Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Yellowknife Firefighters, section locale 2890 de l’Association internationale des pompiers,

requérante,

et


Ville de Yellowknife,

employeur.

Dossier du Conseil : 29300-C

Référence neutre : 2012 CCRI 661

Le 5 novembre 2012

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. John Bowman et André Lecavalier, Membres.

Représentants des parties au dossier
Me Sean McManus, pour les Yellowknife Firefighters, section locale 2890 de l’Association internationale des pompiers;
Mme Marie Couturier, pour la Ville de Yellowknife.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la demande

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance des documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre une décision sans tenir d’audience.

[2] La présente plainte concerne la question de savoir si l’article 49 du Code établit une période fixe à l’intérieur de laquelle un agent négociateur est tenu de transmettre un avis de négociation et, dans l’affirmative, quelles sont les conséquences, pour les négociations collectives, d’un avis transmis après l’expiration de cette période.

[3] Le 5 mars 2012, le Conseil a été saisi d’une plainte de pratique déloyale de travail (PDT) de la part des Yellowknife Firefighters, section locale 2890 de l’Association internationale des pompiers (l’AIP), dans laquelle ils allèguent que la Ville de Yellowknife (la Ville) n’a pas négocié de bonne foi, en violation de l’article 50 du Code.

[4] La convention collective des parties prévoyait une durée de trois ans, qui s’étendait du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011. Dans leurs observations, les parties n’ont pas contesté que l’AIP avait transmis un avis de négociation le 13 janvier 2012. Leur différend avait plutôt trait à la question de savoir si cet avis avait un effet juridique quelconque.

[5] La Ville a fait valoir que l’omission de l’AIP de transmettre son avis de négociation à l’intérieur de la prétendue période fixe de quatre mois qu’établit l’article 49 du Code avait pour résultat, en application du paragraphe 67(1) du Code, de renouveler automatiquement pour un an la convention collective des parties. Par conséquent, aucune obligation de négocier de bonne foi ne pouvait survenir en vertu de l’alinéa 50a) du Code.

[6] Il s’agit, semble-t-il, de la première affaire dans le cadre de laquelle le Conseil examine la question de savoir si l’article 49 établit une « période fixe » pour la transmission d’un avis de négociation, ou si cette disposition indique simplement la date la plus rapprochée à laquelle une partie à la convention collective peut obliger l’autre à négocier. L’article 49 permet également aux parties de s’entendre pour proroger le délai explicite de quatre mois que prévoit le Code.

[7] Le Conseil a conclu que l’avis que l’AIP a transmis le 13 janvier 2012 était valide, mais pour des motifs autres que ceux que les parties ont fait valoir. Il convient d’interpréter le Code d’une manière qui est uniforme pour toutes les parties relevant de la compétence fédérale. Le Code ne s’interprète pas à partir de la teneur des conventions collectives privées des parties.

[8] Compte tenu de la nouveauté de la question, le Conseil a par ailleurs décidé de rejeter la plainte de PDT de l’AIP. Le Code oblige les parties à négocier collectivement en vue de conclure une nouvelle convention collective.

II – Les faits

[9] Les faits ne sont pas contestés; ni l’une ni l’autre des parties n’ont sollicité la tenue d’une audience.

[10] L’article 36.01 de la convention collective la plus récente des parties prévoyait une durée explicite de trois ans (ci-après appelée, par souci de commodité, la « durée de la convention »), qui s’étendait du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011.

[11] Dans sa lettre datée du 5 janvier 2012, la Ville a informé l’AIP que sa convention collective avait été automatiquement renouvelée d’un an, car ni l’une ni l’autre des parties n’avait transmis un avis de négociation avant l’expiration de la durée de la convention, soit le 31 décembre 2011 :

Conformément au paragraphe 67(1) du Code canadien du travail, nous vous informons que la Ville de Yellowknife (la « Ville ») est d’avis que la convention collective actuelle que la Ville et la section locale 2890 ont conclue et dont la date d’expiration est le 31 décembre 2011 (la « CC ») a été renouvelée pour une période d’un (1) an, car aucune des parties n’a transmis d’avis de négociation. Par conséquent, la date d’expiration a été changée pour le 31 décembre 2012.

La Ville est d’avis que l’article 50 du Code ne s’applique pas, car aucun avis officiel de négociation n’a été transmis aux termes du paragraphe 49(1) du Code. L’article 36.04 de la CC indique que cette dernière demeurera en vigueur après la date d’expiration jusqu’à ce qu’une nouvelle CC entre en vigueur. Le paragraphe 67(1) du Code stipule que dans les cas où rien n’est prévu au sujet de la durée de la CC, il convient d’appliquer la durée minimale stipulée dans le Code, et la durée de la CC est renouvelée pour une durée minimale d’un (1) an.

Conformément à l’article 49 du Code, le syndicat ou la Ville seront en mesure de transmettre un avis de négociation après le 1er septembre 2012.

(traduction)

[12] L’AIP a répondu le 13 janvier 2012 et elle a fait valoir que la convention collective autorisait la transmission d’un avis de négociation après l’expiration de sa durée :

Le syndicat a reçu votre lettre concernant les négociations en 2012. Le syndicat demande que l’on fixe des dates mutuellement acceptables en vue de commencer à négocier collectivement pour le renouvellement de la convention collective, conformément à l’article 36.05 de la convention collective, qui se lit comme suit :

« L’employeur et la section locale 2890 doivent choisir, pour discuter du renouvellement de la convention collective, une date mutuellement acceptable qui n’est pas antérieure aux quatre (4) mois précédant la date d’expiration de la durée de la convention collective. » (c’est nous qui soulignons)

De l’avis du syndicat, l’interprétation étroite que fait l’employeur du Code canadien du travail est peu judicieuse et non utile. Le Code envisage clairement que les parties à une convention collective peuvent convenir de dispositions qui prévoient une période d’avis de négociation plus longue que les quatre mois que vous proposez. Le paragraphe 49(1) stipule que :

« Toute partie à une convention collective peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration, ou au cours de la période plus longue fixée par la convention, transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue du renouvellement ou de la révision de la convention ou de la conclusion d’une nouvelle convention. » (c’est nous qui soulignons)

Rien dans la convention collective ou dans le Code n’empêche les parties de convenir de commencer à négocier après que la convention collective a théoriquement expiré. En fait, tout au contraire, l’article 36.05 indique clairement que les parties « doivent choisir » les dates du début des négociations. Il ressort clairement de l’article 36.04 que la convention collective demeurera en vigueur après la date d’expiration, jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective prenne effet.

