Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier,

plaignant,

et

Intek Communications inc.,

intimée.

Dossiers du Conseil : 28564-C, 28660-C, 28681-C, 28816-C, 29450-C

Référence neutre : 2013 CCRI 683

Le 24 mai 2013

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres. Des audiences ont eu lieu du 12 au 14 décembre 2011 et le 13 février 2012 en présence des trois membres du banc puis, par suite d’un empêchement d’un des membres, l’affaire a été réassignée au Vice-président siégeant seul, tel que le permet le paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Les audiences se sont poursuivies les 11, 12 et 13 septembre 2012; le 18 octobre 2012; et les 3, 4, 5, 6, 12 et 21 décembre 2012.

Ont comparu
Me Jesse Kugler, pour le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier;
Me Kelsey Orth, pour Intek Communications inc.

I – Introduction

[1] La présente décision fait suite à l’examen de plusieurs plaintes de pratique déloyale de travail (PDT) déposées par le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (le SCEP) contre Intek Communications inc. (Intek). Intek est un entrepreneur du secteur de la câblodistribution dont l’unique client est Rogers Communications inc. (Rogers).

[2] Les techniciens d’Intek se rendent chez les clients de Rogers pour offrir divers services de câblodistribution et de dépannage. Ce type de services dans le secteur de la câblodistribution relève de la compétence du Conseil (XL Digital Services inc. c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (2011 CAF 179)).

[3] Les multiples plaintes déposées ont soulevé de nombreuses questions. Le Conseil a décidé de rejeter plusieurs des allégations du SCEP, mais il n’en a pas moins conclu qu’Intek a enfreint certaines dispositions du Code, aussi bien avant qu’après l’accréditation du SCEP.

[4] Le SCEP a aussi convaincu le Conseil qu’Intek n’a pas toujours négocié de bonne foi, bien que les parties soient parvenues à s’entendre sur de nombreuses dispositions à inclure dans une première convention collective.

[5] Le SCEP a fait valoir que l’arbitrage exécutoire constituait la seule mesure de redressement acceptable pour les violations du Code par Intek. Il a affirmé que toutes les allégations qu’il a soulevées dans ses multiples plaintes de PDT, y compris celles qui ont trait à des événements survenus avant qu’Intek n’ait une obligation de négocier aux termes du Code, justifiaient l’arbitrage exécutoire en guise de redressement.

[6] Intek a contesté cette approche globale et a fait valoir que, dans le cadre de la plainte de négociation de mauvaise foi, le Conseil ne pouvait tenir compte des événements survenus avant l’existence de son obligation de négocier aux termes de l’alinéa 50a) du Code.

[7] Pour les motifs énoncés ci après, le Conseil a conclu que la période au cours de laquelle les événements se sont produits a une incidence sur les mesures de redressement possibles aux termes du Code. Bien que le Conseil puisse instruire simultanément plusieurs plaintes de PDT concernant des événements qui se sont produits aussi bien avant qu’après l’accréditation, cette façon de procéder ne signifie pas que tous les événements sont alors utiles en ce qui a trait à l’allégation de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi.

[8] Le Conseil a imposé des mesures de redressement pour les PDT concernant des violations par Intek qui n’étaient pas liées à la négociation. Il a aussi imposé dans le cadre de la négociation une mesure de redressement appropriée destinée à remettre les parties là où elles seraient rendues si Intek n’avait pas enfreint le Code durant les négociations.

II – Les plaintes

[9] Le SCEP a déposé plusieurs plaintes en 2011 et en 2012. Les questions en cause avaient trait d’abord à sa campagne de syndicalisation au sein d’Intek, puis à la négociation collective.

A – Plainte de PDT du 1er février 2011 (M. Ryan Burtch et une plainte relative aux communications illégales de l’employeur) Dossier 28564-C

[10] La première plainte de PDT concerne un organisateur principal du SCEP, M. Ryan Burtch, qui occupe un poste d’inspecteur chez Intek.

[11] M. Burtch, un ancien technicien, devait occuper un poste adapté à ses besoins pour des raisons médicales.

[12] Le SCEP allègue qu’Intek a traité M. Burtch différemment des autres employés pour des motifs antisyndicaux. Par exemple, alors que M. Burtch habitait à proximité du bureau d’Intek situé à Ajax, dans la région de Durham, Intek exigeait que M. Burtch se rende chaque jour au bureau de Markham pour aller chercher son véhicule.

[13] Le SCEP conteste d’autres événements, y compris l’imposition d’une exigence de rapport durant la campagne de syndicalisation obligeant M. Burtch à informer Intek de ses périodes de pause et de repas, et le fait que quelqu’un serait entré dans son véhicule d’entreprise sans autorisation.

[14] Dans ses observations écrites, le SCEP a aussi soulevé une question liée au régime d’avantages sociaux de M. Burtch et à un retard dans l’application de la protection pour la personne à sa charge.

[15] Dans cette plainte de PDT, le SCEP conteste aussi certains messages qu’Intek a envoyés par écrit directement à ses employés à propos de la campagne de syndicalisation. Le SCEP a avancé que les lettres d’Intek laissaient planer une menace pour la sécurité d’emploi et faisaient état de la possibilité de perdre le contrat avec Rogers.

[16] En plus de demander diverses mesures de redressement pour M. Burtch, le SCEP s’est réservé le droit d’invoquer ses allégations pour appuyer une future demande d’accréditation en guise de redressement (article 99.1 du Code).

B – Plainte de PDT du 16 mars 2011 (M. Kelvin Kou, plainte no 1) Dossier 28660-C

[17] M. Kelvin Kou était lui aussi organisateur du SCEP. Les questions soulevées relativement à M. Kou ont trait notamment à des frais qu’Intek lui a imposés pour le nettoyage de son véhicule; à une diminution de sa rémunération en 2011; à un avertissement concernant le non respect des normes de rendement; et à un avertissement pour ne pas avoir donné les suites nécessaires à l’appel de service d’un client.

[18] Le SCEP a demandé, entre autres choses, que toutes les mesures disciplinaires prises à l’endroit de M. Kou soient retirées de son dossier.

C – Plainte de PDT du 1er avril 2011 (M. Kelvin Kou, plainte no 2) Dossier 28681 C

[19] Le SCEP a par la suite contesté une suspension de trois jours imposée à M. Kou parce qu’il aurait utilisé son ordinateur portatif à mauvais escient; il a demandé, entre autres choses, que cette mesure disciplinaire soit annulée.

[20] Les trois premières plaintes ont été déposées avant l’accréditation du SCEP, accordée par le Conseil le 5 avril 2011. Le 11 avril 2011, le SCEP a envoyé un avis de négociation à Intek.

D – Plainte de PDT du 16 juin 2011 (Plainte relative à l’obligation de négocier de bonne foi) Dossier 28816 C

[21] Dans cette plainte déposée après l’accréditation, le SCEP allègue qu’Intek n’a pas respecté l’alinéa 50a) du Code, qui prévoit l’obligation de négocier de bonne foi (l’Obligation), notamment en refusant de produire des documents pertinents dans un délai raisonnable, par exemple le contrat avec Rogers.

[22] Le 25 août 2011, le SCEP a fourni des précisions supplémentaires selon lesquelles Intek n’aurait pas respecté le gel imposé par le Code à l’alinéa 50b) lorsqu’elle a réduit le paiement associé à un certain code que les techniciens d’Intek utilisaient aux fins de leur rémunération.

[23] Le 3 novembre 2011, le Conseil a informé les parties qu’il instruirait d’abord la plainte de négociation de mauvaise foi. Le 8 novembre 2011, le SCEP a demandé que toutes ses plaintes soient instruites ensemble. Le SCEP a aussi joint une « annexe A » à sa lettre, dont les 62 premiers paragraphes résumaient les renseignements qu’il avait fournis au départ, auxquels se greffaient 33 autres paragraphes de nouvelles précisions.

[24] Compte tenu de ces renseignements, le SCEP a demandé en guise de redressement, entre autres choses, l’arbitrage exécutoire pour la première convention collective.

[25] L’éventail des renseignements fournis par le SCEP a forcé le Conseil à annuler les audiences qu’il avait prévu tenir du 21 au 23 novembre 2011.

[26] Le 21 février 2012, le Conseil a accepté d’instruire simultanément toutes les plaintes du SCEP.

E – Plainte de PDT du 31 mai 2012 (Communications écrites; rencontres d’Intek avec les employés) Dossier 29450 C

[27] En mai 2012, le SCEP a déposé une autre plainte de PDT, dans laquelle il contestait d’autres communications écrites envoyées par Intek aux membres de l’unité de négociation et le fait que l’entreprise aurait tenu des « réunions à auditoire contraint ».

[28] Le 18 juin 2012, le SCEP a fourni d’autres précisions concernant des événements survenus le 14 juin 2012, notamment l’envoi d’une lettre par Intek aux employés de l’unité de négociation la veille d’une grève et l’embauche par Intek de prétendus « travailleurs de remplacement », en violation du paragraphe 94(2.1) du Code.

III – Chronologie des événements

[29] La chronologie ci-dessous résume les événements se rattachant aux diverses plaintes. Les dates auxquelles sont survenus les événements sont importantes pour certaines des conclusions du Conseil, notamment en ce qui a trait aux mesures de redressement.

A – Août 2010

[30] Vers le mois d’août 2010, le SCEP a amorcé sa campagne de syndicalisation au sein d’Intek.

B – Septembre 2010

1 – Lettres du SCEP à Intek

[31] Conformément à sa pratique habituelle, le SCEP a envoyé des lettres à Intek (pièce 17; onglet 28, et pièce 1; onglet 5), en septembre 2010, dans lesquelles il indiquait que MM. Burtch et Kou comptaient parmi les membres du comité de syndicalisation des employés.

2 – Communications du SCEP et d’Intek

[32] En septembre 2010, Intek a envoyé une première communication écrite à ses employés à propos de la campagne de syndicalisation du SCEP (pièce 1; onglet 1). Dans cette communication figurait une liste de « questions » concernant le SCEP, et les syndicats en général, auxquelles Intek fournissait des « réponses ». Intek disait que, à son avis, ses employés n’avaient pas besoin d’un syndicat, mais que la décision n’appartenait qu’à eux.

[33] Le SCEP a remis en cause la légalité de cette première communication écrite, dans laquelle Intek formulait des commentaires, entre autres choses, sur les cotisations syndicales, sur l’appui de causes politiques, sur la sécurité d’emploi et sur la possibilité que les employés chargés de la campagne de syndicalisation bénéficient d’un traitement spécial.

[34] Le SCEP a critiqué le fait qu’Intek n’avait pas vérifié l’exactitude des renseignements fournis dans ses commentaires, notamment en ce qui a trait aux montants des cotisations que les membres doivent payer.

[35] Peu de temps après, le SCEP a répondu par écrit en produisant un document intitulé The Straight Goods (« L’heure juste ») (pièce 18; onglet 3).

3 – Avis de mesure adressée à M. Kou : véhicule en désordre

[36] Le 29 septembre 2010, Intek a donné à M. Kou un avertissement écrit (pièce 18; onglet 43) à propos du fait que le camion d’entreprise mis à sa disposition était en désordre et qu’il l’utilisait comme cendrier.

C – Octobre 2010

1 – Tâches attribuées à M. Burtch

[37] Après que le SCEP eut écrit à Intek en septembre pour l’informer de la campagne de syndicalisation, M. Burtch a discuté des tâches qui lui avaient été attribuées avec son gestionnaire à Intek. M. Burtch remettait en question le fait qu’il était toujours tenu de se rendre à Markham pour aller chercher son véhicule, alors qu’il habitait tout près du bureau régional d’Intek à Durham.

[38] En consultant les nouveaux horaires, M. Burtch a constaté que son collègue inspecteur effectuait des inspections dans la région de Durham. M. Burtch a fait valoir qu’il aurait pu s’occuper de ces inspections sans avoir à parcourir de longues distances en voiture pour aller chercher son véhicule à Markham.

[39] Selon M. Burtch, son gestionnaire, M. Tim Patterson, aurait justifié la situation en disant que M. Burtch était un « mauvais garçon » (traduction). M. Patterson a pour sa part témoigné que l’expression « mauvais garçon » avait été utilisée par M. Burtch pour expliquer l’horaire de déplacements qui lui avait été attribué.

[40] Intek a présenté des éléments de preuve selon lesquels, d’une part, M. Burtch exécutait les mêmes tâches avant la campagne de syndicalisation du SCEP et, d’autre part, ses deux inspecteurs à temps plein, dont M. Burtch, avaient toujours travaillé à partir du bureau de Markham.

D – Novembre 2010

1 – Deuxième communication d’Intek adressée aux employés concernant le SCEP

[41] Le ou vers le 25 novembre 2010, Intek a de nouveau écrit à ses employés (pièce 1; onglet 2) à propos de la campagne de syndicalisation que menait le SCEP et a aussi répondu au document du SCEP intitulé « L’heure juste ». Le SCEP allègue que cette communication établissait clairement un lien entre la syndicalisation et la diminution des salaires, des avantages sociaux et de la sécurité d’emploi.

E – Décembre 2010

1 – Lettre à M. Burtch concernant le repas du midi et les pauses

[42] Le ou vers le 7 décembre 2010, Intek a écrit une lettre à M. Burtch (pièce 1; onglet 3) selon laquelle ce dernier s’était adressé à un employé d’Intek pendant que celui-ci travaillait pour lui proposer de signer une carte d’adhésion syndicale. La lettre précisait que, par conséquent, le directeur général d’Intek, M. Chris Wilkins, imposait à M. Burtch un mécanisme de rapport :

La présente lettre confirme la discussion qui a eu lieu entre vous, Amanda Yeaman et moi même le 17 novembre concernant votre participation à la campagne de syndicalisation du SCEP. Intek a appris que vous vous étiez récemment adressé à un technicien de Simcoe pour lui demander de signer une carte d’adhésion syndicale. Vous avez reconnu avoir abordé cette personne, mais vous avez précisé que c’était pendant votre pause. Cet employé n’était pas ouvert à l’idée et a affirmé que votre intervention avait eu lieu durant les heures de travail et qu’il n’était pas lui-même en pause. Comme nous en avons discuté, lorsque vous abordez des employés pour leur parler des affaires du syndicat, veuillez vous assurer que ceux ci sont en pause et que leur statut indique qu’ils ne sont pas disponibles. En outre, comme vous en avez discuté avec Tim Patterson, vous devrez informer James Yeaman du début et de la fin de vos périodes de pause et de repas pour qu’il en prenne note, et ce, à compter du 18 novembre 2010.

À nouveau, veuillez considérer la présente comme une consignation écrite de notre discussion et comme une directive à suivre.

(traduction; pièce 1; onglet 3)

[43] M. Burtch était le seul employé d’Intek à devoir informer la direction de ses périodes de pause et de repas. Cette exigence était toujours en vigueur lorsque les audiences du Conseil ont pris fin en décembre 2012.

2 – Préoccupations de M. Burtch à l’égard du fait que quelqu’un serait entré dans son véhicule

[44] Toujours en décembre 2010, M. Burtch a fait part de ses préoccupations à la direction d’Intek à l’égard du fait que quelqu’un entrait dans son véhicule d’entreprise et examinait ses documents liés à la campagne de syndicalisation du SCEP pendant qu’il effectuait ses inspections.

3 – Frais pour le nettoyage du véhicule de M. Kou

[45] Le 21 décembre 2010, Intek a fait nettoyer le véhicule de M. Kou et lui a fait payer des frais de 45,20 $ pour ce service (pièce 18; onglet 19). Selon le SCEP, cette mesure prise par Intek ciblait M. Kou en raison de ses activités syndicales. Dans son témoignage, M. Kou a indiqué qu’il avait nettoyé son véhicule. Selon les observations du SCEP, aucun autre employé n’a jamais eu à assumer de tels frais.

[46] Selon les éléments de preuve présentés par Intek, M. Kou avait demandé qu’on lui fournisse un autre véhicule. Étant donné que le véhicule qu’il utilisait à ce moment là était sale, Intek lui avait donné le choix de le nettoyer lui-même ou de payer pour qu’Intek s’en charge.

[47] Intek a parlé de ce qui s’était passé en 2010 (pièce 18; onglet 45), alors qu’elle avait assumé des frais de plus de 300 $ en réparations parce que les cendres de cigarettes de M. Kou s’étaient introduites dans le tableau de bord de son véhicule. Intek avait dû faire remplacer le groupe d’instrumentation. M. Kou ne s’est vu imposer aucune mesure disciplinaire ni aucuns frais à la suite de cet incident en 2010, lequel est survenu avant la campagne de syndicalisation.

F – Fin de 2010

[48] Le SCEP avait diffusé un autre communiqué (pièce 18; onglet 4) à l’intention des employés d’Intek expliquant pourquoi la représentation du SCEP était nécessaire au sein de cette entreprise. Dans ses éléments de preuve, Intek a fait valoir qu’elle n’avait d’autre choix que de répondre à ce communiqué, en particulier aux commentaires formulés à propos des employés de Bell Canada que le SCEP représentait.

1 – Troisième communication d’Intek adressée aux employés

[49] À la fin de 2010 ou au début de 2011, Intek a envoyé une troisième communication écrite à ses employés (pièce 1; onglet 4), dans laquelle elle parlait de Bell Canada, ainsi que du secteur de l’automobile. Le SCEP allègue que, dans cette lettre, Intek laissait planer une menace pour la sécurité d’emploi des employés dans l’avenir, en faisant référence, entre autres choses, au contrat avec Rogers (le seul client d’Intek) et au secteur de l’automobile.

[50] Le SCEP a fait remarquer que bon nombre des employés d’Intek vivaient à Oshawa ou dans les environs, où les travailleurs ont été durement touchés par la conjoncture économique récente.

2 – Rémunération de M. Kou

[51] En ce qui concerne M. Kou, le salaire annuel qu’il a reçu en 2010 et en 2011 figure aussi parmi les préoccupations soulevées. Le SCEP allègue que M. Kou a subi la plus importante diminution salariale de tous les techniciens et que cette diminution a été orchestrée par Intek en raison de ses activités syndicales.

[52] Au cours de la présentation de ses éléments de preuve, Intek a fourni un tableau dont il ressort que d’autres techniciens qui se trouvaient dans une situation comparable avaient eux aussi gagné moins en 2011 qu’en 2010.

G – Février 2011

[53] Le 25 février 2011, le SCEP a présenté sa demande d’accréditation au Conseil.

H – Mars 2011

1 – M. Kou : avis de mesure concernant les normes de rendement (8 mars 2011)

[54] Le 8 mars 2011, Intek a remis à M. Kou un avis de mesure (avertissement écrit) (pièce 18; onglet 23) concernant son rendement prétendument faible. Intek a affirmé qu’elle avait simplement suivi sa pratique habituelle dans le cas de M. Kou, et elle a produit des avis de mesure qu’elle avait remis à d’autres techniciens dont le rendement laissait à désirer. Le SCEP allègue que la façon dont M. Kou a été traité diffère beaucoup du traitement qui a été accordé aux autres techniciens.

[55] Selon le SCEP, cette différence ne peut être attribuable qu’aux activités syndicales auxquelles M. Kou était associé, notamment la présentation par le SCEP de sa demande d’accréditation le 25 février 2011.

2 – M. Kou : avis de mesure concernant un incident survenu sur le chemin Rotary (8 mars 2011)

[56] Toujours le 8 mars 2011, Intek a remis à M. Kou un avis de mesure (avertissement écrit) (pièce 18; onglet 24) concernant un appel de service en date du 25 février 2011 chez un client du chemin Rotary à Scarborough, en Ontario. Selon M. Adrian Hernandez, le superviseur de M. Kou, ce dernier n’aurait pas mené à terme cet appel de service.

[57] M. Kou a témoigné que, malgré les efforts qu’il avait déployés pendant 30 à 60 minutes, la neige l’avait empêché de trouver ce qu’on appelle un TAP, un appareil au moyen duquel il est possible de désactiver et de réactiver le service Rogers d’un client. M. Kou avait envoyé un courriel au centre de répartition pour faire état du problème. M. Kou allègue qu’il a par la suite appelé son superviseur, M. Hernandez, pour lui dire qu’il allait passer à son prochain client. Il était rémunéré à la pièce, et il se trouvait à proximité du lieu de son prochain appel de service. Selon M. Kou, M. Hernandez lui a dit qu’il n’avait pas besoin d’y retourner et que lui-même allait s’en occuper.

[58] Selon M. Hernandez, M. Kou aurait dû l’appeler, lui, plutôt que d’envoyer un courriel au centre de répartition. Il a aussi indiqué qu’il n’avait jamais dit à M. Kou qu’il pouvait quitter la propriété du client. Il lui avait plutôt dit d’attendre qu’il arrive. Dans son témoignage, M. Hernandez a précisé que M. Kou n’avait pas pu essayer de trouver le TAP, puisque la neige qui l’entourait n’avait pas été touchée. M. Hernandez a témoigné que, lorsqu’il est arrivé, le client était à la maison, alors que M. Kou lui avait dit que le client était absent. M. Hernandez a indiqué qu’il avait terminé l’appel de service que M. Kou aurait dû faire.

3 – M. Kou : suspension de trois jours pour utilisation inappropriée d’un ordinateur portatif (29 mars 2011)

[59] Le 29 mars 2011, Intek a imposé à M. Kou une suspension de trois jours (pièce 18; onglet 44) parce qu’il aurait fait un usage inapproprié de son ordinateur portatif de travail. M. Kou avait retourné son ordinateur portatif à Intek et demandé qu’on le remplace. Intek aurait trouvé un virus dans l’ordinateur retourné, ainsi que des programmes non autorisés. Intek a aussi laissé entendre que M. Kou avait visité des sites Web pornographiques, ce qui était inapproprié.

[60] M. Kou a admis qu’il avait installé deux programmes de cartographie différents sur son ordinateur portatif pour pouvoir trouver plus facilement les résidences des clients. Il a nié avoir visité des sites Web pornographiques.

[61] Le SCEP a appelé à témoigner un autre employé d’Intek, M. Robert Bonke, du fait qu’il avait demandé le remplacement d’ordinateurs portatifs et avait navigué sur des sites Web pornographiques. Intek ne lui avait jamais parlé de l’utilisation qu’il avait faite de son ordinateur, pas plus qu’elle ne lui avait imposé de mesures disciplinaires.

I – Avril 2011

1 – Accréditation du SCEP

[62] Le 5 avril 2011, le Conseil a accrédité le SCEP pour représenter l’unité de négociation suivante chez Intek (ordonnance no 10032-U) :

tous les employés de Intek Communications inc., à l’exclusion des gestionnaires, ceux de niveau supérieur, et du personnel de bureau.

[63] Les superviseurs d’Intek étaient inclus dans l’unité de négociation du SCEP.

2 – Avis de négociation du SCEP

[64] Le 11 avril 2011, le SCEP a envoyé à Intek un avis de négociation. Une semaine plus tard, le SCEP a envoyé à Intek une lettre dans laquelle il lui demandait de lui fournir certains documents dont il avait besoin pour formuler ses propositions de négociation, notamment des renseignements sur la rémunération des employés et une copie du contrat d’Intek avec Rogers.

  1. Une liste de tous les employés de l’unité de négociation comportant les renseignements suivants : titre ou classification du poste, taux de rémunération, ancienneté ou date d’entrée en fonction, adresse, numéro de téléphone et adresse électronique.
  2. Une copie de toutes les politiques et procédures de l’entreprise qui ont ou peuvent avoir une incidence sur les employés.
  3. Une copie de tous les régimes d’avantages sociaux, y compris tout régime de retraite.
  4. Une copie de l’entente conclue entre Rogers et Intek Communications inc.
  5. Une liste de tout le personnel de gestion et de supervision et la structure de l’entreprise.
  6. Les coordonnées du négociateur principal de l’employeur, y compris son adresse électronique.
  7. Une liste des membres du comité de négociation de l’employeur.
  8. Une copie de tous les contrats de travail.

(traduction; pièce 1; onglet 11)

J – Mai 2011

[65] En mai 2011, Intek a fait parvenir certains des documents demandés au SCEP.

K – Juin 2011

1 – Courriel dans lequel le SCEP demande des documents

[66] Le 3 juin 2011, après avoir pris connaissance de l’information que lui avait fournie Intek, le SCEP a envoyé un courriel (pièce 6) réitérant sa demande relative à certains renseignements, notamment le contrat avec Rogers.

[67] Dans ce courriel du 3 juin 2011, le SCEP informait aussi Intek qu’il allait présenter une demande de conciliation avant la tenue de sa première séance de négociation en juillet 2011.

L – Juillet 2011

1 – M. Kou : avertissement écrit concernant le véhicule (13 juillet 2011)

[68] Le 13 juillet 2011, Intek a remis à M. Kou un avertissement écrit (pièce 18; onglet 47) pour violation de sa politique sur les véhicules. Après une journée de travail, M. Kou avait garé son véhicule d’entreprise chez un ami pour la soirée. Il était ensuite rentré chez lui vers minuit.

[69] Dans leurs témoignages, M. Kou et M. Bonke ont indiqué qu’Intek permettait aux techniciens de s’arrêter en chemin après le travail avant de rentrer à la maison, pourvu qu’ils ne dévient pas trop du trajet direct pour retourner chez eux.

[70] M. Bonke a mentionné qu’il s’arrêtait parfois en retournant à la maison après le travail pour faire son épicerie.

2 – M. Kou : retrait de privilèges liés aux véhicules (19 juillet 2011)

[71] Le 19 juillet 2011, Intek a remis à M. Kou une autre lettre (pièce 18; onglet 51) dans laquelle elle alléguait violation de sa politique sur les véhicules. Selon Intek, M. Kou aurait utilisé son véhicule d’entreprise alors qu’il était en congé. Par conséquent, Intek a privé M. Kou de son privilège de garder son véhicule à la maison. Il serait donc tenu d’aller le chercher chaque jour au bureau de Markham avant de commencer ses appels de service.

[72] Intek aurait appris que M. Kou avait utilisé le véhicule pendant un congé lorsqu’un directeur de banque s’était plaint à Rogers que des employés d’Intek utilisaient les places de stationnement réservées de la banque pendant qu’ils allaient dîner. Bien que le directeur de la banque se soit plaint à Rogers et que Rogers en ait informé Intek, aucun autre employé que M. Kou n’a fait l’objet de mesures disciplinaires.

[73] Dans son témoignage, M. Kou a indiqué qu’il avait travaillé chez des clients durant son jour de congé. Les techniciens d’Intek effectuaient parfois des « reprises d’appels de service » (traduction) en dehors des heures de travail pour qu’il n’y ait pas d’incidence négative sur les normes de rendement. M. Kou a indiqué qu’il avait parlé à son superviseur, M. Sean Hossein, pour lui faire part de ses intentions.

