Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 028

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 17 novembre 1998 Dossier No : 95-0014-A


Concernant la demande d'accréditation présentée par the Writers' Union of Canada et la League of Canadian Poets


Décision du Tribunal

La demande d'accréditation est accordée sous une forme modifiée.

Lieu de l'audience : Toronto (Ontario)

Date de l'audience : 10 et 11 septembre 1998

Quorum: David P. Silcox, président
André T. Fortier
Curtis Barlow
Meeka Walsh

Ont comparu :
Pour les requérantes : Me Marian D. Hebb; Mme Penny Dickens et M. Christopher Moore pour The Writers' Union of Canada;
Mme Edita Petrauskaite pour la League of Canadian Poets.

Pour les intervenants : Me Jan Brongers, ministère de la Justice
du Canada; Me Gilbert Miville-Deschênes, Services juridiques, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada;
Me Christine Hudon et Me Jeff Richstone, Services juridiques, Patrimoine canadien.


Motifs de décision

95-0014-A : Concernant la demande d'accréditation présentée par The Writers' Union of Canada et la League of Canadian Poets


Exposé des faits

[1] La présente décision du Tribunal porte sur la demande d'accréditation présentée en vertu de l'article 25 de la Loi sur le statut de l'artiste (L.C. 1992, ch.33, appelée ci-après la «Loi») conjointement par The Writers' Union of Canada («TWUC») et la League of Canadian Poets («LCP») le 17 novembre 1995. L'audience a eu lieu à Toronto (Ontario) les 10 et 11 septembre 1998.

[2] The Writers' Union of Canada et la League of Canadian Poets avaient initialement présenté une demande d'accréditation en vue de représenter un secteur comprenant :

  1. les auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées initialement en volumes ou sous forme électronique;
  2. les auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées initialement en volume ou sous forme électronique et destinées à être exécutées ou à être adaptées pour d'autres médias, y compris l'audio, l'audiovisuel, le multimédia ou d'autres formes électroniques; mais à l'exclusion, pour plus de certitude, des scénaristes visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada, des auteurs dramatiques visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada et des journalistes visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada.

[3] Le 9 février 1998, les requérantes ont modifié le secteur proposé afin qu'il comprenne tous les entrepreneurs indépendants engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste à titre :

  1. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées initialement en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique;
  2. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées initialement en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique et destinées à être exécutées ou à être adaptées pour d'autres médias, y compris l'audio, l'audiovisuel, le multimédia ou d'autres formes électroniques; mais à l'exclusion :
    1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 4 juin 1996;
    2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 25 juin 1996;
    3. des auteurs dramatiques visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 13 décembre 1996.

[4] Un avis public annonçant cette demande a été publié dans la Gazette du Canada le samedi 7 mars 1998, dans le Globe and Mail et Le Soleil le 11 mars 1998, dans le Toronto Star le 12 mars 1998 et dans Le Devoir le 14 mars 1998. L'avis a également paru dans INFO-FAX publié par la Conférence canadienne des arts le 1er avril 1998. L'avis public stipulait que tout artiste, association d'artistes ou producteur touché par la demande devait informer le Tribunal de son intérêt avant le 22 avril 1998.

[5] À cette date, il y avait trois intervenants : le ministère du Patrimoine canadien («PCH»), le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada («TPSGC») et l'Union des écrivaines et écrivains québécois («UNEQ»). En outre, la Canadian Copyright Licensing Agency (CANCOPY) a demandé qu'on l'informe de l'évolution du dossier.

[6] En tant qu'association d'artistes, l'UNEQ peut intervenir de plein droit à l'égard de toute question liée à la définition du secteur et à la représentativité des requérantes. En vertu du paragraphe 26(2) de la Loi sur le statut de l'artiste, les deux ministères fédéraux, le PCH et TPSGC, peuvent intervenir de plein droit à l'égard de toute question liée à la définition du secteur. Ni l'un ni l'autre ministère n'a demandé au Tribunal de l'autoriser à présenter des observations au sujet de la représentativité des requérantes.

[7] La demande d'accréditation de TWUC et de la LCP soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la nature de la relation entre TWUC et la LCP et cette relation équivaut-elle à un «regroupement» au sens de la Loi sur le statut de l'artiste?

  2. Le secteur proposé est-il approprié aux fins de la négociation?

  3. Les requérantes sont-elles représentatives des artistes du secteur?

Les questions soulevées

Question 1 : La relation entre TWUC et la LCP équivaut-elle à un «regroupement» au sens de la Loi sur le statut de l'artiste?

[8] Le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que toute «association d'artistes» peut présenter une demande d'accréditation. Bien qu'on puisse en déduire que la demande doit être présentée par une entité unique, l'expression «association d'artistes» est définie à l'article 5 comme visant notamment un regroupement d'associations.

[9] En l'espèce, la demande d'accréditation a été présentée par The Writers' Union of Canada «qui se représentait elle-même et représentait la League of Canadian Poets». À la demande d'accréditation était jointe la copie d'une lettre en date du 16 novembre 1995 et envoyée par le directeur exécutif de la League of Canadian Poets au directeur exécutif de The Writers' Union of Canada, dans laquelle on peut lire ce qui suit :

La League of Canadian Poets demande officiellement à The Writers Union of Canada de la représenter dans le cadre de la présentation de sa demande d'accréditation au Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs.

[10] Aucun autre détail sur la relation entre les deux organismes n'a été fourni avant l'audition de la demande le 10 septembre 1998 et, jusqu'à cette date, le Tribunal a considéré la demande comme ayant été présentée par les deux organismes. Aux fins de l'accréditation, toutefois, il est nécessaire que le Tribunal soit convaincu que la requérante est soit une «association d'artistes», soit un «regroupement d'associations».

[11] La Loi sur le statut de l'artiste ne définit pas l'expression «regroupement d'associations»; elle établit toutefois des conditions préalables à l'accréditation :

23(1) L'accréditation d'une association d'artistes est subordonnée à la prise de règlements qui :

  1. établissent des conditions d'adhésion;

  2. habilitent ses membres actifs à participer à ses assemblées, à y voter et à se prononcer par scrutin sur la ratification de tout accord-cadre les visant;

  3. garantissent aux membres le droit d'obtenir une copie des états financiers du dernier exercice certifiée conforme par le dirigeant de l'association autorisé à le faire.