De l’avis du syndicat, le paragraphe 49(1) est clair. L’employeur est tenu d’entamer des négociations collectives.

(traduction)

[13] Dans sa lettre du 18 janvier 2012, la Ville a maintenu sa position selon laquelle la convention collective expirée avait été renouvelée pour une période d’un an, conformément au paragraphe 67(1) du Code :

La Ville de Yellowknife (la « Ville ») accuse réception de votre lettre datée du 13 janvier 2012. La Ville souscrit à votre position selon laquelle tant le Code canadien du travail (le « Code ») que la convention collective autorisent les deux parties à convenir d’une période d’avis de négociation plus longue. Cependant, dans le cas présent, les parties n’ont pas convenu d’une telle prorogation.

Malgré plusieurs tentatives de la part de la Ville pour amener la section locale à indiquer à quel moment elle transmettrait un avis de négociation officiel, aucun avis de cette nature n’a été transmis avant l’expiration du délai. Dans votre lettre, vous citez le paragraphe 49(1) et vous soulignez en caractères gras, au sujet de la date d’expiration, le passage suivant : « ou au cours de la période plus longue fixée par la convention ». La convention collective actuellement en vigueur ne prévoit pas de période plus longue.

La Ville souscrit à la déclaration incluse dans votre lettre selon laquelle « rien dans la convention collective ou le Code n’empêche les parties de convenir de commencer à négocier après que la convention collective a théoriquement expiré ». Cependant, selon la Ville, cette convention ne peut être conclue qu’après qu’un avis de négociation a été transmis conformément au Code et que les deux parties ont convenu de proroger les délais.

La Ville soutient que l’article 50 du Code est clair et, comme il est indiqué dans sa lettre datée du 5 janvier 2012, étant donné que la section locale n’a transmis aucun avis de négociation conformément à l’article 50 du Code, cette disposition ne s’applique pas.

(traduction)

[14] Le 14 août 2012, après un premier examen des observations, et afin de garantir qu’il disposait des arguments juridiques complets des parties concernant certaines dispositions non abordées du Code, le Conseil leur a demandé de répondre à trois questions :

  1. Étant donné que le Conseil donnera une interprétation du paragraphe 49(1) du Code dans la présente affaire, quelle est l’incidence du sous-alinéa 51(2)a)(ii) du Code, le cas échéant, sur cette interprétation?
  2. Quelle incidence l’article 48 du Code a-t-il, le cas échéant, sur l’avis de l’AIP daté du 13 janvier 2012?
  3. Le paragraphe 67(1) du Code vise expressément une convention collective « qui ne stipule pas sa durée » ou « qui est conclue pour une durée inférieure à un an ». En l’espèce, quels sont les faits, et la jurisprudence applicable, le cas échéant, qui font en sorte que cette disposition déterminative s’applique ou non à la situation des parties?

(Ville de Yellowknife, 2012 CCRI LD 2860; page 3)

[15] L’étape de la présentation des observations a pris fin le 2 octobre 2012.

[16] Il y a plusieurs questions en litige. Une partie peut-elle transmettre l’avis prévu à l’article 49 après l’expiration de la durée de la convention collective? Si cette partie ne transmet pas d’avis, quelles en sont les conséquences? Existe-t-il une autre façon de transmettre un avis de négociation?

III – Les dispositions pertinentes

[17] Les deux parties ont fait référence à l’article 36 de leur convention collective, intitulé « Durée et renouvellement » (traduction), à l’appui de leurs divers arguments :

ARTICLE
36
DURÉE ET
RENOUVELLEMENT

36.01 La durée de la présente convention collective est de trois (3) ans, du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011.

36.02 La grille de rémunération s’applique aux dates qui sont précisées dans la présente.

36.03 Toutes les autres dispositions de la présente convention collective entrent en vigueur à la date de la signature de cette dernière, sauf si une autre date y est expressément mentionnée.

36.04 Sauf disposition contraire, la présente convention demeurera en vigueur après la date d’expiration jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective prenne effet. Il n’y aura ni grève, ni débrayage, ni ralentissement, ni suspension du travail de la part des membres de la section locale 2890, ni lock-out des employés de la part de l’employeur.

36.05 L’employeur et la section locale 2890 doivent choisir, pour discuter du renouvellement de la convention collective, une date mutuellement acceptable qui n’est pas antérieure aux quatre (4) mois précédant la date d’expiration de la durée de la convention collective.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[18] L’article 48 et le paragraphe 49(1) du Code s’appliquent aux avis de négociation :

48. Une fois accrédité pour une unité de négociation et en l’absence de convention collective applicable aux employés de cette unité, l’agent négociateur de celle-ci – ou l’employeur – peut transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue de la conclusion d’une convention collective.

49.(1) Toute partie à une convention collective peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration, ou au cours de la période plus longue fixée par la convention, transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue du renouvellement ou de la révision de la convention ou de la conclusion d’une nouvelle convention.

[19] Une fois qu’un avis de négociation a été transmis, l’article 50 du Code impose l’obligation de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable en vue de conclure une convention collective. L’article 50 impose également un gel :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;

b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n’ont pas été remplies, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.

