Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Robert Thibeault,

plaignant,

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

intimé.

Dossier du Conseil : 29994-C

Référence neutre : 2014 CCRI 711

Le 4 février 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

Représentants des parties au dossier
M. Robert Thibeault, en son propre nom;
Me Christian Martel, pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Nature de la plainte

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 16 mai 2013, le Conseil a reçu une plainte de M. Robert Thibeault, dans laquelle celui-ci allègue que son agent négociateur, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), lui a appliqué ses normes de discipline d’une manière discriminatoire, en violation de l’alinéa 95g) du Code :

95. Il est interdit à tout syndicat et à quiconque agit pour son compte :

g) de prendre des mesures disciplinaires contre un employé ou de lui imposer une sanction quelconque en lui appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline du syndicat.

(c’est nous qui soulignons)

[3] M. Thibeault conteste dans sa plainte une mesure disciplinaire qui lui a été imposée. Il soutient qu’en conséquence de modifications apportées antérieurement aux statuts nationaux du STTP, le comité local de discipline (CLD) qui lui a imposé cette mesure avait été aboli. M. Thibeault fait valoir que la décision du CLD était, selon sa propre expression, « ultra vires ».

[4] Le STTP soutient que, même si les CLD avaient été abolis, ils avaient toujours le pouvoir de trancher toute affaire en instance qui datait d’avant les modifications apportées aux statuts nationaux.

[5] Le Conseil a décidé de rejeter la plainte de M. Thibeault au motif que la question en litige ne relève pas du champ d’application de l’alinéa 95g) du Code. Bien que le Conseil puisse examiner si un syndicat a appliqué ses normes de discipline d’une manière discriminatoire, il n’est pas l’instance à qui il revient de déterminer si des changements apportés aux statuts nationaux de ce syndicat sont valides, ni comment il convient de les interpréter.

[6] Même si le Conseil pouvait formuler ce qui constituerait essentiellement une déclaration sur la « légalité » de certaines mesures qui ont manifestement été prises sous le régime des statuts nationaux du STTP, il n’en resterait pas moins que M. Thibeault n’a produit aucun élément de preuve attestant une discrimination dont il aurait personnellement été victime, par comparaison avec d’autres membres du STTP se trouvant dans une situation similaire.

II. Chronologie des événements

[7] Voici la description des principaux événements, tels qu’ils sont résumés dans les soumissions écrites des parties.

A. Septembre 2011

[8] En septembre 2011, l’article 8 des statuts nationaux du STTP contenait des dispositions qui établissaient trois types de comités de discipline, à savoir les comités locaux, les comités régionaux et le comité national. Les plaintes contre M. Thibeault qui sont pertinentes en l’espèce étaient du ressort d’un CLD.

B. Octobre 2011

[9] À l’occasion de son congrès tenu en octobre 2011, le STTP a modifié les paragraphes 8.04 et 8.05 de ses statuts nationaux, afin d’abolir les CLD :

QU’IL SOIT DE PLUS RÉSOLU que le comité local de discipline prévu aux paragraphes 8.04 et 8.05 soit aboli.

C. Janvier 2012

[10] Le STTP allègue qu’en janvier 2012, à la suite des modifications apportées à ses statuts nationaux, il avait adopté une interprétation de l’article 8 selon laquelle l’ancienne procédure des CLD continuerait de s’appliquer à toutes les plaintes qui étaient en instance au moment où les modifications d’octobre 2011 avaient été apportées. Le STTP a expliqué son interprétation comme suit :

Pour ce qui est du dépôt des plaintes selon l’article 8, toutes celles déposées avant l’adoption des changements au Congrès se feront selon la procédure prévues [sic] aux Statuts nationaux 2008 – 2011 et celles déposées après l’adoption de la nouvelle procédure (Congrès 2011 – 24 au 28 octobre) se feront selon cette dernière.

[11] M. Thibeault met en doute, en premier lieu, que le STTP ait pris une telle décision, et il conteste, en second lieu, l’incidence légale de la prétendue décision sur la juste interprétation des statuts nationaux.

