Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Daniel Mallette,

plaignant,

et


Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada),

intimé,

et


VIA Rail Canada inc.,

employeur.

Dossier du Conseil : 29402-C

Référence neutre : 2012 CCRI 645

Le 25 juin 2012

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code).

Représentants des parties au dossier
M. Daniel Mallette, représentant lui-même;
M. Joel Fournier, pour le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada);
M. Edward J. Houlihan, pour VIA Rail Canada inc.

I – Nature de la plainte

[1] Le 1er mai 2012, le Conseil a reçu une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) déposée par M. Daniel Mallette, dans laquelle il allègue que son agent négociateur, le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (TCA), a enfreint l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] M. Mallette, un employé de VIA Rail Canada inc. (VIA), conteste le fait que le TCA a changé son interprétation d’une clause d’ancienneté dans la convention collective, à son détriment.

[3] Le Conseil a examiné la plainte, ainsi que les documents en annexe, et rejette la plainte puisqu’elle n’établit pas de cause prima facie d’une violation du Code.

[4] Les présents motifs expliquent la décision du Conseil.

II – Contexte et faits

[5] Voici un résumé des faits saillants.

[6] Vers le 2 février 2011, M. Mallette a présenté un grief concernant une perte d’ancienneté :

Grief selon l’article 4.1 Je déclare que Via Rail Canada a enfreint l’article 12.6, annexe X et tout autre article pertinent de la convention collective en me faisant perde de l’ancienneté après avoir occupé un poste de non-supervision au sein de la corporation.

La convention collective couvre l’année 2010 à 2012 et j’aurais dû continuer à accumulé de l’ancienneté.

Je demande réparation intégrale et le respect de la convention collective #3 en me réintégrant à ma position dans la liste d’ancienneté.

(sic)

[7] La perte de son ancienneté est attribuable au fait que, pendant une certaine période, M. Mallette a occupé un poste qui n’était pas inclus dans l’unité de négociation du TCA. L’article 12.6 de la convention collective s’appliquait à une telle situation.

[8] Le TCA, qui appuyait initialement la position de M. Mallette, a déposé une lettre en date du 15 avril 2011 exigeant de VIA que l’ancienneté de M. Mallette soit corrigée.

[9] Par une lettre datée du 31 août 2011, VIA a accepté la position du TCA :

Effectivement nous sommes d’avis que la Société en omettant d’appliquer toutes les dispositions énumérées à l’article 12.6 applicables lors de la période concernée, a indirectement fait subir à M. Mallette un certain préjudice, en lui faisant perdre de l’ancienneté.

Pour votre information nous avons par moyen de communiqué interne, informé tous les intervenants impliqués dans ce genre de dossier afin d’assurer l’application intégrale des nouvelles dispositions de l’article 12.6.

En conclusion nous acceptons votre requête de replacer le nom de M. Mallette au rang d’ancienneté que celui-ci détenait avant la date à laquelle la Société a initié le gel d’ancienneté concerné.

(sic)

[10] Le 25 janvier 2012, un grief collectif a été présenté contestant le rang de M. Mallette sur la liste d’ancienneté. En voici un extrait :

Je déclare que Via Rail Canada a enfreint l’article 12.4 et tout autre article pertinent de la convention collective #3 parce que le numéro #16 D. Mallette sur la liste des mmls 2012 devrait être plutôt au numéro #21 comme la liste de 2011.

Je demande réparation intégrale et le respect de la convention collective #3 en le repositionnant au rang #21 comme sur la liste de 2011.

(sic)

[11] Le 22 mars 2012, le TCA a envoyé une explication détaillée à M. Mallette indiquant les motifs pour lesquels son rang sur la liste d’ancienneté ne pouvait être maintenu :

Le Syndicat a rencontré l’employeur en date du 8 mars 2012 afin de conclure à un règlement en regard à votre grief qui est ci-haut mentionné en rubrique.

Lors de cette conférence conjointe et suite à une vérification approfondie de la situation qui a prévalu à cette époque ainsi que la documentation au dossier.

De plus, il est aussi important de vous soulignez que nous avons demandé une avis à notre représentant national spécialiste M. Brian Stevens dans l’analyse de ce type de situation par l’entremise de notre Président M. Bruce Snow qui était présent, et cela, afin d’être en mesure de nous assurer de prendre un décision la plus juste et équitable.

La réponse, qui vous a été rendu par mon prédécesseur était erroné et n’a pas tenu compte de l’article 12.6 convention collective de 2007-2008-2009 lors du début de votre dernière assignation, c’est-à en date du 31 mars 2008.

