Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Alliance de la Fonction publique du Canada,

requérante,

et

St. John’s International Airport Authority,

intimée.

Dossier du Conseil : 29170-C

Référence neutre : 2014 CCRI 708

Le 14 janvier 2014

Procureurs inscrits au dossier
Me James Cameron, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada;
Me Denis J. Mahoney, pour la St. John’s International Airport Authority.

Le 13 décembre 2011, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC ou le syndicat) a présenté une demande au Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) en vertu de l’article 18.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) en vue de fractionner une unité de négociation existante composée d’employés travaillant pour la St. John’s International Airport Authority (la SJIAA ou l’employeur), afin que soit créée une unité de négociation distincte pour les pompiers.

Avec l’accord des parties, les procédures relatives à la présente affaire ont été reportées, en conséquence d’un long conflit qui opposait les parties dans le contexte des négociations collectives. Après que ce conflit a été résolu, la demande a été instruite par le Conseil, composé de Me Elizabeth MacPherson, Présidente, et de Me Richard Brabander et M. Norman Rivard, Membres, à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador, les 5 et 6 décembre 2013.

I. Contexte et faits

[1] Jusqu’aux années 1990, les aéroports du Canada appartenaient au gouvernement fédéral, qui les exploitait et les subventionnait par l’intermédiaire de Transports Canada. À compter de 1992, l’administration des aéroports a été transférée à des autorités aéroportuaires locales, qui sont dirigées par des conseils d’administration composés de représentants des administrations locales, des gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral, de regroupements locaux de gens d’affaires et d’autres intervenants.

[2] Avant ce transfert de responsabilité, les employés des aéroports étaient des employés du gouvernement fédéral. À cette époque, les relations du travail dans la fonction publique fédérale étaient régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Sous le régime de cette loi, les unités de négociation étaient définies en fonction de la classification des emplois. Il y avait par conséquent différentes unités de négociation dans chaque aéroport. L’AFPC représentait une majorité des employés des aéroports, y compris les pompiers. Selon les règles qui régissaient la fonction publique, les pompiers étaient assujettis à la convention collective cadre conclue entre le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) et l’AFPC, bien que des conditions d’emploi applicables aux pompiers exclusivement avaient été stipulées dans une entente propre à ce groupe.

[3] La SJIAA a été créée en 1996 et a assumé la responsabilité de l’exploitation de l’aéroport de St. John’s à compter du 1er décembre 1998. Les relations du travail entre l’autorité aéroportuaire et les syndicats qui représentent ses employés sont régies par le Code. Or, aux termes du Code, le Conseil dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la composition des unités de négociation, et ce pouvoir ne se limite pas aux unités définies selon des classifications ou des champs d’activités professionnelles. Le Conseil et son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), ont toujours exprimé leur préférence pour des unités de négociation globales plus grandes, jugeant que de telles unités sont plus propices à assurer des négociations collectives ordonnées, une plus grande efficacité du point de vue administratif et plus de commodité au moment des négociations, de meilleures possibilités de mobilité latérale pour les employés et des relations de travail stables (voir Brink’s Canada Limited (1996), 100 di 39 (CCRT no 1153), pages 44-45).

[4] En décembre 1998, l’AFPC a présenté au Conseil une demande en vue d’être accréditée à titre d’agent négociateur de deux unités d’employés de la SJIAA. Le syndicat proposait qu’il y ait deux unités de négociation distinctes : une pour les pompiers, et une autre pour tous les autres employés de l’aéroport. Selon les dossiers de l’époque, les pompiers affirmaient catégoriquement qu’ils ne devaient pas faire partie de la même unité de négociation que les autres employés de l’aéroport. L’employeur s’est opposé à la structure proposée, constituée de deux unités de négociation, et il a soutenu qu’une seule unité comprenant l’ensemble des employés était habile à négocier collectivement à l’aéroport de St. John’s.

[5] En février 1999, le Conseil a rejeté la demande de l’AFPC visant à ce que soit créée une unité de négociation distincte pour les pompiers, et il a rendu une ordonnance qui accréditait une seule unité, composée de tous les employés de la SJIAA (ordonnance du Conseil no 7519-U). Selon les motifs qu’il a invoqués à l’appui de cette décision (St. John’s International Airport Authority, 1999 CCRI LD 26), le Conseil était d’avis qu’une unité de négociation globale était habile à négocier collectivement, compte tenu des antécédents des parties en matière de négociation collective. Le Conseil a cité, à l’appui de sa décision, des extraits de sa jurisprudence dans lesquels il affirme que, lorsque les conditions d’emploi d’un groupe de personnes compris dans une unité de négociation peuvent faire l’objet de considérations particulières dans le cadre du processus de négociation, il n’y a pas lieu de créer des unités de négociation distinctes, et que si les intérêts communs peuvent être conciliés, le Conseil favorisera la création d’une unité de négociation plus grande. Le Conseil a exprimé son point de vue selon lequel, dans le cas de la SJIAA, la création d’une seule unité composée de tous les employés favoriserait la stabilité industrielle, l’efficacité administrative et des négociations réussies.

[6] En mars 1999, un groupe de pompiers a demandé au Conseil de réexaminer sa décision (dossier du Conseil n° 20220-C). Sans donner d’exemples précis, les requérants alléguaient qu’ils avaient besoin d’une unité de négociation qui leur serait propre, car les pompiers avaient peu d’influence sur les négociations collectives à l’aéroport, voire pas du tout. Les requérants prétendaient que leur vote était toujours contré par celui des autres membres de la section locale. Dans une lettre administrative datée du 13 mai 1999, les requérants, le syndicat et l’employeur ont été informés qu’un banc de révision du Conseil avait rejeté la demande, au motif qu’elle ne soulevait aucun enjeu qui aurait pu inciter le Conseil à modifier sa décision initiale.

