Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Mme Z,

plaignante,

et

Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN),

intimé,

et

Société Radio-Canada,

employeur.

Dossier du Conseil : 29649-C

Référence neutre : 2014 CCRI 727

Le 12 mai 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, et de M. Daniel Charbonneau et Me Robert Monette, Membres. Une audience a eu lieu les 14 et 15 janvier 2014, à Montréal (Québec).

Ont comparu
Me François Garneau, pour la plaignante;
Me Guy Martin, pour le Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN);
Me Marie Pedneault, pour la Société Radio-Canada.

Les motifs de la décision de la majorité ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente. La dissidence a été rédigée par M. Daniel Charbonneau, Membre.

I. Nature de la demande

[1] La présente plainte de manquement au devoir de représentation juste a été déposée le 5 octobre 2012 par Mme Z (la plaignante) contre son syndicat, le Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN) (le syndicat). La plaignante allègue que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi, en violation de l’article 37 du Code, parce que ce dernier était en situation de conflit d’intérêts et ne pouvait donc pas la représenter adéquatement dans le cadre de son grief de harcèlement.

[2] Le grief de la plaignante découle de plusieurs allégations de harcèlement en milieu de travail de la part de M. M, un autre membre du syndicat et délégué syndical.

II. Contexte et faits

[3] La plaignante est une employée de la Société Radio-Canada (l’employeur) depuis le 20 juillet 1989. Elle travaille à titre d’annonceure-réalisatrice à Radio-Canada International (RCI) – section chinoise. Elle allègue avoir été harcelée de 2009 à 2012 par un collègue, M. M, lequel occupait des fonctions de délégué syndical.

[4] Vers la mi-mai 2012, la plaignante a remis à son employeur une preuve vidéo montrant les actes de harcèlement de M. M à son endroit. Le 15 mai 2012, l’employeur a suspendu M. M aux fins d’enquête et l’a convoqué à une rencontre disciplinaire en présence d’un représentant syndical. Un formulaire intitulé « Rapport d’incident violent » a été rempli par la plaignante le 17 mai 2012 et remis à l’employeur. La rencontre disciplinaire a eu lieu le 23 mai 2012 en présence d’un délégué syndical, M. Rufo Valencia.

[5] M. M a été de nouveau convoqué par l’employeur le 28 mai 2012 et a été congédié. M. Valencia assistait également à cette rencontre. La lettre de congédiement de M. M a été transmise le même jour au syndicat par courriel. Cette lettre indiquait notamment que M. M, lors de la rencontre tenue le 23 mai 2012, aurait admis être allé dans l’aire de travail de Mme Z à multiples occasions avant qu’elle n’arrive au travail, et ce, depuis avril 2012, et n’avoir pas respecté les avertissements que son employeur lui avait donnés en avril et juin 2011 voulant qu’il cesse de déranger sa collègue.

[6] Dans sa réponse à la plainte, le syndicat a initialement nié connaître l’identité de la prétendue victime de harcèlement. Toutefois, le procureur du syndicat a corrigé cet élément quelques mois avant la tenue de l’audience dans la présente affaire, après avoir rencontré M. Valencia. La preuve montre que le nom de la plaignante a été mentionné à au moins deux reprises au cours de la rencontre du 23 mai 2012, et ce renseignement a été relaté à M. Ubald Bernard, représentant syndical, qui avait demandé à M. Valencia d’accompagner M. M lors de la rencontre du 23 mai.

[7] La plaignante a déposé un grief contre M. M, le syndicat et l’employeur le 13 juin 2012 dénonçant le harcèlement psychologique et sexuel de la part de M. M (le grief de harcèlement) à son endroit. Elle réclame individuellement ou conjointement une compensation pour les dommages causés.

[8] Le 21 juin 2012, la plaignante a été déclarée inapte à travailler. Le 27 juin 2012, le procureur de la plaignante a indiqué au syndicat que sa cliente ne participerait pas à une enquête menée par le syndicat dans le but de déterminer si ce dernier doit ou non représenter M. M. Le procureur de la plaignante a précisé, entre autres choses, que sa cliente était absente du travail et qu’elle n’était pas en état de participer à une enquête dont l’objet serait de répondre à des questions qui pourraient avoir comme conséquence de lui faire revivre des événements traumatisants.

[9] Le 18 juillet 2012, Mme Z a informé son syndicat qu’elle renonçait à se prévaloir de la médiation-arbitrage prévue à l’article 11.7 de la convention collective et a demandé que son grief soit renvoyé à l’arbitrage. Le 22 août 2012, elle a été informée par son syndicat que son grief ne serait pas renvoyé à l’arbitrage tant et aussi longtemps que les étapes préalables à cette procédure n’auraient pas été observées. Le syndicat lui a reproché son refus total de collaborer à une enquête sur les allégations de harcèlement contenues dans le libellé de son grief déposé le 13 juin 2012.

[10] Le syndicat a pour sa part déposé un grief au nom de M. M, le 30 août 2012, contestant son congédiement. Le grief fait notamment état du manque de collaboration de la plaignante à l’enquête du syndicat. Ce dernier demande l’annulation du congédiement et la réintégration de M. M. Le syndicat a demandé deux prolongations de délai pour pouvoir déposer ce grief.

[11] Mme Z a déposé sa plainte auprès du Conseil le 5 octobre 2012.

[12] Il faut souligner qu’en date du 19 novembre 2013, le syndicat a transmis une lettre à la plaignante l’informant que l’employeur avait consenti à ce que l’étape du comité de redressement prévue à la convention collective relativement à son grief ne soit pas observée et que, par conséquent, le grief serait renvoyé à l’arbitrage. Le syndicat a aussi informé la plaignante qu’il désignait un procureur de l’extérieur, indépendant de la Fédération nationale des communications (FNC) et de la CSN pour la représenter dans le cadre dudit grief avec l’aide de M. Ubald Bernard, à titre de représentant syndical, et que, par ailleurs, un autre procureur et un autre représentant syndical étaient également désignés pour représenter M. M dans le cadre du grief de ce dernier.

III. La preuve testimoniale

[13] Trois témoins ont été entendus dans le cadre des audiences, soit M. Rufo Valencia, délégué syndical, Mme Z, la plaignante, et M. Alex Levasseur, président du syndicat. L’employeur n’a pas fait entendre de témoins.

1. M. Rufo Valencia

[14] M. Valencia est un employé de RCI, section latino-américaine. Il connaît la plaignante depuis 1997 et M. M, depuis aussi longtemps. M. Valencia est un délégué syndical depuis le 23 avril 2012. Il a remplacé M. Diego Medina-Creimer.

[15] M. Valencia admet n’avoir jamais vu les observations écrites des parties présentées dans le cadre de la présente plainte, ni en avoir pris connaissance, bien qu’à cette époque il était toujours le délégué syndical. M. Valencia nie également avoir pris connaissance de la lettre du procureur du syndicat datée du 9 septembre 2013 transmise au Conseil, laquelle dit entre autres ceci :

Nous avons rencontré monsieur Rufo Valencia, délégué du SCRC, vendredi après-midi, en prévision de la conférence préparatoire du 12 septembre prochain.

Lors de cette rencontre, il est ressorti des notes prises par monsieur Valencia lors de la rencontre disciplinaire du 23 mai 2012 que le nom de madame [Z] a été mentionné à au moins deux reprises lors de ladite rencontre, ce qui contredit les renseignements obtenus de monsieur Valencia par téléphone en décembre 2012.

Conséquemment, un représentant du Syndicat, en la personne de son délégué Rufo Valencia, a été informé le 23 mai 2012 que les gestes reprochés à M. [M] concernaient madame [Z.]

Ces révélations remettent donc en question certains paragraphes de la Réponse de l’intimé à la plainte de madame [Z] datée du 5 décembre 2012 ainsi que certains paragraphes de la Réponse à la Réplique de la plaignante.

[16] M. Valencia raconte par ailleurs les événements ou les rencontres disciplinaires convoquées par l’employeur les 23 et 28 mai 2012, auxquelles il a accompagné M. M. Monsieur Valencia déclare que c’était la première fois, à titre de délégué syndical, qu’il avait à faire face à une suspension d’un employé puis à son congédiement. Il était alors en poste seulement depuis 22 jours au moment des événements. Il précise n’avoir lu aucun document transmis par l’employeur, ni en avoir pris connaissance, avant le 23 mai 2012.

[17] La rencontre du 23 mai 2012 aurait, selon M. Valencia, duré une heure. La représentante de l’employeur aurait alors donné l’historique des agissements de M. M à l’endroit d’une employée de la section chinoise. M. Valencia dit avoir alors fait un rapport verbal à M. Ubald Bernard par téléphone après la rencontre. Il précise que personne du syndicat ne lui a demandé de faire un rapport écrit après le congédiement de M. M, le 28 mai 2012. M. Valencia soutient que le nom de la plaignante a été mentionné à deux reprises au cours de la rencontre du 23 mai 2012. Il dit l’avoir mentionné à M. Bernard lors de sa conversation avec lui.

[18] Relativement à la lettre du 28 mai 2012, soit celle concernant le congédiement de M. M, M. Valencia dit en avoir pris connaissance qu’une semaine plus tard. Selon lui, c’est M. Bernard qui la lui aurait remise. Après la rencontre du 28 mai 2012, il dit avoir de nouveau parlé avec M. Bernard – ce dernier n’aurait pas demandé à M. Valencia de contacter la plaignante.

[19] M. Valencia souligne avoir rencontré la plaignante après le 28 mai 2012, alors qu’ils s’étaient croisés dans le couloir de la salle des nouvelles. Cette rencontre aurait eu lieu avant le 13 juin 2012. Il précise qu’il ne s’agissait pas d’une réunion syndicale mais d’une simple rencontre avec une collègue qu’il appréciait. Il ajoute avoir rencontré le comité exécutif du syndicat au cours de l’été 2012, mais qu’aucune discussion n’a eu trait à Mme Z ou à M. M et que personne ne lui a demandé d’entamer quelque procédure que ce soit, ni pour Mme Z ni pour M. M.

