Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Motifs de décision

Syndicat canadien des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 378,

requérant,

et

Canadian Freightways, une division de TFI Transport 7 L.P.,

intimée.

Dossier du Conseil : 30348-C

Référence neutre : 2014 CCRI 722

Le 23 avril 2014

 

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de Me Robert Monette et M. Norman Rivard, Membres.

Procureurs inscrits au dossier

Me Patrick Dickie, pour le Syndicat canadien des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 378;

Me David P. Negus, pour Canadian Freightways, une division de TFI Transport 7 L.P.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant examiné l’ensemble des documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente demande d’ordonnance provisoire sans tenir d’audience.

I. Introduction

[2] Le 4 mars 2014, le Syndicat canadien des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 378 (le SEPB), a présenté une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 19.1 du Code. Cette demande d’ordonnance provisoire découle de deux autres affaires en instance : une demande de déclaration de lock-out illégal (dossier du Conseil no 30349‑C) et une plainte de pratique déloyale de travail (dossier du Conseil no 30350-C).

[3] Le SEPB a demandé le rappel immédiat de certains employés mis à pied à l’établissement d’Edmonton de Canadian Freightways, une division de TFI Transport 7 L.P. (CF). CF a contesté la demande de mesure de redressement présentée.

[4] Le Conseil a examiné les observations des parties, y compris leurs preuves par affidavit, et a décidé de ne pas rendre d’ordonnance provisoire compte tenu des circonstances en l’espèce. Le Conseil tiendra une audience pour les deux autres affaires en instance concernant le SEPB.

[5] Voici les motifs du Conseil.

II. Faits

[6] Le SEPB est accrédité pour représenter les employés de bureau de CF. Les employés membres de l’unité de négociation travaillent dans diverses régions de l’Ouest canadien, notamment à Edmonton.

[7] La convention collective la plus récente conclue entre le SEPB et CF a expiré le 31 décembre 2013. Le SEPB a transmis un avis de négociation le 15 janvier 2014. Les parties se sont entendues sur des dates en vue de la négociation collective.

[8] Le 20 février 2014, CF a mis à pied certains employés qui travaillaient dans son Service des comptes débiteurs à Edmonton. Les preuves par affidavit des parties diffèrent à plusieurs égards, notamment quant à la question de savoir si on a essayé d’une quelconque façon d’informer le SEPB à l’avance des mises à pied. De façon similaire, le SEPB fait valoir qu’on lui a donné  différentes explications pour justifier les mises à pied.

[9] CF fait valoir qu’elle a d’abord fourni des renseignements erronés au SEPB et qu’elle a ensuite cherché à corriger ces renseignements.

[10] Le SEPB a présenté des griefs pour contester les mises à pied, qui ont déjà fait l’objet d’un exercice de supplantation aux termes de la convention collective. Dans ses autres affaires en instance, le SEPB allègue également que CF a : i) enfreint la disposition relative au gel (alinéa 50b)); ii) manqué à l’obligation de négocier de bonne foi (alinéa 50a)); et iii) enfreint certaines dispositions relatives aux pratiques déloyales de travail (alinéas 94(1)a) et 94(3)a)).

[11] En outre, le SEPB allègue que les mesures prises par CF constituent un lock‑out illégal.

[12] CF a contesté la demande d’ordonnance provisoire. Elle allègue que des membres du SEPB et d’autres syndicats ont été mis à pied au cours des dernières années en raison de problèmes financiers. Certains terminaux ont été fermés après la réception de l’avis de négociation du SEPB, mais aucune plainte n’a été déposée à cet égard en vertu du Code.

[13] CF allègue que les mises à pied ont été effectuées conformément à la convention collective et que, de toute façon, un arbitre de griefs serait précisément saisi de cette question.

[14] CF ajoute que la négociation collective est amorcée et que le nombre d’employés mis à pied ne représente qu’un faible pourcentage de l’ensemble de l’unité de négociation du SEPB.

III. Analyse et décision

[15] En 1999, le législateur a ajouté l’article 19.1 au Code afin de conférer au Conseil le vaste pouvoir discrétionnaire de rendre des ordonnances provisoires :

19.1 Dans le cadre de toute affaire dont il connaît, le Conseil peut, sur demande d’un syndicat, d’un employeur ou d’un employé concerné, rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie.

