Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Kiomars Bazrafshan,

plaignant,

et

Société canadienne des postes,

intimée.

Dossier du Conseil : 30106-C

Référence neutre : 2014 CCRI 707

Le 13 janvier 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (Code).

Représentants des parties au dossier
M. Learie Charles, pour M. Kiomars Bazrafshan;
M. Michael J. Torrance, pour la Société canadienne des postes.

I. Introduction

[1] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 26 août 2013, M. Kiomars Bazrafshan a déposé une plainte auprès du Conseil, dans laquelle il allègue que son ancien employeur, la Société canadienne des postes (SCP), a pris des mesures disciplinaires contre lui, et l’a par la suite congédié, parce qu’il avait signalé des problèmes de sécurité en vertu du Code.

[3] M. Bazrafshan a déposé une plainte dans laquelle il a exposé la chronologie des événements, et il a joint de nombreux documents utiles se rapportant à ces événements.

[4] M. Bazrafshan a également présenté un grief relativement à certains de ces événements. Les faits indiquent que son agent négociateur, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), l’a aidé et l’a représenté dans ce dossier.

[5] La SCP a soutenu que certaines, voir la totalité, des allégations de M. Bazrafshan avaient été présentées à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 133(2) du Code. En outre, la SCP a fait valoir qu’il n’y avait pas eu de refus de travailler et que l’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 133(6) du Code ne s’appliquait pas.

[6] La SCP a également affirmé que la présente affaire se rapportait à sa convention collective et à des tentatives d’obtenir de M. Bazrafshan l’information pertinente sur son état de santé, qui était une condition à son retour au travail. Comme M. Bazrafshan aurait refusé de donner suite aux demandes présentées à cette fin, la SCP l’a congédié.

[7] La SCP a également contesté les diverses mesures de redressement demandées par M. Bazrafshan, affirmant qu’elles relèvent plutôt de la compétence d’un arbitre du travail, sous le régime de la convention collective.

[8] L’abondante documentation produite met en lumière l’historique des nombreux événements liés aux relations du travail qui ont mené à divers recours juridiques, dont la présente plainte fondée sur la partie II du Code.

[9] Le Conseil conclut qu’aucune mesure de représailles n’a été exercée contre M. Bazrafshan du fait qu’il a signalé des problèmes de sécurité aux termes de la partie II du Code. Aucune question relative à la convention collective n’est examinée sur le fond dans la présente décision, puisque de telles questions relèvent de la compétence d’un arbitre du travail.

[10] Voici les motifs de la décision du Conseil.

II. Chronologie des événements

[11] Le Conseil s’abstiendra de citer dans le détail les pièces produites par M. Bazrafshan à l’appui de sa plainte, bien que celles-ci, tout comme celles présentées par la SCP, aient été examinées dans leur intégralité. Ces pièces ont permis au Conseil de comprendre la chronologie des événements qui ont mené au dépôt de la présente plainte.

[12] M. Bazrafshan a envoyé plusieurs courriels, dont certains qu’il qualifiait de « communiqués » (traduction), au sujet de sa situation au travail. Par exemple, le 8 janvier 2013, il a envoyé à bon nombre de personnes et d’organisations un courriel dont l’objet était le suivant : « Urgent : Arrêtez les intimidateurs à Postes Canada » (traduction). Les principaux destinataires de ce message étaient : i) le premier ministre, M. Harper; ii) le chef de l’opposition, M. Mulcair; iii) d’autres députés, dont la ministre du Travail; iv) la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), ainsi que des membres du personnel de la SCP et du STTP.

[13] M. Bazrafshan a également envoyé ce courriel au Conseil.

[14] Dans ce message, il alléguait que certains superviseurs de la SCP lui faisaient subir de la violence psychologique, du harcèlement et de l’intimidation, et il faisait référence à certains événements qui seraient survenus entre 2009 et 2011. Une de ces allégations portait sur un accident de travail qui s’était produit en novembre 2010.

[15] M. Bazrafshan alléguait que la SCP l’avait fait suivre par des agents de sécurité de l’organisation pendant qu’il était en congé en raison d’une blessure. Il alléguait aussi que la SCP l’avait rétrogradé à son retour au travail à la suite de cette blessure, en lui retirant son statut d’employé à temps plein pour lui attribuer celui d’employé à temps partiel. Il alléguait avoir été intimidé et harcelé au cours d’une réunion subséquente avec des superviseurs et des gestionnaires de la SCP.

[16] Le courriel en question contenait des détails concernant plusieurs superviseurs et gestionnaires de la SCP et leur conduite prétendue. M. Bazrafshan alléguait que la SCP ne s’occupait pas de ses problèmes.

[17] M. Bazrafshan concluait son courriel du 8 janvier 2013 par les paragraphes suivants :

Quel « cri d’alarme » vous faudra-t-il pour comprendre que l’intimidation est un problème grave au CDY et à la SCP? Que faudra-t-il qu’il se produise pour que

vous vous rendiez compte, avant qu’il ne soit trop tard, que vous avez la possibilité et le pouvoir de « mettre fin à l’intimidation » en milieu de travail?

On ne me laisse pas respirer. J’exige une intervention immédiate.

(traduction)

[18] Le 11 janvier 2013, après avoir reçu une copie du courriel de M. Bazrafshan du 8 janvier 2013, le Conseil l’a informé que ce courriel ne correspondait pas à « une méthode approuvée pour déposer une plainte auprès du Conseil canadien des relations industrielles et, par conséquent, [que cette] communication ne donner[ait] lieu à aucune mesure de traitement ni ouverture de dossier » (traduction). La seule plainte que le Conseil a reçue de M. Bazrafshan par la suite est la présente plainte, qui a été déposée le 26 août 2013.