[74] M. Kou a ajouté qu’il avait par la suite demandé à son gestionnaire, M. Jeff Anthony, pourquoi il avait été le seul à faire l’objet d’une mesure disciplinaire. M. Anthony aurait répondu que c’était parce que M. Kou avait transformé « le monde d’Intek au complet en y amenant le syndicat » et lui aurait dit : « si tu n’aimes pas Intek, pourquoi ne cherches-tu pas un emploi ailleurs » (traductions).

[75] Le SCEP soutient qu’Intek n’a pas répondu à l’allégation de M. Kou à propos de ces commentaires lorsque M. Anthony a témoigné.

3 – 20 au 22 juillet 2011 : première séance de négociation entre Intek et le SCEP

[76] Intek et le SCEP ont entamé des négociations collectives à la fin de juillet 2011. Parmi les questions précises à l’égard desquelles le Conseil a entendu des témoignages figure la proposition d’Intek qui visait à exclure les superviseurs de l’unité de négociation. Le Conseil avait inclus les superviseurs dans la description initiale de l’unité de négociation.

M – Août 2011

1 – M. Kou : avertissement verbal (4 août 2011)

[77] Le 4 août 2011, Intek a donné à M. Kou un avertissement verbal (pièce 18; onglet 53) parce qu’il n’aurait pas respecté la politique de l’entreprise exigeant que tous les employés parlent en anglais dans l’entrepôt. Étant donné que les employés parlent plusieurs langues différentes, Intek insiste pour que les employés de l’entrepôt utilisent une langue de travail commune.

[78] M. Kou a expliqué qu’il ne pouvait pas empêcher les autres employés de lui parler en chinois (pièces 23 et 29).

[79] Intek n’a donné d’avertissement à aucun autre employé impliqué dans l’incident de l’entrepôt.

2 – Modification de certains codes de travail

[80] Le 22 août 2011, Intek a diffusé une note de service (pièce 2; onglets 10 et 12) à l’intention de ses techniciens concernant une modification apportée à certains codes de travail. Intek a fourni des précisions dans une autre note de service le 25 août 2011 (pièce 2; onglet 11). Le SCEP allègue que cette modification enfreignait la disposition du Code relative au gel. Intek allègue qu’elle cherchait à normaliser une méthode de codage qui n’était pas uniforme dans ses trois régions d’exploitation :

NOTE DE SERVICE
À : TOUS LES TECHNICIENS
Date : Le 25 août 2011
Objet : PRÉCISION CONCERNANT L’UTILISATION DU CODE 692 AVEC LES CODES 252/253

Comme il est indiqué dans la longue description en vigueur depuis juin 2009, le code de tâche 692 ne doit jamais être utilisé avec les codes 252 (CONN) ou 253 (RECN). Cependant, à compter d’aujourd’hui, si vous devez couvrir une distance excessive (c’est-à-dire de plus de dix pieds) pour une commande CONN ou RECN, vous devez suivre les étapes suivantes :

  1. Communiquez avec votre superviseur pour obtenir son approbation;
  2. Fermez la commande en y ajoutant des commentaires appropriés concernant la distance, p. ex. : « NOUVELLE CONN, 656 = DISTANCE COUVERTE > 15 pi JUSQU’À LA CONDUITE D’EAU – IL N’Y EN AVAIT PAS AVANT » ou « RECN, 656 = DISTANCE COUVERTE > 10 pi JUSQU’AU BRANCHEMENT D’HYDRO SELON LES SPÉCIF. DE ROGERS »;
  3. À l’interne, nous allons surveiller l’utilisation, puis envoyer une liste à Rogers aux fins d’approbation. Nous allons examiner les commandes assorties de commentaires contenant le code « 656 »; donc, assurez-vous de vous conformer aux exemples ci dessus. Une fois que la commande aura été approuvée, le centre des opérations ajoutera le code 656 à chaque commande applicable. Le code 656 rapporte 4 $.

VEUILLEZ NOTER QUE, LORSQUE DES MODIFICATIONS ONT ÉTÉ APPORTÉES À LA LONGUE DESCRIPTION DU CODE 692 EN 2009, ELLES ONT ÉTÉ COMMUNIQUÉES À TOUTES LES RÉGIONS.

Rappel – Ce nouveau processus s’applique uniquement aux distances couvertes DE PLUS DE 10 pieds pour une commande 252 (CONN) ou 253 (RECN). Vous devez suivre la règle actuelle décrite dans la longue description et inclure la LONGUEUR et le LIEU de la distance couverte ainsi que la RAISON. Si ces commentaires ne sont pas ajoutés, le montant associé au code 656 ne sera pas payé.

(traduction; souligné dans l’original)

N – Septembre 2011

1 – Négociations collectives

[81] Les parties ont poursuivi les négociations les 14 et 15 septembre 2011.

2 – Réunion de service de septembre 2011

[82] Le SCEP se préparait à tenir un vote de grève le ou vers le 6 octobre 2011. Selon les témoignages entendus par le Conseil, dans le cadre de ses réunions de service régulières de septembre 2011, Intek a traité non seulement de questions liées à ses affaires courantes, mais aussi du vote de grève et des négociations collectives.

[83] Les techniciens ont été rémunérés pour assister à ces réunions de service obligatoires, qui ont eu lieu dans différentes régions où travaillaient les employés.

[84] Les procès verbaux d’Intek pour ces réunions ont été produits en preuve. Le Conseil a aussi entendu des témoignages de vive voix d’employés et de gestionnaires d’Intek qui étaient présents à propos des commentaires formulés pendant ces réunions.

[85] Par exemple, le ou vers le 29 septembre 2011, le directeur général d’Intek, M. Wilkins, a parlé aux employés d’affaires liées aux négociations collectives, comme en témoigne le procès verbal (pièces 10 et 11). Les souvenirs de M. Wilkins à l’égard des commentaires qu’il a formulés ce jour là ont été de peu d’utilité, mais il n’a pas nié l’exactitude du procès verbal d’Intek.

[86] Selon les témoignages et le procès verbal d’Intek, M. Wilkins a abordé, entre autres, les sujets suivants :

  1. le minimum journalier de 300 $ qu’aurait demandé le SCEP;
  2. l’autorisation pour les employés d’utiliser leurs véhicules d’entreprise pour participer au vote de grève que le SCEP allait tenir;
  3. les endroits où les employés pouvaient obtenir de l’information sur la révocation de l’accréditation syndicale;
  4. les négociations rompues malgré le fait qu’Intek ait présenté une « proposition très appropriée » (traduction);
  5. les améliorations qu’Intek avait proposé d’apporter, mais que le syndicat « n’avait pas prises en considération » (traduction);
  6. le fait qu’Intek était disposée à accepter un minimum journalier, mais que « l’offre du syndicat était beaucoup trop élevée pour être viable » (traduction).

O – Octobre 2011

1 – Le vote de grève du SCEP

[87] Le ou vers le 6 octobre 2011, le SCEP a tenu un vote de grève comme l’exige l’article 87.3 du Code. Au bout du compte, le SCEP n’a pas donné suite à ce premier vote de grève à l’intérieur du délai de 60 jours prévu au Code.

2 – Rencontre de M. Wilkins avec certains membres de l’unité de négociation

[88] Le lendemain du vote de grève du SCEP, une réunion a eu lieu entre M. Wilkins et trois techniciens principaux d’Intek, dirigés par M. Bill Li. M. Li a indiqué qu’on lui avait demandé d’assister à cette réunion. Selon Intek, c’est M. Li qui en avait demandé la tenue.

[89] Quelle que soit la personne ayant demandé la tenue de cette réunion, il a été question des négociations. M. Li avait en main une liste manuscrite (pièce 2; onglet 15) d’éléments que les techniciens souhaitaient voir inclus dans une convention, notamment un minimum journalier de 150 $ et les montants attribués pour certains codes de travail à la pièce.

[90] À la réunion, M. Wilkins a dit qu’il craignait de « dépasser les limites » (traduction). Ils ont discuté des éléments figurant sur la liste de M. Li pendant environ 40 minutes. Un élément a été ajouté à la liste pendant la réunion.

[91] M. Li a laissé sa liste à M. Wilkins.

P – Novembre 2011

[92] Pendant l’audience, le SCEP a présenté des éléments de preuve concernant les diverses positions de négociation adoptées par Intek pour démontrer que celle-ci aurait manqué à l’Obligation.

1 – Question soulevée pendant la négociation : inclusion des superviseurs dans l’unité de négociation

[93] Les parties ont négocié les 14 et 15 novembre 2011.

[94] Intek avait déjà proposé à plusieurs reprises de retirer les superviseurs de l’unité de négociation. Le SCEP avait refusé plusieurs fois d’acquiescer à cette demande, mais les parties sont tout de même parvenues à signer une lettre d’entente sur la question. Le SCEP a accepté de ne s’opposer à aucune des futures demandes qu’Intek présenterait au Conseil pour que la description de l’unité de négociation soit modifiée afin d’en exclure les superviseurs (proposition U 7 du SCEP datée du 10 janvier 2012).

2 – Question soulevée pendant la négociation : droit unilatéral de modifier la rémunération

[95] Le SCEP a contesté la tentative d’Intek de se réserver le droit de modifier la rémunération des employés pendant la durée de la convention collective.

[96] À titre d’exemple, voici la proposition salariale initiale d’Intek (pièce 1; onglet 23) figurant dans les paragraphes d’introduction de l’annexe A, « Classifications des postes et taux de salaire » :

ANNEXE A

CLASSIFICATIONS DES POSTES et TAUX DE SALAIRE

TAUX DE RÉMUNÉRATION À LA PIÈCE POUR LES TECHNICIENS TRAVAILLANT À LA PIÈCE ET LES TECHNICIENS TRAVAILLANT À LA PIÈCE (COMMERCIAL)

À compter de la date de ratification et pour toute la durée de la présente convention, les taux de rémunération à la pièce indiqués à l’annexe C ci jointe s’appliqueront.

Il est expressément entendu que l’employeur se réserve le droit de procéder à des réductions, à l’imposition de frais ou et à des annulations en ce qui a trait aux taux de rémunération ou aux gains à la pièce et d’apporter des modifications à l’annexe C en fonction des besoins opérationnels et des besoins du client.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[97] La mention « besoins du client » fait référence à Rogers, l’unique client d’Intek. La mention relative à l’annexe C fait référence à une liste de codes de travail à la pièce que les techniciens d’Intek utilisent. Les employés sont rémunérés à la pièce, c’est à dire qu’ils reçoivent un montant précis calculé en fonction du code de chaque tâche qu’ils accomplissent durant leur journée de travail.

Q – Décembre 2011

1 – Début des audiences du CCRI

[98] Les audiences du Conseil ont commencé le 12 décembre 2011.

2 – Réponse du SCEP à la proposition de négociation d’Intek

[99] Dans un courriel daté du 16 décembre 2011, le SCEP a indiqué, entre autres choses, qu’il s’opposait à l’annexe A proposée par Intek dans laquelle l’entreprise se réservait le droit de modifier unilatéralement la rémunération pendant la durée de la convention collective.

R – Janvier 2012

1 – Autres négociations

[100] Les parties ont négocié du 9 au 11 janvier 2012.

2 – Question soulevée pendant la négociation : droit unilatéral de modifier la rémunération

[101] Dans le cadre des témoignages entendus par le Conseil, il a été question à plusieurs reprises du fait qu’Intek s’était réservé un droit unilatéral de modifier la rémunération, notamment pendant le contre interrogatoire de M. Wilkins. Intek a finalement modifié sa position initiale quant au droit de modifier les taux à payer relativement aux codes.

[102] Par exemple, elle a accepté à l’annexe B (pièce 17; onglet 10) de sa proposition du 17 mai 2012 que les taux de rémunération à la pièce puissent être modifiés seulement si les deux parties étaient d’accord. Intek a également accepté que le taux de rémunération pour une nouvelle classification soit établi par un tiers, dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, si les parties n’arrivaient pas à s’entendre (pièce 17; onglet 10; alinéa 11:01b)).

[103] Mais le SCEP demeurait préoccupé par le fait qu’Intek s’était réservé le droit de modifier unilatéralement le contenu des codes dans l’alinéa 5.01f) qu’elle proposait d’inclure dans sa clause sur les droits de la direction (C 7 pièce 17; onglet 6; C 8 pièce 17; onglet 10) :

5.01 Le syndicat reconnaît que la gestion des opérations et la direction de la main d’œuvre relèvent exclusivement de l’employeur et, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le syndicat reconnaît que les responsabilités suivantes appartiennent uniquement à l’employeur :


f) mettre en place de nouvelles méthodes ou installations ou améliorer celles qui existent déjà; élargir, limiter, écourter ou cesser des activités ou toute partie de celles ci; répartir et attribuer le travail, déterminer le contenu des tâches, établir de nouvelles tâches et définir les taux à y associer pendant la durée d’un contrat; déterminer les codes et ajouter, établir, retirer ou modifier des codes ou en modifier la description à l’occasion; déterminer les qualités requises pour qu’un employé puisse effectuer une tâche, déterminer le nombre d’employés requis pour effectuer une tâche ou exercer une fonction, affecter les employés à une tâche ou à un quart de travail, et remanier les tâches, les fonctions et les horaires des quarts de travail selon les besoins opérationnels;

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[104] Le SCEP a aussi contesté le libellé de la lettre d’entente proposée par Intek, dans laquelle l’entreprise se réservait le droit de recourir à l’imposition de frais pendant la durée de la convention collective (pièce 17; onglet 6) :

Les parties reconnaissent que la pratique du secteur veut que les clients imposent une pénalité mensuelle à l’employeur si celui ci ne respecte pas les normes convenues au contrat.

Intek accepte de maintenir cette pratique à condition que les normes suivantes soient respectées :

  1. Plus de 85 % pour les inspections;
  2. Moins de 6 % pour les reprises d’installations;
  3. Moins de 9 % pour les reprises d’appels de service.

Si les normes de rendement sont inférieures aux seuils établis ci dessus, INTEK se réserve le droit d’imposer des frais, conformément à la pratique du secteur.

(traduction)

[105] La lettre d’entente concernant l’imposition de frais fait expressément mention de la « pratique du secteur ». Le Conseil comprend qu’un client comme Rogers est susceptible d’imposer des pénalités, sous forme de frais, à un entrepreneur qui ne satisfait pas à certaines normes de rendement.

[106] Intek disposait aussi d’une politique permettant aux employés de garder leur véhicule d’entreprise à la maison. Le SCEP n’a pas contesté le droit d’Intek d’annuler cette politique, mais il s’est opposé au droit unilatéral de l’entreprise de modifier les frais liés au véhicule que les employés devaient payer : « L’employeur se réserve le droit de modifier les frais à l’occasion » (traduction) (pièce 17; onglet 14; annexe B).

3 – Question soulevée pendant la négociation : sous-traitance

[107] La sous-traitance est une question qui divise elle aussi les parties. Intek a rejeté l’idée du SCEP visant à restreindre le recours à la sous traitance, y compris les divers libellés proposés afin de tenir compte de toute préoccupation.

[108] Le SCEP a proposé différents libellés pour établir les modalités relatives à la sous traitance, mais Intek n’a jamais présenté de contre proposition à cet égard.

4 – Question soulevée pendant la négociation : durée

[109] Au début des négociations, Intek avait proposé que la convention collective soit d’une durée de 12 mois ou de 24 mois. Au fil des négociations, le SCEP et Intek se sont entendus sur une durée de deux ans.

[110] Par exemple, dans sa proposition du 9 janvier 2012 (C 6), Intek recommandait une période de 24 mois (pièce 17; onglet 4). Dans sa réponse du 10 janvier 2012 (U 6), le SCEP a accepté la proposition d’Intek et a précisé des dates, soit du 1er décembre 2011 au 30 novembre 2013 (pièce 17; onglet 5).

[111] Intek a plus tard proposé une durée d’un an (pièce 20), après le déclenchement de la grève par le SCEP.

5 – Question soulevée pendant la négociation : minimum journalier

[112] La proposition relative au minimum journalier divise aussi les parties. Le SCEP avait demandé que les techniciens reçoivent un salaire journalier garanti, compte tenu de la nature de leur emploi, qui repose sur le travail à la pièce. Dans son offre initiale présentée en juillet 2011 (pièce 1; onglet 16), le SCEP avait proposé un minimum journalier de 220 $ à compter du 5 avril 2011 et de 240 $ à compter du 5 avril 2012.

[113] Le minimum journalier devait inclure le paiement relatif à tous les codes de travail à la pièce associés aux tâches que les techniciens avaient effectuées durant la journée.

[114] Dans sa proposition du 9 janvier 2012 (pièce 17; onglet 4), Intek avait fait une offre conditionnelle pour un minimum journalier, sous réserve que le SCEP accepte le libellé qu’elle proposait relativement à l’ancienneté :

Minimums journaliers

Sous réserve de l’acceptation par le syndicat du libellé proposé par l’entreprise concernant l’ancienneté, l’entreprise est disposée à offrir ce qui suit :

Un minimum journalier sera établi pour les heures travaillées en fonction de quarts de travail de dix heures. Si des horaires de travail différents sont établis, les parties acceptent que le minimum journalier soit calculé au prorata. Le minimum journalier sera aussi calculé au prorata si un employé ne termine pas son quart de travail quelle qu’en soit la raison, ou demande de terminer son quart de travail plus tôt qu’à l’heure prévue.

L’employeur convient que la rémunération des employés par période de paye sera au moins égale au minimum journalier multiplié par le nombre de jours de la période de paye. Ces minimums seront utilisés aux fins du calcul de la rémunération pour les fonctions de juré, les congés de deuil et les heures supplémentaires.

Les minimums journaliers (travailleurs à la pièce, à l’exception des apprentis techniciens) seront les suivants :

En vigueur à la date de la ratification
105 $
En vigueur la deuxième année
107 $

(traduction; souligné dans l’original)

[115] Intek a retiré sa proposition relative aux minimums journaliers le 10 janvier 2012 après que le SCEP eut présenté une contre-proposition pour le libellé concernant l’ancienneté. Selon le SCEP, les minimums journaliers proposés par Intek équivalaient au salaire minimum prévu par la loi. Le SCEP a aussi affirmé qu’Intek n’avait jamais offert de minimums journaliers sans condition, quel qu’en soit le montant, malgré ce qu’elle avait dit à ses employés dans le cadre des réunions de service.

6 – Question soulevée pendant la négociation : propositions tardives

[116] Le SCEP a aussi contesté les propositions qu’Intek aurait présentées en retard. Au début de 2012, Intek a embauché un nouveau négociateur en chef lorsque son négociateur initial a changé d’emploi. En janvier 2012, Intek a présenté une première proposition concernant les employés à temps partiel (pièce 17; onglet 4).

[117] Malgré le retard de cette proposition, les parties ont échangé des libellés au cours des séances de négociation qui ont suivi.

S – Avril 2012

1 – Nouveau vote de grève

[118] À la fin d’avril 2012, le SCEP a tenu un autre vote de grève.

2 – Quatrième communication d’Intek adressée aux employés

[119] Avant que n’ait lieu le vote de grève du SCEP, Intek a envoyé une autre lettre (pièce 17; onglet 9) à tous ses employés. Dans cette lettre, elle autorisait une fois de plus ses employés à utiliser leur véhicule d’entreprise pour participer au vote de grève et, entre autres choses, elle recommandait aux employés de demander au SCEP de répondre à diverses questions :

À la réunion, il est important que vous posiez des questions et que vous obteniez tous les renseignements nécessaires pour pouvoir prendre une décision éclairée. Vous devriez peut être chercher à savoir pourquoi le syndicat souhaite obtenir un mandat de grève étant donné que l’entreprise est disposée à poursuivre les négociations. Parmi les conditions dont vous bénéficiez actuellement, comme la rémunération et les avantages sociaux, lesquelles, s’il en est, seront toujours en vigueur s’il y a une grève et serez-vous admissibles aux prestations d’assurance emploi en cas de grève? Pendant combien de temps le travail sera-t-il interrompu? Existe t il une quelconque garantie que le syndicat atteindra ses objectifs s’il y a une grève? Si nous nous prononçons en faveur d’une grève, aurons nous notre mot à dire sur l’éventualité qu’une grève soit bel et bien déclenchée et sur le moment où cela pourrait survenir?

(traduction)

T – Mai 2012

1 – Négociations collectives de mai 2012

[120] Les parties se sont rencontrées pour négocier le 17 mai 2012. Intek a présenté une proposition à jour détaillée en vue d’établir une convention de deux ans qui prévoirait une augmentation de 1,5 % par année pour les codes de travail à la pièce (pièce 17; onglet 10).

2 – Réunions de service d’Intek et commentaires sur les négociations

[121] Du 22 au 25 mai 2012, à l’instar de ce qui s’était produit avant le vote de grève du SCEP à l’automne 2011, M. Wilkins a une fois de plus discuté directement avec les employés de questions touchant les négociations dans le cadre de réunions de service obligatoires. Là encore, les employés ont été rémunérés pour assister à ces réunions.

[122] Comme le confirment les témoignages recueillis et les procès-verbaux de ces différentes réunions (pièce 17; onglets 19–22), M. Wilkins a abordé diverses questions; il a notamment affirmé :

  1. qu’il serait mieux placé pour formuler des commentaires si les employés lui posaient des questions (« Nous avons les mains liées pour ce qui est de ce que nous pouvons dire, mais posez des questions et nous allons vous répondre de la façon la plus ouverte possible pour vous informer » (traduction));
  2. que certaines des propositions présentées par le SCEP n’avaient aucun sens, ni pour les techniciens, ni pour Intek (« Les salaires qui sont proposés n’ont aucun sens pour les techniciens… » (traduction));
  3. qu’une lettre officielle allait être envoyée par Intek et que les techniciens seraient libres de continuer de travailler s’il y avait une grève;
  4. qu’on prévoyait améliorer les choses (Q : « Sans égard au syndicat, est ce qu’Intek prévoit apporter des améliorations si les négociations n’aboutissent pas? » R : « Nous avons les mains liées pour ce qui est de ce que nous pouvons dire, mais ultimement nous devons nous améliorer en tant qu’entreprise, et nous y travaillons » (traduction));
  5. que les choses allaient changer, en réponse aux préoccupations d’un employé de Midland à propos de la « lenteur du travail » (« Je ne peux pas en dire beaucoup, mais il serait insensé de ne pas envisager de changer les choses » (traductions)).

[123] M. Wilkins a aussi dit aux employés que l’entreprise allait embaucher des personnes, y compris d’anciens employés, pour que les activités se poursuivent pendant la grève, le cas échéant.

3 – Cinquième communication écrite d’Intek concernant les outils et l’équipement

[124] Le 25 mai 2012, Intek a envoyé une lettre (pièce 17; onglet 11) à ses employés concernant la grève éventuelle du 15 juin 2012. Intek demandait à ses employés d’indiquer à leur gestionnaire au plus tard le 4 juin 2012 s’ils avaient l’intention de travailler pendant la grève. Pour les employés qui ne prévoyaient pas travailler, la lettre les informait de leur obligation de retourner les outils et l’équipement d’Intek à la fin de leur dernier quart de travail :

La dernière séance de négociation avec le SCEP est terminée et, à la grande déception d’Intek, une convention collective n’a pas encore été conclue. Comme nous avons été informés d’un éventuel arrêt de travail le 15 juin, nous tenions à vous faire part des intentions d’Intek si une grève était déclenchée.

Prenez note que, si le SCEP demande que le travail soit interrompu à Intek, les activités de l’entreprise se poursuivront pour tous ceux et celles qui choisiront de continuer de travailler plutôt que de faire la grève. De nouveaux systèmes et de nouvelles procédures seront mis en œuvre pour permettre aux techniciens de continuer de servir notre client sans avoir à se rendre à l’entrepôt pour quelque raison que ce soit.

Si vous souhaitez continuer de travailler, veuillez communiquer avec votre gestionnaire (et non votre superviseur) d’ici le 4 juin 2012

...

Les employés qui choisiront de participer à l’arrêt de travail devront retourner tous les outils et pièces d’équipement appartenant à l’entreprise et au client à la fin de leur dernier quart de travail, immédiatement avant la date annoncée pour l’arrêt de travail.

(traduction; pièce 17; onglet 11; souligné dans l’original)

U – Juin 2012

1 – Sixième communication écrite d’Intek

[125] Intek a envoyé une autre lettre (pièce 17; onglet 13) à ses employés le 14 juin 2012, soit la veille du déclenchement de la grève du SCEP. Dans cette lettre, Intek commentait la nouvelle selon laquelle des conventions collectives provisoires avaient été conclues entre le SCEP et deux autres entrepreneurs de Rogers.

[126] Intek faisait aussi des suggestions quant aux types de questions que les employés devaient poser au SCEP à propos de ces conventions collectives, qu’Intek n’avait pas encore vues :

… Ces conventions provisoires n’entreront en vigueur que lorsqu’elles auront été ratifiées par les membres. Nous vous conseillons vivement de poser des questions et d’obtenir des détails pour savoir si ces conventions sont favorables ou défavorables, et si les questions importantes ont été réglées de manière positive. Vous allez probablement entendre bien des rumeurs et des insinuations au cours des prochains jours. Il est important de se rappeler qu’une convention collective peut comporter des améliorations, mais également des concessions. Il est aussi possible qu’elle ne contribue pas à améliorer les conditions d’emploi. Vous voudrez peut-être vous renseigner sur certaines des questions soulevées par le syndicat dans des communications antérieures, par exemple :

  1. L’application de l’ancienneté par opposition au mérite dans l’attribution des tâches;
  2. La question de savoir si tous les employés vont recevoir une augmentation pendant la durée de la convention;
  3. La question de savoir si des frais seront imposés pour un travail mal exécuté ou pour un mauvais rendement.

(traduction)

[127] Dans sa lettre, Intek confirmait de nouveau son intention de poursuivre ses activités pendant une grève :

Nous confirmons qu’il est dans notre intention de poursuivre nos activités si une grève est déclenchée. Nous avons tout intérêt à protéger notre entreprise du mieux que nous le pouvons, puisque nous dépendons tous, y compris la direction, de nos clients, qui nous appuient et garantissent notre viabilité commerciale. Les conséquences économiques d’une grève peuvent être désastreuses pour tout le monde, et nous allons faire tout notre possible pour pouvoir continuer de mener nos activités de la façon la plus efficace et efficiente possible. Nous ne voulons pas que nos employés participent à des mesures de grève, mais ce droit vous appartient et la décision vous revient. Nous espérons que vous allez chercher à obtenir des réponses à toutes vos questions avant de décider s’il est justifié ou non de déclencher une grève, et nous savons que vous allez faire le bon choix.

(traduction)

2 – Demande de négociation du SCEP

[128] Le SCEP a demandé la tenue d’une rencontre avec Intek pour poursuivre les négociations. Le 10 juin 2012, Intek a informé le conciliateur qu’elle n’était pas en mesure de rencontrer le syndicat.

3 – Grève chez Intek

[129] Le SCEP a déclenché la grève le 15 juin 2012, et la grève était toujours en cours au moment de la conclusion des audiences du Conseil en décembre 2012.