La requête, de mon prédécesseur, a été faite pour des raisons inconnus et n’était pas justifier car elle créait un précédent dans l’application de la convention collective, en vous donnant le droit de reprendre votre place que vous déteniez avant cette dernière assignation.

...

De ce fait, et en application avec l’article 12.6 de la convention collective de 2007 à 2009, vous avez cessé d’accumuler un peu plus de 10 mois de ségniorité, c’est à dire du 1 avril 2009 au 27 janvier 2010.

La convention collective a été modifier à cette effet qu’en date du 15 septembre 2010.

Nous nous expliquons mal comment mon prédécesseur a pu vous accordé un tel privilège en ne tenant pas compte de cette situation.

C’est pour cette raison, que nous avons dû corriger la situation, et nous vous avisons par cette réponse, que votre rang sur la liste de ségnorité sera modifer, en date d’aujourd’hui le 22 mars 2012, afin de représenté pour l’ensemble de nos membres, votre situation réel en application avec la convention collective #3.

...

Sachez bien, M. Malette, que le Syndicat n’agit pas avec contentement dans se dossier, en vous retranchant des positions sur la liste.

Le syndicat ne fait que remplir ses obligations de représentation auprès de ses membres.

(sic)

III – Analyse et décision

[12] Lorsqu’il reçoit une plainte de manquement au DRJ, le Conseil détermine si celle-ci établit une cause prima facie de violation du Code. Ce processus a été décrit dans Crispo`, 2010 CCRI 527 (Crispo 527) :

[12] Le Conseil se livre à une analyse de la preuve suffisante à première vue dans le cadre des nombreuses plaintes de manquement au devoir de représentation juste qu’il reçoit. Dans cette analyse, le Conseil tient pour avérés les faits importants allégués par un plaignant, et examine ensuite si ces faits importants peuvent être assimilables à une violation du Code.

[13] L’analyse de la preuve suffisante à première vue soupèse les faits importants plutôt que les conclusions de droit. Le plaignant qui invoque une conclusion de droit en alléguant, par exemple, qu’une conduite donnée était arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi n’évite pas ainsi l’application de ce critère.

[14] Dans Blanchet c. Association des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 712, 2009 CAF 103, la Cour d’appel fédérale a appuyé le recours par le Conseil à l’analyse de la preuve suffisante à première vue et l’accent qu’il met sur les faits importants :

[17] En règle générale, lorsqu’un tribunal tient pour avérées les allégations, il s’agit d’allégations de fait. Cette règle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de conclusions de droit : voir Lawrence v. The Queen, [1978] 2 C.F. 782 (1ière instance). La détermination des questions de droit appartient au tribunal et non aux parties : ibidem.

[18] Il est vrai que le Conseil, dans l’extrait cité, n’a pas spécifié qu’il faisait référence aux allégations de fait du demandeur. Mais la référence qui y est faite aux allégations du demandeur ne peut être autre chose qu’une référence à des allégations de fait. Car, s’il en était autrement, il suffirait pour un plaignant d’énoncer comme conclusion que la décision de son syndicat est arbitraire ou discriminatoire pour que le Conseil soit tenu de conclure à une violation, du moins une violation prima facie, de l’article 37 du Code et d’adjuger sur le bien-fondé de la plainte. Ainsi le processus de tamisage (screening) des plaintes serait relégué aux oubliettes du passé.

[13] Par conséquent, en l’espèce, le Conseil se pose la question suivante : si nous tenons pour avérées toutes les allégations de fait de M. Mallette, pourrions-nous conclure que le TCA a enfreint le Code?

[14] La décision Crispo 527, par coïncidence, a aussi décrit les obligations d’un syndicat envers les membres de l’unité de négociation. Parfois, les intérêts de certains membres ne sont pas conformes à ceux de l’ensemble des membres, surtout pour des questions concernant leur rang sur la liste d’ancienneté. Ce genre de litige est difficile à régler pour un syndicat, qui doit représenter tous les membres de l’unité :

[16] Le devoir de représentation juste prévu à l’article 37 du Code, précité, oblige le Conseil à examiner le processus suivi par un syndicat pour s’assurer que ce dernier n’a pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des droits reconnus aux membres de l’unité de négociation par la convention collective.

[17] Le Conseil ne siège toutefois pas en appel des décisions d’un syndicat et ne décide pas si le syndicat a tiré les « bonnes » conclusions.

