, les programmes d'ordinateur et les compilations d'oeuvres littéraires.

[...]

« prestation » Selon le cas, que l'oeuvre soit encore protégée ou non et qu'elle soit déjà fixée sous une forme matérielle quelconque ou non :

  1. l'exécution ou la représentation d'une oeuvre artistique, dramatique ou musicale par un artiste-interprète;
  2. la récitation ou la lecture d'une oeuvre littéraire par celui-ci;
  3. une improvisation dramatique, musicale ou littéraire par celui-ci, inspirée ou non d'une oeuvre préexistante.

[...]

« recueil »

  1. Les encyclopédies, dictionnaires, annuaires ou oeuvres analogues;
  2. les journaux, revues, magazines ou autres publications périodiques;
  3. toute oeuvre composée, en parties distinctes, par différents auteurs ou dans laquelle sont incorporées des oeuvres ou parties d'oeuvres d'auteurs différents.

[...]

« représentation » ou « exécution » Toute exécution sonore ou toute représentation visuelle d'une oeuvre, d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'un signal de communication, selon le cas, y compris l'exécution ou la représentation à l'aide d'un instrument mécanique, d'un appareil récepteur de radio ou d'un appareil récepteur de télévision.

[...]

« toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » S'entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu'en soient le mode ou la forme d'expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les oeuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences.

[...]

3. (1) Le droit d'auteur sur l'oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l'oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d'en exécuter ou d'en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l'oeuvre n'est pas publiée, d'en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

  1. de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l'oeuvre;
  2. [...]
  3. s'il s'agit d'un roman ou d'une autre oeuvre non dramatique, ou d'une oeuvre artistique, de transformer cette oeuvre en une oeuvre dramatique, par voie de représentation publique ou autrement;
  4. s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, d'en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l'aide desquels l'oeuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;
  5. s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publiquement l'oeuvre en tant qu'oeuvre cinématographique;
  6. de communiquer au public, par télécommunication, une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

[...]
Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d'autoriser ces actes.

12. Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d'auteur sur les oeuvres préparées ou publiées par l'entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d'un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l'auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu'à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l'oeuvre.

13. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'auteur d'une oeuvre est le premier titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre.

[...]

14.1. (1) L'auteur d'une oeuvre a le droit, sous réserve de l'article 28.2, à l'intégrité de l'oeuvre et, à l'égard de tout acte mentionné à l'article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d'en revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l'anonymat.

La preuve

TWUC

[19] À l'audience de réexamen, TWUC a présenté sept témoins : Marc Côté, Bill Harnum, Rebecca Schechter, Julie Barlow, Angela Rebeiro, Susan Crean et Larry Muller. Ils ont été présentés au Tribunal comme étant représentatifs des divers intervenants du monde littéraire, à savoir les auteurs-rédacteurs (writers), les éditeurs et les réviseurs-rédacteurs. Plusieurs ont exercé au cours de leur carrière plus d'une de ces fonctions.

[20] Les témoins de TWUC ont affirmé qu'en leur qualité de réviseur-rédacteur, ils ne se sont jamais considérés comme des créateurs de l'oeuvre en collaboration avec l'auteur-rédacteur, même lorsque leurs contributions à titre de réviseur-rédacteur étaient très importantes. Certains témoins ont décrit le réviseur-rédacteur comme la personne qui aide l'auteur-rédacteur à produire le manuscript le plus parfait et le plus complet possible, un peu comme une sage-femme littéraire.

[21] Marc Côté, un auteur-rédacteur, réviseur-rédacteur et copropriétaire de Cormorant Books, une maison d'édition littéraire indépendante, a affirmé que l'importance de la contribution du réviseur-rédacteur à l'oeuvre est fonction de ce que permet l'auteur-rédacteur, et il a ajouté que les recommandations du réviseur-rédacteur n'ont pas de caractère original étant donné qu'elles sont inspirées par le manuscrit lui-même. Selon Bill Harnum, premier vice-président à la Scholarly Publishing de l'University of Toronto Press, lorsqu'un réviseur-rédacteur estime que sa contribution est importante à ce point, il devrait demander à l'auteur-rédacteur de lui reconnaître la paternité conjointe de l'oeuvre. Cependant, le travail d'un réviseur-rédacteur n'entraîne pas automatiquement cette reconnaissance de paternité conjointe.

[22] Julie Barlow a travaillé à la fois comme auteure-rédactrice et comme réviseure-rédactrice, principalement pour des périodiques. Elle a distingué comme suit la relation entre coauteurs et la relation auteur-rédacteur / réviseur-rédacteur : [Traduction] « dans le contexte d'une oeuvre de collaboration, la collaboration est la voix commune des deux auteurs-rédacteurs », tandis que dans un contexte auteur-rédacteur / réviseur-rédacteur, il y a une seule voix, celle de l'auteur-rédacteur. La tâche du réviseur-rédacteur consiste à aider l'auteur-rédacteur à exprimer ce que l'auteur-rédacteur a à exprimer. Cette idée a trouvé écho chez tous les témoins de TWUC, et notamment chez Larry Muller, président et directeur général de Scholastic Canada Ltd., qui a affirmé qu'en tant que réviseur-rédacteur, il [Traduction] « aidai[t] l'auteur à manifester ce que l'auteur voulait véritablement réaliser, tel était [son] travail ».

[23] Angela Rebeiro, éditrice de la Playwrights Canada Press et ancienne directrice exécutive de la Playwrights Union of Canada, a affirmé que les pièces de théâtre sont un exercice de collaboration mettant en cause plusieurs joueurs, notamment les auteurs dramatiques, les spectateurs, les dramaturges, etc.; la contribution de tous ces intervenants ne les transforme pas tous en auteurs de pièces. L'oeuvre demeure la création de l'auteur dramatique.

[24] Tous les témoins de TWUC ont affirmé qu'un auteur-rédacteur est libre d'accepter ou de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur. À titre d'exemple de ce pouvoir, Bill Harnum a cité l'article 8 du contrat type de la University of Toronto Press, qui stipule que toute modification à un manuscrit doit être approuvée par l'auteur-rédacteur, cette approbation ne pouvant être refusée sans motif raisonnable. En outre, Angela Rebeiro a cité les articles 1 et 7 du contrat de publication d'ouvrages d'intérêt général de la Playwrights Canada Press à l'appui de cette prétention.

[25] Enfin, Susan Crean, auteure-rédactrice et coprésidente de l'Alliance pour les droits des créateurs / Creators' Rights Alliance, a témoigné relativement aux auteurs d'anthologies. Elle a affirmé que le « directeur de la rédaction » (editor) d'une anthologie élabore le concept du livre, rassemble les documents nécessaires et rédige habituellement une certaine forme d'introduction. Citant la définition de « directeur de la rédaction » énoncée dans les Critères d'admissibilité de la Commission du droit de prêt public, elle affirme que ces directeurs de rédaction sont en fait des auteurs-rédacteurs et relèvent plutôt de la compétence de TWUC.

L'ACR

[26] L'ACR a présenté trois témoins : Rosemary Shipton, Rosemary Tanner et Jennifer Latham. Mme Shipton est notamment réviseure-rédactrice professionnelle et coordonnatrice du programme de publication à la Ryerson University. Son témoignage rejoint celui des témoins de TWUC. Elle se décrit comme la réviseure-rédactrice d'un éditeur, et, à ce titre, sa tâche consiste à rendre le projet de l'auteur le meilleur qu'il soit possible. Elle a affirmé qu'en tant que réviseure-rédactrice, elle a apporté des contributions importantes aux projets auxquels elle a collaboré et ce travail s'est déroulé dans le contexte d'une collaboration harmonieuse avec l'auteur. Elle ne se considère pas, cependant, comme coauteure de ces projets. Elle a affirmé qu'en tant que réviseure-rédactrice, elle aide l'auteur. Lorsqu'elle est l'auteure-rédactrice, elle occupe alors le siège du conducteur.