[7] Par la suite, les parties ont négocié quatre conventions collectives. La première d’entre elles – qui se fondait substantiellement sur la convention collective antérieure entre le SCT et l’AFPC – a été conclue en août 1999, et sa date d’échéance était le 30 novembre 2001. Un avis de négociation concernant le renouvellement de cette entente a été signifié le 13 août 2001, et les parties en sont arrivées assez rapidement à une entente provisoire. Toutefois, le conseil d’administration de la SJIAA a refusé de ratifier cette entente, et les parties ont repris les négociations. Après que les employés avaient rejeté l’offre finale de l’employeur, une grève légale a été entreprise. Cette grève a duré 87 jours, et ce n’est qu’en avril 2004 qu’elle a finalement pris fin, après que les parties avaient conclu une convention collective de quatre ans, valide jusqu’au 30 novembre 2005.

[8] Les parties se sont entendues sur la troisième convention collective en août 2006, après que les membres du syndicat avaient voté en faveur de l’acceptation d’une offre finale présentée par l’employeur, malgré la recommandation contraire du syndicat. Une convention collective d’une durée de quatre ans, qui devait expirer le 30 novembre 2009, a résulté de ce vote.

[9] Au cours de la période qui a suivi la signature de la troisième convention collective, les parties ont négocié et mis en oeuvre un plan conjoint d’évaluation des emplois. Avec l’accord des parties, les négociations pour le renouvellement de la convention collective ont été retardées en raison de cette initiative. À de nombreuses occasions au cours de cette période, les pompiers ont exprimé leurs préoccupations concernant le fait que le syndicat ne représentait prétendument pas leurs intérêts adéquatement, et ils ont demandé à nouveau qu’une unité de négociation distincte soit créée pour eux. En raison de la pression exercée par les pompiers, le syndicat a présenté la présente demande visant à fractionner l’unité de négociation le 13 décembre 2011.

[10] Pendant ce temps, les parties avaient commencé à négocier en vue du renouvellement de la convention collective arrivée à échéance le 30 novembre 2009. Après que les négociations directes et les efforts de conciliation et de médiation avaient échoué, le syndicat a entrepris une grève légale le 11 septembre 2012. Comme il a été mentionné ci-dessus, les procédures du Conseil relatives à la demande du syndicat présentée en vertu de l’article 18.1 ont été mises en suspens pendant la durée du conflit de travail. En juillet 2013, à la suite d’un arrêt de travail ayant duré environ dix mois, les parties en sont arrivées à une entente fondée sur la recommandation d’un médiateur en faveur d’une convention collective de sept ans, qui expirerait le 31 décembre 2016. Les pompiers et les chefs du service d’incendie ont présenté des griefs tout de suite après le retour au travail pour contester le nombre de points qui avaient été alloués à leurs postes dans le cadre du plan conjoint d’évaluation des emplois.

II. Position des parties

A. L’AFPC

[11] L’AFPC soutient que, depuis la date à laquelle l’ordonnance d’accréditation initiale a été rendue, en février 1999, une divergence d’intérêts persiste entre les pompiers et les autres employés de l’unité de négociation. Elle affirme que cette divergence d’intérêts a été préjudiciable aux relations du travail et a occasionné des difficultés. Ces différends ont amené le syndicat à conclure que l’unité de négociation, selon sa structure actuelle, n’est plus habile à négocier collectivement. Le syndicat soutient que la création d’une unité de négociation distincte pour les pompiers permettrait de régler les enjeux à l’origine de problèmes qui durent depuis longtemps.

[12] Le syndicat souligne qu’il est partie à une entente sur le maintien des activités, qui a été conclue avec l’employeur conformément à l’article 87.4 du Code. Cette entente exige, entre autres choses, que les services de lutte contre les incendies soient maintenus en cas de grève légale. Selon le syndicat, le fait que les pompiers forment le plus important groupe d’employés à temps plein qui sont tenus de maintenir leurs services durant une grève est un facteur de division très important, qui exacerbe les tensions entre les pompiers et les autres employés de l’unité de négociation. Les pompiers ont toujours la forte impression qu’ils sont incapables de faire valoir les enjeux qui leur importent dans le cadre des négociations collectives, étant donné que d’autres groupes de l’unité de négociation ne leur donnent pas leur appui.

[13] Lorsque la deuxième convention collective a été conclue entre les parties, les pompiers ont perdu une protection concernant les jours de remplacement qui découlait de droits acquis. Il s’agissait d’un avantage propre à leur classification, dont ils avaient bénéficié pendant un certain temps. Cette perte a suscité du ressentiment à la caserne des pompiers et a renforcé l’impression que la seule manière d’assurer une représentation efficace des intérêts des pompiers est de faire en sorte que ceux-ci aient leur propre unité de négociation. Les pompiers souhaitent négocier des modalités particulières dans le cadre de leur régime de pension, afin de pouvoir prendre une retraite anticipée, et obtenir des augmentations salariales qui les placeraient à parité avec les pompiers de l’aéroport d’Halifax. Les pompiers croient que, parce qu’ils constituent une minorité au sein de l’unité de négociation composée de tous les employés, ces enjeux ne peuvent être et ne seront pas réglés.

[14] Dans la même veine, les pompiers sont mécontents du plan conjoint d’évaluation des emplois que le syndicat et l’employeur ont négocié et mis en oeuvre. En décembre 2010, les pompiers ont écrit au coordonnateur des négociations de l’AFPC, se disant très préoccupés par la manière dont l’agent du syndicat les représentait dans le contexte de l’élaboration du plan d’évaluation des emplois. Ils alléguaient que le représentant du syndicat avait un parti pris contre les pompiers et que le comité mixte avait approuvé des critères d’évaluation qui ne donnaient pas assez de poids aux éléments essentiels du travail des pompiers. Ils soulignaient que le salaire des pompiers de la SJIAA était de 25 % inférieur à celui des pompiers travaillant au service d’incendie régional de St. John’s, et de 30 % inférieur à celui des pompiers de l’aéroport d’Halifax.