[19] Le 14 janvier 2013, la SCP a imposé une suspension d’urgence à M. Bazrafshan en raison de son courriel :

La présente confirme le message vocal laissé à votre intention le 14 janvier 2013, vers 20 h 36, pour vous informer que la suspension d’urgence qui vous a été imposée le 14 janvier 2013 est prolongée. Vous êtes donc suspendu de vos fonctions pour une période indéterminée, sans rémunération, en attendant les résultats de l’enquête. Il vous est enjoint de ne pas vous présenter au travail pour vos quarts prévus à l’horaire régulier, et ce, jusqu’à nouvel ordre.

Voici le(s) motif(s) de la suspension : La Société canadienne des postes a pris connaissance d’une lettre que vous auriez envoyée le 7 janvier 2013 à diverses personnes au sujet des conditions de travail au Centre de distribution de York (CDY). La Société canadienne des postes est très préoccupée par le contenu de cette lettre, notamment vos propos sur les conséquences qui pourraient survenir si personne n’intervient.

Il vous est demandé de ne pas vous introduire dans les locaux de la Société canadienne des postes, à l’exception de ceux qui sont ouverts au grand public. Nous communiquerons avec vous pour vous fournir l’information nécessaire lorsque vous devrez vous soumettre à une entrevue aux fins du processus d’enquête.

Une copie du présent document sera versée à votre dossier personnel.

NOM : Saarah Quamina
TITRE : Chef
DATE : 14 janvier 2013

(traduction; caractères gras ajoutés)

[20] La SCP a également suspendu M. Bazrafshan de ses fonctions le 14 janvier 2013 en raison d’un autre incident :

DATE D’ENTRÉE EN VIGUEUR : le lundi 14 janvier 2013, sur réception

Vous êtes par la présente suspendu de vos fonctions. Vous devrez vous présenter devant Alton James au début de votre quart régulier du mardi 15 janvier 2013.

Voici le(s) motif(s) de la suspension :

L’insubordination dont vous avez fait preuve vers 8 h 25, en élevant la voix à l’endroit du gestionnaire Kimti Aggarwal, en criant qu’il était incompétent et qu’il contrevenait à la loi, et en perturbant les activités dans l’aire de travail.

(traduction)

[21] Le 30 janvier 2013, la CCDP a répondu au courriel que M. Bazrafshan avait envoyé le 8 janvier 2013 :

Nous avons examiné attentivement votre lettre, et les questions que vous soulevez ne semblent se rapporter à aucun motif prévu dans la Loi. La Commission n’est donc pas habilitée à statuer sur cette affaire. De plus, le mandat de la Commission est de nature corrective et, comme la direction est intervenue dans cette situation, nous vous conseillons de communiquer avec votre représentant syndical pour lui faire part de votre point de vue sur les mesures prises par la direction.

(traduction)

[22] Le 1er février 2013, la SCP a imposé à M. Bazrafshan une suspension de trois jours pour ses propos tenus le 14 janvier 2013 à l’endroit d’un gestionnaire de la SCP. La période de cette suspension a chevauché celle de la suspension indéterminée de M. Bazrafshan :

J’ai passé en revue votre dossier personnel ainsi que les notes de l’entrevue du 22 janvier 2013, c’est-à-dire le résumé de votre entrevue au sujet de la conduite et du langage inappropriés que vous avez adoptés le lundi 14 janvier 2013, vers 8 h 30. Vous avez alors élevé la voix à l’endroit du gestionnaire Kimti Aggarwal et crié qu’il « était incompétent » et qu’il « contrevenait à la loi », et vous avez perturbé les activités dans l’aire de travail. En raison de cet écart de conduite, vous êtes suspendu d’urgence, sans rémunération.

M. Bazrafshan, il était inapproprié et inacceptable d’élever la voix, de traiter d’incompétent le gestionnaire du CDY, Kimti Aggarwal, et de perturber les activités dans l’aire de travail. Votre comportement et vos propos à l’endroit du gestionnaire du CDY contreviennent à la politique de Postes Canada et ne peuvent être tolérés.

En raison de votre conduite, nous vous infligeons une suspension de trois (3) jours sans rémunération. Puisque vous êtes déjà suspendu pour une période indéterminée, cette suspension sera en vigueur aux dates suivantes :

Mardi 15 janvier 2013,
Mercredi 16 janvier 2013,
Vendredi 18 janvier 2013.

M. Bazrafshan, je profite de l’occasion pour vous informer que tout autre écart de conduite de cette nature entraînera des mesures disciplinaires progressives, pouvant aller jusqu’à votre congédiement de Postes Canada.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[23] Le 4 février 2013, la SCP a demandé à M. Bazrafshan de se présenter à son lieu de travail pour assister à une rencontre concernant son retour au travail :

Par la présente, nous vous demandons de vous présenter à votre lieu de travail du CDY (1860, avenue Midland, Scarborough, Ontario) le mardi 5 février 2013 à 7 heures. Une rencontre concernant votre retour au travail aura lieu à 7 h entre votre représentant syndical, la direction du CDY et vous-même. Cette réunion portera sur votre suspension pour une période indéterminée et votre retour au travail.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[24] Le 8 février 2013, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC, selon l’ancienne appellation) a répondu, au nom de la ministre du Travail, à certains courriels envoyés par M. Bazrafshan :

Au nom de l’honorable Lisa Raitt, ministre du Travail, je réponds à vos courriels du 20 décembre 2012 et du 31 janvier 2013, dans lesquels vous nous avez fait part de problèmes liés à l’intimidation en milieu de travail.