D. 1er mai 2012

[12] Le 1er mai 2012, le CLD a tenu une audience relativement à diverses plaintes concernant M. Thibeault. Le STTP allègue que M. Thibeault ne s’est pas présenté à cette audience, bien qu’il ait reçu un avis à cet égard. M. Thibeault allègue n’avoir jamais reçu l’avis d’audience.

[13] Dans sa décision de mai 2012, le CLD a interdit à M. Thibeault, pendant une période de six mois, le droit d’occuper une fonction au sein du syndicat, à moins qu’il ne fasse parvenir une lettre d’excuses au plaignant :

Le comité de discipline a pris la décision suivante :

Attendu que le défendeur ne s’est pas présenté à l’audition du 1er mai 2012,

  1. Attendu que selon nos statuts locaux, article 6.1, (c), 6.1, le défendeur a enfreint le bon fonctionnement de la section locale
  2. Attendu que selon nos statuts nationaux 8.01 (a) (b) (f), 8.01 no 5, le défendeur a enfreint le bon fonctionnement de la section locale
  3. Attendu que selon nos statuts locaux 6.2 (b) (c) (d), le plaignant a été lésé
  4. Attendu qu’en vertu de nos statuts nationaux 9.10 (b) (j) (m), le défendeur a enfreint les statuts nationaux;

Par conséquent, le comité de discipline local demande au défendeur de faire une lettre d’excuses écrite au plaignant dans les 15 jours et d’en fournir une copie au comité de discipline local.

Si après ce délai la réprimande n’est pas respectée, le comité de discipline local vous interdit pendant une période de 6 mois d’occuper une fonction au sein du syndicat ou d’une section locale.

Au palier local, les parties ont 15 jours après avoir reçu la décision du comité pour interjeter appel (paragraphe 8.30).

Dorénavant que toutes les discussions se déroulent en toute franchise et modération et qu’on évite soigneusement toutes allusions personnelles ou termes sarcastiques.

En terminant, le comité de discipline local tient à souligner aux parties que le syndicat c’est l’union fait la force.

(c’est nous qui soulignons)

[14] Les parties ne s’entendent pas sur la date à laquelle M. Thibeault a reçu une copie de la décision du CLD. Le STTP soutient que M. Thibeault a reçu cette décision le 31 mai 2012.

E. 25 juillet 2012

[15] M. Thibeault ne s’étant pas excusé, le CLD lui a confirmé qu’il ne pouvait occuper aucune fonction au sein du syndicat pour une période de six mois, comme l’indique sa lettre du 25 juillet 2012 :

Cette lettre est pour faire suite à l’audition du 1er mai dernier dans laquelle il vous avait été demandé de faire une lettre d’excuses au plaignant et de nous fournir une copie de celle-ci dans les 15 jours suivants.

Compte tenu que vous n’avez pas donné suite à notre lettre que nous vous avions envoyée le 30 mai et que vous avez reçue le 31 mai, nous n’avons pas d’autre choix que de procéder, c’est-à-dire qu’à compter d’aujourd’hui, soit le 25 juillet 2012, vous ne pouvez plus occuper aucune fonction syndicale pour une période de 6 mois.

(c’est nous qui soulignons)

[16] Les soumissions écrites d’aucune des parties ne précisent à quel moment M. Thibeault a effectivement reçu une copie de cette décision.

F. 12 août 2012

[17] Le 12 août 2012, M. Thibeault a écrit au secrétaire-trésorier national du STTP, M. Georges Kuehnbaum, pour interjeter appel de la décision du CLD. M. Thibeault a envoyé une copie de sa lettre au président national du STTP, M. Denis Lemelin. Le STTP a reçu cette lettre le 15 août 2012.

[18] M. Thibeault demandait à M. Kuehnbaum que la décision du CLD soit annulée, au motif qu’un comité aboli n’avait pas le pouvoir d’intervenir :

Bonjour confrère secrétaire-trésorier national la présente est pour vous demander de déclarer ultra vires une décision rendue le 25 juillet 2012 par 3 membres de la section locale que je préside et aussi de déclarer aboli le comité de discipline local sur lequel siégeait (sic), avant le Congrès 2011, les 3 membres du comité en question soit Mme Duhamel, M. Grimard et M. Maras, ceux-là même qui m’ont « discipliné ».

