Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et


TNT Express (Canada) ltée,

employeur.

Dossier du Conseil : 29013‑C

Référence neutre : 2013 CCRI 670

Le 18 janvier 2013

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice‑président, et de M. Norman Rivard et Me Robert Monette, Membres.

Procureurs inscrits au dossier
Me Barbara J. Nicholls, pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes;
Me George Vassos, pour TNT Express (Canada) ltée.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice‑président.

I –  Nature de la demande

[1] Le 14 octobre 2011, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le STTP) a présenté une demande d’accréditation visant une unité de négociation d’employés travaillant chez TNT Express (Canada) ltée (TNT) à Ottawa.

[2] Dans sa réponse du 25 octobre 2011, TNT a contesté la compétence du Conseil. TNT a soutenu qu’elle était un transitaire et que les principes énoncés par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53 (Fastfrate) s’appliquaient directement.

[3] Le STTP a soutenu que TNT était assujettie à la compétence fédérale, notamment en raison des déplacements qu’elle effectue entre l’Ontario et le Québec.

[4] Au cours de la présente procédure, le STTP a également déposé une plainte de pratique déloyale de travail (PDT) concernant le congédiement d’un employé par TNT (dossier du Conseil no 29539‑C).

[5] Le Conseil a demandé aux parties des renseignements supplémentaires concernant les faits constitutionnels pertinents, et il est maintenant convaincu que les activités de TNT ne relèvent pas de sa compétence.

[6] Pour les motifs exposés ci‑après, le Conseil doit rejeter la demande d’accréditation présentée par le STTP, pour des raisons de compétence uniquement. Le Conseil fournira aux parties une décision distincte concernant la plainte de PDT.

II –  Processus

[7] Le Conseil est conscient des coûts importants que doivent assumer les parties lorsque des audiences sont tenues. Une fois complété l’examen des observations initiales, le Conseil peut demander aux parties de présenter des précisions supplémentaires avant de décider s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 16.1 du Code de ne pas tenir d’audience.

[8] Le Conseil peut demander ces précisions de différentes façons, par exemple en posant des questions par écrit ou en demandant des renseignements supplémentaires dans le cadre d’une réunion de gestion de l’affaire (RGA).

[9] En vertu de l’alinéa 16k) du Code, le Conseil peut également demander à un de ses agents des relations industrielles (ARI) de rencontrer les parties et de rédiger un rapport d’enquête présentant d’autres renseignements contextuels. Les parties fournissent alors les renseignements supplémentaires à l’ARI aux fins du rapport. Elles ont également la possibilité de formuler des commentaires sur l’exactitude des renseignements résumés par l’ARI dans le rapport avant que le Conseil ne poursuive son processus.

[10] En l’espèce, le Conseil a demandé des précisions de deux ou trois façons différentes. Compte tenu des renseignements fournis, le Conseil est convaincu qu’il n’est pas nécessaire de tenir une audience.

[11] Dans TNT Express (Canada) ltée, 2012 CCRI 629 (TNT 629), le Conseil a traité de certaines questions préliminaires liées à une demande d’intervention et à l’objection de TNT concernant la preuve d’adhésion syndicale présentée par le STTP.

[12] Bien que TNT et le STTP aient initialement indiqué que la seule question que le Conseil devait trancher était celle de savoir si TNT était un « service postal », au sens où ce terme a été analysé dans TurnAround Couriers inc., 2010 CCRI 544 (TurnAround 544), le Conseil a fait observer, dans TNT 629, qu’il doit avant tout être convaincu qu’il a compétence pour instruire l’affaire :

[33] Les parties ne restreignent la portée d’aucune question constitutionnelle dont le Conseil est saisi. Peu importe que le STTP ait soulevé ou non la question du caractère véritable de l’entreprise de TNT Canada, le Conseil doit tout de même être convaincu qu’il a compétence pour instruire la demande.

[34] Le même principe s’applique lorsque les parties prétendent consentir à la compétence du Conseil. Si le Conseil n’est pas certain que le Code s’applique, les parties seront appelées à présenter des arguments juridiques et des faits pertinents (voir, par exemple, Allcap Baggage Services Inc. (1990), 79 di 181; et 7 CLRBR (2d) 274 (CCRT no 778), aux pages 184‑185; et 276‑277).