[27] Dans le cadre de ses fonctions de chargée de cours à la Ryerson University, Mme Shipton a affirmé qu'elle enseigne aux étudiants inscrits au cours de révision [Traduction] « à ne jamais prendre en charge le projet de l'auteur [...] ». Elle tente de les entraîner à imiter la voix de l'auteur dans tout ce qu'ils font, parce qu'ils travaillent à mettre en valeur l'auteur et non à prendre en charge son projet.

[28] Mme Shipton a également témoigné au sujet de sa participation à l'élaboration de recueils et de compilations. À son avis, surtout en ce qui concerne l'édition de manuels, le réviseur-rédacteur pigiste est souvent responsable de la direction de la rédaction (editor) du recueil et des compilations. Elle-même n'a jamais été l'auteure d'un ouvrage collectif, mais elle a collaboré à plusieurs ouvrages semblables à titre de réviseure-rédactrice de l'éditeur. Elle a expliqué au Tribunal qu'il y a une [Traduction] « malencontreuse définition équivoque du mot "editor" ». La personne qui dirige l'élaboration d'une compilation ou d'un recueil, le [Traduction] « directeur de rédaction » (organizing editor), est la personne qui initie le projet, qui contacte les collaborateurs et qui donne une certaine forme à l'ouvrage. Le réviseur-rédacteur d'un éditeur (publisher's editor) — tel est son métier - réalise un travail de révision normal qui consiste en une révision de fond et une révision stylistique de l'ensemble des textes.

[29] Rosemary Tanner, une réviseure-rédactrice professionnelle pigiste, a témoigné au sujet d'un sondage mené par l'ACR auprès de ses membres avant l'audience de réexamen. Le sondage posait une série de questions se rapportant aux questions que le Tribunal avait cernées aux fins de l'audience de réexamen, principalement la question entourant la liberté d'un auteur-rédacteur d'accepter ou de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur. Environ 23 % des membres de l'ACR ont répondu à ce sondage. Approximativement 90 % des répondants ont indiqué que 71 à 100 % des recommandations sont habituellement acceptées par les auteurs-rédacteurs. Vingt-sept pour cent des répondants ont dit avoir déjà travaillé pour le gouvernement fédéral dans les cinq dernières années. Mme Tanner a également affirmé que son rôle en tant que réviseure-rédactrice consiste à aider l'auteur à clarifier sa rédaction. Compte tenu de ce rôle, les auteurs sont disposés à accepter des recommandations, y compris des recommandations relatives au fond faites par un réviseur-rédacteur, dans le but d'améliorer leur oeuvre.

[30] Enfin, Jennifer Latham, réviseure-rédactrice professionnelle pigiste et présidente de l'ACR, a affirmé qu'en tant que réviseure-rédactrice pigiste, elle a travaillé avec des auteurs-rédacteurs dans plusieurs contextes différents. À son avis, ce n'est pas toujours l'auteur-rédacteur qui a le dernier mot quant à savoir si les recommandations d'un réviseur-rédacteur seront incorporées ou non à une oeuvre, particulièrement en ce qui a trait aux textes gouvernementaux. Le client qui a commandé le texte a habituellement le pouvoir de passer outre aux désirs de l'auteur.

[31] Selon Mme Latham, la révision de fond consiste à examiner la cohérence d'un document, à le lire du début à la fin, à en cerner le thème, à cerner le lectorat visé, puis à réorganiser, réécrire ou réviser le document ou exécuter les autres tâches nécessaires à la préparation du document en vue de sa diffusion, soit interne, soit externe. Selon elle, la révision de fond est très créative. À son avis, elle contribue et collabore aux projets sur lesquels elle travaille.

[32] En guise d'exemple, elle a expliqué au Tribunal le travail qu'elle a réalisé sur un livre concernant les Cris de la baie James. Ce projet a été initié par ce qu'elle a désigné comme un [Traduction] « directeur-superviseur » (overseeing editor), c'est-à-dire la personne qui a développé le concept initial du projet et qui a aussi rassemblé les recherches et commandé les articles. Une fois ces étapes achevées, Mme Latham a été engagée comme [Traduction] « réviseure-gérante / réviseure de fond » (managing/substantive editor). Dans le cadre de cette fonction, elle a découvert que le plan qui avait été établi à l'origine n'était pas conforme aux documents qui avaient été commandés. Elle a dû mettre au point un guide stylistique pour le livre en vue d'en assurer la cohérence et cerner un thème qui serait développé tout au long du livre. Dans bien des cas, avec l'approbation des auteurs, Mme Latham a apporté elle-même les modifications recommandées. Dans les cas où l'auteur n'était plus disponible, elle et son équipe ont effectué des recherches additionnelles et réécrit les passages nécessaires. Elle a aussi été chargée de choisir les photographies qui seraient incluses dans le livre.

Les arguments des parties

TWUC, la PUC, la WGC, la GCR et la PWAC

Le critère de l'intention mutuelle / du projet commun

[33] Bien que la Loi sur le droit d'auteur ne définisse pas le mot « auteur », TWUC soutient qu'il s'applique uniquement à la personne qui crée ou réalise une oeuvre. Bien que le travail d'un réviseur-rédacteur puisse influer sur le mode d'expression de l'auteur ou sur la façon dont l'auteur traitera son sujet, le réviseur-rédacteur n'est pas le créateur de l'oeuvre et n'a donc pas droit à la protection de la Loi sur le droit d'auteur à titre de coauteur. En outre, TWUC affirme que même si le travail d'un réviseur-rédacteur peut être créatif, cette contribution créative n'est pas suffisante pour satisfaire au critère d'originalité applicable à la reconnaissance de la paternité d'une oeuvre, suivant la formulation de ce critère par la Section de première instance de la Cour fédérale dans la décision CCH Canadienne Ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, [2000] 2 C.F. 451 (1re inst.).

[34] TWUC a admis que la question du degré de créativité exigé à l'égard d'une oeuvre n'est pas encore résolue en droit canadien. Malgré cela, TWUC et la PUC soutiennent que pour qu'il y ait une oeuvre de collaboration, la contribution d'un réviseur-rédacteur doit être apportée dans le cadre de la réalisation d'un projet commun, et il doit y avoir une intention commune, de la part de tous les coauteurs, d'être des coauteurs. La WGC ajoute que le Tribunal a erré en droit en omettant de tenir compte de l'exigence de l'intention mutuelle dans la décision 033, modifiée par la décision 036.

[35] TWUC et la PUC ont cité plusieurs décisions britanniques, canadiennes et américaines concernant le critère applicable pour déterminer ce qui constitue une oeuvre de collaboration. Voici certains des principes que l'on peut dégager de ces décisions concernant la création en collaboration : un projet arrêté de concert (Levy v. Rutley [1871] L.R. 6 C.P. 523 (C.A.), juge Byles, à la p. 528); une responsabilité partagée à l'égard du niveau de compétence et du travail apportés à l'oeuvre et à l'égard de son contenu (Ray (Robin) v. Classic FM PLC, [1998] EWHC Patents 340 (H.C., Chancery Division), aux par. 27 et 28); [Traduction] « qui est la cause effective de l'oeuvre », et des manifestations objectives, de la part des coauteurs présumés, d'une intention commune d'être coauteurs (Aalmuhamed v. Lee, 202 F.3d 1227 (9th Circuit 2000), au par. 22).

[36] La GCR a cité l'arrêt américain Childress v. Taylor, 945 F. 2d. 500 (United States Court of Appeals, 2nd Circuit, 1991) à la p. 507), dans lequel le tribunal a abordé la question spécifique de la relation auteur-rédacteur / réviseur-rédacteur et a affirmé que l'absence d'intention des deux parties à cette relation de se considérer comme des coauteurs illustre qu'elles ne sont pas des coauteurs.

[37] TWUC et la PUC invoquent également l'ouvrage de l'auteur canadien J. McKeown intitulé Fox on the Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3e éd. (Scarborough : Carswell, 2000) à la p. 323 où celui-ci affirme que la personne qui revendique la paternité conjointe d'une oeuvre doit apporter une [Traduction] « contribution importante et originale à la création de l'oeuvre dans la réalisation d'un projet commun ». TWUC soutient que la contribution n'a pas à être égale, mais qu'elle doit être importante, et que le degré de révision éditoriale d'une oeuvre est rarement suffisant pour créer une nouvelle oeuvre faisant naître un droit d'auteur au profit à la fois de l'auteur-rédacteur et du réviseur-rédacteur en tant que coauteurs.

