Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Antony David Scott, Jennifer Thacker, Katarina Sliacky et Ada Li,

plaignants,

et

Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale,

intimée,

et

United Airlines, inc.,

employeur.

Dossier du Conseil : 29151-C

Référence neutre : 2014 CCRI 710

Le 31 janvier 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. John Bowman et Terence Lineker, Membres. Une audience a été tenue du 1er au 4 octobre 2012, du 13 au 16 mai 2013, les 23 et 24 juin 2013 et le 8 octobre 2013.

Ont comparu
Me Ib S. Petersen, pour Antony David Scott, Jennifer Thacker, Katarina Sliacky et Ada Li;
Me Bruce A. Laughton, c.r., pour l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale;
Mes Douglas G. Gilbert et Shane Todd, pour United Airlines, inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Nature de la plainte

[1] Le 5 décembre 2011, le Conseil a reçu une plainte de pratique déloyale de travail déposée par quatre anciens employés de United Airlines, inc. (United) : M. Antony David Scott; Mme Ada Li; Mme Jennifer Thacker et Mme Katarina Sliacky (ci après appelés collectivement les plaignants).

[2] Les plaignants, qui comptaient tous de nombreuses années de service pour United au moment de leur congédiement, se sont plaints que leur agent négociateur, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA), avait manqué à son devoir de représentation juste (DRJ) en vertu de l’article 37 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[3] En mars 2011, United a congédié sept employés de longue date, y compris les quatre plaignants, en raison de présumées irrégularités liées à la billetterie. Au cours de l’été 2011, l’AIMTA a réussi à faire réintégrer dans leurs fonctions trois des sept employés, mais elle a refusé de renvoyer à l’arbitrage les griefs relatifs au congédiement des plaignants.

[4] Le Conseil est convaincu que l’AIMTA, bien qu’elle se soit à l’origine acquittée du devoir auquel elle était tenue envers les plaignants, a enfreint le Code lorsqu’elle a cessé pratiquement toute communication avec eux alors qu’elle obtenait la réintégration des trois autres employées. À titre d’exemple, ce n’est qu’au cours de l’audience devant le Conseil que les plaignants ont appris que certaines des employées rétablies dans leurs fonctions leur avaient apparemment attribué la responsabilité des présumées irrégularités liées à la billetterie. L’AIMTA n’avait jamais informé les plaignants de ces allégations potentiellement préjudiciables.

[5] Voici les motifs de la décision du Conseil.

II. Chronologie des événements

[6] Comme il est indiqué dans le tableau ci-dessous, les quatre plaignants avaient beaucoup d’ancienneté à United au moment de leur congédiement, survenu en mars 2011 :

Nom Dates de la période d’emploi Durée du service
Ada Li Du 6 novembre 1992 au 3 mars 2011 18 ans, 3 mois et 3 jours
Jennifer Thacker Du 1er mai 1994 au 3 mars 2011 16 ans, 10 mois et 3 jours
Katarina Sliacky Du 9 février 1998 au 3 mars 2011 13 ans et 3 jours
Anthony David Scott Du 13 juin 1998 au 12 mars 2011 12 ans, 8 mois et 3 jours

A. Février 2011

[7] En février 2011, United a envoyé ses vérificateurs internes des États Unis poser des questions à sept de ses employés travaillant à l’Aéroport international de Vancouver. Les entretiens se sont tenus du 22 au 24 février 2011 et ont porté principalement sur les présumées irrégularités liées à la billetterie.

[8] Des délégués syndicaux de la section locale de l’AIMTA ont assisté à chacun des entretiens individuels entre United et les sept employés visés et en ont rédigé un compte rendu (pièce 3; onglets 1, 9, 17 et 29).

B. Mars 2011

[9] Le 3 mars 2011, Mmes Li, Thacker et Sliacky ont toutes reçu de United un formulaire de sanction disciplinaire pratiquement identique dans lequel il était indiqué qu’elles faisaient l’objet d’un congédiement justifié.

[10] Le 12 mars 2011, United a congédié M. Scott au moyen du même formulaire. Le congédiement de M. Scott a eu lieu neuf jours plus tard, car il était à l’étranger lorsque United a congédié les trois plaignantes.

[11] Trois autres employées de United ont également fait l’objet d’un congédiement justifié, pour un total de sept.

[12] La violation qui, selon l’employeur, justifiait les congédiements est décrite dans le formulaire envoyé par United :

Vous avez été impliqué(e) dans des transactions de billets pour vous-même, pour des collègues ou des amis. Des billets ont été achetés, puis les vols ont été déplacés à des dates différentes, de sorte que les codes de réservation qui leur étaient associés étaient plus élevés et plus chers. Or, jamais la différence de prix n’a été réclamée, ni remboursée à l’entreprise, et les frais de modification n’ont pas été facturés.

Voir le document ci-joint pour des exemples précis.

(traduction)

[13] L’AIMTA a présenté des griefs sans délai après les congédiements. Le ou vers le 18 mars 2011, l’AIMTA a fourni aux plaignants les documents qu’elle avait reçus de United.

[14] À la fin mars, l’AIMTA a rencontré individuellement les sept employés s’estimant lésés. Mme Tania Canniff, une présidente générale de l’AIMTA, ainsi que Mme Janet Andrews, déléguée syndicale principale, et Mmes Julie Gordon et Laura Sharp, déléguées syndicales, ont participé à ces rencontres en tant que représentantes de l’AIMTA.

C. Avril 2011

[15] Mme Canniff a saisi à l’ordinateur un résumé des explications des plaignants à partir des notes prises lors des rencontres individuelles tenues avec ceux ci en mars 2011 (pièce 3; onglets 3, 11, 19 et 28). Mmes Li et Sliacky et M. Scott ont immédiatement fourni par écrit à Mme Canniff des explications supplémentaires relativement aux documents de United, avant l’examen des dossiers au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Le 11 mai 2011, Mme Thacker a envoyé à Mme Canniff ses explications concernant les documents de United (pièce 3; onglet 29).

[16] Des « audiences » au troisième palier ont eu lieu le 12 mai 2011 pour chacun des plaignants; chaque plaignant a eu une « audience » individuelle.

[17] Le troisième palier de la procédure de règlement des griefs chez United était une nouveauté pour le Conseil, du moins dans un contexte canadien. La procédure, à ce palier, ressemblait plutôt à une audience interne, dans le cadre de laquelle United et l’AIMTA ont présenté de vive voix des observations concernant cette affaire.

[18] United, qui s’occuperait par la suite de rédiger la « décision » prise au troisième palier, a énoncé sa position relativement à chaque employé congédié. Mme Canniff a présenté des observations de vive voix au nom de chaque employé s’estimant lésé. Les employés s’estimant lésés ont également eu l’occasion de se faire entendre en ce qui a trait aux allégations formulées dans les documents fournis.

D. Juin 2011

[19] Le 1er juin 2011, United a communiqué des décisions distinctes prises au troisième palier, dans lesquelles elle rejetait les sept griefs, y compris ceux des plaignants. Dans ces décisions individuelles, United semblait soupeser la preuve et arriver à une conclusion, comme si elle avait été arbitre.

[20] Le ou vers le 2 juin 2011, Mme Canniff a envoyé à chaque plaignant un courriel identique (voir par exemple la pièce 1; onglet 2(h)) auquel était jointe la décision au troisième palier prise par United. Dans ce courriel était décrit le processus que suivrait l’AIMTA pour décider s’il y avait lieu de renvoyer le grief à l’arbitrage :

Ci-joint la décision de l’employeur en réponse au grief et à l’audience au troisième palier.

La prochaine étape du processus consiste en un examen du grief par le Comité des présidents généraux dans le but d’établir s’il y a lieu ou non de le renvoyer à l’arbitrage. La décision de procéder ou non au renvoi à l’arbitrage doit être majoritaire. Si la décision du Comité est favorable au renvoi à l’arbitrage, l’employeur en sera avisé et une audience d’arbitrage sera mise au rôle conformément aux dispositions de la convention collective. Si la décision du Comité est défavorable au renvoi à l’arbitrage, vous aurez le droit d’en appeler conformément à la politique de la section locale, qui vous sera précisée dans une correspondance ultérieure de notre part.

Nous demanderons à l’employeur de suspendre tous les délais tant que l’examen ne sera pas terminé.

N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez des questions. Autrement, je communiquerai avec vous après l’examen.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[21] Mme Canniff a déclaré, pendant l’interrogatoire principal, qu’elle avait aussi demandé à recevoir les commentaires des plaignants sur la décision au troisième palier et qu’elle les avait tous reçus peu de temps après. Dans son courriel du 3 juin 2011, Mme Andrews a demandé à M. Scott de « passer au peigne fin » (traduction) la décision de United (pièce 2; onglet 7(e)).

[22] Le 2 juin 2011, M. Scott a envoyé un courriel à Mme Canniff pour contester l’exactitude de la décision au troisième palier :

Bonjour Tania,

D’où sort cette histoire de fierté à l’égard de la conformité à tl17? Je n’ai jamais dit ça. Il m’a demandé quel était mon rôle par rapport à ça, et c’est tout. Comment se fait-il que ce soit le seul élément qu’il ait retenu de tout ce que j’ai dit en 30 minutes? Mes propos ont été complètement déformés.

(traduction)

[23] Le 3 juin 2011, Mme Thacker a envoyé un courriel à Mme Canniff :

Bonjour Tania,

Merci pour le courriel.

Après avoir parcouru dans ses grandes lignes le document en pièce jointe, je dois dire que ce qui y est écrit est très loin de ce qui a réellement été dit… J’espère que peu de poids est accordé à ce document; autrement, il faudra y apporter des modifications.

Merci de tous vos efforts. J’attends les prochaines étapes.

Jen

(traduction)

[24] Le 6 juin 2011, Mme Sliacky a envoyé un courriel à Mme Canniff, dans lequel elle exposait divers points qui la préoccupaient en ce qui a trait à la décision au troisième palier prise par United :

Après avoir lu attentivement la décision prise à la suite de la réunion au troisième palier, il me faut répondre à toutes les fausses accusations qui pèsent contre moi.