[18] Un syndicat doit souvent prendre des décisions difficiles qui sont bénéfiques pour certains membres de l’unité de négociation et néfastes dans la même mesure pour d’autres. Par exemple, lorsqu’elle porte sur des questions litigieuses en matière d’ancienneté, la décision du syndicat ne plaira pas à tous les membres. Tant que le syndicat n’a pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, le Conseil n’intervient pas.

[19] La documentation présentée par M. Crispo a convaincu le Conseil que le TCA s’est penché sur la situation du plaignant. Pour concilier les intérêts des membres de l’unité de négociation, le TCA a pris une décision qui était défavorable pour M. Crispo, mais qui, selon le TCA, permettait d’arriver à l’issue la plus favorable pour l’unité de négociation dans son ensemble.

[20] Le Conseil est convaincu que le TCA comprenait les faits de la situation de M. Crispo et a négocié avec MTS un règlement qui était dans l’intérêt général de l’unité de négociation.

(c’est nous qui soulignons)

[15] Le Conseil peut facilement comprendre la déception ressentie par M. Mallette qui croyait avoir eu gain de cause en ce qui concerne son rang sur la liste d’ancienneté. Ce rang est extrêmement important pour chaque membre de l’unité. Les droits et avantages qui sont prévus dans la convention collective sont généralement octroyés selon le rang des membres sur la liste d’ancienneté.

[16] Toutefois, le fait que M. Mallette ait eu initialement gain de cause en ce qui concerne sa position sur la liste d’ancienneté a eu un impact négatif sur d’autres membres de l’unité. C’est toujours le cas, presque par définition, quand une dispute concernant l’ancienneté est en jeu.

[17] Dans ce dossier, le TCA ne pouvait plaire à tous les membres de l’unité. Il a donc examiné la situation.

[18] Dans sa lettre datée du 22 mars 2012, le TCA a expliqué en détail pourquoi, après étude, il préférait une interprétation de la convention collective plutôt qu’une autre. Il s’agissait aussi de la question de savoir quelle convention collective s’appliquait à la situation de M. Mallette. Le TCA a été franc en avouant que son interprétation initiale de la convention collective, qui a été bénéfique pour M. Mallette, était erronée.

[19] Pour le TCA, il s’agissait de ne pas créer un précédent négatif pour l’unité dans son ensemble.

[20] Il se peut que dans une autre situation n’impliquant pas l’ancienneté, où il n’y aurait eu aucun impact sur d’autres membres de l’unité, le TCA aurait pu décider de ne pas corriger son erreur. Toutefois, en l’espèce, le TCA faisait face à un grief collectif. Il a dû prendre une décision sur le bien-fondé du litige.

[21] De plus, la décision initiale concernant le rang de M. Mallette sur la liste d’ancienneté aurait eu un impact continuel sur les droits des autres membres de l’unité.

[22] Le TCA a donc décidé de choisir une interprétation officielle de la convention collective et de résoudre ce litige avec VIA. En conséquence, M. Mallette n’a pas eu gain de cause à la suite de cette révision de la situation.

[23] Comme il est mentionné dans l’extrait de la décision Crispo 527 cité ci-dessus, le Conseil accepte que c’est l’agent négociateur qui a l’ultime responsabilité de déterminer sa propre interprétation de la convention collective. Cette responsabilité inclut la discrétion de corriger son opinion au sujet de l’interprétation d’une disposition quelconque.

[24] Dans sa plainte, M. Mallette a contesté l’interprétation de la convention collective. Il n’y avait aucune preuve que le TCA a pris sa position en s’appuyant sur des facteurs arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi. Les faits invoqués indiquent que le TCA avait à trancher une question relative à l’ancienneté impliquant plusieurs membres de l’unité.

[25] Le règlement de ce litige, au moyen d’une explication détaillée au sujet de l’application de la convention collective dans le cas de M. Mallette, ne représente que le travail quotidien d’un agent négociateur. Le Conseil ne tranche pas un débat portant sur l’interprétation correcte de la convention collective, y compris une divergence d’opinions sur la question de savoir quelle convention collective devrait s’appliquer à la situation.

[26] Dans le cadre d’une plainte de manquement au DRJ, le Conseil détermine plutôt si la plainte établit une cause prima facie que l’agent négociateur, en prenant une décision quelconque, a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. La plainte de M. Mallette ne satisfait pas à cette exigence.

[27] Pour ces motifs, le Conseil rejette la plainte de M. Mallette puisqu’elle n’établit pas de cause prima facie de violation du Code.

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