[19] M. Thibeault a décrit à M. Kuehnbaum la mesure de redressement qu’il demandait :

Je demande donc que soit déclaré abolis (sic), et ce depuis le jour de l’adoption de la résolution mixte no. 2, le comité de discipline local du 405 sur lequel siégeaient Mme Duhamel, M. Grimard et M. Maras et je vous demande de déclarer, par le fait même, ultra vires la sanction du 25 juillet 2012 émise contre moi par ces 3 membres du défunt comité local de discipline du 405.

(c’est nous qui soulignons)

[20] Ni M. Kuehnbaum ni aucun autre représentant du STTP n’a répondu à la lettre de M. Thibeault. Dans sa réponse à la plainte, le STTP a soutenu que la lettre de M. Thibeault du 12 août 2012 ne constituait pas un appel en bonne et due forme aux termes du paragraphe 8.30 de ses statuts nationaux, et que M. Thibeault n’avait en outre pas respecté le délai de 15 jours prévu dans ce paragraphe :

8.30 Celle ou celui qui désire interjeter appel auprès du Comité d’appel doit transmettre à la secrétaire-trésorière ou au secrétaire-trésorier national un avis écrit à cet effet au plus tard 15 jours après que la décision du Comité local de discipline a été reçue par l’appelante ou l’appelant. La secrétaire-trésorière ou le secrétaire-trésorier national transmet immédiatement une copie de cet avis à l’autre partie, à la secrétaire-trésorière ou au secrétaire-trésorier local et à la présidente ou au président du Comité d’appel. La secrétaire-trésorière ou le secrétaire-trésorier national doit aussi transmettre une copie de la décision du Comité de discipline et du dossier de l’audition à la présidente ou au président du Comité d’appel.

(c’est nous qui soulignons)

[21] Étant donné qu’il n’avait reçu aucune réponse de la part du STTP, M. Thibeault a rédigé la présente plainte. Le 16 mai 2013, le Conseil a reçu la plainte de M. Thibeault.

III. Question de procédure

[22] Dans sa lettre du 16 juillet 2013, M. Thibeault soulevait une objection relativement à trois lettres déposées par le STTP. Ces lettres étaient arrivées le même jour que la réplique de M. Thibeault du 26 juin 2013, ou après cette date. M. Thibeault a demandé au Conseil de ne pas tenir compte de ces lettres ou, dans le cas contraire, de lui permettre de présenter une nouvelle réponse. Le Conseil a décidé de rejeter l’objection de M. Thibeault.

[23] La lettre du STTP du 26 juin 2013 ne faisait qu’ajouter un document que le STTP avait omis de joindre à sa réponse présentée le 14 juin 2013. Cette lettre du 26 juin décrivait la décision prise par le STTP en janvier 2012, qui consistait à permettre aux CLD de trancher toute affaire qui était déjà en instance avant que les modifications soient apportées aux statuts nationaux. Les soumissions écrites de M. Thibeault confirment qu’il était au courant de cette décision du STTP et qu’il l’avait contestée.

[24] Dans sa lettre du 2 juillet 2013, le STTP n’ajoutait aucun nouvel élément d’information. Cette lettre contenait simplement une autre copie de la lettre qu’il avait déjà présentée le 26 juin 2013.

[25] La lettre du STTP du 9 juillet 2013 contenait des commentaires sur la lettre de l’agent enquêteur (AE) du Conseil dans laquelle étaient résumées les observations des parties. Dans sa lettre, l’AE avait expressément donné aux parties l’occasion de formuler des commentaires.

[26] Le Conseil est convaincu que les parties ont eu une chance équitable de présenter leurs observations concernant les positions défendues par l’autre partie à l’étape des soumissions écrites. Les lettres du STTP, dont l’une a été envoyée sur l’invitation du Conseil, n’ajoutaient rien de nouveau et ne portaient en aucune façon préjudice à M. Thibeault.

[27] L’objection de M. Thibeault est par conséquent rejetée.

