Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Alliance de la Fonction publique du Canada,

plaignante,

et

Listuguj Mi'gmaq First Nation Council,

intimé.

Dossier du Conseil : 28612-C

Référence neutre : 2014 CCRI 751

Le 10 décembre 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de MWilliam G. McMurray, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Des téléconférences de gestion de l’affaire (TGA) ont été tenues les 23 juillet et 14 février 2013. Des audiences ont eu lieu du 12 au 14 octobre 2011, du 26 au 28 mars 2012 et du 14 au 16 novembre 2012, à Moncton, et le 16 juillet 2013, à Montréal.

Ont comparu

Mes Andrew J. Raven, Michael Fisher et Mary Mackinnon, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada;

Me Jamie C. Eddy, pour le Listuguj Mi’gmaq First Nation Council.

I. Nature de la plainte

[1] Le Conseil est saisi d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC, la plaignante ou le syndicat), en vertu de l’alinéa 97(1)a) du Code.

[2] La plainte a été déposée le 28 février 2011 contre le Listuguj Mi'gmaq First Nation Council (le conseil de bande, l’intimé ou l’employeur), l’employeur d’un groupe d’enseignants qui travaillent à l’école locale.

[3] Par ordonnance no 9375-U datée du 28 novembre 2007, le Conseil avait accrédité le syndicat à titre d’agent négociateur exclusif d’une unité de négociation composée principalement d’enseignants. Le syndicat cherchait à négocier sa première convention collective. Selon le syndicat, une première convention collective a été conclue par les deux parties le ou vers le 2 décembre 2010, sous réserve de ratification.

[4] Le syndicat allègue que l’employeur a manqué à son obligation de négocier collectivement de bonne foi, tel qu’il est énoncé à l’alinéa 50a) du Code. Plus précisément, le syndicat allègue que l’employeur a négligé ou refusé d’indiquer s’il avait ratifié ou non le premier projet de convention collective.

[5] En guise de redressement, le syndicat demande au Conseil, entre autres choses, de rendre une ordonnance enjoignant à l’employeur de s’acquitter de son obligation de négocier collectivement de bonne foi en vertu de l’alinéa 50a) du Code.

[6] Comme il sera expliqué dans le détail ci‑après, l’employeur a finalement décidé de ne pas ratifier le projet de convention collective et a informé le syndicat de sa décision avant le début de l’audience relative à la plainte dont le Conseil est saisi. Cela dit, ce n’est que le 27 mars 2012, dans le cadre du témoignage de vive voix d’un témoin de l’employeur, que l’employeur a révélé les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet de convention collective. L’employeur n’avait fourni aucun motif au syndicat avant cela.

[7] Le Conseil a décidé d’accueillir la plainte pour les motifs exposés ci-après. En raison de nombreux témoignages présentés à l’audience et d’une argumentation finale détaillée, le syndicat a convaincu le Conseil que l’employeur a manqué à son obligation de négocier collectivement de bonne foi et qu’il s’est par conséquent livré à une pratique déloyale de travail, en violation de l’article 50 du Code. Plus précisément, l’employeur a manqué à son obligation en ne communiquant pas efficacement et en temps opportun au syndicat les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet de convention collective.

II. Jurisprudence pertinente

A. L’obligation de négocier collectivement de bonne foi

[8] L’obligation de négocier collectivement de bonne foi est prévue à l’alinéa 50a) du Code :

50. Une fois l'avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s'appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[9] Dans un arrêt de 1996, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit relativement à l’alinéa 50a) du Code :

41. …Pour que la négociation collective soit un processus équitable et efficace, il est essentiel que l’employeur et le syndicat négocient dans le cadre des règles établies par le code du travail applicable. Dans le contexte du devoir de négocier de bonne foi, chaque partie doit s’engager à chercher honnêtement à trouver un compromis. Les deux parties doivent se présenter à la table des négociations avec de bonnes intentions.

