Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 013

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 17 mai 1996 Dossier No : 95-0011-A


Concernant la demande d'accréditation déposée par la société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec


Décision du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs

La demande d'accréditation est accordée.

Lieu de l'audience : Montréal (Québec)

Date de l'audience : 11 et 12 avril 1996

Quorum: M. André Fortier, président
M. Armand Lavoie, membre
M. David P. Silcox, membre

Présences :
Brodeur, Matteau, Poirier, Me Colette Matteau;
Mme Francine Bertrand-Venne et M. Robert Léger pour la requérante.
Perley-Roberston, Panet, Hill & McDougall, Me Howard P. Knopf;
M. David Basskin pour la Canadian Musical Reproduction Rights Agency Limited et la Canadian Music Publishers Association. Martineau, Walker, Me Stéphane Gilker pour la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques.
Brodeur, Matteau, Poirier, Me Colette Matteau; Mme Claudette Fortier pour la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada inc.


Motifs de décision

95-0011-A : Concernant la demande d'accréditation déposée par la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec (SPACQ)


Exposé des faits

[1] Il s'agit d'une demande d'accréditation en vertu de l'article 25 de la Loi sur le statut de l'artiste (L.C. 1992, ch. 33, appelée ci-après «la Loi») déposée auprès du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (appelé ci-après le «Tribunal») par la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec le 16 octobre 1995. L'audition de la demande a eu lieu à Montréal les 11 et 12 avril 1996.

[2] La requérante a présenté une demande en vue de représenter un secteur qui comprend les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs d'une chanson en langue française, d'une musique destinée à la radiodiffusion française, ou d'une musique lorsque l'artiste est domicilié ou résidant au Québec, commandées par un producteur visé à la Loi sur le statut de l'artiste.

[3] Un avis public annonçant cette demande a été publié dans la Gazette du Canada le samedi 4 novembre 1995 ainsi que dans le Globe and Mail et dans La Presse, le 16 novembre 1995. Cet avis est également paru dans l'INFO-FAX de la Conférence canadienne des arts du mois de novembre 1995, dans le bulletin Qui-vive de la Fédération culturelle canadienne-française de décembre 1995, dans la revue Musicien québécois de novembre/décembre 1995 et dans la revue Professional Sound de décembre 1995. Cet avis public fixait au 15 décembre 1995 la date limite pour le dépôt des avis d'intervention par les artistes, les associations d'artistes et les producteurs.

[4] Tel que le prévoit le paragraphe 26(2) de la Loi, les producteurs visés par une demande d'accréditation peuvent intervenir sans l'autorisation visée au paragraphe 19(3) de la Loi sur toute question liée à la définition du secteur. À ce titre, le Tribunal a reçu des avis d'intervention de la part de l'Office national du film du Canada (ONF), de la Société Radio-Canada (SRC) et du Réseau de Télévision Quatre Saisons inc. (TQS). L'ONF a fait savoir au Tribunal qu'il ne souhaitait intervenir que dans le cas où le secteur proposé était modifié. SRC et TQS n'ont déposé aucune observation écrite et n'ont pas envoyé de représentant à l'audience.

[5] Quatre sociétés de gestion collective du droit d'auteur, soit la Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) inc., la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et la Canadian Musical Reproduction Rights Agency Limited (CMRRA), ont avisé le Tribunal qu'ils souhaitaient intervenir dans le dossier. Dans la décision partielle (no 007) rendue le 23 février 1996, le Tribunal accordait à la SODRAC, la SOCAN, la SACD et à la CMRRA, en application du paragraphe 19(3) de la Loi, la permission d'intervenir de façon limitée devant le Tribunal pour y faire des observations sur la définition du secteur de négociation et sur la représentativité de la requérante.

[6] La Canadian Music Publishers Association (CMPA) a également démandé d'intervenir dans le dossier. Le Tribunal a accordé à la CMPA, sous réserve du dépôt de sa liste de membres, la permission d'intervenir de façon limitée devant le Tribunal pour y faire des observations sur la définition du secteur de négociation dans la décision partielle no 007. La CMPA a déposé, à titre confidentiel, sa liste de membres le 5 mars 1996.