[20] En contre-interrogatoire, M. Valencia déclare avoir exprimé ses regrets à la plaignante relativement à ce qu’elle a subi de la part de M. M. Il dit lui avoir offert son soutien afin de rétablir les ponts avec le syndicat. Il dit que la plaignante ne voulait pas discuter de l’affaire avec M. Wojtek Gwiazda, représentant syndical local qui travaille également à RCI, car il était un ami de M. M, également représentant syndical. Il estime que la rencontre avec Mme Z a duré environ 45 minutes et que, par la suite, cette dernière ne l’a pas contacté.

2. Mme Z

[21] La plaignante travaille à RCI, section chinoise depuis 1989. Elle est annonceure-réalisatrice depuis le printemps 2012. Son équipe se compose de 13 employés. Elle indique que M. M travaille également à RCI à la salle des nouvelles, mais qu’elle n’avait pas à travailler avec lui depuis 2006. La plaignante précise que M. M était le représentant syndical de RCI depuis au moins 15 ans. Elle indique avoir subi du harcèlement de la part de M. M depuis trois ans, et ce, tous les jours. Cela a débuté alors qu’il lui offrait des cadeaux qu’elle refusait. Elle a d’ailleurs transmis une lettre recommandée à M. M le 2 août 2010, lui demandant de cesser son harcèlement à son endroit et le menaçant de déposer une plainte de harcèlement sexuel ainsi qu’une plainte au criminel s’il continuait son comportement.

[22] Mme Sylvie Robitaille du Service des ressources humaines de RCI aurait été informée de la situation, mais cette dernière disait ne pas avoir assez de preuve. La plaignante soutient que sa santé était en chute libre eu égard à M. M. Il la suivait partout – elle craignait d’aller au travail et avait peur pour sa santé. Elle raconte également les derniers événements qui l’ont conduite à installer une caméra vidéo dans son bureau un matin, au début de mai 2012. Une fois chez elle, elle a visionné la vidéo pour constater qu’il s’agissait bien de M. M qu’elle soupçonnait depuis longtemps. Elle raconte qu’elle était en état de choc après le visionnement de la vidéo. Elle a alors contacté la directrice de RCI, Mme Hélène Parent, pour lui remettre une copie de ladite vidéo.

[23] La plaignante indique qu’aucun représentant syndical ne l’a contactée entre le 23 mai 2012 et le 13 juin 2012. Elle dit avoir rencontré M. Valencia, mais ignorait à ce moment-là qu’il avait accompagné M. M lors des rencontres disciplinaires des 23 et 28 mai 2012. Elle ajoute ne pas avoir sollicité le soutien de M. Gwiazda, car, selon elle, il était très ami avec M. M. La plaignante indique qu’elle a été soulagée d’apprendre le congédiement de M. M, mais qu’elle s’est sentie complètement abandonnée par son syndicat. Elle ajoute que pendant trois ans elle a travaillé « en cachette », qu’elle craignait M. M et avait peur pour sa santé. Elle dit avoir fait une dépression majeure au cours de l’été 2012. Elle a d’ailleurs été en congé de maladie à compter du 21 juin 2012.

[24] Le matin du 13 juin 2012, soit le dernier jour où elle pouvait déposer un grief, elle a contacté M. Gwiazda, car il fallait un représentant syndical local pour présenter un grief. Dans son grief, la plaignante réclamait de M. M, du syndicat et de l’employeur une compensation pour dommages causés. Il se lit comme suit :

Exposé du grief / Grievance
De l’automne 2009 au 14 mai 2012 j’ai été victime de nombreux gestes de harcèlement, de harcèlement sexuel et de harcèlement discriminatoire de la part de [M. M]…lequel occupait également la fonction de représentant syndical, jusqu’à son congédiement le 28 mai 2012.

Réclamation / Claim Que [M. M], le Syndicat et l’employeur soient individuellement ou conjointement condamnés par le tribunal, à m’octroyer des dommages pécuniers (sic), moraux et exemplaires; Que le Syndicat soit tenu de me rembourser les honoraires professionnels d’un avocat de mon choix afin d’assurer ma représentation au cours de toute procédure découlant de l’application de la convention collective, liée au présent grief ou à celui déposé, le cas échéant par [M. M].

[25] Mme Z a rencontré Mme Parent du Service des ressources humaines. La rencontre aurait duré tout au plus cinq minutes, et une copie du grief a été remise tant à M. Gwiazda qu’à Mme Parent. M. Gwiazda n’a pas posé de question. Selon la plaignante, M. Gwiazda a eu un comportement très froid à son endroit.

[26] Mme Z indique avoir demandé au syndicat, le 18 juillet 2012, de renvoyer son grief à l’arbitrage. La lettre dit entre autres ceci :

J’ai déjà indiqué à la partie patronale que vu mon état actuel je ne désirais pas participer à la rencontre prévue à l’article 11.5 de la convention collective. Je tiens aussi à vous aviser que je renonce à me prévaloir de la médiation arbitrage de l’article 11.7. Toutefois, et j’insiste sur ce point, je tiens à ce que mon grief soit déféré devant un arbitre devant les meilleurs délais. Je vous demande donc de faire le nécessaire pour que mon grief soit déféré à l’arbitrage le plus tôt possible. Sur la recommandation de Me Garneau, je suggère que le syndicat propose à l’employeur les noms de Me Serge Brault ou de Me Jean-Pierre Lussier pour agir à titre d’arbitres pour entendre et statuer sur mon grief.

(sic)

[27] La plaignante indique que le président du syndicat, M. Levasseur, a refusé sa demande sous prétexte qu’elle avait refusé de collaborer à l’enquête sur les allégations contenues dans son grief déposé le 13 juin 2012. La plaignante indique qu’elle ne pouvait pas se soumettre, tel que le souhaitait le syndicat, à une enquête relative aux allégations de harcèlement sexuel dénoncées contre M. M, alors qu’un dossier criminel était aussi en cours relativement aux actes posés par ce dernier à son endroit. La plaignante ajoute qu’à plusieurs reprises elle ou son procureur ont demandé au syndicat s’il avait déposé un grief pour défendre les intérêts de M. M. Le syndicat ne lui a jamais fourni cette information. Ce n’est que le 30 octobre 2012 qu’elle et son procureur ont été informés par l’employeur qu’un grief avait été déposé par le syndicat au nom de M. M le 30 août 2012. En contre-interrogatoire, la plaignante précise qu’elle a refusé de participer à l’enquête du syndicat, car elle était en congé de maladie et elle ne savait pas si le syndicat représentait également les intérêts de M. M.

[28] Relativement à la réponse écrite du syndicat niant le fait qu’il ait su avant le 13 juin 2012 l’identité de la plaignante, Mme Z indique que M. Valencia lui avait pourtant dit, lors de leur rencontre, que son nom avait été mentionné le 23 mai 2012 et que le syndicat était donc au courant.

[29] La plaignante ajoute que la lettre transmise par le procureur du syndicat le 9 septembre 2013 montre bien que M. Valencia avait été mis au courant de son identité dès le 23 mai 2012, lors de la rencontre disciplinaire.

[30] Relativement à la lettre qui lui a été transmise par le président du syndicat, M. Levasseur, le 19 novembre 2013, dans laquelle il était indiqué que son grief serait renvoyé à l’arbitrage et qu’un procureur de l’extérieur, indépendant de la Fédération nationale des communications et de la CSN, la représenterait et serait accompagné de M. Bernard, représentant syndical, la plaignante soutient que le procureur désigné a travaillé longtemps pour la CSN. De plus, M. Bernard a participé à la médiation tenue par le Conseil pour régler le litige et il représentait les intérêts du syndicat dans le cadre du conflit l’opposant à la plaignante. La plaignante insiste pour être représentée dans le cadre du grief par son procureur, car elle estime que son syndicat est en conflit d’intérêts dans cette affaire.

[31] La plaignante précise également qu’elle n’a pas contacté son syndicat pour déposer un grief, car elle avait perdu toute confiance en lui. La plaignante soutient que M. M a utilisé son statut de délégué syndical comme prétexte pour entrer en rapport avec elle dans son milieu de travail ou son environnement alors que ce dernier n’avait aucun lien professionnel avec elle. La plaignante a indiqué ne pas avoir contacté son syndicat entre 2010 et 2012, car les représentants locaux étaient M. M et M. Gwiazda, lesquels étaient des amis proches. Elle ajoute avoir adressé une plainte en 2010 à Mme Robitaille, du Service des ressources humaines, et que cette dernière n’a rien fait. Elle soutient que M. M l’appelait même la nuit. Elle aurait également discuté avec Mme Lise Morin en 2011, laquelle lui aurait suggéré d’en discuter avec la directrice, Mme Parent. Elle ajoute que Mme Parent avait alors rencontré M. M à deux reprises au cours de cette période et lui avait demandé de ne plus entrer en contact avec la plaignante. M. M a ignoré les directives de Mme Parent et a continué son harcèlement à l’endroit de la plaignante.

[32] À la question du procureur relativement aux raisons pour lesquelles Mme Z n’avait pas contacté son syndicat tout au cours de cette période, elle soutient qu’elle présumait que son syndicat était au courant. Elle ajoute que M. M était une personne importante puisqu’il était le représentant syndical local de RCI, qu’il se promenait constamment avec les « patrons » et que c’est lui qui distribuait de l’information au nom du syndicat à RCI. Pour la plaignante, il était l’autorité.