[12] Le Tribunal est convaincu que les règlements du TWUC et de la LCP, chacun pour leur part, satisfont à ces conditions préalables. Le Tribunal a toutefois été informé qu'aucun document officiel n'établit la relation entre les deux organismes. On ne peut donc savoir avec certitude comment les membres prendraient des décisions sur la façon de mener une négociation collective et, en particulier, comment ils pourraient se prononcer par scrutin sur toute ratification.

[13] La LCP a été constituée en 1966 et TWUC en 1973. Il existe une tradition de coopération entre les deux organismes. Ainsi, par exemple, elles ont toutes deux joué un rôle actif dans la mise sur pied de CANCOPY et du Writers' Development Trust et elles collaborent en vue de préparer et de présenter au Parlement des mémoires sur diverses questions (par ex., le droit d'auteur). TWUC déclare représenter des «écrivains de tous les genres littéraires -- la poésie», tandis que la LCP représente des «écrivains d'un seul genre littéraire». Comme la LCP estime que les poètes ont davantage besoin de soutien face au marché, elle exerce parfois des activités de marketing et de distribution auxquelles TWUC ne s'adonne pas. TWUC est perçue comme faisant davantage de lobbying que la LCP à l'égard des questions concernant les écrivains et, de manière générale, elle défend les intérêts de la LCP quand des questions d'ordre juridique sont en jeu.

[14] Lorsqu'on les a interrogées sur le sujet, les représentantes des deux organismes ont indiqué que c'était TWUC qui serait chargé des négociations avec les producteurs relevant de la compétence fédérale. Les deux organismes comptaient produire de concert un document précisant comment se déroulerait le processus de ratification; en particulier, elles jugeaient nécessaire de s'assurer que les 70 écrivains membres des deux organismes n'auraient droit qu'à une seule voix.

[15] D'après les témoignages entendus, il est clair qu'à l'heure actuelle la relation existant entre TWUC et la LCP n'est pas suffisamment officielle pour que celles-ci forment un «regroupement d'associations» au sens de la Loi sur le statut de l'artiste. Le Tribunal est d'avis que, pour constituer un regroupement, les requérantes devraient rendre leur relation plus clairement officielle et établir une constitution devant régir leurs activités en tant que regroupement.

[16]   Tel qu'il a été noté ci-dessus, la LCP a bel et bien demandé à TWUC d'agir pour son compte aux fins de l'accréditation. Les représentantes des requérantes qui ont comparu à l'audience ont déclaré que la présentation de la demande d'accréditation au seul nom de TWUC constituerait une solution de rechange acceptable. Si TWUC et la LCP devaient à une date ultérieure former officiellement un regroupement, elles pourraient alors demander une modification de l'ordonnance d'accréditation. Le Tribunal accepte cette suggestion et il considérera la demande d'accréditation comme étant uniquement présentée au nom de The Writers' Union of Canada.

Question 2 : Le secteur proposé est-il approprié aux fins de la négociation?

[17]   Pendant l'audience, la requérante a modifié sa définition du secteur proposé en rayant le mot «initialement» à l'alinéa i) de sa demande. Le secteur proposé par la requérante viserait par conséquent tous les entrepreneurs indépendants engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste à titre :

  1. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique;
  2. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées initialement en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique et destinées à être exécutées ou à être adaptées pour d'autres médias, y compris l'audio, l'audiovisuel, le multimédia ou d'autres formes électroniques;
    mais à l'exclusion :
    1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 4 juin 1996;
    2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 25 juin 1996;
    3. des auteurs dramatiques visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 13 décembre 1996.

[18] Le paragraphe 26(1) de la Loi prévoit que, lorsqu'il étudie une demande d'accréditation, le Tribunal doit tenir compte, notamment, de la communauté d'intérêts des artistes en cause et de l'historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs en ce qui concerne les négociations, les accords-cadres et toutes autres ententes portant sur des conditions d'engagement d'artistes, ainsi que des critères linguistiques et géographiques qu'il estime pertinents.

[19] En plus de ces critères habituels, deux autres aspects de la définition du secteur proposé doivent être pris en compte : la demande de modification de la définition présentée par les intervenants de manière à éviter que les négociations ne visent des oeuvres littéraires déjà existantes et l'effet de certaines restrictions relatives à l'adhésion dans la constitution de TWUC.

Communauté d'intérêts des artistes

[20] Tel qu'il est proposé, le secteur exclut un certain nombre d'auteurs déjà visés par des accréditations accordées par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs : les auteurs de périodiques, les auteurs dramatiques et les auteurs d'oeuvres écrites pour la radio, la télévision, le cinéma et le domaine de la vidéo. TWUC a expliqué qu'elle représentait des «écrivains de tous les genres littéraires». Bien que, traditionnellement, on ait entendu par «écrivains» les auteurs publiant des volumes, l'arrivée de nouvelles technologies a fait en sorte que les oeuvres d'un auteur peuvent désormais être publiées sous forme électronique, notamment pour le multimédia, en plus ou au lieu de l'être sur papier. Les auteurs visés par la requérante comprennent, outre les poètes, tant les auteurs d'ouvrages non romanesques que des ouvrages de fiction.

[21] La définition du secteur proposé vise à comprendre des droits de représentation à l'égard de ces auteurs lorsqu'un producteur les engage pour qu'ils écrivent une oeuvre originale ou exécutent une oeuvre qu'ils ont écrite, et lorsqu'on leur demande de fournir une de leurs oeuvres pour qu'elle soit exécutée par d'autres ou adaptées pour d'autres médias. Le secteur proposé ne viserait toutefois pas l'auteur de l'adaptation elle-même lorsque celle-ci prend la forme d'un scénario ou d'un script pour le théâtre, puisque ces auteurs font partie de secteurs pour lesquels l'accréditation a été accordée respectivement à la Writers Guild of Canada («WGC») et à la Playwrights Union of Canada («PUC»).

[22] Le Tribunal est d'avis qu'il existe manifestement une communauté d'intérêts parmi les auteurs du secteur proposé puisqu'ils exercent tous le même art, soit la création d'oeuvres littéraires.

Historique des relations professionnelles

[23] The Writers' Union of Canada a été fondée en 1973. Ses buts sont les suivants :

  • réunir les écrivains en vue de promouvoir leurs intérêts communs;
  • encourager l'art littéraire au Canada;
  • entretenir des relations avec les éditeurs;
  • assurer l'échange d'information parmi les membres;
  • protéger la liberté d'écrire et de publier;
  • promouvoir l'existence de bonnes relations avec d'autres écrivains et leurs organismes au Canada et partout dans le monde.