[16] La procédure expéditive du Conseil, prévue à l’article 14 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, s’applique aux demandes d’ordonnance provisoire :

14. La procédure expéditive s’applique aux affaires suivantes :

a) les demandes d’ordonnance provisoire présentées aux termes de l’article 19.1 du Code;

[17] Dans Trentway-Wagar inc., 2000 CCRI 57, le Conseil a formulé des observations sur le vaste critère établi à l’article 19.1 :

[21] L’article pertinent, soit l’article 19.1, est une nouvelle disposition du Code qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1999. Tout d’abord, le Conseil ne considère pas la décision du banc initial comme une indication que le pouvoir conféré par la loi d’accorder un redressement provisoire est un pouvoir qui doit nécessairement être circonscrit ou limité par des principes en common law. Ce pouvoir doit être interprété et appliqué non pas comme un pouvoir issu de la common law suivant des critères employés en common law, mais plutôt d’une manière qui traduit l’esprit et les objectifs de la loi. Cela vaut particulièrement dans le cas du pouvoir d’accorder un redressement provisoire prévu à l’article 19.1 parce que cette disposition stipule que les ordonnances provisoires rendues en vertu de cet article doivent assurer la réalisation des objectifs de la loi.

(caractères gras ajoutés)

[18] Dans Seaspan International ltée, 2010 CCRI 513 (Seaspan 513), le Conseil a fait remarquer à quel point les critères de son analyse d’une demande d’ordonnance provisoire diffèrent des critères traditionnels employés par les cours pour rendre des ordonnances provisoires :

[39] Dans cette décision, le Conseil examine les considérations qu’il juge importantes pour la réalisation des objectifs du Code. Le Conseil y affirme clairement, ainsi que dans des décisions subséquentes, qu’il n’est pas lié par les critères employés habituellement par les cours quant aux demandes d’ordonnance provisoire, et que le critère législatif édicté par l’article 19.1 du Code est un critère pragmatique et de sauvegarde. Il faut l’appliquer en tenant compte des objectifs du Code, particulièrement en ce qui concerne le maintien d’un climat propice à l’établissement de saines relations du travail. Par conséquent, dans un contexte de relations du travail, la réalisation des objectifs du Code exige parfois que certaines mesures provisoires soient prises pour veiller à ce que le caractère représentatif d’un syndicat, ainsi que les intérêts collectifs des employés qu’il représente, soient respectés et maintenus (voir TQS inc., 2008 CCRI 434). À cet égard, le Conseil a fait observer ce qui suit :

[27] … des mesures de redressement provisoires peuvent avoir pour but de stabiliser les relations du travail ou, en d’autres termes, annuler l’effet possible d’une pratique de travail alléguée dans une demande qui n’a pas encore fait l’objet d’une décision finale.

(caractères gras ajoutés)

[19] Dans Seaspan 513, précitée, les mesures prises par un employeur avaient eu une incidence sur le statu quo pour deux syndicats concurrents, alors que le maraudage était possible :

[50] Il est généralement reconnu que toute ordonnance provisoire aura une incidence sur les activités de l’intimée et sur ses décisions discrétionnaires en matière d’affectation d’équipages. Cependant, laissée à elle-même, l’intimée resterait libre de faire valoir des besoins opérationnels pour modifier arbitrairement l’équilibre relatif concernant la charge de travail accomplie par chacune des unités de négociation, minant ainsi le caractère représentatif du SIMC. De toute évidence, il y a un risque de préjudice au chapitre des relations de travail et un préjudice peut être causé au SIMC s’il y a une réduction de la main-d’œuvre et des tâches relevant de l’unité de négociation jusqu’à ce que les présentes plaintes soient tranchées. Une telle réduction aurait une incidence sur les droits de représentation du SIMC. En revanche, le maintien du juste équilibre que l’intimée a essayé de conserver depuis la décision précédente rendue par le Conseil, et ce, jusqu’à ce que le Conseil puisse entendre et trancher les plaintes, aiderait à stabiliser les relations du travail en conservant le statu quo et annulerait l’atteinte qui pourrait être portée entre-temps aux droits du SIMC et des membres de son unité de négociation.

[51] Par conséquent, le Conseil est convaincu qu’il doit rendre une ordonnance provisoire pour annuler l’effet des prétendues pratiques déloyales de travail et pour s’assurer que la réalisation des objectifs de la partie I du Code n’est pas compromise pendant qu’il examine le bien-fondé des plaintes.

(caractères gras ajoutés)

[20] Dans Transpro Freight Systems ltée, 2008 CCRI 422 (Transpro 422), le Conseil a rendu une ordonnance provisoire après qu’un employeur eut formulé des commentaires antisyndicaux pendant une campagne de syndicalisation :

[51] Même si la portée et la mesure des commentaires de Transpro et des gestes posés devront être déterminées dans le cadre de l’audience sur le bien-fondé de la plainte de pratique déloyale de travail, Transpro ne nie pas que ses propriétaires ont exprimé à des organisateurs syndicaux clés et à des représentants des Teamsters des opinions qui amèneraient une personne raisonnable à croire que son emploi était en péril et que l’entreprise fermerait ses portes si l’effort de syndicalisation se poursuivait.