Le gouvernement du Canada prend au sérieux tout acte de violence en milieu de travail, y compris la violence psychologique, et c’est la raison pour laquelle, le 28 mai 2008, le Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail a été modifié par l’ajout de la partie XX, intitulée « Prévention de la violence dans le lieu de travail ». Aux termes de la partie XX, tout employeur relevant de la compétence fédérale est tenu de prendre des mesures pour éliminer et prévenir la violence physique et psychologique, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs.

En vue d’assurer le traitement rapide de votre demande, nous acheminons votre courriel au bureau de district de Toronto du Programme du travail, où un agent de santé et de sécurité sera assigné à votre dossier et pourra y donner suite. Un employé du bureau de district devrait communiquer avec vous sous peu. Voici, à titre d’information, les coordonnées du bureau de district de Toronto :

Programme du travail – Bureau de district de Toronto
4900, rue Yonge, étage supérieur
North York (Ontario) M2N 6A4
1-800-641-4049

(traduction; caractères gras ajoutés)

[25] Le 5 mars 2013, le Programme du travail a accusé réception de la plainte de M. Bazrafshan contre la SCP aux termes de la partie II du Code :

Par la présente, nous accusons réception de votre plainte écrite contre la SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES.

Domenico Iacobellis, agent de santé et de sécurité (tél. : 416-973-0559), est chargé de faire enquête sur votre dossier. Nous communiquerons avec vous pour obtenir de plus amples renseignements, au besoin, ou pour vous informer des conclusions de l’enquête.

(traduction)

[26] Dans une lettre datée du 15 mars 2013, la SCP a demandé à M. Bazrafshan de demeurer en congé parce qu’elle avait des doutes quant à son aptitude au travail :

La Société a constaté des comportements que vous avez adoptés récemment et qui sont une grande source de préoccupation pour nous à la Société canadienne des postes. Nous faisons ici référence à certains gestes et comportements sur les lieux de travail, ainsi qu’au contenu, à la nature et au ton d’une série de courriels et de lettres que vous avez récemment envoyés à diverses personnes et organisations.

Sachez que nous nous soucions sincèrement de votre santé et de votre bien-être, et que nous souhaitons vous offrir tout notre soutien à cet égard.

À cette fin, nous avons fait appel à notre fournisseur de services de gestion de l’invalidité, Great-West/Morneau Shepell, pour évaluer votre aptitude au travail en ce moment. Celui-ci communiquera avec vous dans les 24 heures suivant la réception de cette lettre afin de vous expliquer la procédure à suivre. Je compte sur votre entière coopération pour lui fournir toute information sur votre état de santé dont il pourrait avoir besoin pour évaluer votre aptitude au travail.

Dans l’intervalle, nous vous demandons de demeurer en congé jusqu’à nouvel ordre. Vous ne subirez aucune perte de salaire pendant la période où vous coopérerez avec Great-West/Morneau Shepell en vue de déterminer si vous êtes entièrement apte à retourner au travail. Votre retour au travail dépendra des résultats de l’évaluation médicale de votre capacité à retourner au travail en toute sécurité.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[27] Parmi les pièces produites par M. Bazrafshan se trouve également un formulaire d’enregistrement d’une plainte relative à la partie II du Code, qui est daté du 25 mars 2013. Le formulaire qu’il a utilisé contient expressément la mention suivante : « Ne pas utiliser pour les refus de travailler en cas de danger (se référer à l’article 128 du Code) ».

[28] Voici la description faite par M. Bazrafshan sur le formulaire concernant la nature de la plainte du 25 mars 2013 :

Nature de la plainte : Violation de la Loi sur la santé et la sécurité au travail
Violation du Code canadien du travail, violation des droits de la personne

  • Pour avoir négligé de réparer l’appareil de chauffage du quai nord, malgré les plaintes formulées depuis des mois
  • Pour avoir négligé de réparer les plaques de sécurité nos 17 et 27 du quai nord, malgré les plaintes formulées depuis des mois
  • Pour avoir négligé de réparer la portière de chargement de la fourgonnette, malgré les plaintes formulées depuis des mois
  • Pour avoir instauré un milieu de travail menaçant; pour avoir instauré un milieu de travail non sécuritaire
  • Pour avoir ajouté des tâches supplémentaires sans accorder plus de temps, ce qui a forcé à accélérer le travail et causé des accidents,
    malgré les plaintes formulées depuis des mois… et davantage…
(traduction)

[29] M. Bazrafshan a continué à envoyer des communications écrites aux représentants de la SCP et du STTP, comme l’indique cet extrait d’un courriel qu’il a envoyé le 12 avril 2013 au président-directeur général de la SCP et à l’un de ses vice-présidents principaux :

M. Chopra, M. Jones,
Je vous suis grandement reconnaissant d’avoir enfin pris le temps, malgré votre horaire chargé, de répondre aux nombreux courriels que je vous envoie depuis des mois.

Dorénavant, pour désigner les « intimidateurs » et l’« intimidation », j’emploierai les expressions « criminels » et « activité criminelle », ou « activité criminelle violente », pour reprendre les termes utilisés hier par le premier ministre.

Je vous invite à regarder les vidéos ci-jointes, au cas où vous auriez manqué cette nouvelle-choc.