[35] Malgré l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale qui a renversé la décision TurnAround 544, le Conseil doit tout de même obtenir les observations des parties sur la question de savoir si TNT Canada est un transitaire au sens de l’arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, précité, ou si TNT Canada constitue une partie d’une entreprise fédérale de transport dans son ensemble qui entraînerait son assujettissement au Code.

[36] Pour reprendre les propos de TNT Canada contenus dans sa lettre du 28 novembre 2011, le Conseil estime que « la question de savoir si l’entreprise de TNT Canada est de nature interprovinciale » (traduction) est une question que le Conseil doit trancher avant de poursuivre l’examen de la présente demande. Le Conseil établira sans délai l’échéancier pour la présentation des observations des parties sur cette question.

[13] Dans sa lettre de confirmation datée du 24 février 2012, le Conseil a demandé aux parties de présenter des observations sur les deux questions suivantes :

Par suite de la décision TNT Express (Canada) ltée, 2012 CCRI 629, les parties sont invitées à présenter leurs observations sur les questions suivantes :

  1. si TNT Canada est un transitaire au sens de l’arrêt Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53
  2. si TNT Canada constitue une partie d’une entreprise fédérale de transport dans son ensemble qui entraînerait son assujettissement au Code.

(traduction)

[14] Après avoir examiné les observations présentées par les parties en réponse à sa lettre du 24 février 2012, le Conseil a tenu une RGA avec celles‑ci le 3 juillet 2012. Par suite de cette réunion, le Conseil a fixé des dates d’audience provisoires, soit du 19 au 21 février 2013.

[15] Au cours de la RGA, le Conseil a expliqué aux parties qu’il estimait avoir encore besoin de renseignements supplémentaires. Dans TNT Express (Canada) ltée, 2012 CCRI LD 2828 (LD 2828), le Conseil a confirmé la nature des renseignements dont il avait besoin :

Comme il a été mentionné lors de la RGA, l’une des questions qui opposent les parties est celle de savoir si TNT Express (Canada) ltée (TNT) est un transitaire, par opposition à une partie intégrante d’une entreprise fédérale plus globale. Actuellement, le Conseil ne dispose d’aucun renseignement concernant l’entité ou les entités qui exécutent les activités de transport interprovincial ou international pour TNT. Le Conseil sollicite également le point de vue des parties sur la question de savoir si ces faits, lorsqu’ils auront été présentés au Conseil, auront une incidence sur la question de la compétence constitutionnelle.

(traduction)

[16] Après avoir examiné les observations subséquentes des parties, dont les dernières ont été reçues le 17 septembre 2012, le Conseil a été en mesure de conclure que les activités de TNT n’étaient pas assujetties à sa compétence.

III –  Faits

[17] TNT, dont le siège social est situé à Mississauga (Ontario), exerce ses activités à partir de cinq endroits au Canada, à savoir Vancouver, Calgary, Mississauga, Ottawa et Montréal. Elle a également recours à des sous‑traitants, qui travaillent pour elle à Winnipeg, Edmonton et London. Elle est une filiale d’une organisation qui fournit des services de livraison et de messagerie dans le monde entier. Par souci de commodité, nous désignerons ci‑après par tnt l’entreprise intimée, et par « TNT internationale » l’ensemble des entreprises que regroupe TNT dans le monde entier.

[18] TNT se définit comme un transitaire qui exerce ses activités au Canada et dont l’entreprise procède au regroupement, au dégroupement et au transport de marchandises en faisant appel à des transporteurs publics. Ces transporteurs publics peuvent exercer leurs activités à l’échelle provinciale, nationale ou internationale.

[19] Le Manuel des employés de TNT à l’intention des employés canadiens (le Manuel), qui a été joint aux observations présentées par TNT le 25 octobre 2011, décrit l’historique et la nature des activités de TNT internationale dans le monde entier. En plus de décrire de multiples fusions d’entreprises qui ont eu lieu au fil des ans, le Manuel fait ressortir que la Division express de TNT internationale « exploite 47 avions » et « est l’entreprise de livraison internationale la plus importante d’Europe et l’une des quatre plus importantes au monde » (traductions).