[15] Le mécontentement persistant des pompiers concernant le processus conjoint d’évaluation des emplois les a amenés à écrire à John Gordon, président de l’AFPC, en juin 2011. Dans leur lettre, les pompiers se plaignaient de la manière dont l’AFPC les représentait et ils demandaient au syndicat d’appuyer une demande au Conseil visant à créer une unité de négociation distincte pour eux. Les pompiers faisaient observer que le Conseil avait récemment retiré les pompiers d’une unité de l’aéroport de Québec. Ils concluaient leur lettre en affirmant que d’après eux, l’accréditation de leur propre unité de négociation était le seul moyen pour que l’AFPC puisse continuer à les représenter efficacement.

[16] Le syndicat n’a fait comparaître qu’un témoin, M. Christopher Bussey (CB), un chef du service d’incendie ayant accumulé 23 années d’expérience en tant que pompier. CB a d’abord travaillé comme pompier pour Transports Canada, puis il a été muté à la SJIAA quand celle-ci est devenue responsable de l’administration de l’aéroport de St. John’s, en 1998. Il a été promu au poste de chef du service d’incendie en 2009. Il a siégé à différents comités en tant que représentant de la caserne des pompiers et a exercé les fonctions de président de la section locale et de représentant régional de l’AFPC. Il a participé au programme de perfectionnement en leadership de l’AFPC et a fait partie du comité de négociation du syndicat à chacune des trois dernières rondes de négociations collectives.

[17] En plus de son emploi à la SJIAA, CB a été pompier volontaire à Tor Bay pendant huit ans. Il a combattu de nombreux incendies dans l’exercice de ces deux fonctions. CB a décrit le travail des pompiers dans les aéroports, et il a souligné que, parce que leur travail est intrinsèquement dangereux, les pompiers n’ont pas le droit de refuser de travailler en cas de danger en vertu du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail). Les pompiers travaillent selon un horaire par rotation qui correspond à un quart de travail de 24 heures suivi de 72 heures de repos. Aucun autre employé de l’aéroport ne fait des quarts de travail de 24 heures. Les pompiers de service mangent et dorment à la caserne. En outre, les pompiers sont tenus de satisfaire à une norme de condition physique et doivent se soumettre à une évaluation chaque année. Aucun autre groupe d’employés de l’aéroport n’est assujetti à de telles normes.

[18] CB a témoigné qu’on accorde la priorité aux candidats internes pour les emplois de pompiers. Depuis 2006, toutes les personnes qui ont été embauchées à la caserne des pompiers étaient des employés de la SJIAA qui avaient travaillé comme opérateurs d’équipement lourd durant l’hiver et qui avaient suivi le cours de certification requis et réussi l’évaluation de la condition physique. Généralement, les nouveaux employés provenant de l’extérieur sont des personnes qui ont déjà travaillé ailleurs comme pompier. CB a indiqué que les possibilités de transfert à l’extérieur de l’unité de négociation sont limitées, mais il a reconnu que deux des gestionnaires actuels sont d’anciens pompiers.

[19] En raison de leur style de vie, les pompiers sont étroitement unis les uns aux autres. Il n’existe pas de liens de ce genre avec les autres employés de l’aéroport. La perception de CB est que les pompiers se font regarder de haut par les autres employés de l’unité de négociation, qui ont l’impression que les pompiers ne font rien d’autre que manger et dormir. Pour illustrer cette culture qu’il dit prévaloir à l’aéroport, il a rapporté un incident qui s’est produit il y a plusieurs années de cela, lors d’un souper organisé pour souligner des départs à la retraite. À cette occasion, un des représentants de la section locale a dit aux nouveaux retraités : « À partir de maintenant, vous pourrez rester à la maison et être payés pour ne rien faire, au lieu de vous présenter au travail et d’être payés pour ne rien faire. » (traduction). CB a témoigné que cet incident avait suscité un profond sentiment de chagrin au sein du groupe des pompiers. Il a aussi donné l’exemple de l’équipe de hockey des pompiers, qui avait invité les autres employés de l’aéroport à se joindre à elle, sans grand succès. Il a fait observer qu’à l’époque où Transports Canada était responsable de l’aéroport, les réunions d’employés se déroulaient à la caserne des pompiers afin que ceux ci puissent y assister. Maintenant, elles se tiennent le plus souvent à d’autres endroits, ce qui empêche les pompiers d’y participer. Au cours du contre-interrogatoire, CB a admis qu’il n’était jamais arrivé qu’un pompier dépose une plainte en vertu de la politique de l’employeur sur le respect en milieu de travail au motif qu’un autre employé lui aurait manqué de respect, ni qu’un pompier dépose une plainte auprès de l’AFPC relativement à des commentaires irrespectueux formulés par d’autres membres de l’unité de négociation.

[20] Pendant l’arrêt de travail de 2004, les pompiers ont travaillé selon leur horaire complet, comme l’exigeait l’entente sur le maintien des activités, et ils ont fait du piquetage en dehors des heures de travail. Ils avaient le sentiment d’apporter une contribution importante; toutefois, selon le point de vue de CB, les autres employés trouvaient que les pompiers ne contribuaient pas autant que les grévistes à la résolution du conflit.

[21] En ce qui concerne le plan d’évaluation des emplois, CB a témoigné que les pompiers s’attendaient à ce que la SJIAA et l’AFPC adoptent un plan analogue à celui qui était en vigueur à Halifax, lequel était assez avantageux pour les pompiers. Toutefois, on a finalement décidé d’adopter une version modifiée du plan d’Halifax, que les pompiers jugent désavantageuse pour eux. L’idée que les pompiers retardaient la mise en oeuvre du plan conjoint d’évaluation des emplois s’est répandue, étant donné qu’ils continuaient de contester ce plan. CB allègue qu’à cette époque, d’autres employés, comme des plombiers et des électriciens, refusaient d’exécuter des travaux à la caserne des pompiers.

