Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Jeff Goodwin,

plaignant,

et

Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 230,

intimée,

et

Shaw Cablesystems G.P.,

employeur.

Dossier du Conseil : 30158-C

Référence neutre : 2014 CCRI 723

Le 25 avril 2014

 

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. John Bowman et André Lecavalier, Membres.

Représentants des parties au dossier

Me Heather M. Cane, pour M. Jeff Goodwin;

Me Shona A. Moore, c.r., pour la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 230;

M. Kerry Hunt, pour Shaw Cablesystems G.P.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente affaire sans tenir d’audience.

I. Nature de la plainte

[2] Le 3 octobre 2013, le Conseil a reçu de M. Jeff Goodwin une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) dans laquelle celui‑ci alléguait que la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 230 (la FIOE), avait enfreint le Code.

[3] La FIOE a présenté un grief pour contester la décision de Shaw Cablesystems G.P. (Shaw) de congédier M. Goodwin. Cependant, après que les employés de l’unité de négociation eurent voté en faveur d’une révocation, la FIOE a informé M. Goodwin qu’elle ne le représenterait pas à l’arbitrage prévu au regard de son dossier. M. Goodwin a engagé des dépenses considérables pour défendre lui‑même sa cause à l’arbitrage et a finalement obtenu un règlement.

[4] M. Goodwin allègue que la FIOE a enfreint le Code en changeant d’avis à la suite de la révocation de son certificat d’accréditation. Pour sa part, la FIOE affirme qu’elle n’avait plus d’obligations juridiques aux termes du Code dès lors que les employés de l’unité de négociation s’étaient prononcés en faveur de la révocation de son droit exclusif de les représenter.

[5] Le Conseil conclut que M. Goodwin n’a pas démontré que la FIOE a enfreint le Code.

II. Faits

[6] Le 8 août 2012, Shaw a congédié M. Goodwin.

[7] Le 30 octobre 2012, la FIOE a fixé une audience d’arbitrage devant l’arbitre Colin Taylor pour qu’il soit établi si Shaw avait un motif valable pour congédier M. Goodwin.

[8] Le 4 avril 2013, après la tenue d’un scrutin de représentation, le Conseil a révoqué l’accréditation que la FIOE avait obtenue le 9 octobre 2003.

[9] Dans une lettre datée du 5 juillet 2013, l’avocat de la FIOE a fourni à M. Goodwin une copie de l’avis d’audience de l’arbitre prévoyant la tenue d’une audience du 17 au 19 septembre 2013. Cette lettre informait aussi M. Goodwin de la position adoptée par la FIOE à la suite de la révocation de son accréditation par le Conseil :

Cette affaire a été renvoyée à l’arbitrage par le syndicat en vertu de la convention collective. Comme vous le savez bien, l’accréditation du syndicat a été révoquée à la suite d’un scrutin de représentation tenu parmi les employés de l’unité de négociation.

La présente vise à vous informer que le syndicat ne participera pas à l’arbitrage prévu en septembre.

Vous pouvez choisir de comparaître à l’arbitrage en votre propre nom. Le cas échéant, vous devrez assumer la moitié des coûts liés aux honoraires de l’arbitre. J’insiste sur le fait que le syndicat n’assumera aucun de ces coûts.

Veuillez communiquer avec moi d’ici le 12 juillet 2013 pour me dire si vous avez l’intention de vous présenter à l’arbitrage. Si je n’ai pas de vos nouvelles d’ici la fermeture des bureaux le 12 juillet 2013, je communiquerai avec l’arbitre pour l’informer que le syndicat se retire de cette procédure d’arbitrage.

Vous devez absolument prendre une décision quant à votre participation à l’arbitrage. Vous avez peut‑être décidé de ne pas retourner travailler pour Shaw.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[10] Dans une lettre datée du 15 juillet 2013, l’avocat de la FIOE a aussi informé l’arbitre de la position du syndicat :

La présente vise à vous informer que l’accréditation du syndicat à titre d’agent négociateur des employés de Shaw Cablesystems (Campbell River) a récemment été révoquée par ordonnance du Conseil. Par conséquent, sachez que le syndicat n’assistera pas à l’audience d’arbitrage prévue pour les 17, 18 et 19 septembre 2013.

Nous avons informé l’employé s’estimant lésé, Jeff Goodwin, que le syndicat n’assistera pas à l’arbitrage. Nous avons aussi informé M. Goodwin de son droit de poursuivre l’arbitrage relatif à son congédiement, en l’absence du syndicat. Nous n’avons pas été en mesure d’obtenir de confirmation de la part de M. Goodwin sur son intention de recourir à l’arbitrage.

