Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Service de police de Treaty Three,

requérant,

et


Alliance de la Fonction publique du Canada,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 29764 C

Référence neutre : 2013 CCRI 677

Le 5 mars 2013

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), composé de Me Elizabeth MacPherson, Présidente, ainsi que de M. John Bowman et Me Robert Monette, Membres, a examiné l’objection préliminaire soulevée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC ou le syndicat) à l’égard de la recevabilité de la demande de réexamen susmentionnée présentée par le Service de police de Treaty Three (SPT3 ou l’employeur).

Représentants des parties au dossier
Me Ian B. Johnstone, procureur pour le Service de police de Treaty Three;
Me Andrew J. Raven, procureur pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

I – Contexte

[1] Le 11 janvier 2013, le SPT3 a présenté une demande de réexamen d’une ordonnance du Conseil dans laquelle ce dernier avait accrédité l’AFPC à titre d’agent négociateur d’une unité d’employés du SPT3. L’employeur allègue que le Conseil n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance d’accréditation parce que, aux fins des relations du travail, ses activités relèvent de la compétence provinciale. L’employeur invoque, à l’appui de cette allégation, les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45 (NIL/TU,O); et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46 (Native Child).

[2] Une objection préliminaire portant sur la question de la recevabilité de la demande a été soulevée par le syndicat. Il invoque le paragraphe 45(2) du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement de 2012), qui exige que la demande de réexamen soit déposée dans les 30 jours suivant la date où l’ordonnance a été rendue. L’AFPC a d’abord été accréditée pour représenter l’unité de négociation du SPT3 en juillet 2007, quand elle a délogé la Canadian First Nations Police Association (CFNPA; ordonnance du Conseil no 9303-U). Cette ordonnance a été remplacée en février 2009 par une autre ordonnance, rendue avec le consentement des parties, laquelle excluait de l’unité de négociation le poste de sergent d’état-major (ordonnance du Conseil no 9603-U). Le syndicat fait également valoir que les arrêts NIL/TU,O et Native Child, invoqués par l’employeur, ont été rendus le 4 novembre 2010, soit plus de deux ans avant la date à laquelle l’employeur a présenté sa demande de réexamen. Le syndicat soutient que l’employeur n’a donné aucune explication raisonnable en ce qui concerne le délai qui s’est écoulé avant qu’il ne conteste la compétence du Conseil à l’égard de ses activités.

[3] L’employeur reconnaît que sa demande a été présentée bien après l’expiration du délai prescrit par le Règlement de 2012, mais il demande que le Conseil le dispense de l’observation de cette règle de procédure, comme le permet l’article 46 du Règlement de 2012 :

46. Le Conseil peut, dans une instance, modifier toute règle de procédure prévue au présent règlement ou dispenser une personne de l’observation de celle ci – notamment à l’égard d’un délai qui y est prévu et des exigences relatives à la procédure expéditive – si la modification ou la dispense est nécessaire à la bonne administration du Code.

[4] Le SPT3 soutient que sa demande soulève d’importantes questions de droit constitutionnel qui justifient un réexamen par le Conseil. Il fait valoir qu’une ordonnance que le Conseil a rendue en outrepassant sa compétence ne devient pas, pour une raison ou une autre, du ressort du Conseil simplement parce que l’employeur n’a pas soulevé la question constitutionnelle à l’intérieur du délai que prévoient les règles de procédure.

II – Analyse et décision

[5] L’article 18 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit ce qui suit :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[6] L’effet de cette disposition est que le Conseil n’est pas dessaisi d’une affaire après qu’il a rendu une décision ou une ordonnance. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances à n’importe quel moment.

[7] Le Conseil exerce les pouvoirs que lui confère l’article 18 du Code à diverses fins. Par exemple, il peut réexaminer et modifier une ordonnance d’accréditation afin d’inclure certains postes dans une unité de négociation, ou d’en exclure. Il peut également exercer ces pouvoirs pour uniformiser l’interprétation du Code lorsque des courants jurisprudentiels contradictoires se dégagent des décisions qu’il a rendues. Toutefois, lorsqu’il exerce ses pouvoirs en vertu de l’article 18 du Code, le Conseil tient compte de la disposition législative qui prévoit que ses décisions sont censées être définitives (voir l’article 22 du Code).

[8] Malgré les dispositions de l’article 22, il arrive parfois que des parties mécontentes d’une décision ou d’une ordonnance du Conseil tentent de convaincre ce dernier d’exercer le pouvoir que lui confère l’article 18 afin d’annuler une décision antérieure. Dans le but de renforcer le caractère certain et définitif de ses décisions, et pour garantir ainsi la stabilité des relations du travail, le Conseil a adopté, en 1992, un règlement qui codifiait sa pratique alors en vigueur (article 37 du Règlement de 1992 concernant le Conseil canadien des relations du travail). Essentiellement, le Conseil a alors créé une catégorie ou un sous ensemble de décisions et d’ordonnances à l’égard desquelles un « réexamen » ne pouvait être demandé qu’à l’intérieur d’un délai précis, à savoir dans les 21 jours suivant la date à laquelle l’ordonnance ou les motifs de décision avaient été rendus. Initialement, ce délai pour les demandes de réexamen s’appliquait aux décisions et ordonnances prétendument erronées en droit ou qui ne respectaient pas les politiques du Conseil. Selon la jurisprudence du Conseil, des circonstances exceptionnelles étaient nécessaires pour que le délai de 21 jours soit prorogé.