4 – Embauche de nouveaux employés par Intek

[130] Intek avait embauché de nouveaux employés, y compris d’anciens employés, aussi bien avant qu’après la grève. En tout, le nombre d’employés embauchés par Intek en 2012 était inférieur à ce qu’il avait été en 2011 (pièce 18; onglet 61).

V – Juillet 2012

1 – Nouvelle proposition et nouvelle demande de négociation du SCEP

[131] Le ou vers le 16 juillet 2012, le SCEP a envoyé au conciliateur une proposition de convention collective modifiée et a demandé la reprise des négociations. Intek a refusé de rencontrer le syndicat et a avancé que la proposition de celui ci constituait un pas en arrière.

[132] Le SCEP a fait valoir que, dans sa proposition, il faisait d’importantes concessions sur des éléments comme la sous-traitance et le travail de l’unité de négociation, en plus d’accepter plusieurs propositions antérieures d’Intek.

W – Août 2012

1 – Demande de négociation du SCEP

[133] Le 20 août 2012, le SCEP a écrit de nouveau à Intek (pièce 17; onglet 16) pour lui demander de reprendre les négociations :

Avant le début de la grève et par la suite, le SCEP a tenté à plusieurs reprises de rencontrer Intek afin de reprendre les négociations collectives en vue de conclure une convention collective. À cette fin, le SCEP a communiqué directement avec vous et par l’entremise de M. MacDonell. Malgré nos tentatives, Intek a toujours refusé de nous rencontrer et de reprendre les négociations. Pour justifier son refus, Intek a avancé que la dernière proposition du SCEP (U8) contenait des éléments qui constituaient « un pas en arrière ». Vous avez fait cette affirmation, mais vous avez refusé de rencontrer le SCEP pour lui expliquer votre position à cet égard. En refusant de reprendre les négociations collectives sans essayer d’expliquer sa position, Intek a complètement réduit à néant les efforts faits par les parties en vue de conclure une convention collective.

Nous vous écrivons pour vous demander une fois de plus de retourner à la table de négociation. Si nous ne recevons pas de réponse de votre part d’ici le 22 août 2012, nous conclurons qu’Intek continue de refuser de retourner à la table de négociation. Nous espérons que des efforts de bonne foi seront déployés afin d’éviter d’en arriver là.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[134] Le 21 août 2012, Intek a proposé de nouvelles dates pour la négociation, soit le 27 septembre ou les 2, 4 et 11 octobre 2012 (pièce 17; onglet 17).

X – Octobre 2012

1 – Négociations d’octobre 2012

[135] Les parties se sont rencontrées pour négocier le 4 octobre 2012.

2 – Question soulevée pendant la négociation : durée

[136] Compte tenu de la grève qui était en cours, Intek a offert de conclure une convention d’une durée d’un an (pièce 20), plutôt que d’une durée de deux ans, comme le prévoyaient plusieurs des offres échangées précédemment.

[137] Les parties n’ont fait aucun progrès.

Y – Novembre 2012

1 – Négociations

[138] Les parties se sont rencontrées pour négocier le 5 novembre 2012.

[139] Intek a proposé un « cadre de règlement » (traduction) (pièce 25) précisant les éléments à l’égard desquels elle était flexible et ceux à l’égard desquels elle ne l’était pas. Voici les éléments qu’Intek considérait comme « essentiels » (traduction) et à l’égard desquels elle était peu ou pas du tout flexible : i) la durée de la convention; ii) le partage des coûts liés aux avantages sociaux; iii) les codes utilisés par les techniciens; et iv) l’imposition de frais.

[140] Intek s’est dite flexible à l’égard, entre autres, d’éléments comme le travail de l’unité de négociation; le libellé des dispositions relatives à la sous-traitance; les taux de rémunération minimaux; et les employés à temps partiel.

[141] Intek a informé le SCEP que, si celui-ci acceptait ses propositions relatives aux éléments essentiels, elle discuterait alors avec lui des autres éléments à l’égard desquels elle se disait flexible.

[142] À la conclusion des audiences du Conseil en décembre 2012, aucune autre rencontre de négociation n’avait eu lieu entre les parties.

Z – Décembre 2012 et janvier 2013

[143] Les audiences du Conseil, y compris la présentation des plaidoiries finales, ont pris fin le 22 décembre 2012. Les parties ont par la suite fourni une liste de questions de négociation non réglées, dont la dernière a été transmise au Conseil le 22 janvier 2013.

[144] Le Conseil a informé les parties que, exceptionnellement, comme il devait statuer sur une multitude de plaintes, la décision ne serait pas rendue à l’intérieur du délai habituel de 90 jours (paragraphe 14.2(2) du Code) et qu’une prolongation avait été obtenue.

[145] Le Conseil a aussi rappelé aux parties qu’elles demeuraient assujetties à l’Obligation prévue au Code.

IV – Questions en litige

[146] Les plaintes du SCEP soulèvent diverses questions qui doivent être résolues :

  1. Intek a-t-elle enfreint la disposition sur le gel (alinéa 50b))?
  2. Intek a-t-elle fait appel à des travailleurs de remplacement en violation du paragraphe 94(2.1)?
  3. Par ses diverses communications avec ses employés, Intek a-t-elle enfreint l’alinéa 94(1)a)?
  4. Intek a-t-elle enfreint l’alinéa 94(3)a) en traitant comme elle l’a fait MM. Burtch et Kou?
  5. Intek a-t-elle manqué à l’Obligation (alinéa 50a))?

V – Analyse et décisions

A – Introduction

1 – Chronologie des plaintes de PDT

[147] Dans ses délibérations, le Conseil a dû tenir compte de l’ordre chronologique des multiples plaintes déposées par le SCEP.

[148] Bien que le Conseil ait accédé à la demande du SCEP d’entendre tous les éléments de preuve dans le cadre d’une même instance, cela ne voulait pas dire que tous les éléments présentaient nécessairement un intérêt pour chacune des allégations.

[149] Dans certains cas, le Code prévoit des mesures de redressement précises pour la violation des dispositions qu’il contient. Par exemple, l’alinéa 99(1)b.1) prévoit une mesure de redressement particulière pour le manquement à l’Obligation prévue à l’alinéa 50a) (voir ci après). Il ne s’agit pas d’une mesure de redressement de nature générale que le Conseil peut appliquer à toute violation du Code.

[150] De la même façon, le Code précise le moment où commence à s’appliquer une obligation légale. Par exemple, l’Obligation prévue à l’alinéa 50a) a commencé à s’appliquer lorsque le SCEP a envoyé son avis de négociation. La période de gel prévue à l’alinéa 50b) du Code a aussi débuté à cette date. Le moment où ce gel prenait fin était lui aussi dicté par le Code.

[151] Étant donné que le Parlement a établi des mesures de redressement pour la violation de certains articles du Code, le Conseil est tenu d’en tenir compte lorsqu’il doit statuer sur une multitude d’allégations de violation du Code. S’il traitait toutes les allégations de façon globale, sans tenir compte du moment où les diverses obligations légales ont commencé à s’appliquer, ou sans tenir compte des mesures de redressement prévues pour la violation de certaines dispositions du Code, il ne respecterait pas la structure du Code.

2 – Fardeau de la preuve

[152] Lorsqu’il s’agit, par exemple, de déterminer si Intek a manqué à l’Obligation ou est intervenue dans les droits de représentation du SCEP, c’est au SCEP qu’incombe le fardeau de la preuve. En l’espèce, le SCEP a d’abord présenté ses éléments de preuve pour toutes les plaintes, mais les parties savaient que le fardeau de la preuve varierait selon les allégations.

[153] Pour ce qui est des questions à l’égard desquelles le fardeau de la preuve, en vertu du Code, était inversé et incombait à Intek (paragraphe 98(4)) – sujet que nous examinerons dans le détail ci-après – l’entreprise avait l’obligation de convaincre le Conseil que les mesures qu’elle a prises n’étaient pas motivées par un sentiment antisyndical.

B – Décisions

1 – Intek a-t-elle enfreint la disposition sur le gel (alinéa 50b))?

[154] Le SCEP affirme qu’Intek a enfreint la disposition sur le gel prévue à l’alinéa 50b) du Code lorsqu’elle a diffusé trois notes de service en août 2011 à propos de l’utilisation du code 692 :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :


b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n’ont pas été remplies, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.

[155] Le Conseil a entendu des témoignages selon lesquels les employés d’Intek utilisaient le code 692 différemment selon la région. Les notes de service envoyées en août 2011 concernant le code 692 avaient pour but d’uniformiser l’utilisation de ce code, qui n’avait apparemment pas été revue depuis 2009.

[156] M. Burtch a témoigné que, en raison de ce changement, des employés étaient susceptibles d’être moins rémunérés qu’avant. Intek a toutefois affirmé que le résultat serait neutre, puisque certains codes peuvent être utilisés plusieurs fois. Intek a aussi fait valoir qu’il était nécessaire que ses employés utilisent les codes de façon uniforme.

[157] Le Conseil est convaincu que ce changement respecte le principe du « maintien du statu quo » que le Conseil applique lorsqu’il est question du gel imposé par le Code. Un employeur peut continuer de gérer ses activités de façon normale, malgré l’imposition d’un gel aux termes du Code. L’employeur peut notamment corriger des pratiques de travail divergentes d’une région à l’autre.

[158] Le Conseil rejette l’allégation du SCEP selon laquelle Intek a enfreint la disposition sur le gel lorsqu’elle a envoyé des notes de service concernant l’utilisation du code 692 en août 2011.

2 – Intek a-t-elle fait appel à des travailleurs de remplacement en violation du paragraphe 94(2.1) du Code?

[159] L’expression « travailleurs de remplacement » est utilisée dans la marge du Code au paragraphe 94(2.1). Le SCEP prétend qu’Intek a enfreint le paragraphe 94(2.1) du Code en faisant appel à des « travailleurs de remplacement » :

94.(2.1) Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d’utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation, les services de toute personne qui n’était pas un employé de l’unité de négociation à la date de remise de l’avis de négociation collective et qui a été par la suite engagée ou désignée pour exécuter la totalité ou une partie des tâches d’un employé de l’unité de négociation visée par une grève ou un lock-out.

(c’est nous qui soulignons)

[160] L’alinéa 99(1)b.3) du Code définit les mesures de redressement que le Conseil peut ordonner s’il y a eu violation du paragraphe 94(2.1)) :

99.(1) S’il décide qu’il y a eu violation des paragraphes 24(4) ou 34(6), des articles 37, 47.3, 50 ou 69, des paragraphes 87.5(1) ou (2), de l’article 87.6, du paragraphe 87.7(2) ou des articles 94, 95 ou 96, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s’y conformer et en outre :

...
b.3) dans le cas du paragraphe 94(2.1), enjoindre, par ordonnance, à l’employeur de cesser d’utiliser pendant la durée du différend les services de toute personne qui n’était pas un employé de l’unité de négociation à la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné et qui a été par la suite engagée ou désignée pour exécuter la totalité ou une partie des tâches d’un employé de l’unité visée par la grève ou le lock-out.

(c’est nous qui soulignons)

[161] Dans un rapport intitulé Vers l’Équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995 (le rapport Sims), où l’on a passé en revue la partie I du Code au milieu des années 1990, le groupe de travail a examiné la question de savoir si le recours aux travailleurs de remplacement devrait être interdit à l’échelle fédérale :

Il fut question lors des séances de consultations de conflits où des employeurs ont fait appel à des travailleurs de remplacement ou ont envisagé de le faire. Dans certains de ces conflits, il est évident que l’employeur poursuivait des fins autres que ses objectifs économiques déclarés et qu’il a fait perdurer le conflit, grâce à des travailleurs de remplacement, dans le seul but d’exclure le syndicat. Les plaintes de pratiques déloyales et les témoignages de grévistes confirment cette déduction. À toutes fins utiles, certains employeurs ont déclaré que telle était bien leur intention durant les conflits en question. Il est très démoralisant pour des employés de risquer de perdre leur emploi, non pas parce qu’ils refusent les conditions d’ordre économique de l’employeur, mais parce qu’ils tiennent à être représentés par un syndicat, conformément à leur droit.

Par contre, il peut être nécessaire de faire appel à des travailleurs de remplacement pour maintenir la viabilité d’une entreprise quand les conditions économiques sont difficiles et les exigences syndicales inacceptables. Dans un régime de libre négociation collective, il importe que les employeurs conservent cette option. C’est pourquoi on ne peut interdire entièrement le recours à des travailleurs de remplacement. Si cette option n’existait pas, les employeurs s’organiseraient de façon à réduire leur dépendance à l’égard de leur personnel permanent, pour ne pas être vulnérables, ce qui serait contraire à l’intérêt des travailleurs et à leur propre intérêt.

C’est seulement dans des circonstances exceptionnelles que les employeurs ont recours aux travailleurs de remplacement dans un but peu avouable. Alors, la grève ou le lock-out ne vise plus des objectifs d’ordre économique, mais porte sur la question de la reconnaissance syndicale. Le régime d’accréditation et de révocation de l’accréditation fondé sur l’appui de la majorité a été conçu pour éviter les conflits de reconnaissance parce qu’ils menacent les fondements du régime.

Mais quand peut-on savoir qu’une grève ou un lock-out ne vise plus un objectif légitime, mais porte sur le droit, pour les employés, d’être représentés par un syndicat et que les travailleurs de remplacement ne sont utilisés que pour cette raison? II n’existe pas de critère infaillible pour trancher cette question.

Les droits du syndicat reposant sur l’appui de la majorité des employés, il nous semble légitime de vérifier l’existence de cet appui avant une grève. C’est pourquoi nous recommandons qu’un vote de grève soit tenu peu de temps avant son déclenchement par le syndicat.

Une grève ou un lock-out devrait être déclenchée ou décrétée pour des questions ayant trait aux négociations et non à la reconnaissance syndicale. Il faut interdire les travailleurs de remplacement seulement lorsqu’on fait appel à eux pour des fins illégitimes. Notre recommandation poursuit cet objectif tout en préservant l’équilibre sur lequel repose la négociation collective.

RECOMMANDATIONS :

Que le recours aux travailleurs de remplacement ne fasse pas l’objet d’une interdiction générale.

Que, si la preuve est faite que le recours aux travailleurs de remplacement pendant un conflit vise à miner la capacité de représentation d’un syndicat et non à atteindre des objectifs légitimes de négociation, une telle pratique soit considérée comme étant déloyale.

Que, s’il est établi que le recours aux travailleurs de remplacement constitue une pratique de travail déloyale, le Conseil soit expressément habilité à interdire le recours à ces travailleurs pendant le conflit en question.

(pages 143-144; c’est nous qui soulignons)

[162] Il se dégage ce qui suit du paragraphe 94(2.1) et de l’alinéa 99(1)b.3) :

  1. Un travailleur de remplacement est une personne qui n’était pas un employé de l’unité de négociation à la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné;
  2. De façon générale, les employeurs ont le droit d’avoir recours à d’autres personnes pour faire le travail de l’unité de négociation pendant une grève ou un lock-out;
  3. Le Code porte principalement sur les activités exécutées durant une grève ou un lock-out, et non sur les mesures prises en prévision d’un conflit (voir TELUS Communications inc., 2004 CCRI 271 (TELUS 271), au paragraphe 110, décision modifiée pour d’autres motifs par TELUS Communications inc., 2005 CCRI 317);
  4. Lorsque l’employeur a recours à d’autres personnes pour exécuter le travail de l’unité de négociation, son intention doit être d’exercer une pression légitime sur le syndicat dans le cadre des négociations, qui doit être comparable à la pression qu’un syndicat cherche à exercer sur un employeur en déclenchant une grève;
  5. Lorsque l’intention d’un employeur est de miner la capacité de représentation de l’agent négociateur plutôt que d’exercer une pression légitime dans le cadre des négociations, le Conseil peut alors intervenir et ordonner à l’employeur de cesser de faire appel à des travailleurs de remplacement pendant la grève ou le lock-out;
  6. Le fardeau de la preuve incombe au syndicat, qui doit démontrer que le recours par un employeur à des travailleurs de remplacement avait pour but de miner sa capacité de représentation.

[163] Dans ses observations écrites, le SCEP affirme qu’il s’est acquitté du fardeau qui lui incombait pour que soit rendue une ordonnance interdisant à Intek de faire appel à des travailleurs de remplacement :

207. En application de ce qui précède, il est avancé qu’Intek a enfreint les dispositions du Code en faisant appel à des travailleurs de remplacement dans l’objectif établi de miner la capacité de représentation du SCEP. Il existe un lien manifeste entre la négociation de mauvaise foi de l’employeur et le recours à des travailleurs de remplacement. Le recours à des travailleurs de remplacement, y compris la menace d’y recourir, a constitué un élément crucial de la stratégie d’Intek en vue d’affaiblir la position du SCEP durant les négociations et durant la grève. Le recours à des travailleurs de remplacement dans les circonstances de l’espèce visait à éroder le soutien des membres de l’unité de négociation à l’égard de la grève du SCEP, minant ainsi la position de ce dernier à la table de négociations collectives. Intek n’était pas tenue d’informer les membres de l’unité de négociation du fait qu’elle allait avoir recours à des travailleurs de remplacement, et cette communication n’était fondée sur aucun objectif économique général. En termes simples, cette communication visait à miner la capacité de représentation du SCEP, en violation du Code.

208. Pour ce qui est de démontrer l’intention illégale que doit avoir eue Intek, le Conseil peut se référer aux nombreuses autres pratiques déloyales de travail auxquelles l’entreprise a eu recours; elles constituent un fondement suffisant pour conclure à l’existence d’un « sentiment antisyndical ».

(traduction)

[164] Selon les éléments de preuve, Intek embauche continuellement de nouveaux employés, en raison de l’important roulement de personnel dans ce secteur. Les statistiques présentées révèlent qu’en 2012, année où la grève a eu lieu, Intek a embauché moins de la moitié du nombre d’employés embauchés en 2011 (pièce 18; onglet 61). Le fait qu’Intek a communiqué avec d’anciens employés et d’autres personnes avant la grève du SCEP déclenchée le 15 juin 2012 n’est apparemment pas le type de comportement visé au paragraphe 94(2.1) (voir ci dessus).

[165] Ces nouveaux employés ont-ils été embauchés dans l’objectif établi de miner la capacité de représentation du SCEP?

[166] Selon le rapport Sims, il serait possible de conclure à une telle intention à partir d’une conduite, notamment des pratiques déloyales de travail de la part de l’employeur, qui témoigne d’un désir de débarrasser le lieu de travail d’un syndicat. Le Conseil examinera si d’autres violations du Code par Intek permettent d’en arriver à une telle conclusion en ce qui concerne les employés qu’elle a embauchés pour la grève de 2012.

[167] Comme il est indiqué dans l’introduction, le SCEP n’a eu gain de cause qu’à l’égard de certaines de ses allégations selon lesquelles Intek a enfreint des dispositions du Code (voir ci après). Le Conseil doit examiner ces autres violations du Code afin de déterminer si les négociations collectives se sont transformées en un conflit lié à la représentation visé au paragraphe 94(2.1). Mais l’existence d’autres violations du Code, bien qu’elles soient pertinentes, ne met pas un point final à l’analyse du Conseil.

[168] Par exemple, une partie peut manquer à l’Obligation dans le faux espoir d’obtenir une convention collective encore plus favorable. En ce qui concerne la question des travailleurs de remplacement, le rapport Sims faisait référence à des situations dont le CCRT avait été saisi et dans lesquelles l’employeur n’avait manifesté aucune intention de conclure une convention collective, mais avait plutôt cherché à détruire le syndicat accrédité.

[169] Le Conseil a conclu que les violations du Code par Intek n’ont pas transformé la situation dont il est question en l’espèce en un conflit lié à la représentation. Le Conseil est convaincu qu’Intek a fait appel à des personnes pour remplir ses obligations contractuelles envers Rogers. Le recours à ces personnes visait aussi à accroître la pression exercée sur le SCEP dans le cadre des négociations.

[170] Hormis certaines propositions et mesures troublantes d’Intek, dont le Conseil traitera ci après, les progrès réalisés dans l’ensemble par les parties ne donnent pas à penser que leurs négociations collectives s’étaient transformées en un conflit lié à la représentation. Ce n’est pas le type de situation exceptionnelle prévue au Code.

[171] Le Conseil rejette l’allégation du SCEP selon laquelle Intek a fait appel à des travailleurs de remplacement en violation du paragraphe 94(2.1).

3 – Par ses diverses communications avec ses employés, Intek a-t-elle enfreint l’alinéa 94(1)a)?

[172] L’alinéa 94(1)a) du Code interdit l’intervention de l’employeur dans l’administration d’un syndicat ou dans la représentation des employés par celui-ci :

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[173] En ce qui concerne la violation de l’alinéa 94(1)a), le fardeau de la preuve incombe au SCEP. Toutefois, il n’a pas à faire la preuve que les mesures prises par Intek ont été motivées par un sentiment antisyndical.

[174] Dans les modifications apportées au Code en 1999, le Parlement a ajouté l’alinéa 94(2)c) afin d’établir un critère explicite permettant de faire la distinction entre une communication acceptable et une communication non acceptable de la part de l’employeur :

94.(2) Ne constitue pas une violation du paragraphe (1) le seul fait pour l’employeur :

...

d) soit d’exprimer son point de vue, pourvu qu’il n’ait pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace.

[175] La recommandation du rapport Sims précisait qu’il fallait reconnaître explicitement le droit d’un employeur d’exprimer un point de vue, et établir les limites à imposer à cet égard :

Opinions exprimées par l’employeur

Nous avons mentionné précédemment que l’employeur doit peser ses paroles et ses actions lorsque les employés décident de leur adhésion à un syndicat. Bien qu’une telle décision doit être prise librement par les employés, la loi ne précise pas que l’employeur doive pour autant rester tout à fait silencieux sur cette question. Plusieurs groupes d’employeurs nous ont vivement encouragés à recommander que le Code précise leur liberté d’expression.

Le Conseil reconnaît le droit de l’employeur de communiquer et il a établi de quelle façon ce dernier peut l’exercer à la lumière des dispositions qui interdisent son intervention dans la formation du syndicat. Plusieurs provinces ont énoncé ce droit expressément dans la loi et nous recommandons qu’une disposition semblable soit intégrée dans le Code. Ajoutons qu’une telle disposition ne restreindrait en rien le droit exclusif du syndicat de représenter les employés.

RECOMMANDATION :

Que le paragraphe 94(2) soit modifié par l’addition d’un alinéa où il serait précisé que le fait, pour un employeur, d’exprimer ses points de vues ne constitue pas une violation du paragraphe (1), pourvu que l’employeur n’ait pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace.

(page 71; souligné dans l’original)

[176] Le SCEP a contesté les diverses communications écrites envoyées par Intek, de même que les observations présentées de vive voix aux employés au cours des réunions obligatoires avec la direction.

[177] Le Conseil divisera ces communications selon le type (orales ou écrites) et selon la période à laquelle elles ont eu lieu (avant ou après l’accréditation).

[178] Le CCRT avait déjà fait observer qu’un employeur devait rester neutre durant une campagne de syndicalisation et qu’il ne pouvait répondre qu’à des commentaires inappropriés du syndicat (American Airlines Incorporated (1981), 43 di 114; et [1981] 3 Can LRBR 90 (CCRT no 301)).

[179] L’ajout de l’alinéa 94(2)c) a manifestement eu une incidence sur les concepts en vigueur avant 1999 relativement à la neutralité de l’employeur.

[180] Au paragraphe 24 de la décision Air Canada, 2001 CCRI 131, le Conseil a formulé des observations sur l’ajout de l’alinéa 94(2)c) au Code :

[24] Cette disposition, qui figure depuis peu dans le Code, trouve écho dans les lois provinciales sur les relations de travail comme celles de l’Alberta et de l’Ontario. Les commissions des relations de travail de ces provinces ont généralement interprété les termes « exprimé » et « influence, promesses, coercition, intimidation ou menace » indus au sens propre, créant ainsi un critère factuel d’une assez grande simplicité (voir, par exemple, l’affaire Calgary (City), [2001] Alta. L.R.B.R. 250, à la page 265). Par conséquent, si, en s’appuyant sur les faits, le Conseil en arrive à la conclusion qu’une communication est en réalité l’expression d’un point de vue personnel, et que l’employeur n’a pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace, cette communication devrait être visée par l’exception prévue à l’alinéa 94(2)c) et être réputée ne pas contrevenir au Code.

[181] Se prononçant sur les communications durant une campagne de syndicalisation, le Conseil a avancé, dans FedEx Ground Package System, ltée., 2011 CCRI 614, certains principes qui peuvent être pris en compte pour distinguer l’expression d’un point de vue personnel de la formulation de commentaires qui ne sont pas couverts par la protection du Code :

[81] Le Conseil, à partir de la jurisprudence, tire les principes non exhaustifs qui sont énoncés ci-dessous :

  • Un employeur a le droit d’exprimer son point de vue et n’est pas confiné à de simples banalités. Il y a un juste milieu, entre de simples banalités et l’ingérence et l’influence indue, qui permet à l’employeur d’exprimer librement son point de vue.
  • En évaluant le comportement de l’employeur, le Conseil devrait chercher à établir si ledit comportement a porté atteinte à la capacité des employés d’exprimer leurs véritables désirs. Autrement dit, le comportement de l’employeur a-t-il privé les employés de la capacité d’exprimer leurs véritables désirs de décider d’adhérer ou non au syndicat?
  • La définition de l’intimidation, de la coercition et de l’influence indue dans le contexte des relations de travail renferme l’élément fondamental suivant : le recours à une certaine forme de force ou à la menace, ou le fait d’exercer une pression indue ou une contrainte dans le but de contrôler ou d’influencer la liberté d’association des employés.
  • Le fait qu’un employeur ne désire pas de syndicat et qu’il exprime son opinion en ce sens ne constitue pas nécessairement une violation du Code; il faut procéder à une analyse factuelle afin de déterminer si la manière dont cette opinion est exprimée renferme un élément de coercition ou d’intimidation, des menaces ou des promesses, ou une influence indue.
  • Le Conseil devrait tenir compte du contexte dans lequel les déclarations sont faites et l’incidence probable sur un employé raisonnable des moyens utilisés. Le mode privilégié est la mise en circulation de documents écrits. Ce mode de communication est moins envahissant que les réunions à auditoire contraint ou des discussions privées avec les employés.

[182] Une analyse fondée sur l’alinéa 94(2)c) vise à déterminer si, lorsqu’un employeur semble, de l’extérieur, avoir exprimé un point de vue personnel, il a « indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace ». Ces termes qui établissent une exception à la « liberté d’expression » d’un employeur, selon l’expression employée dans le rapport Sims, laissent entrevoir une sanction ou, inversement, une récompense liée aux droits fondamentaux que le Code confère à un employé.

[183] Des indications quant à l’interprétation des termes ci-dessus se dégagent de l’utilisation qu’on fait de ces termes ailleurs dans le Code.