[24] Pour atteindre ces objectifs, TWUC a mis au point un certain nombre de publications et de services, y compris une documentation autodidactique pour les nouveaux écrivains, qu'elle met à la disposition de ses membres et des non-membres. Les publications de TWUC comprennent un «Contrat-type pour publication commerciale», un guide relatif aux clauses contractuelles pertinentes et intitulé «Aidez-vous à obtenir un meilleur contrat», des conseils aux écrivains publiés dans une anthologie («Tarifs et contrats relatifs aux anthologies») et des guides concernant les droits en matière d'éditique et la rédaction anonyme.

[25] De concert avec le Canadian Book Publishers Council et l'Association of Canadian Publishers, TWUC a rédigé un guide de pratique destiné aux éditeurs et aux auteurs. Bien que ce guide ne lie pas les membres des associations d'écrivains ou d'éditeurs, il fournit de bonnes indications sur ce à quoi ils devraient s'attendre lorsqu'ils traitent les uns avec les autres.

[26] TWUC a préparé une «liste de vérification des déclarations relatives aux droits d'auteur» destinée à aider les écrivains lorsqu'ils ont affaire à des éditeurs. Elle a également mis au point des formules de calcul des paiements minimaux pour les contributions à diverses sortes d'anthologies, ainsi que des contrats types appliquant ces formules et des barèmes de droits suggérés.

[27] TWUC offre, notamment, des services d'évaluation et de négociation de contrats. TWUC procède à des vérifications pour le compte d'écrivains, pour s'assurer que les éditeurs rendent compte correctement de la vente de leurs oeuvres.

[28] Bien que TWUC n'ait encore conclu aucun accord-cadre, ellle négocie à l'heure actuelle des accords sur les conditions minimales avec des éditeurs d'oeuvres écrites et électroniques. TWUC compte un comité des contrats et un comité des griefs qui défendent les intérêts de ses membres auprès des éditeurs.

[29] En plus d'oeuvrer directement au bien-être économique des écrivains, TWUC dispose d'un programme permettant aux écrivains d'aller dans les écoles pour y lire leurs oeuvres. Elle offre également aux écrivains, contre rémunération, un service d'évaluation de manuscrits.

[30] TWUC soumet des mémoires au gouvernement sur des questions telles que la liberté d'écrire et de publier et elle présente des observations sur diverses questions intéressant les écrivains, comme l'Accord multilatéral sur l'investissement et le droit d'auteur. Elle a exercé des pressions en vue de la création du Programme du droit du prêt public, qui a profité à tous les écrivains au Canada.

[31] TWUC a été l'un des membres fondateurs de la Canadian Copyright Licensing Agency («CANCOPY»). Cet organisme s'occupe des droits de reprographie et de reproduction sous forme électronique des auteurs. TWUC et la CANCOPY ont conclu un protocole d'entente qui confirme la sphère d'activités de cette dernière. Le Tribunal prend acte de cette entente, dont copie est jointe aux présents motifs de décision à titre d'annexe A.

[32] TWUC est également membre fondateur d'une seconde société de gestion collective, la Electronic Rights Licensing Agency («TERLA»). Cette société de gestion collective a été constituée en vue d'aider les écrivains, les photographes et les illustrateurs à obtenir que soient contrôlées et équitables les utilisations électroniques de leurs oeuvres créatives, particulièrement les utilisations liées aux bases de données commerciales, au World Wide Web et aux productions multimédias.

Critères géographiques et linguistiques

[33] La requérante demande à représenter, à l'échelle nationale, un secteur composé d'auteurs d'oeuvres en langues autres que le français. Il y a lieu de noter que les auteurs d'oeuvres en français sont représentés par diverses associations d'artistes accréditées par le Tribunal en fonction du genre d'oeuvre (par ex., l'Union des écrivaines et écrivains québécois, la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs, l'Association québécoise des auteurs dramatiques et la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec). La requérante a indiqué qu'elle a des membres qui écrivent en d'autres langues telles que le punjabi. Aucune autre association d'artistes n'a demandé à représenter les auteurs écrivant dans ces autres langues.

[34] Le siège social de la requérante est situé à Toronto et celle-ci dispose également d'un petit bureau en Colombie-Britannique. Bien que TWUC compte des membres dans tout le Canada, environ 50 % de ceux-ci vivent en Ontario et 22 % en Colombie-Britannique.

[35] La constitution de TWUC prévoit que son Conseil national (constitué de douze administrateurs assurant la gestion de l'association) doit compter cinq représentants régionaux, soit un représentant élu pour chacune des régions suivantes : la Colombie-Britannique et le Yukon; les provinces des Prairies et les Territoires du Nord-Ouest; l'Ontario; le Québec et Ottawa; les provinces de l'Atlantique.

[36] Le Tribunal est convaincu que la requérante est en mesure de représenter un secteur à l'échelle nationale et que le secteur en cause est approprié.

Oeuvres littéraires existantes

[37] Deux des intervenants, soit le ministère du Patrimoine canadien («PCH») et le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada («TPSGC»), ont exprimé des inquiétudes quant à savoir si le secteur proposé est approprié aux fins de la négociation collective. Bien qu'ils ne s'opposent pas à ce que le Tribunal accrédite TWUC, ils estiment que le secteur doit être défini d'une manière qui ne permettrait pas à une association d'artistes de représenter des auteurs aux fins de céder ou d'accorder, en vertu de la Loi sur le droit d'auteur (L.R.C. 1985, ch. C-42, modifiée), des droits ou des licences visant des oeuvres littéraires déjà existantes, et de négocier subséquemment avec des producteurs ces cessions ou ces octrois de licences.

[38] Le PCH et TPSGC ont demandé que l'on modifie la définition du secteur en y ajoutant les mots suivants : «mais non à l'égard d'une oeuvre créée avant la conclusion d'un contrat de services entre l'auteur et un producteur et hors du cadre d'un tel contrat».

[39] À l'appui de leur position, le PCH et TPSGC prétendent que la Loi sur le statut de l'artiste est essentiellement une loi sur les relations de travail et les relations professionnelles qui établit un cadre pour la négociation collective, entre les artistes et les producteurs, de conditions minimales de travail pour les artistes et d'une rémunération minimale pour leurs services. Ils mettent en contraste cette loi et la Loi sur le droit d'auteur, qu'ils décrivent comme une loi en matière de propriété, qui reconnaît l'existence de droits patrimoniaux sur la propriété intellectuelle (désignés sous le nom de droits d'auteur) et qui régit les questions telles que la cession de ces droits et l'octroi de licences à leur égard.