[33] Relativement au dépôt de son grief, la plaignante indique avoir tenté de joindre M. Valencia le matin du 13 juin 2012, mais qu’il n’était pas au bureau; c’est pour cette raison qu’elle a contacté M. Gwiazda. Elle précise que c’est dans l’après midi qu’elle aurait rencontré M. Valencia et insiste pour dire qu’il s’agissait de la seule rencontre qu’elle a eue avec lui.

3. M. Alex Levasseur

[34] M. Levasseur est le président du syndicat depuis 2007. Il indique que M. M a été le délégué syndical de RCI pendant plusieurs années, précisant que ce dernier a été choisi par la section. M. Medina-Creimer était aussi délégué syndical en même temps que M. M. Monsieur Medina-Creimer a quitté le RCI en 2012 et c’est M. Valencia qui a complété son mandat. M. Gwiazda est le substitut.

[35] M. Levasseur indique que M. Valencia n’a pas reçu de formation particulière lorsqu’il a été nommé au printemps 2012 pour remplacer M. Medina-Creimer. Il aurait reçu une formation par la suite, mais rien de spécifique relativement au harcèlement en milieu de travail.

[36] Quant à M. Bernard, M. Levasseur indique qu’il est un employé du syndicat à titre de représentant retraité de la SRC. Il travaille à temps plein et se rapporte à M. Levasseur et également à Me François Morin, employé de la FNC.

[37] M. Levasseur admet avoir appris le 15 mai 2012 qu’un membre du syndicat faisait l’objet d’une enquête disciplinaire. Ce serait par courriel que l’information aurait été transmise par l’employeur à son bureau. M. Bernard et Me Morin ont également pris connaissance de ce courriel. C’est à cette date que M. M a été suspendu puis convoqué ultérieurement à une rencontre disciplinaire qui a eu lieu le 23 mai 2012. M. Levasseur indique qu’après la réception de ce courriel, M. Bernard a pris les choses en main pour s’assurer que quelqu’un du syndicat puisse accompagner M. M à la rencontre disciplinaire du 23 mai 2012. Il confirme que c’est M. Valencia qui a accompagné M. M, tant le 23 que le 28 mai. Ce serait également dans les jours qui ont suivi, soit le 23 ou le 28 mai, que M. Levasseur aurait appris que la victime du harcèlement était aussi un membre de l’unité de négociation du syndicat. Il reconnaît que M. Valencia savait dès le 23 mai 2012 le nom de la victime et qu’il en avait avisé M. Bernard verbalement.

[38] M. Levasseur déclare ne pas avoir appelé Mme Z et ne pas avoir demandé à M. Bernard ou à qui que ce soit d’appeler Mme Z après le 23 mai. Il soutient que c’était plutôt à l’employeur de faire enquête relativement aux allégations de la plaignante à l’endroit de M. M et que, dans des cas semblables, la participation du syndicat est plutôt ténue. M. Levasseur précise que, dès le lendemain du 28 mai 2012, M. Valencia a cessé de jouer un rôle dans le dossier de M. M. Il aurait alors demandé à Me Morin de prendre en charge le dossier de M. M. Monsieur Levasseur indique qu’il n’a jamais demandé à M. Valencia un rapport écrit ou verbal sur les événements qui se sont déroulés les 23 et 28 mai 2012.

[39] Relativement au grief de M. M déposé le 30 août 2012, M. Levasseur précise que c’est M. M lui-même qui l’aurait rédigé et qui aurait demandé au syndicat de le déposer. M. Levasseur reconnaît que le syndicat a demandé deux prolongations de délai à l’employeur pour M. M afin de lui permettre de déposer un grief vu la non-collaboration de l’employeur et de Mme Z, et sachant que M. M voulait contester son congédiement.

[40] M. Levasseur indique que le syndicat n’a pas de ligne directrice ou de politique relativement à une situation comme celle de M. M et de Mme Z, c’est-à-dire, lorsque deux membres du syndicat ont des intérêts opposés. Il indique qu’un dossier est ouvert lorsqu’un membre dépose un grief, et que dans le cas de la plaignante, il a demandé à Me Morin de prendre en charge son dossier lorsqu’elle a déposé son grief.

[41] M. Levasseur allègue qu’en aucun temps la plaignante n’a contacté le syndicat avant de déposer son grief. Après le 13 juin 2012, soit une fois que Mme Z eut déposé son grief, Me Morin est entré en contact avec le procureur de Mme Z pour convoquer une rencontre relativement aux faits invoqués dans ledit grief. Relativement aux réponses écrites du syndicat à la plainte de Mme Z transmises les 5 et 19 décembre 2012, dans lesquelles il nie qu’au cours de la rencontre du 23 mai 2012 le nom de Mme Z a été mentionné, M. Levasseur indique avoir lu ces observations, ainsi que Me Morin. Il précise toutefois que ces observations ont été rédigées par le service juridique de la CSN auquel le mandat avait été confié le 3 juillet 2012. Il précise ne pas avoir parlé ni à M. M ni à M. Valencia pour vérifier le contenu des observations.

[42] Interrogé par le procureur du syndicat, M. Levasseur explique la démarche entreprise par le syndicat le 19 novembre 2013 aux fins de séparer les deux griefs touchant deux membres d’une même unité, soit la plaignante et M. M. Ainsi, Mme Z serait représentée par un procureur de l’extérieur, indépendant de la FNC et de la CSN, et aurait le soutien de M. Bernard de la CSN. M. M, quant à lui, serait représenté par un avocat d’un cabinet de l’extérieur, indépendant de la CSN, soit celui de Laplante & Associés, et serait accompagné par M. Robert Fontaine.

IV. Les plaidoiries

A. La plaignante

[43] La plaignante invite le Conseil à examiner la manière dont le syndicat a agi lorsqu’il a su que M. M était congédié le 28 mai 2012, et particulièrement une fois qu’elle a déposé son grief le 13 juin 2012. La plaignante allègue qu’elle a été sans nouvelle de son syndicat par suite de la dénonciation des agissements de M. M à la mi-mai 2012 auprès de son employeur et qu’elle a dû elle-même déposer son grief dénonçant le harcèlement dont elle était victime de la part de son agresseur.

[44] La plaignante estime que son refus de collaborer à l’enquête du syndicat est tout à fait justifié. Elle est d’avis qu’elle n’a pas à fournir des renseignements ou communiquer des éléments de preuve au syndicat qui pourraient servir à disculper son harceleur et mettre en doute sa crédibilité. Une telle demande, soutient la plaignante, est d’autant plus contestable, en sachant que son harceleur fait présentement l’objet d’accusations criminelles.

[45] La plaignante souligne que ses intérêts sont irréconciliables avec ceux du syndicat. D’une part, le grief déposé comporte trois volets et trois défendeurs, dont le syndicat. D’autre part, le syndicat ne peut défendre un harceleur, désigné par lui-même pour agir à titre de représentant syndical, et sa victime. Le fait qu’ils soient membres du même syndicat n’a aucune incidence soutient la plaignante. Selon elle, le conflit d’intérêts porte sur le fait qu’un représentant du syndicat aurait abusé de sa position de délégué pour porter atteinte à ses droits fondamentaux.

[46] La plaignante ajoute qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle et que les redressements recherchés sont tout à fait légitimes. Elle estime de plus que le syndicat devrait assumer les honoraires encourus dans le cadre de la présente plainte.

[47] La plaignante allègue que le syndicat envoie un « néophyte », de bonne foi, pour accompagner M. M les 23 et 28 mai 2012. Le mandat de M. Valencia s’est terminé immédiatement après le 28 mai 2012, selon le témoignage de M. Levasseur. M. Bernard, employé du syndicat, est immédiatement informé des résultats de la rencontre du 23 mai par M. Valencia. Il sait que la plaignante, membre de l’unité, est la victime. Selon la plaignante, il aurait été normal que le syndicat, dès lors, communique avec elle dans les 24 heures suivant les événements du 23 ou du 28 mai 2012. La plaignante allègue que le syndicat n’a rien fait pour prendre en compte ou protéger ses intérêts.

[48] Dès le 23 mai 2012, soutient la plaignante, deux dossiers auraient dû être ouverts par le syndicat. Le conflit d’intérêts était évident. Dès le 23 mai 2012, M. M a avoué ses fautes. La réunion a d’ailleurs duré une heure selon le témoignage de M. Valencia. Le syndicat aurait dû, dès lors, engager deux avocats et se retirer des dossiers. Elle souligne que dans la convention collective liant les parties, le syndicat s’est engagé à ne pas exercer ou tolérer la discrimination au travail (article 29.1 de la convention). La plaignante allègue que le syndicat a l’obligation, comme l’employeur, de protéger toute personne contre le harcèlement et la discrimination au travail.

[49] La preuve révèle que, pendant toute la période de l’été 2012, la plaignante a demandé au syndicat s’il avait déposé un grief au nom de M. M. Le syndicat ne lui a jamais répondu. Se pose aussi la question de savoir pourquoi le syndicat a nié, jusqu’en septembre 2013, avoir connu l’identité de la victime avant le 13 juin 2012, soit le jour où elle a déposé son grief? Le syndicat savait pourtant depuis le 23 mai 2012 que c’était la plaignante qui avait déposé la plainte de harcèlement contre M. M. M. Valencia en avait d’ailleurs informé M. Bernard. La plaignante estime que ce dossier révèle qu’il y a eu négligence et mauvaise foi de la part du syndicat, contrevenant ainsi à l’article 37 du Code. Elle insiste également pour dire que la solution préconisée par le syndicat dans sa lettre du 19 novembre 2013 est inacceptable et réitère que les mesures de redressement demandées dans sa plainte sont justifiées dans les présentes circonstances.

B. Le syndicat

[50] Le syndicat estime qu’il n’a rien à se reprocher. Relativement aux déclarations faites dans la lettre du 9 septembre 2013, selon lesquelles M. Valencia avait été mis au courant dès le 23 mai 2012 de l’identité de Mme Z, il soutient que ce n’est qu’en septembre 2013 que M. Valencia a informé le procureur du syndicat que l’identité de Mme Z avait été dévoilée le 23 mai 2012.