[184] Par exemple, l’article 96 contient lui aussi les termes « mesures coercitives » et « menaces » :

96. Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

(c’est nous qui soulignons)

[185] Dans Bell Mobility inc., 2011 CCRI 579 (Bell Mobility 579), un employeur alléguait que le SCEP avait enfreint l’article 96 dans la façon dont il avait recueilli ses cartes d’adhésion. Le Conseil avait conclu que le SCEP n’aurait pas pu avoir recours à des mesures coercitives ou à des menaces puisqu’il n’y avait eu usage de la force ou menace d’en user dans aucun des actes allégués (et non prouvés) :

[34] Le Conseil est aussi d’avis qu’aucune allégation précise n’a été soulevée quant à la manière dont un employé aurait fait l’objet de menaces ou de mesures coercitives. Même si c’était le cas, le fait qu’un employé aurait pu être induit en erreur au cours d’une campagne de syndicalisation – une allégation que le SCEP a niée catégoriquement – ne constituerait pas des menaces ou des mesures coercitives au sens de l’article 96 du Code.

[35] L’arrêt TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285, porte sur une décision dans laquelle le Conseil avait examiné des allégations de menaces et de mesures coercitives plus détaillées que celles qui sont en cause en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a fait les commentaires suivants sur l’enquête menée par le Conseil au sujet de ces allégations et sur ses conclusions :

[2] Deux questions relatives à la justice naturelle qui ont été soulevées par les avocats de la demanderesse et par les avocats des sept employées méritent d’être examinées. Selon la première prétention, l’enquête sur l’intimidation et la contrainte qui auraient été exercées par les représentants syndicaux, qui avait été effectuée pour le compte du Conseil, était insuffisante et inéquitable sur le plan de la procédure, ce qui équivalait à une absence d’enquête. À mon avis, ce motif ne peut être retenu.

[3] Les allégations d’intimidation faites par les employées avaient trait à des visites non annoncées de représentants syndicaux chez elles le soir. Ces visiteurs se montraient insistants et parfois même s’attardaient sans y avoir été invités. L’enquêteur a conclu que cette conduite n’était pas suffisamment grave pour constituer de l’intimidation ou de la contrainte. L’enquête n’a peut-être pas été aussi approfondie que les plaignantes l’auraient voulu, mais l’enquêteur a interrogé trois d’entre elles avant de transmettre son rapport au Conseil; ce rapport était partiellement confidentiel, comme c’est généralement le cas, pour protéger les employées. Aucune des plaignantes n’a allégué que c’est l’intimidation dont elles auraient été l’objet qui les avait amenées à signer des cartes de membre; la seule employée ayant signé une carte de membre a indiqué par la suite qu’elle regrettait de l’avoir fait. Aucun acte ou menace de violence n’a été allégué. Il y a eu seulement des tentatives répétées de persuasion, qui étaient peut-être trop enthousiastes et qui se sont très souvent révélées infructueuses. Il doit être fait preuve d’une grande retenue à l’égard du Conseil en ce qui concerne les questions de procédure (Telus Communications c. Syndicat des travailleurs en télécommunications, [2005] A.C.F. no 1253). Le Conseil est largement le maître de sa propre procédure, laquelle ne devrait pas faire l’objet d’un examen microscopique. Rien ne permet de conclure à un déni de justice naturelle pour ce motif.

[36] Le Conseil a aussi examiné une décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), Atlas Specialty Steels, [1991] OLRB Rep. June 728, et il est du même avis que la CRTO : pour qu’il y ait menaces ou mesures coercitives, il doit y avoir plus que de simples promesses faites pendant une campagne de syndicalisation :

[12] Le sens donné à l’expression « par la menace de contraindre » dans le cadre de l’article 70 a été examiné dans de nombreuses décisions antérieures de la Commission… Pour qu’une allégation de violation de l’article 70 soit défendable, il doit y avoir une tentative de contraindre par la menace une personne à, entre autres, s’abstenir d’exercer les droits que lui confère la Loi. Il doit y avoir usage de la force, ou menace d’en user, qu’il s’agisse de force physique ou non...

[37] Le Conseil partage le raisonnement de la CRTO et il conclut que, même si les allégations de BMI étaient tenues pour avérées, il n’y a aucune preuve de menaces ou de mesures coercitives en l’espèce.

(c’est nous qui soulignons)

[186] De la même façon, les termes « coercition » et « intimidation » que contient l’alinéa 94(2)c) exigent d’une certaine façon qu’il y ait usage de la force ou menace d’en user, qu’il s’agisse de force physique ou non. La notion de « menaces », terme aussi utilisé à l’alinéa 94(2)c), est inextricablement liée aux notions de « coercition » et d’« intimidation ». Ces notions laissent entrevoir une sanction à l’endroit des employés si ceux-ci exercent, entre autres, leur droit fondamental d’adhérer à un syndicat.

[187] Par opposition, la notion de « promesse » sous-entend une récompense offerte par l’employeur afin de convaincre les employés de ne pas exercer les droits que leur confère le Code. Une promesse n’est associée à aucun usage de la force, ou à la menace d’en user, mais elle démontre plutôt le pouvoir économique important dont dispose l’employeur sur la vie professionnelle des employés.

[188] La notion d’« influence indue », qui pourrait en théorie constituer une sanction ou une récompense, selon les circonstances, sous-entend que, en exprimant son point de vue, un employeur est susceptible d’exercer une certaine influence. Mais le Code cesse de protéger le droit d’un employeur d’exprimer un point de vue si cette influence est utilisée « indûment ».

[189] En résumé, les exceptions liées à la liberté d’expression de l’employeur prévues à l’alinéa 94(2)c) sont conçues pour englober aussi bien les sanctions que les récompenses. En l’espèce, le SCEP a convaincu le Conseil que, dans certaines de ses communications avec ses employés, Intek a enfreint l’alinéa 94(1)a) sans que la protection prévue à l’alinéa 94(2)c) puisse être invoquée.

a – Communications écrites envoyées durant la campagne de syndicalisation du SCEP

[190] Dans les témoignages que le Conseil a entendus, il a été question de cinq communications écrites distinctes qui ont précédé l’accréditation. Intek en a envoyé trois (pièce 1; onglets 1, 2 et 4), et le SCEP en a envoyé deux aux employés d’Intek pour leur faire part des avantages d’appuyer la campagne de syndicalisation (pièce 18; onglets 3 et 4).

[191] Ni Intek ni le SCEP ne disaient du bien de l’autre dans leurs commentaires écrits. Il est évident qu’ils cherchaient tous les deux à influencer les employés.

[192] Compte tenu du contexte, le SCEP n’a pas convaincu le Conseil qu’Intek était allée trop loin dans les communications qu’elle a envoyées avant l’accréditation.

[193] La capacité d’un employeur d’exprimer un point de vue personnel ne se limite pas simplement à dire aux employés qu’il préférerait ne pas avoir de syndicat. Cependant, plus la campagne de l’employeur est dynamique, surtout au début des efforts de syndicalisation, plus l’employeur est susceptible d’aller trop loin par rapport au critère établi à l’alinéa 94(2)c). Cet élément est particulièrement pertinent lorsque le Conseil doit déterminer si une quelconque « influence » a été utilisée « indûment ».

[194] Le Conseil n’est pas convaincu qu’Intek a enfreint le Code en disant que les conditions d’emploi pouvaient s’améliorer, se dégrader ou se maintenir. Si les communications écrites doivent toujours être considérées en fonction de chaque cas en particulier, le SCEP a néanmoins laissé entendre dans ses propres communications écrites qu’il améliorerait les salaires et les conditions d’emploi. Le Conseil doit se garder d’analyser de trop près les communications écrites que les syndicats et les employeurs peuvent envoyer durant une campagne de syndicalisation.

[195] Le Conseil n’a pas non plus été convaincu que, en faisant référence aux cotisations syndicales ou à la situation du secteur de l’automobile, pour donner deux autres exemples, Intek a outrepassé son droit d’exprimer un point de vue personnel. Il semble évident que les employés ne s’attendraient pas à bénéficier des avantages de la représentation du SCEP sans devoir assumer certains frais connexes. En outre, le SCEP a répondu aux observations écrites d’Intek à propos des cotisations syndicales dans son communiqué intitulé « L’heure juste ».

[196] Parallèlement, bien que le SCEP soit préoccupé par le fait qu’Intek ait parlé du TCA et des difficultés qu’a connues récemment le secteur de l’automobile, l’entreprise a aussi implicitement rappelé aux employés les grands avantages que les travailleurs de l’automobile ont obtenus en appuyant le TCA au cours des dernières décennies.

[197] Le Conseil s’est penché sur les missives envoyées par les parties durant la campagne de syndicalisation. Elles n’ont pas eu pour effet d’empêcher le SCEP d’être accrédité, ce qui est l’un des facteurs dont peut tenir compte le Conseil. Dans le contexte général de l’affaire qui nous occupe, le Conseil n’a pas été convaincu qu’Intek a enfreint le Code en communiquant par écrit avec ses employés avant l’accréditation du SCEP.

b – Communications écrites envoyées par Intek après l’accréditation

[198] Dans les témoignages que le Conseil a entendus, il a été question de trois communications écrites envoyées par Intek à ses employés après l’accréditation. Dans la première, envoyée en avril 2012 (pièce 17; onglet 9), Intek suggérait aux employés des questions à poser à propos du deuxième vote de grève du SCEP. Elle y autorisait aussi ses employés à utiliser leur véhicule d’entreprise pour aller participer au vote de grève.

[199] Dans sa deuxième communication, envoyée en mai 2012 (pièce 17; onglet 11), Intek demandait à ses employés, entre autres choses, d’indiquer à leurs gestionnaires à l’avance s’ils allaient travailler en juin 2012 plutôt que de faire la grève. La troisième communication portait sur le fait que deux autres entrepreneurs se trouvant dans une situation semblable avaient récemment conclu des conventions provisoires avec le SCEP (pièce 17; onglet 13).

[200] Parmi les trois communications écrites envoyées après l’accréditation, la lettre de mai 2012, dans laquelle Intek demandait aux employés de faire part à l’avance de leurs intentions relativement à la grève, est celle qui était la plus problématique aux yeux du Conseil. Le prétexte invoqué par Intek pour justifier cette demande tenait au fait qu’elle devait récupérer les outils et l’équipement, y compris les véhicules, que les techniciens avaient toujours en leur possession.

[201] Cependant, ce ne sont pas tous les employés qui ont des véhicules d’entreprise en leur possession. Par exemple, M. Burtch était tenu d’aller chercher son véhicule chaque jour. De même, certains des employés d’Intek travaillent à l’entrepôt. Et pourtant, Intek a demandé à chacun des employés de lui faire savoir, 11 jours avant le déclenchement prévu de la grève le 15 juin 2012, s’ils souhaitaient continuer de travailler.

[202] Le Conseil peut comprendre qu’il soit nécessaire, dans ce type de secteur, d’établir un système méthodique pour le retour des biens de l’entreprise. Mais, en prenant des mesures pour sonder ses employés à propos de leurs intentions relativement à la grève, Intek est intervenue dans les droits de représentation du SCEP. Selon le Conseil, l’établissement des horaires de travail et l’obligation de retourner l’équipement n’étaient que des prétextes pour permettre à Intek d’estimer l’importance de la grève imminente.

[203] Le fait de ne pas savoir dans quelle mesure une grève ou un lock-out donnera les résultats escomptés est l’un des principaux éléments qui incitent les parties à conclure des conventions collectives de dernière minute. Le fait de sonder les membres de l’unité de négociation du SCEP à propos de leurs intentions relativement à la grève diffère peu du fait de faire comme si l’agent négociateur accrédité n’existait pas et de débattre des conditions d’emploi directement avec les employés (voir, par exemple, Aliant Telecom inc., 2005 CCRI 310).

[204] Ces deux activités constituent un contournement illégal des droits de représentation du SCEP et une intervention dans les activités légitimes du syndicat. Il s’agit là d’une violation du Code.

c – Réunions à auditoire contraint

[205] En septembre 2011 et en mai 2012, Intek a traité de questions soulevées pendant la négociation dans le cadre de réunions de service obligatoires, pour lesquelles les employés ont été rémunérés. Le moment choisi pour tenir ces réunions et les sujets qui y ont été abordés n’étaient pas une coïncidence. Non seulement elles ont eu lieu durant les négociations collectives, mais elles ont été tenues tout juste avant que le SCEP envisage avec les employés la possibilité de déclencher une grève.

[206] Intek a avancé qu’elle n’avait jamais participé à un processus de négociation collective et qu’elle avait agi innocemment. Le Conseil conclut qu’Intek savait exactement ce qu’elle faisait lorsque M. Wilkins a décidé de formuler des commentaires souvent identiques sur des questions de négociation à chacune de ces réunions de service.

[207] La série de réunions à auditoire contraint tenues en septembre 2011 a eu lieu même si plusieurs plaintes de PDT étaient en instance devant le Conseil. Les audiences du Conseil concernant les diverses plaintes étaient déjà commencées lorsque les réunions tenues en mai 2012 ont eu lieu.

[208] Durant ces réunions à auditoire contraint, les employés d’Intek, qui n’avaient d’autre choix que d’être présents, ont été induits en erreur à propos du déroulement des négociations. Intek y a présenté le SCEP sous un jour négatif. Par ailleurs, selon les procès-verbaux d’Intek elle même ainsi que les témoignages recueillis, les renseignements fournis aux employés concernant les offres du SCEP étaient inexacts.

[209] Par exemple, Intek a mentionné que le SCEP avait demandé un minimum journalier de 300 $. Même si ce montant a été présenté comme donnée « hypothétique » (traduction), M. Wilkins s’en est servi pour appuyer son point de vue selon lequel les demandes du SCEP étaient déraisonnables. Comme il a été indiqué plus tôt, le minimum journalier proposé initialement par le SCEP était loin de ce montant. Le commentaire d’Intek selon lequel l’entreprise était disposée à accepter un minimum journalier était lui aussi fallacieux. La seule offre qu’Intek a présentée relativement au minimum journalier était conditionnelle à l’acceptation par le SCEP, sans autre négociation, de la proposition d’Intek concernant le libellé relatif à l’ancienneté.

[210] Intek a aussi laissé entendre aux employés, dont certains, comme elle le savait, n’appuyaient pas le SCEP, qu’elle pourrait leur en dire plus s’ils lui posaient des questions. Cette façon de procéder, inhabituelle pour le Conseil, semble avoir pour objectif de susciter des questions antisyndicales hostiles, voire des questions suggérées par l’employeur, dans le cadre de ce genre de réunions.

[211] Non seulement Intek a essayé de convaincre les employés que les propositions du SCEP n’avaient aucun sens pour eux, mais elle n’a pas su s’empêcher d’aborder le sujet de la révocation de l’accréditation.

[212] Toujours selon les procès-verbaux, Intek a assuré aux employés qu’elle avait l’intention d’améliorer les choses dans l’avenir, notamment en ce qui a trait à la « lenteur du travail » à Midland, en Ontario. Ces assurances ont été données dans un contexte où il était implicite que les employés n’appuieraient pas le SCEP.

[213] Il ne fait aucun doute que les réunions à auditoire contraint avaient pour objectif d’intervenir dans la représentation des membres du syndicat par le SCEP et dans les projets de grève de celui-ci. Intek a aussi manqué à l’Obligation en prenant ces mesures. Cependant, compte tenu de la façon dont les présents motifs sont structurés, le Conseil se penchera ci-après sur les mesures de redressement particulières qu’il peut imposer pour les divers manquements à l’Obligation, y compris celui-ci.

[214] Intek a enfreint le Code lorsqu’elle a demandé aux employés, sans passer par le SCEP, de lui faire part de leurs intentions relativement à la grève. Intek a également enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code en tenant des réunions à auditoire contraint avec les membres de l’unité de négociation.

[215] Le Conseil constate aussi que l’offre d’Intek autorisant les employés à utiliser leur véhicule d’entreprise pour aller participer aux votes de grève constitue une façon étrange d’appliquer sa politique sur les véhicules. Le Conseil fera d’autres commentaires sur cette question lorsqu’il examinera la situation de M. Kou.

[216] Les paragraphes 99(1) et 99(2), dont il sera question plus loin, décrivent les mesures de redressement que le Conseil a le pouvoir d’ordonner s’il y a eu violation de l’alinéa 94(1)a).

[217] Le Conseil ordonne à Intek de faire des copies de la présente décision dans un délai de dix jours suivant la réception de celle ci, et d’en remettre une copie à chacun de ses employés faisant partie de l’unité de négociation du SCEP. Une fois que cela aura été fait, Intek devra le confirmer par écrit au Conseil.

[218] En guise de redressement additionnel pour l’intervention par Intek dans la représentation des employés par le SCEP, le Conseil ordonne que le SCEP soit autorisé à rencontrer les employés de l’unité de négociation durant la prochaine ronde de réunions de service obligatoires dans les différentes régions. Selon les éléments de preuve fournis par Intek, ces réunions ont lieu régulièrement.

[219] Le temps accordé au SCEP pendant ces réunions ne sera pas prévu au début ou à la fin des points à l’ordre du jour, et l’intervention du syndicat se fera en l’absence de la direction d’Intek. Cette directive vise à assurer que le SCEP bénéficie de façon générale de la présence obligatoire des employés dans la même mesure qu’Intek en a bénéficié lors des réunions de septembre 2011 et de mai 2012. Les employés de l’unité de négociation qui participeront à ces réunions seront rémunérés par Intek, y compris pour la période durant laquelle le SCEP s’adressera à eux.

[220] Le SCEP aura jusqu’à une heure à chacune de ces réunions régionales pour présenter aux employés de son unité de négociation un résumé des conclusions du Conseil et des mesures de redressement imposées par celui ci, ainsi que pour faire le point sur les négociations collectives.

[221] À chacune des réunions, Intek passera aux autres points à l’ordre du jour lorsque le SCEP aura conclu sa séance. Intek enverra une confirmation écrite au Conseil lorsque les dispositions nécessaires auront été prises en vue de ces réunions. Comme pour toutes les mesures de redressement ordonnées en l’espèce, le Conseil demeure saisi de toute question découlant de la mise en œuvre de cette directive.

4 – Intek a-t-elle enfreint l’alinéa 94(3)a) du Code en traitant comme elle l’a fait MM. Burtch et Kou?

[222] Le sous-alinéa 94(3)a)(i) interdit, entre autres, les représailles contre des dirigeants et des représentants syndicaux et contre toute personne qui contribue à la promotion et à l’administration d’un syndicat :

94.(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant – ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir –, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat.

[223] Le paragraphe 98(4) du Code inverse le fardeau de la preuve dans le cas de plaintes alléguant violation du paragraphe 94(3) :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

a – Le rôle du Conseil par rapport à celui d’un arbitre du travail

[224] Lorsqu’il est appelé à trancher des plaintes de PDT, le Conseil n’agit pas comme arbitre indépendant du travail. Le Conseil ne cherchera pas à déterminer si Intek avait un « motif valable » pour prendre les mesures qu’elle a prises. Il doit plutôt se demander si, compte tenu du contexte, les mesures prises par Intek semblent avoir été motivées par un sentiment antisyndical.

[225] À la suite d’une accréditation, mais avant la conclusion d’une première convention collective, l’article 36.1 du Code permet au syndicat accrédité de soumettre les mesures prises sans motif valable à un arbitre du travail :

36.1(1) Au cours de la période qui commence le jour de l’accréditation et se termine le jour de la conclusion de la première convention collective, l’employeur ne peut congédier un employé de l’unité de négociation – ou prendre des mesures disciplinaires à son égard – sans motif valable.

(2) En cas de litige entre un employeur et un agent négociateur sur un congédiement ou des mesures disciplinaires qui surviennent pendant la période visée au paragraphe (1), l’agent peut soumettre le litige à un arbitre pour règlement définitif comme s’il s’agissait d’un désaccord, les articles 57 à 66 s’appliquant alors avec les adaptations nécessaires.

[226] En vertu du paragraphe 36.1(2), un arbitre du travail examinerait les arguments présentés à l’appui d’un « motif valable ».

[227] Dans la décision Autocars Acadian, société en commandite, 2012 CCRI 654 (Acadian 654), qui a trait à la liberté d’expression d’un représentant syndical, le Conseil a décrit le renversement du fardeau de la preuve. Le Conseil examinera les explications fournies par Intek pour justifier les mesures qu’elle a prises. Le Conseil ne cherchera pas à déterminer si Intek avait un « motif valable » pour prendre ces mesures, mais il tirera plutôt les conclusions voulues, compte tenu du contexte et des éléments de preuve, à l’égard des motifs sous-jacents d’Intek :

ii) Fardeau de la preuve (paragraphe 98(4))

[78] Il est plutôt rare qu’un employeur admette avoir pris des mesures contre un dirigeant syndical pour des motifs antisyndicaux. Le Conseil doit par conséquent évaluer l’explication donnée par l’employeur pour les gestes qu’il a posés en tenant compte du contexte général. Dans Air Atlantic Limited (1986), 68 di 30; et 87 CLLC 16,002 (CCRT no 600) à la page 34, le CCRT a décrit l’élément central de son analyse de la façon suivante :

Les règles de droit en matière de mesures discriminatoires contre les employés qui ont exercé les droits que leur confère le Code sont bien établies. Si la décision d’un employeur de prendre contre un employé une des mesures énumérées à l’alinéa 184(3)a) [maintenant l’alinéa 94(3)a)] a été influencée de quelque façon que ce soit par le fait que cet employé a exercé ou est sur le point d’exercer les droits que lui confère le Code, les mesures prises par l’employeur seront jugées enfreindre le Code. Il suffit, pour que la conduite d’un employeur soit jugée contraire au Code, que les motifs antisyndicaux constituent une cause même accessoire ou ancillaire :

[citation omise]

[79] Le Conseil a récemment décrit dans Plante, 2011 CCRI 582, le rôle que joue la preuve circonstancielle au moment d’évaluer si un employeur s’est acquitté du fardeau que lui impose le paragraphe 98(4) du Code :

[45] Le Conseil accepte la référence faite par TWI au résumé de la pratique générale s’appliquant à ce genre de plainte de PDT, résumé que L’honorable M. George Adams a présenté dans Canadian Labour Law, 2e édition, vol. 2, Aurora, Canada Law Book, 2010 :

10.130 Les dispositions législatives canadiennes qui interdisent de congédier ou de traiter d’autre manière discriminatoire un employé « à cause » ou « en raison » de ses activités syndicales légitimes ont été interprétées par les tribunaux comme exigeant un examen pour vérifier si « l’adhésion à un syndicat a joué un rôle dans la décision de l’employeur de congédier l’employé, que ce soit comme motif principal ou secondaire, ou encore comme l’une de plusieurs raisons, sans égard à leur importance respective ». Il n’est pas nécessaire que le motif répréhensible constitue le motif déterminant. Comme l’employeur n’avouera vraisemblablement pas son sentiment antisyndical, les tribunaux administratifs doivent s’en remettre à la preuve circonstancielle pour tirer des conclusions sur les motifs de l’employeur. Ces considérations peuvent inclure des éléments de preuve relatifs à la manière dont le congédiement a été fait ou à la crédibilité des témoins ainsi qu’à « l’existence d’une activité syndicale et la connaissance qu’il en avait, une conduite inhabituelle ou atypique de sa part découlant de sa connaissance de cette activité syndicale, une conduite antisyndicale antérieure et toutes les autres « anomalies » », notamment une disproportion entre la mesure disciplinaire imposée et la faute alléguée.

[46] Le Conseil a examiné la preuve circonstancielle en l’espèce et a tiré des conclusions sur la question de savoir si les activités syndicales de M. Plante avaient joué un rôle dans la décision de TWI. Le Conseil accepte la proposition de TWI selon laquelle la participation d’un employé à des activités syndicales n’empêche pas que cet employé soit tenu responsable des conséquences de son comportement :

Même s’il est clair que M. Sandhu prenait part à des activités syndicales, à la connaissance de l’employeur, ces activités syndicales ne protégeaient pas M. Sandhu contre un congédiement ou une mesure disciplinaire, si l’employeur pouvait démontrer que sa décision n’était pas motivée par un sentiment antisyndical. En effet, les employés ne peuvent recourir aux dispositions sur les pratiques déloyales de travail prévues dans le Code pour se protéger contre des mesures disciplinaires qui résultent de leur propre mauvaise conduite…

(D.H.L. International Express Ltd. (1995), 99 di 126; et 28 CLRBR (2d) 297 (CCRT no 1147), pages 132; et 303-304)

(Acadian 654, précitée; souligné dans l’original)

[228] Le Conseil accorde une attention toute particulière au processus disciplinaire d’un employeur, ou à l’absence d’un tel processus, lorsqu’il évalue si celui-ci s’est acquitté du fardeau qui lui incombe en vertu du paragraphe 98(4) (voir, de façon générale, Plante, 2011 CCRI 582).

b – Allégations de PDT de M. Burtch

i – Attribution des tâches

[229] Vers le mois d’octobre 2010, M. Burtch et son superviseur, M. Patterson, se sont de nouveau penchés sur le fait que M. Burtch était tenu de faire le trajet de son domicile dans la région de Durham jusqu’au bureau d’Intek à Markham pour prendre possession de son véhicule d’entreprise avant d’aller faire ses inspections. M. Burtch a témoigné qu’aucune de ses inspections n’était prévue dans la région de Durham, malgré le fait qu’il y résidait.

[230] En consultant les horaires qu’Intek avait commencé à préparer, M. Burtch avait constaté que son collègue inspecteur à temps plein effectuait des inspections dans la région de Durham, ainsi qu’ailleurs. M. Burtch a témoigné que d’autres inspecteurs étaient en mesure d’effectuer leur travail sans avoir à se rendre au bureau de Markham.

[231] Selon les éléments de preuve fournis par Intek, l’entreprise avait déjà pris des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins de M. Burtch à l’égard de ce poste d’inspecteur. Son affectation et ses tâches, y compris ses déplacements, avaient fait l’objet d’une discussion et avaient été confirmées avant que n’ait lieu la campagne de syndicalisation du SCEP. Intek a aussi démontré que ses deux inspecteurs à temps plein, y compris M. Burtch, devaient travailler à partir du bureau de Markham. Le bureau de leur gestionnaire, M. Patterson, se trouvait à Markham. Il était cependant arrivé à l’occasion que des dispositions à court terme soient prises pour que des inspecteurs temporaires travaillent à partir de Durham.

[232] Selon M. Burtch, lorsqu’il a soulevé la question de ses déplacements auprès de M. Patterson, ce dernier aurait utilisé l’expression « mauvais garçon » pendant leur conversation. Dans son témoignage, M. Patterson a, au contraire, indiqué que c’était M. Burtch qui avait utilisé l’expression « mauvais garçon » lorsqu’il avait demandé des précisions sur ses tâches.