À propos de TNT – Notre histoire

Depuis 1983, TNT Express procure aux entreprises d’Amérique du Nord un accès fiable au réseau de livraison express le plus vaste du monde. Grâce à nos portes d’entrée internationales, situées à Toronto, Vancouver, New York, Miami et Los Angeles, nous pouvons garantir des livraisons à temps pratiquement n’importe où dans le monde.

TNT a été fondée à Sydney, en Australie, en 1946. En 1961, l’entreprise est devenue une société ouverte en Australie, et dans les années 1970, elle a étendu ses activités à l’Europe. TNT a fait l’acquisition de Skypak (service de messagerie internationale) et d’Ipec (service de fret routier européen) en 1983, puis en 1987, elle a lancé un réseau de services aériens pour l’Europe, en propriété exclusive.

Les divisions et les réseaux de transport international aérien et routier de TNT ont été intégrés en 1991 pour constituer l’entreprise TNT Express Worldwide. La coentreprise entre TNT et les bureaux de poste nationaux des Pays‑Bas, de la France, de l’Allemagne, de la Suède et du Canada a été lancée peu de temps après, au cours de la même année, sous le nom de GD Express Worldwide (marque nominative : TNT Express Worldwide).

Au début des années 1990, GD Express Worldwide a continué de prendre de l’expansion avec, comme étapes importantes, la création d’un service de fret transatlantique quotidien, la mise sur pied d’un réseau de transport aérien pour l’Asie et le contrat de livraison pour tous les envois de Federal Express en Europe.

L’histoire de TNT est par ailleurs inextricablement liée au succès des grandes organisations de logistique et de transport domestique du monde entier, en particulier celles de l’Allemagne, du Royaume‑Uni, de l’Italie, du Benelux et de l’Australie.

En décembre 1996, KPN, l’organisation nationale néerlandaise des postes et des télécommunications, a fait l’acquisition de toutes les entités commerciales de TNT partout dans le monde. L’objectif était d’intégrer l’entreprise des postes PTT Post aux organisations domestiques de TNT ltée et de GD Express Worldwide. L’entreprise intégrée porte maintenant le nom de TNT N.V. (auparavant, TNT Post Group), et Royal TPG Post et TNT sont deux marques qui lui appartiennent. En juin 1998, TNT Post Group (aujourd’hui TNT N.V.) est devenue la première entreprise des postes cotée à la bourse de New York. TNT N.V. est également cotée à la bourse d’Amsterdam.

Aujourd’hui, TNT N.V. compte plus de 128 000 employés dans 60 pays, et elle offre ses services dans plus de 200 pays. La Division express de TNT est l’entreprise de livraison internationale la plus importante d’Europe et l’une des quatre plus importantes du monde. À l’échelle internationale, TNT transporte en moyenne 4,4 millions de colis, documents et articles de fret chaque semaine, dans plus de 200 pays. Les revenus de la Division express de TNT ont dépassé les 6,5 milliards d’euros en 2007, et cette dernière continue de développer ses réseaux aériens et routiers en Europe, en Asie, en Australie, en Amérique du Sud et au Moyen‑Orient, reliant des lignes de transport internationales à des réseaux routiers domestiques en pleine expansion. La Division express, qui compte bien au-delà de 50 000 employés, exploite 26 760 camions et 47 avions. Elle dispose en outre de 2 331 dépôts et centres de tri.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[20] Dans ses observations du 9 août 2012, TNT a présenté des renseignements supplémentaires sur les entités au Canada qui lui fournissaient des services de transport interprovinciaux ou internationaux.

[21] À la page 8 de ses observations, TNT a dressé la liste des principaux transporteurs auxquels elle fait appel pour le transport interprovincial :

TNT passe des contrats avec différents transporteurs pour que les documents et marchandises de ses clients soient transportés d’une province à l’autre au Canada ou à l’extérieur des frontières du Canada. Les principaux transporteurs qui forment le réseau régulier de TNT, pour ce qui est du transport au Canada, sont les suivants :

  • Purolator Courrier
  • WestJet
  • Ceva Freight Canada Corp.
  • Con‑way Freight Canada
  • Cargojet
  • Dinamex (Ottawa)

(traduction)

[22] TNT a par ailleurs décrit ainsi les services de transport auxquels elle recourt pour les livraisons internationales :