[52] Bien que Transpro paraisse avoir tiré profit des conseils d’un avocat chevronné en droit du travail et qu’elle ait pris certaines mesures pour modifier les gestes qu’elle avait posés, le mal était fait. Même si M. Mohammed n’a pas été congédié de droit après que l’on eut consulté un conseiller juridique, le fait est que les propriétaires de l’entreprise lui ont dit qu’il était congédié. La lettre du 15 août 2008 aux employés sur leurs droits est bien plus qu’un simple résumé des droits des employés en vertu du Code. Cela ne signifie pas cependant que le Conseil en est arrivé à la conclusion que cette lettre a violé le Code.

[53] Une ordonnance provisoire a pour but d’assurer la « réalisation des objectifs » de la partie I du Code. Les Teamsters ont convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire faisant en sorte que les employés de Transpro connaissent les libertés que leur garantit le Code et qu’ils puissent examiner ces libertés fondamentales sans craindre d’être victimes de représailles.

[54] Cependant, le Conseil n’est pas convaincu qu’il y a lieu d’ordonner le maintien des conditions d’emploi étant donné que la question de savoir s’il y a eu un changement a été vivement contestée. Cette question sera abordée dans le cadre de l’audience sur le bien-fondé de la plainte. Le Conseil conserve un vaste pouvoir de redressement, selon sa conclusion sur le bien-fondé de la plainte des Teamsters. Conformément à la pratique qu’il a adoptée par le passé, le Conseil n’adjugera pas les frais dans la présente demande d’ordonnance provisoire.

(caractères gras ajoutés)

[21] Dans 3329003 Canada inc. et Trentway-Wagar inc., 2010 CCRI 493 (Trentway 493), le Conseil a fait référence à la décision Transpro 442, précitée, et il a résumé certains des principes dont il a tenu compte pour traiter les demandes d’ordonnance provisoire :

[23] Dans Transpro Freight Systems ltée, 2008 CCRI 422 (Transpro), le Conseil a examiné son pouvoir de rendre des ordonnances provisoires. Le Code ne donne pas autant de directives que la Loi de 1995 sur les relations de travail en donne à la Commission des relations de travail de l’Ontario quant à la manière dont elle peut rendre une ordonnance provisoire et aux circonstances dans lesquelles elle peut le faire.

[24] Le législateur a plutôt décidé d’accorder, à l’article 19.1, un large pouvoir discrétionnaire au Conseil.

[25] Dans Transpro, le Conseil s’est penché sur certains des « objectifs » de la partie I du Code, par exemple l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et la liberté d’association.

[26] Tous les employés ont le droit fondamental de se joindre à un syndicat. Le Code exige toutefois d’un syndicat qu’il démontre qu’il possède l’appui de la majorité des employés d’une unité de négociation habile à négocier collectivement afin d’obtenir les droits et privilèges conférés par le Code. Le Conseil accorde ces droits et privilèges quand il accrédite un syndicat pour représenter une unité de négociation en particulier.

[27] Le Conseil se méfie du risque de rendre prématurément des ordonnances provisoires qui pourraient avoir pour effet involontaire de donner à une partie un privilège ou un avantage au détriment d’une autre. Cependant, se garder de rendre une ordonnance provisoire lorsque celle-ci est justifiée peut facilement porter préjudice à une partie, qui se retrouve alors dans une situation inéquitable, en attendant qu’une audience soit tenue et qu’une décision sur le bien-fondé de sa demande ou de sa plainte soit rendue.

[22] En l’espèce, le Conseil a décidé de tenir une audience afin d’entendre le témoignage de chacune des parties à propos des événements contestés qui ont commencé au début de 2014. Ces témoignages permettront au Conseil d’examiner les diverses allégations du SEPB concernant un lock‑out illégal et diverses pratiques déloyales de travail, y compris les allégations qui concernent précisément la négociation (article 50 du Code).

[23] L SEPB n’a toutefois pas convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire en l’espèce.

[24] Bien que le Conseil ait rendu une ordonnance provisoire dans Transpro 422, précitée, et Trentway 493, précitée, ces décisions contiennent aussi une mise en garde selon laquelle une ordonnance provisoire ne doit pas être rendue si elle donne un avantage à une partie au détriment de l’autre.

[25] En l’espèce, le Conseil est convaincu que la réalisation des objectifs du Code est déjà assurée grâce à une combinaison de griefs présentés aux termes de la convention collective – une procédure également régie par la partie I du Code – et grâce aux audiences à venir concernant l’ensemble des allégations du SEPB.

[26] De l’avis du Conseil, ces procédures, qui pourraient donner lieu à d’importantes ordonnances de redressement, suffisent pour assurer la réalisation des objectifs de la partie I du Code. En outre, le nombre d’employés touchés par les mesures contestées représente un pourcentage relativement faible des employés de l’unité de négociation.

[27] Le Conseil rejette la demande d’ordonnance provisoire du SEPB et donnera sans délai un avis d’audience en vue de trancher les questions demeurant en litige.

[28] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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