[40] De l'avis du PCH et de TPSGC, il faut se demander dans quelle mesure chacune de ces lois régit la rémunération de la paternité des oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques. Le problème vient du fait, affirment-ils, que la paternité de ces oeuvres met en cause à la fois un élément professionnel (le talent créatif à la source de l'oeuvre originale) et un élément patrimonial (le produit final). Ils ont attiré l'attention du Tribunal sur une décision rendue le 30 janvier 1998 par la Commission du droit d'auteur (Tarif des droits à percevoir pour l'exécution ou la communication par télécommunication, au Canada, d'oeuvres musicales ou dramatico-musicales [Tarif 2.A (Télévision - Stations commerciales) pour les années 1994, 1995, 1996 et 1997], publiée à (QL) [1998] C.B.D. No. 1), dans laquelle le vice-président Hétu, dissident, a déclaré ce qui suit à la note 22 :

L'ACR [l'Association canadienne des radiodiffuseurs] a tort de prétendre que la LSA [la Loi sur le statut de l'artiste] permet d'établir des conditions visant les compositeurs en tant que titulaires de droits : réplique de l'ACR, paragraphe 100. Le droit d'auteur est un bien, non un service.

La prétention des intervenants à cet égard est que le droit d'auteur est un bien et non un service et que, par conséquent, il échappe à la portée prévue d'une négociation en vertu de la Loi sur le statut de l'artiste.

[41] Le PCH et TPSGC soutiennent que les droits découlant de l'accréditation permettraient à une association d'artistes de représenter uniquement les intérêts des auteurs engagés pour créer de nouvelles oeuvres ou des oeuvres adaptées expressément en vertu d'un contrat conclu avec le producteur. L'association ne peut représenter les auteurs d'oeuvres littéraires existantes aux fins de la cession de leurs droits d'auteur sur celles-ci ou de l'octroi de licences à leur égard, puisque le cadre approprié pour une telle activité est la Loi sur le droit d'auteur, qui n'accorde le droit d'effectuer des négociations qu'aux auteurs, à leurs mandataires et représentants et aux sociétés de gestion collective qu'ils ont expressément mandatées.

[42] Le PCH et TPSGC soutiennent, en outre, que permettre à une association d'artistes de représenter des auteurs afin de négocier la cession de leurs droits d'auteur sur des oeuvres littéraires existantes ou de l'octroi de licences à leur égard donnerait lieu à des «illogismes», comme le droit de négocier des ententes relatives au droit d'auteur sur des oeuvres créées avant l'entrée en vigueur de la Loi ou avant l'accréditation de l'association d'artistes.

[43] Pour sa part, la requérante estime particulièrement important que la négociation collective leur permette de représenter les intérêts des auteurs à l'égard de leurs oeuvres préexistantes, par exemple lorsqu'un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste désire conclure un contrat avec ces auteurs en vue d'adapter une de leurs oeuvres existant déjà sous une forme (des volumes, ou sous forme multimédia ou électronique) pour un autre médium (par ex., le cinéma ou la télévision). TWUC a exprimé clairement que ce qu'elle désire, ce n'est pas le droit de représenter l'auteur qui procède à l'adaptation, mais le droit de continuer de représenter les intérêts de l'auteur initial lorsque celui-ci décide d'engager des négociations avec un producteur au sujet de droits d'adaptation.

[44] À l'heure actuelle, TWUC donne des conseils à ses membres sur des questions liées au droit d'auteur et, en particulier, elle a pour politique de recommander aux auteurs de conserver autant de droits que possible lorsqu'ils procèdent à la première vente d'une oeuvre, de manière à pouvoir négocier une rémunération pour l'exploitation ultérieure de celle-ci. À titre d'exemple des services qu'elle offre à ses membres dans ce domaine, la requérante a attiré l'attention du Tribunal sur la pièce 8, sa publication intitulée «Tarifs et contrats relatifs aux anthologies». TWUC estime que l'entrée en scène de la Loi sur le statut de l'artiste ne devrait pas avoir pour effet de l'empêcher d'offrir ce service à ses membres. Elle soutient que le but visé au moyen de la Loi était de renforcer le secteur culturel. Or, restreindre la portée de la négociation comme le demande l'intervenant priverait de leurs droits un grand nombre d'artistes.

[45] TWUC souligne en outre qu'en vertu de la définition d'un «accord-cadre» à l'article 5 de la Loi, une association d'artistes peut négocier non seulement les conditions minimales pour la prestation de services des artistes, mais également des «questions connexes». À son avis, l'écriture est un service que les auteurs fournissent aux producteurs, et permettre l'utilisation d'une oeuvre écrite existante constitue soit un service, soit une question connexe. Selon les prétentions de TWUC, inclure dans un accord-cadre des dispositions établissant les conditions minimales devant s'appliquer si un auteur décidait de céder certains de ses droits ou d'octroyer des licences à leur égard n'équivaut pas à octroyer des licences à l'égard des droits eux-mêmes.

[46] TWUC soutient qu'accepter la restriction demandée par le PCH et TPSGC aurait pour effet de réduire considérablement ce qu'une association d'artistes peut faire pour défendre les intérêts des auteurs. Il en résulterait un écart entre les régimes établis par la Loi sur le statut de l'artiste et la Loi sur le droit d'auteur, comme cela empêcherait l'accès à un mécanisme permettant de traiter de certains types de droits d'auteur (par ex., la négociation des conditions minimales devant s'appliquer aux contrats relatifs au droit d'adapter une oeuvre écrite pour le cinéma ou la télévision -- les soi-disant «grands droits» --, pour lesquels il n'existe à l'heure actuelle aucune société de gestion collective). Lorsqu'il existe des sociétés de gestion collective, les problèmes de chevauchement éventuels peuvent être réglés au moyen de protocoles d'entente tels que celui conclu entre TWUC et CANCOPY.

[47] TWUC soutient, finalement, que les artistes devraient avoir le droit de choisir comment régler la question des droits sur leurs oeuvres, que ce soit par négociation individuelle, au moyen de mandataires, de sociétés de gestion collective ou d'accords-cadres, ou au moyen d'une combinaison de ces outils.