42. L’alinéa 50a) du Code canadien du travail prévoit une double obligation. Non seulement les parties doivent négocier de bonne foi, mais encore elles doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les deux éléments sont d’égale importance et une partie déroge à cette disposition si elle ne remplit pas les deux obligations. Il peut fort bien y avoir des exceptions mais, en règle générale, l’obligation d’entamer des négociations de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d’activités. C’est la deuxième partie de l’obligation qui empêche une partie de se dérober en prétendant qu’elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu’objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d’activités qu’elles doivent être tenues pour déraisonnables.

(voir Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369).

[10] Il s’agit donc d’une double obligation. Non seulement les parties doivent négocier de bonne foi (sous-alinéa 50a)(i)), mais encore elles doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective (sous-alinéa 50a)(ii)). Les deux éléments sont d’égale importance et une partie déroge à l’article 50 si elle ne remplit pas les deux obligations.

[11] En règle générale, l’obligation d’entamer des négociations de bonne foi doit être évaluée selon une norme subjective.

[12] L’obligation de faire tout effort raisonnable doit être évaluée selon une norme objective. La norme objective permet au Conseil d’examiner des normes et des pratiques comparables dans un secteur d’activité en particulier.

[13] Selon la jurisprudence du Conseil et de son prédécesseur, l’obligation de faire tout effort raisonnable comprend une obligation pour les parties de communiquer efficacement entre elles. La communication efficace suppose que la communication n’est pas indûment retardée : NAV CANADA, 1999 CCRI 13, au paragraphe 171.

[14] Les parties sont tenues de communiquer entre elles afin de pouvoir discuter des questions de manière rationnelle et éclairée et de s’acquitter des obligations qui leur incombent aux termes de l’article 50 du Code : Première nation Ojibway de Sandy Bay, 2009 CCRI 440, au paragraphe 29. Les parties doivent être disposées à étudier sans restriction et à fond leurs positions respectives et, lorsque celles-ci diffèrent, à les justifier.

[15] Le Conseil doit donc s’assurer qu’une partie n’essaie pas d’agir de façon à empêcher ou à retarder indûment l’étude totale, éclairée et rationnelle des questions litigieuses lors des négociations : CKLW Radio Broadcasting Limited (1977), 23 di 51; et 77 CLLC 16,110 (CCRT n° 101), pages 58 et 59.

[16] Il convient aussi de souligner ce que l’alinéa 50a) n’englobe pas. Dans la jurisprudence du Conseil et de son prédécesseur, il est indiqué clairement qu’aucun des éléments de l’alinéa 50a) ne peut remplacer la valeur fondamentale des libres négociations collectives que garantit le Code. L’obligation de négocier ne vise pas à permettre qu’il soit fait entrave aux négociations collectives. Le Code repose sur la primauté des libres négociations collectives; par conséquent, les obligations imposées aux parties par l’alinéa 50a) ne doivent pas compromettre l’équilibre du pouvoir à la table de négociation.

[17] Si les parties atteignent leurs objectifs au moyen des négociations collectives, elles y parviennent grâce à leur pouvoir de négociation plutôt que grâce à l’aide ou à l’intervention du Conseil : Intek Communications inc., 2013 CCRI 683, au paragraphe 330.

[18] Le concept de libres négociations collectives n’englobe pas l’obligation de parvenir à une entente ou de conclure une convention collective : Tandy Electronics Ltd. (Radio Shack) v. United Steelworkers of America et al. (1980), 80 CLLC 14,017 (H.C.J. Ont.).

[19] Le pouvoir de surveillance que l’article 50 du Code confère au Conseil dans le contexte des négociations collectives a pour objet de faire en sorte que la valeur fondamentale des négociations collectives ait l’effet prévu; il n’a pas pour objet de la supplanter ou de la remplacer.

B. Pouvoirs en matière de redressement dans un cas de manquement à l’obligation de négocier

[20] Lorsqu’il est établi que l’une ou l’autre des parties a manqué à l’un ou l’autre des éléments de l’obligation imposée par l’article 50, le Conseil dispose de vastes pouvoirs discrétionnaires lui permettant de remédier à la pratique déloyale de travail sous‑jacente. Les pouvoirs du Conseil en matière de redressement sont décrits au paragraphe 99(2) et à l’alinéa 99(1)b.1).