* Je n’ai pas personnellement tiré avantage de ces modifications.*
* J’ai demandé l’approbation de l’agent principal pour une modification.*
* Je n’ai modifié aucun billet ni n’ai utilisé INVOL pour le voyage de mon époux.*
* Je n’ai jamais entré de faux tarif dans le système ni n’ai gardé des sièges.*

et UA à YVR n’a jamais organisé de séances d’information par quart pour discuter de problèmes liés à la billetterie. Tout cela semble injuste et injustifié.

J’apprécie tous les efforts que vous faites pour m’aider à réintégrer mon emploi. J’espère que nous voyons la situation du même oeil et que vous continuerez à vous battre.

Merci.

Katarina

(traduction)

[25] Le 11 juin 2011, Mme Li a écrit à Mmes Canniff et Andrews un courriel (pièce 3; onglet 6) auquel était joint un document de deux pages contenant ses commentaires sur la décision au troisième palier prise par United :

Bonjour Tania et Janet,

Ci-joint un document concernant la décision prise au troisième palier. Si je dois faire autre chose, prière de m’en informer. Je vous remercie de tous vos efforts et de tout votre travail dans cette affaire.

(traduction)

[26] Le 22 juin 2011, M. Scott a envoyé à Mme Canniff un autre courriel, auquel était joint un document de trois pages contenant ses commentaires en réponse à la décision de United au troisième palier (pièce 3; onglet 14).

[27] Mme Canniff n’a pas répondu à ces courriels envoyés par les plaignants.

[28] Dans son témoignage, Mme Canniff a expliqué qu’elle avait rencontré des représentants de United à l’occasion de négociations collectives à la fin juin 2011. Au cours de la dernière séance de négociation, le 29 juin 2011, ils avaient discuté du règlement des griefs. Il n’existe ni compte rendu ni aucun autre document portant sur ces discussions.

E. Juillet 2011

[29] À l’été 2011, Mme Canniff a perdu plusieurs membres de sa famille qui lui étaient chers. Elle a pris un congé pour raisons familiales en juillet 2011, mais est demeurée responsable du dossier relatif au congédiement des plaignants. Ces derniers étaient au courant de l’épreuve vécue par Mme Canniff et ont fait preuve de compassion à son égard.

[30] Le 3 juillet 2011, Mme Thacker a écrit à Mme Canniff pour lui transmettre ses condoléances et lui demander une mise à jour :

Bonjour Tania,

Toutes mes condoléances…

J’ai entendu dire par mes compagnons, les « sept de United » (comme l’un de nous nous a surnommés), que vous étiez absente et que des négociations sont en cours. Cependant, une petite mise à jour permettrait de soulager une partie du stress qui nous pèse (je suis certaine que vous savez, d’après votre expérience, que nous éprouvons tous une certaine forme de stress). Pouvez-vous nous donner un échéancier? Nous comprenons bien que celui-ci pourrait être sujet à changement. Quelle est la date la plus optimiste à laquelle vous pensez pouvoir rencontrer les deux autres présidents généraux?

Aussi, pendant ces négociations, la question des paiements forfaitaires restera-t-elle en suspens, dans un contexte où 10 % de l’effectif d’YVR est parti?

Avez-vous besoin que je commente point par point la décision écrite communiquée par Mark Vickery? J’ai pris des notes, mais 95 % de ce que j’ai à dire est semblable à ce qu’Ada et Tony vous ont fait parvenir et, je présume, à ce que pensent les quatre autres.

Merci.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[31] Le 28 juillet 2011, M. Scott a écrit à Mme Canniff pour lui présenter ses condoléances à la suite des décès survenus dans sa famille et pour lui faire part de ses inquiétudes concernant les délais prescrits pour le renvoi à l’arbitrage :

Bonjour Tania,

J’ai été désolé d’apprendre que vous aviez perdu des êtres chers et je vous offre mes condoléances en ces temps difficiles. Je me demandais s’il faut commencer à s’inquiéter à propos des délais prescrits pour le renvoi à l’arbitrage. J’ai lu le contrat ce soir et j’ai remarqué qu’au paragraphe E de l’article 12, il est prévu que le dossier relatif à un différend doit être présenté dans les 30 jours suivant la fin de la procédure au troisième palier, à défaut de quoi le Conseil n’instruira pas l’affaire. La décision de l’entreprise (1er juin 2011) remontera bientôt à deux mois, et nous sommes donc bien au delà du délai de 30 jours. J’espère que nous n’aurons pas de problème à cet égard, car nous ne savons toujours pas si le syndicat a l’intention de renvoyer l’affaire à l’arbitrage.

(traduction)

[32] Exceptionnellement pour cette période, Mme Canniff a répondu au courriel de M. Scott le 29 juillet 2011 et lui a confirmé que les délais avaient été suspendus :

Bonjour Tony,

Tous les délais dans cette affaire sont actuellement suspendus, alors vous n’avez pas à vous en faire à ce sujet.

Tania

(traduction)

F. Août 2011

[33] Mme Canniff est revenue au travail en août 2011, après son congé pour raisons familiales, mais elle n’était pas à son bureau du 2 au 15 août 2011 inclusivement parce qu’elle assistait à une formation.

[34] En août 2011, les plaignants ont commencé à entendre des rumeurs selon lesquelles United pourrait réintégrer les trois autres employées qui avaient été congédiées.

[35] Le 10 août 2011, M. Scott a écrit à Mmes Canniff et Andrews au sujet de ces rumeurs :

Bonjour Janet et Tania,

Je sais que vous nous avez dit de ne pas écouter les rumeurs, mais j’ai entendu de nombreuses sources – dont l’une assez proche de l’un de nous – que trois personnes allaient réintégrer leurs fonctions bientôt. Est-ce vrai?

Solidairement,

Tony

(traduction)

[36] Seule Mme Andrews lui a répondu, réponse qui a suscité l’envoi de ce message par M. Scott le 11 août 2011 :

Bonjour Janet,

Merci pour le message. C’est une situation très difficile, car nous n’entendons que des bribes de rumeurs et des hypothèses formulées par des gens qui ne sont pas dans le secret des dieux, mais qui affirment l’avoir appris du syndicat.

Tony

(traduction)

[37] Le 15 août 2011, soit le premier jour de travail de Mme Canniff à son bureau après six semaines de congé pour raisons familiales, des séances de négociation collective et de la formation à l’extérieur, United lui a envoyé des ententes de réintégration pour trois des sept employés qui avaient été congédiés. Deux des employées visées par une telle entente l’ont signée le 16 août 2011, tandis que la troisième l’a signée le 2 septembre 2011.

[38] Mme Canniff a déclaré qu’il n’existe aucune note, aucun courriel, aucune version provisoire ni aucun autre document au sujet de ces ententes.

[39] Le 16 août 2011, Mme Thacker a écrit à Mme Canniff au nom des plaignants pour lui faire part de leur frustration à l’égard du fait que l’AIMTA n’avait pas répondu à leurs multiples demandes de renseignements :

Bonjour,

Je suis désolée d’être obligée de vous écrire ce courriel, mais nous avons besoin de réponses.

Depuis les deux derniers mois, la situation est frustrante et déroutante.

Oui, nous comprenons que des négociations sont en cours.
Oui, nous comprenons que des difficultés personnelles sont survenues; nous avons fait preuve de compassion à cet égard.
Oui, nous comprenons que les gens prennent des vacances.
Oui, nous comprenons que les gens assistent à des séances de formation.

Ce que nous ne comprenons pas, c’est l’absence de réponse à nos messages, le manque d’information et le défaut de nous tenir au courant de l’évolution de la situation.

Nous sommes sept dans la même situation, sept membres du syndicat de United Airlines loyaux et travaillants, qui s’attendent à ce que cette affaire soit réglée rapidement et qui méritent qu’elle le soit.

Voici nos questions :

Quand organiserez-vous une réunion avec les présidents généraux?
Ces réunions se tiennent-elles à date fixe?
N’organiserez-vous pas une telle rencontre avant la fin des négociations?
Si vous attendez la signature du contrat pour ce faire, combien de temps faut-il avant qu’une réunion puisse avoir lieu? Une semaine? Un mois?
Y a-t-il des choses auxquelles vous travaillez en arrière-plan, mais dont nous ne sommes pas au courant?
Est-il vrai que Tina Birring réintégrera ses fonctions?
Est-il vrai que Maria Riveria réintégrera ses fonctions?
Est-il vrai que Venus Bermudez réintégrera ses fonctions?

Nous trouvons fantastique que vous ayez pu redonner leur emploi à ces trois personnes, et nous nous attendons donc, les trois autres et moi, à être rappelés au travail sous peu, étant donné que nous étions tous accusés de la même faute, à savoir une violation du numéro 2 du Code de déontologie.

La présente a été envoyée et approuvée par Katarina Sliacky, Tony Scott et Ada Li.

Merci.

Jen

(traduction; caractères gras ajoutés)

[40] Le 16 août 2011, Mme Canniff a envoyé un courriel aux plaignants pour leur dire que l’AIMTA avait conclu une entente avec United visant la réintégration de trois des sept employés. Mme Canniff a indiqué que les dossiers individuels des plaignants seraient renvoyés à un comité des présidents généraux (Comité des PG) qui passerait en revue les éléments de preuve. Ce comité serait constitué de Mme Canniff et de deux autres présidents généraux de l’AIMTA.

[41] Mme Canniff a avisé les plaignants du fait que, si le Comité des PG décidait de ne pas renvoyer leurs griefs à l’arbitrage, il leur enverrait une lettre « dans laquelle seront résumées les raisons de [sa] décision… » (traduction), comme en témoigne ce courriel envoyé à Mme Sliacky (pièce 2; onglet 4(d)) :

Je vous écris pour vous aviser que nous n’avons pas réussi, malgré tous nos efforts, à régler le grief avec l’employeur.