(c’est nous qui soulignons)

[20] Le paragraphe 51(2), qui traite des changements technologiques, fait référence aux avis de négociation dont il est question aux articles 48 et 49 :

51.(2) Les articles 52, 54 et 55 ne s’appliquent pas à l’employeur et à l’agent négociateur qui sont liés par une convention collective dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’employeur a donné à l’agent négociateur un avis écrit du changement technologique qui est pour l’essentiel conforme à l’avis décrit au paragraphe 52(2) :

(i) soit avant la date de conclusion de la convention collective, si cette conclusion fait suite à un avis de négociation collective donné conformément à l’article 48,

(ii) soit, dans le cas d’application du paragraphe 49(1), au plus tard le dernier jour où l’avis de négociation collective en vue de la conclusion de la convention collective aurait pu être donné aux parties conformément à ce paragraphe.

(c’est nous qui soulignons)

[21] Les paragraphes 67(1) à (3) illustrent le statut spécial que l’on confère à la durée de toute convention collective. Cette durée n’est pas seulement importante pour les parties; elle l’est aussi parce qu’elle détermine également les délais relatifs aux procédures mettant en cause de tierces parties, comme les demandes visant à déloger un syndicat (maraudage) et les demandes de révocation de l’accréditation. Le Code interdit aux parties de modifier la durée de leur convention collective, car cela se répercuterait sur les périodes ouvertes pour ces types de procédures :

67.(1) La convention collective qui ne stipule pas sa durée ou qui est conclue pour une durée inférieure à un an est réputée avoir été établie pour une durée stipulée d’un an à compter du jour ou elle entre en vigueur; les parties ne peuvent y mettre fin avant l’expiration de l’année qu’avec le consentement du Conseil ou que dans le cas prévu au paragraphe 36(2).

(2) La présente partie n’a pas pour effet d’empêcher les parties à une convention collective de prévoir la révision de toute disposition de celle-ci ne portant pas sur sa durée.

(3) Le Conseil peut, sur demande conjointe des deux parties à une convention collective, modifier, par ordonnance, la date d’expiration de la convention afin de la faire coïncider avec celle d’autres conventions collectives auxquelles l’employeur est partie.

(c’est nous qui soulignons)

IV – Analyse et décision

A – L’article 49 établit-il une période fixe pour la transmission d’un avis de négociation?

[22] Le paragraphe 49(1) se lit comme suit :

49.(1) Toute partie à une convention collective peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration, ou au cours de la période plus longue fixée par la convention, transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue du renouvellement ou de la révision de la convention ou de la conclusion d’une nouvelle convention.

(c’est nous qui soulignons)

[23] L’avis de négociation est un élément clé du régime de négociation collective que prévoit le Code. Le Code envisage que, pendant la durée d’une convention collective, et même après, les parties bénéficieront d’une période de paix industrielle. Par exemple, il ne peut y avoir de grèves ou de lock-out, ni pendant la durée de la convention collective ni, après son expiration, avant que l’on ait satisfait à certaines conditions préalables prévues au paragraphe 89(1) :

89.(1) Il est interdit à l’employeur de déclarer ou de provoquer un lock-out et au syndicat de déclarer ou d’autoriser une grève si les conditions suivantes ne sont pas remplies :

a) l’un ou l’autre a adressé un avis de négociation collective en application de la présente partie;

b) les deux :

(i) soit n’ont pas négocié collectivement dans le délai spécifié à l’alinéa 50a),

(ii) soit ont négocié collectivement conformément à l’article 50, sans parvenir à conclure ou réviser la convention collective;

c) le ministre a :

(i) soit reçu l’avis mentionné à l’article 71 et l’informant que les parties n’ont pas réussi à conclure ou à réviser la convention collective,

(ii) soit pris l’une des mesures prévues par le paragraphe 72(2);

d) vingt et un jours se sont écoulés depuis la date à laquelle le ministre, selon le cas :

(i) a notifié aux termes du paragraphe 72(1) son intention de ne pas nommer de conciliateur ou de commissaire-conciliateur, ni de constituer de commission de conciliation,

(ii) a notifié aux parties le fait que le conciliateur nommé aux termes du paragraphe 72(1) lui a fait rapport des résultats de son intervention,

(iii) a mis à la disposition des parties, conformément à l’alinéa 77a), une copie du rapport qui lui a été remis,

(iv) est réputé avoir été informé par le conciliateur des résultats de son intervention, en application du paragraphe 75(2), ou avoir reçu le rapport, en application du paragraphe 75(3);

e) le Conseil a tranché une demande présentée en vertu du paragraphe 87.4(4) ou a statué sur un renvoi fait en vertu du paragraphe 87.4(5);

f) les conditions prévues aux articles 87.2 et 87.3 ont été remplies.

(c’est nous qui soulignons)

[24] Les parties sont en droit de mener leurs propres affaires pendant la durée de la convention collective sans être constamment contraintes de négocier de nouvelles conditions d’emploi. Cette situation se poursuit jusqu’à, au plus tôt, la période de quatre mois qui précède l’expiration de la durée de la convention collective.

[25] Le paragraphe 49(1) indique à quel moment les parties peuvent entreprendre un nouveau cycle de négociations pendant la durée d’une convention collective. Aux yeux de nombreux spécialistes chevronnés en relations du travail, ce genre de disposition a pour objet de fixer uniquement le moment le plus tôt où un avis de négociation peut être transmis. Cette disposition ne vise pas à établir une période fixe à l’intérieur de laquelle les parties sont tenues de transmettre leur avis de négociation.