[9] L’article 37 du Règlement de 1992 a été modifié et est devenu l’article 44 lorsque le Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles a été adopté. Bien que le délai pour une demande de réexamen soit demeuré à 21 jours, l’éventail des circonstances dans lesquelles le Conseil pouvait procéder à un réexamen d’une de ses décisions a alors été élargi, pour inclure les suivantes :

  1. la survenance de faits nouveaux qui, s’ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui ci ne rende la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un réexamen, l’auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;
  2. la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil;
  3. le non respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle;
  4. toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3 du Règlement.

[10] Les demandes de révision d’ordonnances du Conseil dans le but de clarifier ou de modifier la portée d’une unité de négociation n’étaient pas assujetties au délai prévu par le
Règlement.

[11] En 2002, le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation (le Comité) a mis en question l’objet de l’article 44 du Règlement de 2001. Le Comité craignait en particulier que cette disposition réglementaire puisse restreindre le vaste pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil par l’article 18 du Code. En fin de compte, le Conseil a été d’accord avec le Comité, et l’article 44 a été abrogé en 2012, lorsque le Règlement de 2012 est entré en vigueur. Bien que le Conseil conserve toujours le pouvoir de réexaminer toute décision ou ordonnance qu’il a rendue, les motifs pouvant justifier une demande de réexamen ne se limitent clairement pas à ceux qui étaient énumérés à l’ancien article 44. Le Conseil a, au même moment, prolongé le délai au cours duquel une demande de réexamen peut être présentée, le faisant passer à 30 jours, afin de le rendre conforme au délai que la Loi sur les Cours fédérales prévoit pour la présentation des demandes de contrôle judiciaire.

[12] Au moyen de sa jurisprudence, le Conseil déterminera si d’autres motifs de réexamen devraient être assujettis au délai de 30 jours prévu au paragraphe 45(2) du Règlement de 2012. En l’espèce, le Conseil devait établir pour la première fois, depuis l’entrée en vigueur du Règlement de 2012, si le délai prévu au paragraphe 45(2) de ce règlement doit s’appliquer à une demande portant sur la question de la compétence constitutionnelle présentée en vertu de l’article 18 du Code.

[13] Il ressort de la jurisprudence du Conseil que même les demandes concernant la question de la compétence étaient auparavant considérées comme étant assujetties au délai prévu au paragraphe 45(2), mais que la partie présentant la demande était couramment exemptée de ce délai dans les affaires de ce genre (voir, par exemple, TurnAround Couriers inc., 2010 CCRI 544; et Oneida of the Thames EMS, 2011 CCRI 564). Cependant, d’autres décisions récentes du Conseil semble indiquer que le délai ne s’applique pas lorsque des décisions de la Cour suprême du Canada ont pour effet de priver le Conseil d’une compétence qu’il a pourtant exercée pendant des décennies (Dilico Anishinabek Family Care, 2012 CCRI 655).

[14] Tel que le Conseil l’a affirmé dans Dilico, précitée, soit il a la compétence constitutionnelle pour statuer sur les questions en matière de relations du travail opposant les parties, soit il ne l’a pas. Si l’affaire ne relève pas de la compétence constitutionnelle du Conseil, sa décision est nulle dès le départ. Lorsque la Cour suprême du Canada rend une décision en matière de relations du travail portant sur une question constitutionnelle, la question de savoir de qui relèvent certaines parties peut ressurgir même si elle est réglée depuis longtemps et n’a jamais été contestée. Même si le Conseil préférerait que les parties agissent avec diligence lorsqu’elles veulent faire valoir qu’une décision nouvellement rendue par la Cour suprême du Canada a une incidence sur leur statut constitutionnel, le Conseil ne peut invoquer un délai procédural prescrit par règlement pour empêcher une remise en question de sa compétence. Comme l’a mentionné le Conseil dans Oneida of the Thames EMS, précitée, aucun règlement et aucune politique du Conseil ne peuvent lui conférer une compétence constitutionnelle qu’il ne détient pas, ni soustraire au réexamen une ordonnance rendue sans compétence.

[15] Par conséquent, le Conseil estime que le délai de 30 jours prévu au paragraphe 45(2) du Règlement de 2012 ne s’applique pas aux demandes de réexamen fondées sur des changements prétendument apportés à la compétence constitutionnelle par suite d’une décision de la Cour suprême du Canada. Les demandes de cette nature peuvent être présentées à n’importe quel moment, à l’instar des demandes de révision de la portée d’unités de négociation.

[16] Par conséquent, le Conseil conclut que la demande présentée par le SPT3 en vertu de l’article 18 est recevable, et il enjoint au personnel du Conseil de fixer une téléconférence de gestion de l’affaire avec les parties.

[17] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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