Un résumé des éléments de preuve est en préparation; il sera envoyé au Comité des présidents généraux cette semaine, et celui-ci procédera alors à l’examen du grief pour établir s’il doit être renvoyé ou non à l’arbitrage. Comme je vous l’ai déjà dit, la décision de procéder ou non au renvoi à l’arbitrage doit être majoritaire. Si le Comité est favorable au renvoi à l’arbitrage, l’employeur en sera avisé et une audience d’arbitrage sera mise au rôle. Les parties se sont entendues pour faire appel à un conseil d’arbitrage, conformément aux dispositions de la convention collective, et un arbitre a été choisi. Selon la disponibilité des arbitres, il est fort probable que l’affaire soit instruite en décembre 2011 et qu’une décision soit rendue dans les 30 à 60 jours civils. Si le Comité est défavorable au renvoi à l’arbitrage, nous vous enverrons une lettre dans laquelle seront résumées les raisons de notre décision et seront exposées les procédures relatives au droit d’appel, conformément à la politique de la section locale. J’espère pouvoir être en mesure de vous informer de la décision du Comité d’ici les deux (2) prochaines semaines.

Je tiens également à vous faire savoir que nous avons réussi à faire réintégrer trois (3) employées touchées par les congédiements multiples; je ne suis toutefois pas en mesure de vous communiquer les détails de ces affaires, car les modalités de leurs règlements individuels sont confidentielles.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[42] Pendant l’été, Mme Canniff a préparé des résumés de l’affaire en vue de l’examen de la question de l’arbitrage par le Comité des PG. Ces résumés comprenaient, entre autres, les notes prises par les représentants de l’AIMTA, les décisions au troisième palier de United et les commentaires initiaux des plaignants. Les commentaires envoyés par les plaignants en juin 2011, à la demande de Mme Canniff et à la suite des décisions au troisième palier, n’ont pas été inclus dans les résumés.

[43] Le 17 août 2011, après avoir appris de Mme Canniff que United avait réintégré trois employées, Mme Thacker a demandé des renseignements supplémentaires :

Bonjour Tania,

C’est une excellente nouvelle d’apprendre que trois d’entre nous reprennent le travail. Cela veut dire que les trois autres et moi même devons nous battre encore un peu, mais que nous finirons par avoir gain de cause.

Lorsque vous dites que vous n’êtes pas en mesure de nous communiquer les détails de ces affaires, car les modalités des règlements individuels sont confidentielles, qu’entendez-vous exactement par là? Les employées visées peuvent-elles parler de ces modalités? Ont-elles été contraintes à signer un document juridique exigeant d’elles qu’elles gardent le silence? Ont-elles dû faire quelque chose d’autre qui aurait une incidence négative pour les quatre autres? J’oserais dire que la politique du silence n’est pas tellement respectée à United, étant donné que nous avons appris le retour au travail de Tina il y a une semaine d’une source fiable, et il y a un mois d’une source incertaine.

Merci des efforts constants que vous déployez pour nous.

Jen

(traduction; caractères gras ajoutés)

[44] Mme Canniff n’a jamais répondu à Mme Thacker.

[45] Également le 17 août 2011, Mme Sliacky a écrit à Mme Canniff pour lui demander pourquoi elle n’avait pas été informée de l’évolution de la situation :

Bonjour Tania,
Ce sont d’excellentes nouvelles pour Maria, Venus et Tina. Je suis heureuse pour elles. J’ai seulement une question. Pourquoi n’ai-je pas été informée des efforts constants qui ont été déployés pour régler les griefs avec l’employeur? Peut-être que ces efforts ne visaient pas mon grief en particulier?

J’ai maintenant une nouvelle adresse de courriel… Veuillez dorénavant m’écrire à cette adresse. Merci.
Katarina

(traduction; caractères gras ajoutés)

G. Septembre 2011

[46] Mme Sliacky a écrit à Mme Canniff à nouveau le 2 septembre 2011; aucune réponse n’avait été donnée à son message du 17 août 2011 :

Bonjour Tania,

Plus de deux semaines ont passé, et je me demande si le syndicat a pris une décision en ce qui me concerne. L’adresse de laquelle je vous écris est ma nouvelle adresse de courriel, et mon numéro de téléphone cellulaire est le…

Merci.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[47] Le Comité des PG a examiné les quatre griefs des plaignants au début de septembre 2011.

[48] Le 7 septembre 2011, l’AIMTA a envoyé à chaque plaignant une lettre identique dans laquelle il était indiqué que leur grief de congédiement ne serait pas renvoyé à l’arbitrage. La lettre portait principalement sur le droit des plaignants de porter la décision de l’AIMTA en appel.

[49] Dans son courriel du 16 août 2011, Mme Canniff avait informé les plaignants du fait qu’ils recevraient un résumé des raisons de la décision de l’AIMTA sur la question de l’arbitrage. L’explication de l’AIMTA quant à la décision de ne pas renvoyer les griefs des plaignants à l’arbitrage se trouve au deuxième paragraphe de la lettre du 7 septembre 2011 :

À la lumière des éléments de preuve dans cette affaire, et compte tenu de la nature de l’infraction, nous ne croyons pas que le grief serait accueilli, et c’est pourquoi nous avons décidé de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

(traduction)

[50] Le 8 septembre 2011, l’AIMTA a écrit à United pour lui confirmer qu’elle avait décidé de ne pas renvoyer les griefs des plaignants à l’arbitrage, sous réserve de leur droit d’appel. L’AIMTA a demandé à United de laisser tous les délais en suspens :

Aux termes des articles 11 et 12 de la convention collective, le syndicat a décidé de ne pas renvoyer les griefs susmentionnés à l’arbitrage, sous réserve du droit d’appel conféré aux employés s’estimant lésés par la politique de la section locale.

Nous vous demandons de laisser tous les délais en suspens jusqu’à la fin du processus d’appel des employés s’estimant lésés. Nous vous tiendrons informés de toute décision concernant les griefs.

(traduction)

H. Novembre 2011

[51] Le 2 novembre 2011, le procureur des plaignants a envoyé à l’AIMTA une lettre de 12 pages qui commençait par la mention « SOUS RÉSERVE DE TOUT DROIT » (traduction). Dans cette lettre, le procureur faisait un retour sur les faits en l’espèce et demandait à l’AIMTA de renvoyer à l’arbitrage les griefs relatifs au congédiement des plaignants, à défaut de quoi une plainte de manquement au DRJ serait déposée auprès du Conseil.

[52] La lettre se terminait ainsi :

Les employés demandent que le syndicat renvoie à l’arbitrage les griefs relatifs à leur congédiement. Ils sont bien entendu prêts à vous fournir tout renseignement supplémentaire dont vous pourriez avoir besoin. Si, d’ici au 15 novembre 2011, le syndicat ne consent pas à donner suite à cette demande, ou si les employés ont l’impression que le syndicat ne consent pas à donner suite à cette demande, j’ai pour instruction de déposer une plainte auprès du Conseil canadien des relations industrielles en vertu de l’article 37 du Code.

Je vous demande de communiquer avec moi au plus tard le 15 novembre 2011.

(traduction; caractères gras dans l’original)

[53] L’AIMTA n’a pas répondu à cette lettre.

[54] Pendant l’audience, l’AIMTA s’est opposée à ce que cette lettre soit reçue en preuve, soutenant qu’il s’agissait d’une lettre de règlement. Le Conseil a conclu qu’il s’agissait d’une lettre de demande, et non d’une lettre de règlement. Compte tenu du vaste pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil à l’alinéa 16c) du Code, la lettre a été reçue en preuve.

I. Décembre 2011

[55] Le Conseil a reçu la plainte de manquement au DRJ déposée par les plaignants le 5 décembre 2011.

III. Questions à trancher

[56] Il y a deux questions à trancher en l’espèce :

  1. L’AIMTA a-t-elle enfreint le Code dans sa représentation des plaignants?
  2. Si l’AIMTA a enfreint le Code, quelles mesures de redressement convient-il de prendre?

IV. Position des parties

A. Les plaignants

[57] Les plaignants ont formulé de multiples allégations et sont d’avis que, prises dans leur ensemble, celles-ci démontrent que l’AIMTA a agi de manière arbitraire dans sa représentation de leurs intérêts.

[58] En outre, ils ont fait valoir que la preuve présentée à l’audience au sujet des trois employées congédiées qui ont par la suite réintégré leurs fonctions démontre que l’AIMTA a également agi de manière discriminatoire ou de mauvaise foi, ou les deux à la fois.

[59] Les plaignants ont avancé que Mme Canniff n’avait jamais vraiment compris toutes les subtilités des renseignements fournis par United au sujet des présumées irrégularités liées à la billetterie. L’AIMTA n’a jamais retenu les services d’un avocat pour qu’il l’aide à comprendre les complexités de cette affaire. Qui plus est, ils ont fait observer que l’AIMTA s’était contentée d’accepter ce que United lui avait donné sans demander de documents supplémentaires.

[60] Par surcroît, les plaignants affirment qu’après les efforts initiaux déployés par l’AIMTA dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, celle-ci a cessé pratiquement toute communication avec eux à la suite des décisions prises par United au troisième palier.

[61] Les plaignants ont soutenu que l’absence quasi totale de documents concernant les trois employées réintégrées dans leurs fonctions est un signe clair de discrimination. Ils ont avancé que leurs intérêts avaient été sacrifiés au profit de ces trois employées. Les plaignants se sont interrogés sur le fait que l’AIMTA n’avait produit aucun document sur la négociation des réintégrations, ni sur la procédure devant le Comité des PG qui avait été suivie par la suite.

[62] Les plaignants ont également avancé que ce n’est qu’à l’audience devant le Conseil qu’ils ont appris que les employées réintégrées dans leurs fonctions avaient rejeté sur eux la responsabilité des actes reprochés. De l’avis des plaignants, l’AIMTA se retrouvait donc en conflit d’intérêts, puisqu’elle ne leur a pas communiqué ces allégations.

[63] D’après les plaignants, ces allégations contribuaient également à expliquer pourquoi l’AIMTA avait cessé pratiquement toute communication avec eux après que United a pris les décisions au troisième palier. À titre d’exemple, les résumés de l’affaire préparés par Mme Canniff en vue de l’examen de la question de l’arbitrage par le Comité des PG n’ont jamais été présentés aux plaignants à des fins de commentaires. Le fait que l’AIMTA n’a pas répondu à la lettre de demande du procureur des plaignants témoigne également de l’absence de communication.