[51] Le syndicat nie se trouver en conflit d’intérêts pour représenter la plaignante et avoir agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi à son endroit. Il ajoute qu’avant la réception du grief de la plaignante le 13 juin 2012, il n’a jamais été informé par celle-ci de la situation qu’elle subissait, ni des plaintes qu’elle avait formulées auprès de l’employeur entre l’automne 2009 et le 13 juin 2012. Il ajoute également qu’aucun représentant de l’employeur ne l’a interpellée, ni informée au cours de cette période. Le syndicat allègue que pendant toute cette période, sa conduite était sans reproche.

[52] Après le 15 mai 2012, le syndicat souligne avoir été informé qu’une rencontre disciplinaire aurait lieu le 23 mai 2012 concernant M. M et avoir d’ailleurs demandé à M. Valencia d’accompagner M. M tant le 23 que le 28 mai 2012, jour du congédiement. Le syndicat estime que jusque-là, il ne pouvait rien faire. Du 28 mai 2012 au 13 juin 2012, soit la période permettant à la plaignante de déposer un grief, le syndicat souligne que rien ne laissait présager qu’elle souhaitait le faire. Le syndicat ajoute que, pendant cette période, il savait que M. M voulait déposer un grief mais que ce dernier ne voulait pas collaborer avec lui.

[53] Relativement au grief de la plaignante, le syndicat soutient que Mme Z l’a avisé qu’elle refusait de participer à l’enquête du syndicat. Le syndicat ajoute qu’il voulait obtenir les faits entourant les événements relatés dans le grief de la plaignante, et que c’est d’ailleurs la façon usuelle de procéder pour tous les employés. Le syndicat allègue qu’il n’a pas manqué à son devoir de représentation juste et n’a pas refusé de déposer un grief. Le syndicat précise qu’il a avisé Mme Z, le 22 août 2012, qu’il ne renverrait pas le grief à l’arbitrage, parce qu’il n’avait pas les faits lui permettant de le faire.

[54] Le syndicat souligne que ni M. M ni la plaignante ne voulaient collaborer, pas plus que l’employeur. Il admet que l’employeur a refusé de lui transmettre tout élément de preuve recueilli dans le cadre de son enquête, notamment l’enregistrement vidéo que lui a remis la plaignante. Le syndicat ajoute qu’à plusieurs reprises depuis le 13 juin 2012, il a demandé la collaboration de la plaignante afin de mener ses enquêtes, tant celles concernant le congédiement de M. M que le grief de la plaignante, mais que le procureur de cette dernière a clairement fait savoir que sa cliente ne voulait pas participer à l’enquête du syndicat ou divulguer ses éléments de preuve.

[55] Le syndicat souligne que n’ayant pu compléter son enquête, faute de collaboration de la part de l’employeur et de la plaignante, il n’avait d’autres choix que de déposer un grief contestant le congédiement de M. M, soutenant que l’employeur avait refusé de prolonger le délai pour ce faire au-delà du 31 août 2012. Il ajoute que son devoir de représentation juste s’étend à l’ensemble des employés de Radio-Canada visés par la portée intentionnelle de l’unité de négociation qu’il représente.

[56] Le syndicat ajoute que la décision McRaeJackson, 2004 CCRI 290 (McRaeJackson), prévoit l’obligation pour un employé de collaborer avec son syndicat dans le cadre d’une procédure de grief. Il insiste pour dire qu’un grief appartient au syndicat et non à l’employé et que, dans ce cas-ci, aucune collaboration n’a été offerte par la plaignante pour faire avancer le grief.

[57] Le syndicat souligne qu’il y a absence de conflit d’intérêts de sa part, contrairement à ce qu’allègue Mme Z, du moins, aucune preuve n’a été démontrée en ce sens. Il ajoute qu’il peut défendre adéquatement les intérêts de la plaignante lors de l’arbitrage du grief. Le syndicat précise qu’il est le titulaire du grief et qu’un arbitre de griefs n’a pas la compétence pour rendre des ordonnances à l’égard de M. M ou de l’intimé. Il soutient également que les mesures de redressements recherchées par la plaignante sont injustifiées et qu’il est en mesure de prendre les dispositions nécessaires pour assurer à chacun de ses membres une défense pleine et entière en s’assurant, notamment, que les procureurs ne soient pas les mêmes.

[58] Le syndicat conclut que rien dans la preuve entendue ne montre qu’il a manqué à son devoir de représentation juste et demande au Conseil de rejeter la plainte.

C. L’employeur

[59] La procureure de l’employeur demande au Conseil d’agir avec prudence relativement aux conclusions de faits de la présente affaire, étant donné que le grief fera l’objet d’un éventuel arbitrage et que le fond de l’affaire relève d’un arbitre de grief.

V. Analyse et décision

[60] Le devoir de représentation juste du syndicat est décrit à l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[61] Les principes généraux qui régissent le devoir de représentation juste ont été énoncés comme suit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509 (Gagnon) :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

(page 527)

[62] La Cour suprême du Canada a reconnu les difficultés auxquelles un syndicat est confronté lorsque plusieurs membres d’une même unité ont des intérêts divergents. Dans l’arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298 (Gendron), le syndicat avait choisi de représenter trois employés qui n’avaient pas été retenus pour combler un poste chez l’employeur, la Monnaie royale canadienne, et ce, au détriment de l’intimé qui avait été désigné pour combler le poste. À la suite d’une réévaluation effectuée par l’employeur, la candidature de l’un des trois employés représentés par le syndicat a été retenue. L’intimé a intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.

[63] La question centrale devant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gendron, précité, était de déterminer si les tribunaux ordinaires avaient compétence pour entendre une réclamation contre un syndicat, fondée sur un manquement au devoir de représentation juste. La Cour a conclu que la demande de l’intimé aurait dû être soumise au Conseil canadien des relations du travail (le prédécesseur du présent Conseil). Ce faisant, la Cour a également examiné les principes régissant le devoir de représentation juste d’un syndicat, y compris les principes formulés dans l’arrêt Gagnon, précité, et dit ceci lorsqu’un syndicat est aux prises avec les intérêts d’un employé au détriment des intérêts d’autres employés d’une même unité de négociation :

Les principes formulés dans l’arrêt Gagnon prévoient clairement un processus d’équilibration. Comme l’indique la présente situation, un syndicat doit, dans certaines circonstances, faire un choix entre des intérêts opposés pour résoudre un différend. En l’espèce, le choix du syndicat était clair en raison de l’erreur manifeste commise dans le processus de sélection. Le syndicat n’avait d’autre choix que d’adopter la position qui serait conforme à l’interprétation appropriée de la convention collective. Lorsque les employés ont des intérêts opposés, le syndicat peut choisir de défendre un ensemble d’intérêts au détriment d’un autre pourvu que sa décision ne découle pas des motifs irréguliers décrits précédemment et pourvu qu’il examine tous les facteurs pertinents. Le choix de présenter une demande plutôt qu’une autre ne peut en soi faire l’objet d’une objection. Ce sont plutôt les motifs sous-jacents et la méthode utilisée pour effectuer ce choix qui peuvent faire l’objet d’une objection.

(c’est nous qui soulignons)

(pages 1328 – 1329)

[64] Le syndicat peut avoir à faire un choix entre les intérêts opposés des membres si ce choix est fondé sur un raisonnement rationnel et objectif qui prend en considération tous les facteurs pertinents. Tel qu’il est indiqué dans l’arrêt Gendron, précité, ce sont les motifs sous-jacents et la méthode utilisée pour effectuer ce choix qui peuvent faire l’objet d’un manquement au devoir de représentation juste.

[65] Par delà ces principes, le Conseil a souligné dans sa jurisprudence le défi auquel fait face un syndicat lorsqu’il doit représenter plus d’un de ses membres dans une situation de harcèlement au travail. Dans ces circonstances, le Conseil a précisé que le syndicat doit agir avec prudence et de façon judicieuse.

[66] Dans M. G, 2007 CCRI 399 (M. G), l’employeur avait congédié le plaignant à la suite de plaintes de harcèlement déposées par trois collègues. Dans la même journée, le président de la section locale du syndicat avait communiqué avec le procureur du syndicat afin de discuter de mesures à prendre relativement à ce grief de congédiement. Le procureur avait alors avisé le syndicat qu’il devait agir avec prudence, car le congédiement concernait les préoccupations, les intérêts et les droits de trois membres de la même section locale ainsi que ceux du plaignant. Le procureur avait également conseillé au syndicat de déposer un grief afin de respecter le délai prévu par la convention collective et de tenir une enquête portant sur les allégations. Le syndicat avait demandé au procureur de diriger l’enquête pour le compte de la section locale et de lui remettre son rapport. Après l’enquête, le syndicat avait décidé de ne pas porter le grief de congédiement à l’arbitrage vu le peu de chance de succès. Le Conseil, après avoir examiné le comportement du syndicat dans cette affaire, a rejeté la plainte et a dit ceci :

[167] Le syndicat qui apprend que l’un de ses membres fait l’objet d’allégations de harcèlement (sexuel ou autre) au travail de la part d’autres employés fait face à un dilemme. Il se trouve dans la situation de représenter un employé contre d’autres employés, ce qui l’oblige à agir avec prudence et de façon judicieuse.

[168] En l’espèce, le syndicat a jugé qu’une enquête menée par un avocat était un meilleur gage d’objectivité qu’une enquête interne. Il a vu juste en concluant qu’il se trouvait dans une situation difficile. Comparativement à un simple renvoi justifié, la situation nécessitait cette fois-ci de soupeser les intérêts divergents des employées qui s’étaient plaintes et du membre qui avait été congédié. Le syndicat devait aussi composer avec l’épineuse question de la politique interne de la section locale en raison des liens familiaux qui existaient entre les employées, d’autres employés de Allied et le conseil exécutif du syndicat.