[38] TWUC a cité abondamment, à l'appui de ses prétentions, le jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Neudorf v. Nettwerk Productions Inc., [2000] 3 W.W.R. 522, [1999] B.C.J. No. 2831 (Q.L.) [ci-après Neudorf cité à Q.L.] dans laquelle, au terme d'un vaste examen de la jurisprudence interne et étrangère concernant les oeuvres de collaboration, la Cour a énoncé le test suivant au par. 96 :

[Traduction]

  1. La demanderesse a-t-elle contribué de façon importante à l'originalité expressive des chansons? Dans l'affirmative,
  2. la demanderesse et McLachlan voulaient-elles que leurs contributions se fusionnent dans un tout unique? Dans l'affirmative,
  3. la demanderesse et McLachlan voulaient-elles que l'autre soit la coauteure des chansons?

Au moment de l'audition de la demande de réexamen, cette décision était la plus récente concernant la question des oeuvres de collaboration au Canada.

[39] La PUC soutient que depuis la décision dans l'affaire Neudorf, l'exigence d'une intention mutuelle pour pouvoir conclure à l'existence d'une oeuvre de collaboration est désormais explicite en matière de droit d'auteur au Canada. Ce critère a été importé du droit américain applicable en matière de droit d'auteur, dans le cadre duquel la définition des oeuvres de collaboration diffère de celle que l'on retrouve à la Loi sur le droit d'auteur canadienne. Mais la PUC souligne que le juge dans l'affaire Neudorf a affirmé que cette exigence avait été intégrée au droit américain applicable en matière de droit d'auteur malgré la définition des oeuvres de collaboration dans la loi américaine plutôt qu'en raison de celle-ci.

[40] En ce qui concerne ce critère de l'intention mutuelle, la WGC a mentionné au Tribunal son expérience dans la négociation pour le compte à la fois des scénaristes et des [Traduction] « adaptateurs de scénario » (story editors) dans l'industrie de la télévision et du cinéma. Le procureur de la WGC a soutenu que bien que les réviseurs-rédacteurs apportent des contributions écrites à une oeuvre, ils ne sont pas des auteurs. Par exemple, en vertu de l'accord-cadre Canadian Broadcasting Corporation/WGC (ci-après l'« accord-cadre CBC »), les scénaristes et les adaptateurs de scénario sont rémunérés différemment. Les scénaristes conservent seuls l'intégralité des droits d'auteur dans leur oeuvre (article C3); ils touchent des honoraires distincts en fonction de leur mention au générique (credit), qui varie selon qu'une émission visée par l'accord-cadre CBC a été [Traduction] « écrite par » (« written by ») le scénariste, ou que le scénariste a apporté une [Traduction] « contribution écrite importante » (« significant written contribution ») à l'émission (article C904). Les adaptateurs de scénario n'ont pas droit à une mention au générique au titre de leur contribution écrite à une émission ni à aucun honoraire de scénariste (article C1201(h)). Enfin, lorsqu'un adaptateur de scénario collabore à une émission en tant que scénariste, il doit conclure une convention distincte à ce titre (article 1201(i)).

[41] La PUC et la WGC soutiennent que tous les témoins à l'audience de réexamen ont affirmé que les réviseurs-rédacteurs et les auteurs-rédacteurs n'ont pas l'intention commune d'être coauteurs. Elles ajoutent que l'« éthique de l'invisibilité » de l'ACR, telle que définie dans la décision 033, illustre que les réviseurs-rédacteurs ne se considèrent pas comme des auteurs, étant donné qu'il est entendu entre l'auteur-rédacteur et le réviseur-rédacteur que ce dernier n'acquiert aucun droit d'auteur à titre de coauteur lorsqu'il travaille avec un auteur-rédacteur. La WGC soutient en outre que le Tribunal a commis une erreur de fait en omettant de conclure qu'il n'existe pas d'intention d'être coauteur au sein de la relation réviseur-rédacteur / auteur-rédacteur.

Possibilité pour un auteur-rédacteur d'accepter ou de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur

[42] TWUC fait valoir que les auteurs-rédacteurs sont habituellement libres d'accepter ou de refuser les recommandations d'un réviseur-rédacteur. Cette faculté traduit le fait que l'oeuvre intègre et reflète la vision et le projet de l'auteur-rédacteur à l'égard de l'oeuvre plutôt qu'un projet commun de l'auteur-rédacteur et du réviseur-rédacteur en tant que coauteurs, et ce, même si, dans bien des cas, l'oeuvre est commandée ou les paramètres généraux s'y rapportant sont convenus avec un éditeur éventuel ou avec un réviseur-rédacteur engagé par un éditeur. De nombreux contrats de publication comportent une disposition interdisant la modification d'un manuscrit sans l'approbation de l'auteur.

[43] La PUC affirme que l'exigence d'un projet arrêté de concert, tel qu'énoncé dans l'affaire anglaise Levy v. Rutley, supra, suppose une intention commune préalable de réaliser un projet commun dans le sens d'un projet conçu à l'origine par tous les coauteurs. Le projet d'une oeuvre est celui d'un auteur. Cette oeuvre devient un projet commun seulement lorsqu'un réviseur-rédacteur fait des recommandations ou des corrections parce qu'il a pris en charge le projet de l'auteur. La possibilité pour l'auteur d'accepter ou de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur illustre le fait que c'est l'auteur qui est l'esprit directeur du projet. À moins qu'un réviseur-rédacteur soit directement responsable de ce qui figure dans l'oeuvre, il ne peut pas être un coauteur. La PWAC soutient que le travail que réalise un réviseur-rédacteur lorsqu'il améliore la présentation et la qualité de l'oeuvre d'un auteur-rédacteur ne constitue pas de la création parce que cette oeuvre existe déjà, essentiellement sous la même forme.

[44] TWUC et la PUC prétendent toutes deux que pour pouvoir être considéré comme un coauteur, le réviseur-rédacteur doit apporter quelque chose de plus que des idées. Il doit contribuer à l'originalité expressive de l'oeuvre et doit exercer un certain contrôle ou pouvoir sur l'oeuvre. La PUC affirme que le secteur de l'ACR, tel que défini actuellement dans la décision 036, viserait à la fois les réviseurs-rédacteurs qui apportent des idées et les réviseurs-rédacteurs qui contribuent à l'expression finale de l'oeuvre. S'appuyant sur la décision Cala Homes (South) Limited v. Alfred McAlpine Homes East Ltd. (1995) F.S.R. 818, aux pp. 831 à 834, la PUC soutient que c'est seulement dans des cas exceptionnels que l'apport d'idées peut conférer un droit d'auteur.

Révocation partielle de secteurs existants

[45] TWUC, la PUC, la WGC et la PWAC affirment que le secteur accordé à l'ACR chevauche le secteur de TWUC étant donné que l'accréditation de cette dernière n'exclut pas les coauteurs ni les auteurs de recueils et de compilations. La PUC affirme que le Tribunal lui-même reconnaît que l'accréditation de TWUC vise tous les auteurs. Sans la « réinterprétation » du secteur au par. [72] de la décision 033, il ne pourrait y avoir aucun secteur composé des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont des auteurs.

[46] TWUC affirme que l'auteur d'un recueil ou d'une compilation est la personne qui est responsable de l'arrangement ou du choix des oeuvres ou des données qui la composent, au sens de l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur, et que cette personne est normalement appelée [Traduction] « directeur » (editor). Cependant, puisque cette personne rédige habituellement une introduction ou un des textes qui composent l'ouvrage, elle a plus de choses en commun avec les auteurs-rédacteurs qu'avec les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants. Compte tenu des critères énoncés au paragraphe 26(1) de la Loi, ces « directeurs » devraient demeurer au sein du secteur de TWUC.