[64] De même, Mme Canniff n’a jamais informé les plaignants qu’elle ne soutenait pas leur demande de renvoi à l’arbitrage. Ce n’est qu’au cours de l’audience devant le Conseil qu’ils ont appris que la décision de ne pas renvoyer l’affaire à l’arbitrage avait été unanime.

[65] Les plaignants ont également fait valoir que le Conseil pouvait tirer une conclusion défavorable du fait que plusieurs témoins n’avaient pas comparu, notamment les délégués syndicaux ou les autres présidents généraux. Cela est tout particulièrement vrai au regard de certaines déclarations qu’auraient faites les délégués syndicaux et qui, selon ce qu’ont déclaré les plaignants, n’avaient jamais été portées à leur connaissance avant qu’ils n’entendent le témoignage de Mme Canniff à l’audience.

[66] Les plaignants ont également fait observer que l’AIMTA avait produit une version « édulcorée » (traduction) du dossier pour l’audience, et ce, malgré de nombreuses demandes de communication de documents.

B. L’AIMTA

[67] L’AIMTA a demandé au Conseil d’évaluer sa conduite dans son entièreté plutôt que de se concentrer sur des actes isolés.

[68] L’AIMTA soutient que, dans une perspective globale, le syndicat s’est acquitté de ses obligations.

[69] À titre d’exemple, l’AIMTA a soutenu qu’elle était à l’évidence au courant des renseignements pertinents en l’espèce, comme le démontre son engagement continu dans ce dossier, depuis les entretiens menés par United avec les employés en février 2011 jusqu’aux décisions prises au troisième palier. Les délégués de l’AIMTA, qui travaillaient aussi à United, avaient une assez bonne connaissance de l’affaire pour comprendre les allégations de l’employeur.

[70] L’AIMTA a souligné les nombreuses mesures qu’elle avait prises pour aider les plaignants pendant cette période.

[71] Les délégués de l’AIMTA ont assisté aux entretiens d’enquête menés par United et ont pris des notes. L’AIMTA a contesté l’affirmation selon laquelle ses représentants n’ont été que de simples figurants lors de ces entretiens. Selon elle, le rôle que doit jouer un syndicat, le cas échéant, pendant un entretien d’enquête entre l’employeur et un employé est censé être défini dans la convention collective. L’AIMTA a rejeté l’idée que les délégués de la section locale auraient dû s’opposer d’une quelconque manière, et peut-être même faire obstacle, au droit légitime de United de poser des questions à ses employés.

[72] Les délégués ont plutôt veillé à produire un compte rendu fidèle de ce qui avait été dit lors de ces entretiens de manière à aider les représentants syndicaux responsables de l’affaire.

[73] L’AIMTA a également souligné les mesures qu’elle a prises : elle a immédiatement présenté des griefs pour les sept employés, elle a fait des copies des documents de United et les a envoyées aux plaignants, elle a rencontré les plaignants pour obtenir leurs commentaires sur ces documents, elle leur a demandé de lui communiquer d’autres commentaires par écrit, elle a présenté des observations lors de la réunion au troisième palier, et elle a permis aux plaignants de formuler eux-mêmes des commentaires sur les détails des allégations relatives à la billetterie.

[74] En réponse à l’argument selon laquelle il y a eu un manque de communication, l’AIMTA a fait valoir qu’à la suite des décisions prises par United au troisième palier, elle n’avait plus grand-chose à faire dans le dossier des plaignants, à part décider s’il y avait lieu de renvoyer les griefs à l’arbitrage. Quoi qu’il en soit, elle estime qu’un manque de communication qui ne porte préjudice à personne ne constitue pas une violation du Code.

[75] L’AIMTA a fait remarquer qu’à la suite des décisions prises par United au troisième palier, Mme Canniff a pris le temps de préparer des résumés de l’affaire en vue de l’examen de la question de l’arbitrage par les deux autres présidents généraux et elle même, à la réunion du Comité des PG. Il n’a jamais été question de présenter ces résumés aux plaignants pour qu’ils les commentent; ils avaient déjà eu des occasions de faire connaître leur position. La seule chose que l’AIMTA devait encore faire était d’examiner les dossiers afin de prendre une décision réfléchie.

[76] L’AIMTA a également contesté l’argument selon lequel Mme Canniff aurait dû informer les plaignants de son opinion personnelle avant la réunion du Comité des PG. Il était important de se présenter à la réunion avec un esprit ouvert, car les deux autres présidents généraux, des personnes d’expérience, pouvaient avoir bien des arguments convaincants à faire valoir.

[77] Après la réunion du Comité des PG, l’AIMTA a informé les plaignants de la décision de ne pas renvoyer leur grief à l’arbitrage. L’AIMTA a admis que les raisons données aux plaignants pour justifier cette décision étaient peut-être « ténues » (traduction), mais que cela ne suffisait pas à soutenir une conclusion de violation du Code dans le contexte global de l’affaire.

[78] L’AIMTA a soutenu qu’elle disposait de suffisamment de documents sur lesquels s’appuyer pour décider de manière réfléchie de ne pas renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Elle a enjoint au Conseil d’accepter le compte rendu de la réunion du Comité des PG fait par Mme Canniff comme preuve de la manière dont le Comité en était venu à une décision manifestement réfléchie et rationnelle.

[79] En ce qui a trait aux allégations de discrimination, l’AIMTA a affirmé qu’elle avait simplement reçu une offre de United concernant les trois employées et qu’elle avait présenté l’offre à celles-ci. Selon Mme Canniff, United avait une opinion différente de ces trois employées, et c’est pourquoi une offre leur a été faite. United n’a pas fait d’offre similaire en ce qui concerne les plaignants.

[80] L’AIMTA a également fait valoir que les documents révélaient des différences sur lesquelles elle pouvait s’appuyer pour accepter un règlement visant trois employées et décider de ne pas contester le congédiement des quatre plaignants.

[81] De même, elle a fait valoir qu’il n’existe aucun document de quelque type que ce soit en lien avec les règlements autre que les ententes présentées par United qui ont été signées par les trois employées.

[82] L’AIMTA a affirmé que les documents relatifs à l’enquête préalablement menée sur les trois employées réintégrées dans leurs fonctions (pièces 7 à 9) corroboraient la décision de United de présenter une offre de réintégration à ces personnes.

[83] Qui plus est, l’AIMTA a avancé qu’aucun élément de preuve n’indique que l’employeur a tenu compte des déclarations des trois employées selon lesquelles elles subissaient de la pression avant de décider de ne pas faire la même offre aux quatre plaignants.

[84] L’AIMTA a également affirmé qu’elle n’avait pas à prouver les faits relativement à l’arbitrage. Elle n’avait qu’à montrer les éléments de preuve que le syndicat avait recueillis et sur lesquels il s’était fondé pour prendre sa décision. Ainsi, Mme Canniff pouvait agir à titre d’unique témoin de l’AIMTA et résumer la preuve dont disposait le syndicat. Il n’était pas nécessaire de faire comparaître chaque témoin afin d’établir la preuve sur laquelle Mme Canniff s’est par la suite fondée.

C. United

[85] United a joué un rôle d’observateur pour ce qui est du bien-fondé de la plainte contre l’AIMTA, comme le font régulièrement les employeurs de compétence fédérale dans des affaires de manquement au DRJ.

[86] United a fait remarquer qu’un employeur n’intervient généralement que si des allégations de collusion entre le syndicat et les employés sont formulées ou s’il peut aider le Conseil à clarifier les faits sous-jacents : Singh, 2012 CCRI 639 (Singh 639) aux paragraphes 91-93.

[87] United a néanmoins demandé à être dégagée de toute responsabilité, de la date du congédiement des plaignants à la date de la décision du Conseil, eu égard à tout dommage-intérêt que pourrait éventuellement accorder un arbitre par la suite, dans l’éventualité où le Conseil conclurait à une violation du Code par l’AIMTA : Cathy Miller [1991], 84 di 122 (CCRT n° 854).

V. Le devoir de représentation juste : les principes

[88] Les parties n’ont pas contesté les principes reconnus découlant de la jurisprudence du Conseil en ce qui a trait à la question du DRJ.

A. Dans quelles circonstances est-il considéré qu’un syndicat s’est acquitté du devoir auquel il est tenu en vertu du Code?

[89] Dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290 (McRaeJackson 290) au paragraphe 37, le Conseil a décrit les éléments dont il tient compte pour évaluer si un syndicat s’est acquitté de son DRJ :

[37] Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a : a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, y compris la version de l’employé, b) déterminé si le grief était fondé, c) tiré des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l’employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

(caractères gras ajoutés)

B. Affaires concernant des employés de longue date

[90] Un employé de longue date n’a pas davantage le droit de voir son grief renvoyé à l’arbitrage qu’un employé comptant peu d’années de service. Néanmoins, le Conseil examinera attentivement les affaires – comme celle dont il est actuellement saisi – dans lesquelles le syndicat a décidé de ne pas contester le congédiement d’un employé de longue date : Cheema, 2008 CCRI 414.

[91] Dans Schiller, 2009 CCRI 435, un employé comptant presque 20 ans de service a contesté la décision de son syndicat de ne pas porter son congédiement à l’arbitrage. Le Conseil a tenu compte des éléments de preuve présentés par le syndicat concernant les mesures que celui-ci avait prises avant de décider de ne pas renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Le Conseil n’a constaté aucun manquement au devoir :

[59] Dans une affaire de manquement au devoir de représentation juste, le Conseil ne siège pas en appel de la décision de l’agent négociateur. Il s’assure cependant que l’agent négociateur en est arrivé à sa décision d’une manière qui n’était ni arbitraire, ni discriminatoire, ni entachée de mauvaise foi.

