Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

La Coopérative de transport maritime et aérien,

requérante,

et

Syndicat des Métallos, section locale 9538,

agent négociateur,

et

Syndicat international des marins canadiens; Procureur général du Québec,

intervenants.

Dossiers du Conseil : 30445-C et 30450-C

Référence neutre : 2014 CCRI 731

Le 27 juin 2014

 

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, ainsi que de Me Richard Brabander et M. Gaétan Ménard, Membres. Une audience a eu lieu à Québec (Québec) le 5 juin 2014.

Ont comparu

Me Guy Dussault, pour La Coopérative de transport maritime et aérien;

Me Thierry Saliba, pour le Syndicat des Métallos, section locale 9538;

Me Gary H. Waxman, pour le Syndicat international des marins canadiens;

Me Véronique Massé, pour le Procureur général du Québec.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

[1] Le Conseil a tenu deux réunions de gestion de l’affaire, soit les 16 et 23 mai 2014; l’affaire a été entendue sur le fond le 5 juin 2014 à Québec (Québec). L’employeur a fait entendre deux témoins, soit Me François Grégoire et M. Emmanuel Aucoin. Le syndicat a fait entendre un témoin, soit M. Bruno Gagnon.

I. Nature de la demande

[2] Le Conseil a été saisi d’une demande, déposée le 8 mai 2014, par La Coopérative de transport maritime et aérien (C.T.M.A. ou l’employeur) en vertu du paragraphe 44(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) (dossier no 30450-C). L’employeur a également présenté une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 19.1 du Code (dossier no 30445-C). Le Conseil ne s’est pas prononcé sur la demande d’ordonnance provisoire. Il a plutôt décidé de procéder sur le fond de l’affaire rapidement, étant donné que la demande de l’employeur soulève une question de compétence constitutionnelle qui ne pouvait être tranchée de manière provisoire.

[3] C.T.M.A., une entreprise de transport maritime, demande au Conseil, entre autres, de constater que des changements opérationnels sont survenus à compter du 1er février 2009, lesquels ont pour effet d’assujettir les parties au Code. Elle demande de constater que l’accréditation détenue par le Syndicat des Métallos, section locale 9538, sous le régime du Code du travail du Québec, de même que la convention collective qui lie les parties deviennent régies par le Code et qu’il y a lieu de continuer toute procédure engagée en vertu de la partie I du Code.

[4] Le syndicat, quant à lui, allègue que l’employeur n’a pas démontré de changements opérationnels justifiant l’application du paragraphe 44(3) du Code, puisqu’il a toujours exploité une ligne de transport extraprovincial, soit la ligne entre Souris (Île-du-Prince-Édouard) et Cap‑aux-Meules (îles de la Madeleine) dans le passé, et ce, au moins dix mois par année. Il soutient que l’employeur a mis fin unilatéralement au processus de conciliation engagé en vertu du régime québécois en prétendant, après trente-trois ans de relations du travail de compétence provinciale, qu’il serait soudainement assujetti à la compétence fédérale.

[5] Le Conseil a tenu une téléconférence avec les parties le 16 mai 2014 à laquelle ont assisté le procureur de l’employeur, Me Guy Dussault, et le procureur du Syndicat des Métallos, section locale 9538 (le Syndicat des Métallos), Me Thierry Saliba. Lors de cette téléconférence, le Conseil a avisé les parties qu’il ne pouvait les entendre sur la demande d’ordonnance provisoire présentée en vertu de l’article 19.1 du Code étant donné qu’il fallait au préalable déterminer si les activités de l’employeur relevaient de sa compétence. Le Conseil a toutefois proposé aux parties de les entendre rapidement sur le fond de l’affaire et a convoqué les parties en audience le 27 mai 2014.

[6] Le 22 mai 2014, Me Véronique Massé, de la Direction du contentieux du ministère de la Justice du Québec (pour le Procureur général du Québec), a transmis une lettre au Conseil lui demandant de reporter l’audience du 27 mai 2014. Selon Me Massé, un Avis de question constitutionnelle en vertu de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales était nécessaire, car la demande de l’employeur déposée devant le Conseil touchait l’applicabilité d’une disposition provinciale, en l’occurrence le Code du travail du Québec. Le Conseil a tenu une deuxième téléconférence le 23 mai 2014 sur cette question et a reporté l’audience sur le fond de l’affaire au 5 juin 2014.

[7] Le 26 mai 2014, l’employeur a signifié un Avis de question constitutionnelle conformément à l’article 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales, (L.R.C.) 1985, ch. F-7, à tous les procureurs généraux des provinces ainsi qu’au Procureur général du Canada. L’avis dit ceci :

L’Employeur a l’intention de contester l’applicabilité constitutionnelle du Code du travail du Québec, L.R.Q., c.C.-27.

La question sera débattue le 5 juin 2014 à 9 heures a.m. en la ville de Québec à un endroit à être déterminé.

Voici les faits pertinents donnant naissance à la question constitutionnelle :

1. C.T.M.A. exploite notamment une entreprise de transport maritime de marchandises et passagers qui voit principalement à assurer les déplacements et l’approvisionnement de la population des Iles-de-la-Madeleine ou Québec;

2. C.T.M.A. exploite principalement trois (3) navires;

3. En particulier, C.T.M.A. assure la liaison entre Cap-aux-Meules (Iles-de-la-Madeleine) et Souris (Île-du-Prince-Édouard) douze (12) mois par année;

4. Ce service de traversier est vital et essentiel pour la population des Iles-de-la-Madeleine et constitue le lien de transport principal, notamment pour le transport de passagers;

5. C.T.M.A. exploite, entre autres, un entrepôt à Moncton au Nouveau-Brunswick, un garage et un terminal à Souris à l’Île-du-Prince-Édouard;

6. Les marins, employés par C.T.M.A., pour les trois (3) navires dont il est question sont représentés par le Syndicat international des marins canadiens, lequel a dûment été accrédité par le Conseil canadien des relations ouvrières;

7. Toutefois, les officiers que C.T.M.A. emploie à bord des trois (3) navires sont, depuis 2011, représentés par le Syndicat des Métallos, section locale 9538, lesquels ont été accrédités par la Commission des relations du travail du Québec;

8. C.T.M.A. a entrepris des négociations collectives avec le Syndicat des Métallos, section locale 9538, afin de renouveler la convention collective touchant les officiers, employés à bord des trois (3) navires exploités;

9. Il est impératif que les dispositions de la Partie I du Code canadien du travail, L.R.C . (1985), ch. L‑2 ne soient respectées par les parties et encadrent la présente négociation.

Copie de la demande présentée par l’Employeur en vertu de l’alinéa 44(3) du Code canadien du travail et demande d’ordonnance provisoire présentée en vertu de l’article 19.1 dudit code est annexé au présent avis.

Voici le fondement juridique de la question constitutionnelle :

1. C.T.M.A. exploite clairement une entreprise de transport maritime extraprovincial sujette à la juridiction à la juridiction fédérale exclusive en matière de relation de travail;

2. Il y a manifestement inapplicabilité constitutionnelle du code du travail du Québec à l’entreprise exploitée par C.T.M.A. compte tenu que les trois (3) navires sont clairement requis pour l’exploitation du service de traversier entre la province de l’Île-du-Prince-Édouard et la province de Québec (Iles-de-la-Madeleine).

(sic)

[8] Seul le Procureur général du Québec a signifié son intention d’intervenir dans le dossier et était d’ailleurs présent lors de l’audience du 5 juin 2014. Il était représenté par Me Véronique Massé.

[9] Le 26 mai 2014, le Conseil a également transmis une lettre au Syndicat international des marins canadiens (SIMC) lui donnant l’opportunité de présenter une demande d’intervention étant donné que l’affaire à l’étude pouvait présenter un intérêt pour ce syndicat. Le 30 mai 2014, Me Gary H. Waxman comparaissait pour le SIMC sur la question de la compétence constitutionnelle. Soulignons que le SIMC détient depuis longtemps une accréditation fédérale (2141-U) visant les marins non brevetés au service de l’employeur à bord de ses navires.