[47] Puisque, à son avis, l'accréditation de l'ACR constitue une révocation partielle du secteur pour lequel elle est accréditée, TWUC affirme qu'une telle révocation ne peut pas être effectuée dans le cadre d'une procédure relative à une demande d'accréditation. La PUC affirme qu'une telle mesure aurait pu être demandée en vertu des alinéas 25(1)b) ou c) de la Loi. Cependant, puisque l'ACR a déposé une demande d'accréditation visant un secteur non représenté, le Tribunal ne peut pas, d'office et sans préavis, la transformer en une demande visant à obtenir le pouvoir de représenter un secteur déjà visé par une accréditation. En conséquence, TWUC soutient que le Tribunal n'a pas compétence pour accréditer l'ACR comme il l'a fait dans la décision 033, modifiée par la décision 036.

[48] La WGC soutient que l'accréditation de l'ACR à l'égard des réviseurs-rédacteurs qui sont des coauteurs a eu pour effet de réduire le champ de compétence de TWUC. À son avis, le Tribunal doit tenir compte des principes applicables du droit du travail à l'égard de toute question dont il est saisi conformément à l'article 18 de la Loi et une telle réduction n'est pas appropriée. La WGC, considérant cette diminution comme une modification d'un secteur de négociation existant, cite l'affaire BCT Telus, [2000] CCRI no 27, pour soutenir que cette modification n'est pas appropriée dans les circonstances actuelles. Selon la WGC, la réinterprétation du secteur de TWUC entraînera des répercussions, des conséquences et des problèmes importants que le Tribunal ne peut pas ignorer.

L'ACR

Observations préliminaires

[49] L'ACR soutient que la définition législative du mot « auteur » dans le cadre de la Loi sur le droit d'auteur n'est pas confinée aux seuls auteurs, bien que le mot « auteur » soit souvent employé comme synonyme d'« auteur-rédacteur ». Étant donné que les réviseurs-rédacteurs contribuent à la forme écrite fixée d'une oeuvre, eux aussi peuvent être inclus dans la définition législative du mot « auteur ».

[50] Selon l'ACR, lorsque le Tribunal interprète la Loi, il doit appliquer strictement les termes de la loi telle qu'elle a été rédigée par le législateur, indépendamment des implications que peut avoir une interprétation stricte de la loi : Edgar, Craies on Statute Law (Londres : Sweet and Maxwell, 1971) aux pp. 64-5 et 67; Langden, Maxwell on the Interpretation of Statutes (Bombay : N.M. Tripathis Private Ltd., 1976) aux pp. 1 et 31.

[51] Enfin, l'ACR soutient que la compétence du Tribunal s'étend seulement aux producteurs assujettis à la Loi. En conséquence, la preuve et les observations se rapportant aux questions qui débordent sa compétence, y compris le droit d'auteur dans l'industrie de l'édition d'ouvrages à caractère général, ne sont pas pertinentes dans le cadre de la présente instance.

Critères de l'intention mutuelle / du projet commun

[52] L'ACR affirme que les exigences législatives applicables pour déterminer si une oeuvre est une oeuvre de collaboration sont au nombre de quatre :

  1. la non pertinence de l'égalité quantitative des contributions des différents auteurs;
  2. la nécessité d'établir l'existence d'une collaboration à la réalisation d'un projet commun;
  3. la nécessité de travailler à la réalisation d'un projet unique;
  4. l'exigence selon laquelle les contributions des « auteurs » ne doivent pas pouvoir être distinguées l'une de l'autre.

Selon l'ACR, le droit canadien applicable en matière de droit d'auteur n'assujettit l'existence d'une oeuvre de collaboration à aucune exigence d'« intention mutuelle ». C'est la nature de l'oeuvre qui en détermine la paternité conjointe éventuelle.

[53] En ce qui a trait au critère du « projet commun », lorsqu'un réviseur-rédacteur apporte une contribution importante à une oeuvre, l'auteur-rédacteur initial et le réviseur-rédacteur collaborent de concert à un produit final. Sans la contribution du réviseur-rédacteur, il n'y aurait tout simplement pas de produit final. L'ACR soutient que les réviseurs-rédacteurs et les auteurs-rédacteurs collaborent ensemble pour produire une oeuvre achevée, l'intention mutuelle et le projet commun des parties étant énoncés explicitement dans le contrat entre le réviseur-rédacteur et le producteur.

[54] En raison de leur « éthique de l'invisibilité », les réviseurs-rédacteurs qui sont des coauteurs exercent leur droit à l'anonymat conformément à l'article 14.1 de la Loi sur le droit d'auteur et leur droit de renoncer à toute revendication de droits moraux qu'ils pourraient avoir dans une oeuvre. La décision du Tribunal ne crée d'aucune manière ce que TWUC décrit comme « des problèmes complexes et inextricables » du fait de ses implications en matière de droit d'auteur. La protection du droit d'auteur est conférée automatiquement à certains réviseurs-rédacteurs qui choisissent de ne pas revendiquer leurs droits à cet égard. Le Tribunal a tout simplement interprété et appliqué les dispositions législatives pertinentes.

[55] En ce qui concerne les éléments de preuve et l'argumentation présentées par la WGC, et plus précisément en ce qui a trait aux services d'un adaptateur de scénario devant obligatoirement être engagé en vertu d'une convention distincte à titre de deuxième scénariste lorsque sa contribution cesse d'être celle d'un adaptateur de scénario (article C1201(i) de l'accord-cadre CBC), l'ACR affirme que la contribution du deuxième scénariste en vertu de cet article correspond exactement à ce que fait le réviseur-rédacteur dans le monde littéraire de l'imprimé sans obtenir aucune reconnaissance en retour.

[56] En conséquence, la seule question que doit trancher le Tribunal est celle de savoir si, compte tenu des critères énoncés dans les dispositions législatives, de la preuve d'une collaboration entre réviseurs et auteurs et de la contribution importante de certains réviseurs aux oeuvres qu'ils révisent, ces réviseurs et auteurs sont coauteurs. Selon l'ACR, le Tribunal a eu raison de répondre à cette question par l'affirmative dans la décision 033, modifiée par la décision 036.

Possibilité pour un auteur d'accepter ou de refuser les recommandations d'un réviseur-rédacteur

[57] L'ACR affirme que les contributions des réviseurs-rédacteurs sont exprimées sous une forme fixée et écrite. Lorsqu'ils acceptent les recommandations d'un réviseur-rédacteur, les auteurs-rédacteurs sont en fait les scribes des réviseurs-rédacteurs. Selon l'ACR, la possibilité ou non pour un auteur-rédacteur de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur dépend des contrats. L'ACR soutient que le sondage qu'elle a mené auprès de ses membres démontre que dans la majorité des cas, les recommandations de fond des réviseurs-rédacteurs sont acceptées par les auteurs-rédacteurs.

[58] L'ACR admet que dans bien des cas, l'auteur-rédacteur a le droit d'accepter ou de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur. Cependant, dans d'autres situations, et tout particulièrement lorsqu'il s'agit de commandes gouvernementales, il est possible qu'une personne autre que l'auteur-rédacteur ait le pouvoir d'approuver l'oeuvre finale ou que, dans certains cas, ce soit le réviseur-rédacteur qui prenne la décision finale.

Révocation partielle de secteurs existants

[59] L'ACR soutient que la décision 036 n'a pas annulé l'accréditation de TWUC. Il s'agit simplement d'une clarification de l'accréditation de TWUC. TWUC a de toute évidence été accréditée pour représenter un secteur composé d'artistes qui sont des auteurs d'oeuvres de volume, c'est-à-dire les auteurs-rédacteurs. L'ACR soutient que TWUC ne peut pas représenter les auteurs qui ne sont pas des [Traduction] « auteurs-rédacteurs » (writers) au sens de ses statuts.

[60] L'ensemble de la preuve, tant à l'audience de janvier 2001 qu'à celle de mai 2002, indique que les réviseurs-rédacteurs et les auteurs-rédacteurs ont été représentés historiquement par deux associations différentes. TWUC ne représente pas, et n'a jamais représenté, un groupe comprenant des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants.