[7] Dans les semaines qui ont précédé l'audition de la demande, le Tribunal a été informé que la requérante avait signé des ententes avec la SACD, la SOCAN et la SODRAC.

[8] À l'ouverture de l'audience, soit le 11 avril 1996, la CMPA et la CMRRA ont conjointement présenté une motion orale au Tribunal afin de faire valoir des arguments constitutionnels selon lesquels la Loi sur le statut de l'artiste était ultra vires le Parlement canadien et/ou qu'elle contrevenait à l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés [Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11]. Le Tribunal a rejeté la motion au motif qu'aucun avis n'avait été signifié au Procureur général du Canada ni à ceux des provinces tel que prescrit à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale (L.R.C. 1985, ch. F-7). Puisque la question de la validité constitutionnelle de la Loi sur le statut de l'artiste n'était pas une question dont il était dûment saisi, le Tribunal ne pouvait donner suite à la motion.

[9] Le Tribunal a de plus souligné que la CMPA et la CMRRA participaient au présent dossier à titre d'intervenants en application du paragraphe 19(3) de la Loi. En vertu de cette disposition, le Tribunal peut accorder à toute personne «intéressée» l'autorisation d'intervenir. Le statut d'intervenant est accordé si le Tribunal estime que la participation de l'intervenant l'assisterait à résoudre les questions dont il est saisi. L'ordonnance procédurale (no 0011-1), rendue le 23 février 1996, énonçait les questions à l'égard desquelles la CMPA et la CMRRA pouvaient présenter des observations (voir les paragraphes 5 et 6 ci-dessus). Le statut d'intervenant n'a pas été accordé à l'intervenant dans le but de lui permettre de soulever des questions que la partie requérante n'a pas elle-même soulevées. À ce sujet, le Tribunal a cité la décision de la Cour suprême du Canada, Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 446.

[10] Au début de l'audience également, la requérante a déposé un nouveau libellé du secteur proposé qui se lit comme suit :

Les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs :

  • d'une chanson en langue française commandée par un producteur visé à la Loi sur le statut de l'artiste
    d'une musique sans paroles commandée par un radiodiffuseur français
  • d'une musique sans paroles commandée à un artiste domicilié ou résidant au Québec par un producteur visé à Loi sur le statut de l'artiste.

La requérante a affirmé qu'elle apportait cette modification dans le but de clarifier sa demande suite aux préoccupations soulevées par la Songwriters Association of Canada, la CMPA et la CMRRA.

[11] La CMPA et la CMRRA ont allégué que le libellé du secteur proposé par la requérante était devenu une «cible mobile». Elles ont demandé au Tribunal de suspendre l'audience pour une période de trois ou quatre semaines afin qu'elles puissent considérer l'«envergure» du secteur. En refusant de donner suite à cette demande, le Tribunal a noté que la CMPA et la CMRRA avaient eu l'occasion de s'informer de l'envergure du secteur proposé depuis au moins le 23 février 1996, date à laquelle elles ont obtenu le statut d'intervenant. Le Tribunal a estimé que la modification au libellé du secteur proposé, déposé par la requérante, ne faisait que restreindre et clarifier le secteur proposé. Bien que le Tribunal encourage la coopération et la négociation entre les parties ayant un intérêt quant à un secteur proposé, la définition finale à donner à un secteur revient au Tribunal. Ayant jugé qu'une suspension de l'audience aurait été peu utile, le Tribunal a refusé de surseoir à l'audience et a donc décidé d'entendre les observations des participants afin de l'aider à rendre sa décision.

[12] La demande d'accréditation de la SPACQ soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que le secteur proposé par la requérante est un secteur approprié aux fins de la négociation?