IV. Analyse

[28] Par souci de commodité, l’alinéa 95g) est reproduit ci-dessous :

95. Il est interdit à tout syndicat et à quiconque agit pour son compte :

g) de prendre des mesures disciplinaires contre un employé ou de lui imposer une sanction quelconque en lui appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline du syndicat.

[29] L’alinéa 95g) porte essentiellement sur deux éléments :

  1. les normes de discipline d’un syndicat;
  2. la question de savoir si elles ont été appliquées de manière discriminatoire à l’endroit d’un plaignant.

[30] Les paragraphes 97(4) et 97(5) du Code prévoient des conditions préalables devant être observées pour qu’un plaignant puisse déposer auprès du Conseil une plainte alléguant violation de l’alinéa 95g) :

97.(4) Sous réserve du paragraphe (5), la plainte reprochant à un syndicat ou à une personne agissant pour son compte d’avoir violé les alinéas 95f) ou g) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été observées :

a) le plaignant a suivi la procédure – présentation de grief ou appel – établie par le syndicat et à laquelle il a pu facilement recourir;

b) le syndicat a :

(i) soit statué sur le grief ou l’appel d’une manière que le plaignant estime inacceptable,

(ii) soit omis de statuer, dans les six mois qui suivent la date de première présentation du grief ou de l’appel;

c) la plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant était habilité au plus tôt à le faire conformément aux alinéas a) et b).

(5) Le Conseil peut, sur demande, statuer sur les plaintes visées au paragraphe (4) bien qu’elles n’aient pas fait l’objet du recours prévu s’il est convaincu :

a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sur la plainte sans retard;

b) soit que le syndicat n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

(c’est nous qui soulignons)

[31] Selon les faits propres à chaque affaire, le Conseil peut devoir examiner certaines des questions suivantes, en application des paragraphes 97(4) et 97(5) du Code :

  1. Le plaignant a-t-il d’abord présenté un grief ou un appel conformément à la procédure établie par le syndicat [97(4)a)]?
  2. Le plaignant a-t-il pu « facilement recourir » à cette procédure [97(4)a)]?
  3. Le syndicat a-t-il statué sur le grief ou l’appel [97(4)b)(i)]?
  4. Le syndicat a-t-il statué dans un délai de six mois sur le grief ou l’appel du plaignant [97(4)b)(ii)]?
  5. Le plaignant a-t-il adressé la plainte au Conseil dans les 90 jours suivant la date à laquelle il était habilité au plus tôt à le faire, conformément aux conditions procédurales préalables [97(4)c)]?
  6. Nonobstant le paragraphe 97(4), le Conseil devrait-il instruire la plainte :
    1. parce que les faits sont tels qu’elle devrait être instruite sans retard [97(5)a)]; ou
    2. parce que le plaignant n’a pas eu la possibilité de « recourir facilement » à la procédure de grief ou d’appel du syndicat [97(5)b)]?

A. Est-ce que le paragraphe 97(4) donne lieu à une cause d’action?

[32] M. Thibeault a soutenu dans sa plainte que le STTP avait contrevenu au paragraphe 97(4) du Code parce qu’il n’avait pas statué sur son appel dans le délai de six mois prévu au sous alinéa 97(4)b)(ii). En toute déférence, cet argument dénature l’objet du paragraphe 97(4).

[33] Le législateur a imposé des exigences procédurales qui doivent être respectées avant qu’une plainte alléguant violation des alinéas 95f) et 95g) puisse être déposée auprès du Conseil. Ces exigences procédurales obligent les membres d’un syndicat à suivre d’abord les procédures internes du syndicat.

[34] Ainsi, la première étape de la contestation d’une sanction ou d’une mesure disciplinaire prise par un syndicat se déroule dans le cadre d’une procédure interne, et non devant le Conseil.

[35] Cependant, dans des circonstances exceptionnelles, le paragraphe 97(5) confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire d’instruire une plainte, même si les conditions du paragraphe 97(4) n’ont pas été remplies.

[36] Le paragraphe 97(4) ne donne toutefois pas lieu à une violation distincte du Code. Un syndicat ne contrevient pas au Code parce qu’il n’a pas statué sur un grief ou un appel dans un délai de six mois.