(Veuillez vous montrer patients; le démarrage peut prendre quelques secondes.)

M. Chopra, vos superviseurs, gestionnaires et directeur(s) se livrent à des activités criminelles depuis plusieurs années. Outre la procédure inefficace de règlement des griefs, j’ai également demandé l’aide de la police locale, et j’ai écrit à vos prédécesseurs et à votre vice-président. J’ai rencontré des avocats. Aucune de ces tentatives n’a porté fruit en raison du système judiciaire interne de la SCP, que vos gestionnaires criminels ont transgressé de toute façon.

Je sais que vos superviseurs criminels veulent faire de moi un criminel et éliminer tous les recours à ma disposition : je dois soit me résoudre aux activités criminelles de vos superviseurs, soit quitter mon emploi, soit subir des torts moi-même, ou peut-être en faire subir à vos superviseurs criminels. Vous et votre vice-président en êtes parfaitement conscients.

Cependant, je ne me reconnais – ni ne me reconnaîtrai jamais – dans aucun de ces comportements, car à mon avis, ce ne sont que des accusations ridicules et gratuites lancées par vos superviseurs criminels en vue de m’incriminer.

Je suis un employé enthousiaste et très compétent, j’aime mon travail et j’aime profondément ma famille. Je suis aussi un militant syndical, et j’ai été pénalisé pour cette raison, tout comme de nombreux autres bons employés de la SCP.

(traduction)

[30] Dans le cadre de la demande de prestations d’invalidité de courte durée (ICD) de M. Bazrafshan, des dispositions ont été prises pour qu’il rencontre un psychiatre judiciaire. Le 17 avril 2013, M. Bazrafshan a émis des réserves importantes à la suite de sa première rencontre avec le psychiatre judiciaire.

[31] Le 24 mai 2013, M. Bazrafshan a diffusé un communiqué au sujet d’une grève de la faim qu’il prévoyait entreprendre le 3 juin 2013, au siège social de la SCP, à Ottawa.

[32] Le 25 mai 2013, le médecin de famille de M. Bazrafshan a fourni un billet médical dans lequel il recommandait que M. Bazrafshan ne retourne pas au travail avant que soient résolus les problèmes décrits dans le billet.

[33] Dans une lettre datée du 31 mai 2013 s’adressant à M. Bazrafshan, Great-West/Morneau Shepell, qui avait étudié sa demande de prestations d’ICD, a indiqué qu’il pouvait retourner au travail le 3 juin 2013. Cette lettre contenait des renseignements au sujet d’une rencontre visant à faciliter son retour au travail, qui était prévue pour cette date.

[34] M. Bazrafshan ne s’est pas présenté à la rencontre de retour au travail. Le reste des pièces qui accompagnent sa plainte fournissent des détails sur les communications échangées relativement à son retour au travail.

[35] Par exemple, dans un courriel envoyé le 2 juin 2013, la SCP a informé M. Bazrafshan que s’il ne se présentait pas à la rencontre de retour au travail du 3 juin 2013, il serait considéré comme « absent sans permission à partir du 4 juin 2013 » (traduction).

[36] La SCP a par la suite demandé un examen médical indépendant (EMI), qui a été fixé au 17 juillet 2013. Le STTP a écrit à la SCP le 9 juillet 2013, au nom de M. Bazrafshan :

Kiomars Bazrafshan m’a informé et m’a chargé de vous aviser, vous-même et la Société canadienne des postes, qu’il ne sera pas disponible pour participer au processus d’EMI que vous avez unilatéralement organisé pour lui le 17 juillet 2013. M. Bazrafshan affirme qu’il ne sera pas à Toronto le 17 juillet 2013, et qu’il ne pourra donc pas se présenter au rendez-vous d’EMI que vous avez fixé.

Compte tenu de cette situation, il ne signera pas (comme vous lui avez demandé de le faire « au plus tard le mardi 9 juillet 2013 ») la déclaration de consentement forcé qui accompagnait votre avis d’EMI, envoyé par courriel le 5 juillet 2013. Le même courriel donnait à M. Bazrafshan l’avertissement suivant, sur un ton plutôt menaçant : « Soyez avisé que si vous refusez de coopérer, de donner votre consentement à Great-West Life et de vous présenter à votre rendez-vous d’EMI, votre manquement donnera lieu à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’à un congédiement. »

Afin d’éviter que vous tiriez des conclusions injustifiées ou preniez une décision précipitée concernant l’emploi de M. Bazrafshan, je vous rappelle que la présente ne vise qu’à vous transmettre l’information qu’il m’a demandé de vous communiquer, à vous et à la Société canadienne des postes, à cet égard.

(traduction; italique dans l’original)

[37] Le 10 juillet 2013, la SCP a de nouveau écrit à M. Bazrafshan concernant sa décision de ne pas signer un formulaire de consentement de divulgation de renseignements médicaux à Great-West, de même que son intention de ne pas se présenter à son rendez-vous d’EMI du 17 juillet 2013. M. Bazrafshan a répondu dans une lettre datée du 12 juillet 2013, dans laquelle il a exposé sa position.

[38] La SCP lui a répondu le même jour et a soutenu, entre autres, que la disposition 33.10(c) de la convention collective l’autorisait à exiger des examens médicaux plus approfondis.