[22] CB a reconnu que l’unité de négociation s’était montrée solidaire durant l’arrêt de travail de 2012-2013, malgré des divergences d’opinions sur l’interprétation et l’application de l’entente sur le maintien des activités. Étant donné qu’ils étaient obligés de travailler, les pompiers ont versé une partie de leur salaire dans un fonds visant à compenser la rémunération des employés qui tenaient le piquet de grève. Néanmoins, les pompiers avaient l’impression d’être en situation de conflit d’intérêts parce qu’ils étaient tenus de travailler pendant que leurs collègues du syndicat étaient en grève. Selon CB, dans l’esprit des autres employés, le fait que les pompiers travaillaient favorisait la prolongation de la grève. CB a témoigné que les pompiers ne partagent pas les mêmes intérêts que les autres employés de l’unité de négociation, qu’ils veulent être en mesure de discuter des questions qui les intéressent à la table de négociation et qu’ils souhaitent disposer d’un mécanisme leur permettant de résoudre les différends sans entrer en guerre contre l’employeur.

[23] CB a admis que les pompiers ont été en mesure de régler un certain nombre de leurs problèmes en discutant directement avec l’employeur, en dehors du cadre des négociations collectives. Par exemple, en décembre 2004, l’employeur a consenti à ce qu’on mette à l’essai un changement souhaité par les pompiers relativement à l’établissement des quarts de travail. L’employeur a consenti à prolonger la mise à l’essai, et le changement souhaité par les pompiers est maintenant adopté de façon permanente. CB a été incapable de donner un exemple de problème rencontré par les pompiers qui n’aurait pas pu être abordé dans le cadre des négociations, ou directement avec l’employeur en dehors du cadre des négociations. CB a également reconnu que, lors des trois rondes de négociations collectives auxquelles il a participé, les points litigieux qui avaient causé l’impasse n’étaient pas propres ou particuliers aux pompiers.

[24] L’AFPC affirme que la situation à la SJIAA est similaire à celle qui prévalait à l’aéroport de Québec et qui a incité le Conseil à accréditer une unité distincte pour les pompiers à cet endroit. Elle soutient que les pompiers sont unanimes à souhaiter qu’une unité de négociation distincte soit créée; que les conditions de travail des pompiers sont différentes de celles des autres membres de l’unité de négociation; et que les pompiers sont mécontents des résultats du plan conjoint d’évaluation des emplois. Selon le syndicat, le fait qu’il y a eu deux longues grèves sur une période de quatorze ans prouve que les négociations collectives fonctionnent mal à l’aéroport de St. John’s et que l’unité de négociation créée en 1999, qui comprend l’ensemble des employés, n’est donc pas habile à négocier collectivement.

B. La SJIAA

[25] La SJIAA s’oppose à la demande du syndicat visant à fractionner l’unité de négociation.

[26] Le seul témoin qu’a fait comparaître la SJIAA était M. Keith Collins (KC), qui exerce les fonctions de président-directeur général depuis janvier 2005. Selon lui, un degré élevé de collaboration et d’intégration est nécessaire au sein de l’effectif pour que l’organisation puisse exercer ses activités avec succès. Il s’est dit préoccupé par le fait qu’en accréditant une unité de négociation distincte pour les pompiers, on minerait la cohésion entre les employés qui, à son avis, est essentielle.

[27] KC a mentionné que la SJIAA est une exploitation relativement petite, qui compte seulement 50 employés syndiqués qui occupent des postes permanents à temps plein. Jusqu’à 30 employés saisonniers sont embauchés durant l’hiver. Selon lui, il serait excessif qu’il y ait deux unités de négociation au sein d’une aussi petite exploitation. Il a fait valoir que la négociation d’une convention collective est un travail intensif, qui épuise à la fois les cadres supérieurs et les employés qui siègent au comité de négociation.

[28] KC a témoigné que les parties étaient parvenues à conclure quatre conventions collectives depuis que la SJIAA avait été créée il y a 14 ans, et que l’employeur s’était attaqué à chacun des problèmes soulevés par les pompiers, que ce soit durant les négociations collectives ou dans un autre contexte. À son avis, l’unité de négociation est habile à négocier collectivement selon sa structure actuelle, et il n’y a aucune raison valable de la modifier.

[29] En ce qui concerne les allégations de CB selon lesquelles les autres employés de l’unité de négociation se montrent irrespectueux envers les pompiers, KC a déclaré que la politique de l’employeur veut que les employés puissent travailler dans un environnement exempt de harcèlement. Pour donner suite à des engagements pris dans la convention collective la plus récente, l’employeur et le syndicat ont travaillé en collaboration afin d’offrir à tous les employés des séances de formation sur le respect en milieu de travail. Ces séances sont offertes par une organisation externe choisie conjointement par les parties, et c’est l’employeur qui en assume les frais. KC n’a jamais été informé qu’il y avait des sentiments non favorables envers les pompiers. Il a fait remarquer que les pompiers jouent un rôle important au sein de l’organisation, et qu’ils assument un certain leadership au sein du syndicat et du club social. Tout comme CB, il estime que les remarques faites par un représentant du syndicat lors du souper en l’honneur des nouveaux retraités étaient déplacées et répréhensibles. Selon lui, ces remarques ne correspondaient à l’opinion de personne d’autre dans la salle.

[30] KC a témoigné que, en conséquence de l’entente sur le maintien des activités, un certain nombre d’employés sont tenus de travailler en situation de grève légale en plus des pompiers. C’est le cas des directeurs de service et, durant l’hiver, des opérateurs d’équipement lourd. Durant l’arrêt de travail le plus récent, les pompiers se sont acquittés de leurs fonctions et, pendant qu’ils n’étaient pas de service, ils ont participé à la grève et ont fait du piquetage.