(traduction)

[11] M. Goodwin, qui habite à Campbell River, a finalement été obligé de retenir les services d’un avocat à Vancouver. M. Goodwin a aussi dû verser 11 000 $ en fiducie pour couvrir sa part des honoraires de l’arbitre.

[12] Le 20 août 2013, l’avocat de M. Goodwin a écrit à l’avocat de la FIOE pour demander que le syndicat représente M. Goodwin à l’arbitrage :

Nos services ont récemment été retenus par M. Jeff Goodwin en ce qui a trait à l’affaire susmentionnée.

La présente fait suite à votre lettre du 5 juillet 2013 adressée à M. Goodwin, dans laquelle vous indiquez que le syndicat ne comparaîtra pas à l’arbitrage de cette affaire et que, si M. Goodwin décide de comparaître en son propre nom, le syndicat n’assumera pas les coûts liés à l’arbitrage.

Dans votre lettre, vous semblez attribuer à la révocation de l’accréditation du syndicat la décision de celui‑ci de ne plus représenter M. Goodwin à l’arbitrage. Nous croyons comprendre que l’affaire a été renvoyée à l’arbitrage par le syndicat bien avant la révocation de son accréditation.

Nous vous demandons de nous fournir la jurisprudence sur laquelle le syndicat s’est appuyé pour décider de ne pas représenter M. Goodwin à l’arbitrage à venir, pour que nous puissions bien conseiller notre client sur la question de savoir s’il devrait déposer une plainte écrite auprès du Conseil canadien des relations industrielles aux termes du paragraphe 92(2) du Code canadien du travail (le Code) pour avoir enfreint à l’article 37 du Code.

Étant donné que M. Goodwin est sans emploi depuis plus de 12 mois et qu’il est tenu de verser à l’arbitre un montant de 11 000 $ au plus tard le 30 août 2013, et compte tenu de la procédure d’arbitrage en instance, nous vous demandons de nous fournir une réponse au plus tard à la fermeture des bureaux le vendredi 23 août 2013.

(traduction; caractères gras dans l’original; caractères gras italiques ajoutés)

[13] Dans sa réponse du 23 août 2013, l’avocat de la FIOE a informé les avocats de M. Goodwin que le syndicat n’avait aucune obligation de financer l’arbitrage. Ses obligations juridiques avaient pris fin au moment de la révocation de son accréditation par le Conseil :

Le syndicat prend acte de votre avis selon lequel M. Goodwin ne s’est pas trouvé d’emploi depuis qu’il a été congédié par Shaw à Campbell River. Cependant, bien que M. Goodwin puisse être en droit de recourir à l’arbitrage, le syndicat n’a pas d’obligation juridique de financer l’arbitrage.

À notre avis, le syndicat n’a aucune obligation juridique de poursuivre le traitement des griefs après la révocation de son accréditation. Si vous connaissez des cas de jurisprudence qui établissent le contraire, nous vous invitons à nous en faire part.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[14] Les avocats ont échangé d’autres lettres, décrivant leurs points de vue respectifs sur les obligations de la FIOE, le cas échéant.

[15] Au bout du compte, M. Goodwin et Shaw ont négocié un règlement à l’arbitrage.

III. Analyse et décision

[16] L’article 37 du Code impose aux agents négociateurs un DRJ :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

(caractères gras ajoutés)

[17] L’article 3 du Code définit le terme « agent négociateur » de la façon suivante :

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

...

« agent négociateur »

a) Syndicat accrédité par le Conseil et représentant à ce titre une unité de négociation, et dont l’accréditation n’a pas été révoquée;

b) tout autre syndicat ayant conclu, pour le compte des employés d’une unité de négociation, une convention collective :

(i) soit qui n’est pas expirée,

(ii) soit à l’égard de laquelle il a transmis à l’employeur, en application du paragraphe 49(1), un avis de négociation collective.

(caractères gras ajoutés)

[18] L’alinéa 42a) du Code établit les répercussions d’une révocation sur une convention collective :

42. Toute ordonnance rendue en application des articles 39 ou 41 ou du paragraphe 40(2) emporte :

a) cessation d’effet, à compter de sa date ou de la date ultérieure que le Conseil estime indiquée, de toute convention collective conclue entre le syndicat ou le regroupement de syndicats et l’employeur applicable à l’unité de négociation en cause.

[19] Les parties ont présenté des observations utiles sur la question de savoir si un syndicat demeure tenu à un devoir envers un employé s’estimant lésé s’il s’était engagé à aller en arbitrage avant la révocation de son accréditation.