[21] Le Conseil, comme c’était le cas pour son prédécesseur, dispose d’un pouvoir général de rendre une ordonnance qu’il est juste de rendre en l’occurrence pour obliger la partie contrevenante à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets du manquement. Le paragraphe 99(2) du Code stipule ce qui suit :

99.(2) Afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu’il est juste de rendre en l’occurrence et obligeant l’employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.

[22] En 1999, le Parlement a modifié le Code pour inclure, ou préciser, une mesure de redressement liée expressément à un manquement aux dispositions de l’alinéa 50a) du Code :

99.(1)b.1) dans le cas de l’alinéa 50a), enjoindre, par ordonnance, à l’employeur ou au syndicat d’inclure ou de retirer des conditions spécifiques de sa position de négociation ou ordonner l’application d’une méthode exécutoire de règlement des points en litige, s’il est d’avis que ces mesures sont nécessaires pour remédier aux effets de la violation.

Cette mesure de redressement permet au Conseil d’ordonner à la partie contrevenante d’inclure ou de retirer certaines conditions d’un projet de convention collective. Le Conseil peut ordonner l’application d’une méthode exécutoire de règlement des points en litige, si cette mesure est nécessaire pour remédier aux effets du manquement.

III. La preuve

[23] Le syndicat a fait entendre deux témoins : le représentant régional de l’AFPC et la présidente de la section locale de l’AFPC. La présidente de la section locale est aussi enseignante à l’école Alaqsite’w Gitpu (EAG) et fait donc partie de l’unité de négociation accréditée. Les témoins faisaient tous les deux partie de l’équipe de négociation, et leurs témoignages ont porté principalement sur le processus de négociations collectives qui a débuté en 2009 et a pris fin le 2 décembre 2010, par la conclusion d’un projet de convention collective. Comme il a été mentionné précédemment, ce projet de convention devait être ratifié par le syndicat de même que par le conseil de bande, l’employeur.

[24] La présidente de la section locale de l’AFPC a aussi été appelée à témoigner en contre‑preuve concernant la priorité d’emploi accordée récemment aux membres de la bande, puisque l’employeur a divulgué en mars 2012, au cours de l’audience devant le Conseil, qu’il souhaitait élargir la portée de l’article 5 du projet de convention collective qui porte sur la priorité d’emploi à l’EAG accordée aux membres de la bande.

[25] L’employeur a fait entendre deux témoins : le directeur des finances de la bande et l’administratrice de la bande.

[26] Il importe de souligner que, au moment où le syndicat a déposé sa plainte de pratique déloyale de travail auprès du Conseil en février 2011, l’employeur n’avait pas encore tenu la réunion du conseil de bande requise pour décider de ratifier ou non le projet de convention collective. Le 17 mars 2011, après une réunion du conseil de bande, l’employeur a informé le syndicat de sa décision de ne pas ratifier le projet. L’employeur a toutefois choisi de ne pas communiquer les motifs de sa décision.

[27] Il convient aussi de noter que, lorsqu’a débuté l’audience relative à la plainte du syndicat devant le Conseil en octobre 2011, l’employeur n’avait pas communiqué les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet de convention. Cet élément de preuve a été communiqué au syndicat et au Conseil le 27 mars 2012, pendant l’audience, dans le cadre du témoignage du directeur des finances de la bande.

[28] Les témoins de l’employeur ont tous les deux dit, dans leurs témoignages, que l’équipe de négociation de l’employeur et le conseil de bande souhaitaient conclure une première convention collective. En outre, les témoins de l’employeur ont tous les deux précisé, dans leurs témoignages, que la décision de l’employeur de ne pas ratifier le projet de convention collective n’avait pas pour objet de mettre fin au processus de négociations collectives. En tout temps, l’employeur a indiqué clairement qu’il souhaitait retourner à la table de négociation pour continuer de négocier. Autre fait important, les témoins de l’employeur ont tous les deux dit, dans leurs témoignages, que l’employeur estimait qu’il était toujours lié par la quasi-totalité des articles du projet de convention collective à la reprise des négociations.

[29] Le directeur des finances a indiqué que l’employeur a refusé de ratifier le projet de convention collective parce qu’il avait des préoccupations à l’égard de quatre articles en particulier que celui-ci contenait.