[60] En l’espèce, le Conseil est convaincu que le différend entre M. Schiller et le TCA se résume à une question de point de vue. M. Schiller est en désaccord, et ça se comprend, avec le TCA qui avait décidé de ne pas lui donner la chance de contester son congédiement. De plus, il savait parfaitement que Tunnel aurait eu le fardeau de la preuve et que l’arbitre, même s’il concluait que Tunnel avait prouvé le bien-fondé de l’affaire, pouvait toujours intervenir et modifier la sanction imposée.

[61] Cependant, la preuve démontre que le TCA a mené une enquête et qu’il a pris certaines décisions discrétionnaires à propos du renvoi de l’affaire à l’arbitrage. Le TCA s’est empressé de contester le congédiement de M. Schiller; il a tenté d’obtenir une entente de la dernière chance pour régler le grief, après avoir obtenu le feu vert de M. Schiller; il s’est employé à obtenir des preuves supplémentaires de Dr Soong afin d’apprécier la solidité des arguments qu’il aurait à présenter à l’arbitre.

[62] Le TCA a de toute évidence examiné la documentation dont il disposait, et qui a été reproduite en partie ci-dessus, et qu’il ne partageait pas le point de vue de M. Schiller à propos de l’effet que cette documentation aurait à l’arbitrage.

[63] Selon le Conseil, il est évident qu’un autre agent négociateur aurait très bien pu adopter la solution préconisée par M. Schiller, vu les vastes pouvoirs de redressement qui sont dévolus aux arbitres et le dossier sans tache de M. Schiller.

[64] Toutefois, le rôle du Conseil n’est pas de choisir entre deux points de vue, celui de M. Schiller ou celui de son agent négociateur. Il doit plutôt déterminer si le processus suivi par le TCA pour en arriver à sa décision de ne pas porter le grief à l’arbitrage n’était ni arbitraire, ni discriminatoire, ni entaché de mauvaise foi.

[92] Par contre, dans des affaires où les faits étaient différents, comme dans Singh 639, précitée, divers manquements du syndicat dans sa représentation d’un employé de longue date ont constitué une violation du Code. L’un de ces manquements tenait au fait de ne pas avoir obtenu le point de vue de l’employé sur des éléments de preuve clés provenant de l’employeur :

[103] Cependant, plusieurs autres facteurs ont convaincu le Conseil que l’enquête que les Teamsters ont menée sur la situation de M. Singh constituait une conduite arbitraire.

[104] De l’avis du Conseil, le fait que les Teamsters et UPS se soient entendus pour ne pas montrer des documents clés à M. Singh, à titre de condition imposée à M. Randall pour qu’il puisse les examiner, a privé M. Singh d’une occasion importante de prendre connaissance des faits qu’on lui reprochait et de les commenter. À une audience d’arbitrage, il serait nécessaire de produire dans son intégralité n’importe quel élément de preuve à l’appui d’un congédiement justifié, sous réserve de toute ordonnance autorisant une rédaction et une admissibilité restreintes.

[105] Les employeurs et les syndicats d’expérience s’échangent souvent des renseignements tôt dans le processus de règlement d’un grief. Cette façon de procéder aide les syndicats à trancher les questions de jugement difficiles. Cependant, si l’employeur insiste sur la confidentialité de certains renseignements, et si cette demande empêche un employé s’estimant lésé d’aider son syndicat, il faut dans ce cas que le syndicat et l’employeur assument les répercussions possibles de cette pratique.

[108] Il ressort des faits que M. Randall n’a pas montré à M. Singh les diverses déclarations signées dans lesquelles des allégations défavorables avaient été formulées à son égard. M. Randall n’a pas non plus rencontré toutes les personnes qui avaient signé les déclarations, mais il s’est quand même fié à ces dernières.

[109] M. Randall n’a pas montré à M. Singh le chèque de 350 $.

[110] De l’avis du Conseil, un commentaire de nature générale fait à M. Singh par téléphone sur des éléments de preuve préjudiciables, sans que soit divulgué le document proprement dit et sans que les auteurs soient identifiés, a empêché M. Singh de commenter en toute connaissance de cause les faits qui lui étaient reprochés.

[111] Le Conseil a été surpris de voir le peu de preuves documentaires que les Teamsters ont produites à l’audience à l’appui de leur enquête sur le congédiement d’un employé ayant 18 années de service. Les renseignements que les Teamsters ont fournis se composaient principalement de ce qui paraît être des lettres types.

[116] Les Teamsters ont aussi fait énormément confiance au rapport d’enquête de novembre 2009 d’UPS, mais sans jamais rencontrer M. Singh pour lui permettre d’examiner et de commenter le contenu précis de ce document.

[117] Comme il a été mentionné plus tôt, M. Singh aurait été la personne la mieux placée pour commenter les conclusions formulées dans le rapport d’UPS. Au lieu de cela, sans même rencontrer M. Singh pour lui montrer le document, M. Randall a qualifié le rapport d’enquête de « preuve exceptionnelle » à l’appui de sa conclusion.

(caractères gras ajoutés)

C. Le Conseil examine principalement le processus qui, selon la preuve du syndicat, a été suivi par celui-ci, et non ce que le syndicat aurait pu faire

[93] Si le Conseil siégeait en appel de la décision d’un syndicat de recourir ou non à l’arbitrage, il importerait peu de savoir ce que le syndicat a réellement fait, ou n’a pas fait, avant de prendre sa décision initiale au sujet de l’arbitrage. Tous les arguments, qu’ils soient nouveaux ou non, pourraient être examinés afin de se prononcer sur le bien-fondé de la conclusion du syndicat.

[94] Toutefois, le Conseil ne siège pas en appel d’une décision prise par un syndicat. Les seuls éléments qui revêtent un intérêt pour le Conseil sont le processus suivi par le syndicat et les mesures qu’il a démontré avoir prises pour arriver à sa décision. Le bien-fondé de cette décision n’est pas pertinent s’il s’avère que le processus suivi par le syndicat constituait un manquement au DRJ auquel il est tenu à l’égard du membre de l’unité de négociation.

[95] Dans Singh 639, précitée, le Conseil a décrit le principe suivant :

[81] Étant donné que le Conseil se concentre sur le processus que suit le syndicat, plutôt que sur le bien-fondé de sa décision, une enquête liée à l’article 37 se limite aux mesures concrètes que le syndicat a prises pour décider de ne pas renvoyer une affaire à l’arbitrage. Le Conseil a fait le commentaire suivant sur la portée de son analyse dans la décision Cheema, 2008 CCRI 414 (Cheema 414) :

[12] Le rôle du Conseil, dans le contexte d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste, est d’examiner la manière dont le syndicat a traité le grief de l’employé (voir Bugay, 1999 CCRI 45). L’objet d’une plainte fondée sur l’article 37 n’est pas d’en appeler de la décision du syndicat de ne pas renvoyer un grief à l’arbitrage ou d’évaluer le bien-fondé d’un grief, mais de faire en sorte que le Conseil se penche sur la façon dont le syndicat a traité le grief (voir Presseault, 2001 CCRI 138).

[82] L’audience du Conseil n’est pas l’instance appropriée pour un syndicat de démontrer que, s’il avait examiné l’affaire plus à fond, sa conclusion initiale serait quand même correcte.

[83] Le Conseil a soulevé ce point à plusieurs reprises au cours de l’audience en raison de doutes concernant la pertinence de certaines questions posées.

[84] En l’espèce, le Conseil s’intéressait précisément à ce que les Teamsters avaient fait, principalement par l’intermédiaire de M. Randall, pour finir par conclure, le 15 mars 2010, de ne pas procéder à l’arbitrage. Une audience relative à un manquement au DRJ n’est pas le moment où le syndicat peut procéder à une nouvelle enquête sur l’affaire, dans le cadre d’un contre-interrogatoire mené par un avocat très habile, en vue de justifier le bien-fondé de sa conclusion initiale.

[85] Le fait de permettre à un syndicat de mener une seconde fois son enquête lors d’une audience relative à un manquement au DRJ comporte deux problèmes. Premièrement, on perd de vue le fait que le Conseil est tenu de se concentrer sur le processus qui a été concrètement suivi; deuxièmement, cela incite le Conseil à examiner le bien-fondé de la décision du syndicat. Cela n’est pas le rôle du Conseil. Ce dernier respectera les décisions que prend un syndicat sur ces questions, à la condition que le processus qu’il a suivi réponde aux normes qu’impose l’article 37 du Code.

[86] Le Conseil a tranché la présente affaire en se fondant sur ce que les Teamsters ont concrètement fait au moment d’évaluer le dossier de M. Singh. Il n’est pas convaincu que des mesures qui auraient pu être prises, mais qui ne l’ont pas été, ont une pertinence quelconque à l’égard de son analyse.

[96] Comme il est décrit dans la prochaine section, le Conseil déterminera le poids à accorder à la preuve d’un syndicat relative au processus qu’il a suivi pendant la période visée.

D. Fardeau de la preuve

[97] Dans une affaire de manquement au DRJ, il incombe au plaignant de démontrer que le syndicat a enfreint le Code. Le Conseil s’est exprimé au sujet de ce fardeau dans Griffiths, 2002 CCRI 208 :

[37] Dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article 37, il incombe au plaignant de présenter une preuve suffisante pour créer une présomption que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste, à moins qu’elle soit réfutée. Pour satisfaire à ce fardeau, le plaignant doit nécessairement démontrer, de manière à convaincre le Conseil, que le syndicat connaissait la situation ayant donné lieu au mécontentement du plaignant et que, en l’absence d’une preuve contraire, il a agi par la suite, pour le compte du plaignant, de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. En outre, ainsi que le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), l’a statué dans l’affaire Craig Harder (1984), 56 di 183; et 84 CLLC 16,043 (CCRT no 472), le syndicat n’est pas tenu de rechercher ou de solliciter des griefs auprès de ses membres. L’obligation de contester les actions de l’employeur incombe certainement à l’employé. Il incombe par conséquent à ce dernier de faire en sorte également que le syndicat connaisse les circonstances de l’affaire.

[98] Le fardeau de la preuve incombe toujours au plaignant.