[26] Par exemple, il a été suggéré dans le rapport Sims (Vers l’Équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995), où l’on a passé en revue la partie I du Code et recommandé des modifications, que le délai prévu à l’article 49 soit prolongé des trois mois qu’il était à quatre mois. Il y a aussi été fait référence à la croyance générale selon laquelle n’importe quel changement n’ajouterait pas à l’article 49 une nouvelle date d’expiration :

Actuellement la loi autorise l’une ou l’autre partie à signifier un avis de négociation au cours d’une période couvrant les quatre-vingt-dix jours précédant l’expiration de la convention collective. Or, comme nous l’avons déjà mentionné dans ce rapport, nous nous soucions de la durée des négociations ainsi que des effets négatifs que subissent les parties et d’autres groupes lorsque les pourparlers se poursuivent trop longtemps après l’expiration de la convention collective. D’autres recommandations touchant la conciliation traiteront plus directement de ces préoccupations. Toutefois, afin d’inciter les parties à entamer plus rapidement les négociations et, aussi, pour permettre aux parties diligentes de conclure un nouveau texte avant l’expiration de la convention en vigueur, nous croyons souhaitable de fixer une date plus hâtive pour le début des négociations. Cette recommandation ne modifie aucunement la capacité des parties de reporter une date d’un commun accord et n’incorpore pas dans la loi une date limite au-delà de laquelle un avis ne peut être signifié.

(rapport Sims, pages 113-114; c’est nous qui soulignons)

[27] La Commission des relations de travail de l’Ontario (la CRTO) a conclu, en vertu de dispositions législatives libellées toutefois de manière différente, qu’une disposition en matière d’avis de négociation ne fixait pas de délai après lequel ni l’une ni l’autre des parties ne pouvait signifier un avis :

9. Plus fondamentalement, cependant, nous sommes d’avis que l’argument de l’employeur témoigne d’une méconnaissance du régime législatif. Il n’est indiqué nulle part dans la loi que le paragraphe 59(1) confère au ministre un pouvoir discrétionnaire. La transmission d’un avis d’intention de négocier aux termes du paragraphe 59(1) déclenche tout simplement un certain nombre de droits et d’obligations prévus par la loi en vertu de l’article 60. La stabilité des relations du travail exige qu’une partie ne soit pas en mesure de déclencher ces droits et obligations durant la plus grande partie de la durée d’une convention collective. Ainsi, le paragraphe 59(1) empêche de transmettre un avis avant la dernière période de 90 jours de la convention collective. Cependant, il ne stipule pas que l’avis ne peut être transmis qu’au cours des 90 derniers jours de la convention collective. La conclusion contraire lierait les parties à une relation de négociation collective qu’aucune des parties ne pourrait faire respecter, et cela serait contraire à l’esprit de la loi.

(Evans Lumber and Builders Supply Ltd., [2006] OLRB Rep. March/April 149; traduction) (Evans)

[28] Dans la décision Evans, précitée, la CRTO a souligné la constance de sa position durant plusieurs décennies :

10. Cette question a été examinée dans la décision Peel Memorial Hospital, [1977] OLRB Rep. July 452, où la Commission a formulé les commentaires suivants, auxquels nous souscrivons :

27. L’article 45 [maintenant l’article 59] ne dit pas que si l’une ou l’autre des parties veut signifier un avis de négociation, cela doit être fait dans le délai de quatre-vingt-dix jours. Le fait de prévoir une période fixe à la fin d’une convention en vue de la signification d’un avis de négociation a pour but d’assurer la stabilité entre les parties durant la plus grande partie possible de la convention. Parallèlement, toutefois, il est souhaitable de prévoir un temps suffisant avant l’expiration de la convention pour que les parties puissent conclure, si cela est possible et si elles le souhaitent, la convention suivante. L’avis informe l’autre partie et le public que des négociations vont suivre. Une fois que cet avis est signifié, il est suivi de certains droits, devoirs et obligations qui permettent aux parties de mener à bien leurs négociations.

28. ... Si l’on empêchait les parties de pouvoir signifier, aux termes de l’article 45, un avis de négociation valide après que leur convention collective a expiré en raison de circonstances fort indépendantes de leur volonté, cela irait à l’encontre de l’object et de l’esprit de la loi. Une panoplie de droits, de devoirs et d’obligations prévus par la loi est déclenchée par, et uniquement par, la signification d’un avis de négociation valide aux termes de l’article 45. S’il est impossible de signifier cet avis dans ces circonstances, cela signifie qu’on ne peut pas mettre en branle le processus de négociation qu’envisage la loi. À moins que l’on conclue que cet avis est valide aux termes de l’article 45, les parties ne seront pas tenues de négocier de bonne foi; elle ne seront pas assurées d’un climat paisible dans lequel entreprendre leurs négociations parce qu’elles feront immédiatement l’objet d’éventuelles demandes visant à déloger un syndicat et demandes de révocation de l’accréditation; elles ne seront pas en mesure d’obtenir les services d’un conciliateur et elles ne pourront pas entreprendre une grève ou un lock-out illégaux.

29. Compte tenu des facteurs énoncés ci-dessus, la Commission conclut que le délai prescrit à l’article 45 est de nature directive et non impérative et qu’un avis signifié après l’expiration d’une convention collective peut être un avis valide au sens de l’article 45 de la loi.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[29] De toute évidence, la conception générale des spécialistes en relations du travail, les commentaires faits dans le rapport Sims et les décisions rendues en vertu de lois sur les relations du travail libellées différemment ne déterminent pas de manière concluante de quelle façon le Conseil doit interpréter l’article 49 du Code. Mais ces éléments ne sont pas tout à fait étrangers à l’analyse du Conseil.

[30] Il existe des arguments contradictoires tant en faveur qu’à l’encontre de l’idée que l’article 49 crée une période fixe pour ce qui est de la transmission d’un avis de négociation. D’ailleurs, l’existence d’arguments contradictoires a incité le Conseil à écrire aux parties pour leur demander de lui fournir des commentaires supplémentaires sur des questions telles que l’article 51 du Code.

[31] Le fait que le Code emploie le mot « peut » plutôt que « doit » étaye l’idée que l’article 49 fixe simplement la date la plus rapprochée à laquelle les parties peuvent transmettre un avis de négociation. Comme l’a fait remarquer la CRTO, dans la loi ontarienne, cela conférait à une disposition en matière d’avis de négociation un caractère directif plutôt qu’impératif.

[32] L’éventuel vide juridique que l’on créerait si une partie omettait de transmettre un avis dans cette prétendue « période fixe » est difficile à concilier avec l’objet général du régime de négociation collective que prévoit le Code. Le Conseil examinera, plus loin dans les présents motifs, les arguments que la Ville invoque à cet égard.