[30] Le directeur des finances a dit qu’une réunion du conseil de bande a eu lieu en janvier 2011 pour examiner le projet de convention collective et qu’il y a lui‑même assisté. Il a aussi dit dans son témoignage que, durant cette réunion, il a informé le conseil de bande de ses préoccupations quant au libellé de quatre articles en particulier. C’est en raison de ces quatre préoccupations que le conseil de bande a par la suite décidé, lors d’une réunion du conseil de bande en mars 2011, de ne pas ratifier le projet de convention.

[31] Selon le témoignage présenté par le directeur des finances au Conseil le 27 mars 2012, les quatre sujets de préoccupation pour l’employeur étaient les suivants : l’article 12.03, portant sur les indemnités de vacances; l’annexe A, portant sur l’accréditation d’un enseignant aux fins de la grille salariale; l’article 29, portant sur les normes de rendement des enseignants; et l’article 5, portant sur la priorité d’emploi à l’EAG accordée aux membres de la bande.

[32] L’employeur a indiqué que ses préoccupations à l’égard de l’article 12.03 et de l’annexe A n’étaient « pas majeures » (traduction). Autrement dit, l’employeur était d’avis que quelques changements ou précisions apportés au libellé suffiraient pour illustrer l’intention commune présumée des deux parties. L’employeur a précisé que ses préoccupations à l’égard des normes de rendement et de la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande étaient « plus importantes » (traduction). Autrement dit, le témoin de l’employeur a reconnu implicitement que le conseil de bande souhaitait, en mars 2011, faire apporter des changements à deux éléments du projet de convention collective dont il n’avait peut‑être pas informé son équipe de négociation lorsque les négociations collectives ont débuté en 2009.

[33] Les équipes de négociation avaient approuvé l’article 5 du projet de convention collective, qui prévoyait d’accorder une priorité d’emploi à l’EAG aux membres qualifiés de la bande. Nous avons appris que le conseil de bande souhaitait maintenant élargir cette priorité d’emploi, et ce, de manière considérable. Apparemment, le conseil de bande voulait avoir le droit de mettre fin sur‑le‑champ à l’emploi de n’importe quel enseignant de l’EAG qui n’était pas membre de la bande si un enseignant qualifié (un membre de la bande) était disponible. Le directeur des finances a indiqué que le conseil de bande voulait être en mesure d’embaucher comme enseignants à l’EAG des membres de la bande dès qu’ils ont terminé leurs études postsecondaires. Il a précisé que l’objectif du conseil de bande était de faire en sorte que tous les enseignants à l’EAG proviennent de la communauté. Il a en outre insisté sur le fait que le conseil de bande n’était « pas prêt à attendre l’attrition » (traduction) pour atteindre cet objectif.

[34] Il est intéressant de souligner le contraste entre le témoignage offert par le directeur des finances le 27 mars 2012 et l’exposé introductif présenté par l’employeur le 12 octobre 2011. L’exposé introductif de l’employeur était long, pertinent et détaillé. Il portait, entre autres choses, sur les préoccupations du conseil de bande relativement à certains articles du projet de convention collective. L’employeur n’y faisait toutefois état que de trois articles en particulier, au lieu de quatre.

[35] Dans son exposé introductif du 12 octobre 2011, l’employeur a indiqué qu’une réunion du conseil de bande a eu lieu en janvier 2011 pour examiner le projet de convention, que le conseil de bande a rencontré les membres de son équipe de négociation durant cette réunion pour discuter du projet de convention et que, à la suite de ces discussions, le conseil de bande a soulevé des préoccupations à l’égard de trois articles : les indemnités de vacances, la gestion du rendement, et l’accréditation des enseignants aux fins de la grille salariale. L’employeur n’a soulevé aucune préoccupation concernant la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande dans son exposé introductif. Le témoignage offert par le directeur des finances le 27 mars 2012 correspondait, pour l’essentiel, à l’exposé introductif de l’employeur, à l’exception de l’ajout d’un quatrième sujet de préoccupation : la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande, soit l’article 5 du projet de convention.