  2. La requérante est-elle représentative des artistes du secteur?

La loi sur le statut de l'artiste

[13] Les dispositions de la Loi sur le statut de l'artiste portant sur l'accréditation se trouvent aux articles 25 à 28 :

25. (1) Toute association d'artistes dûment autorisée par ses membres peut demander au Tribunal de l'accréditer pour un ou plusieurs secteurs :

  1. à tout moment, si la demande vise un ou des secteurs pour lesquels aucune association n'est accréditée et si le Tribunal n'a été saisi d'aucune autre demande;
  2. dans les trois mois précédant la date d'expiration d'une accréditation ou de son renouvellement, s'il y a au moins un accord-cadre en vigueur pour le secteur visé;
  3. sinon, un an après la date de l'accréditation ou de son renouvellement, ou dans le délai inférieur fixé, sur demande, par le Tribunal.

(2) La demande est accompagnée d'une copie certifiée conforme des règlements de l'association, de la liste de ses membres et de tout autre renseignement requis par le Tribunal.

(3) Le Tribunal fait, dès que possible, publier un avis de toute demande d'accréditation pour un secteur donné et y précise le délai dans lequel d'autres associations d'artistes pourront, par dérogation au paragraphe (1), solliciter l'accréditation pour tout ou partie de ce secteur.

(4) La demande d'accréditation est toutefois, sauf autorisation du Tribunal, irrecevable une fois expiré le délai mentionné au paragraphe (3).

26. (1) Une fois expiré le délai mentionné au paragraphe 25(3), le Tribunal définit le ou les secteurs de négociation visés et tient compte notamment de la communauté d'intérêts des artistes en cause et de l'historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs concernés en matière de négociations, d'accords-cadres et de toutes autres ententes portant sur des conditions d'engagement d'artistes, ainsi que des critères linguistiques et géographiques qu'il estime pertinents.

(2) Les artistes visés par une demande, les associations d'artistes et les producteurs peuvent intervenir devant le Tribunal, sans l'autorisation visée au paragraphe 19(3), sur toute question liée à la définition du secteur de négociation.

(3) Le Tribunal communique sans délai sa décision à l'association intéressée et aux intervenants; cette décision est réputée, par dérogation à l'article 21, interlocutoire.

27. (1) Une fois le secteur défini, le Tribunal détermine, à la date du dépôt de la demande ou à toute autre date qu'il estime indiquée, la représentativité de l'association d'artistes.

(2) Les artistes visés par la demande et les associations d'artistes peuvent intervenir devant le Tribunal, sans l'autorisation visée au paragraphe 19(3), sur toute question liée à la détermination de la représentativité.

28. (1) Le Tribunal délivre l'accréditation s'il est convaincu que l'association est la plus représentative du secteur visé.

(2) L'accréditation est valable pour trois ans à compter de sa délivrance et, sous réserve du paragraphe (3), est renouvelable automatiquement, une ou plusieurs fois, pour la même période.

(3) Le dépôt, dans les trois mois précédant l'expiration de l'accréditation ou de son renouvellement, d'une demande d'annulation ou d'une autre demande d'accréditation visant le même ou sensiblement le même secteur emporte prorogation de l'accréditation jusqu'à ce que le Tribunal statue sur la demande, le renouvellement ne prenant effet, en cas de rejet de celle-ci, qu'à la date de la décision.

(4) Le Tribunal tient un registre des accréditations avec mention de leur date de délivrance.

(5) L'accréditation d'une association d'artistes emporte :

  1. le droit exclusif de négocier au nom des artistes du secteur visé;
  2. révocation, en ce qui les touche, de l'accréditation de toute autre association;
  3. dans la mesure où ils sont visés, substitution de l'association - en qualité de partie à l'accord-cadre -- à l'association nommément désignée dans celui-ci ou à son successeur.

Questions soulevées

Question 1 : Est-ce que le secteur proposé par la requérante est un secteur approprié aux fins de la négociation?

[14] Le nouveau libellé du secteur proposé par la requérante vise les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs :

  • d'une chanson en langue française commandée par un producteur visé à la Loi sur le statut de l'artiste
  • d'une musique sans paroles commandée par un radiodiffuseur français
  • d'une musique sans paroles commandée à un artiste domicilié ou résidant au Québec par un producteur visé à Loi sur le statut de l'artiste.