[48] L'Union des écrivaines et écrivains québécois («UNEQ») a également soumis des observations au Tribunal sur cette question. Elle souligne que le législateur a expressément inclus les auteurs d'oeuvres littéraires et dramatiques parmi les catégories d'entrepreneurs indépendants auxquels la Loi s'applique (le sous-alinéa 6(2)b)(i)). Le «service» artistique offert par un auteur consiste à écrire un texte et à en permettre l'utilisation. L'UNEQ déclare qu'en ce qui concerne les auteurs, dans la majorité sinon la presque totalité des cas, le cocontractant utilisera une oeuvre que l'auteur a déjà créée. Selon les prétentions de l'UNEQ, le fait qu'un texte ait été créé avant ou après la conclusion par son auteur d'un contrat avec un producteur fédéral ne change rien au fait que ce dernier obtient par contrat ce service, à savoir l'utilisation de l'oeuvre littéraire ou dramatique écrite par l'auteur. L'UNEQ laisse entendre que, si on interprète restrictivement le mot «service» de manière à limiter la portée de la Loi à la commande d'oeuvres non encore créées, la Loi ne s'appliquerait plus aux auteurs, ce qui est contraire à l'intention clairement exprimée par le législateur fédéral.

[49] Le Tribunal est d'accord avec le PCH et TPSGC lorsqu'ils qualifient la Loi de législation sur les relations de travail et les relations professionnelles; l'alinéa 18a) de la Loi enjoint en effet au Tribunal de tenir compte, pour toute question liée à l'application de la partie II, des principes applicables du droit du travail. Le Tribunal refuse toutefois d'en conclure que la législation s'en trouve dans un «compartiment étanche», et qu'il y a une limite à ce qui peut être négocié sous son égide. Bien que, dans le domaine des relations professionnelles, on n'ait pas traditionnellement traité des questions liées au droit d'auteur dans le cadre de la négociation de conventions collectives, cela vient peut-être de la présomption de la Loi sur le droit d'auteur selon laquelle le droit d'auteur sur les oeuvres créées dans l'exercice d'un emploi est la propriété de l'employeur.*

*  Loi sur le droit d'auteur (L.R.C. 1985, ch. C-42, modifiée) par. 13(3). Le Tribunal note en passant qu'un certain nombre de conventions collectives conclues entre le Conseil du Trésor du Canada (le gouvernement fédéral lui-même) et divers agents négociateurs des employés (l'Alliance de la fonction publique du Canada, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et l'Association des employé(e)s des sciences sociales) renferment des dispositions sur la paternité des oeuvres, prévoyant notamment la mention en page titre de l'employé auteur de publications originales. Le droit d'auteur n'est donc pas une notion totalement inconnue dans le contexte des négociations collectives.

[50] Au sens le plus large, la Loi sur le statut de l'artiste est un genre de loi sur les droits de la personne : elle reconnaît et établit certains droits fondamentaux pour un groupe distinct de membres de notre société. À l'article 2 de la Loi, le gouvernement du Canada dit reconnaître :

l'importance de la contribution des artistes à l'enrichissement culturel, social, économique et politique du Canada;

l'importance pour la société canadienne d'accorder aux artistes un statut qui reflète leur rôle de premier plan dans le développement et l'épanouissement de sa vie artistique et culturelle, ainsi que leur apport en ce qui touche la qualité de la vie;

  1. le rôle des artistes, notamment d'exprimer l'existence collective des Canadiens et Canadiennes dans sa diversité ainsi que leurs aspirations individuelles et collectives;

  2. la créativité artistique comme moteur du développement et de l'épanouissement d'industries culturelles dynamiques au Canada;

  3. l'importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l'utilisation, et notamment le prêt public, de leurs oeuvres.

Pour sa part, la politique sur le statut professionnel des artistes au Canada est énoncée à l'article 3 :

La politique sur le statut professionnel des artistes au Canada, que met en oeuvre le ministre des Communications, se fonde sur les droits suivants :

  1. le droit des artistes et des producteurs de s'exprimer et de s'associer librement;

  2. le droit des associations représentant les artistes d'être reconnues sur le plan juridique et d'oeuvrer au bien-être professionnel et socio-économique de leurs membres;

  3. le droit des artistes de bénéficier de mécanismes de consultation officiels et d'y exprimer leurs vues sur leur statut professionnel ainsi que sur toutes les autres questions les concernant.

À l'article 7, l'objet de la partie II de la Loi (Relations professionnelles) est énoncé comme suit :

La présente partie a pour objet l'établissement et la mise en oeuvre d'un régime de relations de travail entre producteurs et artistes qui, dans le cadre de leur libre exercice du droit d'association, reconnaît l'importance de la contribution respective des uns et des autres à la vie culturelle canadienne et assure la protection de leurs droits.

(C'est nous qui soulignons.)

[51] La Loi donne effet à de nombreuses dispositions de la Recommandation relative à la condition de l'artiste de l'UNESCO (Belgrade, le 27 octobre 1980), dont le Canada est l'un des signataires. Divers principes directeurs sont énoncés dans ce document, dont les suivants :

3. Les États membres, reconnaissant le rôle essentiel de l'art dans la vie et le développement de la personne et de la société, se doivent en conséquence de protéger, défendre et aider les artistes et leur liberté de création. A cet effet, ils prendront toute mesure utile pour stimuler la création artistique et l'éclosion des talents, notamment par l'adoption de mesures susceptibles d'assurer la liberté de l'artiste, faute de quoi celui-ci ne saurait répondre à sa mission, et de renforcer son statut par la reconnaissance de son droit de jouir du fruit de son travail. Ils s'efforceront par toutes mesures appropriées d'augmenter la participation de l'artiste aux décisions concernant la qualité de la vie. Par tous les moyens dont ils disposent, les États membres devraient démontrer et confirmer que les activités artistiques ont un rôle à jouer dans l'effort de développement global des nations pour constituer une société plus humaine et plus juste et pour parvenir à une vie en commun pacifiée et spirituellement dense.

4. Les États membres devraient assurer aux artistes, pour autant que nécessaire, par les mesures législatives et réglementaires appropriées, la liberté et le droit de constituer les organisations syndicales et professionnelles de leur choix ainsi que de s'affilier à ces organisations, s'ils le désirent, et faire en sorte que les organisations représentant les artistes aient la possibilité de participer à l'élaboration des politiques culturelles et des politiques d'emploi, y compris la formation professionnelle des artistes, ainsi qu'à la détermination de leurs conditions de travail.

(C'est nous qui soulignons.)

[52] Il est également digne de mention que le document le plus important de notre époque en matière de droits de la personne, la Déclaration universelle des droits de l'homme (Paris, France, le 10 décembre 1948), dont le Canada est l'un des signataires, énonce les libertés suivantes :

Article 23

  1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.