[233] Le Conseil a été impressionné par la franchise avec laquelle se sont exprimés MM. Burtch et Patterson. Ils ne s’entendent peut-être pas sur la question de savoir qui a utilisé l’expression « mauvais garçon » en premier, mais chacun a décrit ses souvenirs sans détour.

[234] À la lumière des éléments de preuve, le Conseil est convaincu que les dispositions prises relativement au poste de M. Burtch avaient fait l’objet d’une discussion et avaient été réglées avant la campagne de syndicalisation du SCEP. En outre, M. Patterson en a discuté de nouveau, mais c’est M. Burtch qui avait soulevé la question.

[235] Devant des témoignages contradictoires, le Conseil conclut qu’il est plus probable que M. Burtch ait été le premier à utiliser l’expression « mauvais garçon ». M. Burtch s’était vu attribuer par Intek ses fonctions d’inspecteur avant le début de la campagne du SCEP. Après avoir pris connaissance des horaires, M. Burtch a demandé à M. Patterson pourquoi on ne lui avait confié aucune inspection dans la région de Durham.

[236] Il semble absurde que M. Patterson ait laissé entendre que les tâches attribuées en mars 2010 découlaient du fait que M. Burtch avait été un « mauvais garçon », ce qui aurait apparemment fait référence à la campagne de syndicalisation du SCEP de l’automne 2010. Il semble plus probable que M. Burtch ait utilisé cette expression en discutant d’un horaire qui, comme il l’a indiqué dans son témoignage, « n’avait aucun sens sur le plan opérationnel » (traduction).

[237] Bien que la campagne de syndicalisation du SCEP qui a suivi n’ait pas permis à M. Burtch de modifier son horaire, il a eu droit à ce que sa demande soit examinée et à ce qu’une décision non motivée par un sentiment antisyndical soit rendue.

[238] Il n’a pas été contesté que M. Patterson a dit à M. Burtch qu’il n’avait pas le pouvoir de modifier ses tâches. Il a conseillé à M. Burtch d’en parler à M. Wilkins. Rien ne démontre que M. Burtch a donné suite à cette démarche.

[239] Le Conseil conclut que le refus d’Intek de modifier les tâches déjà attribuées à M. Burtch n’était pas motivé par un sentiment antisyndical. Bien entendu, le Conseil n’a pas à déterminer si l’attribution initiale des tâches en cause par Intek et les déplacements qui y étaient associés étaient justes ou avantageux.

[240] L’analyse du Conseil aurait peut-être été différente si Intek avait attribué à M. Burtch ses tâches actuelles après avoir été informée de la campagne de syndicalisation du SCEP. De la même façon, si des inspections que M. Burtch aurait faites dans la région de Durham lui avaient été retirées, le Conseil en serait peut-être arrivé à une conclusion différente. Mais il ne s’agissait pas des faits en l’espèce.

ii – Exigence d’Intek obligeant M. Burtch à faire rapport de ses périodes de pause et de repas

[241] En décembre 2010, un employé d’Intek s’était plaint que M. Burtch s’était adressé à lui pendant ses heures de travail pour lui demander de signer une carte d’adhésion. Intek avait rencontré M. Burtch et lui avait imposé une nouvelle exigence selon laquelle celui-ci devait faire rapport de ses périodes de pause et de repas (pièce 1; onglet 3).

[242] M. Wilkins, d’Intek, a mentionné que M. Burtch et lui-même avaient reconnu que cette mesure de rapport les protègerait l’un et l’autre durant la campagne de syndicalisation. M. Burtch a pour sa part nié avoir reconnu quoi que ce soit. Dans sa plainte initiale de PDT déposée le 1er février 2011, le SCEP a indiqué qu’il avait contesté l’imposition de cette mesure à M. Burtch.

[243] Intek n’a pas convaincu le Conseil que ce mécanisme de rapport n’était pas motivé par un sentiment antisyndical. Il est évident qu’un employé ne peut interrompre le travail d’un autre employé pour lui parler d’adhésion syndicale (alinéa 95d) du Code). Mais le fait que les employés d’Intek ne travaillent pas tous au même endroit peut compliquer les choses; il n’est peut être pas évident pour tout le monde de savoir à quel moment tel ou tel technicien est en période de pause ou de repas.

[244] La mesure obligeant M. Burtch, un organisateur du SCEP, à faire rapport de ses allées et venues pendant ses périodes de pause et de repas est en soi suspecte, puisqu’elle va beaucoup plus loin que le simple fait de l’informer des règles de base liées à une campagne de syndicalisation. Mais ce qui a convaincu le Conseil que cette mesure enfreignait le Code, c’est qu’Intek n’a jamais supprimé l’exigence de rapport imposée à M. Burtch, même après l’accréditation du SCEP en avril 2011.

[245] Parce qu’elle a imposé ce qui semble être une mesure permanente exigeant que seul M. Burtch fasse rapport de ses périodes de pause et de repas, Intek n’a pas réussi à prouver que le rôle de M. Burtch auprès du SCEP n’avait pas joué un rôle déterminant dans sa décision.

[246] Le Conseil ordonne à Intek de retirer la lettre du 7 décembre 2010 (pièce 1; onglet 3) du dossier de M. Burtch et d’annuler immédiatement toute exigence spéciale qu’elle a pu lui imposer en matière de rapports.

iii – Les véhicules de M. Burtch

[247] M. Burtch a témoigné qu’il soupçonnait que quelqu’un s’introduisait dans son véhicule d’entreprise pendant qu’il faisait ses inspections pour jeter un coup d’œil aux documents liés à la campagne de syndicalisation du SCEP qu’il avait en sa possession. Il a indiqué que certains documents ou objets avaient été déplacés. Par l’intermédiaire de M. Wilkins, Intek a nié s’être déjà introduite dans le véhicule de M. Burtch.

[248] M. Burtch a aussi soulevé des préoccupations concernant son véhicule personnel qu’il laissait dans le stationnement d’Intek. Par exemple, il lui est arrivé une fois de revenir de ses inspections et de constater que le capot de son véhicule était déverrouillé. Lorsque M. Burtch a porté cet incident à l’attention de M. Patterson, ce dernier lui a suggéré de garer son véhicule dans le champ de vision des caméras de sécurité du stationnement.

[249] Le Conseil est convaincu qu’Intek s’est acquittée du fardeau de la preuve relativement à cette allégation. Bien que le Conseil prenne acte des soupçons de M. Burtch, aucun élément de preuve n’a démontré que quelqu’un d’Intek autre que M. Burtch était entré dans son véhicule d’entreprise alors qu’il était sur la route.

[250] Le Conseil n’était pas certain que les allégations de M. Burtch permettaient d’établir une preuve suffisante à première vue selon laquelle des représentants d’Intek s’introduisaient dans son véhicule. Le dossier ne contenait aucun détail pour ce qui est de savoir qui aurait commis ces actes, à quel moment et à quel endroit. Le Conseil comprend l’idée qui ressort des allégations de M. Burtch, mais il ne sait pas comment Intek pourrait y répondre sans disposer de renseignements concrets.

[251] Même s’il existait une preuve suffisante à première vue, la réaction de M. Patterson, qui a proposé à M. Burtch de garer son véhicule personnel dans le champ de vision des caméras de sécurité, a convaincu le Conseil qu’il n’y avait pas de sentiment antisyndical.

iv – Retard dans l’application de la protection du régime d’avantages sociaux à la personne à charge de M. Burtch

[252] Dans ses dernières observations, le SCEP a fait valoir qu’Intek ne s’était pas acquittée de son fardeau à l’égard d’une allégation figurant uniquement dans sa plainte écrite de PDT déposée en février 2011. Dans cette allégation, le SCEP contestait un retard dans l’application de la protection du régime d’avantages sociaux à la personne à charge de M. Burtch (plainte du 1er février 2011; paragraphe xxiii).

[253] Le SCEP n’a présenté aucun élément de preuve à cet égard à l’audience, malgré le fait que M. Burtch ait été appelé à témoigner à deux occasions. Selon le SCEP, le Conseil devrait conclure à une violation du Code par Intek puisque celle-ci n’a abordé la question dans aucun de ses témoignages de vive voix.

[254] Le Conseil a décidé de rejeter l’argument du SCEP pour deux raisons.

[255] Tout d’abord, le Conseil a souligné l’importance pour les parties de présenter des observations complètes sur toutes les questions en cause (voir, par exemple, Wildman, 2013 CCRI 675). Cette exigence a pour but de permettre au Conseil soit de trancher l’affaire sans tenir d’audience, comme le permet l’article 16.1 du Code, ou de suivre une autre procédure.

[256] Si le Conseil décide de tenir une audience, il appartient alors aux parties de présenter les éléments de preuve à l’appui des allégations soulevées dans leurs observations, que le fardeau de la preuve leur incombe ou non.

[257] Si, durant une audience, une partie garde le silence sur une question qu’elle a soulevée dans ses observations, le Conseil peut alors raisonnablement supposer que la question n’est plus en litige entre les parties. Il arrive souvent qu’une partie décide de ne pas donner suite à certaines questions, même si elle les avait soulevées au départ dans ses observations. Le Conseil laisse ces décisions stratégiques aux parties.

[258] Deuxièmement, même si le Conseil avait accepté l’argument de procédure du SCEP selon lequel Intek avait le fardeau de la preuve relativement à la question touchant l’application de la protection du régime d’avantages sociaux de M. Burtch, il est convaincu qu’Intek a répondu à la question dans ses observations écrites (15 février 2011; pages 7 et 8 de la réponse).

[259] Il en a résulté une question précise, à l’égard de laquelle on aurait pu s’attendre à ce que les parties présentent des témoignages de vive voix. Comme le SCEP n’a présenté aucun témoignage à cet égard, le Conseil a conclu que cette question avait été résolue grâce aux observations fournies par Intek pour expliquer ce qui s’était produit à la Great West Life et avait causé les retards en question.

[260] Le Conseil conclut qu’Intek n’a pas enfreint le Code lorsque l’application de la protection du régime d’avantages sociaux à la personne à charge de M. Burtch a été retardée.

c – Allégations de PDT de M. Kou

[261] Comme dans le cas de M. Burtch, Intek s’est acquittée de son fardeau uniquement pour certaines des questions mettant en cause M. Kou.

i – État du véhicule d’Intek assigné à M. Kou

[262] M. Kou n’a pas caché qu’il fumait dans son véhicule et a reconnu que la cendre pouvait tomber dans le tableau de bord. Intek avait averti M. Kou en septembre 2010 à propos de l’état de son véhicule, et elle lui a par la suite facturé le coût d’un nettoyage lorsqu’il a demandé un nouveau véhicule.

[263] Intek a-t-elle exigé ces frais de M. Kou en raison des activités syndicales de celui ci?

[264] Un employeur ne peut imposer une mesure disciplinaire à un employé simplement parce que cet employé a commencé à exercer les droits que lui confère le Code. Toutefois, l’exercice des droits que confère le Code à un employé ne signifie pas que l’employeur ne peut gérer les dossiers en cours portant sur les relations patronales-syndicales.

[265] La difficulté, pour le Conseil, est donc de décider lequel de ces principes parallèles s’applique, selon la situation. Dans certains cas, les deux principes pourraient s’appliquer.

[266] Intek a présenté au Conseil une facture s’élevant à plus de 300 $ relative à des réparations effectuées précédemment sur le véhicule de M. Kou pour corriger des problèmes dus à la cendre des cigarettes de celui ci (pièce 18; onglet 45). À cette occasion, Intek avait dû faire remplacer le groupe d’instrumentation du véhicule parce qu’il avait été endommagé par une grande quantité de cendre de cigarette. Intek a une politique selon laquelle il est interdit de fumer à l’intérieur de ses véhicules. Intek n’avait pris aucune mesure disciplinaire contre M. Kou à la suite de cet incident initial.

[267] Cet élément de preuve a convaincu le Conseil qu’Intek n’avait pas enfreint le Code lorsque la question de la propreté du véhicule de M. Kou est revenue sur le tapis. Intek avait averti M. Kou au sujet de la cendre de cigarette dans son véhicule. Plus tard, lorsque M. Kou a demandé un autre véhicule, Intek lui a donné le choix : soit il nettoyait son véhicule, soit il le faisait nettoyer. M. Kou a déclaré qu’il l’avait déjà nettoyé.

[268] Divers éléments – l’incident précédent relatif au véhicule endommagé, un avertissement écrit envoyé à M. Kou en septembre 2010 au sujet du manque de propreté dans son véhicule, le choix donné à M. Kou de faire nettoyer (encore une fois) son véhicule avant de l’échanger – ont, tous ensemble, convaincu le Conseil que les frais de 45,20 $ facturés par Intek pour le nettoyage du véhicule de M. Kou ne découlaient pas d’un sentiment antisyndical, mais étaient plutôt la suite logique d’un conflit non réglé entre eux.

ii – Rémunération de M. Kou

[269] Le SCEP a allégué qu’Intek avait pris des mesures pour diminuer la rémunération de M. Kou en 2011 par rapport à 2010. Dans ses allégations, le SCEP a avancé que les tâches auxquelles était affecté M. Kou ne lui permettaient pas de toucher la même rémunération qu’avant.

[270] Intek a produit un tableau (pièce 18; onglet 16) montrant la différence de rémunération pour M. Kou en 2010 et en 2011. Il n’a pas été contesté que la rémunération de M. Kou avait diminué. Selon le tableau d’Intek, toutefois, d’autres techniciens dont la situation était prétendument comparable à celle de M. Kou avaient également vu leur rémunération diminuer, bien que la diminution la plus importante ait été celle de M. Kou. La rémunération de M. Kou avait diminué de 9,4 %, tandis que les deux autres techniciens ayant subi les plus grandes baisses avaient vu leur rémunération diminuer de 8,5 et de 8,6 % respectivement.

[271] Intek a aussi préparé un graphique pour montrer l’utilisation que M. Kou avait faite de son téléphone cellulaire, affirmant que ce dernier avait passé beaucoup plus de temps sur son téléphone cellulaire en 2011 (pièce 18; onglet 15) qu’en 2010. Intek a également fait remarquer que les offres groupées avaient diminué pour tous les techniciens.

[272] Au cours de cette affaire, le SCEP a présenté plusieurs demandes de production supplémentaire de documents. En ce qui a trait à la question de la rémunération, le Conseil a donné au SCEP la possibilité de donner le nom de tout technicien dans une situation comparable qui, à son avis, devait être inclus dans le tableau sur la rémunération afin que les résultats reflètent la réalité. Ainsi, il n’aurait plus été possible de prétendre que les autres cas présentés avaient été choisis délibérément.

[273] Le SCEP n’a pas donné le nom d’autres employés à ajouter au tableau comparatif préparé par Intek.

[274] Le Conseil a conclu que la rémunération des techniciens principaux, établie à la pièce, a diminué en 2011. Les éléments de preuve présentés ont convaincu le Conseil que cette diminution, qui a eu une incidence sur M. Kou et d’autres techniciens dans une situation comparable, ne découlait pas d’un sentiment antisyndical. M. Kou a confirmé, lors de son contre-interrogatoire, que les autres techniciens inclus dans le tableau d’Intek étaient « dans une situation comparable à la [s]ienne » (traduction).

iii – Appel de service sur le chemin Rotary

[275] Le Conseil a entendu des témoignages contradictoires en ce qui concerne l’appel de service auquel a répondu M. Kou le 25 février 2011 sur le chemin Rotary à Scarborough, en Ontario.

[276] M. Kou a déclaré que le client n’était pas chez lui lorsqu’il était arrivé et qu’il avait cherché le TAP en vain pendant 30 à 60 minutes. M. Kou a allégué que son superviseur, M. Hernandez, lui avait dit de passer au prochain client.

[277] M. Hernandez a déclaré qu’il avait ordonné à M. Kou de l’attendre. Lorsque M. Hernandez était arrivé, M. Kou était déjà parti. M. Hernandez a déclaré qu’à son arrivée, le client était chez lui et que le TAP était bien là, entouré de neige vierge de toute trace. Il a déclaré avoir lui-même terminé l’appel de service.

[278] Le SCEP a conjuré le Conseil de ne pas croire les déclarations de M. Hernandez. Par exemple, le syndicat a allégué que M. Hernandez n’avait pas été honnête quant aux consignes qu’il avait données à M. Kou. Le SCEP a allégué que M. Hernandez avait autorisé M. Kou à passer au prochain client. Le SCEP a également contesté l’affirmation de M. Hernandez selon laquelle il avait constaté que la neige autour du TAP n’avait pas été touchée.

[279] Le témoignage de chaque témoin, sous serment, pour expliquer sa version des faits semblait franc. Par exemple, M. Kou a déclaré, au cours de l’interrogatoire principal, que lorsque M. Hernandez lui avait demandé pour la première fois d’attendre à l’adresse sur le chemin Rotary, il lui avait répondu : « Je fais du travail à la pièce, alors je ne ne peux pas attendre » (traduction). Il a affirmé par la suite qu’il serait retourné là bas une fois M. Hernandez arrivé.

[280] Le Conseil a décidé qu’il préfère la version des faits de M. Hernandez à celle de M. Kou pour les motifs exposés ci-après.

[281] L’incident est survenu lorsque M. Kou a appelé son superviseur. Si M. Kou n’avait pas fait cet appel, M. Hernandez n’aurait jamais été impliqué.

[282] Le Conseil est convaincu que M. Hernandez, dans le cadre de ses fonctions de supervision habituelles, a répondu à un appel signalant un problème. M. Kou a confirmé, lors du contre-interrogatoire, qu’il avait déjà eu des problèmes dans le passé parce qu’il n’avait pas mené à bien les travaux requis chez un client avant de s’en aller. Lorsque M. Hernandez a constaté que M. Kou avait quitté le domicile du client, il a lui-même effectué le travail. Puisque M. Hernandez avait demandé à M. Kou de l’attendre et que ce dernier ne s’était pas conformé à cette consigne, M. Hernandez a porté l’incident à l’attention d’Intek.

[283] Pendant son interrogatoire principal et son contre-interrogatoire, M. Kou a déclaré qu’il avait consacré de 30 à 60 minutes de travail à répondre à l’appel de service sur le chemin Rotary. Cependant, une copie de la feuille de temps où il a indiqué le temps qu’il a consacré à chaque appel auquel il a répondu cette journée-là (pièce 18; onglet 24) ne semble pas corroborer ses dires.

[284] Selon la copie de la feuille de temps de M. Kou, celui-ci s’est trouvé à l’adresse du chemin Rotary pour un maximum de 31 minutes. Ce calcul présuppose qu’il avait terminé son travail pour le client précédent à 17 h 15, et qu’il aurait commencé son travail pour le client du chemin Rotary exactement au même moment, soit à 17 h 15. Il aurait quitté le chemin Rotary à 17 h 46.

[285] Selon la prépondérance des probabilités, Intek a convaincu le Conseil que son superviseur avait eu à composer avec un problème qui était déjà survenu par le passé. Intek a donné un avertissement écrit à M. Kou. Le Conseil ne se prononce pas sur la question de savoir si un avertissement écrit était approprié dans cette situation. MM. Kou et Hernandez se sont peut-être tout simplement mal compris. Toutefois, le Conseil est convaincu que les mesures prises par M. Hernandez en tant que superviseur n’étaient pas entachées d’un sentiment antisyndical.

iv – Avis de mesure concernant les normes de rendement

[286] Le 8 mars 2011, Intek a remis à M. Kou un deuxième avis de mesure (avertissement écrit) parce que celui-ci aurait eu un rendement inacceptable. Bien qu’elle ait démontré que d’autres techniciens ont eux aussi reçu de tels avis de mesure au cours de la même période, Intek ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’aucun sentiment antisyndical n’avait joué un rôle dans sa décision.

[287] Les éléments de preuve révèlent que M. Kou avait un rendement au-dessus de la moyenne en 2010. Parmi 45 techniciens, il s’était classé 13e quant aux commandes de travail et aux appels de service (pièce 18; onglet 13). Au début de 2011, il était 35e (pièce 18; onglet 14).

[288] Le Conseil accepte l’affirmation selon laquelle Intek a donné de tels avertissements à plusieurs autres techniciens au cours de la même période. Si l’avertissement donné à M. Kou avait été le même que celui reçu par ces autres techniciens, le Conseil aurait pu conclure qu’Intek s’était acquittée de son fardeau. Or, les éléments de preuve ont démontré qu’Intek avait réservé un traitement particulier à M. Kou.

[289] Par exemple, alors que la plupart des autres techniciens ont reçu un avertissement de vive voix et se sont fait conseiller de s’améliorer s’ils ne voulaient pas se voir assigner un plan de redressement, M. Kou a reçu un avertissement écrit. En outre, Intek l’a avisé qu’il risquait de perdre son emploi s’il ne s’améliorait pas.

[290] Compte tenu du rendement supérieur de M. Kou en 2010 et de l’absence de tout avertissement préalable au sujet de sa baisse de rendement, Intek n’a pas convaincu le Conseil que le traitement particulier réservé à M. Kou, par rapport à celui réservé aux autres techniciens, n’avait pas été influencé par les activités de M. Kou au sein du SCEP.

[291] Comme mesure de redressement, le Conseil ordonne que cet avertissement écrit soit retiré du dossier de M. Kou.

v – Ordinateur portatif : suspension de trois jours

[292] Le 29 mars 2011, Intek a imposé une suspension de trois jours à M. Kou en raison de problèmes liés à son ordinateur portatif. Outre le fait que l’ordinateur contenait deux programmes de cartographie, que M. Kou a admis en toute franchise avoir ajoutés lui-même pour s’aider à trouver les adresses des clients, Intek a également allégué que l’ordinateur contenait un virus et qu’il avait été utilisé pour visiter des sites pornographiques.

[293] La lettre de suspension d’Intek fait également référence aux commentaires qu’elle avait formulés précédemment à propos de l’état du véhicule de M. Kou. Il semble qu’Intek ait mentionné ces commentaires pour justifier sa décision de prendre une mesure plus sévère qu’un avertissement écrit, et donc de suspendre M. Kou pour trois jours.

[294] Malgré son utilisation de documents administratifs qui semblent attester que le principe des mesures disciplinaires progressives a été appliqué, Intek n’a pas convaincu le Conseil qu’elle n’avait pas pris illégalement pour cible M. Kou au moyen de cette mesure disciplinaire.

[295] D’abord, comme cela s’est produit pour plusieurs questions, les témoins d’Intek ne se rappelaient pratiquement rien à propos des faits, ce qui est surprenant. Pour cet événement en particulier, le gestionnaire de M. Kou, M. Jeff Anthony, n’avait à peu près aucun souvenir des constatations du service des TI sur lesquelles il s’était fondé pour imposer une suspension de trois jours.

[296] En outre, Intek n’a pas appelé à témoigner l’employé des TI qui avait rédigé le « compte rendu » à l’origine de la mesure disciplinaire prise contre M. Kou.

[297] Qui plus est, la lettre d’Intek concernant la mesure disciplinaire et le compte rendu des TI qui y était joint (pièce 18; onglet 44) laissaient croire que M. Kou avait visité de multiples sites Web qui n’avaient aucun lien avec le travail, y compris des sites pornographiques. Toutefois, le compte rendu des TI utilisé comme élément probant, qui n’a jamais été présenté à M. Kou pour qu’il puisse le commenter, contenait uniquement la mention « site pornographique (10 fév.) » (traduction), sans indiquer d’adresse précise.

[298] La documentation sommaire, de même que l’absence quasi totale de souvenirs des témoins d’Intek en ce qui a trait aux détails entourant cette mesure disciplinaire, ont fait en sorte qu’Intek ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait aux termes du Code.

[299] Le Conseil ordonne qu’Intek retire la suspension de trois jours du dossier de M. Kou. Intek est également tenue de verser à M. Kou la totalité de la rémunération dont il a pu être privé en raison de cette suspension.

[300] Les incidents décrits ci dessus se sont produits avant l’accréditation du SCEP le 5 avril 2011. Quelques autres incidents mettant en cause M. Kou se sont produits après l’accréditation et l’envoi de l’avis de négociation du SCEP le 11 avril 2011.

vi – Présumé abus des privilèges liés à l’utilisation du véhicule d’entreprise

[301] En juillet 2011, Intek a pris une mesure disciplinaire contre M. Kou au motif que celui-ci avait utilisé son véhicule à mauvais escient. Intek a donné un avertissement écrit à M. Kou le 13 juillet 2011 parce qu’il s’était arrêté en chemin pour passer la soirée chez un ami alors qu’il revenait du travail.

[302] Le 19 juillet 2011, Intek a retiré à M. Kou le privilège de garder son véhicule d’entreprise chez lui parce qu’il aurait utilisé le véhicule pendant une journée de congé. Cette mesure disciplinaire découle de l’incident susmentionné concernant des employés d’Intek qui avaient garé leur véhicule dans des espaces de stationnement réservés aux clients d’une banque.

[303] Intek n’a pas convaincu le Conseil que ces deux mesures n’avaient aucun lien avec les activités syndicales que menait M. Kou.

[304] À lui seul, l’incident au cours duquel M. Kou a passé la soirée chez un ami alors qu’il revenait du travail à bord du véhicule d’Intek pourrait s’avérer non conforme à la politique d’utilisation des véhicules d’Intek. Il ne s’agissait pas d’un bref arrêt pour aller chercher quelques articles, par exemple à l’épicerie, sur le chemin du retour à la maison. Toutefois, M. Kou ne semble pas avoir fait de détours pour aller voir son ami.

[305] Le Conseil est en mesure de constater qu’Intek fait preuve de souplesse dans l’application de sa politique sur l’utilisation des véhicules. En septembre 2011 et en avril 2012, Intek a autorisé ses employés à faire fi des dispositions de cette politique et à utiliser les véhicules de l’entreprise pour aller participer au vote de grève du SCEP.

[306] Intek a également réservé un traitement particulier à M. Kou sur le plan des mesures disciplinaires. Tel qu’il a été décrit précédemment, un directeur de banque s’était plaint auprès de Rogers parce que de nombreux employés d’Intek, y compris M. Kou, garaient leur camion dans ses espaces de stationnement. Rogers avait renvoyé la plainte à Intek.

[307] Malgré le fait que plusieurs autres techniciens d’Intek utilisaient ces espaces de stationnement, seul M. Kou a été questionné et a fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[308] En outre, M. Kou a déclaré qu’il effectuait des « reprises d’appels de service » lors de sa journée de congé et que son superviseur, M. Sean Hossein, lui avait donné son approbation à cet égard. Intek n’a pas appelé M. Hossein pour lui parler de l’allégation de M. Kou, mais elle a averti ce dernier, en lui servant le principe établi dans Brown v. Dunn, que M. Hossein déclarerait le contraire.

[309] L’absence totale d’enquête sur l’incident relatif à la banque a convaincu le Conseil qu’Intek avait pris cette mesure disciplinaire, en totalité ou en partie, en raison des activités syndicales de M. Kou.