[36] C’est dans le contexte de cette audience que le syndicat a été mis au courant pour la première fois de l’intention de l’employeur d’élargir considérablement la portée de la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande. Le syndicat a fait entendre un témoignage en contre‑preuve pour faire la lumière sur les véritables pratiques d’embauche à l’EAG au cours des dernières années. Ce témoignage a été présenté par la présidente de la section locale de l’AFPC, qui travaille comme enseignante à l’EAG depuis environ 10 ans. Elle est l’une des quelque sept membres de l’unité de négociation accréditée qui n’est pas membre d’une Première Nation. Selon son témoignage, que le Conseil accepte, les mesures prises par le conseil de bande ne respectent pas l’objectif que celui-ci s’est fixé, qui consiste à n’embaucher que des enseignants provenant de la communauté. La présidente de la section locale de l’AFPC a donné des exemples assez récents de situations où le conseil de bande a préféré embaucher comme enseignants à l’EAG des gens ne provenant pas de la communauté plutôt que d’autres postulants qualifiés qui étaient membres de la communauté.

IV. Analyse

[37] Le Conseil est convaincu que l’employeur a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’alinéa 50a) du Code.

[38] Tel qu’il est mentionné dans la présente à la partie II – Jurisprudence pertinente, les parties sont tenues de communiquer entre elles afin de pouvoir discuter des questions de manière rationnelle et éclairée et de s’acquitter des obligations qui leur incombent aux termes de l’article 50 du Code. Une bonne négociation collective repose sur une communication efficace. Pour être efficace, la communication doit se faire en temps opportun.

[39] L’employeur n’a pas enfreint le Code en insistant sur le droit de pouvoir ratifier le projet de convention collective. L’employeur n’a pas enfreint le Code en attendant plusieurs mois avant de convoquer une réunion du conseil de bande pour décider, officiellement, de ratifier ou non le projet de convention. L’employeur n’a pas enfreint le Code en refusant de ratifier le projet de convention collective.

[40] Dans les circonstances de la présente affaire, qui ont trait à la négociation d’une première convention collective et à un employeur constitué d’un conseil élu, le Conseil conclut que l’employeur avait l’obligation de communiquer plus de renseignements que la simple décision de ne pas ratifier le projet. Dans les circonstances de la présente affaire, l’employeur avait aussi l’obligation de communiquer les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet. C’est le cas notamment lorsque, comme en l’espèce, la décision de l’employeur de ne pas ratifier le projet a été fondée sur des préoccupations liées à au plus quatre articles du projet de convention collective. Il avait l’obligation de communiquer ces motifs en temps opportun. Il ne l’a pas fait.

[41] L’obligation de l’employeur de communiquer les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet a commencé en janvier 2011, lorsque l’équipe de négociation de l’employeur et le conseil de bande se sont réunis pour examiner le projet de convention et ont soulevé des préoccupations à l’égard de certains articles qu’il contenait. L’obligation s’est cristallisée lorsque le syndicat a signifié sa plainte de pratique déloyale de travail à l’employeur le ou vers le 28 février 2011. En se fondant sur les faits de la présente affaire, le Conseil conclut que l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective englobait l’obligation de communiquer les motifs de son refus de ratifier le projet, et ce, en temps opportun.

[42] Au bout du compte, l’employeur a communiqué les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet de convention collective, mais il ne l’a fait que lorsqu’il a été obligé de témoigner à titre d’intimé à une audience devant le Conseil. Il n’a donc pas fourni les motifs de son refus en temps opportun. La décision de l’employeur de ne pas ratifier le projet a été communiquée au syndicat en mars 2011. Les motifs de la décision de l’employeur de ne pas ratifier le projet ont été communiqués au syndicat en mars 2012. Il s’agit d’un délai d’environ un an. Le Conseil n’a entendu aucun témoignage selon lequel des circonstances particulières ont empêché de quelque façon que ce soit l’employeur de communiquer les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet en temps opportun. Au contraire, selon les témoignages entendus par le Conseil, de nombreuses communications et interactions de nature formelle et informelle ont eu lieu entre le syndicat et l’employeur au cours de la même période, tant par écrit que de vive voix. Le Conseil conclut que l’employeur n’a pas communiqué efficacement et en temps opportun et qu’il a par conséquent manqué à son obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, conformément à l’alinéa 50a) du Code.