[61] En ce qui concerne l'accréditation de directeurs de la rédaction de compilations, l'ACR affirme qu'en rapport avec le travail gouvernemental elle n'aspire pas à représenter les membres de TWUC qui pourraient oeuvrer à la préparation de recueils et de compilations. TWUC soutient que les directeurs de la rédaction de compilations et de recueils sont déjà visés par son accréditation, ces personnes étant habituellement un des auteurs-rédacteurs ayant contribué au recueil ou à la compilation. Cependant les réviseurs-rédacteurs professionnels compilent des index, des bibliographies, des tables des matières, des glossaires, etc. Selon l'ACR, le nombre de compilations préparées par les réviseurs-rédacteurs l'emporte sur le nombre de compilations ou de recueils préparés par les membres de TWUC.

Réplique de TWUC

[62] Bien que le Tribunal puisse accréditer des associations d'artistes aux fins de la négociation collective avec des producteurs assujettis à la Loi sur le statut de l'artiste, sa loi habilitante l'oblige à interpréter la Loi sur le droit d'auteur. Il faudrait donc rejeter l'argument de l'ACR voulant que l'audience ne concerne pas le droit applicable en matière de droit d'auteur. Le Tribunal doit tenir compte des principes applicables en matière de droit d'auteur.

[63] Contrairement à la règle de l'interprétation littérale des lois qui a été invoquée par l'ACR, TWUC cite les propos du professeur Ruth Sullivan, dans son ouvrage intitulé Driegder on the Construction of Statutes, 3e éd. (Toronto : Butterworths, 1994) à la p. 130, selon lesquels un tribunal devrait adopter la règle moderne d'interprétation des lois en question. Suivant cette règle moderne, les tribunaux doivent déterminer le sens d'un texte législatif à la lumière de l'ensemble de son contexte, [Traduction] « en prenant en compte l'objet de la loi, les conséquences des interprétations proposées, les présomptions et les règles spéciales d'interprétation, de même que les éléments de preuve extrinsèque admissibles ».

[64] Enfin, TWUC affirme que l'argument de l'ACR voulant que les auteurs-rédacteurs soient les scribes des réviseurs-rédacteurs lorsqu'ils incorporent les recommandations d'un réviseur-rédacteur est mal fondé. Cet argument a été abordé spécifiquement par le juge Cohen dans l'affaire Neudorf, supra, où il a affirmé que Sarah McLachlan, la défenderesse dans cette affaire, n'était pas la scribe de la demanderesse qui réclamait la paternité conjointe de l'oeuvre parce qu'en tant qu'auteure, c'était elle qui, dans les faits, avait décidé de ce qui serait inclus en bout de ligne dans la chanson.

Analyse et conclusion

[65] Le paragraphe 20(1) de la Loi dispose que le Tribunal « peut maintenir, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances [...] ». Le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2, comporte une disposition identique à l'article 18. Cette disposition a été interprétée par le Conseil canadien des relations industrielles qui a clairement énoncé que « [l]e pouvoir de réexamen conféré au Conseil ne se veut pas un recours en appel ou une contestation des conclusions du Conseil ou la décision du banc initial. » (TELUS Corporation, [2000] CCRI no 94 (Q.L.) au par. 7). Le Tribunal est d'accord avec cette interprétation et, en conséquence, ne reviendra pas à la légère sur ses conclusions à moins qu'il ne soit démontré qu'il a commis une erreur de droit ou une grave erreur de fait.

[66] En ce qui concerne la question de la règle applicable en matière d'interprétation des lois, aucune des parties ne conteste que le Tribunal soit mandaté, en vertu du sous-alinéa 6(2)b)(i) de la Loi, pour interpréter la Loi sur le droit d'auteur. À la lumière de ce mandat législatif, et comme l'a affirmé la formation originale au paragraphe 53 de la décision 033, nous concluons que ce sont les principes établis du droit applicable en matière de droit d'auteur qui doivent nous guider en l'espèce.

Question 1 : Quel est le critère approprié pour déterminer la paternité conjointe au sens de la Loi sur le droit d'auteur?

[67] TWUC, la PUC, la WGC, la GCR et la PWAC soutiennent que la formation originale du Tribunal a erré en omettant de tenir compte du critère à trois volets applicable à la paternité conjointe établi par le juge Cohen de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Neudorf, supra, qui selon eux est le principal précédent jurisprudentiel concernant les oeuvres de collaboration. Plus précisément, le Tribunal ne peut conclure à l'existence d'une oeuvre de collaboration sans traiter du troisième élément. Les éléments du critère se résument ainsi :

  1. un coauteur présumé doit contribuer de façon importante à l'originalité expressive de l'oeuvre;
  2. les coauteurs doivent vouloir que leurs contributions se fusionnent dans un tout unique;
  3. chacun des coauteurs doit vouloir être coauteur avec l'autre.

[68] TWUC prétend en outre que la contribution des réviseurs-rédacteurs à une oeuvre n'est pas suffisamment créative pour satisfaire au premier élément du critère applicable pour déterminer la paternité conjointe et faire naître un droit d'auteur protégé. La formation originale du Tribunal a conclu, en fonction des éléments de preuve et des arguments qui lui ont été présentés, que la révision conceptuelle et la révision de fond impliquent une contribution importante à l'originalité expressive de l'oeuvre de la part des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants. L'ensemble de la preuve et des arguments présentés lors de l'audience de réexamen étayent également cette conclusion, que nous ne voyons aucune raison de modifier.

[69] Pour établir le critère applicable à la paternité conjointe, et particulièrement les deuxième et troisième volets du critère de la décision Neudorf, la Cour s'est fortement appuyée sur l'arrêt Childress v. Taylor, supra, l'arrêt de principe américain en matière de paternité conjointe. Bien que les tribunaux canadiens examinent souvent la jurisprudence américaine, le Tribunal est conscient des commentaires de la Cour fédérale d'appel dans l'affaire CCH c. LSUC [2002] J.C.F. no 690 (Q.L.) lorsqu'il interprète le droit canadien en matière de droit d'auteur. Le juge Linden affirme ceci au par. 22 :

[Traduction]

[...] La Cour pourrait s'appuyer sur la jurisprudence britannique, puisque le droit d'auteur canadien est historiquement fondé sur le droit britannique et lui ressemble encore beaucoup (voir J.S. McKeown, Fox, Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 3e éd. (Scarborough : Carswell, 2000), aux pages 38 et 39 (Fox). En revanche, la Cour suprême du Canada a précisé que la jurisprudence américaine devait être analysée avec prudence à cause des différences importantes qui existent entre la législation et la politique américaines en matière de droit d'auteur et les nôtres (Compo, op. cit., à la page 367). Les tribunaux canadiens doivent toujours veiller à ne pas modifier l'équilibre des droits que ménage la Loi canadienne.

[70] Le Tribunal considère que la question de savoir si les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants sont des coauteurs ne peut pas se fonder uniquement sur l'intention des parties. Il s'agit d'un facteur qui doit être pris en compte; il n'est pas clair à l'heure actuelle si ce facteur devrait constituer un des éléments du critère applicable pour déterminer la paternité conjointe. Nous devons donc examiner tout d'abord les éléments constitutifs de la paternité conjointe qui ont été clairement établis par la jurisprudence canadienne et britannique afin de déterminer quel est le critère applicable pour pouvoir conclure à l'existence d'une oeuvre de collaboration.

[71] La définition de l'expression « oeuvre créée en collaboration » énoncée à la Loi sur le droit d'auteur fait appel à deux notions : la collaboration et la contribution. Au sujet de ces deux éléments, la formation originale du Tribunal a affirmé au paragraphe 61 de la décision 033 :

Quant à la question de la création en collaboration, la Loi sur le droit d'auteur définit l'expression « oeuvre créée en collaboration » en faisant appel aux notions de collaboration et de participation. Il faut qu'il y ait collaboration entre deux auteurs ou plus pour qu'ils soient considérés comme coauteurs. McKeown écrit, au sujet de la collaboration, [traduction] « Fréquemment, elle suppose l'engagement dans la production d'une oeuvre, par un travail conjoint de réalisation d'un projet arrêté de concert » (aux p. 322 et 323). Au sujet de la part de chacun à l'oeuvre, il indique : [traduction] « L'apport doit être celui d'un "auteur", c'est-à-dire qu'il doit se composer de talent, de travail et de jugement employés pour donner à l'oeuvre une expression matérielle » (à la p. 323). Il n'est pas nécessaire que les parts de chaque auteur soient égales; il suffit que leur apport soit important et original.