[310] De même, lorsque M. Kou a demandé à son gestionnaire, M. Anthony, pourquoi il était le seul employé contre qui une mesure disciplinaire avait été prise, M. Anthony aurait fait allusion au rôle joué par M. Kou pour faire entrer le syndicat au sein de l’entreprise. Aucune question n’a été posée à M. Anthony au sujet de cette allégation pendant son témoignage.

[311] Par conséquent, le Conseil ordonne à Intek d’annuler l’avertissement écrit daté du 13 juillet 2011 ainsi que la lettre datée du 19 juillet 2011 dans laquelle M. Kou se voyait enlever ses privilèges liés à l’utilisation de son véhicule d’entreprise, de même que de retirer ces documents de son dossier.

vii – Langue de travail dans l’entrepôt d’Intek

[312] Le dernier incident mettant en cause M. Kou porte sur un « avertissement oral », qui lui a été remis par écrit le 4 août 2011 (pièce 18; onglet 53), parce qu’il s’était exprimé dans une autre langue que l’anglais dans l’entrepôt d’Intek.

[313] Intek n’a pas convaincu le Conseil que les activités syndicales de M. Kou n’avaient pas joué un rôle dans sa décision de donner un avertissement à cet employé uniquement.

[314] Une fois encore, le Conseil a estimé que le processus suivi par Intek laissait à désirer. Par exemple, il semble n’y avoir eu aucune enquête sur cet incident. S’il s’agissait d’une conversation dans une autre langue que l’anglais, M. Kou n’était certainement pas la seule personne en cause.

[315] Les normes en matière de discipline devraient être les mêmes pour tous les employés. Dans ce cas-ci, Intek a pris une mesure disciplinaire uniquement contre M. Kou pour un incident impliquant au moins une autre personne, sinon plusieurs. Personne n’a avancé que M. Kou était la seule personne à avoir enfreint la politique d’Intek sur la langue de travail.

[316] Le Conseil ordonne à Intek de retirer cet avertissement du dossier de M. Kou.

[317] Après août 2011, aucun autre incident concernant de prétendues mesures disciplinaires prises contre des partisans du SCEP n’a été porté à l’attention du Conseil. L’accent a plutôt été mis sur les négociations entre le SCEP et Intek.

5 – Intek a-t-elle manqué à l’Obligation (alinéa 50a))?

A – Obligation de négocier de bonne foi et les pouvoirs de redressement du Conseil

[318] L’alinéa 50a) du Code oblige les employeurs et les syndicats à négocier de bonne foi et à faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[319] L’alinéa 50a) du Code prescrit deux obligations concomitantes en ce qui a trait aux négociations. Premièrement, l’employeur et le syndicat doivent se rencontrer et entamer des négociations de bonne foi, situation qui est examinée de manière subjective. Deuxièmement, ils doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, obligation que le Conseil examine de manière objective. Pour faciliter la compréhension, le Conseil a recouru ci dessus à l’appellation « Obligation » pour désigner cette obligation à deux volets dans les présents motifs.

[320] Dans Royal Oak Mines inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369 (Royal Oak), la Cour suprême du Canada (CSC) a décrit ainsi les obligations en matière de négociation collective :

[41] …Pour que la négociation collective soit un processus équitable et efficace, il est essentiel que l’employeur et le syndicat négocient dans le cadre des règles établies par le code du travail applicable. Dans le contexte du devoir de négocier de bonne foi, chaque partie doit s’engager à chercher honnêtement à trouver un compromis. Les deux parties doivent se présenter à la table des négociations avec de bonnes intentions.

[42] L’alinéa 50a) du Code canadien du travail prévoit une double obligation. Non seulement les parties doivent négocier de bonne foi, mais encore elles doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les deux éléments sont d’égale importance et une partie déroge à cette disposition si elle ne remplit pas les deux obligations. Il peut fort bien y avoir des exceptions mais, en règle générale, l’obligation d’entamer des négociations de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d’activités. C’est la deuxième partie de l’obligation qui empêche une partie de se dérober en prétendant qu’elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu’objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d’activités qu’elles doivent être tenues pour déraisonnables.

(c’est nous qui soulignons)

[321] Comme l’a souligné la CSC, les parties qui participent à la négociation collective doivent négocier dans le « cadre des règles établies par » le Code. Les parties à une plainte doivent examiner le cadre établi par le Code et défendre leur cause en conséquence, étant donné que le rôle du Conseil est d’analyser les plaintes portant sur un manquement à l’Obligation en fonction de ce cadre.

[322] Quel « cadre » établit le Code en ce qui a trait aux négociations collectives, y compris lorsqu’il s’agit de conclure une première convention collective?

[323] Lorsqu’il s’agit de conclure une première convention collective, le paragraphe 80(1) du Code donne au ministre du Travail (le ministre) le pouvoir discrétionnaire de demander au Conseil d’établir s’il est indiqué que le Conseil fixe lui même les modalités de la première convention collective entre les parties :

80.(1) Si l’avis de négociation collective visé à l’article 48 se rapporte à la première convention collective à conclure entre les parties quant à l’unité de négociation pour laquelle l’agent négociateur a été accrédité et que les conditions énoncées aux alinéas 89(1)a) à d) ont été remplies, le ministre peut, s’il le juge utile, ordonner au Conseil de faire enquête sur le différend et, si celui-ci l’estime indiqué, de fixer les modalités de la première convention collective entre les parties.

(c’est nous qui soulignons)

[324] Cette consigne peut être donnée par le ministre seulement une fois que les parties ont rempli certaines conditions requises dans le cadre du processus de négociation collective (alinéas 89(1)a) à d) du Code).

[325] Le Conseil, en tant qu’organe indépendant du ministre et donc n’ayant aucune connaissance directe de l’affaire, peut probablement tenir pour acquis sans risque d’erreur que l’existence d’une quelconque décision du Conseil concernant l’employeur et l’agent négociateur nouvellement accrédité constituerait un facteur à prendre en compte pour l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[326] Dans des cas où il ne s’agissait pas de conclure une première convention collective, le Conseil a exceptionnellement imposé, à titre de redressement pour un manquement flagrant à l’Obligation, un processus comparable d’établissement d’une convention collective par une tierce partie.

[327] Pour comprendre le cadre établi par le Code lorsqu’il s’agit de conclure une première convention collective ou de renouveler une convention collective, il est utile d’examiner de quelle manière le Conseil a exercé son pouvoir de redressement dans des affaires portant sur les négociations collectives.

1 – Le Conseil canadien des relations du travail et l’Obligation (avant 1999)

[328] Le CCRT a examiné des principes parallèles en matière de négociation collective pour trancher la question de savoir si une partie avait manqué à l’Obligation prévue à l’alinéa 50a).

[329] Selon un principe fondamental du Code, une procédure devant le Conseil ne doit pas être utilisée pour remplacer la pratique des libres négociations collectives. Le Conseil doit veiller à ne pas nuire à l’équilibre des forces entre les parties. C’est cet équilibre fluide qui amène les parties à conclure des conventions collectives adéquates. Ainsi, il revient aux parties d’élaborer leur propre stratégie de relations du travail à cet égard.

[330] De ce fait, bien que le Conseil puisse accréditer une unité de négociation de petite taille de manière à donner à des employés l’accès aux négociations collectives, il est du ressort du syndicat uniquement de juger de l’effet d’une petite unité sur son pouvoir de négociation ultérieur. De même, l’employeur doit soupeser sa capacité de maintenir les services en cas de grève. C’est grâce à leur pouvoir de négociation que les parties atteignent leurs objectifs en matière de négociation collective, et non grâce à une intervention du Conseil.

[331] Le Conseil refusera d’être utilisé par l’une ou l’autre des parties comme un outil visant à améliorer sa position de négociation, mais il doit par ailleurs veiller à ce qu’une partie ne manque pas à l’Obligation et ne mine pas ainsi le droit de l’autre partie prévu au Code d’entamer des négociations collectives.

[332] Dans CKLW Radio Broadcasting Limited (1977), 23 di 51; et 77 CLLC 16,110 (CCRT no 101) (CKLW), le CCRT a décrit ces principes comme suit :

… Le Conseil n’est pas un tribunal devant lequel se règlent les différends en matière de négociation; les procédures entamées devant le Conseil ne constituent pas un substitut à la négociation collective libre et à la lutte économique qui l’accompagne. Par conséquent, le Conseil ne devrait pas se prononcer sur la valeur des positions adoptées à la table des négociations, à moins que celles-ci ne soient nettement illégales, contraires à l’ordre public, ou n’indiquent une négociation de mauvaise foi. La négociation collective étant un exercice de « donnant, donnant » assujetti aux menaces ou aux contraintes, le Conseil doit veiller à ne pas nuire à l’équilibre des pouvoirs et à ne pas restreindre l’exercice de ces pouvoirs par l’imposition de règles obligeant les parties à agir convenablement et poliment. Le Conseil doit tout de même s’assurer qu’une partie n’essaie pas d’affaiblir le droit de l’autre à entamer des négociations ou d’agir de façon à empêcher l’étude totale, avertie et rationnelle des questions litigieuses.

(pages 58-59; c’est nous qui soulignons)

[333] Dans Iberia, Lignes aériennes d’Espagne (1990), 80 di 165; et 13 CLRBR (2d) 224 (CCRT no 796) (Iberia Airlines), le CCRT a de nouveau mis l’accent sur l’importance des principes en matière de libres négociations collectives et d’objectifs de négociation licites :

Cette approche a été suivie et le Conseil l’a bien résumée dans l’affaire Société Radio-Canada (1987), 70 di 26 (CCRT no 629), lorsque, après avoir revu les décisions du Conseil en cette matière, il déclare :

« Contrairement à ce que certains commentateurs ont pu affirmer, le Conseil maintient encore que ce n’est pas un substitut pour la libre négociation collective. Le Conseil ne servira pas d’instrument destiné à permettre de sortir des impasses auxquelles donne lieu la négociation collective et il n’interviendra qu’exceptionnellement dans le régime de libre négociation collective. Le Conseil fera tout effort pour ne pas compromettre l’équilibre des forces à la table de négociation. Il ne restreindra pas non plus l’exercice d’un tel pouvoir, à moins qu’une partie n’y ait recours dans un but nettement illégal ou en vue de contrecarrer les objectifs du Code. »

(page 188; souligné dans l’original)

[334] À l’époque du CCRT, le Code ne décrivait pas de manière explicite les pouvoirs de redressement dont disposait le Conseil une fois qu’il avait conclu que l’une des parties avait manqué à l’Obligation. Malgré tout, le Code conférait au CCRT les pouvoirs nécessaires pour prendre des mesures de redressement dans de tels cas, tout particulièrement grâce au libellé assez général du paragraphe 99(2), qui n’a pas changé au fil du temps :

99.(2) Afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu’il est juste de rendre en l’occurrence et obligeant l’employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.

(c’est nous qui soulignons)

[335] Dans Royal Oak, précité, la majorité des juges de la CSC a entériné certains des redressements traditionnellement imposés par le CCRT dans les affaires de manquement à l’Obligation. Ces redressements comprenaient, entre autres, les ordonnances selon lesquelles l’employeur devait présenter un projet de convention collective complet au syndicat. Le redressement accordé par le CCRT avait comme objectif primordial de remettre les parties dans la situation où elles se seraient trouvées n’eût été la violation du Code :

[84] Dans nombre d’affaires, le Conseil canadien des relations du travail, à bon droit selon moi, a ordonné à un employeur de présenter une proposition précise, y compris une offre de convention collective complète, dans des cas où le Conseil avait conclu qu’une telle réparation était nécessaire pour parer aux effets du manquement par l’employeur à l’obligation de négocier de bonne foi. La réparation imposée dans Eastern Provincial Airways, précité, était très semblable à celle imposée par le Conseil dans la présente affaire. Comme en l’espèce, le Conseil a conclu que l’employeur n’avait pas négocié de bonne foi et, en outre, s’était rendu coupable d’autres pratiques de travail déloyales. Le Conseil a rendu une ordonnance réparatrice de large portée qui obligeait l’employeur à renouveler une offre antérieure de convention collective et qui portait que tous les employés grévistes devaient être rappelés, par ordre d’ancienneté. De plus, toutes les promotions accordées durant la grève étaient déclarées nulles et les représailles contre les pilotes grévistes et non grévistes étaient interdites. On peut donc voir que, dans l’affaire Eastern Provincial Airways comme dans la présente instance, le Conseil a ordonné à l’employeur de soumettre sa dernière offre à la ratification du syndicat et ajouté des conditions précises qui se rapportaient directement à la violation.

[85] La Cour d’appel fédérale a modifié l’ordonnance du Conseil en rétablissant les promotions parce qu’elles n’étaient pas illégales et que le Conseil n’avait donc pas le pouvoir de les annuler. Toutefois, la Cour d’appel a conclu tout à fait avec raison que l’on ne pouvait pas affirmer que l’ordonnance du Conseil imposait une convention collective aux parties. C’était simplement une mesure destinée à replacer les parties dans la situation où elles auraient été s’il n’y avait pas eu de négociation de mauvaise foi. Ce raisonnement est, à mon sens, bien fondé et également applicable à la présente espèce.

...

[89] Finalement, pour montrer que le Conseil a déjà conçu à bon droit des réparations semblables à celle qui a été ordonnée en l’espèce, citons l’affaire Iberia, Lignes aériennes, précitée. Après avoir conclu que l’employeur avait négocié de mauvaise foi, le Conseil est intervenu en accordant une réparation. Il a pris cette mesure à cause de la nature des violations du Code et parce qu’il était convaincu que l’employeur n’avait pas l’intention de modifier sa position de négociation, sauf si un tiers intervenait. Il a conclu que si l’employeur n’avait pas pris la position de verser au personnel syndiqué des salaires inférieurs à ceux du personnel non syndiqué, les membres du syndicat auraient été en mesure, plus d’un an auparavant, de voter sur un projet complet de convention collective. En conséquence, le Conseil a ordonné entre autres que l’employeur soumette par écrit à la ratification du syndicat, dans un délai de deux semaines, un projet complet de convention collective, comprenant des conditions précises énoncées par le Conseil qui régleraient quatre des points les plus contestés.

(c’est nous qui soulignons)

2 – L’affaire Royal Oak

[336] Dans Royal Oak, précité, la CSC a rendu l’arrêt de principe sur les pouvoirs de redressement dont disposait le CCRT en cas de manquement à l’Obligation. Le CCRT avait pris une mesure de redressement extraordinaire pouvant comprendre, au besoin, l’imposition de l’arbitrage exécutoire.

[337] La question découlant de l’ordonnance de redressement du CCRT était décrite dans la décision rendue par la majorité des juges de la CSC :

[4] LE JUGE CORY – En mai 1992, les travailleurs syndiqués de Royal Oak Mines ont rejeté massivement une entente de principe proposée par l’appelante. Il en a résulté une grève de 18 mois, marquée par la violence tragique et une mauvaise volonté cancéreuse qui a provoqué des dissensions entre les travailleurs et la direction, entre les travailleurs eux-mêmes et même au sein de la collectivité de Yellowknife tout entière. Le Conseil canadien des relations du travail a conclu à l’unanimité que l’appelante (l’employeur) n’avait pas négocié de bonne foi : (1993), 93 di 21, 94 C.L.L.C. ¶ 16,026. Vu l’intransigeance et l’amertume dont les parties ont longtemps fait preuve, le Conseil a ordonné à l’appelante d’offrir à nouveau l’entente de principe qu’elle avait déjà proposée, sauf pour quatre points à propos desquels elle avait modifié sa position. Il a donné aux parties un délai de 30 jours pour négocier un règlement sur ces points. En cas d’impasse, la médiation exécutoire serait imposée. Il s’agit de décider si le Conseil avait compétence pour rendre cette ordonnance. Pour comprendre ce qui a poussé le Conseil à rendre cette ordonnance et pour déterminer s’il avait compétence pour la rendre, il est nécessaire de faire un exposé assez détaillé des faits.

(c’est nous qui soulignons)

[338] La CSC s’est attardée sur le contexte factuel tragique et extraordinaire dont a dû tenir compte le CCRT avant de décider d’ordonner l’arbitrage exécutoire :

[12] Le 18 septembre 1992, une explosion s’est produite dans la mine, tuant neuf employés. Par suite de cet acte, la patience des habitants de Yellowknife, déjà mise à rude épreuve, a atteint ses limites. Le conflit n’a pas touché que les parties en cause; ses répercussions ont eu une portée considérable qui s’explique par la situation de la collectivité. Yellowknife, qui est assez isolée, compte environ 15 000 habitants. Une partie des emplois dans la région sont occupés par des travailleurs migrants. Néanmoins, un noyau de résidents appartiennent à des familles solidement enracinées. L’exploitation minière représente une partie très importante de l’industrie et de l’économie de la région, et les mineurs et leurs familles ont tendance à former une communauté très unie. La mairesse de la ville, Pat McMahon, a décrit la collectivité comme une [TRADUCTION] « communauté de voisins ». Le professeur Nightingale, qui a rédigé un rapport sur le conflit, a conclu que [TRADUCTION] « [l]es incidents mineurs dans la collectivité sont ressentis par un grand nombre; les incidents importants comme la grève à la Royal Oak affectent tout le monde ». Il a fait remarquer en outre que le climat d’hostilité dans lequel baignait la situation était tel que [TRADUCTION] « les tabassages, les meurtres, les menaces de mort et les alertes à la bombe ont gravement perturbé la vie de la mine et de la collectivité ». La gravité de l’impact du conflit sur la collectivité a finalement amené la mairesse à écrire à la première ministre d’alors pour la prier de prendre toute mesure utile pour régler le conflit.

[13] Par suite de l’explosion, un gréviste appartenant à l’unité de négociation a été inculpé et déclaré coupable de meurtre. Environ une semaine après l’explosion, le ministre du Développement des ressources humaines et du Travail a suggéré aux parties d’accepter un processus d’arbitrage exécutoire afin de régler le conflit. Malgré toute la violence et la tragédie, les parties sont restées intransigeantes et ont repoussé cette suggestion. Par conséquent, le 30 septembre 1992, le ministre a chargé deux médiateurs spéciaux, MM. Ready et Munroe, d’étudier le conflit de travail et d’aider les parties à négocier un règlement et à renouveler la convention collective. Les médiateurs spéciaux ont rencontré les représentants des parties et, le 30 octobre 1992, ont présenté un rapport provisoire au ministre et aux parties.

(c’est nous qui soulignons)

[339] Le juge en chef Lamer a exprimé une opinion conforme à celle de la majorité, mais motivée différemment, et a mis l’accent sur l’importance du principe des libres négociations collectives :

[2] Toutefois, je tiens à exprimer des motifs distincts pour souligner qu’une ordonnance extraordinaire comme celle-ci, encore qu’elle soit justifiée dans les circonstances, va à l’encontre des codes du travail fédéral et provinciaux car elle déroge au principe cher des « libres négociations collectives » qui inspire nos lois sur les relations du travail. Le juge Cory a certes raison de souligner que le principe des « libres négociations collectives » n’est pas le seul objectif de la politique du travail qui est consacré par le Code, mais il est certainement l’un des plus importants et l’un des plus sacrés. Les mouvements ouvriers de l’Europe de l’Est ont lutté pendant des décennies contre la pratique de l’intervention de l’État dans les conventions collectives et il serait ironique et tragique que notre droit du travail évolue dans le sens de la subordination courante du principe des libres négociations collectives à l’objectif social du « règlement positif des différends ». Gardant ces réflexions à l’esprit, je suis d’avis qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes comme celles de la présente instance il sera manifestement déraisonnable normalement qu’un conseil des relations du travail impose une telle ordonnance réparatrice envahissante étant donné que les libres négociations collectives représentent une valeur fondamentale consacrée par le Code.

[3] Sous réserve de ces observations, je souscris au jugement du juge Cory et je suis d’

avis de rejeter le pourvoi.

(c’est nous qui soulignons)

[340] Le juge Cory, au nom de la majorité, a confirmé l’ordonnance de redressement du CCRT imposant l’arbitrage exécutoire :

[61] À mon avis, la réparation imposée par le Conseil n’était pas manifestement déraisonnable, mais au contraire était très judicieuse et convenait parfaitement aux données du cas. La cour chargée du contrôle judiciaire de l’ordonnance doit tenir compte du contexte factuel complexe et de l’intervention antérieure du Conseil dans le différend. En l’occurrence, le contexte factuel présenté au Conseil rendait impérieux le besoin d’imposer une ordonnance réparatrice.

...

[63] Pour rendre son ordonnance, le Conseil a été obligé de prendre en considération le fait que le conflit a été long, violent et amer. De plus, les faits de l’espèce sont si extraordinaires que le Conseil était autorisé, au besoin, à imposer une réparation qui se situait à la limite extrême de ses pouvoirs. La solution proposée par l’appelante, savoir que le Conseil aurait dû remédier à la violation en lui ordonnant simplement de cesser de prendre une position aussi intransigeante sur la question des employés congédiés et en obligeant les parties à reprendre les négociations, est absolument insuffisante. Vu les longues négociations agitées entre les parties, la traditionnelle ordonnance « de ne pas faire » aurait, selon le Conseil, été « irréaliste » et aurait « entraîn[é] un cruel gaspillage de temps » (p. 28). Il était évident que les parties ne réussiraient jamais à parvenir à une entente concernant la question des employés congédiés. En fait, la commission d’enquête sur les relations du travail a conclu, dans son rapport final, que chacun devait se montrer assez réaliste pour reconnaître que, sur certains points litigieux, [TRADUCTION] « il y a peu de chances que les parties en viennent jamais à une entente sans aide ». En conséquence, après avoir pris en considération cette prédiction, la triste histoire des négociations et l’effet du conflit sur la collectivité, le Conseil a reconnu à juste titre qu’une réparation plus efficace était requise.

[92] C’est un truisme de dire que les faits de l’espèce ne pourraient jamais se produire « normalement ». Au contraire, la longueur du conflit, la violence qui l’a marqué et ses répercussions sur la collectivité constituent des circonstances extraordinaires. Je suis toujours d’avis que le Conseil ne doit pas intervenir à la légère dans le processus de la libre négociation collective. Il ne doit pas non plus imposer couramment aux parties une convention collective ou les conditions essentielles d’une convention collective. Toutefois, ce serait une erreur de dire qu’il ne se présentera jamais de cas qui exige la recherche d’une réparation comportant des mesures plus exceptionnelles. Le présent pourvoi est l’un de ces cas. En fait, même dans l’affaire Tandy, en dépit de la mise en garde générale, il a été conclu que, bien que l’ordonnance de la Commission ait indirectement eu pour effet d’imposer aux parties une condition d’une convention collective, elle était appropriée, compte tenu des conclusions de la Commission.

(c’est nous qui soulignons)

[341] La CSC était loin d’être unanime dans son raisonnement. La minorité, composée des juges Major, Sopinka et McLachlin, a exprimé une opinion dissidente parce qu’elle était préoccupée à l’idée que le CCRT avait simplement imposé une convention collective à l’employeur :

[182] À mon avis, il serait difficile de qualifier cette ordonnance d’autre chose que d’imposition d’une convention collective à l’employeur. Sur le plan de la pure forme, elle oblige simplement l’employeur à « déposer une offre ». Toutefois, comme le note le Conseil, l’« offre » contenue dans l’ordonnance reprend pour l’essentiel les recommandations de la commission d’enquête sur les relations du travail que les syndiqués avaient acceptées. Il est absolument évident que l’ordonnance non seulement oblige l’appelante à déposer une offre, mais énonce en détail nombre des conditions précises que l’offre doit contenir.

...

[217] Le fait qu’une convention collective n’a pu être conclue parce que, à plusieurs reprises durant de longues négociations, les deux parties ont omis de négocier de bonne foi ne saurait autoriser l’imposition d’une convention collective complète à l’une des parties qui se trouve à manquer, à ce moment-là, à son obligation de négocier de bonne foi à l’égard d’un seul point.

...

[221] Les parties ne sont pas tenues de conclure une convention. Il est parfaitement compatible avec les objectifs du Code que les parties négocient jusqu’à l’impasse, pourvu qu’elles satisfassent à leur obligation de négocier de bonne foi. Comme on le dit dans l’affaire Tandy (à la p. 214) :

[TRADUCTION] De toute évidence, l’obligation de négocier de bonne foi est impérieuse, mais il n’y a aucune obligation de conclure une convention.

...

[232] La médiation et l’arbitrage exécutoires sont peut-être des mécanismes efficaces de règlement des différends, mais il revient aux parties de les choisir comme solution de rechange aux négociations collectives libres. Le Conseil n’a pas compétence pour imposer l’arbitrage exécutoire aux parties quand elles ont choisi de régler leurs différends par les négociations collectives libres. À cet égard, non seulement l’ordonnance du Conseil n’a pas le lien requis avec la violation du Code, mais elle va à l’encontre des objectifs du Code.

...

[242] Si une autre impasse résultait de nouveaux cas de « mauvaise foi », le Conseil aurait à nouveau le pouvoir d’intervenir. Toutefois, je ne peux concevoir de situation dans laquelle le Conseil aurait le droit d’imposer aux parties une convention collective complète comportant des conditions réglant des points qui n’ont aucun rapport avec la constatation qu’une partie a négocié de mauvaise foi.

(c’est nous qui soulignons)

3 – Le rapport Sims (1995)

[342] Pendant que l’affaire Royal Oak était examinée par les différentes cours, le ministre a commandé une étude de la partie I du Code. Des consultations du milieu des relations du travail ont été menées dans tout le Canada.

[343] Au rapport Sims, précité, figuraient de nombreuses recommandations concernant des modifications à apporter à la partie I du Code ainsi que des commentaires sur le rôle du CCRT en matière de négociation collective :

Pouvoirs de redressement

Afin d’assurer la réalisation des objectifs du Code, le Conseil peut, aux termes du paragraphe 99(2), rendre « une ordonnance qu’il est juste de rendre en l’occurrence » pour obliger une partie à « prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfaste à la réalisation de ces objectifs ». Les syndicats et le patronat ne s’entendent pas sur la nécessité d’étendre les pouvoirs de redressement du Conseil. Selon certains syndicats, il faut clarifier la liste des mesures de redressement figurant au paragraphe 99(1). Cette clarification s’impose en particulier dans les cas de manquements au devoir de négocier de bonne foi, pour lesquels aucune mesure n’est prévue.

Dans la cause récente concernant la Royal Oak Mines Inc. [Canadian Association of Smelter and Allied Workers (CASAW), section locale No 4 et Royal Oak Mines Inc. (1993), 93 di 21 (CCRT no 1037)], le Conseil a utilisé les larges pouvoirs de redressement que lui confère le paragraphe 99(2). Il a rendu une ordonnance imposant aux parties un processus destiné à débloquer l’impasse dans les négociations attribuable à son avis à la Royal Oak. Cette ordonnance visait à contraindre les parties à négocier en vue de conclure une convention collective. Bien que le Conseil ait envisagé des mesures moins intrusives, comme une ordonnance enjoignant aux parties de cesser de contrevenir au Code ou de négocier de bonne foi, il a jugé que « cela entraînerait un cruel gaspillage de temps ».