[20] Aux fins de la présente décision, le Conseil présumera, pour les besoins de l’analyse seulement, que le devoir de représentation juste auquel est tenu un syndicat continue d’exister. Un syndicat peut‑il tenir compte de la révocation de son accréditation lorsqu’il décide du rôle qu’il jouera dans le cadre d’un arbitrage déjà prévu?

[21] M. Goodwin, qui a le fardeau de la preuve en l’espèce, n’a pas convaincu le Conseil que la conduite de la FIOE après la révocation de son accréditation répond au critère rigoureux de l’article 37 pour être considérée comme arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi.

[22] Lorsque la FIOE était l’agent négociateur accrédité de M. Goodwin, elle avait la ferme intention de le représenter à l’arbitrage pour contester son congédiement. Le changement survenu par la suite quant aux intentions de la FIOE n’est pas le fruit d’un caprice, mais il découle plutôt du fait qu’une majorité des membres de l’unité de négociation ont voté pour que son droit exclusif de les représenter lui soit retiré.

[23] La conséquence de ce scrutin est claire. Entre autres choses, les employés de l’unité n’étaient plus tenus de verser des cotisations, par l’entremise de retenues à la source obligatoires effectuées par Shaw, pour financer le travail de représentation de la FIOE. Plusieurs lettres de la FIOE font référence au financement de l’arbitrage de M. Goodwin.

[24] Le Conseil comprend tout à fait le sentiment de M. Goodwin à l’égard du fait qu’il avait versé des cotisations à la FIOE pendant toute la durée de son emploi, mais que la FIOE a refusé de lui prêter son concours à l’arbitrage lorsqu’il a eu besoin de son aide. En revanche, le Conseil comprend aussi le point de vue de la FIOE. Comme les membres de l’unité de négociation ne versaient plus de cotisations pour appuyer les activités de la FIOE, celle‑ci a dû examiner, entre autres choses, les conséquences liées au financement de l’arbitrage de M. Goodwin.

[25] La décision des employés de se prononcer en faveur de la révocation a forcé la FIOE à examiner ce qu’elle ferait, le cas échéant, pour M. Goodwin et dans le contexte de l’arbitrage en instance. La FIOE n’a pas simplement décidé de fermer le dossier de M. Goodwin et de s’éclipser. Elle a tenu compte de la situation qui avait changé, y compris du fait qu’elle n’était plus l’agent négociateur de M. Goodwin, et a informé M. Goodwin de sa décision. La FIOE a veillé à ce que M. Goodwin soit au courant de l’audience d’arbitrage prévue, l’a informé de son droit d’aller de l’avant avec l’aide de son propre avocat, et a par la suite correspondu avec cet avocat.

[26] Dans le cadre de cette correspondance, la FIOE a fourni à M. Goodwin des documents pertinents.

[27] De façon similaire, la FIOE a démontré qu’elle était disposée à collaborer avec M. Goodwin. Par exemple, l’avocat de la FIOE a assisté à la phase initiale de la première journée de l’audience d’arbitrage et a présenté de la jurisprudence concernant l’arbitrabilité du grief de M. Goodwin.

[28] La question en litige n’est donc pas de savoir si la FIOE aurait fait un bon coup de relations publiques en continuant d’aider M. Goodwin. Personne n’a contesté le fait que la FIOE aurait pu proposer de représenter M. Goodwin à l’arbitrage. Il arrive souvent que des syndicats aident des employés, même en l’absence d’une ordonnance d’accréditation.

[29] Quoi qu’il en soit, la question à trancher est de savoir si la FIOE, compte tenu du fait que sa situation avait beaucoup changé, n’avait d’autre choix que de poursuivre l’arbitrage déjà prévu, à défaut de quoi elle aurait enfreint l’article 37 du Code.

[30] Compte tenu des efforts que la FIOE a déployés pour fournir à M. Goodwin l’information dont il avait besoin pour poursuivre l’arbitrage, celui‑ci n’a pas convaincu le Conseil que la FIOE, après la révocation de son accréditation, a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’elle a refusé de le représenter à l’arbitrage.

[31] La FIOE a étudié la situation, est arrivée à une conclusion justifiable et a informé M. Goodwin de sa position dans un délai raisonnable.

[32] De l’avis du Conseil, même en supposant, pour les besoins de l’analyse, qu’une obligation liée au DRJ continuait de s’appliquer, la FIOE n’a pas enfreint le Code en décidant de ne pas défendre le grief à l’arbitrage après la révocation de son accréditation.

[33] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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