[31] En ce qui a trait aux deux rondes de négociations collectives auxquelles il a participé, KC a témoigné qu’aucun enjeu propre aux pompiers n’avait empêché ou entravé la conclusion des conventions collectives. Lors de la plus récente ronde de négociations, le syndicat avait cherché à obtenir la parité avec l’aéroport d’Halifax pour tous les employés, et non pour les pompiers seulement. L’aéroport de St. John’s est le deuxième en importance dans le Canada atlantique, après celui d’Halifax, qui est deux fois et demie plus grand que celui de St. John’s. L’objectif de l’employeur était de faire en sorte que ses employés se classent au deuxième rang pour ce qui est de la rémunération des employés d’aéroport du Canada atlantique, et cet objectif a été atteint. KC a affirmé que les problèmes propres aux pompiers, comme l’établissement des quarts de travail, ont été résolus au fil des ans. Par exemple, la question de l’établissement des quarts de travail a été réglée grâce à un projet pilote qui a par la suite été incorporé dans la convention collective. KC a affirmé que la SJIAA n’a aucune difficulté à embaucher de nouveaux pompiers; ces dernières années, l’employeur a été en mesure de pourvoir tous les postes vacants à partir de l’effectif des opérateurs d’équipement lourd.

[32] KC a admis que les pompiers veulent obtenir une unité de négociation distincte depuis un certain temps. Même s’il était d’avis que les relations du travail s’amélioraient avant que ne survienne le conflit le plus récent, KC reconnaît qu’il est difficile de rétablir les relations après une grève amère qui a duré dix mois. Selon lui, le fait que les pompiers font partie de l’unité de négociation ne rend pas plus difficile la tâche d’établir des relations patronales-syndicales fructueuses.

[33] La SJIAA soutient qu’il se dégage de la preuve, examinée dans son ensemble, que l’unité de négociation actuelle est, et continue à être, habile à négocier collectivement. Elle affirme que la position que défendent les pompiers a davantage à voir avec la qualité de la représentation qu’ils estiment obtenir de la part du syndicat qu’avec la structure de l’unité de négociation. La SJIAA insiste sur le fait que les enjeux qui concernent les pompiers n’ont jamais empêché qu’une convention collective soit conclue; que les membres de l’unité de négociation, y compris les pompiers, sont demeurés solidaires pendant les arrêts de travail; et que le syndicat n’a jamais présenté de demande en vertu du paragraphe 87.4(8) du Code pour faire valoir que son recours à la grève était inefficace en raison du niveau d’activité à maintenir.

[34] Selon la SJIAA, la situation à l’aéroport de St. John’s se distingue de celle qui prévalait à Québec car, en l’espèce, il y a un niveau élevé d’intégration entre les pompiers et les autres employés de l’unité de négociation, et rien n’indique qu’il existe des divisions semblables à celles qu’on pouvait observer à Québec. Par ailleurs, la situation à la SJIAA est passablement différente de celle qui existait à Québec en ce qui a trait à la mobilité des employés. En l’espèce, le recrutement des pompiers ne pose aucun problème, et il existe un cheminement de carrière pour les pompiers au sein de l’organisation. La SJIAA soutient qu’à St. John’s, les pompiers ont voix au chapitre au moment des négociations collectives et qu’ils sont à même de régler leurs problèmes au moyen des négociations collectives ou de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage. Par exemple, au contraire de la situation qui s’observait à Québec, les pompiers peuvent présenter un grief relativement au total des points alloués dans le contexte du plan d’évaluation des emplois élaboré conjointement. Par contraste avec la situation à Québec, il n’y a, dans le cas de St. John’s, aucun élément de preuve indiquant que les exigences des pompiers étaient à l’origine, ou ont causé la prolongation, des conflits de travail qui sont survenus.

[35] La SJIAA soutient que l’AFPC n’a pas démontré que le critère applicable à la révision de la structure de l’unité de négociation – à savoir le fait que l’unité de négociation ne serait plus habile à négocier collectivement – est respecté dans la présente affaire.

III. Analyse et décision

[36] Il est bien connu que le Conseil et son prédécesseur, le CCRT, ont exprimé leur préférence pour les grandes unités de négociation. Toutefois, dans une décision récente, Servisair inc. et Servisair Deicing Services inc., 2013 CCRI 692, le Conseil a expliqué les facteurs dont il tient compte pour déterminer la portée d’une unité de négociation dans diverses circonstances :

[49] Il est bien établi que le Conseil a la compétence absolue pour déterminer l’unité habile à négocier dans tous les cas (Royal Aviation Inc., 2000 CCRI 69). Pour s’acquitter de cette responsabilité, le Conseil n’est pas tenu de déterminer l’unité idéale, ni même la plus habile, mais bien une unité habile à négocier collectivement (Banque Nationale du Canada (1985), 58 di 94; 11 CLRBR (NS) 257; et 86 CLLC 16,032 (rapport partiel) (CCRT no 542)). Par conséquent, la détermination d’une unité habile à négocier est plus un art qu’une science. Comme l’a déclaré le Conseil dans CFTO-TV Limited (1981), 45 di 306 (CCRT no 345), la décision doit être fondée sur les faits et les circonstances de chaque affaire particulière :

Pour ce qui est de déterminer une unité de négociation habile ou non à négocier collectivement, le Conseil n’a rien à ajouter ici au nombre incalculable de décisions rendues au cours des années par les conseils des relations du travail. Tous les « critères » établis et toutes les « considérations » qui ont été faites concordent sur un point : c’est que la configuration des unités de négociation n’est pas « immuable ». On peut créer des unités standard par secteur économique qui s’appliqueront à la plupart des requêtes, mais il y aura toujours des cas exceptionnels où les circonstances imposent des variantes et même des incohérences. Il faut alors tenir compte des circonstances particulières et déterminer les unités de négociation en traitant chaque cas comme un cas d’espèce. ...