Pour ce qui est des livraisons internationales, TNT passe des contrats avec les transporteurs suivants, afin de transporter les documents et marchandises de ses clients à partir du Canada vers des destinations situées à l’étranger :

  • UPS
  • Air Canada
  • Jet Airways
  • KLM
  • British Airways
  • Cathay Pacific

(traduction)

[23] Dans sa lettre du 17 septembre 2012, TNT a informé le Conseil que, contrairement à ce qui semble être le cas chez United Parcel Service (UPS) ou Federal Express Canada ltée (FedEx), aucune entité associée à TNT internationale ne transportait de marchandises à destination du Canada, ou à partir du Canada :

En ce qui concerne les services de livraison internationaux que TNT offre à sa clientèle, TNT a fourni dans ses observations du 9 août une liste exhaustive de tous les transporteurs tiers auxquels elle fait appel pour le transport international à partir du Canada, vers des destinations situées à l’étranger. TNT tient à préciser qu’elle n’a jamais utilisé les avions sur lesquels figure la marque de commerce de TNT pour le transport international de ses marchandises et qu’elle n’a conclu aucun contrat à cet égard. Comme il a déjà été mentionné dans des observations présentées antérieurement au Conseil, une relation contractuelle avec un transporteur tiers qui franchit une frontière provinciale ou internationale ne suffit pas à faire de l’entité contractante une entreprise assujettie à la compétence fédérale.

À ce propos, TNT a cru comprendre que le Conseil estimait qu’il disposait de faits constitutionnels suffisants, excepté en ce qui concerne les transporteurs tiers.

Certaines marchandises manutentionnées par TNT sont expédiées, dans le cas des livraisons internationales, à des centres de distribution de TNT internationale situés dans d’autres pays, et dans ces cas, la livraison finale des marchandises, dans le pays de destination, peut être faite au moyen de véhicules que possède et qu’exploite une autre filiale de TNT internationale, ou par un tiers sous‑traitant. L’utilisation des infrastructures d’une autre filiale de TNT internationale dans un autre pays n’est aucunement liée à la question de savoir si les activités de transport de marchandises de TNT impliquent ou non le passage de frontières provinciales ou internationales, et le recours à ces infrastructures n’a aucune incidence sur cette question. Il ne s’agit donc pas d’un facteur déterminant en ce qui a trait à la question constitutionnelle qui se pose en l’espèce.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[24] À la page 5 de ses observations du 17 septembre 2012, TNT a donné d’autres détails sur la non‑participation de TNT internationale à ses activités de transport international :

Comme TNT l’a mentionné dans ses observations du 9 août 2012, le transport des marchandises d’un côté à l’autre des frontières internationales du Canada pour le compte de TNT est assuré par différents transporteurs aériens tiers. Aucun de ces transporteurs aériens n’est une filiale de TNT et aucun n’est lié à cette dernière de quelque manière que ce soit; il s’agit dans tous les cas de transporteurs commerciaux tiers. Si TNT a passé des contrats avec ces transporteurs tiers afin qu’ils transportent des marchandises d’un côté à l’autre des frontières canadiennes, cette activité correspond toujours à la situation de transport par un transitaire qui a été examinée par la Cour suprême du Canada dans Fastfrate, et ce, même si la destination finale du transport est un autre centre de distribution de TNT internationale.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[25] Par ses commentaires du 11 septembre 2012, TNT a indiscutablement répondu à l’affirmation que le STP a faite aux paragraphes 32 à 34 de ses observations datées du 10 septembre 2012, selon laquelle TNT est une organisation locale d’une entreprise mondiale plus vaste.

[26] Le STTP a soulevé une seconde question, qui concerne les déplacements de TNT entre l’Ontario et le Québec. Le STTP a fait valoir que ces déplacements étaient suffisants pour que TNT soit assujettie à la compétence fédérale. TNT n’était pas d’accord et a soutenu que le caractère « régulier et continu » de l’activité, analysé dans les affaires de ce genre, ne s’observait pas en l’espèce.