[33] Dans VIA Rail Canada inc., 2011 CCRI 569 (VIA 569), le Conseil a conclu, en l’absence de toute prorogation convenue par les parties, qu’un avis transmis plus de quatre mois avant l’expiration de la durée de la convention était nul.

[34] Cependant, la décision VIA 569, précitée, n’a pas traité de ce qui pourrait se passer si l’avis de négociation était transmis après le délai de quatre mois, c’est-à-dire après l’expiration de la durée de la convention collective.

[35] Il est rare que l’une des parties ne transmette pas un avis de négociation avant la fin de la convention collective en vigueur, compte tenu des diverses conséquences qui pourraient s’ensuivre.

[36] Par exemple, contrairement à la situation dont il est question en l’espèce, si la convention collective ne contient pas une clause transitoire qui maintient en vigueur les conditions d’emploi des employés, l’omission de donner avis prive donc les employés de l’avantage du gel que prévoit l’alinéa 50b). Ce gel n’est pas automatique, mais subordonné à la transmission d’un avis de négociation :

Obligation de négocier et de ne pas modifier les modalités

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

...

b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n’ont pas été remplies, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.

(c’est nous qui soulignons)

[37] De même, l’avis de négociation impose aux parties l’obligation de se rencontrer en vue de négocier.

[38] En l’espèce, l’AIP a fait valoir que l’article 36.05 de la convention collective créait une « période plus longue », au sens où cette expression est employée au paragraphe 49(1) du Code, pour la transmission d’un avis de négociation :

36.05 L’employeur et la section locale 2890 doivent choisir, pour discuter du renouvellement de la convention collective, une date mutuellement acceptable qui n’est pas antérieure aux quatre (4) mois précédant la date d’expiration de la durée de la convention collective.

(traduction)

[39] De l’avis de l’AIP, l’article 36.05 permettait que les négociations débutent à n’importe quelle date, même après l’expiration de la convention collective. L’AIP a fait valoir que le libellé de l’article 36.04 maintenait la convention collective en vigueur après la date d’expiration, jusqu’à ce que les parties aient conclu une nouvelle convention collective.

[40] La Ville a contesté l’interprétation donnée par l’AIP. À son avis, le libellé de l’article 36.05 ne traite tout simplement pas du moment auquel transmettre un avis de négociation. Par ailleurs, elle a fait valoir que le Code n’autorise pas les parties à modifier la durée d’une convention collective. Selon la compréhension qu’a le Conseil de l’argument invoqué par la Ville, les parties pourraient donc prolonger la période de quatre mois précédant la fin de la durée de la convention collective en vue de la transmission de l’avis de négociation. Mais elles ne pourraient pas prolonger la durée de la convention en vue de transmettre un avis de négociation après le 31 décembre 2011 (paragraphe 67(2)).

[41] Dans le cadre de son examen initial, le Conseil a analysé d’autres dispositions du Code afin de déterminer si elles aidaient à interpréter l’article 49. Lors de cette analyse, l’article 51, qui porte sur les changements technologiques, a été abordé :

51.(1) Au présent article ainsi qu’aux articles 52 à 55, « changement technologique » s’entend à la fois de :

a) l’adoption par l’employeur, dans son entreprise, ses activités ou ses ouvrages, d’équipement ou de matériels différents, par leur nature ou leur mode d’opération, de ceux qu’il y utilisait antérieurement;

b) tout changement dans le mode d’exploitation de l’entreprise directement rattaché à cette adoption.

(2) Les articles 52, 54 et 55 ne s’appliquent pas à l’employeur et à l’agent négociateur qui sont liés par une convention collective dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) l’employeur a donné à l’agent négociateur un avis écrit du changement technologique qui est pour l’essentiel conforme à l’avis décrit au paragraphe 52(2) :

(i) soit avant la date de conclusion de la convention collective, si cette conclusion fait suite à un avis de négociation collective donné conformément à l’article 48,

(ii) soit, dans le cas d’application du paragraphe 49(1), au plus tard le dernier jour où l’avis de négociation collective en vue de la conclusion de la convention collective aurait pu être donné aux parties conformément à ce paragraphe;

b) la convention énonce des modalités de négociation et de règlement définitif des problèmes relatifs aux conditions ou à la sécurité d’emploi que risque de soulever un changement technologique pendant sa durée d’application;

c) la convention renferme des dispositions :

(i) d’une part destinées à aider les employés touchés par un changement technologique à s’adapter aux effets de ce changement,

(ii) d’autre part stipulant que les articles 52, 54 et 55 ne s’appliquent pas pendant sa durée d’application à l’employeur et à l’agent négociateur.

(c’est nous qui soulignons)

[42] La Ville a affirmé que le passage suivant du sous-alinéa 51(2)a)(ii), « dans le cas de l’application du paragraphe 49(1), au plus tard le dernier jour où l’avis de négociation collective en vue de la conclusion de la convention collective aurait pu être donné », confirme l’existence d’une période fixe en vue de la transmission de tout avis de négociation.

[43] D’un point de vue technique, l’argument de la Ville est intéressant. D’un point de vue pratique, cette affirmation semble tout à fait contraire au régime de négociation collective que prévoit le Code et elle suscite plusieurs questions.

[44] Par exemple, qu’arrive-t-il si une partie ne respecte pas la prétendue période fixe de quatre mois? Est-il encore possible de transmettre un avis? Ou est-ce que la négociation collective est mise en suspens de façon indéterminée? Qui plus est, toute solution à ce dilemme devrait-elle être assujettie au libellé des conventions collectives privées?

[45] La réponse de la Ville à certaines de ces conséquences possibles est fondée à la fois sur le paragraphe 67(1) du Code et les dispositions de sa convention collective. Ceux-ci seront analysés dans la section qui suit.