II. Demande d’une décision partielle

[10] Le 20 juin 2014, le procureur de l’employeur a transmis une lettre au Conseil lui demandant de rendre une décision partielle sur la question de la compétence constitutionnelle applicable aux relations de travail du C.T.M.A. étant donné que la Commission des relations du travail du Québec a convoqué les parties pour des audiences publiques sur la question des services essentiels les 26 et 27 juin 2014 aux îles de la Madeleine. Il soutient que cette demande est dans le but d’éviter un exercice coûteux pour les parties. Le procureur du syndicat ne s’est pas opposé à la demande, dans la mesure où le Conseil rendait la présente décision avant le 2 juillet 2014.

[11] Le 20 juin 2014, dans une courte décision (La Coopérative de transport maritime et aérien, 2014 CCRI LD 3238), le Conseil a déclaré ceci :

À la lumière de la preuve présentée le 5 juin 2014 et des représentations des parties, le Conseil estime que les activités de l’employeur relèvent de la compétence fédérale. Le Conseil entend transmettre ses motifs de décision sur cette question ainsi que sur les questions reliées à la demande en vertu du paragraphe 44(3) du Code avant le 2 juillet 2014.

(page 3)

III. Contexte et faits

[12] C.T.M.A. exploite une entreprise de transport maritime de marchandises et de passagers visant principalement à assurer les déplacements et l’approvisionnement de la population des Îles de la Madeleine au Québec. C.T.M.A. exploite principalement trois navires, soit le NM Madeleine, le NM CTMA Vacancier et le NM CTMA Voyageur. C.T.M.A. assure également la liaison entre Cap-aux-Meules (Îles de la Madeleine) et Souris (Île-du-Prince-Édouard). Depuis le 1er février 2009, le NM CTMA Vacancier est affrété au service extraprovincial entre Souris (Île-du-Prince-Édouard) et Cap-aux-Meules (Îles de la Madeleine) pour les mois de février et de mars. Depuis le mois de juin 2002, le NM CTMA Voyageur est affrété au service extraprovincial entre les deux villes pour la période estivale.

[13] C.T.M.A. est liée par un accord renégocié et renouvelé le 1er avril 2011 et prolongé pour une période additionnelle de deux ans, soit, jusqu’au 31 mars 2016, avec sa Majesté la Reine du chef du Canada. Les trois navires de l’employeur sont mis à contribution pour l’exploitation du service de traversier entre Cap-aux-Meules et Souris, tel qu’en fait foi l’alinéa 6.1e) de la Convention d’amendement-renouvellement. Il se lit comme suit :

6.1 e) Le Récipiendaire doit utiliser le navire MV Madeleine pour la période allant du 1er avril au 31 janvier, et le navire affrété NM CTMA Vacancier pour la période allant du 1er février au 31 mars, afin d’offrir le Service de traversier, en conformité avec l’Annexe I, ou toute autre période pouvant être convenue par les parties aux présentes où le Service de traversier est exploité, si les conditions météorologiques et l’état des glaces le permettent. Le navire CTMA Voyageur sera utilisé pour un total de 15 voyages durant la haute saison, (15 juin au 15 septembre) afin de dégager le surplus de trafic laissé à Souris. Sous réserve de l’approbation écrite du Canada, laquelle ne peut être refusée sans motif valable, le Bénéficiaire peut ajouter ou remplacer le navire, pourvu que les conditions du présent Accord soient entièrement respectés.

[14] Les marins, employés par C.T.M.A., pour les trois navires mentionnés ci-dessus sont représentés par le SIMC, lequel a été accrédité par l’ancien Conseil (Conseil canadien des relations ouvrières) (2141-U).

[15] Les officiers que C.T.M.A. emploie à bord des trois navires et dont il est question dans la présente affaire sont représentés depuis 2011 par le Syndicat des Métallos. Auparavant, ils étaient représentés par le Syndicat des officiers de la marine marchande. Le Syndicat des officiers de la marine marchande a obtenu le 24 août 1981 une accréditation du Bureau du commissaire général du travail en vertu du Code du travail du Québec (l’accréditation no AQ‑1003-4179). Les officiers sont donc visés par un certificat d’accréditation provincial depuis 33 ans.

[16] Curieusement, le Conseil avait déjà délivré un certificat d’accréditation le 24 novembre 1964 à l’endroit du district 50, United Mine Workers of America, Unité locale 15405 (district 50) pour une unité comprenant également les officiers de C.T.M.A. Dans une lettre datée du 25 juin 2014, le Syndicat des Métallos (le successeur du district 50) a informé le Conseil qu’il considérait ce certificat d’accréditation comme ayant été abandonné.

[17] Depuis le 2 décembre 2013, la Commission des relations du travail du Québec oblige les parties à maintenir des services essentiels en cas de grève conformément aux dispositions du Code du travail du Québec. Le maintien de services essentiels a pour objectif de prévenir qu’une grève ne mette en danger la santé ou la sécurité publique.

[18] C.T.M.A. a entrepris des négociations avec le syndicat afin de renouveler la convention collective qui est expirée depuis le 31 janvier 2014. Une lettre du syndicat transmise le 10 décembre 2013 à l’employeur dit ceci :

Monsieur,

Veuillez prendre note que la convention collective entre CTMA et la section locale 9538 des Métallos viendra à échéance le 31 janvier prochain.

Par la présente, nous vous informons donc de notre intention de vouloir négocier avec vous la prochaine convention collective. Nous vous contacterons en début d’année afin de vous faire parvenir nos disponibilités pour une rencontre.

[19] Le 18 février 2014, les parties ont participé à une séance de négociation par conférence téléphonique. Un des enjeux principaux de la négociation portait sur l’intention de l’employeur d’abolir le fonds de pension à prestations déterminées.

[20] Le 24 février 2014, M. Louis-Philippe Audet, représentant patronal, a demandé au ministère du Travail du Québec la nomination d’un conciliateur en vertu de l’article 54 du Code du travail du Québec. Des séances de conciliation ont eu lieu les 28 mars et le 15 avril 2014. D’autres séances étaient prévues en mai.

[21] Le 6 mai 2014, C.T.M.A. a informé le syndicat que le conciliateur provincial n’avait aucune compétence pour poursuivre la conciliation parce qu’elle estimait que les activités de l’employeur étaient assujetties à la compétence fédérale. C.T.M.A. a demandé au syndicat de régulariser la situation et de transmettre un nouvel avis de négociation qui serait conforme à l’article 49 du Code.

[22] Le 14 mai 2014, le syndicat a transmis un premier avis de grève à l’employeur avec un déclenchement possible d’une grève le 2 juin.

[23] Le 4 juin 2014, le syndicat a transmis un deuxième avis de grève à l’employeur avec un déclenchement possible d’une grève le 2 juillet 2014. À la date de l’audience dans cette affaire, la Commission des relations du travail du Québec était saisie de la question du maintien des services essentiels. Le 20 juin 2014, la Commission a convoqué les parties à une audience le 26 juin sur cette question. Toutefois, après avoir reçu la décision partielle du Conseil sur la question de la compétence constitutionnelle, la Commission a annulé l’audience et a fermé son dossier.

[24] C.T.M.A. soutient que la procédure de conciliation engagée au Québec ne peut pas être reconnue par le Conseil aux termes de l’alinéa 44(3)c) et que par conséquent, les parties doivent transmettre un nouvel avis de différend. C.T.M.A. soutient également que le syndicat doit transmettre un nouvel avis de négociation.

IV. La preuve

[25] Bien que le Procureur général du Québec et le SIMC aient demandé la qualité d’intervenant, séance tenante, les procureurs ont indiqué ne pas avoir de preuve à offrir.