[99] Toutefois, cela ne signifie pas que le syndicat intimé n’a aucune obligation en matière de preuve. Si le plaignant a présenté une preuve prima facie d’une violation du Code, le syndicat intimé doit s’acquitter du fardeau de présentation qui en découle et répondre à cette preuve, tout particulièrement en établissant les mesures concrètes qu’il a prises pour représenter le ou les membres de son unité de négociation.

[100] Dans Peel Law Association c. Pieters, 2013 ONCA 396 (Peel), la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur la différence entre le fardeau de la preuve, qui demeure toujours le même, et le fardeau de présentation, qui passe d’une partie à l’autre :

[71] Le juge Sopinka a expliqué la différence entre le fardeau de la preuve et le fardeau de présentation dans Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, [1990] A.C.S. no 73, une affaire de faute médicale. Ce genre d’affaires se compare bien à des affaires de discrimination car, comme l’a fait observer le juge Sopinka à la p. 322 des R.C.S., « [l]e médecin est habituellement mieux placé que le patient pour connaître la cause du préjudice ». Aux p. 328 29 des R.C.S., il a affirmé que, dans des affaires de faute médicale, comme « le défendeur possède une connaissance particulière des faits… il suffit de très peu d’éléments de preuve affirmative de la part du demandeur pour justifier une déduction de causalité en l’absence de preuve contraire ». Il a reconnu que « [c]ela s’est traduit par le déplacement du fardeau de la preuve » et s’est ensuite employé à expliquer pourquoi cela n’était pas une bonne façon de faire. Aux p. 329 30 des R.C.S., il s’est exprimé en ces termes :

Il n’est pas tout à fait exact de parler d’un déplacement du fardeau vers le défendeur lorsqu’on veut dire que la preuve présentée par le demandeur peut avoir comme résultat une inférence défavorable au défendeur. Qu’une inférence puisse ou non être tirée dépend de l’évaluation de la preuve. Le défendeur s’expose à une inférence défavorable en l’absence de preuve contraire. Quelquefois cette situation est désignée comme l’imposition au défendeur d’un fardeau provisoire ou tactique. À mon avis, il ne s’agit pas d’un véritable fardeau de la preuve et l’utilisation d’une étiquette supplémentaire pour décrire ce qui constitue une étape ordinaire du processus de constatation des faits n’est pas justifiée.

(citations omises) [page 26]

(traduction)

[101] Dans une affaire de manquement au DRJ, le fardeau de présentation exige que le syndicat présente le premier les éléments de preuve dont il possède la connaissance exclusive. Il ne s’agit pas de renversement du fardeau de la preuve lorsque le tribunal exige de l’intimé qu’il fournisse une explication, comme il est indiqué dans Peel, précitée :

[75] Dans l’affaire qui nous occupe, le raisonnement de la Cour divisionnaire selon lequel le vice président avait renversé le fardeau de la preuve contient deux erreurs.

[76] Premièrement, la Cour divisionnaire a perdu de vue la distinction entre le fardeau de la preuve et le fardeau de présentation. Étant donné qu’il avait conclu à l’existence d’une preuve prima facie, le vice-président s’était tourné vers l’intimé, comme il convenait de le faire, pour que celui-ci fournisse une explication.

[77] Deuxièmement, la Cour divisionnaire a énoncé [au para 37] qu’en « renversant à tort le fardeau de la preuve, le Tribunal a placé [la bibliothécaire] dans une position difficile, soit celle d’essayer de prouver l’affirmation négative selon laquelle sa conduite, dans l’exercice de ses fonctions habituelles, n’était pas motivée par la race ou la couleur ». Le renversement du fardeau de présentation ne place pas l’intimé dans la position de devoir prouver une affirmation négative, mais plutôt de devoir présenter des éléments de preuve affirmatifs sur des questions qu’il connaît mieux que quiconque, à savoir pourquoi il a pris une décision ou une mesure en particulier.

[78] Je conclus que la Cour divisionnaire a commis une erreur de droit en concluant que le vice président avait renversé le fardeau de la preuve.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[102] Comme dans toute affaire, le Conseil déterminera le poids à accorder à la preuve relative à un processus du syndicat.

VI. Analyse et décision

A. Est-ce que l’AIMTA a enfreint le Code dans sa représentation des plaignants?

[103] Le Conseil a déjà énoncé sa conclusion selon laquelle l’AIMTA ne s’est pas acquittée du devoir auquel elle est tenue en vertu de l’article 37. Cela ne veut toutefois pas dire que le Conseil a accepté tous les arguments des plaignants. En effet, l’AIMTA a traité les griefs de manière irréprochable jusqu’à la conclusion du troisième palier de la procédure.

[104] La violation du Code s’est produite après que United a pris ses décisions au troisième palier. Pour une raison indéterminée, il semble que l’AIMTA ait perdu tout intérêt à représenter les plaignants.

1. Le processus suivi par l’AIMTA de février à juin 2011

[105] Les plaignants ont fait valoir que les délégués de l’AIMTA auraient dû s’opposer et faire obstacle à l’enquête de United. Aucun élément de preuve n’a été présenté à propos des droits que l’AIMTA aurait négociés, le cas échéant, relativement à son rôle de représentation au cours d’une enquête de United.

[106] La preuve a convaincu le Conseil que l’AIMTA a pris des mesures pour que les plaignants soient accompagnés de représentants syndicaux, et que des comptes rendus fidèles des entretiens d’enquête initiaux ont été rédigés. Un compte rendu fidèle des événements a une valeur inestimable si un différend sur une question de procédure ou de preuve survient plus tard au cours de la procédure de règlement des griefs ou à l’arbitrage. Un tel élément de preuve peut également s’avérer déterminant si une plainte de manquement au DRJ est déposée auprès du Conseil. L’AIMTA a agi exactement comme le font les syndicats d’expérience lorsqu’elle a recueilli et consigné ces renseignements.

[107] Après les entretiens d’enquête, l’AIMTA a obtenu de United les documents sur lesquels elle comptait se fonder. Les plaignants ont eu l’occasion de rencontrer leurs délégués et Mme Canniff pour discuter de ces documents.

[108] Les plaignants ont également eu l’occasion de fournir à l’AIMTA des renseignements supplémentaires par écrit, occasion dont ils ont profité. L’AIMTA s’est fiée à ces commentaires des plaignants pour préparer divers arguments qu’elle a soumis à United.

[109] Le fait que l’AIMTA a permis aux plaignants d’expliquer les présumées irrégularités liées à la billetterie directement à United, lors de la réunion au troisième palier, ne porte pas à croire qu’il y ait eu une quelconque violation du Code. Les plaignants étaient les mieux placés pour expliquer ce qui s’était passé.

[110] Les plaignants ont affirmé que l’AIMTA aurait dû retenir les services d’un avocat pour les aider. Le Conseil rejette cet argument. Chaque syndicat a des ressources limitées qu’il doit gérer. C’est lui qui décide si les services d’un avocat sont nécessaires. En fait, de nombreux syndicats forment leurs propres représentants de manière à ce qu’ils s’occupent d’affaires qui auraient pu, par le passé, être déférées à des avocats externes.

[111] La preuve a démontré qu’à ce stade, Mme Canniff avait pris bien soin de veiller à ce que l’AIMTA dispose des renseignements pertinents. Elle avait elle-même saisi à l’ordinateur les notes manuscrites qu’elle avait prises lors de ses rencontres avec les plaignants.

[112] Bien que l’AIMTA ait représenté les plaignants de manière admirable lorsque l’affaire en était à ses débuts, divers éléments survenus par la suite montrent qu’elle a manqué à son DRJ.

2. L’AIMTA a cessé pratiquement toute communication avec les plaignants

[113] Après la réception des décisions de United au troisième palier, en juin 2011, un changement d’attitude inexpliqué est survenu dans les communications de l’AIMTA avec les plaignants.

[114] Mme Canniff n’a jamais communiqué avec les plaignants au sujet des commentaires qu’elle avait reçus par écrit après leur en avoir fait la demande, dans lesquels ils contestaient divers aspects des décisions prises au troisième palier. Les résumés que Mme Canniff a préparés plus tard pour le Comité des PG, dans le but précis de décider s’il y avait lieu de renvoyer les griefs à l’arbitrage, ne contenaient pas ces commentaires supplémentaires écrits. Les efforts déployés par les plaignants à la demande de Mme Canniff pour étayer leurs dossiers de renseignements supplémentaires semblent avoir été une perte de temps.

[115] En outre, Mme Canniff a ignoré pratiquement tous les courriels reçus ensuite de la part des plaignants. L’AIMTA a avancé qu’une fois prises les décisions au troisième palier, il n’y avait pratiquement plus de raison pour qu’elle communique avec les plaignants. Le Conseil ne partage pas cet avis, comme l’expliquera la prochaine section.

3. Le défaut de communiquer des renseignements pertinents aux plaignants

[116] Ce n’est qu’à l’audience devant le Conseil que les plaignants ont appris, à la lumière de documents faisant l’objet d’une ordonnance de production, que les employées réintégrées dans leurs fonctions les avaient tenus en partie responsables de leurs actions. Une telle situation met le syndicat dans une position difficile. Le Conseil rejette l’argument des plaignants selon lequel l’AIMTA s’est trouvée en conflit d’intérêts et a enfreint le Code en continuant de les représenter.

[117] Il arrive souvent qu’un syndicat doive représenter des personnes ayant des intérêts divergents. Cette situation doit certes être gérée avec adresse, mais cela n’empêche pas le syndicat de s’acquitter de ses fonctions.

[118] Le Conseil a conclu qu’un syndicat manque à son DRJ s’il ne communique pas les éléments de preuve pertinents de l’employeur à l’employé s’estimant lésé pour que celui-ci fournisse une explication : Singh 639, précitée.

[119] Le Conseil ne trouve aucune raison de principe qui expliquerait pourquoi le même concept ne pourrait pas s’appliquer dans une situation où un syndicat a reçu de certains employés des allégations pouvant porter préjudice à d’autres employés.