B – Le paragraphe 67(1) du Code, ou les dispositions de la convention collective des parties, traitent-t-ils des conséquences qui surviendraient si l’article 49 créait une période fixe pour la transmission d’un avis de négociation?

[46] Le libellé des paragraphes 67(1) à (3) du Code est le suivant :

67.(1) La convention collective qui ne stipule pas sa durée ou qui est conclue pour une durée inférieure à un an est réputée avoir été établie pour une durée stipulée d’un an à compter du jour ou elle entre en vigueur; les parties ne peuvent y mettre fin avant l’expiration de l’année qu’avec le consentement du Conseil ou que dans le cas prévu au paragraphe 36(2).

(2) La présente partie n’a pas pour effet d’empêcher les parties à une convention collective de prévoir la révision de toute disposition de celle-ci ne portant pas sur sa durée.

(3) Le Conseil peut, sur demande conjointe des deux parties à une convention collective, modifier, par ordonnance, la date d’expiration de la convention afin de la faire coïncider avec celle d’autres conventions collectives auxquelles l’employeur est partie.

(c’est nous qui soulignons)

[47] Selon la Ville, le paragraphe 67(1) du Code avait pour effet de renouveler de manière valide pour un an sa convention collective avec l’AIP. Ainsi, a-t-elle soutenu, l’AIP ne pouvait pas transmettre d’avis de négociation avant le mois de septembre 2012, soit quatre mois avant l’expiration de cette « nouvelle » convention collective.

[48] Le problème que pose cet argument d’une « nouvelle convention collective » est que la situation factuelle de la Ville ne correspond tout simplement pas au libellé du paragraphe 67(1). Il y a deux raisons à cela.

[49] Premièrement, le paragraphe 67(1) s’applique à une convention collective qui ne comporte aucune disposition concernant sa durée. La convention collective de la Ville prévoit expressément, à l’article 36.01, une durée de trois ans, qui s’étend du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011.

[50] Deuxièmement, le paragraphe 67(1) peut également s’appliquer à une convention collective qui comporte une durée de moins d’un an. Là encore, la convention collective de la Ville, qui comporte une durée explicite de trois ans, ne répond pas à cette condition préalable.

[51] Un élément qui revêt une importance cruciale eu égard aux arguments qu’invoque la Ville en rapport avec le paragraphe 67(1) du Code est l’article 36.04 de la convention collective :

36.04 Sauf disposition contraire, la présente convention demeurera en vigueur après la date d’expiration jusqu’à ce qu’une nouvelle convention collective prenne effet. Il n’y aura ni grève, ni débrayage, ni ralentissement, ni suspension du travail de la part des membres de la section locale 2890, ni lock-out des employés de la part de l’employeur.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[52] La Ville a fait valoir que l’article 36.04, conjugué au paragraphe 67(1), avait donné lieu à une nouvelle convention collective d’une durée d’un an.

[53] Le Conseil a expliqué ci-dessus pourquoi le paragraphe 67(1) ne peut soutenir à lui seul l’argument de la Ville, car la convention collective de cette dernière comporte une durée explicite de trois ans. Dans le même ordre d’idées, le Conseil ne voit pas comment une clause transitoire, semblable à celle que comporte l’article 36.04 de la convention collective, qui maintient simplement en vigueur les conditions existantes de la convention collective expirée jusqu’à ce que les parties en aient conclu une nouvelle, puisse créer en même temps une convention collective tout à fait nouvelle à laquelle s’appliquent les dispositions du paragraphe 67(1) du Code.

[54] Il y a, en relations du travail, une différence entre une clause de renouvellement automatique d’une convention collective et une clause transitoire. La clause de renouvellement automatique remplace simplement la négociation si ni l’une ni l’autre des parties ne transmet un avis de négociation avant l’expiration de la durée. Les « périodes ouvertes » minimales que prévoit le Code sont respectées, même si une nouvelle convention collective entre en vigueur à l’expiration de cette durée.

[55] Par contraste, le Conseil a récemment analysé une clause transitoire dans Société canadienne des postes, 2012 CCRI 627 (SCP 627). Ce type de clause maintient en vigueur les conditions d’emploi existantes des employés et, selon son libellé, pourrait ajouter aux droits respectifs des parties après la fin de la période de gel prévue par le Code.

[56] Une clause transitoire, semblable à la période de gel que prévoit le Code, maintient les conditions d’emploi des employés. Ni la clause transitoire ni la période de gel ne maintiennent la convention collective sous-jacente en vigueur au-delà de l’expiration de sa durée : Bradburn c. Wentworth Arms Hotel, [1979] 1 R.C.S. 846 (Bradburn).

[57] Il aurait été simple pour le législateur d’inclure dans le Code une disposition de renouvellement automatique d’une convention collective dans le cas où une partie ne respecterait pas la période fixe que prévoit prétendument l’article 49. Le paragraphe 67(1) ne constitue pas ce genre de disposition.

[58] L’argument de la Ville pose un autre problème, car il rendrait l’interprétation du Code fluide et incertaine. Les interprétations du Code dépendraient des conditions précises de la convention collective des parties. Le Conseil préfère interpréter le Code d’une manière qui soit uniforme pour tous ceux qui relèvent de la compétence fédérale.

C – L’article 48 s’applique-t-il à la situation en l’espèce?

[59] L’article 48 se lit comme suit :

48. Une fois accrédité pour une unité de négociation et en l’absence de convention collective applicable aux employés de cette unité, l’agent négociateur de celle-ci – ou l’employeur – peut transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue de la conclusion d’une convention collective.

(c’est nous qui soulignons)

[60] Le Conseil a demandé aux deux parties de lui faire part de leurs commentaires à propos de l’effet de l’article 48 du Code sur l’avis de l’AIP daté du 13 janvier 2012. La Ville a fait valoir que cet article ne pouvait pas s’appliquer, puisqu’une convention collective était en vigueur du fait de l’article 36.04 de la convention. L’AIP a fait valoir que l’article 48 ne s’appliquait qu’aux situations mettant en cause une première convention collective.