[37] En fait, ce défaut d’avoir statué ne fait que marquer le début de la période au cours de laquelle un plaignant peut déposer une plainte auprès du Conseil. Le Conseil rejette donc l’allégation de M. Thibeault selon laquelle le STTP a contrevenu au paragraphe 97(4) du Code.

B. Est-ce que M. Thibeault a satisfait aux exigences du paragraphe 97(4) du Code?

[38] En conformité avec le sous-alinéa 97(4)b)(ii), M. Thibeault a attendu pendant six mois que le STTP statue sur son appel. Le STTP n’ayant toujours pas statué sur l’affaire le 15 février 2013, M. Thibeault a déposé sa plainte le 16 mai 2013, c’est-à-dire 90 jours après l’échéance du 15 février 2013.

[39] M. Thibeault a respecté le délai prescrit au paragraphe 97(4) du Code.

[40] Dans sa réponse du 14 juin 2013, le STTP a soutenu que M. Thibeault n’avait pas interjeté appel en bonne et due forme, aux termes du paragraphe 8.30 de ses statuts nationaux.

[41] Le Conseil a des difficultés concernant cet argument du STTP. Le paragraphe 8.30, qui est à nouveau reproduit ci-dessous par souci de commodité, prévoit qu’un appelant doit écrire soit au secrétaire-trésorier du STTP, soit à son secrétaire-trésorier national :

8.30 Celle ou celui qui désire interjeter appel auprès du Comité d’appel doit transmettre à la secrétaire-trésorière ou au secrétaire-trésorier national un avis écrit à cet effet au plus tard 15 jours après que la décision du Comité local de discipline a été reçue par l’appelante ou l’appelant. La secrétaire-trésorière ou le secrétaire-trésorier national transmet immédiatement une copie de cet avis à l’autre partie, à la secrétaire-trésorière ou au secrétaire-trésorier local et à la présidente ou au président du Comité d’appel. La secrétaire-trésorière ou le secrétaire-trésorier national doit aussi transmettre une copie de la décision du Comité de discipline et du dossier de l’audition à la présidente ou au président du Comité d’appel.

(c’est nous qui soulignons)

[42] M. Thibeault a écrit à M. Kuehnbaum, qui occupe le poste de secrétaire-trésorier national. Le paragraphe 8.30 prévoit différentes procédures internes qui doivent être exécutées sur réception d’une lettre de ce genre. Il semble toutefois que rien n’ait été fait, pas même l’envoi d’un accusé de réception à M. Thibeault.

[43] Le STTP n’a jamais écrit à M. Thibeault pour lui faire savoir qu’à son avis, il n’avait pas interjeté appel en bonne et due forme, aux termes du paragraphe 8.30. C’est dans la réponse qu’il a présentée à la plainte de M. Thibeault que le STTP a exposé cette position pour la première fois.

[44] Le STTP a également fait valoir que l’appel interne de M. Thibeault avait été interjeté à l’extérieur du délai de 15 jours prévu au paragraphe 8.30, étant donné que la décision initiale du CLD avait été prise en mai 2012. M. Thibeault a toutefois joint à sa plainte une copie de la décision du CLD du 25 juillet 2012 (voir ci-dessus), selon laquelle une interdiction de six mois lui était imposée à compter du 25 juillet 2012. Il n’y a au dossier aucun élément de preuve démontrant que la lettre de M. Thibeault du 12 août 2012, par laquelle il contestait sa suspension du 25 juillet 2012, aurait été présentée à l’extérieur du délai prescrit.

[45] Ces faits soulèvent la question de savoir si le STTP a donné à M. Thibeault la possibilité de « recourir facilement » à une procédure de grief ou d’appel. Le STTP n’a fait parvenir aucune réponse à M. Thibeault après que celui-ci eut interjeté appel, sauf en répondant à la présente plainte. L’expression « recourir facilement » (ou « facilement recourir ») est employée à la fois au paragraphe 97(4) et au paragraphe 97(5) du Code.