[39] Le 15 juillet 2013, la SCP a envoyé une lettre de congédiement à M. Bazrafshan. Dans une lettre datée du 18 juillet 2013, la SCP a annulé la lettre de congédiement du 15 juillet 2013 et l’a remplacée par une autre lettre de congédiement, expliquant « [qu’]une lettre plus détaillée aurait dû [lui] être envoyée pour expliquer les raisons du congédiement » (traduction). M. Bazrafshan a répondu à cette lettre le 24 juillet 2013, faisant part de son opinion sur la situation.

[40] Le 30 juillet 2013, le Programme du travail de RHDCC a fait parvenir une lettre à M. Bazrafshan pour l’informer que, comme il n’était plus un employé de la SCP, le Programme du travail n’avait pas compétence pour traiter sa plainte. Cette lettre l’informait du processus pour déposer une plainte auprès du Conseil :

Cette lettre fait suite à votre plainte datée du 24 mars 2013 contre la SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES. Nous avons examiné votre plainte et conclu que le programme du Travail n’a pas compétence pour enquêter sur votre plainte, car vous n’êtes plus un employé et car l’objet de votre plainte relève de l’article 133 de la partie II du Code canadien du travail.

Veuillez noter que la partie II du Code canadien du travail prévoit un délai de 90 jours pour présenter votre plainte, et ce, à compter de la date où vous avez eu connaissance – ou, selon le Conseil, vous auriez dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu. Nous vous conseillons donc de transmettre immédiatement votre plainte au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), qui a le pouvoir d’enquêter sur votre plainte.

Conseil canadien des relations industrielles
1, rue Front Ouest
Toronto (Ontario)
M5J 2X7
Courriel : info@cirb-ccri.gc.ca
Appels sans frais : 1-800-575-9696

Par conséquent, le programme du Travail du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada ne peut rien faire de plus pour vous.

(traduction; caractères gras dans l’original; caractères gras et italiques ajoutés)

[41] La lettre du Programme du travail informant M. Bazrafshan que cette affaire relevait de la compétence du Conseil l’a vraisemblablement amené à déposer sa plainte du 26 août 2013.

III. Dispositions législatives pertinentes

[42] En vertu de la partie II du Code, le champ de compétence du Conseil est restreint en ce qui concerne le règlement des plaintes.

[43] L’article 147 du Code interdit à l’employeur de prendre des mesures de représailles contre un employé parce que ce dernier a participé à un processus en matière de santé et de sécurité :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[44] Comme le prévoit l’article 147, la participation d’un employé peut consister à avoir témoigné dans une poursuite ou à avoir fourni un renseignement relatif à la partie II. Elle peut aussi consister à avoir observé les dispositions de la partie II du Code ou à avoir cherché à les faire appliquer.

[45] L’article 133 du Code régit les plaintes de violation de l’article 147 présentées par un employé :

133. (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

(caractères gras ajoutés)

[46] Au paragraphe 133(2), le législateur a prévu un délai de 90 jours pour le dépôt des plaintes. En outre, il a ajouté certaines exigences procédurales applicables aux cas de refus de travailler (paragraphe 133(3)). Le fardeau de la preuve peut incomber à l’employeur, mais seulement dans les cas où il y a eu refus de travailler (paragraphe 133(6)).

[47] Le paragraphe 128(1) marque le début du processus établi pour traiter les refus de travailler :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(caractères gras ajoutés)

[48] Le paragraphe 128(1) soulève deux questions préliminaires :

  1. L’employé était-il « au travail » au moment du refus?
  2. L’employé avait-il des « motifs raisonnables de croire » qu’il y avait un danger?

IV. Questions en litige

[49] Dans le cas de la plainte déposée par M. Bazrafshan, le Conseil doit trancher les questions suivantes :

  1. Y a-t-il des éléments de la plainte de M. Bazrafshan qui ne respectent pas le délai prescrit au paragraphe 133(2)?
  2. M. Bazrafshan a-t-il exercé son droit de refus de travailler?
  3. Est-ce parce que M. Bazrafshan a signalé des problèmes liés à la santé et à la sécurité que la SCP a pris des mesures disciplinaires contre lui et l’a congédié?

V. Analyse et décision

[50] Cette affaire ressemble, sans y être identique, à une autre affaire récemment portée devant le Conseil, Leslie, 2013 CCRI 694 (Leslie 694). Dans Leslie 694, précitée, il était évident qu’il y avait eu refus de travailler.

[51] Dans Leslie 694, précitée, le Conseil a souligné les difficultés qui se posent lorsqu’une plainte fondée sur la partie II constitue une seule composante d’un problème plus complexe lié aux relations du travail :

[56] De toute évidence, il est plus difficile pour le Conseil de trancher une affaire lorsqu’une plainte déposée en vertu du Code n’est que l’un des éléments d’un problème lié aux relations du travail qui existait déjà et qui mettait en cause des mesures d’adaptation pour des raisons médicales ainsi que des griefs présentés aux termes de la convention collective. Dans une situation différente, le Conseil aurait pu conclure que M. Leslie avait perdu son parcours régulier parce qu’il avait refusé de travailler. Or, l’ensemble des circonstances de l’espèce a convaincu le Conseil que ce n’est pas le cas.

[52] Il ne fait aucun doute que le droit d’un employé de déposer auprès du Conseil une plainte fondée sur la partie II n’est pas limité par la simple existence d’autres litiges connexes qui se rapportent à la convention collective. Une plainte en matière de sécurité au travail fondée sur la partie II relève de la compétence exclusive du Conseil, et non de celle d’un arbitre du travail, comme l’indique la décision Cahoon, 2010 CCRI 548 :

[11] La partie II du Code contient cependant le paragraphe 133(4), qui interdit à un employé de renvoyer sa plainte en matière de sécurité au travail à l’arbitrage :

133.(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

[12] Le Code interdit à M. Cahoon de demander à un arbitre de trancher sa plainte présentée en vertu de la partie II. M. Cahoon demeure en charge de sa plainte en matière de sécurité et peut exiger que le litige soit tranché sur le fond.