[72] Essentiellement, le réviseur-rédacteur doit contribuer de façon importante à l'originalité expressive de l'oeuvre et il doit collaborer avec l'autre auteur à la réalisation d'un projet arrêté de concert pour pouvoir être considéré comme coauteur. La présente formation du Tribunal convient que tel est le critère qu'il faut appliquer pour déterminer si les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants peuvent être considérés, dans certaines circonstances, comme coauteurs avec les auteurs des oeuvres qu'ils révisent.

Question 2 : La formation originale a-t-elle commis une erreur en déterminant que certains réviseurs professionnels indépendants étaient coauteurs d'une oeuvre littéraire au sens de la Loi sur le droit d'auteur et donc, qu'ils étaient des artistes au sens de la Loi?

[73] La formation originale a conclu que les réviseurs-rédacteurs qui exécutent des tâches de révision conceptuelle et de révision de fond contribuent de manière importante à l'originalité expressive des oeuvres qu'ils révisent. La création en collaboration exige également une certaine collaboration avec le ou les autres auteurs. Bien que nous soyons d'accord avec le critère que la formation originale a adopté dans la décision 033, nous sommes d'avis qu'il n'a pas été appliqué correctement. La formation originale a fondé son analyse sur le deuxième volet du critère de la décision Neudorf, qui exige que les coauteurs présumés veuillent que leurs contributions se fusionnent dans un tout unique. On peut lire, au paragraphe 64 de la décision 033 :

On a présenté au Tribunal un exemple particulier de collaboration et de contribution étendues entre un réviseur-rédacteur et un groupe d'auteurs-rédacteurs. M. Jim Lyons et les auteurs-rédacteurs des rapports des sous-comités du Comité consultatif sur le commerce électronique ont collaboré pendant environ cinq mois à la réalisation du document Commerce électronique et l'administration fiscale du Canada. M. Lyons a contribué de façon importante à l'expression originale de l'oeuvre, en particulier dans la préparation des chapitres contextuels. M. Lyons n'a pas simplement préparé la copie ou effectué une révision linguistique; il a apporté des modifications de fond et de structure pour réaliser le produit final. Les auteurs-rédacteurs et lui ont travaillé dans l'intention commune que leur apport respectif se combine en un tout unique. Pour le tribunal, il s'agit d'un exemple concret de création en collaboration. (Italique ajouté)

La question cruciale devant être décidée par la présente formation est de savoir si les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants « collaborent » au sens de la Loi sur le droit d'auteur.

[74] TWUC et la PUC soutiennent que même si un auteur et un réviseur-rédacteur travaillent ensemble à achever un projet commun, cette forme limitée de collaboration n'est pas suffisante pour établir l'existence d'un projet arrêté de concert par l'auteur-rédacteur et le réviseur-rédacteur au sens où l'entend la jurisprudence.

[75] Dans l'affaire Boudreau v. Lin (1997), 75 C.P.R. (3d) 1 (C. Ont. Div. gén.), une décision concernant la paternité conjointe d'une oeuvre littéraire, un étudiant universitaire, a présenté un travail de session à son professeur. Ce dernier a apporté des corrections et proposé des modifications au travail, dont certaines ont été incorporées au travail par l'étudiant. Le professeur a ensuite apporté plusieurs modifications mineures, a remplacé le nom de l'étudiant par son propre nom et celui d'un autre professeur, puis a publié et présenté le travail, le tout à l'insu de l'étudiant. L'étudiant a intenté une action en violation du droit d'auteur. Le professeur a prétendu être coauteur du travail. Le tribunal, n'étant pas d'accord, a conclu que l'étudiant était l'unique auteur de l'oeuvre. À la page 9, le tribunal a affirmé ceci :

[Traduction]

J'examinerai maintenant la question de savoir si les modifications, les améliorations et la révision du professeur Lin ont apporté un ajout suffisant au travail pour faire du professeur Lin un coauteur. Pour trancher cette question, je tiens compte notamment de la décision dans l'affaire Dion v. Trottier (1986), 9 C.I.P.R. 258 (C.S. Qué.), dans laquelle le demandeur revendiquait la reconnaissance de son apport à une oeuvre dont son ancienne épouse était l'auteure. Le tribunal a affirmé que l'on doit examiner la nature de la contribution ainsi que son importance. Dans cette affaire, concernant une histoire écrite par Trottier, l'ex-époux de l'auteure avait corrigé la grammaire, ajouté certains mots, résumé, modifié la structure du texte, amélioré le style littéraire et réécrit une part appréciable de ce que son ex-épouse avait rédigé. La version publiée incorporait à la fois des parties de la version originale et des parties de la version réécrite.

Le tribunal a conclu que même si la version du demandeur avait « son utilité et une certaine valeur », la trame de l'histoire, le vocabulaire, le rythme, l'ampleur, la sensibilité et la véracité étaient tous le fruit du labeur de la défenderesse, et l'action du demandeur a donc été rejetée. L'on peut voir, à la lumière de ce bref résumé de l'analyse, que la contribution du professeur Lin à la création du travail en l'espèce est très loin de pouvoir être assimilée à de tels efforts - des efforts qui ont été considérés comme ne donnant pas lieu à la création d'une oeuvre de collaboration.

[76] La preuve présentée à l'audience originale et à l'audience de réexamen étaye l'argument voulant que même si un auteur et un réviseur-rédacteur travaillent ensemble à la réalisation d'un projet commun, le produit final demeure celui de l'auteur. Cette idée a été exprimée par plusieurs témoins lors de l'audience de réexamen. Larry Muller a témoigné qu'il considère avoir apporté des contributions importantes à des oeuvres finales en sa qualité de réviseur-rédacteur, mais qu'il ne considère pas avoir quelque droit patrimonial que ce soit dans ces oeuvres. Rosemary Shipton a affirmé que son mandat consiste à travailler sur le projet de l'auteur et de faire de cette publication la plus grande réussite possible pour l'auteur et pour l'éditeur.

[77] Le Tribunal est d'avis que les conclusions de la Cour dans l'affaire Boudreau v. Lin et la preuve soumise indiquent qu'un réviseur-rédacteur collabore avec un auteur seulement au sens où il aide l'auteur à parfaire une oeuvre. Le rôle de l'auteur est d'écrire le meilleur livre possible, et celle du réviseur est d'aider l'auteur à atteindre ce but, tout en veillant à préserver la voix de l'auteur.

[78] L'ACR prétend que la preuve relative à la publication d'ouvrages d'intérêt général ne s'applique pas dans le contexte d'oeuvres commandées par le gouvernement fédéral. Le témoin de l'ACR, Jennifer Latham, a affirmé que lorsqu'il s'agit d'oeuvres commandées par des ministères du gouvernement, le projet n'est pas celui de l'auteur-rédacteur, ce dernier ayant souvent terminé son travail avant que le réviseur-rédacteur n'entre en scène.

[79] Nous sommes d'accord avec l'ACR que la relation entre réviseurs-rédacteurs et auteurs-rédacteurs dans le domaine de la publication d'ouvrages d'intérêt général peut différer de ce qui prévaut dans le contexte d'oeuvres commandées par les ministères du gouvernement fédéral. En ce qui a trait à ces oeuvres commandées, le réviseur-rédacteur qui exécute des tâches de révision conceptuelle et de révision de fond tente de préserver non plus la voix de l'auteur initial, mais plutôt celle du client, c'est-à-dire du producteur assujetti à la Loi. Ainsi, qu'il s'agisse de commandes du gouvernement ou de la publication d'ouvrages d'intérêt général, le réviseur-rédacteur tente de faire en sorte que la publication d'un autre soit la plus grande réussite possible. Ce n'est pas « l'oeuvre » du réviseur-rédacteur. Nous notons que les réviseurs-rédacteurs qui ont témoigné lors de l'audience de réexamen ont affirmé qu'ils ne se considèrent pas comme « l'auteur » de l'oeuvre qu'ils révisent.