[27] TNT a reconnu que les activités effectuées à partir de son dépôt d’Ottawa comprennent à l’occasion des livraisons et le ramassage de marchandises au Québec, mais que cela se produit « très rarement et de façon ponctuelle » (traduction). À la page 4 de ses observations du 17 septembre 2012, TNT a dressé un tableau qui résume ses déplacements interprovinciaux :

Année Ramassages Livraisons
2010 8 62
2011 10 68
2012 0 24

[28] Le STTP a allégué que le ramassage de marchandises au Québec était plus fréquent que cela. Il a indiqué qu’une ancienne employée, dont l’identité n’a pas été révélée, avait affirmé qu’on l’avait envoyée personnellement au Québec pour des livraisons trois à quatre fois par semaine. Le STTP a fait valoir que cela pouvait représenter 144 déplacements interprovinciaux par année, pour cette employée seulement :

20. Le STTP a obtenu d’une ancienne employée de TNT un témoignage selon lequel des chauffeurs de TNT se rendent régulièrement au Québec pour y ramasser des marchandises.

21. Selon le témoignage de cette ancienne employée, elle‑même était envoyée trois à quatre fois par semaine au Québec pour y ramasser des marchandises.

22. À la lumière du témoignage de cette chauffeuse, TNT transporte des marchandises du Québec à l’Ontario au moins 144 fois par année (en supposant qu’elle travaillait 48 semaines par année et qu’elle ne faisait que 3 livraisons par semaine).

23. TNT emploie de nombreux chauffeurs et, comme il a été mentionné ci‑dessus, des marchandises sont transportées dans les deux directions.

24. À la lumière de ce qui précède, le STTP est d’avis que les activités de transport entre l’Ontario et le Québec ne sont pas exceptionnelles ou irrégulières, mais qu’elles font partie des activités de transport habituelles de TNT et des services qu’elle offre habituellement à ses clients.

(traduction)

[29] Le STTP n’a fourni aucun autre renseignement provenant d’employés actuellement au service de TNT. TNT a émis une hypothèse quant à l’identité de l’employée dont le nom n’a pas été divulgué et a laissé entendre que l’information communiquée par celle‑ci était périmée.

IV –  Questions en litige

[30] Trois questions connexes se dégagent des faits :

  1. Les activités régulières et habituelles de TNT : le critère fonctionnel;
  2. Les déplacements de TNT d’Ottawa au Québec sont‑ils suffisamment réguliers ou continus pour que TNT soit assujettie à la compétence fédérale?;
  3. TNT pourrait‑elle faire partie, ou constituer une partie vitale ou essentielle, d’une entreprise fédérale?

V –  Analyse et décision

Les principes de droit constitutionnel applicables

[31] Bien qu’ils découlent d’un contexte factuel différent, les principes d’analyse qui s’appliquent en l’espèce ne diffèrent pas substantiellement de ceux qui ont été pris en considération dans Schnitzer Steel BC, inc., 2012 CCRI 640 (Schnitzer 640). Dans cette affaire, les parties contestaient la nature de l’entreprise de l’employeur. Schnitzer Steel BC inc. alléguait qu’elle exploitait une entreprise dans le secteur de la ferraille. En revanche, le syndicat requérant alléguait que Schnitzer exploitait une entreprise de transport interprovincial, étant donné qu’elle fournissait à des tiers des services de transport de marchandises interprovinciaux.

[32] En l’espèce, TNT s’est définit comme un transitaire, un type d’entreprise dont l’assujettissement à la compétence provinciale a maintenant été clairement établi dans l’arrêt Fastfrate, précité, rendu par la CSC :

[61] Dans le contexte du transport, il est impossible pour une entreprise de fournir un service de transport interprovincial si elle n’assure pas elle‑même ce service. Une entreprise peut, bien sûr, agir comme intermédiaire entre les transporteurs interprovinciaux et les clients qui veulent avoir accès à ces transporteurs à un prix réduit. Cependant, cela ne signifie pas qu’une telle entreprise devient l’exploitant et le fournisseur des services de transport interprovincial. Le fait que les clients ignorent que l’entreprise intermédiaire n’assure pas le transport interprovincial n’est pas, à mon avis, pertinent dans le cadre de l’analyse constitutionnelle. L’alinéa 92(10)a) porte sur la nature des entreprises, et non sur la façon dont elles sont subjectivement perçues par les clients. Comme cette Cour l’a souligné dans Northern Telecom, à la p. 132, « [l]a question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation. »

(c’est nous qui soulignons)

[33] Il ressort de l’arrêt Fastfrate, précité, qu’un transitaire demeure assujetti à la compétence provinciale s’il n’assure pas lui‑même le transport interprovincial ou international de marchandises de façon régulière et continue.