[13] Troisièmement, puisque M. Cahoon ne peut renvoyer sa plainte à l’arbitrage et que l’arbitre Picher a uniquement tranché un grief présenté en vertu de la convention collective, l’allégation de M. Cahoon, portant que le CN a usé de représailles en raison du fait qu’il aurait tenté de faire valoir ses droits en matière de sécurité prévus à la partie II, n’a pas fait l’objet d’une décision.

[53] Quoi qu’il en soit, la partie II du Code n’a pas pour but de dédoubler, en permettant un traitement parallèle, le processus concernant les mesures disciplinaires et les congédiements aux termes d’une convention collective. En l’espèce, le Conseil doit déterminer s’il y a des motifs justifiant une intervention aux termes de la partie II du Code. Tout litige relevant de la convention collective demeure en dehors de cette analyse.

A. Y a-t-il des éléments de la plainte de M. Bazrafshan qui ne respectent pas le délai prescrit au paragraphe 133(2)?

[54] La SCP a soulevé une objection préliminaire selon laquelle la plainte de M. Bazrafshan du 26 août 2013 avait été déposée à l’extérieur du délai prescrit.

[55] Par souci de commodité, le paragraphe 133(2) est reproduit ci-dessous :

133.(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

[56] Comme la SCP l’a fait remarquer à juste titre, le Conseil statue sur la recevabilité de la plainte en se basant sur le moment où le plaignant « a eu connaissance – ou… aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu ».

[57] La SCP a ajouté que le Conseil n’avait pas le pouvoir de modifier le délai de 90 jours.

[58] Plutôt que d’énoncer de nouveau dans la partie II tous les pouvoirs conférés au Conseil par la loi, le législateur a ajouté l’article 156, en vertu duquel le Conseil est investi des pouvoirs prévus à la partie I du Code aux fins de l’application de la partie II :

156.(1) Par dérogation au paragraphe 14(1), le président ou un vice-président du Conseil ou un membre du Conseil nommé en vertu de l’alinéa 9(2)e) peut, dans le cadre de la présente partie, statuer sur une plainte présentée au Conseil. Ce faisant, il est :

a) investi des pouvoirs, droits et immunités conférés par la présente loi au Conseil, à l’exception du pouvoir de réglementation prévu par l’article 15;

b) assujetti à toutes les obligations et les restrictions que la présente loi impose au Conseil.

(2) Les dispositions correspondantes de la partie I s’appliquent aux ordonnances et décisions que rendent le Conseil ou l’un de ses membres dans le cadre de la présente partie ou aux procédures dont ils sont saisis sous le régime de celle-ci.

(caractères gras ajoutés)

[59] Dans la partie I du Code, l’alinéa 16m.1) confère au Conseil le pouvoir de proroger les délais fixés pour la présentation d’une demande :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

m.1) proroger les délais fixés par la présente partie pour la présentation d’une demande.

[60] Ainsi, le Conseil a le pouvoir de proroger le délai de 90 jours prévu au paragraphe 133(2) du Code pour la présentation d’une demande aux termes de la partie II.

[61] Le Conseil n’a pas l’habitude d’exercer ce pouvoir discrétionnaire de proroger les délais; il ne le fait que dans des situations exceptionnelles. Le Conseil a souligné dans Torres, 2010 CCRI 526, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Buenaventura Jr. c. Syndicat des travailleurs(euses) en télécommunications (STT), 2012 CAF 69, que les plaintes doivent être déposées à l’intérieur du délai de 90 jours :

[19] Le Conseil ne dispensera pas systématiquement une partie de l’obligation de respecter le délai de 90 jours prévu pour déposer une plainte de pratique déloyale de travail. Le législateur a toujours souligné l’importance du fait que le Conseil devait être saisi sans délai des questions de relations de travail. Les éventuelles parties intimées ont le droit de savoir si elles doivent conserver les éléments de preuve et, par ailleurs, se préparer en vue d’une plainte déposée en vertu du Code.

[62] M. Bazrafshan a allégué que la SCP avait enfreint l’article 147 en lui infligeant une suspension le 14 janvier 2013 en raison, entre autres, de son courriel envoyé le 8 janvier 2013. Le Conseil conclut que cet élément de la plainte est irrecevable.

[63] Dans son courriel du 8 janvier 2013, M. Bazrafshan a fait référence à d’éventuels problèmes de sécurité qui remontaient aux années antérieures. Le Conseil est d’avis que, si M. Bazrafshan avait l’impression que sa suspension du 14 janvier 2013 était la conséquence de son courriel du 8 janvier 2013, il aurait dû déposer une plainte auprès du Conseil dans les 90 jours suivant cet événement. De toute évidence, il a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des circonstances pouvant donner lieu à une éventuelle plainte relativement à cet incident précis.

[64] Le simple fait d’envoyer au Conseil une copie conforme d’un courriel adressé à plusieurs personnes et tribunaux ne peut équivaloir à une plainte sous le régime du Code. D’ailleurs, le 11 janvier 2013, le Conseil a informé M. Bazrafshan par écrit que son courriel ne constituait pas une plainte.