[169] Ainsi, le syndicat a agi de façon judicieuse en retenant les services d’une personne de l’extérieur pour examiner la situation. Que le syndicat se soit tourné vers son propre procureur pour mener l’enquête est une décision aussi défendable qu’une autre, puisque Me Klug représentait la section locale depuis un certain nombre d’années et qu’il avait de l’expérience dans ce genre de dossiers. Le syndicat a été aussi bien avisé de permettre au procureur de décider de la façon dont il mènerait l’enquête afin d’en garantir l’objectivité. L’opinion du Conseil sur la manière dont l’enquête a été menée n’est d’aucun intérêt ici. L’important c’est que l’enquête a été effectuée par une personne qui était étrangère à la situation et qui était capable de comparer les faits tels qu’ils avaient été présentés par les témoins. Il lui appartenait d’apprécier ces faits en tenant compte de son expérience et de fournir une opinion fondée sur le succès de griefs semblables à l’arbitrage.

[170] Le plaignant a prétendu que le procureur ne l’avait pas rencontré, alors qu’il avait rencontré les employées, et qu’il s’était entretenu avec lui uniquement par téléphone. Si l’absence de contact personnel peut sembler avoir joué en sa défaveur, rien ne permet de conclure que ce fait en lui-même a eu un effet négatif sur l’opinion du procureur. Rien ne prouve que le plaignant a demandé à le rencontrer ou qu’il n’a pas eu l’occasion d’exposer pleinement sa version des événements qui ont donné lieu à son congédiement. S’il était mal à l’aise d’exposer sa version des faits par téléphone, il n’avait qu’à le dire clairement. S’il désapprouvait la façon dont s’était tenue l’enquête, rien ne l’empêchait de rédiger une déclaration et de la remettre au syndicat. Il n’avait pas besoin des conseils d’une personne de l’extérieur pour faire cela. Rien ne prouve que les entrevues ont par ailleurs été menées de manière arbitraire.

[171] Le procureur avait aussi pour mandat d’évaluer la crédibilité des témoins, c’est-à-dire dans quelle mesure la version des faits du plaignant était susceptible d’être jugée digne de foi par un arbitre, par rapport à celle des employées. La crédibilité est une qualité qui est difficile à apprécier et ce n’est en aucun cas une science objective. Elle est affaire de personnalité, d’émotions, de perception et d’expérience.

[67] Dans Stolp (1998), 107 di 1; et 43 CLRBR (2d) 315 (CCRT no 1226), le Conseil a conclu que le syndicat avait agi de façon arbitraire et qu’il avait enfreint l’article 37 du Code, car il n’avait pas mené d’enquête indépendante à la suite d’une plainte de harcèlement sexuel déposée contre le plaignant. Le Conseil a fait observer ce qui suit lorsqu’une plainte est déposée par un membre contre un autre :

Lorsqu’une plainte est déposée par un syndiqué contre un autre syndiqué, les intérêts en cause de part et d’autre sont très puissants. Le plaignant est intéressé par l’issue de la plainte autant sur le plan personnel que sur le plan de sa réputation. Pour le présumé auteur de l’infraction, l’enjeu se définit en termes d'emploi, celui-ci se trouvant menacé, et de réputation. Le syndicat se trouve tout simplement dans une situation « sans issue ».

Le moins que l’on puisse dire, c'est que le syndicat est placé dans une situation difficile lorsque des plaintes de harcèlement sexuel mettent en cause ses propres membres. Le processus est, dans la plupart des cas, défini par une directive de l’employeur. Il n’est souvent pas décrit dans la convention collective, et le syndicat n'a rien à voir avec sa promulgation ou sa mise en œuvre.

En l’instance, le processus de traitement des plaintes et d’enquête est décrit dans une directive de l’employeur (pièce 6.27), qui ne prévoit pas la confrontation des témoins ou de l’auteur de la plainte à l’étape de l’enquête du comité, un point, soutient l’avocat de M. Stolp, que le syndicat aurait dû faire valoir au nom du plaignant.

Nous sommes d’avis, étant donné les intérêts divergents en cause, que le syndicat a pris les mesures voulues pour aider M. Stolp pendant l'enquête au sujet de la plainte de harcèlement sexuel. C’est après le congédiement de M. Stolp que le syndicat a manqué à ses obligations, aux termes de l’article 37, de représenter M. Stolp et de donner suite au grief de ce dernier.

Toutefois, en ne menant pas d’enquête indépendante à la suite de la plainte de harcèlement sexuel (comme il a été mentionné précédemment), en n’examinant pas en détail le dossier disciplinaire de M. Stolp, en n’en discutant pas avec lui pour vérifier la description dont en faisait l’employeur et, enfin, en ne considérant pas convenablement l’application de l’article 2A.4 de la convention collective au dossier de M. Stolp, le syndicat, en l’espèce, a agi de façon arbitraire et a enfreint l’article 37 du Code.

(pages 4, 5 et 6; et 317 – 318)

[68] Il se dégage des décisions citées ci-dessus que le syndicat doit maintenir son objectivité lorsqu’il fait enquête dans des cas de harcèlement entre plusieurs membres d’une même unité. Le Conseil estime que le syndicat doit également faire preuve d’objectivité dans la prise de décision de représenter, ou non, l’un ou l’autre de ses membres et doit s’assurer d’éviter toute apparence de préjugé favorable à l’égard d’un membre au détriment d’un autre. Par ailleurs, le Conseil estime que le syndicat doit agir avec plus de prudence lorsqu’un des membres en question est lui même un délégué syndical, comme dans le cas présent.

[69] Dans la présente affaire, il est indéniable que le syndicat, dès le 15 mai 2012, faisait face à une situation pour le moins difficile et délicate lorsqu’il a été avisé que M. M, employé de RCI et délégué syndical, faisait l’objet d’une enquête disciplinaire. La lettre d’avis d’enquête, laquelle a été transmise également au syndicat dit, entre autres, ceci :

Le ou vers le 14 mai 2012, ainsi qu’à plusieurs reprises précédent cette date, vous auriez fait preuve d’agissements inacceptables ayant pour conséquence d’indisposer de façon importante une collègue de travail.

[70] M. M a été dès lors suspendu et empêché d’entrer en contact avec la plaignante. M. M a été avisé le 18 mai 2012 qu’une rencontre disciplinaire aurait lieu le 23 mai. Le syndicat a reçu une copie de ce courriel transmis à M. M. Messieurs Levasseur et Bernard et Me Morin ont pris connaissance du courriel. M. Bernard a alors entrepris des démarches pour s’assurer que M. M soit accompagné à la rencontre disciplinaire du 23 mai 2012. Il a alors demandé à M. Valencia, nouveau délégué syndical en poste depuis 22 jours, sans expérience en la matière, d’accompagner M. M. La rencontre a duré environ une heure. La lettre de congédiement du 28 mai 2012 remise à M. M fait état des allégations formulées contre lui qui ont été portées à son attention lors de la rencontre disciplinaire du 23 mai 2012. La lettre de congédiement dit entre autres ceci :

En 2010, vous avez reçu une lettre de votre collègue, dans laquelle elle vous exhortait à cesser votre comportement inapproprié. En avril et en juin 2011, le soussigné a exigé que vous arrêtiez de déranger cette employée et vous a clairement interdit de vous approcher d’elle ou de la section chinoise.

Vous avez incontestablement fait fi de ces avertissements et instructions, et vous avez continué à agir de manière inappropriée envers votre collègue.

Au cours de la rencontre disciplinaire du 22 mai 2012, vous avez reconnu avoir reçu des instructions claires de la part de votre gestionnaire. Vous avez également reconnu y avoir désobéi.

Toujours au cours de la rencontre du 22 mai, vous avez admis être allé au poste de travail de votre collègue à de nombreuses occasions tôt le matin, alors qu’il n’y avait encore personne au bureau. Vous avez admis être demeuré là pendant plusieurs minutes à de nombreuses occasions depuis avril 2012. Vous avez admis avoir manipulé l’équipement de travail de votre collègue (téléphone, souris), mais vous n’avez pas admis avoir laissé une substance humide sur cet équipement. Vous avez fait ces aveux après avoir été relancé plusieurs fois à propos des explications que vous tentiez de nous donner.

(traduction)

[71] M. Valencia a accompagné M. M lors de sa deuxième rencontre de congédiement le 28 mai 2012.

[72] M. Valencia a été dessaisi du dossier de M. M à partir du 28 mai 2012, comme l’a indiqué M. Levasseur. Selon ce dernier, M. Valencia a joué un rôle ténu dans le dossier de M. M. C’est d’ailleurs M. Bernard, et non M. Valencia, qui aurait reçu copie de la lettre de congédiement de M. M. M. Levasseur a demandé à Me Morin de prendre en charge le dossier de congédiement de M. M à partir du 28 mai 2012.

[73] La preuve montre que, dès le 23 mai, soit après la rencontre disciplinaire, M. Valencia a fait un rapport verbal, par téléphone, à M. Bernard et lui a mentionné le nom de la prétendue victime, soit Mme Z, membre aussi du syndicat. Le syndicat savait donc dès le 15 mai 2012 que son délégué syndical depuis plus de 15 ans à RCI, faisait l’objet d’une enquête disciplinaire et savait depuis le 28 mai que ce dernier avait été congédié pour harcèlement à l’endroit d’une collègue et membre de la même unité de négociation. Le nom de cette dernière a été porté à l’attention de M. Valencia et M. Bernard dès le 23 mai. Le syndicat savait également que M. M faisait l’objet de sérieuses accusations de harcèlement, tel qu’il est indiqué dans la lettre de congédiement, laquelle avait été transmise également au syndicat.