(pages 310-311)

[50] Les facteurs dont tient compte le Conseil pour déterminer une unité habile ou non à négocier collectivement comprennent la communauté d’intérêts; la viabilité de l’unité; la volonté des employés; la pratique courante dans le secteur; et la structure organisationnelle de l’employeur. Bien que le Conseil ait indiqué privilégier l’établissement d’unités de négociation plus grandes – lesquelles, à son avis, favorisent l’efficacité administrative, les négociations et la stabilité industrielle –, il lui arrive souvent de ne pas s’en tenir à cette préférence. Par exemple, lorsqu’il est saisi d’une demande d’accréditation d’une unité de négociation nouvellement créée, le Conseil privilégiera les facteurs qui améliorent l’accès aux négociations collectives et pourrait accréditer des unités qui consistent en un sous-ensemble des professions que l’on retrouve dans un lieu de travail donné, et ce, même si de tels regroupements ne sont pas optimaux du point de vue de la structure organisationnelle de l’employeur. Comme l’a déclaré le Conseil dans G4S Solutions de sécurité (Canada) ltée, 2012 CCRI 625 :

[48] ... Bien que le Conseil ait indiqué privilégier l’établissement d’unités de négociation plus grandes, ce genre d’unités ne jouit pas automatiquement d’une présomption favorable. Le Conseil accréditera une unité de négociation plus petite lorsque cela est nécessaire pour permettre aux employés d’exercer le droit à la liberté d’association qui leur est garanti par la constitution. Pour atteindre cet objectif, le Conseil peut accréditer une unité à portée locale, plutôt que régionale ou nationale, même si une telle situation peut occasionner à l’employeur certains inconvénients de nature administrative. La décision du Conseil sur l’habileté à négocier d’une unité de négociation est habituellement confirmée par les tribunaux, sauf lorsqu’ils jugent que la décision est clairement irrationnelle (voir Syndicat international des débardeurs et magasiniers, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Prince Rupert Grain Ltd., [1996] 2 R.C.S. 432).

[51] Dans les affaires où la relation de négociation est bien établie et où les parties entretiennent une relation de longue date, le Conseil pourrait accorder moins de poids à l’accès aux négociations collectives et privilégier d’autres facteurs. Dans la décision Sécur Inc., 2001 CCRI 109, le Conseil a précisé ce qui suit :

[60] La question de la reconfiguration des unités n’échappe pas aux objectifs fondamentaux du Code dont le Conseil est appelé à établir le volet pratique. En conséquence, la reconfiguration des unités de négociation doit promouvoir l’exercice par les employés des droits conférés par le Code, tout en permettant une exploitation judicieuse de l’entreprise. Le Conseil doit donc aborder une reconfiguration avec une vision à suffisamment long terme pour contribuer à l’épanouissement des relations entre les agents négociateurs et l’employeur en regard des unités proposées. Tout en considérant ces principes généraux, le Conseil tiendra compte néanmoins des faits particuliers de chaque demande.

[37] L’article 18.1, qui a été ajouté au Code en 1999, a retiré au Conseil le droit d’entreprendre de son propre chef la révision de la structure d’une unité de négociation. En plus d’exiger que la demande de révision provienne de l’une des parties, le Code oblige le Conseil à donner à celles ci la possibilité de s’entendre sur l’unité de négociation habile à négocier collectivement, s’il a conclu que l’unité existante n’est plus habile à le faire. De manière générale, l’article 18.1 a plus souvent servi à fusionner des unités de négociation qu’à en fractionner.

[38] Lorsque les parties ne s’entendent pas pour affirmer que l’unité de négociation existante n’est plus habile à négocier collectivement, c’est à la partie qui demande la révision de la structure en place qu’il incombe de convaincre le Conseil de sa prétention. Étant donné que le Conseil ne modifie pas à la légère la structure des unités de négociation, le requérant doit présenter des raisons impératives et sérieuses qui justifient la révision de l’unité de négociation (voir Société Radio-Canada, 2003 CCRI 253). Les négociations collectives passées entre les parties représentent seulement l’un des facteurs que le Conseil examine pour établir si une unité de négociation n’est plus habile à négocier collectivement. La conclusion que l’unité existante n’est plus habile à négocier collectivement ne découle pas forcément du fait qu’une autre structure de négociation pourrait exister (voir Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2009 CCRI 446, confirmée en réexamen dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2009 CCRI 461, et maintenue dans le cadre d’un contrôle judiciaire par la Cour d’appel fédérale dans Conférence ferroviaire de Teamsters Canada c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2009 CAF 368). De plus, le Conseil n’examine pas les demandes qui visent à obtenir de sa part ce que le requérant ne peut obtenir à la table de négociation (voir Rogers Cablesystems Limited, 2000 CCRI 51).

[39] En l’espèce, l’AFPC demande essentiellement au Conseil de réexaminer la décision qu’il a rendue en février 1999, établissant une unité de négociation composée de tous les employés de la SJIAA. Le syndicat s’appuie sur la décision Aéroport de Québec inc., 2010 CCRI 557 (RD 557), dans laquelle le Conseil a été convaincu qu’il y avait lieu de fragmenter une unité de négociation composée des employés de l’aéroport afin de créer une unité de négociation distincte pour les pompiers de l’aéroport de Québec.

[40] Les facteurs qui ont incité le Conseil à conclure que l’unité composée de tous les employés de l’aéroport de Québec n’était plus habile à négocier collectivement incluaient des éléments de preuve clairs selon lesquels la structure initiale avait contribué à rendre les négociations difficiles et comptait parmi les causes d’un long arrêt de travail :

[12] Le témoin décrit les tensions qui existaient pendant la période de grève qui a eu lieu en 2004. Les pompiers et certains autres corps de métier (cols bleus), alors visés par une entente conclue en 2003 entre les parties pour le maintien de certaines activités en cas de grève ou de lock-out, étaient en faveur de la grève. La grève a été longue, allègue le témoin. Elle a duré 115 jours. Les employés qui souhaitaient le retour au travail et le règlement du conflit, dont les cols blancs, étaient contraints à faire la grève, alors que ceux qui étaient visés par l’entente sur le maintien de certaines activités, dont les pompiers, ne souhaitaient pas le retour au travail, mais étaient néanmoins payés.