  2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.

  3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une existence conforme à la dignité humaine, et complétée, s'il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.

  4. Toute personne a le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Article 27

  1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.

  2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur..

(C'est nous qui soulignons.)

[53] Après lecture de ces divers documents, le Tribunal conclut que le gouvernement du Canada souscrit à deux principes clés : les artistes ont le droit de recevoir une indemnisation pour l'utilisation de leurs oeuvres et les associations d'artistes ont le droit de représenter les intérêts des artistes pour qu'ils obtiennent une telle indemnisation.

[54] La Loi sur le statut de l'artiste doit être interprétée d'une manière conforme à son objet. La raison d'être de l'adoption de cette loi a été décrite par le ministre des Communications d'alors, Marcel Masse, dans un exposé présenté le 7 novembre 1989 au Comité permanent des communications et de la culture :

Au Canada, plusieurs commissions ou groupes de travail, se sont penchés sur la question complexe du statut de l'artiste. Déjà, en 1951, la Commission d'enquête sur l'avancement des arts, des sciences et des lettres en arrivait au triste constat suivant et je cite :

À moins d'être l'auteur d'oeuvres techniques, l'écrivain canadien qu'il soit romancier, poète ou conteur, historien ou biographe ne peut vivre de sa plume même très modestement. De même, le compositeur et l'auteur dramatique et la majorité des comédiens et des directeurs de productions, doivent, si l'on exclut les débouchés qu'offre la radio canadienne, se résigner à chercher en dehors de leur art, un revenu essentiel. Sauf s'ils s'adonnent à l'enseignement ou à l'art publicitaire peu de peintres ou de sculpteurs parviennent à gagner leur vie par la vente de leurs oeuvres au Canada.

Il s'agit là, à mon avis, d'une constatation des plus pessimistes sur la compréhension et l'appréciation du rôle de l'art. De plus, la Commission s'inquiétait de la pénurie de symboles proprement canadiens, de la quasi-absence de canadiens et de canadiennes dans nos systèmes de radiodiffusion et d'éducation ainsi que de la rareté de nos biens culturels.

Malheureusement, le rapport du comité d'études sur la politique culturelle fédérale de 1982, le Rapport Applebaum-Hébert, concluait que les conditions de vie des artistes n'avaient pratiquement pas changé en 30 ans malgré la contribution extraordinaire de ces derniers à la vie canadienne. Le comité disait que, et je cite :

Beaucoup, sinon la plupart de ces professionnels peuvent en raison de leur revenu être considérés comme des travailleurs pauvres hautement spécialisés.

Le comité d'études Siren-Gélinas sur le statut de l'artiste que j'ai créé en 1986 affirmait qu'il était et je cite :

... à la fois remarquable et injuste que les artistes canadiens aient pu faire reconnaître leurs oeuvres au niveau national et international en demeurant en-deçà du seuil de la pauvreté

Si le revenu moyen est le critère sur lequel nous nous appuyons pour juger la valeur d'une contribution à la société, alors la situation des artistes d'ici est tout à fait injuste. Sans compter que ceux-ci sont loin d'être rémunérés comme ils le devraient, compte tenu des longues années d'études de formation et de la discipline astreignante qu'ils s'imposent.

( ...)

Inutile d'insister sur le fait que l'amélioration du statut de l'artiste constituera l'une des initiatives les plus importantes du gouvernement au cours du mandat actuel. La condition socio-économique des artistes professionnels au Canada est, nous l'affirmons d'emblée, peu reluisante.

Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent des communications et de la culture, deuxième session de la trente-quatrième législature, 1989, 2e éd., à 2 :7.

[55] Cette situation avait cours même si le Canada disposait depuis 1924 d'une loi sur le droit d'auteur. Une telle loi était manifestement insuffisante pour assurer le bien-être socio-économique des artistes canadiens et le législateur fédéral était d'avis que d'autres mesures devaient être prises.

[56] Toutefois, le Tribunal est d'accord avec la prétention du PCH et de TPSGC selon laquelle l'intention du législateur, lorsqu'il a adopté la Loi sur le statut de l'artiste, n'était pas de remplacer ou de modifier la Loi sur le droit d'auteur, et avec leur point de vue selon lequel seuls les artistes devraient avoir le droit de décider comment leurs oeuvres devraient être utilisées ou exploitées. Il est indubitable que le régime mis en place par la Loi sur le droit d'auteur continue d'être le seul moyen pratique permettant aux artistes de protéger leurs droits d'auteur à travers le monde et à l'égard des utilisateurs non assujettis à la Loi sur le statut de l'artiste.

[57] Le Tribunal est d'avis que l'objectif visé avec la Loi sur le statut de l'artiste était de compléter le régime prévu dans la Loi sur le droit d'auteur. Elle le fait en offrant aux artistes un mécanisme d'indemnisation additionnel pour l'utilisation de leurs oeuvres, favorisant ainsi leur liberté de choix quant à la manière d'exploiter le fruit de leur talent créatif.

[58] La Loi doit recevoir une interprétation permettant de réaliser l'objectif visé par le législateur d'améliorer la situation socio-économique des artistes au Canada. La Loi confère aux associations d'artistes accréditées le mandat d'oeuvrer au bien-être socio-économique des artistes. Par conséquent, toute exclusion du régime de négociation collective que le législateur a prévu pour les artistes indépendants devrait être clairement stipulée dans la Loi. Or, le législateur n'a pas expressément exclu de la portée des négociations collectives les questions se rapportant au droit d'auteur. De fait, la Loi ne renferme aucune restriction expresse quant au droit d'une association d'artistes de négocier avec les producteurs toute question touchant au bien-être socio-économique de ses membres. Cela est conforme aux principes généraux du droit du travail canadien, en vertu desquels il a été statué que l'obligation de négocier englobait toute question que les parties consentent à inclure dans leur convention collective.

[59] Le droit d'auteur est souvent désigné comme un «ensemble de droits». Il met en cause un intérêt dans un type particulier de propriété (l'oeuvre elle-même). Il se peut, par exemple, qu'une personne soit propriétaire d'une oeuvre d'art alors qu'une autre détient le droit d'auteur sur celle-ci. Le droit d'auteur constitue un intérêt à la fois moral et économique; de fait, le droit d'auteur est le principal droit socio-économique des créateurs d'oeuvres artistiques, dramatiques, littéraires et musicales. Par conséquent, en toute déférence pour notre collègue de la Commission du droit d'auteur, le Tribunal est d'avis que le droit d'auteur n'est pas simplement un bien.