[15] La requérante demande au Tribunal de prendre acte de deux ententes. La première étant intervenue avec la SACD, et la deuxième avec la SOCAN. Ces deux ententes renferment les clauses suivantes à l'égard de la demande de la requérante :

1. [...] l'accréditation qu'elle requiert aux termes de la Loi sur le statut de l'artiste (la «LSA») :

  • 1.1 ne vise que la prestation de ses services, par un auteur, un compositeur ou auteur-compositeur visé par ce secteur, pour le compte d'un producteur visé par la LSA, et
  • 1.2 n'emporte pas le droit de négocier ou de conclure quelque cession, licence ou autre autorisation portant sur les droits d'auteur afférents aux oeuvres créées par les auteurs, compositeurs ou auteurs-compositeurs visés par ce secteur pour le compte d'un producteur visé par la LSA, non plus que les rémunérations ou autres modalités afférentes à de telles cessions, licences ou autres autorisations;

2. La présente entente ne porte pas atteinte et ne fait pas obstacle à la négociation par la SPACQ de cachets différés ou droits de suite reliés à la prestation de services couverte par le secteur de négociation pour autant que le paiement de ces cachets différés ou droits de suite ne constitue pas une contrepartie à l'octroi de cession, licence ou autre autorisation visée par le paragraphe 1.2.

[16] De même, la requérante demande au Tribunal de prendre acte de l'entente intervenue entre elle et la SODRAC, entente qui précise que la demande d'accréditation de la requérante «ne vise pas la gestion collective du droit d'auteur à laquelle se livre la SODRAC».

[17] Conformément au paragraphe 26(1) de la Loi, afin de définir le secteur, le Tribunal doit considérer la communauté d'intérêts des artistes en cause, l'historique des relations professionnelles entre les artistes, leurs associations et les producteurs concernés en matière de négociations, les accords-cadres et toutes autres ententes portant sur les conditions d'engagement des artistes, de même que les critères linguistiques et géographiques qu'il estime pertinents.

La communauté d'intérêts des artistes, critères linguistiques et géographiques

[18] La requérante signale l'intérêt commun des auteurs-compositeurs de chansons de langue française lorsque la même personne écrit les paroles et la musique, mais aussi lorsque deux personnes, parolier et compositeur, s'associent étroitement pour produire une oeuvre en elle-même indissociable.

[19] Selon la requérante, son but premier est de défendre les créateurs et de promouvoir la chanson québécoise. Elle a cependant fait part au Tribunal de son intention de modifier ses règlements pour que les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs de chansons en langue française résidant partout au Canada puissent en devenir membres.

[20] D'autre part, la requérante note deux faits : les créateurs francophones d'oeuvres musicales résident dans leur très grande majorité au Québec et les créateurs d'oeuvres musicales résidant au Québec sont en très grande majorité des francophones. Elle est donc d'avis qu'il ne doit pas y avoir parmi ces artistes des sous-groupes dont les intérêts au niveau des relations professionnelles ne seraient pas représentés. Elle soutient de plus qu'il faut établir une unité de négociation viable et fonctionnelle compte tenu de la structure des producteurs relevant de la compétence fédérale.

[21] À l'appui de sa demande touchant la musique sans paroles, la requérante indique qu'elle a obtenu de la Commission de reconnaissance des associations d'artistes du Québec la reconnaissance pour représenter «les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs d'oeuvres musicales commandées par un ou des producteurs dans tous les domaines de la production artistique au Québec.»

[22] Au chapitre de la communauté d'intérêts des artistes et des critères linguistiques et géographiques pertinents, le Tribunal a entendu les arguments de la CMRRA et de la CMPA. La CMPA a été fondée en 1949 et représente la majorité des éditeurs de musique qui exercent leurs activités au Canada. Les principales activités de la CMPA touchent la réforme du droit d'auteur, les questions intéressant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et l'interaction entre les secteurs culturels du Canada et les technologies nouvelles ou expérimentales. La CMPA intervient au nom des compositeurs, des arrangeurs, des paroliers, des écrivains et auteurs de paroles ou de musique d'oeuvres musicales ou de chansons.