[41] Des intérêts très divergents se dégageaient également de la preuve dans le cas de l’unité de négociation de l’aéroport de Québec. Le fait que les pompiers avaient voté en faveur d’une grève, même s’ils devraient tous travailler en conséquence de l’entente sur le maintien des activités, a incité les employés qui souhaitaient régler le conflit à croire que la grève ne pourrait profiter qu’aux pompiers. Qui plus est, des éléments de preuve indiquaient que les différences importantes qui caractérisaient les conditions de travail des pompiers avaient causé des tensions, du ressentiment et de la frustration durant les négociations. Par conséquent, les autres membres de l’unité de négociation étaient eux aussi favorables à l’idée d’exclure les pompiers de l’unité générale.

[42] Comme dans le cas de St. John’s, les pompiers de Québec étaient mécontents d’une évaluation des emplois qui avait été établie par l’employeur et le syndicat. Les pompiers de Québec avaient l’impression que cette évaluation ne tenait pas compte de certains aspects importants de leur travail. Des éléments de preuve avaient été présentés, selon lesquels des problèmes importants étaient à prévoir au cours des futures rondes de négociations, étant donné que les pompiers étaient déjà au sommet de leur échelle salariale et que des possibilités d’améliorations à ce chapitre seraient donc très limitées. En outre, il n’y avait aucune mobilité de la main-d’oeuvre possible entre les pompiers et les membres des autres corps de métier, ou très peu, et les pompiers étaient considérés comme un groupe distinct, doté de conditions de travail exclusives.

[43] Bien qu’il eût reconnu que le fractionnement d’une unité de négociation est une mesure exceptionnelle, le Conseil était convaincu, à la lumière des témoignages qu’il avait entendus, que les intérêts des pompiers de l’aéroport de Québec étaient tellement différents de ceux des autres employés de l’unité qu’il y avait lieu de créer une unité de négociation distincte.

[44] En l’espèce, la question que le Conseil doit trancher consiste à établir s’il existe des éléments de preuve convaincants selon lesquels l’unité de négociation composée de tous les employés de l’aéroport de St. John’s n’est plus habile à négocier collectivement. En d’autres mots, le Conseil doit examiner si la structure actuelle de l’unité de négociation à l’aéroport de St. John’s a entravé, ou entravera, des relations de travail fructueuses. Pour faire cet examen, le Conseil doit examiner d’abord et avant tout les objectifs primordiaux du Code, qui consistent à favoriser la pratique des libres négociations collectives et à favoriser la stabilité des relations du travail (voir AirBC Limited (1990), 81 di 1; 13 CLRBR (2d) 276; et 90 CLLC 16,035 (CCRT no 797)).

[45] De manière générale, favoriser la pratique des libres négociations collectives revient à s’assurer que les employés sont en mesure d’exercer un pouvoir compensateur suffisant face à celui de l’employeur afin qu’ils puissent négocier efficacement leurs conditions d’emploi. Dans la plupart des cas, un tel pouvoir compensateur est obtenu au moyen de grandes unités de négociation. L’examen de la structure des unités de négociation dans d’autres aéroports canadiens révèle que le Conseil n’adopte pas une approche universelle relativement à la détermination des unités de négociation dans les aéroports. Le Conseil tient clairement compte de la dimension des aéroports et, donc, de celle de l’unité ou des unités de négociation. Les pompiers ne forment une unité de négociation distincte que dans six des vingt-six aéroports du Réseau national des aéroports (RNA). De ces six unités distinctes, cinq se trouvent dans de grands aéroports (Edmonton, Montréal-Trudeau, Ottawa, Toronto-Pearson et Winnipeg), mais il se trouve aussi de grands aéroports où les pompiers font partie d’une unité globale (Calgary, Halifax et Vancouver). Des 18 aéroports du RNA moins importantes, seul celui de Québec a une unité de négociation distincte pour les pompiers. On peut donc conclure que, dans les petits aéroports, les unités globales sont la norme.

[46] Dans le cas de la SJIAA, il y a 16 pompiers au sein d’une unité de négociation qui compte 50 employés à temps plein. Il est vrai que de 20 à 30 employés saisonniers embauchés pour l’hiver viennent se greffer à l’unité de négociation pendant cette saison, mais ce sont les employés réguliers qui forment le noyau de l’unité de négociation, qui établissent les priorités en vue des négociations collectives et qui veillent à ce que le syndicat soit administré tout au long de l’année. Le fait d’accréditer une unité de négociation distincte pour les pompiers permettrait à ceux-ci d’exercer un meilleur contrôle sur la défense de leurs propres intérêts, mais cela affaiblirait l’unité de négociation des autres employés en la réduisant à environ 34 membres. L’effet du fractionnement proposé de l’unité de négociation actuelle sur les autres employés de l’aéroport est une considération importante. Selon la preuve présentée au Conseil, les pompiers ont toujours assumé un leadership important au sein de la section locale de l’aéroport de St. John’s. L’implication des pompiers serait perdue si une unité de négociation distincte était accréditée pour eux. Par conséquent, les considérations liées au pouvoir compensateur donnent à penser qu’une unité de négociation globale demeure habile à négocier collectivement à l’aéroport de St. John’s.

[47] Pour favoriser la stabilité des relations du travail, le Conseil examine non seulement la viabilité des unités de négociation individuelles, mais également la viabilité du cadre global des négociations collectives. Cette approche tient compte de considérations liées à l’efficacité administrative pour les deux parties; permet de prévenir une éventuelle multiplication des tables de négociation, laquelle risquerait d’occasionner des conflits de travail successifs; et favorise des structures qui renforcent la capacité des parties à élaborer un cadre de conditions de travail commun et qui améliorent la sécurité d’emploi des employés. Il est évident que, pour l’employeur et le syndicat, il serait plus efficace, sur le plan administratif, de conserver une unité de négociation unique. Une unité unique permet également de réduire les efforts investis dans les négociations et le risque qu’il y ait des conflits multiples.