[61] En toute déférence, le Conseil ne souscrit à aucune de ces deux positions.

[62] Le libellé de l’article 48 ne donne pas à penser qu’il s’applique seulement aux situations qui mettent en cause une première convention. Les deux conditions explicites que le législateur a imposées pour la transmission d’un avis en vertu de l’article 48 sont les suivantes : a) une accréditation de la part du Conseil et b) l’absence de convention collective applicable aux employés. De toute évidence, la condition « a » a été remplie puisque le Conseil a accrédité l’AIP.

[63] De même, comme il est expliqué ci-après, la condition « b », pour l’application du Code, est remplie elle aussi.

[64] Sous l’angle du Code, la convention collective de l’AIP et de la Ville a expiré le 31 décembre 2011 : voir l’arrêt Bradburn, précité. La durée de cette convention collective, que le Code interdit aux parties de changer, établit divers droits à l’intention de tierces parties, y compris les délais relatifs aux demandes visant à déloger un syndicat (maraudage) et aux demandes de révocation de l’accréditation.

[65] Les parties peuvent négocier des dispositions, comme celles qui figurent à l’article 36.04 de la convention collective, qui, pourrait-on dire, offre des avantages supérieurs à ceux qui figurent dans les dispositions du Code en matière de gel, de grève et de lock-out. Cependant, ces dispositions négociées en privé n’ont pas d’incidence sur la manière dont le Conseil interprète le Code ou les droits des tiers.

[66] Le Conseil met l’accent sur les droits que le Code garantit aux parties, comme la portée de la période de gel prévue à l’article 50. Cependant, pour des questions comme l’interprétation d’une clause transitoire, le Conseil a expliqué, dans la décision SCP 627, précitée, que la question doit être renvoyée à la procédure d’arbitrage établie par les parties :

[70] Il était loisible au législateur de prolonger la période de gel jusqu’au déclenchement d’une grève ou d’un lock-out légal, comme c’est le cas au Québec. Toutefois, les modifications apportées au Code en 1999 ne comprenaient pas de changement à la durée de la période de gel.

[71] Le Conseil a été convaincu qu’un employeur peut décider de ne plus appliquer la convention collective expirée une fois que la période de gel prend fin et que la période intermédiaire débute. Toutefois, cette conclusion ne règle pas la présente affaire.

Renvoi à l’arbitrage

[72] Le Conseil a demandé aux parties, tant lors de l’audience que dans sa lettre de suivi datée du 23 septembre 2011, leurs commentaires quant à la pertinence de l’article 43.02 de leur convention collective dans le contexte de la présente affaire :

Au cours des plaidoiries, le Conseil a demandé aux parties si son interprétation de l’alinéa 50b) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) pourrait être intimement liée à l’article 43.02 de la convention collective. Un grief collectif sur la question de l’interprétation de l’article 43.02 sera traité sous peu. Si les parties désirent ajouter des commentaires sur la question posée par le Conseil, elles sont invitées à les ajouter dans leurs observations écrites.

[73] Le STTP, dans sa lettre au Conseil datée du 9 novembre 2011, a réaffirmé que l’affaire soulevait d’importantes questions que le Conseil devrait trancher. Le STTP avait aussi soutenu dans ses observations, à titre subsidiaire, que la SCP, en négociant l’article 43.02, avait renoncé à tout droit qu’elle pouvait avoir en vertu du Code de modifier les conditions d’emploi des employés après l’expiration de la période de gel prévue par le Code.

[74] La SCP a fait valoir que l’article 43.02 ne revêtait aucune importance dans l’interprétation de l’alinéa 50b) du Code que le Conseil allait donner. Elle a terminé ses commentaires en énonçant ce qui suit :

57. Postes Canada demande au CCRI de traiter la question liée à l’alinéa 50b). Les arguments du STTP concernant l’article 43.02 de la convention collective sont distincts et devraient être traités à l’arbitrage.

(traduction)

[75] Le Conseil a antérieurement fait observer, dans ADM Agri-Industries ltée, 2002 CCRI 206, que les parties à une convention collective peuvent décider de négocier une clause transitoire pour prolonger la période de gel prévue par le Code :

[43] Pour ces motifs, nous concluons que bien que le Code soit silencieux quant à la possibilité pour les parties de négocier des clauses transitoires visant à prolonger les effets de leur convention collective, de telles clauses sont valides et doivent être interprétées de façon à leur conférer l’application souhaitée par les parties, en autant qu’elles ne contreviennent pas aux dispositions du Code. Ainsi, nous souscrivons à l’énoncé du banc initial [ADM Agri-Industries ltée, 2001 CCRI 141], lorsqu’il affirme :

« [19] ... L’interprétation de la convention collective doit donc s’insérer dans le cadre des objectifs du Code, énoncés dans son préambule et visant à encadrer de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs. La convention collective et le Code doivent donc être interprétés de façon à faire un tout.

(page 7) »

[44] Le présent banc est d’avis que rien dans le Code n’empêche des parties de convenir, d’un commun accord, d’étendre une protection minimale imposée par le Code. Au même titre que des parties peuvent négocier des avantages allant au-delà des normes minimales de travail imposées par la loi, elles peuvent convenir de prolonger la période de gel des conditions d’emploi imposée par le Code. Cela demeure vrai dans la mesure où cette entente ne remet pas en question la possibilité pour les parties d’exercer d’autres droits reconnus par le Code, dont le droit de déclencher une grève ou de décréter un lock-out.

...

[46] La clause 34.01 de la convention collective vise à faire le lien entre le moment où le droit de grève ou de lock-out est acquis par les parties et le moment où ce droit est effectivement exercé. Cette clause ne limite en rien la possibilité pour les parties d’exercer leur droit de grève ou de lock-out, mais ne fait que prolonger la période de gel des conditions d’emploi prévue à l’alinéa 50b) du Code.