A. L’employeur

[26] L’employeur a d’abord fait entendre Me François Grégoire. Me Grégoire représente C.T.M.A. depuis 1976 dans les dossiers de relations du travail, y compris les négociations collectives. Il est d’ailleurs le porte-parole patronal à la table de négociations depuis 1976 jusqu’à aujourd’hui. Me Grégoire est d’avis que les relations du travail sont bonnes depuis 1981, sauf en 1993, où il y aurait eu un début de conflit de travail et l’employeur aurait alors examiné la possibilité de contester la compétence de la Commission. Toutefois, le conflit s’est réglé, sans qu’il soit déterminé si l’employeur relevait de la compétence fédérale.

[27] Il explique que les parties ont débuté leurs négociations au début de l’année 2014 et que l’employeur souhaitait discuter de quatre éléments, soit : le régime de retraite, les prestations d’assurance et de retraite, ainsi que l’horaire de travail et de vacances durant la haute saison.

[28] Me Grégoire explique que les premières discussions avec le syndicat ont été de courte durée et que très rapidement l’employeur a eu recours à la procédure de conciliation étant donné le comportement menaçant du syndicat dès lors de déclencher la grève. De fait, le 18 février 2014, l’employeur transmettait au ministère du Travail du Québec une demande de conciliation. Le 3 mars 2014, le conciliateur Jean Poirier était nommé. Puis, indique le témoin, un avis de grève a été transmis par le syndicat en date du 14 mai 2014 en prévision d’une grève le 2 juin 2014.

[29] En contre-interrogatoire, Me Grégoire admet n’avoir jamais soulevé la question constitutionnelle ou juridictionnelle de l’entreprise avant d’avoir consulté Me Dussault. Ce serait lors de cette consultation que Me Dussault aurait soulevé l’aspect constitutionnel du dossier, à savoir que les activités de C.T.M.A. relevaient plutôt de la compétence fédérale. Me Grégoire déclare que la décision de déposer une demande devant le Conseil en vertu du paragraphe 44(3) date de la mi-avril 2014, soit avant le premier avis de grève transmis par le syndicat. Me Grégoire déclare avoir utilisé les moyens juridiques qui étaient mis à sa disposition.

[30] Le deuxième témoin est M. Emmanuel Aucoin. Il est directeur général de C.T.M.A. Il a d’abord occupé les fonctions de directeur des opérations maritimes chez l’employeur. Le témoin décrit le service de traversiers de l’entreprise entre Cap-aux-Meules (îles de la Madeleine) et Souris (Île-du-Prince-Édouard). Il estime que ce service de traversier est au cœur même de l’activité économique de l’Île-du-Prince-Édouard. Il estime à 100 000 personnes qui utilisent les services de traversiers par année dont 70 000 pendant la période se situant entre le 15 juin et le 15 septembre. Ce service de traversiers sert également à transporter des marchandises par camion toute l’année. Il estime à 3 500 les camions qui utilisent le service. Ces camions transportent des produits périssables et produits de mer tels le homard vivant et des matières dangereuses. Les trois navires sont utilisés selon des horaires et des périodes différentes au cours de l’année.

[31] C’est depuis 2009 que les trois navires sont utilisés, et ce, suivant un projet pilote qui a été convenu avec le gouvernement du Canada. Le projet pilote s’est concrétisé en 2011 conformément à l’entente mentionnée ci-dessus. Avant 2009, le service de traversier entre Cap‑aux-Meules et Souris existait, et ce, depuis 1971, mais à des fréquences moindres et irrégulières et n’incluait pas les trois navires. Par exemple, le navire NM CTMA Voyageur a commencé ses services en 2002 alors que le NM Madeleine a débuté en 1997. Avant 1971, C.T.M.A. était le maître d’oeuvre du service de traversier, mais depuis 1971 le service est assuré par l’État.

[32] En contre-interrogatoire, le témoin décrit les autres services fournis par l’employeur, dont le transport routier de marchandises dans les Maritimes et aux États-Unis. Le témoin décrit également les activités de chacun des navires et explique les périodes de l’année durant lesquelles les services y sont fournis entre les îles de la Madeleine et l’Île-du-Prince-Édouard.

B. Le syndicat

[33] Le syndicat a fait entendre M. Bruno Gagnon. M. Gagnon est le président de la section locale 9538. Il a été délégué et représentant syndical de 2005 à 2010. Depuis 2010, il est le président. La section locale 9538 représente 600 membres, dont 300 officiers, chez cinq employeurs différents.

[34] M. Gagnon explique la manière dont se sont déroulées les premières discussions avec l’employeur après que l’avis de négociation eut été transmis par le syndicat le 10 décembre 2013. M. Gagnon indique que l’employeur voulait d’abord discuter verbalement des préoccupations qu’il avait, sans pour autant déposer d’offres écrites. C’est au cours d’une réunion téléphonique que l’employeur a transmis au syndicat les sujets qu’il voulait au préalable discuter lors des négociations à venir. Le syndicat pour sa part voulait d’abord aborder la question du « normatif », ce que refusait l’employeur. La rencontre téléphonique s’est terminée assez abruptement selon le témoin et aucune autre rencontre n’a été tenue par la suite.

[35] M. Gagnon explique qu’une fois le conciliateur nommé, et ce, à la demande de l’employeur, une première rencontre a eu lieu le 28 mars 2014. Lors de cette rencontre, le syndicat souhaitait régler la question du « normatif » avant que ne soit déposées ses demandes monétaires. Une seconde rencontre a eu lieu le 15 avril 2014 au cours de laquelle le syndicat a déposé ses demandes monétaires. Une rencontre prévue pour le 16 avril a été annulée ainsi que celles des 13, 14 et 15 mai 2014. M. Gagnon indique qu’en aucune circonstance l’employeur ne lui a fait part de la question de la compétence constitutionnelle au cours des rencontres et ce n’est que le 6 mai 2014 qu’il a reçu une lettre du procureur de l’employeur l’avisant entre autres de ceci :

Notre cliente n’est pas assujettie à ce Code. C.T.M.A. exploite en effet une entreprise sujette à la juridiction fédérale exclusive en matière de relations de travail. Les négociations collectives qu’elle a dernièrement complétées avec succès avec le Syndicat international des marins canadiens se sont d’ailleurs déroulées, comme il se doit, en vertu des dispositions des lois fédérales pertinentes.

Comme le conciliateur provincial déjà au dossier, M. Jean Poirier, n’a aucune juridiction légale et comme notre cliente est soucieuse de poursuivre de fructueuses négociations collectives avec votre syndicat, il y a lieu pour vous de régulariser la situation.

Le Syndicat des Métallos, section locale 9538, a le statut d’agent négociateur au sens de la Partie I du Code canadien du travail mais nous constatons que vous n’avez pas donné, sous l’empire de l’article 49 de ce Code, l’avis de négociation nécessaire dans les circonstances.

[36] M. Gagnon indique que les parties sont assujetties à la procédure du Code du travail du Québec touchant les services essentiels. M. Gagnon ajoute avoir transmis un second avis de grève en date du 4 juin 2014 avec un déclenchement possible d’une grève le 2 juillet 2014. L’unité visée par la présente affaire compte 20 membres.

[37] En contre-interrogatoire, le procureur de l’employeur tente de faire admettre au témoin que l’Avis de négociation transmis le 10 décembre 2013 ne serait pas conforme aux dispositions du Code du travail; ce à quoi répond le témoin que jamais avant le 6 mai 2014 l’employeur l’avait avisé de la non-conformité dudit avis. En ce qui a trait aux services essentiels, M. Gagnon admet qu’aucune décision n’a encore été rendue en ce sens.