[48] En l’espèce, le syndicat affirme que, en raison des deux longues grèves survenues au cours des 14 années qui se sont écoulées depuis l’accréditation de l’unité de négociation, cette dernière n’est pas habile à négocier collectivement. Toutefois, après avoir examiné les raisons de ces conflits, le Conseil a été incapable de conclure, à la lumière des éléments de preuve dont il dispose, qu’ils ont été causés par une quelconque divergence entre les intérêts des pompiers et ceux des autres employés de l’unité. Lors de l’arrêt de travail de 2003, qui a mené à la deuxième convention collective, les principaux enjeux étaient les augmentations salariales demandées par les employés, et l’exigence de l’employeur voulant que les nouveaux employés paient une partie des primes liées aux avantages sociaux. Aucun de ces deux enjeux n’était propre aux pompiers et, comme CB l’a affirmé dans son témoignage, aucun enjeu soulevé par les pompiers n’a entravé les négociations. Il n’y a également eu aucun enjeu particulier aux pompiers au cours des négociations qui ont débouché sur la troisième convention collective.

[49] Lors de la ronde de négociations de 2012-2013, les principaux enjeux étaient la demande du syndicat visant la parité salariale avec les employés de l’aéroport d’Halifax, et la demande de l’employeur visant à faire modifier certaines dispositions de la convention, concernant notamment la sécurité d’emploi. Encore une fois, il n’y avait aucun enjeu propre ou particulier aux pompiers. Tous les employés ont voté en faveur de la mesure de grève et sont demeurés solidaires pendant toute la durée de l’arrêt de travail. Les circonstances, dans la présente affaire, sont donc fort différentes de celles qui prévalaient à l’aéroport de Québec durant l’arrêt de travail qui a eu lieu à cet endroit en 2004.

[50] CB a mentionné, au cours de son témoignage, sa perception selon laquelle les autres employés de l’aéroport ne respectent pas les pompiers, et il a cité des commentaires désobligeants qui ont été formulés à l’endroit de ce groupe. Toutefois, les témoignages entendus par le Conseil permettent de penser que ces commentaires peuvent être interprétés d’une manière différente. Bien que les autres employés puissent ne pas apprécier la nature des conditions de travail des pompiers, il semble qu’il ne manque pas de postulants lorsque des postes sont vacants à la caserne. Au contraire, il a été affirmé au Conseil que les opérateurs d’équipement lourd suivent des formations pendant leurs temps libres afin de répondre aux exigences dont sont assortis les postes de pompiers lorsque ceux-ci sont offerts. Selon le point de vue du Conseil, les commentaires désobligeants auxquels CB a fait référence traduisaient plus probablement de l’envie qu’un manque de respect. Les éléments de preuve à cet égard indiquent également que l’existence d’une unité globale a pour corollaire l’existence d’un cheminement de carrière pour les employés de l’unité de négociation.

[51] CB a également témoigné que, durant les négociations collectives, les pompiers sont incapables d’obtenir le soutien de leurs collègues pour des enjeux qui leur sont propres. Toutefois, selon la preuve à la disposition du Conseil, les problèmes dont les pompiers ont discuté directement avec la direction, par exemple la question de leur horaire de travail, ont été réglés en dehors du contexte des négociations collectives. Par ailleurs, même si les pompiers sont insatisfaits des résultats du plan conjoint d’évaluation des emplois, il existe un processus qui leur permet de présenter un grief concernant ces résultats, et ils se sont prévalus de ce processus.

[52] Selon le témoignage de CB, les pompiers veulent être en mesure de discuter des enjeux qui leur importent à la table de négociation et disposer d’un mécanisme leur permettant de régler les différends sans entrer en guerre contre l’employeur. Les éléments de preuve relatifs aux quatre rondes de négociations collectives qui se sont déroulées jusqu’à maintenant, et le fait que la direction se soit employée à résoudre les problèmes soulevés par les pompiers en dehors du contexte des négociations collectives, ne corroborent pas les observations des pompiers concernant l’efficacité des négociations collectives. CB a également affirmé qu’il y a de la discorde au sein de l’unité parce que les pompiers sont assujettis à l’entente sur le maintien des activités, qui est exigée aux termes de l’article 87.4 du Code. Les parties savent très bien que cette disposition du Code continuerait de s’appliquer même si les pompiers faisaient partie d’une unité distincte. Toutefois, étant donné que tous les pompiers sont tenus de travailler durant une grève légale, le recours à la grève ou au lock-out serait inefficace pour cette unité, et l’une ou l’autre des parties pourrait présenter au Conseil une demande pour que soit appliquée une méthode exécutoire de règlement des différends. Il est évident que, en ayant une unité de négociation qui leur serait propre, les pompiers s’attendraient à obtenir par arbitrage exécutoire ce qu’ils n’ont pas réussi à obtenir grâce aux négociations collectives. Comme on l’a mentionné ci-dessus, le Conseil n’examine pas les demandes qui ont pour but de renforcer les capacités de négociation de l’une ou l’autre des parties (voir Rogers Cablesystems Limited, précitée). En outre, dans El Al Lignes aériennes d’Israël, 2009 CCRI 437, le Conseil a expliqué clairement que le fait que des employés soient assujettis à l’article 87.4 du Code n’est pas un facteur pertinent pour établir si une unité de négociation est habile à négocier collectivement.

[53] Compte tenu de tous ces facteurs, le Conseil n’est pas convaincu que, selon sa structure actuelle, l’unité de négociation de l’aéroport de St. John’s n’est plus habile à négocier collectivement. Par conséquent, la demande de révision fondée sur l’article 18.1 du Code est rejetée.

[54] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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