[80] À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que bien qu'un réviseur-rédacteur et un auteur-rédacteur travaillent ensemble à un projet commun, ils ne collaborent pas à la réalisation d'un projet arrêté de concert au sens de la Loi sur le droit d'auteur.

[81] L'ACR a déposé un sondage mené auprès de ses membres afin de démontrer que les recommandations formulées par un réviseur-rédacteur sont généralement acceptées par l'auteur-rédacteur, et ce, qu'il s'agisse de révision de fond ou de préparation de copie. Des éléments de preuve ont été présentées à l'appui de la prétention de TWUC voulant que les recommandations d'un réviseur-rédacteur doivent toujours être approuvées avant d'être incorporées à l'oeuvre. Bill Harnum a cité l'article 8 du contrat-type de la Toronto University Press pour démontrer que toute modification à un manuscrit doit recevoir l'assentiment de l'auteur-rédacteur.

[82] Dans le cadre des commandes passées par les ministères du gouvernement fédéral, « l'auteur-rédacteur » d'un rapport ou d'un autre ouvrage n'est peut-être plus impliqué dans le processus créatif et c'est en fait le client, c'est-à-dire le ministère du gouvernement, qui a le dernier mot concernant les recommandations faites par le réviseur-rédacteur. Le fait que « l'auteur-rédacteur » ne conserve pas toujours la possibilité d'accepter ou de rejeter les recommandations d'un réviseur-rédacteur dans le contexte des oeuvres commandées par les ministères du gouvernement fédéral ne modifie pas la conclusion selon laquelle les réviseurs-rédacteurs ne sont pas coauteurs des oeuvres qu'ils révisent. Le Tribunal constate que ce pouvoir, dans le contexte de la publication d'ouvrages d'intérêt général, passe de l'auteur-rédacteur au client, c'est-à-dire au ministère du gouvernement, lorsqu'on a affaire à des producteurs assujettis à la Loi. En conséquence, l'approbation finale revient non pas à un réviseur-rédacteur, mais à un producteur.

[83] Le Tribunal conclut que le fait que les recommandations d'un réviseur-rédacteur soient acceptées ou non n'est pas en soi pertinent à la question. Plutôt, cet élément de contrôle démontre que même si les recommandations d'un réviseur-rédacteur peuvent contribuer de manière créative à l'oeuvre, la décision finale demeure celle de l'auteur-rédacteur.

[84] Une bonne partie de la preuve présentée au Tribunal lors de l'audience de réexamen portait la question de savoir qui conserve les droits d'auteur. Dans l'industrie de la publication d'ouvrages d'intérêt général, le travail des réviseurs-rédacteurs est habituellement rémunéré suivant un taux horaire. Les auteurs-rédacteurs sont rétribués au moyen de redevances. Cette distinction n'est pas aussi nette lorsqu'il s'agit de commandes du gouvernement étant donné que le droit d'auteur dans ces oeuvres appartient habituellement à la Couronne (voir l'article 12 de la Loi sur le droit d'auteur). Dans ce contexte, les auteurs-rédacteurs professionnels indépendants sont souvent rémunérés de la même manière que les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants.

[85] Ce que le Tribunal doit déterminer en bout de ligne, c'est si les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants constituent ou non des auteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur, et donc des artistes au sens de la Loi, et non s'ils conservent ou non des droits d'auteur dans les oeuvres qu'ils révisent. Bien que la titularité du droit d'auteur puisse constituer un indice de la paternité d'une oeuvre, par exemple dans l'industrie de la publication d'ouvrages d'intérêt général, elle ne constitue pas un facteur déterminant sur lequel le Tribunal puisse se fonder. Ils s'agit seulement d'un critère parmi plusieurs que le Tribunal doit prendre en compte. Malgré la possibilité que les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants et les auteurs-rédacteurs professionnels indépendants soient rémunérés de la même façon pour des oeuvres commandées par des producteurs assujettis à la Loi, le mode de rémunération dans ce contexte ne fait pas des réviseurs-rédacteurs des coauteurs. C'est plutôt la nature du travail qui est accompli qui en détermine la paternité.

[86] À la lumière des motifs qui précèdent, nous sommes d'avis que la formation originale a erré lorsqu'elle a accrédité un secteur comprenant les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants dont la contribution était de la nature de celle d'un coauteur, étant donné que ces réviseurs ne sont pas des auteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur, et ne sont donc pas des artistes au sens de la Loi. Compte tenu de ces conclusions, il n'est pas nécessaire de traiter de l'argument de l'ACR concernant le credo de l'invisibilité des réviseurs-rédacteurs.

[87] Bien que cette formation ait décidé de ne pas appliquer le critère de la décision Neudorf dans son analyse, la preuve présentée par l'ACR et TWUC démontre que les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui assurent la révision conceptuelle ou la révision de fond d'une oeuvre ne se considèrent pas comme des coauteurs. En conséquence, nous n'avons d'autre choix que de conclure que les réviseurs-rédacteurs qui font de la révision de quelque nature que ce soit, qu'il s'agisse de révision conceptuelle ou de révision de fond ou de correction d'épreuves, n'ont pas l'intention d'être coauteurs. Étant donné que le troisième volet du critère de la décision Neudorf exige que les coauteurs présumés aient l'intention d'être coauteurs ensemble, notre conclusion aurait été la même si nous avions adopté ce critère : les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants ne seraient pas considérés comme des coauteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur.

Question 3 : Si certains réviseurs professionnels indépendants sont coauteurs d'oeuvres littéraires au sens de la Loi sur le droit d'auteur, et donc des artistes au sens de la Loi, ces artistes sont-ils déjà visés par des accréditations en vigueur?

[88] À la lumière de nos conclusions selon lesquelles les réviseurs ne sont pas des coauteurs au sens de la Loi sur le droit d'auteur et ne sont donc pas des artistes au sens de la Loi, cette question est réglée. Par conséquent, le Tribunal n'a pas besoin d'examiner la preuve présentée par la WGC concernant l'annulation de secteurs de négociation existants.

Question 4 : Les réviseurs professionnels indépendants peuvent-ils être des auteurs d'oeuvres littéraires originales sous la forme de compilations ou de recueils au sens de la Loi sur le droit d'auteur?

[89] Dans la décision 033, le Tribunal a aussi accrédité un secteur composé des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont les auteurs de compilations et de recueils. La formation originale s'est fondée sur McKeown, supra, pour conclure que sur le plan juridique, les compilations et les recueils sont « essentiellement similaires », et que la « définition de "compilation" est assez large pour comprendre toutes les oeuvres énumérées dans la définition de "recueil" » (voir la décision 033, par. 58).

[90] On trouve les définitions suivantes de « recueil » et de « compilation » à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur :

« recueil »

  1. Les encyclopédies, dictionnaires, annuaires ou oeuvres analogues;
  2. les journaux, revues, magazines ou autres publications périodiques;
  3. toute oeuvre composée, en parties distinctes, par différents auteurs ou dans laquelle sont incorporées des oeuvres ou parties d'oeuvres d'auteurs différents.

« compilation » Les oeuvres résultant du choix ou de l'arrangement de tout ou partie d'oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques ou de données.

[91] TWUC concède qu'un secteur composé des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont les auteurs de compilations de données, ce qui comprend index, glossaires, tables des matières et bibliographies, pourvu que ces oeuvres satisfassent au critère de l'originalité, constitue un secteur approprié à des fins d'accréditation et ne recoupe pas le secteur de TWUC. Nous sommes d'accord. Ces oeuvres correspondent à la deuxième partie (de la version anglaise) de la définition de « compilation » énoncée à l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur.

[92] McKeown, supra, à la p. 319, définit comme suit les auteurs de recueils :

[Traduction]

En règle générale, la personne qui propose le concept et le plan généraux sera l'auteur du recueil bien que de nombreux détails puissent être laissés aux différents collaborateurs. Dans le cas de recueils tels que les encyclopédies, les annuaires, les journaux, les publications périodiques et les revues, la personne qui dirige ou arrange l'ensemble de l'oeuvre est l'auteur de l'oeuvre dans la mesure où celle-ci consiste dans l'arrangement et la coordination des différentes parties.
[Notes infrapaginales omises]

[93] Par conséquent, nous devons déterminer si la preuve présentée à l'audience originale et lors de l'audience de réexamen étaye les conclusions de la formation originale selon lesquelles les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants sont auteurs de recueils et de compilations d'oeuvres littéraires, de tels auteurs étant, comme l'explique McKeown, supra, les personnes qui proposent le concept et le plan généraux de l'oeuvre.