V. Les plaidoiries

A. L’employeur

[38] Le procureur de l’employeur indique qu’une preuve claire a été présentée montrant que l’entreprise exerce des activités de transport extraprovinciales sur une base continue et régulière. Il soutient de plus que l’entreprise est indivisible sur le plan de ses activités. Il fait valoir que les trois navires de l’employeur fournissent depuis 2009, suivant d’abord un projet pilote lequel fut concrétisé en 2011, un service de traversier entre les îles de la Madeleine (Québec) et Souris (l’Île-du-Prince-Édouard). Il ajoute également avoir mis en preuve que l’entreprise fournit un service de traversier entre les deux provinces depuis 1971 et même avant.

[39] Concernant l’application de l’alinéa 44(3)c) du Code canadien du travail, le procureur de l’employeur soulève une ambigüité possible entre la version française et la version anglaise de l’alinéa 44(3)c) du Code. S’en remettant à la version anglaise, il soutient que les mots « procédures engagées dans le cadre des lois d’une province » signifient une demande en justice devant les tribunaux. Or, soutient-il un avis de négociation, tel que celui transmis par le syndicat le 10 décembre 2013, n’est pas une procédure en justice, pas plus que ne l’est un avis de conciliation. Il souligne au passage que la procédure de conciliation engagée au Québec dans le cadre du présent dossier ne s’est jamais terminée puisqu’elle a été interrompue par le dépôt de la présente demande devant le Conseil. Au surplus, soutient le procureur, la procédure de conciliation n’est pas une procédure en justice étant donné qu’un conciliateur ne décide en principe de rien mais amène plutôt les parties à conclure une entente.

[40] Le procureur de l’employeur insiste aussi sur le fait que les règles qui régissent le droit de grève au Québec sont fort différentes de celles que l’on trouve dans le Code canadien du travail et dépose un tableau montrant ces distinctions.

[41] Le procureur ajoute que le syndicat a adopté une attitude agressive dans le dossier de négociation, dont la menace de grève en plein été, soit durant la haute saison touristique. Il soutient que ses clients, voyant que le syndicat était inflexible, n’avaient d’autre choix que de déposer la demande à l’étude. Il ajoute que l’employeur a montré qu’il y avait eu des changements opérationnels en 2009 lesquels se sont concrétisés par une entente avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada en 2011. Il demande par conséquent au Conseil de faire droit à la demande et d’ordonner aux parties qu’elles respectent dès lors les dispositions du Code canadien du travail régissant le droit de grève, y compris l’obligation pour le syndicat de transmettre un nouvel avis de négociation selon le Code, puisque, selon lui, l’avis de négociation transmis par le syndicat le 10 décembre 2013 n’est pas conforme à la procédure prévue au Code du travail du Québec.

B. Le syndicat

[42] Le procureur du syndicat d’entrée de jeu attire l’attention du Conseil sur le fait que les officiers sont visés par un certificat d’accréditation délivré par le Québec depuis maintenant 33 ans, et ce, sans que l’employeur ait revendiqué de quelque manière que ce soit qu’il soit assujetti à la compétence fédérale. Il ajoute que les objectifs visés par le paragraphe 44(3) du Code sur les changements opérationnels ne sont certes pas ceux visés par l’employeur actuellement dont le seul but est de briser le rapport de force entre les parties. Il fait valoir que c’est pour cette seule raison que l’employeur a déposé sa demande. Il ajoute que l’employeur utilise actuellement cette procédure à mauvais escient, bien que reconnaissant qu’en matière constitutionnelle, la prescription acquisitive ne s’applique pas.

[43] Le procureur soutient que l’avis de négociation transmis par le syndicat le 10 décembre 2013 est valide et respecte les règles du Code du travail du Québec, ajoutant que l’avis de grève a également été donné. De plus, il fait valoir que c’est à l’initiative de l’employeur que la procédure de conciliation a été entamée devant le conciliateur nommé par le ministère du Travail du Québec, et que le seul but visé par l’employeur actuellement par la présente demande à l’étude est de retarder l’exercice du droit de grève pour détruire le rapport de force. Il fait aussi remarquer au Conseil que c’est l’employeur qui est responsable de l’échec de la procédure de conciliation.

[44] Pour ce qui a trait à l’application de l’alinéa 44(3)c), relativement à l’expression « procédures engagées », il soutient que ces mots incluent les procédures qui sont propres au domaine des relations du travail puisque que nous sommes ici en matière de relations du travail et non pas devant une cour fédérale ou une cour supérieure. Ce faisant, soutient-il, tous les recours déjà engagés au Québec par les parties devraient être reconnus, soit l’avis de négociation transmis par le syndicat, la demande de conciliation ainsi que le second avis de grève transmis en date du 4 juin 2014. Le procureur fait valoir que la seule procédure à compléter ou la seule question à traiter, si tant est que le Conseil donnait droit à la demande de l’employeur, est celle de la question des services essentiels qui n’avait pas encore été examinée à la date du 5 juin 2014. Le procureur dépose au soutien de son argumentation un recueil de jurisprudence portant notamment sur le partage des compétences en matière constitutionnelle.

C. Le SIMC

[45] Le procureur du SIMC est intervenu pour dire que l’entreprise dont il est question dans la présente affaire exerce des activités fédérales depuis 1971 et qu’aucune preuve ne montre le contraire, qu’il y ait eu ou non des changements opérationnels en 2009, lesquels se sont concrétisés en 2011. Il estime que les changements opérationnels mis en preuve par l’employeur ne font que concrétiser une situation juridictionnelle qui existe depuis plus de 30 ans. Il demande donc au Conseil de constater que C.T.M.A. exerce par conséquent des activités qui relèvent de la compétence fédérale.

VI. Analyse et décision

A. La compétence du Conseil

[46] Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (la Constitution) définissent les pouvoirs du Parlement et des législatures provinciales. Le paragraphe 92(10) confère aux législatures provinciales le pouvoir de légiférer sur les travaux et entreprises d’une nature locale autres que ceux qui sont énumérés aux alinéas 92(10)a), b), et c), qui visent notamment les lignes de bateaux exploitées au-delà des limites provinciales. Le paragraphe 92(10) permet la réglementation provinciale du transport à l’intérieur d’une seule province, tandis que le gouvernement fédéral a compétence sur le transport qui dépasse les limites provinciales et qui relie les provinces à d’autres provinces ou à d’autres pays.

[47] L’article 2 du Code définit « entreprises fédérales » de la manière suivante :

2. … « entreprises fédérales » : Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

c) les lignes de transport par bateaux à vapeur ou autres navires, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province;

[48] Dans la décision Autocar Royal (9011-4216 Quebec inc.), 1999 CCRI 42, le Conseil a conclu que les activités de transport interurbain de l’employeur relevaient de la compétence fédérale, car les activités extraprovinciales étaient régulières et continues. Le Conseil s’est exprimé de la manière suivante :

[52] En ce qui a trait à la question de compétence, le Conseil, dans de nombreuses affaires, a élaboré un test pour déterminer si une entreprise de transport relie des provinces ou s’étend au-delà des frontières provinciales au sens de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’alinéa 2b) du Code qui définit une « entreprise fédérale ». En vertu de ce test, le Conseil doit déterminer si les activités extraprovinciales de l’entreprise se déroulent de façon régulière et continue ou de façon occasionnelle ou exceptionnelle.

[53] Il y a lieu de souligner, toutefois, que la notion d’activité « régulière et continue » ne signifie pas que le transport extraprovincial est assujetti à un horaire prédéterminé ou qu’il doit s’effectuer selon un tel horaire. Il suffit de conclure que l’exploitant est prêt et disposé à fournir le transport extraprovincial à la demande des clients. Il y a lieu également de préciser que le test n’est pas quantitatif; par conséquent, même lorsque la composante extraprovinciale d’une entreprise ne représente qu’un faible pourcentage de l’ensemble des activités, celles-ci peuvent néanmoins relever de la compétence fédérale si ce pourcentage satisfait au critère de l’activité « régulière et continue » (voir Re Ottawa-Carleton Regional Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 279 et al. (1983), 44 O.R. (2d) 560 (C.A.); Burns Foods (Transport) Ltd. (1990), 81 di 114 (CCRT no 809); et The Gray Line of Victoria Ltd. (1989), 77 di 169; et 5 CLRBR (2d) 226 (CCRT no 741)).