[60] Dans le passé, les artistes indépendants disposaient de deux possibilités en ce qui concerne leur droit d'auteur : l'autogestion ou la gestion collective, par l'entremise d'une société de gestion collective oeuvrant dans le cadre du régime établi par la Loi sur le droit d'auteur. Les artistes qui décident de gérer eux-mêmes leurs droits en conservent l'entier contrôle : ils décident qui sera autorisé à utiliser leurs oeuvres et selon quels honoraires. Pour tirer profit du régime prévu par la Loi sur le droit d'auteur, des artistes cèdent leur droit d'auteur à une société de gestion collective, cédant ainsi le contrôle sur l'utilisation de leurs oeuvres et la possibilité de négocier des honoraires individuels. La société de gestion collective gère le droit d'auteur pour le compte de l'artiste, fixe le tarif pour l'utilisation des oeuvres dans son répertoire et perçoit les honoraires et les verse à l'artiste.

[61] L'adoption de la Loi sur le statut de l'artiste a permis à certains artistes de disposer d'un autre choix. La Loi autorise les associations d'artistes à négocier avec des producteurs relevant de la compétence fédérale, en vue de conclure des accords-cadres établissant les conditions minimales pour les prestations de services des artistes et des questions connexes. Selon le Tribunal, le droit d'utiliser une oeuvre existante constitue un service que l'artiste détenant le droit d'auteur sur cette oeuvre peut fournir à un producteur, et défendre les intérêts des artistes au regard de ce droit socio-économique fondamental constitue une activité appropriée pour une association d'artistes. À titre d'exemple, l'association d'artistes peut tenter de négocier avec un producteur des dispositions relatives aux honoraires minimaux devant être offerts à un artiste du secteur pour l'utilisation d'une de ses oeuvres dans un nouveau médium ou en vue de son adaptation.

[62] En vertu du régime prévu par la Loi sur le statut de l'artiste, l'artiste conserve le pouvoir de décider s'il désire ou non accepter une commande d'un producteur ou permettre à un producteur particulier d'utiliser une de ses oeuvres. L'artiste demeure libre de négocier des contrats individuels dont les conditions sont plus favorables que les conditions minimales, tandis qu'aucun producteur ne peut offrir des conditions moins favorables que celles énoncées dans l'accord-cadre que le producteur et l'association d'artistes ont conclu. L'artiste reçoit directement du producteur pour l'utilisation de ses oeuvres soit la rémunération prévue dans l'accord-cadre, soit la rémunération plus élevée qu'il a été en mesure de négocier. Pour obtenir l'exécution du droit au paiement en vertu de l'accord-cadre, l'artiste peut recourir à la procédure de règlement des différends prévu dans l'accord ainsi qu'aux ressources dont dispose l'association d'artistes accréditée.

[63] Les associations d'artistes sont des organisations démocratiques. Le paragraphe 23(1) de la Loi prévoit que le Tribunal doit s'assurer, avant qu'une association d'artistes ne puisse être accréditée pour représenter un secteur particulier, que l'association a pris des règlements qui, entre autres, habilitent ses membres actifs à participer à ses assemblées, à y voter et à se prononcer par scrutin sur la ratification de tout accord-cadre les visant. Ce sont les membres d'une association qui décident des questions qu'ils désirent faire négocier par celle-ci en leur nom. Dans les secteurs où les sociétés de gestion collective fonctionnent de manière efficace, les membres peuvent très bien décider de ne pas confier à leur association le mandat de négocier les questions liées au droit d'auteur. C'est aux membres qu'il revient de faire un tel choix.

[64] Dans certains secteurs, les membres d'une association d'artistes peuvent décider qu'il convient que celle-ci tente de faire inclure dans un accord-cadre des dispositions relatives au droit d'auteur sur leurs oeuvres préexistantes. L'activité de négociation collective ne fait pas de l'association d'artistes le mandataire de l'artiste aux fins de céder le droit d'auteur sur ces oeuvres ou d'octroyer des licences à leur égard, mais elle lui permet simplement d'établir les conditions minimales devant s'appliquer si un artiste décide de céder un droit d'auteur particulier à un producteur partie à l'accord-cadre ou de lui accorder une licence à son égard. Dans l'exemple ci-dessus, si l'artiste a déjà confié l'administration de ses droits d'auteur à une société de gestion collective, il enjoindra au producteur de faire affaire avec celle-ci. Sinon, l'artiste peut engager des négociations individuelles avec le producteur, les conditions prévues dans l'accord-cadre servant alors de seuil pour les négociations.

[65] Le Tribunal espère que ces explications sur la manière dont les régimes créés en vertu de la Loi sur le statut de l'artiste et de la Loi sur le droit d'auteur permettront de clarifier la question. Il rejette par conséquent la demande des ministères intervenants de modifier la définition du secteur de manière à exclure de la négociation collective les questions liées à l'utilisation d'oeuvres préexistantes.

Restriction à l'adhésion : Citoyens canadiens et immigrants reçus

[66] Au cours de l'instance relative à la demande d'accréditation du Playwrights Union of Canada («PUC») (décision n° 018, le 31 décembre 1996), le Tribunal a pris conscience de la possibilité que les règlements de certaines associations d'artistes donnent lieu à de la discrimination involontaire. Dans cette affaire, la requérante avait restreint sa demande d'accréditation à un secteur constitué des auteurs qui sont «des citoyens canadiens ou des immigrants reçus, relativement aux oeuvres créées dans toutes les langues autres que le français pour les théâtres assujettis à la Loi sur le statut de l'artiste» (C'est nous qui soulignons). Cette limitation volontaire découlait du fait que les règlements de la PUC renfermaient une restriction à l'adhésion fondée sur le statut personnel au Canada. Le Tribunal a par conséquent restreint la définition du secteur de manière à ce qu'elle se conforme à la composition du groupe d'artistes pouvant adhérer à l'association.

[67] Le Tribunal a expliqué sa philosophie à cet égard dans la décision n° 023 (Conseil des métiers d'art du Québec, le 4 juin 1997) :

[35] Il y a deux aspects de la demande d'accréditation du requérant qui préoccupent le Tribunal. Tout d'abord, bien que le requérant ait indiqué qu'il souhaitait représenter «tous les artistes et les artisans...», il a par ailleurs informé le Tribunal qu'à l'assemblée annuelle, soit le 14 juin 1997, on proposera une modification aux règlements généraux de l'association qui restreindra l'admission comme membre artisan professionnel aux artistes et artisans qui sont citoyens canadiens ou immigrants reçus et qui ont résidence et domicile au Québec. La première préoccupation du Tribunal découle du fait qu'une fois accrédité, le requérant détient le droit exclusif de négocier au nom d'artistes et d'artisans qui ne pourraient adhérer à l'association, ni voter sur des questions les concernant, ni participer aux activités de l'organisme.