[46] La lettre que M. Thibeault a adressée à M. Kuehnbaum le 12 août 2012 démontrait clairement que M. Thibeault souhaitait obtenir l’annulation, par le STTP, de la mesure disciplinaire prise le 25 juillet 2012 par le CLD. Aucun représentant du STTP n’a répondu à cette lettre de M. Thibeault.

[47] Bien que le STTP n’ait pas explicitement empêché M. Thibeault de recourir facilement au processus d’appel, de l’avis du Conseil, le mutisme du STTP de même que son inaction à la suite de la réception de la lettre d’appel ont eu le même effet. La tentative que M. Thibeault a faite pour contester la décision du CLD du 25 juillet 2012 a été ignorée, sans qu’aucune explication soit donnée.

[48] En conséquence, en plus d’avoir conclu que M. Thibeault a respecté les exigences procédurales et le délai prescrits au paragraphe 97(4), le Conseil est convaincu que, de toute manière, M. Thibeault n’a pas pu « facilement recourir » à la procédure d’appel du STTP. Par conséquent, que ce soit en application du paragraphe 97(4) ou du paragraphe 97(5), le Conseil peut examiner la plainte de M. Thibeault sur le fond.

C. Alinéa 95g) : le rôle du Conseil

[49] La plainte de M. Thibeault soulève des questions concernant la portée du rôle de surveillance que le Conseil peut exercer au regard des affaires internes d’un syndicat. Selon l’alinéa 95g), le Conseil est tenu, en vertu du Code, de déterminer si le STTP a appliqué ses normes de discipline à M. Thibeault de manière discriminatoire.

[50] Dans sa plainte, M. Thibeault demande toutefois au Conseil de déterminer si les modifications apportées aux statuts nationaux du STTP en octobre 2011 font en sorte que la mesure disciplinaire décidée par le CLD est « ultra vires ». En d’autres mots, M. Thibeault allègue que, légalement, le CLD n’avait pas le pouvoir d’intervenir après que le STTP eut modifié ses statuts nationaux en octobre 2011.

[51] Dans le cadre d’une plainte fondée sur l’alinéa 95g), le Conseil est-il l’instance à qui il revient de formuler une déclaration sur la validité légale ou, subsidiairement, sur l’interprétation correcte, des statuts nationaux d’un syndicat?

[52] Dans Berry c. Pulley, 2002 CSC 40, la Cour suprême du Canada (CSC) a formulé des commentaires sur le statut juridique des syndicats et sur les mesures de redressement possibles en cas de violation des droits contractuels d’un membre du syndicat :

63 Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’obligations entre les syndiqués. Par son adhésion, le syndiqué consent à respecter les règles du syndicat, et par l’adhésion qui les lie, les syndiqués ont les uns envers les autres des obligations juridiques de se conformer à ces règles. S’il y a atteinte aux droits garantis aux syndiqués par les statuts du syndicat, c’est une atteinte commise par le syndicat, qui peut alors être tenu responsable envers le syndiqué en cause. De même, un syndicat peut imposer au syndiqué qui contrevient à ses règlements les mesures disciplinaires prévues par ses statuts. En ne se conformant pas à ces procédures en matière disciplinaire, le syndicat risque de manquer à ses obligations contractuelles envers les autres syndiqués, manquement qui donne lieu aux recours correspondants prévus au contrat.

64 Si le syndicat n’insiste pas pour que ses statuts soient respectés ou n’impose pas de mesures disciplinaires en cas de violation, les syndiqués pourraient peut-être, en plus de bénéficier des procédures internes existantes, intenter des poursuites auprès du Conseil canadien des relations industrielles ou d’une cour de justice, selon la nature de la plainte. En plus des poursuites qu’il peut intenter contre le syndicat, le syndiqué lésé par suite de l’inobservation des règles du syndicat de la part d’un autre syndiqué peut intenter une action en responsabilité délictuelle contre ce dernier si les éléments requis sont établis.

(c’est nous qui soulignons)

[53] Comme la CSC l’a fait remarquer, une poursuite pour violation de contrat peut être intentée lorsqu’un syndicat ne se conforme pas à ses statuts nationaux. La CSC a également fait observer que certaines violations, dépendant de leur nature, peuvent donner lieu à des plaintes au Conseil.