[43] Il convient de se pencher sur la chronologie des événements. Le projet de convention collective a été conclu le 2 décembre 2010.

[44] L’employeur a rencontré son équipe de négociation et son directeur des finances en janvier 2011, et il a soulevé trois ou quatre sujets de préoccupation particuliers dans le projet de convention. Le syndicat a signifié et déposé sa plainte de pratique déloyale de travail le 28 février 2011. L’employeur a pris et communiqué sa décision de ne pas ratifier le projet de convention collective le 17 mars 2011. L’employeur était au courant, ce jour‑là, des quelques articles du projet de convention collective qui le préoccupaient. L’employeur a aussi signifié et présenté sa réponse à la plainte le 17 mars 2011. Cette réponse comprenait un affidavit fait sous serment par l’administratrice de la bande le 17 mars 2011. Bien que cet affidavit soit long et détaillé, il ne dit rien à propos du résultat du scrutin de ratification de l’employeur ou des motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet.

[45] Dans son affidavit daté du 17 mars 2011, l’employeur a indiqué que le chef de l’époque a rencontré les représentants syndicaux peu après que l’avis de négociation eut été donné en 2008, et il leur a assuré « qu’il avait l’intention de conclure une convention collective et qu’il souhaitait avoir un dialogue ouvert avec le syndicat à propos des questions touchant les relations du travail » (traduction).

[46] L’employeur s’est préparé de façon minutieuse en vue de l’audience devant le Conseil. L’employeur a présenté son recueil de documents et les déclarations de ses témoins le 4 août 2011. Dans la déclaration de l’administratrice de la bande, il est précisé que « son témoignage portera aussi sur l’examen du projet de convention collective » (traduction). Les déclarations des témoins ne disent rien à propos du résultat du vote de ratification de l’employeur ou des motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet.

[47] L’audience a débuté par les exposés introductifs le 12 octobre 2011. Dans son exposé introductif, l’employeur a indiqué, entre autres choses, que le conseil de bande s’est réuni le 17 mars 2011, qu’il a décidé de ne pas ratifier le projet et que sa décision était fondée sur trois préoccupations. Le procureur de l’employeur a précisé que ces trois préoccupations étaient les indemnités de vacances, la gestion du rendement et l’accréditation des enseignants aux fins de l’échelle salariale. En outre, l’employeur a insisté sur le fait qu’il a donné des directives claires à son équipe de négociation pour qu’elle retourne à la table de négociation afin de discuter de ces trois points.

[48] Avant l’ajournement de l’audience le 14 octobre 2011, le Conseil a rappelé aux parties qu’elles demeuraient toutes les deux assujetties à l’obligation continue de négocier collectivement de bonne foi; l’instruction par le Conseil de la plainte de pratique déloyale de travail ne soustrayait pas les parties de leurs diverses obligations, y compris l’obligation de communiquer efficacement.

[49] L’audience a repris le 26 mars 2012. L’employeur a fait entendre son premier témoin le 27 mars 2012. C’est à cette date, par l’entremise de ce témoin, que l’employeur a communiqué les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet. Le Conseil a entendu le témoignage concernant la nature précise des préoccupations de l’employeur à l’égard des articles en litige du projet de convention collective, qui s’élevaient maintenant au nombre de quatre. Comme le Conseil, c’est le 27 mars 2012 que le syndicat a entendu parler pour la première fois du désir de l’employeur d’élargir considérablement la portée de l’article 5 portant sur la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande. À l’ajournement de l’audience le 28 mars 2012, le Conseil a de nouveau rappelé aux parties qu’elles étaient toujours assujetties à l’obligation continue de négocier de bonne foi.

[50] Il incombait à l’employeur de communiquer au syndicat les motifs de sa décision de ne pas ratifier le projet bien avant le 27 mars 2012.