[23] La CMRRA, une filiale de la CMPA, a été fondée en 1975 et exerce ses activités au nom de plus de 30 000 éditeurs de musique et de titulaires de droit d'auteur. Elle accorde des licences aux utilisateurs en vue de la reproduction d'oeuvres musicales, et notamment aux télédiffuseurs en vue de la reproduction de musique dans leurs propres productions. En vertu de ses ententes avec les éditeurs, la CMRRA est la société de gestion de milliers de compositeurs du Canada, y compris des compositeurs du Québec, en ce qui concerne les aspects essentiels du droit d'auteur sur leurs oeuvres.

[24] Dans leurs observations écrites initiales, ces deux intervenants s'opposent au secteur proposé par la requérante parce qu'à leur avis les compositeurs de chansons en langue française, domiciliés ou résidant au Québec, devront devenir membres de la SPACQ et devront être représentés par celle-ci pour la gestion de leurs droits d'auteur, y compris les droits de reproduction.

[25] Par ailleurs, la CMRRA et la CMPA sont d'avis que le secteur proposé par la requérante affecterait les compositeurs où que soit leur lieu de résidence dans le cas où leur oeuvre est destinée à la radiodiffusion française. Elles font valoir qu'une telle situation est inacceptable aux milliers de compositeurs qui résident partout au Canada et ailleurs. Elles concluent qu'il n'est pas utile ou nécessaire qu'une association d'artistes ait des droits exclusifs de quelque nature pour représenter les compositeurs au Canada ou au Québec.

[26] Lors de l'audience, les intervenants ont indiqué qu'ils n'avaient aucune objection à ce que la requérante négocie pour le bien de ses membres, mais ils ont réitéré leur opposition au secteur proposé en raison des conséquences de cette accréditation. Comme conséquences, ils allèguent que l'accréditation de la requérante obligerait les compositeurs et titulaires de droits d'auteur qui ne sont pas membres de la SPACQ d'y adhérer, de lui payer des cotisations, de signer des contrats d'engagement avec des producteurs à des conditions négociées par elle et d'être obligés de traiter avec une société de gestion collective du droit d'auteur avec laquelle ils ne font pas affaire ou avec qui ils ne veulent pas s'associer, et à qui ils ne veulent pas payer de redevances. Dans leur plaidoirie, la CMRRA et la CMPA ont aussi soulevé les problèmes qui pourraient survenir dans les cas où un compositeur anglophone résidant ailleurs qu'au Québec s'associe à un compositeur du Québec lors d'une coproduction.

[27] Dans le but d'assister le Tribunal à définir un secteur, la CMRRA et la CMPA ont déposé un nouveau libellé pour le secteur proposé qui se lit comme suit :

[Traduction]

Les compositeurs et paroliers domiciliés au Québec qui écrivent des paroles de chansons (à l'exception des opéras, des oratorios, des comédies musicales et des autres oeuvres pour lesquelles des «droits sur des concessions» pourraient s'appliquer ou de toute oeuvre instrumentale sans paroles) principalement en français pour la seule fin des négociations des droits sur lesdites chansons commandées par des producteurs d'expression française qui sont directement assujettis à la Loi sur le statut de l'artiste et pour aucune fin liée aux droits prévus par la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch.42, telle que modifiée.

[28] En réponse aux intervenants, la requérante a affirmé que la grande majorité des auteurs et compositeurs francophones résident au Québec, qu'il y a effectivement une communauté d'intérêts entre eux au Québec de même qu'avec les francophones qui vivent ailleurs au Canada. La requérante a de plus fait valoir que cette communauté d'intérêts existe pour la création d'une chanson en français ou d'une oeuvre musicale sans paroles commandée par un radiodiffuseur français.