[49] Dans la présente affaire, la preuve montre que C.T.M.A. exerce des activités de transport maritime de marchandises et de passagers assurant la liaison entre Cap-aux-Meules et Souris depuis au moins 2009, d’une manière régulière et continue, ce qui n’est pas contesté par le syndicat, puisqu’il reconnait que l’employeur a toujours exploité la ligne Cap-aux-Meules et Souris par le passé au moins 10 mois par année.

[50] L’employeur exploite trois navires visant à assurer la liaison entre Cap-aux-Meules et Souris, des villes situées dans deux provinces différentes (le Québec et l’Île-du-Prince-Édouard). Les trois navires sont utilisés pour l’exploitation du service de traversier entre les deux provinces, mais à différents moments de l’année. En effet, le NM Madeleine est affrété pour la période du 1er avril au 31 janvier. Le NM CTMA Vacancier est affrété pour la période du 1er février au 31 mars, tandis que le NM CTMA Voyageur est affrété durant la saison estivale, soit du 15 juin au 15 septembre. Les navires effectuent des voyages réguliers pendant leurs périodes d’opérations respectives. Par exemple, le NM CTMA Vacancier est utilisé pour un total de 15 voyages durant la saison estivale en plus du NM Madeleine, et ce, afin de dégager le surplus de trafic pendant la haute saison.

[51] Par conséquent, l’employeur, par l’entremise des trois navires principaux qu’il affrète au service de traversier entre Cap-aux-Meules aux îles de la Madeleine (Québec) et Souris (Île‑du‑Prince-Édouard), exploite une entreprise de transport extraprovincial de façon régulière et continue.

[52] Par ailleurs, l’accord renégocié et renouvelé le 1er avril 2011 et prolongé pour une période additionnelle de deux ans, soit jusqu’au 31 mars 2016, avec sa Majesté la Reine du Chef du Canada confirme que C.T.M.A. assure un service de traversier extraprovincial de façon régulière et continue au sens du paragraphe 2c) du Code.

[53] Le Conseil estime qu’à la lumière de la preuve, les activités de C.T.M.A. relèvent de la compétence fédérale aux fins des relations du travail.

B. Les changements opérationnels

[54] Le paragraphe 44(3) du Code se lit comme suit :

44.(3) Si, en raison de changements opérationnels, une entreprise provinciale devient régie par la présente partie ou si elle est vendue à un employeur qui est régi par la présente partie :

a) le syndicat qui, en vertu des lois de la province, est l’agent négociateur des employés de l’entreprise provinciale en cause demeure l’agent négociateur pour l’application de la présente partie;

b) une convention collective applicable à des employés de l’entreprise provinciale à la date des changements opérationnels ou de la vente continue d’avoir effet ou lie l’acquéreur;

c) les procédures engagées dans le cadre des lois de la province en cause et qui, à la date des changements opérationnels ou de la vente, étaient en instance devant une commission provinciale des relations de travail ou tout autre organisme ou personne compétents deviennent des procédures engagées sous le régime de la présente partie, avec les adaptations nécessaires, l’acquéreur devenant partie aux procédures s’il y a lieu;

d) les griefs qui étaient en instance devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage à la date des changements opérationnels ou de la vente sont tranchés sous le régime de la présente partie, avec les adaptations nécessaires, l’acquéreur devenant partie aux procédures s’il y a lieu.

[55] En l’espèce, le syndicat souligne que pendant 33 ans l’employeur n’a jamais soulevé de quelque manière que ce soit qu’il était assujetti à la compétence fédérale et lui reproche d’utiliser actuellement cette procédure à mauvais escient, et ce, dans le seul but de briser le rapport de force entre les parties. Il soutient également que l’employeur n’a pas démontré de changements opérationnels justifiant l’application du paragraphe 44(3) du Code, puisqu’il a toujours exploité la ligne Cap-aux-Meules et Souris dans le passé, et ce, au moins dix mois par année.

[56] Dans Générale électrique du Canada, exploitée sous la raison sociale GE Nuclear Products, 2008 CCRI 401, le Conseil a conclu que les activités de GE Nuclear à Toronto, Peterborough et Arnprior relevaient toutes de la compétence fédérale même si les parties fonctionnaient depuis plus de 50 ans sous le principe que GE Nuclear était une entreprise assujettie à la réglementation provinciale. La question de savoir si les activités de GE Nuclear relevaient de la compétence fédérale n’avait jamais été soulevée. Le Conseil a dit ceci :

[83] Le paragraphe 44(3) ne fixe pas de délai de prescription à l’exercice du pouvoir du Conseil de formuler des conclusions relativement à un changement opérationnel ou à la vente d’une entreprise provinciale. Comme c’est le cas ici, la question de compétence n’avait encore jamais été soulevée dans Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), précité; et, pendant des années, Ontario Hydro avait exploité son entreprise sous le régime des lois provinciales. La CSC a statué que le simple fait que les relations de travail avaient été régies avec succès par le droit provincial jusqu’à la contestation ne signifiait pas que le pouvoir de les régir devrait être laissé aux provinces. Elle a déclaré que l’omission antérieure d’intervenir n’empêchait pas le palier de gouvernement visé d’exercer sa compétence :

Il n’existe aucune théorie du manque de diligence en matière de partage constitutionnel des compétences; l’omission d’un palier de gouvernement d’exercer sa compétence, ou l’omission d’intervenir lorsqu’un autre palier de gouvernement exerce cette compétence, ne saurait être déterminante en ce qui concerne l’analyse constitutionnelle. À cet égard, je ferais miens les propos du juge Reed dans l’arrêt Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1985] 2 C.F. 472 (1re inst.), à la p. 488:

« Le fait qu’une compétence constitutionnelle n’est pas exercée pendant de longues périodes, ou est irrégulièrement exercée, ne signifie pas que s’opère par le fait même une forme de prescription acquisitive. (Voir Procureur général du Manitoba c. Forest, [1979] 2 R.C.S. 1032, pour une affaire dans laquelle un comportement inconstitutionnel demeura incontesté pendant quatre-vingt-dix ans.) ».

(page 357)

[57] La preuve montre ici que C.T.M.A. exerçait certaines activités extraprovinciales depuis plus de trente ans. Ceci explique sans doute le certificat d’accréditation qui a été délivré par notre ancien Conseil lequel date de 1964. Faut-il également souligner que le personnel non breveté au service de C.T.M.A. à bord des trois navires dont il est question ici est également visé par une accréditation fédérale que détient le SIMC et ce, depuis le 12 octobre 1972 (ordonnance no 2141‑U).

[58] Cela étant dit, l’employeur demande au Conseil de constater que des changements opérationnels sont intervenus à compter du 1er février 2009, puis, plus concrètement en 2011, suivant un accord renégocié et renouvelé jusqu’au 31 mars 2016 avec sa Majesté la Reine du chef du Canada mettant à contribution les trois navires de l’employeur pour l’exploitation du service de traversier entre Cap-aux-Meules et Souris.

[59] La preuve montre en effet que ce n’est que depuis 2009 que C.T.M.A. assure la liaison entre Cap-aux-Meules (îles de la Madeleine) et Souris (Île-du-Prince-Édouard) 12 mois par année par l’entremise de ses trois navires, selon des horaires réguliers. Même si avant 2009 l’employeur exerçait aussi des activités extraprovinciales entre Cap-aux-Meules et Souris, les activités extraprovinciales sont plus fréquentes et continues depuis le projet pilote convenu avec le gouvernement fédéral en février 2009 et confirmé dans l’entente intervenue avec sa Majesté la Reine du chef du Canada en 2011. Cette entente permet au Conseil de constater les changements opérationnels de l’entreprise au sens du paragraphe 44(3) du Code.