(C'est nous qui soulignons)

[68] La Loi sur le statut de l'artiste prévoit que l'accréditation d'une association d'artistes est subordonnée à la prise de règlements qui habilitent ses membres actifs à participer à ses assemblées, à y voter et à se prononcer par scrutin sur la ratification de tout accord-cadre les visant (alinéa 23(1) b)). Si, toutefois, les règlements de l'association empêchent un artiste d'en devenir membre en raison de son statut personnel au Canada, les personnes comprises dans le secteur et qui ne sont pas des citoyens canadiens ou des immigrants reçus (ne pouvant donc devenir membres de l'association) se voient véritablement privées de droits.

[69] Divers types de statuts autres que la citoyenneté sont reconnus au Canada. Les personnes inscrites conformément à la Loi sur les Indiens, les résidents permanents, les réfugiés au sens de la Convention, les visiteurs et les titulaires d'un permis du ministre peuvent tous légitimement se trouver au Canada. L'expression «immigrant reçu» est souvent utilisée par les profanes pour désigner les personnes disposant du statut de résident permanent; être «reçu», c'est avoir l'autorisation d'établir sa résidence permanente au Canada.

[70] Le Tribunal comprend bien que le motif pour lequel certaines associations d'artistes ont prévu dans leurs règlements une restriction à l'adhésion est lié à un programme autrefois offert par le Conseil des arts du Canada pour payer une partie des dépenses d'exploitation des associations oeuvrant au bien-être des artistes canadiens. Ce programme a été éliminé progressivement après 1995, mais les règlements de certaines associations continuent de prévoir les restrictions en cause. Dans l'affaire concernant le CMAQ mentionnée ci-dessus, l'association en cause a décidé d'éliminer la restriction et de permettre ainsi l'adhésion aux artistes professionnels quel que soit leur statut au Canada. Le Tribunal a ensuite éliminé la restriction prévue dans la définition du secteur (se reporter à la décision n° 026, le 26 juin 1998).

[71] Le Tribunal n'entend pas exiger que toutes les associations d'artistes éliminent de leurs règlements les restrictions à l'adhésion fondées sur la citoyenneté ou le statut personnel au Canada. Toutefois, lorsque de telles restrictions existent et sont appliquées par une association, le Tribunal pourra limiter la portée du secteur de manière à s'assurer que l'association ne dispose pas du droit exclusif de représenter des personnes à qui il est interdit de joindre ses rangs et de se prononcer par scrutin sur des questions qui les concernent.

[72] Puisque les règlements de la requérante prévoient que seuls les citoyens et les immigrants reçus peuvent en devenir membres et que l'association n'a pu convaincre le Tribunal qu'elle renonce habituellement à appliquer cette condition d'adhésion, le Tribunal restreindra la définition du secteur de manière à ce qu'il ne vise que les auteurs d'oeuvres littéraires qui sont des citoyens canadiens ou des immigrants reçus.

Conclusion à l'égard du secteur

[73] Ayant examiné toutes les observations orales et écrites de la requérante et des intervenants, le Tribunal conclut que le secteur approprié aux fins de la négociation comprend les entrepreneurs indépendants, qui sont des citoyens canadiens ou des immigrants reçus, engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste à titre :

  1. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, destinées à être publiées en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique;
  2. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, publiées initialement en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique et destinées à être exécutées ou à être adaptées pour d'autres médias, y compris l'audio, l'audiovisuel, le multimédia ou d'autres formes électroniques;
    mais à l'exclusion :
    1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 4 juin 1996;
    2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 25 juin 1996;
    3. des auteurs dramatiques visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 13 décembre 1996.

Question 3 : La requérante est-elle représentative des artistes de ce secteur?

[74] Environ 6 000 écrivains tirent profit du Programme du droit du prêt public. Toutes ces personnes ne feraient pas nécessairement partie du secteur visé par la demande de TWUC, mais leur nombre donne une idée de la taille éventuelle du secteur.

[75] TWUC compte 1 212 membres. Parmi ceux-ci, soixante-dix sont également membres de la LCP, qui représente au total 300 poètes dont les oeuvres sont publiées. Comme la LCP a confié au TWUC le mandat de la représenter aux fins de la demande d'accréditation, le Tribunal conclut qu'à la date de la demande, TWUC représentait environ 1 442 écrivains du secteur proposé. Nous notons que TWUC mène actuellement une campagne de recrutement en vue d'augmenter le nombre de ses membres.

[76] Aucune autre association d'artistes n'a demandé à représenter les intérêts des artistes du secteur que le Tribunal a jugé être approprié aux fins de la négociation collective. Le Tribunal en vient donc à la conclusion que The Writers' Union of Canada est l'association d'artistes la plus représentative des artistes du secteur en cause.

Décision

[77] Pour ces motifs et attendu que la requérante se conforme aux exigences de l'article 23 de la Loi sur le statut de l'artiste, le Tribunal :

Déclare que le secteur de négociation est un secteur composé d'entrepreneurs indépendants, qui sont des citoyens canadiens ou des immigrants reçus, engagés par un producteur assujetti à la Loi sur le statut de l'artiste à titre :

  1. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, destinées à être publiées en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique;
  2. d'auteurs d'oeuvres littéraires en langues autres que le français, destinées à être publiées en volumes, sous forme multimédia ou sous forme électronique et destinées à être exécutées ou à être adaptées pour d'autres médias, y compris l'audio, l'audiovisuel, le multimédia ou d'autres formes électroniques;
    mais à l'exclusion :
    1. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Periodical Writers Association of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 4 juin 1996;
    2. des auteurs visés par l'accréditation accordée à la Writers Guild of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 25 juin 1996;
    3. des auteurs dramatiques visés par l'accréditation accordée à la Playwrights Union of Canada par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs le 13 décembre 1996.

Déclare que The Writers' Union of Canada est l'association la plus représentative des artistes de ce secteur.

Une ordonnance sera rendue pour confirmer l'accréditation de The Writers' Union of Canada à titre de représentante dudit secteur.

Ottawa, le 17 novembre 1998

David P. Silcox

André T. Fortier

Curtis Barlow

Meeka Walsh

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