[29] La requérante note de plus que la modification au secteur proposé qu'elle a déposée à l'audience indique clairement qu'il s'agit d'oeuvres commandées et non pas d'oeuvres destinées à la radiodiffusion française. Elle a affirmé que les possibilités que des radiodiffuseurs français au Canada commandent des oeuvres à d'autres que des francophones sont très limitées.

[30] Quant aux autres questions soulevées par les intervenants, la requérante souligne que l'article 8 de la Loi sur le statut de l'artiste prévoit qu'un artiste est libre d'adhérer à une association d'artistes et que les Chartes canadienne et québécoise prévoient aussi la liberté d'association. Quant aux cotisations qu'un artiste pourrait avoir à payer à une association accréditée, la requérante estime que cela est une conséquence normale de la négociation collective puisque l'association représente tous les artistes du secteur qu'ils soient membres ou non de l'association. Elle note que les conditions à être négociées entre une association d'artistes accréditée et un producteur auquel la Loi s'applique sont des conditions minimales et ne limitent en rien la possibilité pour un auteur ou un compositeur de négocier à la hausse, et que l'artiste créateur demeure toujours propriétaire de son droit d'auteur qu'il peut céder ou non à la société de gestion collective de son choix. À titre d'exemple, elle a indiqué que le contrat qu'elle négocie présentement avec l'Association des producteurs de film et de télévision du Québec ne contient aucune stipulation selon laquelle l'artiste doit céder son droit d'auteur à une société de gestion collective nommée. Enfin, la requérante affirme que l'article 55 de la Loi prévoit la marche à suivre dans les cas de coproductions.

[31] Bien qu'un artiste dans un secteur donné soit lié par un accord-cadre négocié par Loi prévoit que tout artiste peut bénéficier d'un contrat individuel ayant des avantages plus favorables. Le paragraphe 33(4) prévoit en effet que :

L'accord-cadre l'emporte sur les stipulations incompatibles de tout contrat individuel entre un artiste et un producteur, mais n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages plus favorables acquis par un artiste sous leur régime. [Nos italiques]

[32] Les intervenants n'ayant présenté aucune preuve du contraire, le Tribunal accepte la preuve de la requérante selon laquelle toute accréditation qui lui serait accordée n'aurait pas pour effet de forcer un artiste à céder son droit d'auteur soit à la SPACQ ou à la SODRAC.

[33] Ayant tenu compte de toutes les observations orales et écrites pertinentes, le Tribunal conclut qu'il existe une communauté d'intérêts pour les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs domiciliés ou résidant au Québec.

[34] Par ailleurs, le Tribunal estime qu'il existe également une communauté d'intérêts pour les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs de chansons en langue française partout au Canada.

[35] Cependant, lorsqu'il s'agit de la commande d'une musique sans paroles, le secteur proposé par la requérante aurait pour effet d'inclure tous les artistes sans égard à leur lieu de résidence lorsque ceux-ci composent une musique sans paroles pour un radiodiffuseur français. Ayant considéré les représentations de la requérante et des intervenants sur cette question, le Tribunal est d'avis que le secteur tel que proposé par la requérante aurait une portée trop large. Le Tribunal estime donc qu'il serait approprié de limiter la portée du secteur aux artistes domiciliés ou résidant au Québec qui composent une oeuvre commandée par un radiodiffuseur français au Canada.

[36] D'autre part, le secteur proposé par la requérante aurait également pour effet d'inclure les artistes domiciliés ou résidant au Québec qui composent une musique sans paroles commandée par tous les producteurs assujettis à la Loi sur le statut de l'artiste au Canada. Selon nous, la gestion d'un tel secteur serait difficile. C'est pourquoi nous sommes d'avis qu'il serait approprié de limiter la portée du secteur aux artistes domiciliés ou résidant au Québec qui composent une musique sans paroles commandée par tout producteur visé à la Loi sur le statut de l'artiste qui est établi sur le territoire du Québec.