[74] Le syndicat a-t-il dès lors traité cette affaire, pour le moins très délicate, avec prudence, de façon judicieuse et objective lorsqu’il a été mis au courant que son délégué syndical était congédié à la suite d’allégations de harcèlement sexuel à l’égard de la plaignante?

[75] Le témoignage de M. Levasseur est clair. Le syndicat n’a pas de ligne directrice ou politique relativement à une situation où deux de ses membres sont opposés l’un à l’autre, comme dans le cas présent. Le syndicat ouvre un dossier lorsqu’un membre dépose un grief. C’est ce qu’il a fait lorsque la plaignante a déposé son grief de harcèlement le 13 juin 2012. En d’autres termes, le syndicat a traité le grief de M. M et celui de la plaignante comme de simples griefs, sans tenir compte des intérêts divergents des deux membres de l’unité.

[76] Ainsi, entre le 23 mai 2012 et le 15 juin 2012, personne du syndicat – ni M. Bernard, ni Me Morin, ni M. Levasseur, lesquels savaient ou auraient dû savoir, selon la preuve entendue, que Mme Z avait déposé la plainte de harcèlement – n’est entré en contact avec la plaignante pour faire enquête ou connaître sa version des faits. La seule personne ayant communiqué avec la plaignante pendant cette période était M. Valencia, mais il s’agissait d’une réunion informelle, entre collègues. De plus, sa participation au dossier était ténue, selon le témoignage de M. Levasseur.

[77] Il est pour le moins curieux que dans ses observations écrites déposées les 5 et 19 décembre 2012, soit plusieurs mois après le congédiement de M. M, le syndicat niait que le nom de la plaignante avait été mentionné lors de la rencontre du 23 mai 2012, et que ce ne serait que le 13 juin 2012, soit le jour où la plaignante a déposé son grief que le syndicat en avait été informé. Pourtant, dès le 23 mai 2012, M. Valencia a informé M. Bernard que la prétendue victime était Mme Z. La preuve révèle que ce n’est que vers le mois de septembre 2013, soit plus d’une année après les événements du 28 mai 2012, que le syndicat a admis que le nom de la plaignante avait été mentionné le 23 mai 2012.

[78] Selon M. Levasseur, il revenait plutôt à l’employeur de faire enquête relativement aux allégations de la plaignante à l’endroit de M. M. Il estime que dans des cas semblables, la participation du syndicat est plutôt ténue. Le Conseil est plutôt d’avis que, face à la complexité du dossier dont était saisi le syndicat, lequel mettait en cause deux de ses membres, dont un était délégué syndical, il incombait au syndicat de garantir immédiatement l’objectivité qu’un dossier semblable requiert, et ce, même s’il revenait à l’employeur de faire l’enquête initiale.

[79] Une plainte de harcèlement sexuel est une affaire sérieuse qui pourrait avoir des conséquences importantes tant pour la personne qui se dit victime de harcèlement que pour celle qui est accusée de harcèlement. Or, dans la présente affaire, le syndicat n’a pris aucune mesure immédiate pour garantir son objectivité. M. Bernard a entrepris des démarches pour protéger les intérêts de M. M lorsqu’il a appris que ce dernier faisait l’objet d’une enquête disciplinaire et a envoyé M. Valencia assister aux réunions avec M. M et l’employeur. M. Levasseur a demandé à Me Morin de prendre en charge le dossier de M. M dès le congédiement de ce dernier.

[80] Dans la présente affaire, les actions du syndicat ne montrent pas qu’il a soupesé les intérêts divergents de ses deux membres. Avant même le dépôt du grief de la plaignante, les actions du syndicat démontraient un manque d’objectivité. En effet, le syndicat a entrepris plusieurs démarches pour protéger les intérêts de M. M, alors qu’aucune démarche n’a été entreprise auprès de Mme Z pour protéger les siens, lorsqu’il a pris connaissance de l’identité de la plaignante le 23 mai 2012. Ce n’est qu’après le dépôt du grief de la plaignante que le syndicat a décidé de communiquer avec cette dernière pour faire enquête. Ce faisant, le syndicat n’a pas séparé les deux dossiers et a demandé aux mêmes individus qui ont représenté les intérêts de M. M de mener l’enquête auprès de Mme Z.

[81] Par ailleurs, il est utile de rappeler que la plaignante réclamait également des dommages contre le syndicat dans son grief daté du 13 juin 2012. Sans se prononcer sur la validité d’une telle procédure, le Conseil estime qu’à tout le moins, le fait d’avoir nommé le syndicat dans le grief ajoute à la complexité de la situation et à l’obligation du syndicat d’agir avec prudence et de traiter le grief de Mme Z de manière objective, indépendamment du grief de M. M.

[82] Le syndicat reproche à la plaignante son manque de collaboration à l’enquête de son grief déposé le 13 juin 2012. Il soutient que, dès le 15 juin 2012, il voulait obtenir les faits entourant les événements relatés dans le grief de la plaignante, comme il le fait d’ailleurs pour tous les autres griefs, et que c’est pour cette raison qu’il aurait informé Mme Z, le 22 août 2012, qu’il ne renverrait pas le grief à l’arbitrage. Le syndicat soutient également que, n’ayant pu compléter son enquête, faute de collaboration de la part de Mme Z et de l’employeur, il n’a pas eu d’autre choix que de déposer un grief contestant le congédiement de M. M.

[83] Il est vrai que le syndicat a communiqué avec le procureur de la plaignante vers la mi juin 2012 pour que cette dernière participe à une enquête relativement au grief qu’elle venait de déposer. Le 27 juin 2012, le procureur de la plaignante informait le syndicat que sa cliente avait été déclarée inapte à travailler et qu’étant donné que le grief avait été déposé contre M. M, l’employeur et le syndicat lui-même, elle ne divulguerait pas les éléments de sa preuve contre M. M.

[84] Dans McRaeJackson, précitée, le Conseil a résumé l’obligation des employés de collaborer avec leur syndicat, en ces termes :

[15] Le devoir de représentation juste du syndicat suppose que les employés fassent le nécessaire pour protéger leurs propres intérêts. Ils doivent informer le syndicat des possibilités de griefs et lui demander d’agir en leur nom dans les délais prévus par la convention collective. Ils doivent coopérer avec le syndicat durant toute la procédure de règlement des griefs, par exemple en lui fournissant les renseignements nécessaires à son enquête sur le grief ainsi qu’en se soumettant à tous les examens médicaux ou autres qu’il leur demande de subir.

[16] Les employés doivent aussi se conformer aux conseils du syndicat sur la façon de se comporter durant la procédure de règlement des griefs. En outre, ils doivent s’efforcer de minimiser leurs pertes, par exemple en cherchant un nouvel emploi s’ils ont été renvoyés, ou en suivant des cours si cela peut augmenter leurs chances de trouver un nouvel emploi.

[85] Toutefois, la participation du plaignant n’est qu’un facteur parmi d’autres que le Conseil prend en compte lorsqu’il examine la conduite du syndicat dans le cadre d’une plainte alléguant un manquement au devoir de représentation juste. En effet, dans McRaeJackson, précitée, le Conseil a énoncé d’autres facteurs importants de la manière suivante :

[36] De plus, les droits qu’un employé veut faire respecter peuvent être incompatibles avec ceux d’autres membres de l’unité de négociation dans des affaires concernant les droits d’ancienneté au moment d’une promotion ou d’une mise en disponibilité, ainsi que dans des affaires de réintégration entraînant la supplantation d’un autre employé. Lorsqu’il décide de porter un grief donné à l’arbitrage ou pas, le syndicat doit agir équitablement. Tant qu’il a dûment tenu compte des intérêts de chaque partie, il n’est pas tenu de représenter chaque employé lésé.

[37] Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a : a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, y compris la version de l’employé, b) déterminé si le grief était fondé, c) tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l’employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

[86] Dans Cadieux c. Syndicat uni du transport, section locale 1415, 2014 CAF 61, la Cour d’appel fédérale s’est récemment penchée sur la question du manque de participation d’un plaignant dans le cadre du processus de grief dans le contexte d’une plainte alléguant un manquement au devoir de représentation juste. Le Conseil a rejeté une plainte en vertu de l’article 37 du Code, parce que le plaignant n’avait pas participé à la réunion du comité exécutif et de celle des membres du syndicat au cours desquelles son grief de congédiement avait été discuté. La Cour a conclu que la décision du Conseil, qui était fondée uniquement sur la conduite du plaignant et qui n’examinait pas la conduite du syndicat, était déraisonnable. La Cour a confirmé que le Conseil devait examiner la conduite du syndicat afin de déterminer le caractère juste et équitable de son enquête au sujet du grief de congédiement et de sa décision de ne pas renvoyer ce grief à l’arbitrage, plutôt que d’examiner uniquement la conduite du plaignant :

[33] En conséquence, lorsqu’il est saisi d’une plainte en vertu de l’article 37 du Code, le Conseil doit à tout le moins examiner les questions suivantes (Lamolinaire c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, précité au para. 36) :

(a) L’enquête menée par le syndicat était-elle superficielle ou approfondie?

(b) Le syndicat a-t-il obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée?

(c) Existait-il des conflits qui auraient influencé la décision du syndicat?

[34] Or, dans la présente affaire le Conseil n’a nullement examiné ces questions. Il s’est contenté de conclure que le demandeur n’avait pas participé à la réunion du comité exécutif et celle des membres du Syndicat au cours desquelles son grief de congédiement fut discuté. Ce faisant, le Conseil s’est cru délié d’examiner toute autre question, dont notamment si l’enquête du Syndicat au sujet du grief de congédiement était approfondie et si le Syndicat avait obtenu suffisamment de renseignements pour en arriver à une décision avisée en ce qui concerne le refus de déférer ce grief à l’arbitrage.