[51] L’audience a repris le 14 novembre 2012. L’employeur a fait entendre son deuxième et dernier témoin le 14 novembre 2012. La partie consacrée à la présentation de la preuve a pris fin le 16 novembre 2012.

[52] Le Conseil est frappé par l’écart entre les efforts que l’employeur aurait dû déployer pour s’acquitter de son obligation de communiquer ses motifs en temps opportun et les efforts qu’il a finalement consacrés à sa réponse à la plainte de pratique déloyale de travail du syndicat. Les efforts consacrés à la préparation et à la présentation du dossier de l’employeur devant le Conseil, de février 2011 jusqu’à l’argumentation finale le 16 juillet 2013, sont beaucoup plus importants que les efforts qu’il aurait fallu déployer pour informer le syndicat, idéalement par écrit, en janvier 2011, de la nature précise de ses préoccupations à l’égard des trois ou quatre articles du projet de convention collective. Cela ne semble pas concorder avec le passage que l’employeur a choisi de répéter dans son affidavit, selon lequel il souhaitait avoir un dialogue ouvert avec le syndicat en vue de conclure une convention collective.

V. Mesures de redressement

[53] Le Conseil rappelle que l’employeur a régulièrement et souvent maintenu, au cours de la présente instance, qu’il s’estimait lié par les articles non contestés du projet de convention collective conclu le 2 décembre 2010 et qu’il souhaitait reprendre les négociations collectives en vue de conclure une première convention collective.

[54] Aux termes de l’alinéa 99(1)b.1) et du paragraphe 99(2) du Code, le Conseil accorde le redressement suivant dans le but de remédier au fait que l’employeur a manqué à son obligation de communiquer efficacement et en temps opportun :

      L’employeur doit cesser immédiatement de manquer aux obligations que lui impose l’alinéa 50a) du Code;

      Dans un délai de 30 jours à compter de la date de la présente décision, l’employeur signifiera au syndicat une brève explication écrite de ses préoccupations concernant les quatre articles en litige du projet de convention collective;


 

      Il est entendu que ces quatre articles sont : l’article 12.03, qui porte sur les indemnités de vacances; l’annexe A, qui traite de l’accréditation des enseignants aux fins de la grille salariale; l’article 29, qui concerne les normes de rendement; et l’article 5, qui porte sur la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande;

      Dans un délai de 30 jours à compter de la date de la présente décision, l’employeur signifiera aussi au syndicat une copie du libellé qu’il propose pour chacun des quatre articles en litige;

      L’employeur présentera une copie de tous les documents susmentionnés au Conseil en même temps qu’il les signifiera au syndicat;

      Par la suite, les parties se rencontreront sans délai pour reprendre les négociations collectives;

      Les parties auront une période de 60 jours pour négocier collectivement et faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;

      À la fin de la période de 60 jours, le syndicat avisera le Conseil des articles ayant été réglés, le cas échéant, parmi les quatre articles en litige;

      À la fin de la période de 60 jours, si les parties ne se sont pas entendues sur l’article 5, qui a trait à la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande, le Conseil est alors convaincu que la mesure de redressement appropriée est d’exiger l’application d’une méthode exécutoire de règlement pour cet article du projet de convention collective.

[55] Si, dans un délai de 90 jours de la date de la présente décision, le syndicat et l’employeur ne sont pas parvenus à s’entendre sur les modalités particulières de l’article 5, qui a trait à la priorité d’emploi accordée aux membres de la bande, le syndicat pourra alors demander que le Conseil impose, par ordonnance, l’application d’une méthode exécutoire de règlement de ces modalités, en vertu de l’alinéa 99(1)b.1) du Code. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur une méthode exécutoire de règlement de ce conflit, le Conseil imposera alors une méthode et en fournira les détails. L’ordonnance du Conseil à cet égard s’appliquera uniquement au conflit concernant les modalités particulières de l’article 5.

[56] Le Conseil demeure saisi de l’affaire afin de superviser la mise à exécution de son ordonnance de redressement.


 

[57] Si l’une ou l’autre des parties désire obtenir une ordonnance officielle du Conseil, elle devra présenter un projet d’ordonnance, dont la forme et le contenu auront été approuvés par l’autre partie.

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