[60] Le syndicat insiste pour dire que l’employeur a déposé une demande en vertu du paragraphe 44(3) du Code à mauvais escient, et ce, pour briser le rapport de force entre les parties. Certes, les objectifs liés au paragraphe 44(3) du Code ne sont pas de contrer un droit de grève imminent. Le syndicat reconnaît par ailleurs qu’en matière constitutionnelle la prescription acquisitive ne s’applique pas, et il n’a pas contesté la validité de l’accord intervenu entre l’employeur et sa Majesté la Reine du chef du Canada en 2011, laquelle concrétise de manière non équivoque l’exercice des activités extraprovinciales de l’entreprise entre les deux provinces de façon régulière et continue, 12 mois par année.

[61] Le syndicat peut bien reprocher à l’employeur de ne pas avoir saisi le Conseil plus tôt sous prétexte que les relations de travail allaient bon train et que les conventions collectives étaient renouvelées aisément. Ce reproche peut également être fait à l’endroit du syndicat qui lui aussi aurait pu à tout moment déposer une demande de transfert de compétence devant le Conseil, sachant par ailleurs que les employés non brevetés travaillant sur les trois navires de l’entreprise étaient visés par un certificat de compétence fédérale.

[62] Vu ce qui précède, le Conseil fait droit à la demande de l’employeur et déclare que des changements opérationnels sont survenus en 2009, à la suite du projet pilote convenu avec le gouvernement fédéral et confirmé dans l’entente renégocié et renouvelé le 1er avril 2011 jusqu’au 31 mars 2016 avec sa Majesté la Reine du chef du Canada.

C. Les effets de l’alinéa 44(3)c) du Code

[63] L’employeur a soulevé une ambigüité possible entre la version française et la version anglaise de l’alinéa 44(3)c) pour dire que la procédure de conciliation engagée au Québec par les parties ne peut pas être reconnue par le Conseil et que, par conséquent, les parties doivent transmettre un nouvel avis de différend en vertu du Code. C.T.M.A. soutient également que le syndicat doit transmettre un nouvel avis de négociation.

[64] Les deux versions officielles de l’alinéa 44(3)c) du Code se lisent de la manière suivante :

44.(3) Where, as a result of a change of activity, a provincial business becomes subject to this Part, or such a business is sold to an employer who is subject to this Part,

...

(c) any proceeding that at the time of the change or sale was before the labour relations board or other person or authority that, under the laws of the province, is competent to decide the matter, continues as a proceeding under this Part, with such modifications as the circumstances require and, where applicable, with the person to whom the provincial business is sold as a party; and

...

44.(3) Si, en raison de changements opérationnels, une entreprise provinciale devient régie par la présente partie ou si elle est vendue à un employeur qui est régi par la présente partie :

...

c) les procédures engagées dans le cadre des lois de la province en cause et qui, à la date des changements opérationnels ou de la vente, étaient en instance devant une commission provinciale des relations de travail ou tout autre organisme ou personne compétents deviennent des procédures engagées sous le régime de la présente partie, avec les adaptations nécessaires, l’acquéreur devenant partie aux procédures s’il y a lieu;

...

 (c’est nous qui soulignons)

[65] À notre connaissance, l’interprétation de l’alinéa 44(3)c) du Code n’a fait l’objet d’aucune décision du Conseil.

[66] La Cour suprême du Canada a récemment réitéré dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, la méthode générale qu’il convient d’appliquer pour déterminer la portée intentionnelle d’une disposition législative :

[27] La méthode qu’il convient d’appliquer lorsqu’il s’agit d’interpréter une loi a été énoncée à de nombreuses reprises et elle est maintenant solidement établie. Il s’agit de rechercher la volonté du législateur en lisant les termes de la disposition dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi. ...

(c’est nous qui soulignons)

[67] Ainsi, pour déterminer la portée intentionnelle d’une disposition législative, il faut tenir compte non seulement des mots employés dans leur sens ordinaire et grammatical, mais aussi de l’esprit et de l’objet de la loi dans son contexte global.

[68] À première vue, la version française de l’alinéa 44(3)c) semble avoir une portée plus large que la version anglaise. En effet, la version anglaise contient les termes « to decide the matter » qui n’apparaissent pas explicitement dans la version française. Selon la version anglaise de cette disposition, il semblerait que seules les procédures engagées sous les lois provinciales devant une entité compétente ayant un pouvoir décisionnel sont reconnues sous le régime du Code.

[69] Le professeur Pierre-André Côté a proposé la démarche suivante afin de résoudre les divergences entre les deux versions officielles d’une disposition législative :

... sauf disposition légale contraire, toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions. Si cela n’est pas possible, ou si le sens commun ainsi dégagé paraît contraire à l’intention du législateur révélée par recours aux règles ordinaires d’interprétation, on doit entendre le texte dans le sens qu’indiquent ces règles.

(page 410)

(Pierre-André Côté, Interprétation des lois (3e édition), Montréal, Les Éditions Thémis, 1999)

[70] Dans la présente affaire, le Conseil estime qu’il n’y a pas nécessairement antinomie entre les deux versions du Code. Il existe certes une ambigüité possible dans la version française, mais compte tenu des principes d’interprétation qui précèdent, le Conseil est d’avis qu’il est possible de parvenir à un sens commun entre les deux versions de l’alinéa 44(3)c) du Code. À cette fin, il est important d’examiner l’objet même du paragraphe 44(3) du Code.

[71] Le paragraphe 44(3) a été ajouté au Code en 1999 à la suite des recommandations contenues dans le rapport Sims (Vers l’équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995). Le rapport Sims explique les objectifs recherchés par l’ajout de cette disposition au Code en 1999 dans les termes suivants :

Nécessité que les deux employeurs soient de compétence fédérale

La formulation actuelle du Code limite l’application des articles 44 à 46 aux cas où le vendeur et l’acquéreur (ou quelle que soit la relation exacte) exploitent des entreprises fédérales. L’acquéreur doit être nécessairement une entreprise fédérale pour que le Code lui soit applicable après la transaction. Nous ne sommes pas convaincus, cependant, que le vendeur doit aussi être une entreprise fédérale. Nous soulevons cette question car il n’est pas rare qu’une entreprise fédérale acquière une entreprise de compétence provinciale où il y a un syndicat accrédité ou une convention collective en vigueur, ou les deux, ou encore qu’elle prenne le contrôle d’une telle entreprise.

En raison de la définition contenue à l’article 44, le Conseil ne peut pas traiter la convention collective « provinciale » comme si elle avait été négociée par suite d’une reconnaissance volontaire. Pourtant, pourvu que le Conseil puisse apporter toutes les modifications nécessaires, nous ne voyons rien qui empêche une accréditation accordée par une province de devenir une accréditation fédérale (après avoir été modifiée en conséquence). Il y a un certain nombre de situations où, par suite d’une vente ou d’un changement de mode d’exploitation, le régime de la négociation collective passe de la juridiction provinciale à la juridiction fédérale, particulièrement dans les entreprises de transport interprovincial. Ce passage a donné lieu à un certain nombre de conflits de travail inutiles et certains employeurs ont même pris délibérément des mesures pour changer de sphère de compétence afin d’éviter de s’acquitter du devoir de négocier.

RECOMMANDATIONS :

Que l’article 44 soit modifié pour enlever l’exigence voulant que le vendeur exploite une entreprise fédérale.

Que l’article 44 soit modifié pour permettre la continuité de l’accréditation et de la convention collective régie par une loi provinciale, avec les modifications qui s’imposent, lorsqu’une entreprise passe de la compétence provinciale à la compétence fédérale, que ce soit ou non à la suite d’une vente ou d’un transfert.