[94] TWUC soutient que les recueils et les compilations d'oeuvres littéraires (première partie de la définition de « compilation » à l'article 2 de la version anglaise de la Loi sur le droit d'auteur), communément appelés des anthologies, sont habituellement créés par des auteurs-rédacteurs et non par des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants. Il est courant que ces auteurs-rédacteurs rédigent une introduction à l'oeuvre ou un des chapitres qui composent le recueil ou la compilation. Une preuve a été présentée au Tribunal démontrant que chez la University of Toronto Press, l'auteur d'une anthologie doit rédiger une introduction scientifique significative pour que l'oeuvre soit publiée. TWUC a également présenté une liste d'anthologies et de recueils dans laquelle plus de 75 % des auteurs d'anthologies y figurant étaient membres de TWUC au moment de l'audience de réexamen. En outre, les Critères d'admissibilité de la Commission canadienne du droit de prêt public définissent « directeur de rédaction » (« editor ») comme suit :

Vous êtes admissible à un paiement [à titre de directeur de rédaction] si, et seulement si, vous répondez à chacune des conditions suivantes :

  1. votre nom figure à titre de directeur de rédaction sur la page titre de l'ouvrage;
  2. il n'y a pas plus de deux directeurs de rédaction dont les noms apparaissent sur la page titre;
  3. vous avez écrit une introduction, une préface ou un avant-propos au livre;
  4. le total de votre collaboration écrite originale représente au moins 10 % du texte du livre ou 10 pages de celui-ci (on retiendra la plus élevée de ces deux conditions). On considère, comme collaboration écrite, la combinaison de votre introduction, de vos notes sur le texte et de vos propres textes dans le corps du livre. Ne figurent pas à ce compte, les notes sur les collaborateurs, l'index, la chronologie, la bibliographie, le lexique ou la table des matières.

[95] Rosemary Shipton a discuté de deux projets qu'elle a appellé les « ouvrages collectifs » (« collections ») auxquels elle a participé. Le premier exemple est l'ouvrage de Craig Brown intitulé Illustrated History of Canada, pour lequel Craig Brown est celui qui a proposé le plan général. Le deuxième exemple est un ensemble d'essais colligés par un « directeur de rédaction » universitaire au sujet des musées d'art. Elle a expliqué que son rôle en tant que réviseure de l'éditeur de ces oeuvres consistait à réviser l'oeuvre, veiller à ce que tous les textes répondent aux normes d'édition habituelles, à les améliorer le plus possible et à travailler avec d'autres gens impliqués dans le projet. Une autre témoin de l'ACR, Jennifer Latham, a affirmé qu'elle avait agi comme « réviseure-gérante / réviseure de fond » (managing/substantive editor) du livre portant sur les Cris de la baie James, auquel avaient collaboré plusieurs auteurs. Dans ce cas, il y avait un « directeur général » (general editor) qui avait développé le concept du livre, rassemblé la recherche et commandé les articles.

[96] Les contributions respectives de Mme Shipton et de Mme Latham à ces recueils ont certainement été d'une très grande valeur. Ces dernières n'ont cependant pas proposé le concept et le plan généraux et elles n'ont pas arrangé ni coordonné les parties distinctes de l'ouvrage. Ce sont les « directeurs de rédaction » (organizing editor) qui sont reconnus comme auteurs en vertu de la Loi sur le droit d'auteur. L'ACR n'a présenté aucun élément de preuve qui permettrait au Tribunal de conclure que les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants agissent en qualité de « directeurs de rédaction » de recueils ou de compilations d'oeuvres littéraires. Nous devons donc conclure que les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants ne sont pas les auteurs de ces oeuvres au sens de la Loi sur le droit d'auteur.

Question 5 : Si certains réviseurs professionnels indépendants sont des auteurs d'oeuvres littéraires originales sous la forme de compilations ou de recueils au sens de la Loi sur le droit d'auteur et donc des artistes au sens de la Loi, sont-ils déjà visés par des accréditations en vigueur?

[97] À la lumière des conclusions ci-dessus, toute question concernant un éventuel chevauchement des secteurs respectifs de TWUC et de l'ACR en rapport avec les auteurs de recueils et de compilations d'oeuvres littéraires est réglée.

Décision

[98] Le Tribunal reconnaît la valeur du travail réalisé par les réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants. Les réviseurs-rédacteurs sont essentiels pour le monde littéraire. Beaucoup d'oeuvres ne parviendraient jamais au stade de la publication si ce n'était de leur assistance. Cependant, compte tenu du libellé actuel des dispositions législatives, les réviseurs qui font la révision conceptuelle et la révision de fond débordent le champ d'application de la Loi.

[99] Compte tenu des pouvoirs de réexamen conférés au Tribunal en vertu de l'article 20 de la Loi sur le statut de l'artiste, le Tribunal conclut qu'il y a lieu d'annuler la décision 033, la décision 036 et l'ordonnance d'accréditation émise au profit de l'ACR.

[100] Le Tribunal conclut, après avoir examiné l'ensemble de la preuve et des arguments présentés par les parties, tant à l'audience originale qu'à l'audience de réexamen, que le secteur approprié se compose des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de préparer des oeuvres originales sous forme de compilations de données, notamment des index, des glossaires, des tables des matières et des bibliographies originaux, en langue française ou en langue anglaise, mais à l'exclusion :

  1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal le 4 juin 1996,

  2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal le 25 juin 1996,

  3. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma par le Tribunal le 30 janvier 1996 tel qu'amendée le 8 juin 2001,

  4. des auteurs visés par l'accréditation accordée à The Writers' Union of Canada par le Tribunal le 17 novembre 1998,

  5. des auteurs visés par l'accréditation accordée à l'Union des écrivaines et écrivains québécois par le Tribunal le 2 février 1996,

  6. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada par le Tribunal le 13 décembre 1996.

[101] Aucune des parties n'a contesté les conclusions du Tribunal selon lesquelles l'ACR est représentative des artistes du secteur. La formation originale a statué en fonction de la preuve qui lui avait été présentée. Nous ne voyons aucune raison de modifier ces conclusions.

[102] Pour ces motifs, le Tribunal :

Déclare que les réviseurs-rédacteurs qui sont les auteurs de compilations de données, notamment des index, des glossaires, des tables des matières et des bibliographies originaux, sont des artistes au sens de la Loi sur le statut de l'artiste.

Déclare que le secteur approprié se compose des réviseurs-rédacteurs professionnels indépendants qui sont engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste dans le but de préparer des oeuvres originales sous forme de compilations de données, notamment des index, des glossaires, des tables des matières et des bibliographies originaux, en langue française ou en langue anglaise, mais à l'exclusion :

  1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal le 4 juin 1996,

  2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal le 25 juin 1996,

  3. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma par le Tribunal le 30 janvier 1996 tel qu'amendée le 8 juin 2001,

  4. des auteurs visés par l'accréditation accordée à The Writers' Union of Canada par le Tribunal le 17 novembre 1998,

  5. des auteurs visés par l'accréditation accordée à l'Union des écrivaines et écrivains québécois par le Tribunal le 2 février 1996,

  6. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada par le Tribunal le 13 décembre 1996.

Déclare que l'Association canadienne des réviseurs / Editors'Association of Canada est l'association la plus représentative des artistes du secteur.

[103] L'ordonnance d'accréditation émise à la suite de la décision no 036 est annulée et une nouvelle ordonnance sera émise pour confirmer l'accréditation de l'Association canadienne des réviseurs / Editors' Association of Canada pour le secteur décrit ci-dessus.

Ottawa, le 1er novembre 2002

David P. Silcox

Marie Senécal-Tremblay

John M. Moreau

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