[54] Une distinction entre les affaires relevant des cours de justice et celles qui sont régies par le Code a été établie dans des décisions antérieures.

[55] Dans Pilette c. Syndicat des postiers du Canada, [1991] R.J.Q. 1015 (Pilette), la Cour supérieure du Québec a fait la distinction entre la compétence du prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), et la compétence des cours de justice. La Cour a cité diverses décisions du CCRT dans lesquelles celui-ci décrivait son rôle limité en ce qui a trait aux affaires internes d’un syndicat.

[56] Le CCRT limitait ses interventions aux situations expressément prévues par le Code, comme l’application discriminatoire des normes de discipline d’un syndicat. Les interdictions prévues au Code servaient à faire contrepoids au droit de représentation exclusif que le Code accorde à un syndicat.

[57] Le Code ne conférait toutefois pas au Conseil un pouvoir de surveillance général sur le fonctionnement interne d’un syndicat – qui est essentiellement une association non constituée en personne morale, assujettie à la compétence provinciale.

[58] Dans Pilette, précité, la Cour s’est exprimée ainsi :

[15] Il ne faut donc pas se méprendre sur la nature du pouvoir du Conseil. Il ne s’agit pas d’un contrôle sur la nature de la constitution interne du syndicat. La décision Matus est claire à cet effet. Elle est rapportée par Carrothers, Palmer et Rayner de cette façon :

Après avoir conclu, sur le fondement de Johnston v. Amalg. Transit Union and B.C. Hydro and Power Authority, que le Conseil n’avait pas toute la latitude pour régir les affaires internes d’un syndicat, le Conseil a déclaré qu’il jouait un rôle de surveillance limité eu égard aux affaires syndicales, dans la mesure où celles ci sont régies par des dispositions précises du Code du travail.

(traduction)

Les tribunaux de droit commun demeurent les seuls habilités à interpréter les termes et la portée des règles liant les membres avec son syndicat :

Les tribunaux de droit commun ont affirmé catégoriquement que les autorités internes, par exemple l’organe disciplinaire d’un syndicat, ne peuvent s’arroger le droit d’interpréter les statuts de l’association. C’est en dernier ressort aux tribunaux de droit commun qu’il revient de décider de l’interprétation qu’il convient de donner aux statuts constitutifs qui lient les membres, c.-à-d. aux règles. Cela leur permet bien entendu, s’ils le jugent opportun, de supposer des clauses implicites dans le contrat conclu entre les membres.

(traduction)

[16] Une décision récente rendue par le CCRT va dans le même sens. Il s’agit de l’affaire Saunders c. Syndicat des postiers du Canada :

Le Conseil canadien des relations du travail n’a aucun mandat général lui conférant la responsabilité de superviser ou de surveiller l’observation par le syndicat de ses statuts, de ses règlements internes et de ses règles de procédure. Toute infraction de ce genre peut faire l’objet d’une contestation devant d’autres tribunaux.

La participation du Conseil aux activités internes d’un syndicat se limite à des cas très précis; en ce qui concerne les alinéas 185f) et g), cette participation a trait aux règles d’adhésion ou aux normes de discipline qui sont appliquées d’une manière « discriminatoire ».

[17] En conséquence, il appartient au Syndicat d’édicter ses propres règles de discipline interne. Et, ce n’est que dans la mesure où de telles règles sont appliquées, de façon discriminatoire, au sens de l’article 95 du C.c.t. que le Conseil interviendra. Telle est sa juridiction dans ce domaine. Dans tous les autres cas de non-respect des règles par le syndicat la juridiction appartient aux tribunaux de droit commun. Mais quelle est la définition qu’il faut donner au mot discrimination utilisé à l’article 95?

(c’est nous qui soulignons)

[59] Le libellé de l’alinéa 95g) implique, jusqu’à un certain point, que la validité des « normes de discipline » du syndicat ne fait l’objet d’aucune contestation. Lorsque l’alinéa 95g) est invoqué, le Conseil se demande plutôt si le syndicat a appliqué de manière discriminatoire ses normes de discipline établies en prenant des mesures disciplinaires ou une quelconque sanction contre un individu.