(c’est nous qui soulignons)

[72] L’objectif fondamental du paragraphe 44(3) est de protéger le régime de la négociation collective lorsqu’une entreprise passe de la compétence provinciale à la sphère de compétence fédérale et de permettre la continuité de l’accréditation et de la convention collective. Les alinéas 44(3)a) et 44(3)b) concrétisent les recommandations du rapport Sims.

[73] Le législateur a ajouté deux autres mesures, soit la continuité des procédures engagées dans le cadre des lois de la province en cause et qui étaient en instance devant une entité compétente (alinéa 44(3)c)) et des griefs qui étaient en instance devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage  (alinéa 44(3)d)).

[74]  En ce qui a trait au paragraphe 44(3)c), il est clair qu’une procédure comme celle engagée devant la Commission des relations du travail du Québec et visant à décider la question des services essentiels sous le régime québécois est une procédure qui relève de la portée de l’alinéa 44(3)c) du Code. Il s’agit d’une procédure devant une commission des relations de travail provinciale qui était en instance au moment de la présente décision.

[75] Par conséquent, le Conseil peut examiner la question des services essentiels (maintien des activités) comme si elle avait été engagée en vertu du paragraphe 87.4(4) du Code, et ce, sur demande de l’une ou l’autre partie. En effet, le paragraphe 87.4(4) du Code permet au Conseil de trancher toute question liée au maintien des activités nécessaires pour « prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public », en vertu du paragraphe 87.4(1) du Code.

[76] Toutefois, la portée de l’alinéa 44(3)c) du Code est moins claire en ce qui concerne la continuité des formalités relatives à la négociation d’une convention collective, telles que la transmission de l’avis de négociation ou la transmission d’un avis de différend. De telles formalités s’inscrivent dans le cadre du processus de négociation collective et visent la conclusion d’une convention collective plutôt qu’une décision prise par une entité compétente. Le Conseil note que le législateur n’a pas expressément prévu la continuité des formalités relatives au processus de négociation collective, telles que la transmission de l’avis de négociation ou la transmission d’un avis de différend.

[77] Quelle que soit la portée de l’alinéa 44(3)c), le Conseil est d’avis que l’article 46 du Code est suffisamment large pour lui permettre d’examiner toute question qui se pose pour l’application de l’article 44 du Code, y compris la question de savoir s’il peut reconnaître les démarches prises par les parties dans le but de conclure une nouvelle convention collective.

[78] L’article 46 du Code a été modifié et élargi en 1999 pour permettre au Conseil de trancher toute question qui se pose « pour l’application de l’article 44 » du Code :

46. Il appartient au Conseil de trancher, pour l’application de l’article 44, toute question qui se pose, notamment quant à la survenance d’une vente d’entreprise, à l’existence des changements opérationnels et à l’identité de l’acquéreur.

[79] L’alinéa 16p) permet également au Conseil de trancher toute question qui peut se poser « dans le cadre de toute affaire dont il connaît » :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

p) trancher, dans le cadre de la présente partie, toute question qui peut se poser à l’occasion de la procédure, et notamment déterminer :

(i) si une personne est un employeur ou un employé,

(ii) si une personne occupe un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations de travail,

(iii) si une personne adhère à un syndicat,

(iv) si une organisation est une organisation patronale, un syndicat ou un regroupement de syndicats,

(v) si un groupe d’employés constitue une unité habile à négocier collectivement,

(vi) si une convention collective a été conclue,

(vii) si une personne ou une organisation est partie à une convention collective ou est liée par celle-ci,

(viii) si une convention collective est en vigueur.

i. L’avis de négociation

[80] Le Conseil estime que la question de la validité de l’avis de négociation est directement liée aux conséquences du changement opérationnel en vertu du paragraphe 44(3). D’ailleurs, l’employeur a lui-même soulevé la question de la validité de l’avis de négociation dans le cadre de cette affaire.

[81] Les parties peuvent transmettre des avis de négociation au terme du Code uniquement en application des articles 48 et 49 et de l’alinéa 18.1(4)f) du Code (voir Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Global Television, 2010 CF 988).

[82] Dans la présente affaire, il s’agit d’une situation de renouvellement de convention collective et non d’une situation de première convention collective. De plus, les parties ne sont pas en processus de restructuration des unités de négociation. L’avis de négociation doit donc être conforme à l’article 49 qui prévoit les conditions nécessaires à la transmission d’un avis de négociation dans le contexte d’un renouvellement de convention collective. L’article 49 du Code se lit comme suit :

49. (1) Toute partie à une convention collective peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration, ou au cours de la période plus longue fixée par la convention, transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue du renouvellement ou de la révision de la convention ou de la conclusion d’une nouvelle convention.

(2) Si la convention collective prévoit la possibilité de révision d’une de ses dispositions avant l’échéance, toute partie qui y est habilitée à ce faire peut transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue de la révision en cause.

[83] Dans VIA Rail Canada inc., 2011 CCRI 569 (VIA Rail), le Conseil s’est penché sur la question de la validité d’un avis de négociation en vertu de l’article 49 du Code. Pour ce faire, il a examiné l’article 5 du Règlement du Canada sur les relations industrielles (le RCRI) qui énonce les exigences relatives à la forme de l’avis de négociation.

[84] L’article 5 du RCRI se lit de la manière suivante :

5. (1) Un avis de négociation collective donné en vertu de la Loi doit être donné par écrit, daté et signé par la partie qui le donne ou en son nom.

(2) L'avis peut préciser l'article de la Loi qui l'autorise, ainsi que fixer un lieu et une date convenables pour le commencement des négociations collectives.

[85] Le Conseil a déterminé, dans VIA Rail, que les seules exigences relatives à la validité d’un avis de négociation sont que celui-ci soit donné par écrit, daté et signé par la partie qui le donne ou en son nom. Il n’est pas nécessaire que l’avis fixe un lieu et une date pour les négociations collectives :

[52] Comme il a été mentionné auparavant, les seules conditions obligatoires exigées pour donner un avis de négociation valide au sens du paragraphe 49(1) sont régies par le paragraphe 5(1) du Règlement.

[53] Les conditions exigées pour donner un avis valide au sens du paragraphe 49(1) sont que celui-ci soit écrit, daté et signé par la partie qui le donne ou en son nom.

[54] Le paragraphe 5(2) du Règlement mentionne qu’une partie peut fournir d’autres renseignements, tels qu’une suggestion de date et de lieu pour les négociations collectives, mais ces renseignements ne sont pas obligatoires.

 

[86] Le Conseil a également interprété, dans VIA Rail, les exigences de l’article 49 de la manière suivante :

[36] Le Conseil est d’avis que le sens commun du paragraphe 49(1) prévoit le moment où un avis peut être donné, afin d’imposer l’obligation de négocier collectivement. Le Conseil fait remarquer que l’en-tête précédant immédiatement les articles 48 à 50 du Code est « Obligation de négocier collectivement ».

[37] Le paragraphe 49(1) établit la manière formelle par laquelle naît cette obligation. L’article 50 du Code impose ensuite certaines obligations aux parties, une fois que l’avis au sens du paragraphe 49(1) a été donné.

[38] L’avis au sens du paragraphe 49(1) est le mécanisme par lequel on garantit que l’autre partie sait que l’obligation d’entamer des négociations collectives est enclenchée. L’article 50 impose alors aux parties des obligations autant subjectives qu’objectives.

[87] L’article 49 du Code exige que l’avis soit transmis au cours des quatre mois précédant la date d’expiration de la convention collective et qu’il soit transmis à l’autre partie dans le but de renouveler la convention collective ou de conclure une nouvelle convention collective. L’avis de négociation permet à l’autre partie à la convention collective d’être mise au courant qu’elle est liée par l’obligation de négocier collectivement.