[35] Quoique la participation d’un salarié au processus d’enquête et de décision de son syndicat soit un facteur qui puisse être tenu en compte dans l’évaluation de la conduite d’un syndicat quant au traitement d’un grief, le simple fait que l’employé ne participe pas pleinement au processus ne peut, en soi, empêcher le Conseil de conclure que le syndicat n’a pas rempli son obligation de représentation juste et équitable, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un grief de congédiement.

[36] C’est dans l’affaire Jacques Lecavalier c. La Cie Seaforth Fednav Inc. (1983), 54 di 100 que l’ancien Conseil canadien des relations du travail énonçait pour la première fois le principe de l’obligation de l’employé de prêter assistance au syndicat pour la défense de son grief, entre autres en lui fournissant les informations pertinentes. Par contre, le simple fait qu’un employé n’ait pas participé pleinement au processus ne délie pas le syndicat de son devoir de représentation juste et équitable, chaque cas devant être examiné en fonction des circonstances en cause : Soufiane c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité (1991), 84 di 187. Ce principe a été repris par le Conseil, notamment dans Virginia McRaeJackson et autres, précité aux paras. 15 et 16.

[37] Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce qui est en cause dans une plainte sous l’article 37 du Code est la conduite du syndicat, et non celle du plaignant. La conduite de ce dernier dans le cadre de l’enquête et de l’évaluation du syndicat peut certes être prise en compte afin de décider du caractère juste et équitable de cette enquête et évaluation; néanmoins, il incombe toujours au syndicat d’assumer son devoir de représentation.

[87] Ainsi, bien que la participation de la plaignante puisse être un facteur à prendre en compte dans l’évaluation de la conduite du syndicat, le fait que la plaignante n’a pas participé au processus d’enquête n’est pas déterminant en soi. Le Conseil estime que, s’il y a eu un manque de collaboration de la part de la plaignante dans la présente affaire, cela n’a pas pour effet d’exonérer le syndicat quant à sa conduite dans le cadre du traitement du grief de harcèlement de la plaignante.

[88] Le Conseil estime, à la lumière de la preuve présentée, que le syndicat avait en sa possession, dès le 28 mai 2012, des éléments de preuve importants lui permettant de comprendre l’ampleur des allégations et la nature extrêmement délicate du dossier mettant en cause un membre de l’unité contre un autre membre qui était également un délégué syndical. Il est utile de rappeler que M. Valencia avait rencontré la plaignante avant qu’elle soit déclarée inapte à travailler. M. Valencia avait également assisté aux réunions avec l’employeur et M. M. Toutefois, le syndicat n’a vraisemblablement pas tenu compte de ces éléments de preuve lors de son enquête. Il est utile de noter que le syndicat a décidé de poursuivre les intérêts de M. M, alors qu’il estimait que ce dernier n’avait pas non plus collaboré avec le syndicat dans le cadre de son grief de congédiement. Cela démontre que le syndicat avait déjà certains éléments de preuve importants et que le manque de collaboration ne l’a pas empêché de poursuivre les intérêts de M. M. Le syndicat a simplement décidé de poursuivre les intérêts de M. M au prétexte que Mme Z avait refusé de collaborer, sans prendre en compte les motifs sous-jacents à son refus de participer à l’enquête, ni les éléments de preuve qu’il avait déjà à sa disposition.

[89] Le libellé même du grief de M. M, déposé le 30 août 2012, démontre que le syndicat a choisi de représenter les intérêts de M. M au détriment de ceux de Mme Z, compte tenu du manque de collaboration de cette dernière. L’exposé du grief dit entre autres ceci : « Considérant le devoir de représentation du syndicat, lequel se heurte au refus ou à l’incapacité d’une personne membre du syndicat de participer d’une façon ou d’une autre à l’enquête syndicale sur ce congédiement, mais aussi dans son propre grief déposé le 13 juin 2012 et pour lequel le syndicat ne peut compter sur aucune collaboration de la plaignante ». Le Conseil estime que les démarches entreprises par le syndicat démontrent que ce dernier s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts à l’égard de Mme Z en poursuivant les intérêts de M. M au détriment de la plaignante, sans prendre en compte les intérêts de cette dernière et en déployant les mêmes personnes qui ont représenté M. M pour faire enquête auprès de Mme Z, sans donner de garantie d’objectivité à la plaignante.

[90] Le syndicat aurait dû savoir qu’à l’arbitrage, soit du grief de Mme Z ou de celui de M. M, il aurait à défendre les intérêts de l’un et de l’autre, ce qui l’aurait placé dans une situation difficile, voire conflictuelle, surtout lorsque le membre accusé de gestes graves avait un statut de délégué syndical. Dans les circonstances, le syndicat devait agir avec plus de prudence afin de garantir l’objectivité de son enquête.

[91] Le syndicat voudrait aujourd’hui, selon les propos de sa lettre transmise à la plaignante le 19 novembre 2013, désigner un procureur pour traiter le dossier de grief de la plaignante et nommer également M. Bernard pour l’assister dans le cadre dudit grief, soit celui-là même qui avait été informé, dès le 23 mai 2012, que la prétendue victime était Mme Z et qui était impliqué dans le dossier de M. M. Même si le syndicat a entrepris des démarches visant à séparer les deux dossiers, la nomination de M. Bernard à titre de représentant syndical de la plaignante démontre que le syndicat n’a toujours pas garanti l’objectivité du processus.

[92] Le Conseil estime qu’à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, le syndicat s’est placé en situation de conflit d’intérêts à l’égard de Mme Z, et ce, face à une situation qui nécessitait une conduite prudente et judicieuse. Il s’agit non seulement d’un conflit mettant en cause deux membres d’une même unité, mais d’un conflit mettant en cause un membre contre un autre membre qui avait aussi le statut de délégué syndical.

[93] Le Conseil est d’avis que la démarche du syndicat, avant et après le dépôt du grief de la plaignante, l’amène à conclure que le syndicat, en l’espèce, a agi de manière arbitraire et a enfreint l’article 37 du Code.

[94] Tel qu’il est indiqué précédemment, le syndicat voudrait désigner le procureur pour traiter le dossier de grief de la plaignante. Sans douter de la compétence et de l’intégrité du procureur proposé par le syndicat pour défendre les droits de Mme Z, le Conseil est d’avis, compte tenu des circonstances de la présente affaire, que la plaignante devrait être représentée à l’arbitrage par le procureur de son choix.

[95] Par conséquent, le Conseil accueille la plainte et fait droit à la demande de la plaignante d’être représentée par le procureur de son choix lors de l’arbitrage de son grief, et ce, aux frais du syndicat.

[96] Le Conseil estime qu’il n’y a pas lieu par ailleurs d’ordonner le remboursement des frais juridiques encourus par la plaignante pour exercer le présent recours.

[97] Il s’agit de la décision de la majorité du Conseil.

Dissidence de M. Daniel Charbonneau, Membre

[98] J’ai lu attentivement les motifs de décision de la majorité dans la présente affaire. Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je n’aurais pas accueilli la plainte.

[99] En effet, je ne peux souscrire à la décision de la majorité de conclure que la démarche du syndicat, avant et après le dépôt du grief de la plaignante, a été faite de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi.

[100] Mme Z, victime de harcèlement entre 2009 et 2012, allègue un manquement au devoir de représentation juste de la part du syndicat.

[101] Mme Z a porté plainte à plusieurs reprises auprès de son employeur, entre le début de 2010 et le mois de mai 2012. En août 2010, la plaignante a fait parvenir une mise en demeure à M. M, dont une copie a été remise à l’employeur, mais non au syndicat. M. M a même rencontré à deux reprises la direction de RCI en 2011 sans que le syndicat ait été mis au courant.

[102] Malgré le fait que, de l’aveu même de Mme Z, rien n’en est résulté des plaintes faites à la direction de RCI, la plaignante n’a jamais cherché à entrer en contact avec le syndicat, étant persuadée à tort que ce dernier était au courant.

[103] Ce n’est que vers la mi-mai 2012 que les choses ont commencé à changer pour Mme Z. Cette dernière a enregistré sur vidéo les agissements de M. M et en a remis une copie à l’employeur. Le syndicat n’a jamais eu accès à la preuve vidéo.

[104] Le 15 mai 2012, le syndicat a été informé par l’employeur qu’un avis d’enquête a été transmis à M. M. Ce dernier a de plus été avisé de ne pas se présenter au travail.

[105] La même journée, la direction de RCI a invité Mme Z à remplir et retourner le formulaire intitulé « Rapport d’incident violent ». Le syndicat n’a pas été informé de la démarche de l’employeur, ni n’a reçu de copie du formulaire, du moins à cette époque.

[106] Le 18 mai 2012, M. M a été convoqué à une rencontre disciplinaire prévue pour le 23 mai 2012. Une fois qu’il a été avisé de cette rencontre, le syndicat a demandé à M. Valencia, délégué syndical, d’y assister.

[107] Le 28 mai 2012, M. M s’est vu remettre sa lettre de congédiement en présence de M. Valencia. Une copie de la lettre a été envoyée au syndicat. Ce dernier a remis le dossier de M. M au contentieux.

[108] Dans son témoignage, M. Levasseur, président du syndicat, reconnaît que c’est le ou vers le 23 mai 2012 qu’il a eu connaissance que Mme Z était la victime présumée de M. M, mais indique qu’au moment où M. M a été congédié, le syndicat disposait de peu d’informations et avait besoin de temps pour faire son enquête.

[109] Le 13 juin 2012, Mme Z a déposé un grief qu’elle a préparé et rédigé avec l’aide de son conjoint. En témoignage, la plaignante a indiqué qu’elle voulait que M. Valencia l’aide à déposer son grief, car elle n’avait pas confiance en M. Gwiazda, l’autre délégué syndical affecté à RCI, étant donné qu’il était trop proche de M. M. Néanmoins, c’est M. Gwiazda qui l’a aidée à présenter le grief à l’employeur, M. Valencia étant occupé.