[34] TNT a soutenu être un transitaire, alors que le STTP a allégué qu’elle est en fait une entreprise interprovinciale, compte tenu de ses déplacements interprovinciaux ou de sa relation avec TNT internationale.

[35] La CSC a récemment résumé plusieurs principes fondamentaux de droit constitutionnel qui s’appliquent aux affaires dans lesquelles il faut trancher la question de la compétence. Par exemple, aux paragraphes 27 et 28 de Fastfrate, précité, la CSC a souligné qu’en matière de relations du travail, la compétence provinciale est la norme, alors que la compétence fédérale constitue l’exception :

[27] Suivant le principe fondamental du partage des compétences en matière de relations de travail, les provinces ont compétence sur les industries qui relèvent de la compétence législative provinciale et le gouvernement fédéral a compétence sur celles qui relèvent de la compétence législative fédérale : voir Labour and Employment Law : Cases, Materials, and Commentary (7e éd. 2004), p. 85. Toutefois, comme il ressort clairement de la jurisprudence, la compétence fédérale a été interprétée de façon restrictive dans ce contexte. Dans Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] A.C. 396, le Comité judiciaire du Conseil privé a conclu que la compétence conférée aux provinces par le par. 92(13) sur la « propriété et les droits civils » dans les provinces s’étend aux relations de travail. Ce n’est que dans la mesure où les travaux ou entreprises sont qualifiés de fédéraux que la compétence provinciale est écartée.

[28] Dans Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a résumé à la p. 132 les principes régissant le partage des compétences en matière de relations de travail :

(1) Les relations de travail comme telles et les termes d’un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.

(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s’il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.

(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation.

Aux termes de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, la compétence provinciale est donc la norme. La compétence fédérale n’englobe que les catégories de sujets expressément exceptées dans les compétences provinciales et les entreprises jugées indispensables à ces travaux et entreprises fédéraux. Comme je l’expliquerai plus loin, l’al. 92(10)a), lui‑même une exclusion limitée, prévoit une telle exception fédérale. La question en l’espèce est de savoir si, en raison de la nature de ses activités, Fastfrate relève de la compétence provinciale ou de la compétence fédérale.

(c’est nous qui soulignons)

[36] Aux paragraphes 1 à 4 de l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45; [2010] 2 R.C.S. 696 (NIL/TU,O), la CSC a résumé l’analyse applicable pour déterminer si un employeur relevait de la compétence fédérale ou provinciale :

[1] La Juge ABELLA - La société NIL/TU,O Child and Family Services Society (« NIL/TU,O ») fournit aux enfants et aux familles de certaines premières nations de la Colombie‑Britannique des services d’aide à l’enfance. La structure de cette société est unique car elle relève du gouvernement provincial, elle est financée par le gouvernement fédéral et elle dispose d’une certaine indépendance opérationnelle.

[2] Aucune des parties ne conteste le fait que les services d’aide à l’enfance relèvent de la compétence législative provinciale en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867. NIL/TU,O ne conteste pas la validité constitutionnelle de la Child, Family and Community Service Act, R.S.B.C. 1996, ch. 46, qui s’applique aux Autochtones. Le présent litige ne vise pas non plus à déterminer si le gouvernement fédéral peut édicter des lois en matière de relations de travail portant sur les « Indiens » puisqu’il peut clairement le faire. La question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si les relations de travail de NIL/TU,O relèvent néanmoins de la compétence fédérale sur les « Indiens » en vertu du par. 91(24) puisque les services dispensés sont destinés à des enfants et des familles des Premières Nations.

[3] Au cours des 85 dernières années, notre Cour a constamment retenu et appliqué un critère juridique distinct pour déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale. Ce cadre juridique, exposé de la manière la plus complète dans Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115 et Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d’Amérique, [1980] 1 R.C.S. 1031, et appliqué plus récemment dans Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, est employé peu importe le chef de compétence fédéral visé dans le cadre d’une affaire donnée. Ce critère requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Cet examen est appelé le « critère fonctionnel ». C’est uniquement si ce critère ne s’avère pas concluant pour déterminer si une entreprise donnée est « fédérale » que la Cour vérifiera ensuite si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale.