[60] Le CCRT s’est exprimé sur cette question dans Conlin (1994), 95 di 145; et 27 CLRBR (2d) 149 (CCRT no 1088) (Conlin) :

... Le Conseil n’a pas le mandat d’intervenir dans les affaires internes d’un syndicat, l’interprétation des statuts d’un tel syndicat en faisant évidemment partie. Dans un cas comme en l’espèce, le Conseil peut tout au plus veiller à ce que le syndicat applique les statuts de façon non discriminatoire…

Bien qu’il soit possible que des interprétations peu appropriées des statuts par le responsable syndical désigné viennent corroborer d’autres indices de discrimination, une interprétation défavorable des statuts ne peut, à elle seule, justifier une intervention du Conseil, ni amener celui-ci, sans preuve supplémentaire, à conclure que le syndicat a opté pour cette interprétation défavorable dans le seul but de faire de la discrimination à l’endroit d’un particulier.

(pages 149; et 153)

[61] Comme il est mentionné dans Conlin, précitée, le Conseil peut, dans de rares cas, se demander si une interprétation des statuts nationaux est tellement excessive que ce fait, combiné à d’autres, constitue une preuve suffisante que le syndicat a traité un employé de manière discriminatoire. Ce n’est toutefois pas le cas dans la situation qui est en cause en l’espèce, le litige consistant à déterminer si un CLD disposait du pouvoir nécessaire pour prendre, aux termes des statuts du STTP, les décisions qu’il a prises.

D. Décision

[62] M. Thibeault n’a pas démontré que le STTP a contrevenu à l’alinéa 95g). M. Thibeault a soutenu que le STTP avait aboli les CLD constitués en vertu de l’article 8 de ses statuts nationaux à l’occasion de son congrès tenu en octobre 2011. Il a indiqué au STTP que toutes les mesures prises par les CLD à la suite des modifications étaient « ultra vires ».

[63] De son côté, le STTP a soutenu qu’il avait précisé ultérieurement que les CLD trancheraient toutes les plaintes en instance déposées avant que les modifications d’octobre 2011 soient apportées aux statuts nationaux.

[64] Le litige contractuel qui oppose les parties concerne la validité et l’interprétation de certaines dispositions des statuts nationaux du STTP. Le rôle du Conseil, aux termes de l’alinéa 95g), n’englobe pas la résolution de litiges de ce genre (Conlin, précitée).

[65] M. Thibeault n’a présenté aucun élément de preuve attestant que le STTP l’a traité différemment d’autres membres se trouvant dans une situation similaire. En fait, sa plainte se fonde exclusivement sur son point de vue selon lequel le STTP a aboli les CLD en octobre 2011 et aucun CLD n’avait, par conséquent, le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre lui.

[66] C’est à une cour de justice qu’il revient de trancher un tel litige, qui porte sur l’interprétation correcte des statuts nationaux du STTP. En effet, les cours de justice ont instruit un grand nombre d’affaires qui concernaient des litiges relatifs aux pouvoirs dont un syndicat disposait en vertu de ses statuts nationaux (voir, par exemple, Birch v. Union of Taxation Employees, Local 70030, (2008) 288 D.L.R. (4th) 424, confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario dans Birch v. Union of Taxation Employees, Local 70030, 2008 ONCA 809).

[67] Même si le Conseil était dans l’erreur eu égard à la portée de l’alinéa 95g), l’absence de toute preuve de discrimination en ce qui a trait à l’application des normes de discipline du STTP mettrait de toute façon un terme à l’affaire.

[68] Le Conseil comprend fort bien la frustration qu’un plaignant peut ressentir lorsqu’on lui apprend, après qu’il a consacré des efforts considérables à la rédaction de ses soumissions écrites, que le Conseil n’est pas l’instance à qui il revient de trancher l’affaire.

[69] Il n’en demeure pas moins que le Conseil et son prédécesseur, le CCRT, ont rendu des décisions uniformes depuis des décennies en ce qui concerne l’étendue de leur compétence découlant de l’article 95. Il n’y a aucune raison de déroger à cette interprétation de l’article 95 du Code.

[70] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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