Étant donné notre préférence pour le volontarisme, nous considérons que le Conseil doit utiliser avec une grande prudence ses pouvoirs de redressement en ce qui concerne l’imposition de solutions en matière de négociation collective. Cependant, comme nous l’avons déjà dit à propos du recours illégitime aux travailleurs de remplacement, lorsque le Conseil juge que les propositions patronales, ou leur absence, ne servent qu’à masquer une intention arrêtée de chasser le syndicat du lieu de travail, nous considérons que le Conseil peut et, dans des cas extrêmes, doit utiliser ses pouvoirs de redressement pour parer aux effets de telles actions. En raison de l’incertitude au sujet des pouvoirs du Conseil dans ce domaine, incertitude que les tribunaux tentent de dissiper actuellement, nous recommandons que le Code soit modifié pour que ces pouvoirs soient explicites.

En outre, nous croyons que le Conseil doit se voir conférer des pouvoirs précis pour rendre les ordonnances nécessaires pour donner effet à sa juridiction selon le Code.

(pages 233-234; c’est nous qui soulignons)

[344] Dans le rapport Sims, on trouve en outre la recommandation suivante concernant les pouvoirs de redressement du CCRT visant à parer aux effets d’un manquement à l’Obligation :

Que le paragraphe 99(1) confirme la capacité du Conseil d’enjoindre à une partie, qui négocie de mauvaise foi dans le but de miner le droit de représentation et de négociation du syndicat, d’inclure ou de retirer des conditions spécifiques dans sa position de négociation et ce, afin de parer aux effets du défaut de négocier de bonne foi. En outre, si nécessaire, le Conseil doit pouvoir imposer une méthode exécutoire pour régler les points en litige qui sont à la source du manquement au devoir de négocier de bonne foi.

Que, lorsqu’il rend une décision concernant une plainte, un renvoi ou une demande, le Conseil puisse imposer par ordonnance toute mesure appropriée ou nécessaire afin de garantir le respect de la partie I du Code.

(page 234)

4 – Le CCRI et les modifications de 1999

[345] Le Parlement a apporté des modifications importantes au Code en 1999, lesquelles comprenaient, en totalité ou en partie, certaines des recommandations formulées dans le rapport Sims. En même temps que l’entrée en vigueur de ces modifications, le Conseil a remplacé le CCRT en tant que tribunal des relations du travail pour le secteur privé de compétence fédérale.

[346] Le nouvel alinéa 99(1)b.1) du Code décrivait de manière explicite les pouvoirs de redressement du Conseil en cas de manquement à l’Obligation :

99.(1) S’il décide qu’il y a eu violation des paragraphes 24(4) ou 34(6), des articles 37, 47.3, 50 ou 69, des paragraphes 87.5(1) ou (2), de l’article 87.6, du paragraphe 87.7(2) ou des articles 94, 95 ou 96, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s’y conformer et en outre :

...

b.1) dans le cas de l’alinéa 50a), enjoindre, par ordonnance, à l’employeur ou au syndicat d’inclure ou de retirer des conditions spécifiques de sa position de négociation ou ordonner l’application d’une méthode exécutoire de règlement des points en litige, s’il est d’avis que ces mesures sont nécessaires pour remédier aux effets de la violation.

(c’est nous qui soulignons)

[347] Dans VIA Rail Canada inc. c. Cairns, 2004 CAF 194 (Cairns), la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur l’effet de cette nouvelle disposition relative au pouvoir de redressement, tout particulièrement en ce qui concerne le libellé inchangé du paragraphe 99(2) du Code :

[92] Toutefois, l’alinéa 99(1)b.1) a été ajouté au Code en 1999, précisément pour confirmer la portée large du pouvoir de réparation « équitable » visé au paragraphe 99(2), reconnu au Conseil depuis l’arrêt Royal Oak Mines. Dans ces circonstances, je n’accepte pas que l’alinéa 99(1)b.1) visait à être exhaustif à l’égard du pouvoir du Conseil d’imposer des conditions et donc à restreindre la portée du paragraphe 99(2) de manière à empêcher le Conseil d’avoir exceptionnellement recours à cette disposition pour imposer des conditions remédiant à un manquement au devoir de représentation juste.

[348] Les extraits qui précèdent nous permettent de faire certaines observations.

[349] Premièrement, les modifications de 1999, qui touchaient l’article 80, n’ont pas fait disparaître le pouvoir discrétionnaire du ministre, conféré en vertu du paragraphe 80(1) du Code, de demander au Conseil d’établir s’il est indiqué d’avoir recours à l’arbitrage pour conclure la première convention collective entre les parties. Les modifications ont en fait mis à jour le libellé du paragraphe 80(4) en faisant passer de un an à deux ans la durée de toute convention collective dont les modalités ont été fixées par le Conseil :

La première convention collective est en vigueur pendant les deux ans qui suivent la date de la fixation de ses modalités par le Conseil.

[350] Par contraste, le paragraphe 97(3) du Code a été abrogé par suite des modifications de 1999; selon cette disposition, une partie devait auparavant obtenir le consentement du ministre avant de déposer une plainte relative au gel prévu au Code ou à l’Obligation.

[351] Deuxièmement, l’alinéa 99(1)b.l) confirme, pour l’essentiel, les pouvoirs de redressement du Conseil, qui avaient fait l’objet d’un examen détaillé de la part de la CSC dans Royal Oak, précité. Lorsqu’il s’agit de conclure une première convention collective, le Conseil doit mettre dans la balance le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre à l’article 80 et ses propres pouvoirs de redressement prévus à l’alinéa 99(1)b.1). Il ne fait aucun doute que l’intention du Parlement était que ces pouvoirs coexistent.

[352] Troisièmement, le libellé de l’alinéa 99(1)b.1) renvoie précisément aux manquements à l’Obligation prévue à l’alinéa 50a). Il n’a pas été rédigé pour constituer une disposition de redressement générale, applicable à toute violation du Code. De même, l’alinéa 99(1)b.1) est assorti d’une limite temporelle qui correspond à la période pendant laquelle l’Obligation prévue à l’alinéa 50a) s’applique aux parties. Cette période commence avec l’avis de négociation.

[353] Quatrièmement, le Parlement n’a pas fait en sorte que l’arbitrage exécutoire soit la mesure de redressement par défaut pour un manquement à l’Obligation, même dans les cas où il s’agit de conclure la première convention collective. Pour cette raison, le Conseil doit continuer, comme il l’a toujours fait, d’établir un équilibre entre le redressement imposé et l’importance globale des libres négociations collectives.

[354] Le libellé de l’alinéa 99(1)b.1) et du paragraphe 99(2) ne limite pas le pouvoir du Conseil d’ordonner l’arbitrage exécutoire. Toutefois, dans des situations extrêmes comme celle de l’affaire Royal Oak, précitée, l’arbitrage exécutoire décrit à l’alinéa 99(1)b.1) met l’accent sur les « conditions » ou « points » en litige que les parties souhaitent voir inclus dans la convention collective. Cette méthode de règlement diffère donc de l’arbitrage exécutoire visant la conclusion d’une convention collective.

[355] Une ordonnance d’arbitrage exécutoire pourrait mener à la conclusion d’une convention collective, qu’il s’agisse d’une première convention ou non, mais ce n’est pas nécessairement l’issue qu’elle aura. Le maintien du pouvoir discrétionnaire du ministre concernant l’arbitrage visant une première convention collective, et le fait que l’accent a été mis sur les « conditions » ou « points » spécifiques, démontrent que le Parlement a cherché à maintenir un équilibre à cet égard.

[356] D’autres dispositions en vigueur avant l’adoption des modifications de 1999, de même que de nouvelles dispositions introduites par ces modifications, sont essentielles à la compréhension du cadre établi par le Code en ce qui a trait aux négociations collectives. Par exemple, l’alinéa 50b) du Code, précité, impose un gel pour une partie ou la totalité de la période des négociations.

[357] La période de gel prévue au Code n’est pas censée être en vigueur pendant toute la période de négociation; elle prend fin une fois qu’il a été satisfait à certaines exigences du Code : Société canadienne des postes, 2012 CCRI 627 (SCP 627). Ainsi, les parties peuvent déclencher une grève ou un lock-out si elles ont satisfait aux conditions préalables prévues au Code.

[358] Le Code prévoit également des protections importantes pour les agents négociateurs nouvellement accrédités.

[359] Un nouvel agent négociateur, comme c’est le cas du SCEP en l’espèce, jouit d’une protection accrue contre la révocation de son accréditation. Le paragraphe 39(2) accorde une protection à un nouvel agent négociateur contre une demande de révocation, pour autant qu’il ait fait un effort raisonnable pour négocier avec l’employeur :

39.(2) En l’absence de convention collective applicable à l’unité de négociation, l’ordonnance visée à l’alinéa (1)a) ne peut être rendue par le Conseil que s’il est convaincu que l’agent négociateur n’a pas fait d’effort raisonnable en vue de sa conclusion.

(c’est nous qui soulignons)

[360] Voir par exemple l’affaire Butt, 2012 CCRI 621, dans laquelle le Conseil a rejeté une demande de révocation présentée par un employé faisant partie d’une unité de négociation du SCEP représentant des employés d’un autre entrepreneur de Rogers.

[361] Comme il a été mentionné, l’article 36.1 du Code protège également les membres d’une nouvelle unité de négociation à la suite de l’accréditation initiale en empêchant la prise de mesures contre eux sans « motif valable ». Cette protection demeure en vigueur tant et aussi longtemps que l’employeur et le syndicat n’ont pas conclu leur première convention collective.

[362] L’article 36.1 du Code permet à un agent négociateur nouvellement accrédité, comme le SCEP, de présenter un grief relativement à toute mesure disciplinaire ou à tout congédiement imposé par l’employeur pendant cette période qui fait suite à l’accréditation. Le devoir de représentation juste ne s’applique pas encore au syndicat, étant donné qu’il n’existe pas encore de convention collective : McDonald, 2005 CCRI 319. Cela peut découler du fait que le syndicat ne reçoit peut être pas encore de cotisations des membres de l’unité de négociation.

[363] Lorsqu’il s’agit de renouveler une convention collective expirée, le Code permet maintenant le recours à l’arbitrage par une tierce partie pour toute mesure disciplinaire ou tout congédiement survenu après l’expiration de la convention collective. Aux fins de l’application du Code, les modalités de la convention collective ne sont pas maintenues en vigueur lorsque celle ci est expirée, même si les parties avaient négocié une clause transitoire : Ville de Yellowknife, 2012 CCRI 661. Après l’expiration de la période de gel prévue au Code, le paragraphe 67(6) fait en sorte que les parties peuvent toujours avoir recours à l’arbitrage par une tierce partie :

67.(6) Lorsque survient un litige concernant le congédiement d’un employé de l’unité de négociation – ou la prise de mesures disciplinaires à son égard – au cours de la période qui commence à la date à laquelle les conditions énoncées aux alinéas 89(1)a) à d) sont remplies et se termine le jour de la conclusion d’une nouvelle convention collective ou d’une convention collective révisée, l’agent négociateur peut soumettre le litige pour règlement définitif en conformité avec les dispositions de la convention collective antérieure qui porte sur le règlement des désaccords. Les dispositions pertinentes de la convention collective et les articles 57 à 66 s’appliquent au règlement du litige, avec les modifications nécessaires.

[364] Le paragraphe 67(6) règle la question de la possibilité d’avoir recours à l’arbitrage par une tierce partie pour toute mesure disciplinaire imposée une fois la période de gel terminée, mais avant la conclusion d’une nouvelle convention collective par les parties. Cette question avait constitué un obstacle aux négociations dans Royal Oak, précité, et la CRTO a récemment été saisie d’une affaire portant sur cette question dans United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union (United Steelworkers, Local 6500) v. Vale Inco Limited, 2012 CanLII 8468 (ON LRB).

5 – De quelle manière le CCRI a-t-il interprété et appliqué la version du Code en vigueur après 1999 en ce qui a trait à la question de l’Obligation?

[365] Dans Nav Canada, 1999 CCRI 13 (Nav Canada 13), le CCRI a fait remarquer que les modifications de 1999 n’avaient pas modifié la description de l’Obligation en soi :

[145] Il convient tout d’abord de souligner qu’il n’y a pas eu de modification législative directe des dispositions de l’alinéa 50a) qui porte sur la négociation de mauvaise foi et sur le défaut de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[146] Les observations du CCRT concernant la négociation de mauvaise foi sont donc très pertinentes. ...

[366] Le Conseil a par la suite fait référence aux commentaires du CCRT sur le rôle qui lui revenait lorsqu’il s’agissait de trancher une plainte relative aux négociations, et il les a adoptés (voir CKLW, précitée).

[367] Dans Société Radio-Canada, 2002 CCRI 195 (Société Radio-Canada 195), un banc de révision a examiné une ordonnance qui avait obligé un employeur à retirer une proposition visant à modifier le champ d’application de l’accréditation du syndicat. Le Conseil avait ordonné à l’employeur de présenter au syndicat un projet de convention collective, mais sans la clause fautive.

[368] Le banc de révision, dans Société Radio-Canada 195, a fait observer que le Conseil est tenu de respecter le principe des libres négociations collectives, mais que, en cas de manquement à l’Obligation, il se doit de façonner un redressement visant à replacer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées s’il n’y avait pas eu de violation :

[71] L’ordonnance contestée, contrairement à ce qu’invoque l’employeur, ne visait pas à imposer une mesure punitive et ne contrevenait pas aux objectifs du Code visant les libres négociations collectives. Elle avait un lien rationnel avec la violation du Code commise et visait à replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées s’il n’y avait pas eu violation de l’obligation de négocier de bonne foi de la part de l’employeur. Le banc initial s’est d’ailleurs exprimé clairement à ce sujet dans sa décision :

[80] Comme l’a si bien confirmé l’arrêt Royal Oak Mines Inc., précité, les libres négociations sont un principe fondamental du Code et des relations du travail qui en découlent. Lors des négociations ayant eu lieu entre la SRC et l’AR, qui ont été pour le moins difficiles et lors desquelles les positions ont été intransigeantes, le Conseil a constaté que l’une des parties n’a pas négocié de bonne foi et que ce manquement a empêché la conclusion d’une convention collective. Même si la mesure de redressement aura pour effet de mettre fin aux libres négociations collectives, ce résultat découle, en partie, de la mauvaise foi d’une des parties qui a fait obstacle au processus de négociation; le Conseil doit en tenir compte dans l’application des dispositions de l’article 99 du Code.

(page 32; c’est nous qui soulignons)

[72] Il est évident que le banc initial, en ordonnant la mesure de redressement, a tenu compte du fait que ce redressement pourrait avoir l’effet de mettre fin aux négociations collectives. Comme l’a indiqué le banc initial, il s’agit d’une conséquence qui découle de la négociation de mauvaise foi par l’employeur. Autrement, il serait possible pour une partie d’insister sur des clauses illégales et en violation du Code avec l’assurance que l’unique conséquence serait le retrait de la clause concernée. Une telle approche n’aurait sûrement pas pour effet de promouvoir le règlement positif des différends entre les parties, tel que prévu dans les objectifs énoncés dans le préambule du Code.

(c’est nous qui soulignons)

[369] Par cette affaire, il a été démontré que, dans ses efforts de redressement, le Conseil met l’accent sur les conditions ou points spécifiques des négociations ou sur les obstacles entraînant un manquement à l’Obligation. Les mesures de redressement peuvent comprendre l’obligation, pour une partie, de présenter une offre, qui exclura la clause fautive.

[370] Dans les affaires ne mettant pas en cause l’Obligation, le CCRI a formulé des commentaires sur l’arbitrage exécutoire à titre de redressement, ordonné en vertu des pouvoirs de redressement qui lui sont conférés au paragraphe 99(2).

[371] Dans Transport Rapide International D.H.L. ltée, 2001 CCRI 129 (DHL 129), le Conseil s’est penché sur la question du redressement approprié après avoir conclu à la violation, par l’employeur, des dispositions prévues à l’alinéa 50b) du Code relatives à la période de gel, ainsi qu’à l’intervention de celui ci dans l’administration de l’agent négociateur, en violation de l’alinéa 94(1)a). Puisqu’aucun manquement à l’Obligation n’avait été constaté, l’alinéa 99(1)b.1) ne s’appliquait pas dans cette affaire.

[372] Dans DHL 129, après l’accréditation du syndicat, l’employeur avait attribué à des sous-traitants la quasi totalité du travail des titulaires des postes inclus dans l’unité de négociation. À titre de redressement, le Conseil avait ordonné l’arbitrage exécutoire en vertu du paragraphe 99(2).

[373] Dans Transport Rapide International D.H.L. ltée, 2002 CCRI 159 (DHL 159), un banc de révision a conclu que l’arbitrage exécutoire constituait une mesure de redressement appropriée dans les circonstances :

[26] Par conséquent, les dispositions de l’article 50 du Code, y compris celles de l’alinéa 50b), auxquelles l’employeur se trouve à avoir contrevenu en l’espèce, ont pour but de protéger l’intégrité du processus de la négociation collective. Dans l’affaire qui nous occupe, le banc initial a conclu que la violation des alinéas 50b) et 94(1)a) du Code nécessitait réparation afin, d’une part, de regarnir les rangs de l’unité de négociation et, d’autre part, de remédier au profond déséquilibre qui résultait de l’érosion illégale du statut de l’agent négociateur. Il était évident que les réparations ne pouvaient qu’avoir une action progressive. Il était aussi évident que les négociations collectives qui s’étaient déroulées pendant la période où l’employeur s’était employé à décimer l’effectif syndical de l’agent négociateur et à le priver des quelques moyens d’action économique qu’il possédait ne pouvaient plus, en toute équité, être qualifiées de libres négociations menées de bonne foi. Il appartenait au banc initial de rétablir l’équilibre entre les parties à la négociation collective dans des circonstances où l’unité de négociation nouvellement accréditée ne comptait plus qu’une poignée de membres. La réparation accordée, à savoir l’établissement des modalités de la convention collective par l’arbitrage exécutoire, permet de corriger cette situation de manière directe et efficace et d’encadrer le processus de négociation de la convention collective de façon que l’unité de négociation en vienne au fil du temps à surmonter les effets des violations du Code constatées par le banc du Conseil.

[27] Il existe un lien logique entre la réparation accordée, soit l’intervention d’un tiers pour rétablir l’intégrité du processus de la négociation collective, et le manquement qui a eu pour conséquence d’éroder ce processus même. La réparation en question se trouve à remédier directement aux effets du manquement, soit le déséquilibre inacceptable des positions de négociation des parties qui jouait en faveur de l’employeur et le fait que ce déséquilibre ne pouvait être corrigé de manière immédiate. Vu l’érosion importante des effectifs de l’unité de négociation qu’a causé la modification des conditions de travail par l’employeur durant la période de gel et ses effets dévastateurs sur la capacité de l’agent négociateur de représenter ses membres dans le cadre de la négociation collective, il existe un lien logique et équitable entre la réparation accordée, le manquement et ses conséquences. Enfin, l’ordonnance de redressement formulée par le banc initial offre la possibilité d’un règlement rapide et constructif des différends qui opposent les parties et de l’annulation de l’avantage que l’employeur s’est approprié en modifiant les conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation. Il faut également prendre en considération l’encouragement aux libres négociations collectives de manière à favoriser la réalisation des objectifs du Code. Il est probable que l’insistance du banc initial à empêcher l’employeur de tirer un avantage indu des violations du Code pendant la période de négociation aura pour effet de favoriser les libres négociations collectives. À cet égard, l’approche du Conseil semble plus prometteuse que celle qui consisterait à laisser la partie ayant contrevenu aux dispositions du Code profiter des avantages acquis illégalement.

[28] Pour ces motifs, l’ordonnance du Conseil enjoignant l’employeur d’offrir le recours à l’arbitrage exécutoire à l’agent négociateur constitue un moyen efficace et équitable de corriger le déséquilibre créé par les violations du Code.

(c’est nous qui soulignons)

[374] Le banc de révision a fait remarquer qu’il n’y avait pas eu manquement à l’Obligation, mais a tout de même confirmé l’ordonnance de redressement :

[44] Par ailleurs, le banc initial n’a pas tenu compte de l’historique de la négociation collective entre les parties non plus qu’il est arrivé à la conclusion que l’employeur avait négocié de mauvaise foi en contravention de l’alinéa 50a) du Code. Le banc a conclu qu’il y avait eu violation des dispositions sur le gel des conditions d’emploi énoncées à l’alinéa 50b) et que l’employeur était intervenu dans l’administration du syndicat en contravention de l’alinéa 94(1)a). Il a aussi conclu que les violations étaient si graves, et que le fait que la violation particulière s’était produite pendant la période de négociation de la première convention collective allait avoir une telle incidence sur la capacité du syndicat de représenter ses membres qu’il était nécessaire d’accorder une réparation d’une aussi grande portée. S’il faut tenir compte du fait que le gel imposé par l’alinéa 50b) prend effet dès qu’il y a signification de l’avis de négocier collectivement et qu’il existe donc un lien entre les alinéas 50a) et b) du Code, le banc initial n’a formulé aucune conclusion ni rendu quelque décision sous le régime de l’alinéa 50a). Il n’a pas non plus fondé sa décision d’ordonner l’arbitrage exécutoire du différend sur l’historique des négociations entres les parties. Il a tenu compte des conséquences de la violation de l’alinéa 50b) sur la capacité du syndicat de représenter ses membres ainsi que sur son expérience et son expertise en matière de relations de travail.

[45] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, il n’y a rien dans l’ordonnance du banc initial ainsi que dans les faits de l’espèce qui soit susceptible d’amener le banc de révision à conclure que la réparation accordée n’est pas justifiée. À vrai dire, le banc de révision est d’avis que l’ordonnance de redressement formulée est celle qu’il y avait lieu de rendre en l’espèce et qui offre les meilleures chances de succès.

(c’est nous qui soulignons)

[375] Dans une affaire plus récente, le Conseil s’est montré plus réticent à accepter que l’arbitrage exécutoire serve de mesure de redressement pour remédier à une PDT étrangère aux négociations.

[376] Dans TELUS 271, le Conseil a conclu que des communications de l’employeur avec les employés pendant les négociations collectives avaient constitué une violation du Code. À titre de redressement, le Conseil avait rendu une ordonnance dans laquelle il obligeait l’employeur à cesser ces pratiques, lui interdisait de communiquer avec les employés et lui ordonnait d’offrir au syndicat la possibilité d’avoir recours à l’arbitrage exécutoire. Tout comme dans DHL 129, aucun manquement à l’Obligation n’avait été constaté dans TELUS 271.

[377] Dans TELUS Communications inc., 2005 CCRI 317 (TELUS 317), un banc de révision a infirmé le passage de l’ordonnance de redressement portant sur l’arbitrage exécutoire. Dans TELUS 317, il est indiqué que le rôle du Conseil ne consiste pas à façonner un redressement qui garantira la conclusion d’une convention collective :

[202] Le mandat du Conseil, lorsqu’il impose des ordonnances réparatrices, consiste à façonner un redressement qui pare aux effets néfastes de la violation particulière ayant été identifiée plutôt qu’un redressement qui sera propice à la conclusion d’une convention collective. Le Code n’exige pas que les parties à un conflit de travail concluent une convention collective. Il n’y a aucune contradiction avec les objets du Code dans le fait que les parties échouent dans leurs négociations et exercent leur droit de grève ou d’un lock-out en vertu de la loi dans les situations où elles sont incapables de conclure une convention collective.

[203] C’est pour ces motifs que le banc de révision conclut que le lien logique qui doit nécessairement exister entre la violation, les conséquences qu’elles a eues et le redressement imposé était absent en l’espèce et que l’imposition de l’ordonnance d’arbitrage exécutoire constitue dès lors une erreur de droit ou de principe.

[378] En résumé, dans les affaires de PDT les plus graves, mais qui n’ont aucun lien avec l’Obligation (voir, par exemple, DHL 129, précitée), le Conseil peut ordonner l’arbitrage exécutoire à titre de redressement pour une violation du Code. Toutefois, une telle ordonnance de redressement serait exceptionnelle. Dans des affaires les plus graves ayant un lien avec l’Obligation (voir, par exemple, Royal Oak, précité), le Conseil peut aussi ordonner l’arbitrage exécutoire impliquant la conclusion d’une convention collective.

[379] Des observations ci dessus se dégage une liste non exhaustive des principes applicables relativement au cadre établi par le Code en matière de négociation collective :

  1. L’alinéa 50a) prescrit deux obligations concomitantes en ce qui a trait aux négociations : premièrement, l’obligation de négocier de bonne foi (analyse subjective); deuxièmement, l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective (analyse objective);
  2. Les procédures du Conseil ne constituent pas un substitut à la négociation collective libre;
  3. Avant les modifications de 1999, le paragraphe 99(2) habilitait le Conseil à façonner, en cas de manquement à l’Obligation, des mesures de redressement visant à replacer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées s’il n’y avait pas eu de violation;
  4. En 1999, l’alinéa 99(1)b.1) a confirmé que le Conseil conservait ses pouvoirs de redressement en cas de manquement à l’Obligation;
  5. L’alinéa 99(1)b.1) doit être interprété de concert avec le pouvoir discrétionnaire toujours en vigueur du ministre d’ordonner au Conseil d’établir s’il est indiqué que le Conseil fixe lui même les modalités de la première convention collective entre les parties;
  6. L’alinéa 99(1)b.1) ne permet pas de prendre une mesure de redressement si le manquement porte sur une disposition autre que l’alinéa 50a) du Code;
  7. Le Code contient plusieurs protections applicables aux agents négociateurs nouvellement accrédités pendant qu’ils négocient une première convention collective :
    • Période de gel prévue à l’alinéa 50b);
    • Protection contre les demandes de révocation – paragraphe 39(2);
    • Protection aux membres de l’unité de négociation contre des mesures prises « sans motif valable » après l’accréditation, mais avant la conclusion d’une première convention collective – article 36.1;
  8. Lorsqu’il s’agit de renouveler une convention collective, l’arbitrage par une tierce partie est un recours dont peuvent toujours se prévaloir les parties pour contester toute mesure disciplinaire prise après que la convention collective précédente a expiré et après la période de gel prévue au Code (paragraphe 67(6));
  9. Le Conseil se concentre principalement sur les actions et conditions spécifiques ou points en litige qui sont illicites et qui ont fait obstacle aux négociations collectives lorsqu’il façonne une mesure de redressement, plutôt que de se concentrer sur la méthode à adopter pour s’assurer que les parties concluent une convention collective;
  10. Dans des circonstances exceptionnelles, le Conseil a le pouvoir, en vertu du paragraphe 99(2), d’ordonner l’arbitrage exécutoire lorsqu’il y a eu des violations relatives à des PDT n’ayant aucun lien avec l’Obligation.