[120] Il incombait à l’AIMTA de présenter ces allégations défavorables aux plaignants afin qu’ils puissent les commenter. Le Conseil n’a pas besoin d’établir si ces allégations défavorables, ou autre chose, ont été à l’origine du changement d’attitude de l’AIMTA à l’égard des plaignants. C’est l’existence non équivoque de ce changement, sans explication satisfaisante, qui soutient la conclusion selon laquelle il y a eu violation du Code.

4. La preuve relative au processus de l’AIMTA

[121] Les plaignants ont affirmé que le Conseil devrait tirer une conclusion défavorable du fait que l’AIMTA n’a fait comparaître aucun des délégués, car ceux-ci possédaient des renseignements essentiels sur le processus suivi par le syndicat. L’AIMTA a soutenu qu’il lui suffisait de faire témoigner Mme Canniff à propos des éléments dont elle disposait, lesquels n’avaient pas à être prouvés; le mérite de ceux-ci serait examiné plutôt en situation d’arbitrage.

[122] Le Conseil ne tirera pas la conclusion défavorable que demandent les plaignants. Un syndicat décide de la manière dont il défend une cause; cela fait partie du fardeau de présentation qui lui incombe : Peel, précitée. Il revient ensuite au Conseil de déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve présentés.

[123] Les plaignants ont également fait observer que le dossier du syndicat avait été « édulcoré » (traduction), car il ne contenait pratiquement aucun document sur différentes questions, entre autres la réintégration des trois employées et la procédure du Comité des PG.

[124] Si, par l’utilisation du mot « édulcoré » (traduction), on veut laisser entendre que l’AIMTA n’a pas communiqué de documents malgré l’ordonnance reçue à cet égard, le Conseil constate que les plaignants n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. Si une partie n’a conservé aucun élément de preuve documentaire aux fins d’une audience éventuelle, ou si elle choisit de ne pas garder de traces écrites de certains aspects de son processus, il est impossible pour son avocat de communiquer des documents qui n’existent pas.

[125] Le Conseil pourrait toutefois prendre en considération un manque d’éléments de preuve documentaire à propos d’événements clés, tout particulièrement en ce qui a trait à la réintégration de trois des sept employés congédiés. Il s’agit uniquement d’un facteur pertinent dont le Conseil doit tenir compte pour déterminer le poids qu’il devrait accorder au témoignage de vive voix de Mme Canniff portant sur le processus de l’AIMTA.

[126] À l’origine, Mme Canniff tenait les dossiers de manière très minutieuse, ce qui est dans l’ordre des choses pour quelqu’un qui aide souvent les membres dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et à l’arbitrage. Elle a gardé les notes des délégués et elle a elle-même pris note à la main de ce que les plaignants lui ont dit, puis a retranscrit ces notes à l’ordinateur.

[127] Toutefois, ce souci du détail semble avoir disparu une fois reçues les décisions de United au troisième palier, au début de juin 2011.

[128] La consignation au dossier des éléments ayant marqué le processus de l’AIMTA a cessé en même temps que la communication avec les plaignants. Le Conseil éprouve beaucoup de compassion pour Mme Canniff, qui a vécu un été 2011 particulièrement difficile sur le plan personnel. Mais malgré ces problèmes, l’AIMTA était toujours tenue de s’acquitter de son DRJ, et elle a laissé Mme Canniff piloter le dossier du congédiement des plaignants.

[129] Pratiquement tous les éléments de preuve relatifs au règlement conclu entre United et l’AIMTA pour la réintégration de trois des sept employés congédiés ont été présentés par Mme Canniff lors de son témoignage. L’AIMTA a admis qu’il n’y avait ni courriels ni notes relatant des conversations téléphoniques, qu’il n’y avait eu aucun échange de versions provisoires de documents juridiques et qu’il n’existait aucun autre document concernant les négociations et la réintégration des trois employées.

[130] Les seuls documents étaient les ententes envoyées par United à Mme Canniff, que les trois employées ont signées sans qu’aucune modification n’y soit apportée. Comme ces ententes sont assujetties à une ordonnance de confidentialité, le Conseil n’approfondira pas davantage la question.

[131] Les plaignants ont allégué que l’absence de documents était « ahurissante » (traduction) et étayait leur hypothèse selon laquelle il y a eu des tractations, c’est-à-dire que United avait accepté de réintégrer les trois employées à condition que l’AIMTA retire les griefs des quatre autres. Bien entendu, cette théorie des plaignants implique que la réunion du Comité des PG tenue ultérieurement n’aurait servi qu’à sauver les apparences.

[132] Le Conseil n’a pas à tirer de conclusion au sujet de cette allégation de « tractations »; son rôle en l’espèce est de déterminer le poids à accorder à la preuve de l’AIMTA concernant le processus suivi par celle-ci.

[133] Il semble raisonnable de penser qu’un syndicat d’expérience garderait une trace écrite du processus suivi pour en arriver, après le congédiement de sept employés de longue date, à la réintégration de trois d’entre eux. Une absence presque totale de documents portant sur cet événement clé – alors qu’une grande attention avait préalablement été accordée à la consignation des renseignements – a une incidence sur le poids que le Conseil peut accorder au témoignage de vive voix de Mme Canniff.

[134] Le même commentaire s’applique aux circonstances entourant la décision du Comité des PG. Les résumés préparés par Mme Canniff en vue de l’examen de la question du renvoi à l’arbitrage ont été déposés en preuve. Dans son témoignage, elle a parlé des éléments qui, selon elle, avaient été pris en considération par le Comité des PG.

[135] Or, il n’existe là encore aucune note ni aucun courriel portant sur cette réunion par téléconférence, pas plus qu’un procès-verbal rendant compte des discussions. Les trois participants n’ont échangé aucun courriel avant ou après la réunion.

[136] Le témoignage de Mme Canniff n’a pas donné au Conseil une explication suffisante en réponse aux éléments de preuve des plaignants faisant état d’une conduite arbitraire et discriminatoire.

5. L’AIMTA n’a donné aux plaignants aucune raison justifiant sa décision de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage

[137] L’AIMTA a qualifié de « ténues » (traduction) les raisons exposées dans ses lettres du 7 septembre 2011, mais le Conseil estime qu’elle n’a aucunement expliqué aux plaignants pourquoi ils ne pouvaient pas contester leur congédiement devant un arbitre. Cette décision non motivée du syndicat a suivi de près la réintégration des trois autres employées congédiées, survenue seulement quelques semaines auparavant.

[138] L’AIMTA a également décidé de ne pas répondre à la longue lettre de demande envoyée par le procureur des plaignants en novembre 2011, ratant ainsi une seconde occasion de s’expliquer.

[139] Un tel refus de fournir des raisons soulève la question préoccupante de savoir si des membres de longue date d’un syndicat doivent déposer une plainte auprès du Conseil pour connaître, même sans trop de détails, les raisons précises pour lesquelles leur grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage. Le Conseil ne sous-entend pas qu’un syndicat doit fournir des motifs écrits semblables à ceux des tribunaux, mais il doit fournir une certaine explication concrète. Cela est particulièrement vrai en l’espèce, étant donné que les quatre plaignants comptaient au total plus de 60 ans de service à United.

[140] Pour ce qui est de l’arbitrage en matière de relations du travail, un employeur doit fournir ses raisons au moment où il met fin à l’emploi d’un employé. Il ne peut habituellement pas modifier ces raisons ou en ajouter ultérieurement. Dans la même veine, le Conseil a indiqué, dans McRaeJackson 290, précitée, qu’un facteur essentiel dont il faut tenir compte est la présence ou l’absence de raisons justifiant la décision du syndicat de ne pas renvoyer une affaire à l’arbitrage.

[141] Il ne semble pas excessif d’exiger d’un syndicat qu’il explique à un employé, à la fin du processus qu’il a suivi, pourquoi son grief sera abandonné. Si, en ne communiquant rien de substantiel à un employé s’estimant lésé, le syndicat a pour but de se donner une plus grande marge de manoeuvre lors d’une audience future concernant un manquement au DRJ, cette stratégie peut s’avérer suspecte. Le Conseil examine ce qu’un syndicat a réellement fait, et non ce qu’il aurait pu faire : Singh 639, précitée.

[142] Comme il a été indiqué dans la chronologie des événements, Mme Canniff a fait savoir aux plaignants le 16 août 2011 que, si le Comité des PG décidait de ne pas renvoyer l’affaire à l’arbitrage, il fournirait un résumé de ses raisons. Dans la lettre du 7 septembre 2011, l’AIMTA a uniquement dit ceci :

À la lumière des éléments de preuve dans cette affaire, et compte tenu de la nature de l’infraction, nous ne croyons pas que le grief serait accueilli, et c’est pourquoi nous avons décidé de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

(traduction)

[143] Une conclusion aussi élémentaire ne correspond pas au genre de raisons dont il est question dans McRaeJackson 290, précitée.

[144] Le fait qu’un syndicat ne communique pas à un membre les raisons justifiant de ne pas renvoyer son affaire à l’arbitrage est source de préoccupation pour le Conseil. Comment un membre d’un syndicat peut-il, de façon réaliste, porter en appel la décision interne du syndicat de ne pas renvoyer l’affaire à l’arbitrage s’il n’a aucune idée des raisons qui sous-tendent cette décision? Comment ce membre peut-il soutenir que les dirigeants syndicaux ont peut-être mal compris les éléments de preuve, tout particulièrement lorsque certains employés dans une situation similaire ont été réintégrés dans leurs fonctions, si le syndicat ne fournit aucune explication quant aux raisons de sa décision?

[145] L’absence de raisons, en soi ou en tant qu’aspect du processus de l’AIMTA, suffit à convaincre le Conseil que le syndicat a enfreint le devoir auquel il est tenu en vertu du Code. Par conséquent, les plaignants ont droit à certaines mesures de redressement.

B. Si l’AIMTA a enfreint le Code, quelles mesures de redressement doivent être prises en l’espèce?

[146] Le Conseil a examiné les observations des parties relatives au redressement. L’alinéa 99(1)b) et le paragraphe 99(2) du Code confèrent au Conseil de vastes pouvoirs discrétionnaires à cet égard. Le principe souverain veut que tout redressement ait un lien rationnel avec la violation de l’article 37 du Code.