[88] L’avis de négociation daté du 10 décembre 2013 a été transmis à l’intérieur du délai prévu à l’article 49 du Code, c’est-à-dire dans les quatre mois qui précèdent la date d’expiration de la convention collective. Il a été transmis au directeur général de C.T.M.A. et il indique clairement l’intention de vouloir négocier une nouvelle convention collective. De plus, l’avis répond également aux exigences de base de l’article 5 du RCRI, car il est donné par écrit, daté et signé par le président de la section locale du syndicat.

[89] En somme, le Conseil conclut que l’avis de négociation transmis par le syndicat le 10 décembre 2013 est conforme aux exigences de l’article 49 du Code. Par conséquent, le syndicat n’aura pas à transmettre un nouvel avis de négociation dans cette affaire.

ii. La procédure de conciliation et la validité de l’avis de différend

[90] Malgré les vastes pouvoirs que détient le Conseil en vertu du Code, dont ceux de l’article 46 et de l’alinéa 16p) du Code, les pouvoirs du Conseil ne s’étendent pas à la procédure de conciliation. Le Conseil est d’avis que la reconnaissance de la procédure de conciliation entamée au Québec relève de la ministre du Travail, et non du Conseil. Le Conseil a examiné les limites de son pouvoir relativement à la procédure de conciliation prévue aux articles 71 et suivants du Code dans deux décisions clés.

[91] Dans l’affaire Société Radio-Canada, 2001 CCRI 150, l’employeur demandait, entre autres, au Conseil de conclure que l’avis de différend transmis par le syndicat était prématuré. Le Conseil était saisi d’une demande d’ordonnance provisoire visant à ordonner au syndicat de surseoir à sa demande de conciliation.

[92] Le Conseil a rejeté la demande d’ordonnance provisoire. Il a indiqué qu’il n’était pas compétent pour ordonner au syndicat de surseoir à sa demande de conciliation et s’est exprimé en ces termes :

[20] Or, le Conseil n’a pas été convaincu qu’il existe un tort irréparable qui ne peut faire l’objet d’un redressement lors d’une enquête sur le fond, ou que le Conseil est compétent pour intervenir afin d’empêcher une partie de faire une demande de conciliation alors que c’est la mesure préventive prévue par le Code pour favoriser le règlement des négociations collectives. L’article 71 prévoit deux conditions pour faire la demande de nomination d’un conciliateur, soit que les négociations collectives n’ont pas été entamées dans les délais fixés par le Code - ce qui n’est pas le cas ici, soit que « les parties ont négocié collectivement mais n’ont pu parvenir à un accord. »

[21] La question de n’avoir pu parvenir à un accord est une question purement subjective propre à la partie qui constate que les négociations sont parvenues à une impasse. Pour autant que le Conseil puisse être appelé à apprécier la conduite des parties dans leurs négociations collectives et à décider de la légitimité des questions qui ont mené à l’impasse, le Conseil n’a aucun rôle à jouer dans l’appréciation des faits de la partie qui se sent brimée et qui décide de référer son différend au processus de conciliation prévu par le Code. Le Conseil estime donc qu’il n’est pas compétent pour ordonner au SCRC de surseoir à sa demande de conciliation auprès de la ministre.

(c’est nous qui soulignons)

[93] Cette affaire illustre la réticence du Conseil de s’immiscer dans la procédure de conciliation, car il s’agit d’une procédure qui relève de la ministre du Travail et non du Conseil.

[94] Dans Securiguard Services Limited, 2006 CCRI 359 (Securiguard), l’employeur a présenté une demande en vertu de l’alinéa 16p) du Code dans laquelle il demandait au Conseil d’annuler la nomination d’un conciliateur et de déclarer nul l’avis de différend transmis par le syndicat, parce que les exigences énoncées à l’article 71 n’avaient pas été satisfaites.

[95] Le Conseil a déterminé qu’il n’avait pas la compétence pour instruire la demande pour deux raisons. Premièrement, l’alinéa 16p), en soi, n’autorise pas le dépôt d’une demande. Cet alinéa permet au Conseil de régler des questions soulevées dans le cadre d’une affaire dont il est déjà saisi. Deuxièmement, le Conseil n’a pas le pouvoir d’annuler la nomination d’un conciliateur et de déclarer un avis de différend nul.

[96] Sur la deuxième question, le Conseil a décrit, dans Securiguard, les différentes fonctions du ministre du Travail et les limites du pouvoir du Conseil au sujet de la nomination d’un conciliateur et de la validité d’un avis de différend :

[39] L’examen de la partie I du Code indique que le ministre est autorisé à exercer diverses fonctions, ce qui comprend la nomination de médiateurs, de conciliateurs ou de commissaires, l’établissement de commissions de conciliation et le renvoi de questions au Conseil ou aux parties en cause. Aucune disposition de la partie I du Code n’autorise le Conseil à revoir l’exercice de ces fonctions par le ministre.

[40] De plus, si le législateur avait voulu habiliter le Conseil à cet égard, il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que des directives aient été données au Conseil, par exemple, quant aux types de mesures ministérielles, de nominations, de renvois ou de décisions pouvant être réexaminés, aux motifs pouvant être invoqués pour justifier un examen et aux délais s’appliquant au dépôt d’une telle demande d’examen. Le Code ne contient aucune directive sur ces questions.

[41] Par ailleurs, la partie I du Code autorise les employeurs, syndicats et employés à présenter divers avis au ministre du Travail, mais elle ne confère nullement au Conseil le droit de déclarer ces avis nuls.

[42] Pour ces motifs, le Conseil conclut qu’il n’a pas la compétence pour annuler la nomination d’un conciliateur faite par le ministre du Travail ou de déclarer l’avis de différend nul.

[97] Compte tenu de ce qui précède, si le Conseil a le pouvoir de déclarer que l’avis de négociation répond aux exigences de l’article 49 du Code, il n’a pas pour autant le pouvoir de déclarer que l’avis de différend répond aux exigences de l’article 71 du Code et du RCRI. Ces deux types d’avis ont deux buts différents; le premier marque le début de la période de négociation collective, le second permet à la ministre du Travail d’exercer ses fonctions en vertu des articles 71 et suivants.

[98] Le Conseil est d’avis qu’il revient donc à la ministre du Travail de déterminer si elle reconnaît la demande de conciliation et la procédure de conciliation engagée par les parties sous le régime québécois. Il est utile de noter que la ministre du Travail peut prendre plusieurs mesures en vertu de l’article 72 du Code. Elle peut notamment aviser les parties de son intention de ne pas nommer de conciliateur, compte tenu des circonstances propres à chaque affaire.

VII. Conclusion

[99] Compte tenu de ce qui précède, le Conseil déclare ce qui suit :

-          Les activités exercées par C.T.M.A. tombent sous la compétence fédérale;

 

-          Des changements opérationnels sont survenus le 1er février 2009 au sens du paragraphe 44(3) du Code;

-          Le syndicat demeure l’agent négociateur de l’unité de négociation dont il est question dans la présente affaire, conformément à l’alinéa 44(3)a) du Code;

 

-          Les parties continuent d’être liées par la convention collective applicable aux employés de l’unité de négociation, conformément à l’alinéa 44(3)b) du Code;

 

-          Tous les griefs en instance et toutes les procédures engagées en vertu des lois de la province de Québec deviennent des procédures engagées aux termes de la partie I du Code, avec les adaptations nécessaires, conformément aux alinéas 44(3)c) et d) du Code;

 

-          L’avis de négociation transmis par le syndicat à l’employeur le 10 décembre 2013 est conforme à l’article 49 du Code;

 

-          Il revient à la ministre du Travail de déterminer si les parties devront se conformer aux exigences énoncées à l’article 71 et suivants du Code relativement à la procédure de conciliation, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire.

 

-          Sur demande de l’une ou l’autre partie, le Conseil est prêt à entendre les parties dans les plus brefs délais sur la question du maintien des activités en vertu du paragraphe 87.4(4) du Code.

[100] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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