[65] M. Bazrafshan n’a présenté au Conseil aucun motif impérieux justifiant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai. De janvier 2013 au 26 août 2013, date où il a déposé sa plainte, il a été en mesure d’intenter d’autres recours, comme en témoigne sa plainte du 25 mars 2013 auprès du Programme du travail. Le Conseil estime qu’il ne s’agit pas d’une situation exceptionnelle et il ne prorogera donc pas le délai de 90 jours.

[66] Le Conseil est d’avis que le délai a été respecté dans le cas de la plainte de M. Bazrafshan portant sur la question de savoir si son congédiement, en juillet 2013, de même que d’autres événements survenus dans les 90 jours précédant la plainte du 26 août 2013, étaient entièrement ou en partie attribuables à l’exercice des droits que lui confère la partie II du Code.

B. M. Bazrafshan a-t-il exercé son droit de refus de travailler?

[67] Aux termes du paragraphe 133(6), le fardeau de la preuve ne peut être inversé que si le plaignant a dûment exercé le droit de refus de travailler prévu au paragraphe 128(1) du Code.

[68] La SCP a contesté l’allégation présentée par M. Bazrafshan au paragraphe 10 de sa plainte, selon laquelle il a valablement exercé son droit de refus de travailler en mai 2013 :

10. De plus, la Société canadienne des postes a ignoré mes préoccupations relatives à la santé et à la sécurité, de même que mon refus de travailler, dont je lui avais fait part par l’entremise d’une lettre de mon médecin de famille datée du 25 mai 2013.

(traduction)

[69] M. Bazrafshan a également allégué, dans sa réplique du 16 septembre 2013, qu’il avait refusé de travailler en vertu du Code quand il avait refusé de se présenter à la rencontre de retour au travail organisée par la SCP le 3 juin 2013.

[70] Le Conseil n’est pas convaincu, d’après les faits présentés en l’espèce, que le droit de refus de travailler a été valablement exercé. Aux termes du paragraphe 128(1), l’employé doit être « au travail » pour exercer son droit de refus de travailler (Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51). Un billet de médecin concernant un employé qui n’est pas au travail ne peut établir un refus de travailler valable.

[71] Le paragraphe 133(3) précise clairement qu’un employé qui invoque le refus de travailler doit s’être conformé au paragraphe 128(6) du Code :

128.(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

(caractères gras ajoutés)

[72] Le processus établi relativement au refus de travailler repose sur la présence de l’employé, ainsi que sur sa participation au processus d’enquête exigé aux termes du Code – qui est impossible si l’employé n’est pas au travail.

[73] En outre, la plainte écrite déposée en mars 2013 par M. Bazrafshan en vertu de la partie II du Code indiquait expressément qu’il ne s’agissait pas d’un refus de travailler, comme on peut le lire à même le formulaire de plainte précité. Le refus d’assister à la rencontre de retour au travail du 3 juin 2013 ne répond pas non plus aux critères associés à un refus de travailler valable.

[74] Puisqu’il n’y a pas eu de refus de travailler dans la présente affaire, le fardeau de la preuve incombe à M. Bazrafshan. Il a l’obligation de démontrer au Conseil que la SCP a exercé des représailles contre lui parce qu’il avait signalé des problèmes relatifs à la sécurité aux termes de la partie II du Code.

C. Est-ce parce que M. Bazrafshan a signalé des problèmes liés à la santé et à la sécurité que la SCP a pris des mesures disciplinaires contre lui et l’a congédié?

[75] Dans Paquet, 2013 CCRI 691, le Conseil a décrit l’analyse qu’il applique lorsqu’il n’y a pas eu de refus de travailler et que le fardeau de la preuve incombe au plaignant :

[60] Cette interaction entre les articles 147 et 133 conduit à une analyse en trois étapes. Chaque étape doit être franchie avec succès pour que le Conseil puisse conclure à une violation du Code.

1. Air Canada a-t-elle imposé ou menacé d’imposer des mesures disciplinaires?
2. Les employées prenaient-elles part à un processus de la partie II?
3. Un lien existait-il entre le processus de la partie II et les mesures disciplinaires imposées par Air Canada?

[76] Le Conseil examinera ci-dessous ces trois questions dans l’ordre où elles sont présentées.

1. La SCP a-t-elle imposé ou menacé d’imposer des mesures disciplinaires?

[77] Les parties n’ont pas contesté cet élément. La chronologie des événements exposée précédemment fournit de nombreux exemples de menaces concernant la prise de mesures disciplinaires. La SCP a également congédié M. Bazrafshan par la suite.

[78] Contrairement à certains cas où les parties contestent la question même de savoir si des mesures disciplinaires ont été prises, cette question n’est pas en litige dans la présente affaire.

2. M. Bazrafshan prenait-il part à un processus de la partie II?

[79] Le Conseil est également convaincu que M. Bazrafshan prenait part à un processus de la partie II lorsque les mesures disciplinaires ont été prises. Les faits démontrent que ses allégations du 8 janvier 2013, initialement envoyées par courriel à la ministre du Travail ainsi qu’à de nombreux autres destinataires, ont été transmises au Programme du travail de RHDCC.

[80] Le 5 mars 2013, le Programme du travail a accusé réception de sa plainte. Le 25 mars 2013, M. Bazrafshan a officiellement déposé une plainte fondée sur la partie II auprès du Programme du travail.