[147] Le Conseil ordonne l’application des mesures de redressement suivantes :

  1. Les griefs des plaignants seront renvoyés à l’arbitrage, et tous les délais prescrits dans la convention collective sont levés.
  2. Les plaignants auront le droit de retenir les services du procureur de leur choix pour l’arbitrage.

[148] Dans certaines affaires de manquement au DRJ, le Conseil peut chercher à savoir si le syndicat devrait rester responsable de la conduite du grief malgré sa violation du Code. Si les représentants syndicaux et les employés visés sont restés en bons termes, le statu quo peut être approprié.

[149] Toutefois, lorsqu’il ne fait aucun doute que le syndicat et les employés ne sont pas restés en bons termes, comme c’est le cas en l’espèce, la seule véritable option qui s’offre au Conseil est de permettre à des plaignants qui ont eu gain de cause de retenir les services du procureur de leur choix : Singh 639, précitée, aux paragraphes 139 à 142.

3. L’AIMTA assumera le paiement des honoraires juridiques raisonnables dus au procureur choisi par les plaignants pour l’arbitrage et donnera une suite favorable à toute demande raisonnable d’aide ou d’information.

[150] Dans son ordonnance de redressement, le Conseil présume que les quatre plaignants retiendront les services d’un seul procureur pour représenter leurs intérêts à l’arbitrage. Ils ont fait appel au même procureur dans le cadre de la présente plainte de manquement au DRJ.

[151] Le Conseil pourrait revenir sur cet aspect de l’ordonnance s’il est soutenu que les quatre plaignants ne peuvent pas être tous représentés par le même procureur à l’arbitrage.

[152] Les parties s’entendront sur les honoraires juridiques raisonnables. Si elles ne parviennent pas à une entente, elles pourront présenter des observations écrites à ce sujet au Conseil. Le Conseil rendra sa décision à la lumière de ces observations.

4. Le cas échéant, les dommages-intérêts que l’AIMTA sera tenue de verser à tout plaignant sur ordonnance de l’arbitre devront couvrir la période s’échelonnant de la date du dépôt de la plainte (5 décembre 2011) à la date de la présente décision.

[153] United a fait valoir que l’AIMTA devrait être tenue responsable du versement de dommages-intérêts depuis la date du congédiement des plaignants jusqu’à la date de la décision du Conseil. Il a été observé, dans d’autres décisions, que le syndicat est responsable à compter de la date du dépôt de la plainte, et ce, jusqu’à la date de la décision du Conseil.

[154] En l’espèce, le Conseil suivra le raisonnement décrit dans Société canadienne des postes, 2010 CCRI 558, aux paragraphes 28 et 29 :

[28] La SCP ne devrait pas être tenue responsable des dommages-intérêts supplémentaires que l’arbitre pourrait accorder relativement à la période pendant laquelle la plainte de manquement au DRJ de Mme Sapra a été instruite par le Conseil.

[29] Par conséquent, le Conseil modifie sa décision dans l’affaire à l’étude en ce qui a trait aux mesures de redressement. Par souci de clarté, le Conseil précise que la SCP ne peut pas être tenue responsable des dommages-intérêts que l’arbitre pourrait accorder relativement à la période allant de la date où Mme Sapra a déposé sa plainte auprès du Conseil (le 3 mars 2009) à la date où la décision Sapra 533 a été rendue (le 23 juillet 2010). C’est l’AOPC qui sera responsable de tous les dommages-intérêts accordés à Mme Sapra relativement à cette période.

[155] En règle générale, si un arbitre accordait des dommages-intérêts pour violation de la convention collective, la responsabilité de s’acquitter de ce paiement reviendrait entièrement à l’employeur. C’est la conséquence naturelle pour avoir enfreint la convention collective.

[156] Toutefois, le Conseil a observé dans de nombreuses affaires qu’il serait injuste d’accroître la responsabilité de l’employeur en raison des retards supplémentaires attribuables à une violation du Code par le syndicat. Par conséquent, le Conseil peut tenir le syndicat responsable de la hausse des dommages-intérêts accordés.

[157] De l’avis du Conseil, il est généralement préférable d’utiliser la date de dépôt de la plainte de manquement au DRJ comme point de départ pour la répartition des paiements de dommages-intérêts. Premièrement, il faut habituellement un certain temps pour mener à terme la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective. Dans les affaires ne portant pas sur une plainte de manquement au DRJ, l’employeur reste responsable des dommages-intérêts accordés relativement à cette période. Si le syndicat était tenu responsable à compter de la date du congédiement, cela sous-entendrait que le manquement au DRJ s’est produit à ce moment-là. Ce scénario est hautement improbable la plupart du temps.

[158] Deuxièmement, le délai de 90 jours prévu au paragraphe 97(2) du Code exige des plaignants qu’ils déposent leur plainte sans attendre. La date de dépôt de la plainte constitue un bon moment pour transférer la responsabilité potentielle de la hausse des dommages-intérêts de l’employeur au syndicat. Il se peut fort bien que le syndicat se soit acquitté de son devoir pendant de nombreux mois, comme l’AIMTA l’a fait en l’espèce, avant que ne surviennent des problèmes d’inobservation du Code.

[159] De toute évidence, lorsque la situation s’y prête, une partie a le droit de soutenir qu’une date autre que la date de dépôt de la plainte devrait être utilisée comme point de départ pour la répartition des dommages-intérêts. Toutefois, il n’y avait rien de particulier en l’espèce qui aurait pu convaincre le Conseil de choisir une autre date pour la répartition des dommages-intérêts.

5. Allocation des dépens liés à la présente plainte

[160] Les plaignants ont également demandé l’allocation des dépens liés à la présente plainte.

[161] La politique générale du Conseil est de ne pas allouer les dépens, ce qui reflète en partie la conception et la pratique selon lesquelles les employeurs et les syndicats assument leurs propres frais de représentation dans le cadre des procédures liées aux relations du travail.

[162] Néanmoins, dans des situations exceptionnelles, il se peut que le Conseil alloue les dépens à un employeur ou à un syndicat : voir Monarch Transport inc. et Dempsey Freight Systems Ltd., 2004 CCRI 301, à titre d’exemple.

[163] Il n’y a pas d’équivalent à cette conception ou à cette pratique selon laquelle chaque partie assumera ses frais dans les affaires qui opposent des employés à leur syndicat ou à leur employeur. Cela peut expliquer pourquoi le Conseil a tendance à allouer les dépens lorsqu’une plainte de manquement au DRJ est tranchée en faveur du plaignant – ce qui est plutôt rare.

[164] Dans Canadian Air Line Pilots Assn. c. Eamor, [1997] A.C.F. No 859, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le Conseil peut allouer les dépens relativement à une plainte de manquement au DRJ :

En ce qui concerne la mesure de réparation ordonnée par le Conseil et à laquelle s’applique la même norme de contrôle judiciaire, nous ne voyons aucune raison d’y toucher. D’une part, la condamnation aux frais et dépens découlait logiquement de la violation de l’article 37 et était l’une de ses conséquences au sens du paragraphe 99(2). D’autre part, une allocation potentielle de dommages-intérêts, à condition que soit faite la preuve qu’elle justifie d’un lien causal direct avec la violation de la loi, n’est pas injustifiable en soi au regard du large pouvoir discrétionnaire de réparation que le Conseil tient du paragraphe 99(2), étant donné que pareille mesure n’est pas punitive de par sa nature, qu’elle n’enfreint pas la Charte canadienne des droits et libertés, et qu’elle ne va pas à l’encontre des objectifs du Code (cf. Royal Oak Mines Inc. c. Canada (C.R.T.), [1996] 1 R.C.S. 369).

[165] Nous estimons que l’AIMTA doit contribuer aux frais engagés par les plaignants dans le contexte de la présente plainte. Il y a un lien rationnel entre cette contribution et la violation du Code par l’AIMTA.

[166] Dans l’affaire qui nous occupe, comme on l’a déjà mentionné, les plaignants n’ont jamais su pourquoi il avait été décidé que leurs griefs ne seraient pas renvoyés à l’arbitrage; la seule information qu’ils avaient reçue à cet effet prenait la forme d’une conclusion standard selon laquelle leurs griefs n’obtiendraient pas gain de cause. Par ailleurs, même si les plaignants ont retenu les services d’un procureur pour envoyer une longue lettre de demande, l’AIMTA n’y a jamais donné suite.

[167] L’AIMTA a exposé sa position initiale par écrit uniquement après que les plaignants ont déposé la présente plainte auprès du Conseil.

[168] C’est à l’audience même que les plaignants ont pris connaissance de certains éléments de preuve de l’AIMTA qui leur étaient préjudiciables. Ils n’ont jamais eu l’occasion d’y répondre.

[169] Ces actions ont poussé les plaignants à retenir les services d’un procureur qui les représenterait. Il existe un lien rationnel entre cette violation et une contribution aux frais ainsi engagés.

[170] Plutôt que de rendre ce processus plus officiel qu’il ne devrait l’être dans le cadre des relations du travail, et afin d’éviter aux parties des dépenses supplémentaires, le Conseil établira simplement le montant de la contribution. Cette contribution ne constitue pas une allocation des dépens entre parties ou entre avocat et client. Ce n’est qu’une contribution aux dépens engagés.

[171] Il existe d’autres processus portant sur le détail des honoraires juridiques réels facturés aux plaignants.

[172] Pour établir le montant des dommages-intérêts à verser aux termes de l’ordonnance, le Conseil a tenu compte de certains facteurs liés directement à l’audience tenue en l’espèce, notamment :

  1. la complexité de l’affaire à trancher;
  2. l’efficacité avec laquelle la cause a été défendue;
  3. la durée de l’audience;
  4. les délais;
  5. le résultat.

[173] Par conséquent, le Conseil établit le montant de la contribution de l’AIMTA aux frais engagés par les plaignants à un paiement forfaitaire de 15 000 $.

[174] Le Conseil demeure saisi de toute question découlant de la présente décision, et tout particulièrement des ordonnances de redressement qu’il aura rendues.

[175] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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