B – Intek a-t-elle manqué à l’Obligation?

[380] Pour trancher la question de savoir si Intek a manqué à l’Obligation, le Conseil a examiné les actions de celle-ci à la lumière des obligations concomitantes qu’elle était tenue de respecter, soit l’obligation qu’ont les parties de se rencontrer et de négocier, analysée de manière subjective, et l’obligation de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective, analysée de manière objective. Dans ce contexte, le Conseil a analysé, entre autres, la question de savoir si des propositions précises faites dans le cadre des négociations collectives constituaient un obstacle à ces négociations, parce qu’elles auraient été illégales, contraires à l’ordre public, ou indiquaient une négociation de mauvaise foi (CKLW, précitée).

[381] Le SCEP a convaincu le Conseil que, considérées dans leur ensemble, les diverses actions d’Intek au cours des négociations collectives constituaient un manquement à l’Obligation. Cette conclusion du Conseil est fondée sur plusieurs facteurs.

1 – Refus de produire des documents pertinents

[382] Intek a refusé de produire, pour des raisons de confidentialité, quelque partie que ce soit de son contrat avec Rogers. Certaines des propositions faites par Intek dans le cadre des négociations collectives indiquent clairement que la teneur du contrat conclu avec Rogers était connue, malgré des déclarations contraires, faites de manière peu convaincante par des témoins d’Intek. Ce refus inconditionnel de produire le contrat conclu avec Rogers a eu une incidence sur la capacité de négocier du SCEP.

[383] Par exemple, la lettre d’entente sur l’imposition de frais aux employés, proposée par Intek, parle de la « pratique du secteur » (traduction) et des « normes convenues au contrat » (traduction). La proposition d’Intek faisait référence à une pratique régie par son contrat avec Rogers, mais l’entreprise a refusé de fournir quelque partie que ce soit de ce contrat au SCEP.

[384] Certes, des renseignements de nature délicate et confidentielle contenus dans des documents importants peuvent devoir être masqués pendant des négociations collectives, mais un refus inconditionnel de produire quelque partie que ce soit du contrat conclu avec Rogers constituait une violation du Code. Voir, de manière générale, Énergie atomique du Canada limitée, 2001 CCRI 110, pour la question des obligations qu’ont les parties de produire certains documents au cours des négociations.

[385] Le Conseil fait remarquer que les contrats conclus entre Rogers et d’autres entrepreneurs ont été produits, du moins en partie, à l’occasion d’autres instances devant le Conseil. Par conséquent, bien que ces contrats de Rogers ne soient pas complètement inconnus pour le SCEP, celui-ci n’avait aucun moyen de se renseigner sur les différences importantes négociées par Intek.

[386] Intek aurait dû, après avoir masqué les renseignements commerciaux confidentiels de nature délicate, communiquer au SCEP le contrat conclu avec Rogers.

2 – Refus de rencontrer l’autre partie après le début de la grève de juin 2012

[387] Le Conseil accepte que, dans les jours précédant ou suivant le début d’une grève, une partie puisse être très occupée et incapable de répondre favorablement à une demande de rencontre immédiate en vue de négocier. Le fait qu’Intek s’est dite non disponible pour négocier, en réponse à la demande du SCEP présentée à cette fin en juin, n’aurait pas, à lui seul, constitué une violation du Code.

[388] Or, Intek est la seule responsable du fait qu’aucune négociation collective n’a eu lieu entre le début de la grève le 15 juin 2012 et l’unique séance de négociation qui a eu lieu le 4 octobre 2012. Cette interruption a eu lieu même si le SCEP a demandé plus d’une fois la reprise des négociations au cours de l’été 2012.

[389] Le SCEP a également préparé une nouvelle proposition en juillet 2012 pour tenter de relancer les négociations.

[390] Intek n’a pas convaincu le Conseil que le SCEP avait, dans sa proposition de juillet, « fait un pas en arrière » par rapport à d’autres propositions faites dans le cadre des négociations collectives. Le SCEP a démontré qu’il continuait d’agir de bonne foi en modifiant certaines de ses positions. En outre, il avait accepté certaines des propositions d’Intek.

[391] Intek a manqué une nouvelle fois à l’Obligation en novembre 2012 lorsqu’elle a exigé que le SCEP accepte certaines propositions essentiellement non négociables comme condition à la reprise des négociations relativement à d’autres éléments pour lesquels elle pourrait faire preuve d’une certaine souplesse.

3 – Fausses déclarations concernant la position du SCEP dans le cadre des négociations

[392] Intek a également manqué à l’Obligation lorsqu’elle s’est servie des réunions obligatoires et rémunérées des employés pour faire de fausses déclarations à propos des efforts déployés par le SCEP au nom des employés, par exemple en affirmant aux membres de l’unité de négociation que le SCEP cherchait à obtenir un minimum journalier de 300 $.

[393] Le Conseil a déjà conclu que ces agissements d’Intek constituaient une intervention dans les affaires internes du SCEP, en violation de l’alinéa 94(1)a), mais ces agissements constituent également un manquement à l’Obligation.

[394] Un employeur ne peut pas affirmer qu’il s’est engagé dans des négociations serrées, mais en agissant toujours de bonne foi si, en même temps et de manière détournée, il a tenu de multiples réunions obligatoires avec des membres de l’unité de négociation, pendant lesquelles il a fait de fausses déclarations à propos des efforts et des positions de négociation de leur syndicat.

4 – Propositions précises faites dans le cadre des négociations

[395] Le Conseil a également examiné certaines des propositions faites par Intek dans le cadre des négociations. Intek et le SCEP se sont déjà entendus sur de nombreuses dispositions qui figureront dans la convention collective en cours de négociation. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les parties sont incapables de s’entendre sur quoi que ce soit. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Conseil ne percevait pas les difficultés actuelles comme étant un conflit lié à la représentation lorsqu’il s’est penché sur l’argument concernant les travailleurs de remplacement.

[396] Pendant l’audience, le Conseil a entendu des témoignages portant sur des propositions précises d’Intek. Le SCEP a convaincu le Conseil que certaines de ces propositions démontrent aussi qu’Intek a manqué à l’Obligation.

[397] Il n’appartient pas au Conseil de statuer sur le caractère raisonnable des propositions. L’importance du principe des libres négociations collectives enlève pratiquement toute pertinence à l’opinion subjective que pourrait avoir le Conseil quant au caractère raisonnable des propositions faites dans le cadre des négociations.

[398] Toutefois, selon la jurisprudence du Conseil, celui ci peut, lorsqu’il cherche à savoir si une partie a manqué à l’Obligation, se demander si une proposition est nettement illégale, contraire à l’ordre public, ou indique une négociation de mauvaise foi (CKLW, précitée).

a – Clause sur le champ d’application

[399] Il est arrivé à plusieurs occasions qu’Intek propose que le SCEP accepte que les superviseurs soient exclus du champ d’application de l’unité de négociation. Le SCEP a commencé par résister, mais il a fini par accepter la proposition telle qu’elle était formulée dans une lettre d’entente; ainsi, il est devenu loisible à Intek de présenter au Conseil une demande incontestée pour que cette modification soit apportée.

[400] Les parties peuvent négocier des questions liées au champ d’application pourvu qu’elles ne donnent pas lieu à une impasse. Intek n’a pas provoqué d’impasse avec cette question. Par conséquent, la proposition, qui a par la suite mené à une lettre d’entente, ne constituait pas un manquement à l’Obligation (Société Radio-Canada, précitée).

b – Sous-traitance

[401] Les décisions rendues par le Conseil dans DHL 129 et DHL 159 montrent bien les effets dévastateurs que peut avoir la sous-traitance sur un agent négociateur nouvellement accrédité. Dans cette affaire, le Conseil avait ordonné la prise d’une mesure de redressement extraordinaire – l’arbitrage exécutoire – pour parer aux effets de la sous-traitance.

[402] Le Conseil peut être saisi d’affaires relatives à la sous-traitance si la question des pratiques déloyales de travail entre en jeu. Autrement, ces affaires sont habituellement tranchées par des arbitres.

[403] En règle générale, les spécialistes des relations du travail reconnaissent que, si une convention collective ne limite pas la sous-traitance, l’employeur a le droit d’y avoir recours à des fins commerciales légitimes. Pour cette raison, les clauses sur la sous-traitance sont particulièrement litigieuses dans le cadre de négociations collectives.

[404] Le SCEP a proposé différentes versions d’un article qui limiterait le droit d’Intek d’avoir recours à la sous-traitance. Le SCEP a insisté sur l’importance que revêtait cet article pour lui. Intek a refusé de faire une contre-proposition sur cette question.

[405] Est-ce que ces positions de négociation opposées constituent un manquement à l’Obligation?

[406] Si cette question était la seule qui reste à régler pour que les parties puissent conclure une convention collective, ce qui constitue l’une des façons d’analyser isolément une proposition faite dans le cadre de négociations, le Conseil pourrait considérer que la position d’Intek n’est pas illégale, contraire à l’ordre public, ou n’indique pas une négociation de mauvaise foi. Mais, prise dans le contexte global de l’affaire, la position d’Intek convainc le Conseil que son refus inconditionnel de discuter de la question de la sous-traitance était similaire, pour ce qui est de l’intention, à certaines de ses autres propositions qui faisaient obstacle à la conclusion d’une convention collective.

c – Proposition relative aux employés à temps partiel

[407] Intek a présenté une nouvelle proposition relative aux employés à temps partiel en janvier 2012, après avoir nommé un nouveau négociateur en chef.

[408] Le SCEP a présenté plusieurs propositions, notamment celle visant à établir une limite de huit employés à temps partiel auxquels Intek pourrait faire appel.

[409] Le Conseil comprend qu’un négociateur en chef puisse devoir se retirer pour différentes raisons, mais un tel changement ne peut faire avorter le processus de négociations collectives. Le Conseil a examiné l’ajout tardif de la proposition relative aux employés à temps partiel et conclut qu’elle indique, en l’espèce, une négociation de mauvaise foi.

d – Durée de la convention

[410] Le SCEP a également convaincu le Conseil que la tentative faite par Intek, après le début de la grève, de faire passer la durée de la convention collective proposée de deux ans à un an constituait un manquement à l’Obligation. Les parties s’étaient entendues précédemment sur une durée de deux ans.

[411] Bien qu’une partie puisse modifier son offre après le déclenchement d’une grève, les actions d’Intek en l’espèce dénotent un effort conscient de mettre des bâtons dans les roues du SCEP pour nuire à ses tentatives de négocier une convention collective. La modification à la durée de la convention collective proposée indique également une négociation de mauvaise foi, dans le contexte de cette affaire.

e – Droit de modifier unilatéralement les salaires

[412] Le SCEP a également convaincu le Conseil qu’il n’avait jamais reçu une proposition complète et légale relative aux salaires qu’Intek ne pouvait pas modifier unilatéralement. Il ne s’agit pas d’une situation où les membres du SCEP sont susceptibles de toucher un salaire plus élevé à cause d’un événement futur éventuel, par exemple une augmentation des profits, mais bien d’une situation où toute modification unilatérale apportée par Intek aurait une incidence négative sur la rémunération des employés, et où le SCEP n’aurait aucun recours.

[413] Par exemple, Intek s’est réservé le droit d’imposer des frais aux employés. Grâce à cette clause, elle pourrait vraisemblablement facturer aux employés une partie ou la totalité des pénalités de rendement que Rogers pourrait exiger d’Intek. Intek n’avait jamais exigé de frais à ses employés auparavant, contrairement à d’autres entrepreneurs ayant un contrat avec Rogers. Le SCEP ne pouvait pas savoir avec précision ce que Rogers pourrait faire quant à la question des frais imposés, étant donné qu’Intek avait refusé de produire son contrat.

[414] Intek s’est également réservé le droit unilatéral de modifier le contenu des codes de travail. Ces codes sont fondamentaux pour établir la rémunération d’un employé à la pièce. Selon sa proposition initiale, Intek aurait eu le droit unilatéral de modifier ces taux. Or, elle a finalement accepté de fixer le montant associé aux codes, mais le droit absolu de modifier le travail effectué pour chaque code revient pratiquement au même. Le SCEP n’avait pas le droit de contester ces modifications unilatérales devant un arbitre.

[415] Ces propositions salariales d’Intek font contraste avec ce que les parties avaient négocié dans le cas de postes nouvellement créés. Dans cette situation, si aucune entente n’était possible sur la question du salaire, l’affaire serait tranchée par une tierce partie.

[416] De l’avis du Conseil, Intek savait que le SCEP ne pourrait jamais accepter une proposition relative aux salaires reposant sur des bases aussi peu solides. Telle qu’elle est décrite dans la présente décision, cette proposition constitue un obstacle injustifié aux négociations collectives et un manquement à l’Obligation.

[417] Pour l’ensemble des motifs susmentionnés, le Conseil conclut qu’Intek a manqué à l’Obligation. Le SCEP a droit à un redressement, qui fera l’objet de la prochaine section.

C – Redressements pour manquement à l’Obligation

[418] Pour faciliter les choses, nous reproduisons ici les dispositions précises portant sur le redressement que le Conseil peut appliquer s’il conclut qu’une partie a manqué à l’Obligation, soit l’alinéa 99(1)b.1) :

99.(1) S’il décide qu’il y a eu violation des paragraphes 24(4) ou 34(6), des articles 37, 47.3, 50 ou 69, des paragraphes 87.5(1) ou (2), de l’article 87.6, du paragraphe 87.7(2) ou des articles 94, 95 ou 96, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à la partie visée par la plainte de cesser de contrevenir à ces dispositions ou de s’y conformer et en outre :

b.1) dans le cas de l’alinéa 50a), enjoindre, par ordonnance, à l’employeur ou au syndicat d’inclure ou de retirer des conditions spécifiques de sa position de négociation ou ordonner l’application d’une méthode exécutoire de règlement des points en litige, s’il est d’avis que ces mesures sont nécessaires pour remédier aux effets de la violation.

[419] Comme il a été mentionné précédemment, le paragraphe 99(2) s’applique également et s’ajoute aux pouvoirs de redressement que confère l’alinéa 99(1)b.1) au Conseil :

99.(2) Afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie, le Conseil peut rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe (1), une ordonnance qu’il est juste de rendre en l’occurrence et obligeant l’employeur ou le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation néfastes à la réalisation de ces objectifs.

[420] Le SCEP a demandé l’arbitrage exécutoire à titre de redressement global découlant de ses multiples plaintes de PDT :

210. Le SCEP soutient qu’Intek a enfreint, entre autres, les articles 50, 94 et 96 du Code. De telles violations ont eu pour effet de miner les droits du SCEP à titre de syndicat accrédité pendant près de deux ans. Les négociations collectives entre les parties sont actuellement dans une impasse, et la grève dure depuis près de six (6) mois.

211. Dans ces circonstances, le SCEP soutient qu’une ordonnance d’arbitrage exécutoire visant la conclusion de la première convention collective entre les parties constitue le seul redressement approprié. La question qu’il convient de trancher est de savoir s’il existe un lien logique entre l’ordonnance d’arbitrage exécutoire, le manquement au Code et ses conséquences et si elle est compatible avec les principes directeurs et les objectifs du Code.

(traduction)

[421] Le Conseil a déjà exposé les mesures de redressement à prendre pour remédier à la violation, par Intek, de certaines dispositions relatives aux PDT qui ne sont pas liées aux négociations collectives. Le SCEP n’a pas convaincu le Conseil que rendre une ordonnance d’arbitrage exécutoire dans ces situations particulières, comme il l’a fait dans les circonstances de l’affaire DHL 129, est approprié en l’espèce.

[422] En ce qui a trait à la plainte du SCEP concernant le manquement à l’Obligation, si le libellé du Code était le même que celui des lois de certaines provinces, en ce qui concerne la conclusion d’une première convention collective, une ordonnance d’arbitrage exécutoire pourrait constituer un redressement approprié.

[423] Cependant, le Conseil doit tenir compte du cadre établi par le Code qui, contrairement aux lois de certaines provinces, confère expressément au ministre le pouvoir discrétionnaire d’ordonner au Conseil d’établir s’il est indiqué « de fixer les modalités de la première convention collective entre les parties » (paragraphe 80(1)).

[424] En se fondant sur son examen antérieur du cadre établi par le Code en matière de négociations collectives, le Conseil conclut que, même s’il était possible de rendre, à titre de redressement, une ordonnance d’arbitrage exécutoire visant à conclure une première convention collective – dans un cas où le ministre n’aurait pas, d’abord, exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 80(1) –, une telle mesure serait réservée aux situations extraordinaires.

[425] Dans l’affaire Royal Oak, les juges de la CSC avaient des opinions très divisées sur la question de savoir s’il était approprié que le CCRT impose ce type de redressement dans le contexte judiciaire fédéral. Même les juges composant la majorité, qui ont confirmé un redressement menant directement à la conclusion d’une convention collective, ont insisté sur le fait que la situation était extraordinaire.

[426] Les commentaires présentés dans le rapport Sims ainsi que l’ajout de l’alinéa 99(1)b.1) ne suffisent pas à convaincre le Conseil que l’intention du Parlement était de rendre l’arbitrage exécutoire plus facile à obtenir après les modifications de 1999 qu’il ne l’était lorsque la CSC a rendu sa décision dans l’affaire Royal Oak. Cette mesure de redressement ne doit toujours être prise que dans des situations extraordinaires.

[427] De même, à titre de redressement dans le cadre de plaintes de PDT n’ayant aucun lien avec les négociations collectives, les décisions rendues dans DHL 159 et TELUS 317 font elles aussi ressortir le caractère extraordinaire d’une telle mesure de redressement.

[428] Le Conseil conclut que les faits relatifs à la plainte du SCEP concernant les négociations collectives nécessitent la prise d’une mesure de redressement, mais qu’ils ne se rapprochent pas de la situation qui prévalait dans Royal Oak, précité.

[429] Bien qu’il n’ait pas convaincu le Conseil d’ordonner un redressement qui aurait garanti la conclusion d’une convention collective, le SCEP a tout de même droit à un redressement efficace pour le manquement d’Intek à l’Obligation. Se contenter de déclarer qu’il y a eu violation du Code serait totalement inadéquat. Selon le libellé de l’alinéa 99(1)b.1), les parties à une plainte relative aux négociations collectives, de même que le Conseil, doivent mettre l’accent sur les « conditions » ou « points » qui font obstacle à la bonne marche des négociations collectives.

[430] Nombre des éléments de preuve présentés par les parties portent sur certaines propositions faites dans le cadre des négociations. Le SCEP a démontré que, considérées dans leur ensemble, certaines propositions d’Intek correspondent à un manquement à l’Obligation. Le SCEP a également démontré qu’Intek a manqué à l’Obligation d’autres manières, par exemple en tenant des réunions à auditoire contraint avec les employés et en faisant de fausses déclarations sur les efforts déployés par le SCEP.

[431] Par conséquent, le Conseil ordonne que soient prises les mesures de redressement suivantes pour remédier au manquement d’Intek à l’Obligation.

[432] Premièrement, le Conseil accorde aux parties un délai de 30 jours à compter de la date de la présente décision pour qu’elles se rencontrent et concluent elles mêmes leur première convention collective, sans déroger à l’Obligation. Intek fournira sans délai au SCEP une copie de son contrat conclu avec Rogers. Les renseignements commerciaux confidentiels et de nature délicate pourront être masqués.

[433] Deuxièmement, le cas advenant que les parties n’arrivent pas à conclure une convention collective dans le délai de 30 jours, le Conseil ordonne à Intek de présenter au SCEP son offre finale de mai 2012, telle qu’elle figure en totalité dans ses propositions C 6 à C 8, en y ajoutant les modifications suivantes, prescrites par le Conseil en vertu de l’alinéa 99(1)b.1) et du paragraphe 99(2) du Code :

  1. La durée de la convention sera de deux (2) ans, conformément à l’entente à laquelle étaient venues les parties précédemment;
  2. Le libellé de la proposition relative aux employés à temps partiel, laquelle a été introduite tardivement dans le processus par Intek, sera celui qui a été proposé en dernier par le SCEP;
  3. La lettre d’entente concernant l’imposition de frais, qui avait pour but de donner à Intek le droit unilatéral d’appliquer cette pratique, sera retirée;
  4. La capacité d’Intek de modifier le contenu et la description des codes pour le travail à la pièce, décrite dans sa proposition relative aux droits de la direction, sera assujettie à la décision d’une tierce partie, de la même manière que sera établi, selon l’entente conclue entre les parties, le taux de rémunération des nouveaux postes faisant partie de l’unité de négociation, et les parties pourront avoir recours à ce même processus pour toute modification apportée aux frais d’utilisation des véhicules;
  5. En ce qui a trait à la question de la sous-traitance, les parties peuvent présenter leurs positions respectives au Conseil, lequel tranchera en faveur de l’une d’elles par arbitrage exécutoire (arbitrage des propositions finales).

[434] Le Conseil reconnaît que son ordonnance pourrait mener à la conclusion d’une convention collective, mais cette issue dépendra des désirs de l’unité de négociation du SCEP. L’ordonnance pourrait tout autant avoir pour effet de rendre les négociations collectives plus productives et conformes à l’Obligation.

[435] Par souci de clarté, précisons que les modifications qu’Intek a apportées à son offre après la grève déclenchée le 15 juin 2012 sont exclues de l’offre que le Conseil lui ordonne de présenter. Selon la compréhension du Conseil, les parties se sont déjà entendues sur des paiements fixes en ce qui a trait aux codes pour le travail à la pièce, y compris sur des augmentations annuelles de 1,5 %.

[436] Le Conseil demeure saisi de l’affaire afin de superviser la mise à exécution de son ordonnance de redressement.

VI – Résumé

[437] La présente décision porte sur l’examen de plusieurs plaintes de pratique déloyale de travail déposées par le SCEP contre Intek. Les plaintes soulevaient diverses questions qui ont fait l’objet d’un examen :

  1. Intek a-t-elle enfreint la disposition sur le gel (alinéa 50b))?
  2. Intek a-t-elle fait appel à des travailleurs de remplacement en violation du paragraphe 94(2.1)?
  3. Par ses diverses communications avec ses employés, Intek a-t-elle enfreint l’alinéa 94(1)a)?
  4. Intek a-t-elle enfreint l’alinéa 94(3)a) en traitant comme elle l’a fait MM. Burtch et Kou?
  5. Intek a-t-elle manqué à l’Obligation (alinéa 50a))?

[438] Bien que le Conseil ait rejeté certaines plaintes du SCEP, il a conclu que d’autres étaient fondées, Intek ayant enfreint diverses dispositions du Code.

[439] Par souci de commodité, les mesures de redressement du Conseil décrites précédemment dans la présente décision se résument ainsi :

  1. Pour remédier aux communications illicites d’Intek avec ses employés, en violation de l’alinéa 94(1)a) :
    1. Intek fera des copies de la présente décision dans un délai de dix jours suivant la réception de celle ci et en remettra une copie à chacun de ses employés faisant partie de l’unité de négociation du SCEP. Une fois que cela aura été fait, Intek le confirmera par écrit au Conseil;
    2. Le SCEP rencontrera les employés faisant partie de l’unité de négociation pendant une heure au maximum, en l’absence de la direction d’Intek, durant la prochaine ronde de réunions de service obligatoires et rémunérées tenues dans les différentes régions. Le SCEP résumera alors aux employés de l’unité de négociation les conclusions du Conseil et les mesures de redressement imposées par celui ci, et il fera le point sur les négociations collectives. Intek enverra une confirmation écrite au Conseil lorsque les dispositions nécessaires auront été prises en vue de ces réunions;
  2. Pour remédier aux violations de l’alinéa 94(3)a) en ce qui a trait au traitement qu’Intek a réservé à M. Burtch : Intek retirera la lettre du 7 décembre 2010 du dossier de M. Burtch et annulera immédiatement toute exigence spéciale qu’elle a pu lui imposer en matière de rapports;
  3. Pour remédier aux violations de l’alinéa 94(3)a) en ce qui a trait au traitement qu’Intek a réservé à M. Kou :
    1. Intek annulera l’avertissement écrit daté du 8 mars 2011 portant sur les critères de rendement et le retirera du dossier de M. Kou;
    2. Intek annulera la suspension de trois jours imposée le 29 mars 2011 et la retirera du dossier de M. Kou, et elle versera à M. Kou la totalité de la rémunération dont il a pu être privé en raison de cette suspension;
    3. Intek annulera l’avertissement écrit daté du 13 juillet 2011 ainsi que la lettre datée du 19 juillet 2011 dans laquelle M. Kou se voyait retirer ses privilèges liés à l’utilisation de son véhicule d’entreprise, et elle retirera ces documents du dossier de M. Kou;
    4. Intek annulera l’« avertissement oral » relatif à l’entrepôt, remis par écrit à M. Kou le 4 août 2011, et elle le retirera du dossier de celui ci.
  4. Pour remédier au manquement, par Intek, à l’obligation de négocier de bonne foi prévue à l’alinéa 50a) :
    1. Premièrement, le Conseil accorde aux parties un délai de 30 jours, à compter de la date de la présente décision pour qu’elles se rencontrent et concluent elles mêmes leur première convention collective. Intek fournira sans délai au SCEP une copie de son contrat conclu avec Rogers. Les renseignements commerciaux confidentiels et de nature délicate pourront être masqués;
    2. Deuxièmement, le cas advenant que les parties n’arrivent pas à conclure une convention collective dans le délai de 30 jours, Intek présentera au SCEP son offre finale de mai 2012, telle qu’elle figure en totalité dans ses propositions C 6 à C 8, en y ajoutant les modifications suivantes, prescrites par le Conseil :
      1. La durée de la convention sera de deux (2) ans, conformément à l’entente à laquelle étaient venues les parties précédemment;
      2. Le libellé de la proposition relative aux employés à temps partiel, laquelle a été introduite tardivement dans le processus par Intek, sera celui qui a été proposé en dernier par le SCEP;
      3. La lettre d’entente concernant l’imposition de frais, qui donnait à Intek le droit unilatéral d’appliquer cette pratique, sera retirée;
      4. La capacité d’Intek de modifier le contenu et la description des codes pour le travail à la pièce, décrite dans sa proposition relative aux droits de la direction, sera assujettie à la décision d’une tierce partie, de la même manière que sera établi, selon l’entente conclue entre les parties, le taux de rémunération des nouveaux postes faisant partie de l’unité de négociation, et les parties pourront avoir recours à ce même processus pour toute modification apportée aux frais d’utilisation des véhicules;
      5. En ce qui a trait à la question de la sous-traitance, les parties doivent présenter leurs positions respectives au Conseil d’ici le 26 juillet 2013 inclusivement. Le Conseil tranchera en faveur de l’une d’elles par arbitrage exécutoire (arbitrage des propositions finales).

[440] Si l’une ou l’autre des parties désire obtenir une ordonnance officielle du Conseil, elle devra présenter un projet d’ordonnance, dont la forme et le contenu auront été approuvés par l’autre partie.

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