(c’est nous qui soulignons)

[76] Le paragraphe 98(3) du Code permet au Conseil de refuser de statuer sur une plainte déposée en vertu du paragraphe 97(1) lorsqu’il estime que celle-ci pourrait être tranchée, aux termes d’une convention collective, par un arbitre.

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[77] Le paragraphe 97(1) du Code comprend aussi les plaintes relatives à une violation de la période de gel :

97.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu aux paragraphes 24(4) ou 34(6), aux articles 37, 47.3, 50, 69, 87.5 ou 87.6, au paragraphe 87.7(2) ou aux articles 94 ou 95;

b) soit à une personne d’avoir contrevenu à l’article 96.

(c’est nous qui soulignons)

[78] Le STTP a mentionné qu’il avait déposé sa plainte parce que le Conseil pourrait traiter l’affaire plus rapidement qu’elle ne le serait dans le cadre de la procédure d’arbitrage entre les parties. Cependant, le Conseil est convaincu que le règlement de la plainte passe autant par le Code que par la clause transitoire de la convention collective qui régit les parties.

[79] Même si le Conseil aurait été prêt à donner une réponse définitive de manière rapide aux parties en interprétant leur clause transitoire, il ne donnera pas une telle réponse lorsque l’une des parties s’y oppose. La procédure d’arbitrage entre les parties devra donc suivre son cours.

[80] Donc, malgré que la procédure d’arbitrage n’était pas encore amorcée lorsque le Conseil a entendu les plaidoiries dans la présente affaire, le Conseil, conformément au paragraphe 98(3), ne statuera pas sur la plainte du STTP fondée sur le paragraphe 97(1) voulant que la SCP ait violé la disposition sur le gel. Puisque les parties ne sont pas du même avis quant à l’interprétation de la clause transitoire qui les régit, ainsi que de son renvoi spécifique au paragraphe 89(1) du Code, l’essence de cette question sera réglée par un arbitre.

[67] De l’avis du Conseil, même s’il souscrivait à l’interprétation que fait la Ville de l’article 49, ce qui peut être reporté à plus tard, il n’en demeure pas moins que rien n’empêchait l’avis du 13 janvier 2012 de l’AIP de répondre aux exigences de l’article 48.

[68] Les arguments selon lesquels la convention collective des parties est restée en vigueur après l’expiration de sa durée sont inexacts. Le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), a décrit les effets qu’avait une clause transitoire dans la décision Air Canada (national) (1988), 72 di 169; et 88 CLLC 16,010 (CCRT no 669), à la page 179 :

Enfin, en ce qui concerne la question de la clause de transition, si le Conseil acceptait la proposition avancée par le syndicat, cela voudrait dire que les dispositions d’une convention collective pourraient l’emporter sur les dispositions légales. Ainsi, elles l’emporteraient sur les dispositions du Code prévoyant l’époque à laquelle on peut effectuer du maraudage et elles empêcheraient les parties d’avoir recours au droit de grève ou de lock-out prévu par le Code. Il pourrait être concevable que les parties puissent négocier le droit de grève ou de lock-out (mais nous ne disons pas qu’elles le peuvent); cependant, nous ne voyons pas comment les parties peuvent, en s’entendant sur une clause de transition, influer sur le droit de tierces parties qui, dans les circonstances prévues par le Code, ont le droit en vertu de la loi de tenter de faire du maraudage parmi les membres d’un syndicat titulaire. Ainsi, nous concluons que les dispositions d’une convention collective doivent incontestablement cesser de s’appliquer, comme c’est ici le cas en particulier, une fois que les conditions énoncées à l’article 180 ont été remplies.

(souligné dans l’original)

[69] En conséquence, pour l’application du Code, lorsque la convention collective des parties a expiré le 31 décembre 2011, et en l’absence de tout avis de négociation, aucune convention collective n’était en vigueur. L’avis que l’AIP a transmis le 13 janvier 2012, même s’il a été transmis après l’expiration de la prétendue période créée par l’article 49, remplit donc les deux exigences que comporte l’article 48 du Code.

[70] Le recours à l’avis prévu à l’article 48 pour les nouvelles conventions, mais aussi à titre de disposition de sécurité pour d’autres relations de négociation susceptibles d’avoir expiré pour diverses raisons, protège l’intégrité du régime de négociation collective que prévoit le Code. Cela évite le vide juridique qui pourrait se créer si l’on souscrivait aux conclusions logiques qui découlent des arguments invoqués par la Ville.

V – Conclusion

[71] L’AIP a allégué que la Ville avait enfreint l’article 50 du Code lorsqu’elle avait refusé de négocier après avoir reçu un avis de négociation le 13 janvier 2012. La Ville a allégué qu’elle n’avait aucune obligation de négocier.

[72] Les positions des parties étaient nouvelles, fort probablement parce que les syndicats ayant conclu une convention collective transmettent l’avis au cours de la période de quatre mois qu’envisage l’article 49 du Code. Dans les cas où le syndicat ne souhaite peut-être pas commencer à négocier, l’employeur est habituellement impatient de le faire.

[73] Le Conseil conclut, conformément à l’article 48 du Code, que l’AIP a transmis un avis de négociation valide le 13 janvier 2012, et cette conclusion rend inutile une analyse législative plus exhaustive de l’article 49.

[74] Cependant, compte tenu de la nouveauté de la question en litige dans la présente affaire, le Conseil a décidé de rejeter la plainte de PDT de l’AIP. Dans de rares cas, lorsque les parties adoptent des positions juridiques contraires de bonne foi à propos d’une question nouvelle, le Conseil peut décider de rejeter la plainte et de permettre plutôt aux parties de procéder à leurs négociations : voir la décision VIA 569, précitée.

[75] Par sa décision, le Conseil s’attend à ce que les parties se rencontrent maintenant pour négocier le renouvellement de la convention collective qui a expiré, pour l’application du Code, le 31 décembre 2011. Tout autre différend qui découlerait de la convention collective des parties devra être soumis à l’arbitrage, comme cela a été le cas dans l’affaire SCP 627, précitée.

[76] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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