[4] Notre Cour n’a jamais eu recours au « contenu essentiel » d’un chef de compétence fédéral en cause dans une affaire donnée concernant les relations de travail pour déterminer si une entité est une « entreprise fédérale » qui doit être assujettie au régime du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2. Puisque je suis d’avis que le critère fonctionnel démontre de façon concluante que NIL/TU,O est une entreprise provinciale, j’estime que la présente affaire ne doit pas être la première où l’on exige un examen du « contenu essentiel » du par. 91(24).

(c’est nous qui soulignons)

[37] Dans Schnitzer 640, aux paragraphes 54 à 58, le Conseil a décrit comme suit la tâche qui lui revenait après avoir examiné les principes que la CSC a résumés :

[54] Le Conseil doit par conséquent se pencher en premier lieu sur le « critère fonctionnel », et voir s’il peut déterminer quelles sont les activités habituelles et l’exploitation quotidienne de Schnitzer. Convient‑il de qualifier celle‑ci d’entreprise de transport interprovincial, comme le soutient l’UIOI, ou s’agit‑il plutôt d’une entreprise de recyclage de ferraille qui relève de la compétence provinciale?

[55] Le Conseil examinera seulement le second critère, celui de l’« atteinte au contenu essentiel », si le critère fonctionnel s’avère non concluant.

[56] Eu égard au critère fonctionnel, le Conseil a examiné deux questions connexes qu’il a déjà appliquées dans des affaires concernant des entreprises de transport : (i) Schnitzer poursuit‑elle une entreprise de transport? et (ii) ses déplacements extraprovinciaux sont‑ils de nature suffisamment « régulière et continue » pour qu’elle relève de la compétence fédérale?

[57] Le Conseil a orienté son analyse de façon similaire dans Pioneer Truck Lines Ltd., 1999 CCRI 31 (Pioneer Truck), au paragraphe 17 :

[17] Avant de passer au critère de l’activité « régulière et continue », le Conseil doit d’abord être convaincu que l’entreprise en question est effectivement une entreprise de transport. En l’espèce, l’employeur a soutenu que l’activité principale de Pioneer tient davantage de la construction que du transport routier interprovincial.

[58] Pour les motifs exposés ci‑après, le Conseil conclut que les activités normales et habituelles de Schnitzer sont celles d’une entreprise de recyclage de ferraille plutôt que celles d’une entreprise de transport interprovincial.

[38] Dans la présente affaire, le Conseil doit établir si TNT est véritablement un transitaire, ce qui ferait d’elle une entreprise de transport intraprovincial, ou si elle est une entreprise de transport interprovincial en raison de sa relation avec TNT internationale ou de ses déplacements entre le Québec et l’Ontario.

1 – Les activités régulières et habituelles de TNT : le critère fonctionnel

[39] Dans Fastfrate, précité, la majorité des juges de la CSC a conclu qu’une entreprise qui prenait des mesures pour assurer le déplacement des marchandises de ses clients entre les provinces, en ayant toujours recours à des transporteurs publics tiers pour ce faire, demeurait assujettie à la compétence provinciale. L’entreprise en cause dans cette affaire assurait régulièrement, comme TNT, des services locaux de livraison et de ramassage des marchandises en question.

[40] Dans ce même arrêt, la majorité des juges de la CSC a expressément rejeté l’analyse que le prédécesseur du présent Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), avait appliquée dans DHL (1994), 96 di 106 (DHL), à l’égard d’une entreprise semblable à celle de TNT :

[59] Soit dit en tout respect, le raisonnement adopté dans DHL ne me convainc pas. En concluant que DHL Ltée était assujettie à la réglementation fédérale, le CCRT a appliqué le critère des activités « régulières et continues » d’une façon nouvelle et, à mon avis, inutile. Les tribunaux avaient déjà utilisé ce critère pour déterminer si une entreprise participait de façon « régulière et continue » au transport effectif d’une province à l’autre : voir ALRBRe Ottawa-Carleton Regional Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 279 (1983), 4 D.L.R. (ALRB4th) 452 (C.A. Ont.). Le CCRT s’est plutôt demandé si un « but principal [interprovincial] » de l’entreprise, au sens de services contractuels offerts aux clients, était « régulier et continu ». L’analyse est passée de la nature des activités de l’entreprise à la nature des services contractuels offerts.