L'historique des relations professionnelles

[37] La SPACQ a été créée en 1981 pour défendre les intérêts des créateurs et promouvoir la chanson québécoise auprès des législateurs, des gouvernements et des utilisateurs de leurs oeuvres. La requérante n'est pas une société collective de gestion du droit d'auteur, mais elle est particulièrement active dans ce domaine par ses nombreuses interventions auprès du gouvernement fédéral et de la Commission du droit d'auteur. Elle intervient auprès du CRTC pour la défense du contenu canadien et francophone, et elle collabore avec de nombreux organismes oeuvrant dans le domaine de la chanson, de la musique et du droit d'auteur.

[38] L'activité de la requérante au chapitre des relations professionnelles est plus récente et découle de la reconnaissance que lui a accordée la Commission de reconnaissance des associations d'artistes du Québec. À ce titre, elle négocie actuellement avec l'Association des producteurs de film et télévision du Québec pour établir une entente collective visant la création de la trame sonore du film destinée aux salles et aux vidéoclubs.

Conclusion à l'égard du secteur de négociation

[39] Après avoir considéré toutes les observations orales et écrites de la requérante et des intervenants, le Tribunal convient que le secteur approprié aux fins de la négociation est un secteur qui comprend les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs :

  1. d'une chanson en langue française commandée par un producteur visé à la Loi sur le statut de l'artiste;
  2. d'une musique sans paroles commandée à un artiste domicilié ou résidant au Québec par un radiodiffuseur français visé à la Loi sur le statut de l'artiste partout au Canada;
  3. d'une musique sans paroles commandée à un artiste domicilié ou résidant au Québec par un producteur au Québec visé à la Loi sur le statut de l'artiste.

Question 2 : La requérante est-elle représentative des artistes du secteur?

[40] La requérante affirme que ses membres sont au nombre d'une centaine. En s'appuyant sur les données de Statistiques Canada de 1991, elle rapporte qu'il y a 235 personnes au Québec dans une catégorie d'artistes où apparaissent entre autres les titres de professions visés par la SPACQ. Cependant, ces statistiques ne distinguent pas selon la langue de création. Puisqu'aucun artiste et aucune autre association d'artistes n'est intervenu pour contester sa représentativité lors de la demande de reconnaissance faite au Québec en 1990 et dans la demande actuelle auprès du Tribunal, elle soutient qu'elle est complètement représentative des auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs du Québec pour le secteur proposé.

[41] En ce qui concerne les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs de chansons en langue française résidant en dehors du Québec, la requérante affirme avoir représenté leurs intérêts lors de leur nombreuses interventions auprès du gouvernement canadien, de la Commission du droit d'auteur, du CRTC et autres organismes. Elle souligne qu'aucune association d'artistes de l'extérieur du Québec n'est intervenue, comme ce fut le cas dans d'autres demandes d'accréditation entendues par le Tribunal. La requérante croit que ces auteurs et compositeurs ne sont pas représentés. Pour développer son rôle pancanadien et permettre aux auteurs-compositeurs à l'extérieur du Québec d'y adhérer, la requérante affirme qu'elle apportera des modifications à ses règlements.

[42] Le Tribunal accepte la prétention de la requérante qu'elle est la plus représentative des artistes dans le secteur visé.

Décision

[43] Pour toutes ces raisons et attendu que la requérante se conforme aux exigences de l'article 23 de la Loi sur le statut de l'artiste, le Tribunal :

Déclare que le secteur approprié aux fins de la négociation est un secteur qui comprend les auteurs, compositeurs et auteurs-compositeurs :

  1. d'une chanson en langue française commandée par un producteur visé à la Loi sur le statut de l'artiste;
  2. d'une musique sans paroles commandée à un artiste domicilié ou résidant au Québec par un radiodiffuseur français visé à la Loi sur le statut de l'artiste partout au Canada;
  3. d'une musique sans paroles commandée à un artiste domicilié ou résidant au Québec par un producteur au Québec visé à la Loi sur le statut de l'artiste.

Déclare que la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec est la plus représentative des artistes du secteur.

Une ordonnance sera émise pour confirmer l'accréditation de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec pour ce secteur.

Ottawa, le 17 mai 1996

André Fortier, président p.i.

J.A. Lavoie, membre

David P. Silcox, membre

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