[81] Le 30 juillet 2013, le Programme du travail a écrit à M. Bazrafshan pour l’informer que sa plainte de mars 2013 ne relevait pas de la compétence du Programme du travail, étant donné que M. Bazrafshan ne travaillait plus pour la SCP depuis juillet 2013 :

Cette lettre fait suite à votre plainte datée du 24 mars 2013 contre la SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES. Nous avons examiné votre plainte et conclu que le programme du Travail n’a pas compétence pour enquêter sur votre plainte, car vous n’êtes plus un employé et car l’objet de votre plainte relève de l’article 133 de la partie II du Code canadien du travail.

(caractères gras ajoutés)

[82] Le Conseil a de la difficulté à comprendre pourquoi le congédiement ultérieur de M. Bazrafshan a eu une incidence sur la compétence du Programme du travail eu égard à sa plainte qui avait déjà été déposée.

[83] Dans Rathgeber, 2010 CCRI 536 (Rathgeber 536), le Conseil a donné des précisions au sujet du rôle que le Code confère aux agents de santé et de sécurité (agent de SST), par comparaison avec le rôle réservé au Conseil. Les agents de SST traitent les allégations de violations importantes de la partie II, tandis que le Conseil s’occupe des représailles.

[84] Si un employé se voit infliger des mesures disciplinaires ou est congédié à la suite d’autres événements, il peut déposer une plainte auprès du Conseil. Mais en quoi cela peut-il avoir une incidence sur une plainte relative à la conformité déposée antérieurement auprès du Programme du travail? Le Conseil a traité d’une situation semblable dans Rathgeber 536, précitée :

[35] Un agent de santé et sécurité peut examiner la plainte de M. Rathgeber, décider qu’il n’y a pas eu violation de l’article 135.1 du Code et, par conséquent, ne donner aucune instruction. Cependant, il s’agit d’une toute autre affaire que d’informer un plaignant comme M. Rathgeber que RHDCC n’a pas compétence pour examiner la plainte et lui dire qu’il doit s’adresser au CCRI.

[36] En résumé, ce sont les agents de santé et de sécurité qui traitent initialement les allégations de contravention à la partie II du Code. Le Conseil s’occupe seulement des représailles, et ce, dans le cadre du régime restreint établi par les articles 133 et 147 du Code. Comme on l’a vu dans Tony Aker, précitée, une affaire peut porter à la fois sur une question d’observation et sur une plainte de représailles. Cependant, le Conseil n’a pas le pouvoir de surveiller les contraventions importantes aux dispositions de la partie II du Code. C’est à RHDCC qu’il incombe de décider s’il y a eu contravention.

[37] Le Conseil comprend très bien la frustration causée à M. Rathgeber par ce processus. Heureusement, pendant la RGA, M. Rathgeber a informé le Conseil qu’il avait réussi à s’entendre avec le CN relativement à ses travaux actuels et futurs pour le comité de santé et de sécurité. Néanmoins, il aimerait que l’on réponde à la plainte d’inobservation de la partie II du Code qu’il avait soulevée officiellement auprès du RHDCC le 17 septembre 2009.

[85] Malgré cette confusion entourant sa plainte déposée en mars 2013 auprès du Programme du travail, M. Bazrafshan a démontré qu’il prenait part à un processus de la partie II pendant toute la période visée par la présente plainte.

3. Un lien existait-il entre le processus de la partie II et les mesures disciplinaires imposées par la SCP?

[86] Dans bon nombre d’affaires de ce genre, la question centrale de l’analyse consiste à savoir si les mesures disciplinaires ont été prises en raison de la participation du plaignant à un processus de la partie II ou pour une tout autre raison. Il ne fait aucun doute qu’il existe plusieurs différends liés aux relations du travail entre M. Bazrafshan et la SCP. Ceux-ci seront probablement examinés par un arbitre du travail – bien que cette décision revienne en dernier ressort au STTP.

[87] M. Bazrafshan a-t-il convaincu le Conseil que la SCP a menacé de prendre des mesures disciplinaires contre lui, puis l’a ensuite congédié, en raison de sa participation à un processus de la partie II?

[88] Le Conseil est convaincu que des différends liés aux relations du travail perduraient depuis un bon moment entre M. Bazrafshan et la SCP lorsque celui-ci a déposé sa plainte du 26 août 2013. La SCP a pris la décision importante de retirer M. Bazrafshan de ses fonctions en raison de divers propos qu’il avait tenus par écrit. Certains de ces propos faisaient référence à de l’intimidation et à du harcèlement – des sujets qui, selon les faits propres à chaque espèce, peuvent être visés à la partie II du Code.

[89] Cependant, M. Bazrafshan n’a pas démontré à la satisfaction du Conseil que c’est sa participation à un processus de la partie II qui a amené la SCP, en totalité ou en partie, à :

  1. exiger qu’il se présente à une rencontre pour faciliter son retour au travail;
  2. le considérer comme absent sans permission;
  3. lui demander de signer un formulaire de consentement pour Great-West;
  4. se soumettre à un EMI.

[90] Le Conseil est convaincu que de nombreux différends relatifs à la convention collective ont surgi entre les parties et perduré, et qu’ils ont amené la SCP à intervenir, notamment au moyen de mesures disciplinaires et d’un congédiement. C’est à un arbitre du travail qu’il revient de statuer, aux termes de la convention collective, sur la question de savoir si la SCP était fondée à prendre de telles mesures. Le Conseil est convaincu que les interventions de la SCP n’étaient pas des représailles fondées sur la participation légitime de M. Bazrafshan à un processus de la partie II.

[91] Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de M. Bazrafshan.

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