[110] Il est établi que Mme Z n’a eu aucun contact avec le syndicat avant le 13 juin 2012, ni n’a demandé à celui-ci de déposer un grief en son nom. En fait, la seule personne du syndicat ayant eu un contact avec Mme Z est M. Valencia, et elle ne lui a jamais demandé de déposer un grief.

[111] On a reproché au syndicat de ne pas avoir contacté Mme Z entre le moment où il a su qu’elle était la victime présumée de M. M, soit le 23 mai, et le 13 juin 2012, date du dépôt du grief. Il faut cependant tenir compte du fait que le syndicat n’a reçu aucune information ni de la plaignante, ni de l’employeur. Il lui était donc difficile d’intervenir. De plus, il n’y a eu aucune indication, avant le dépôt du grief le 13 juin 2012, que Mme Z voulait exercer un recours contre l’employeur. M. Levasseur a été clair dans son témoignage : la première fois où il a été informé que Mme Z voulait déposer un grief, c’était précisément lors du dépôt de celui-ci, le 13 juin 2012.

[112] Rien au dossier ne démontre que le syndicat a refusé de déposer un grief au nom de la plaignante; celle-ci l’a déposé elle-même. Le syndicat n’a pas non plus refusé de renvoyer à l’arbitrage le grief de Mme Z.

[113] Dans Griffiths, 2002 CCRI 208, le Conseil s’est exprimé sur l’obligation des employés lorsqu’ils veulent contester les actions de l’employeur :

[37] Dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article 37, il incombe au plaignant de présenter une preuve suffisante pour créer une présomption que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste, à moins qu’elle soit réfutée. Pour satisfaire à ce fardeau, le plaignant doit nécessairement démontrer, de manière à convaincre le Conseil, que le syndicat connaissait la situation ayant donné lieu au mécontentement du plaignant et que, en l’absence d’une preuve contraire, il a agi par la suite, pour le compte du plaignant, de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. En outre, ainsi que le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), l’a statué dans l’affaire Craig Harder (1984), 56 di 183; et 84 CLLC 16,043 (CCRT no 472), le syndicat n’est pas tenu de rechercher ou de solliciter des griefs auprès de ses membres. L’obligation de contester les actions de l’employeur incombe certainement à l’employé. Il incombe par conséquent à ce dernier de faire en sorte également que le syndicat connaisse les circonstances de l’affaire.

(c’est nous qui soulignons)

[114] Dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290, le Conseil a résumé ce que les employés doivent faire afin de protéger leurs propres intérêts et s’est exprimé sur les conséquences d’une négligence de leur part :

[15] Le devoir de représentation juste du syndicat suppose que les employés fassent le nécessaire pour protéger leurs propres intérêts. Ils doivent informer le syndicat des possibilités de griefs et lui demander d’agir en leur nom dans les délais prévus par la convention collective. Ils doivent coopérer avec le syndicat durant toute la procédure de règlement des griefs, par exemple en lui fournissant les renseignements nécessaires à son enquête sur le grief ainsi qu’en se soumettant à tous les examens médicaux ou autres qu’il leur demande de subir.

[16] Les employés doivent aussi se conformer aux conseils du syndicat sur la façon de se comporter durant la procédure de règlement des griefs. En outre, ils doivent s’efforcer de minimiser leurs pertes, par exemple en cherchant un nouvel emploi s’ils ont été renvoyés, ou en suivant des cours si cela peut augmenter leurs chances de trouver un nouvel emploi.

[17] Si l’employé est négligent à l’un ou l’autre de ces égards, la plainte dont il saisit le Conseil sera vraisemblablement rejetée (voir Jacques Lecavalier (1983), 54 di 100 (CCRT no 443)).

(c’est nous qui soulignons)

[115] La participation est donc un facteur déterminant lorsque le Conseil évalue la conduite du syndicat. Tout plaignant a le devoir d’informer le syndicat des possibilités d’un grief et de lui demander d’agir dans les délais prévus par la convention collective. La conduite du syndicat est alors examinée au moment du dépôt du grief. Le défaut de coopérer avec le syndicat entraîne habituellement le rejet de la plainte.

[116] Lorsque Mme Z a déposé son grief le 13 juin 2012, le syndicat a soutenu que, dès le 15 juin 2012, il a contacté Me Garneau, procureur de la plaignante, afin d’obtenir les faits relatés dans le grief. Après quelques échanges téléphoniques entre le syndicat et Me Garneau, le syndicat a été informé le 22 juin 2012 que Mme Z était en congé de maladie.

[117] Le 27 juin 2012, Me Garneau a écrit au syndicat et l’a informé que : « [Mme Z] ne participera donc pas à une enquête du Syndicat » et « Finalement, vu le grief déjà logé contre l’employeur, le Syndicat et monsieur [M], nous ne voyons pas sur quelle base, à ce stade ci (sic), notre cliente devrait être contrainte à divulguer ses éléments de preuve ».

[118] Le 3 juillet 2012, le syndicat a mandaté Me Martin pour s’occuper du dossier de Mme Z.

[119] Dans sa lettre du 22 août 2012, M. Levasseur a informé Mme Z de ce qui suit :

votre refus total de collaborer à une enquête sur les allégations contenues dans le libellé du grief que vous avez déposé sans nous consulter fait en sorte que le Syndicat n’est pas en mesure de respecter son devoir de représentation syndicale puisqu’il n’est pas en mesure de prendre connaissance des faits qui ont donné naissance à ce grief. En conséquence, votre grief ne sera pas déféré à l’arbitrage tant que les étapes préalables n’auront pas été satisfaites.

[120] À ce moment-là, la position de Mme Z est on ne peut plus clair. Elle ne veut pas de rencontres, ni de médiation, et tout ce qu’elle demande au syndicat c’est que le grief soit renvoyé à l’arbitrage.

[121] Les relations entre la plaignante et le syndicat sont devenues très difficiles pour ne pas dire irréconciliables. Le dépôt du grief contestant le congédiement du M. M le 30 août 2012 n’a pas arrangé les choses.

[122] Il faut rappeler que, en ce qui a trait au devoir de représentation juste, le syndicat a l’obligation envers tous ses membres d’appliquer les principes généraux établis par la Cour suprême du Canada dans Gagnon, précité, surtout en cas de perte d’emploi.

[123] Dans Eamor (1996), 101 di 76; 39 CLRBR (2d) 14; et 96 CLLC 220-039 (CCRT no 1162), le Conseil s’est exprimé ainsi :

Lorsqu’il y a congédiement ou qu’il existe une situation susceptible d'avoir de graves répercussions sur l’emploi du membre, le syndicat doit faire preuve de plus de diligence. Dans de telles circonstances, le Conseil examinera de plus près le comportement du syndicat et appliquera ses critères de manière plus rigoureuse pour s'assurer que l'on a respecté le devoir de représentation juste.

« Lorsque le grief porte sur un congédiement, le devoir qui incombe au syndicat de représenter l'employé est soumis à des normes d'autant plus élevées. Dans de tels cas, la décision de ne pas donner suite au grief doit être fondée sur une étude attentive et éclairée du fond de l’affaire; ...

(Malcom Horton (1993), 92 di 40 (CCRT no 1015), page 44; voir aussi David Coull (1992), 89 di 64; et l7 CLRBR (2d) 301 (CCRT no 957); Brenda Haley (1981), 41 di 311; [1981] 2 Can LRBR 121; et 81 CLLC 16,096 (CCRT no 304); André Cloutier (1981), 40 di 222; [1981] 2 Can LRBR 335; et 81 CLLC 16,108 (CCRT no 319); André Gagnon (1986), 63 di 194 (CCRT no 547); Jerry Sabo (1994), 94 di 24 (CCRT no 1060), page 27; et Jacques Lecavalier (1983), 54 di 100 (CCRT no 443), pages 124-125) »

(pages 94; 34 et 143,376)

[124] Il faut rappeler que les griefs et les mandats appartiennent au syndicat. Le 19 novembre 2013, ce dernier a renvoyé le grief de Mme Z à l’arbitrage, après avoir obtenu de l’employeur l’autorisation de ne pas passer par le comité de redressement, étape obligatoire prévue à la convention collective. Il a également désigné un procureur de l’extérieur, indépendant du syndicat, afin de représenter les intérêts de Mme Z.

[125] Je suis d’avis que le syndicat est justifié de prétendre qu’il n’a rien à se reprocher. Il n’a jamais refusé de déposer un grief et il n’a jamais refusé de procéder à l’arbitrage. Il a bien tenté, et ce, à plusieurs reprises, d’obtenir les faits et de faire enquête, mais il n’a pas obtenu la collaboration ni de la plaignante, ni de l’employeur, ni même de M. M.

[126] La façon de procéder du syndicat est toujours la même. Un dossier est ouvert une fois qu’un grief est déposé. Or, avant le 13 juin 2012, il n’y a eu aucun contact avec Mme Z. Après le 13 juin, il n’y a eu aucune collaboration de la part de Mme Z.

[127] On ne peut donc pas reprocher au syndicat sa conduite. Il n’a jamais eu la possibilité de connaître les faits et les circonstances de l’affaire, malgré ses demandes répétées.

[128] Rien non plus ne démontre que le syndicat ne peut défendre adéquatement la plaignante. Un procureur indépendant a d’ailleurs reçu le mandat de représenter les intérêts de Mme Z, et seulement ses intérêts.

[129] Pour qu’il y ait violation de l’article 37 du Code, un syndicat doit avoir agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Or, ce n’est absolument pas le cas en l’espèce.

[130] Pour tous ces motifs, je n’accueillerais pas la plainte et, conséquemment, je ne ferais pas droit à la demande de la plaignante d’être représentée par le procureur de son choix.

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