[41] De prime abord, les activités de TNT correspondent à la description d’une entreprise d’expédition de marchandises donnée par la CSC dans Fastfrate, précité :

[4] Le créneau de marché des entreprises d’expédition de marchandises est le regroupement et le dégroupement des marchandises. Il s’agit là de leur raison d’être économique. Ces services permettent aux clients de bénéficier d’une économie d’échelle lorsqu’ils accèdent aux tiers transporteurs. Comme l’a fait remarquer l’Alberta Labour Relations Board (« ALRB »), [traduction] « [e]n regroupant les petits envois de plusieurs clients dans des envois en camion complet, Fastfrate peut réaliser des économies d’échelle que le client individuel ne peut facilement obtenir; elle fait ainsi profiter les clients de ces économies » ((2005), 114 C.L.R.B.R. (2d) 1, par. 8). Sans ce service de regroupement, les clients qui expédient des chargements ou des conteneurs incomplets devraient assumer des coûts sensiblement plus élevés.

[42] TNT, comme d’autres transitaires, exécute des activités de regroupement et de dégroupement et assure des services locaux de ramassage et de livraison à partir de ses différents établissements au Canada.

[43] Dans Fastfrate, précité, la majorité des juges de la CSC a conclu que les activités de ce type d’entreprise demeurent intraprovinciales, et ce, même si les activités de l’entreprise touchent différentes provinces, comme c’était le cas dans DHL, précitée :

[3] Je suis d’avis qu’une entreprise qui fournit des services de regroupement et de dégroupement ainsi que des services locaux de ramassage et de livraison ne devient pas une entreprise interprovinciale simplement en raison d’une structure organisationnelle nationale intégrée et des contrats qu’elle conclut avec des tiers transporteurs interprovinciaux. Fastfrate n’effectue elle‑même aucun transport interprovincial. Sans cela, je ne vois aucune raison convaincante d’écarter la règle générale selon laquelle les travaux et entreprises sont assujettis à la réglementation des provinces. Par conséquent, les relations de travail des employés de la succursale de Fastfrate à Calgary relèvent de la compétence provinciale. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi.

[48] À cet égard, j’accepte et je suis d’avis de confirmer le courant jurisprudentiel voulant que les transitaires qui ne participent pas eux‑mêmes au transport interprovincial des marchandises et qui concluent simplement des contrats avec les transporteurs interprovinciaux relèvent de la compétence provinciale.

[44] Même si, de prime abord, TNT semble être un transitaire, le Conseil doit poursuivre son analyse, car la présente affaire diffère à certains égards de Fastfrate, précité.

[45] Dans Fastfrate, précité, il n’avait pas été allégué que l’employeur effectuait des déplacements interprovinciaux. Il n’avait pas non plus été allégué que Fastfrate faisait partie, ou constituait une partie vitale ou essentielle, d’une entreprise connexe qui aurait pu assurer, pour le compte de Fastfrate, des services de transport interprovinciaux.

[46] Il faut se pencher sur ces questions en l’espèce.

2 – Les déplacements de TNT d’Ottawa au Québec sont‑ils suffisamment réguliers ou continus pour que TNT soit assujettie à la compétence fédérale?

[47] Le Conseil a conclu que TNT présente bon nombre des caractéristiques d’un transitaire, tel que ce type d’entreprise a été décrit par la CSC dans Fastfrate, précité.

[48] La prochaine question sur laquelle le Conseil doit se pencher est celle de savoir si les déplacements entre le bureau d’Ottawa de TNT et le Québec assujettissent l’entreprise à la compétence fédérale. La proximité du Québec et de la région d’Ottawa, en Ontario, a suscité des litiges similaires dans le passé relativement à la question de la compétence constitutionnelle.

[49] Par exemple, dans Re Ottawa‑Carleton Regional Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 279 et al. (1983), 44 O.R. (2d) 560 (OC Transpo), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le service d’autobus municipal d’Ottawa, qui comptait 450 trajets quotidiens réguliers traversant la frontière entre l’Ontario et le Québec, relevait de la compétence fédérale.

[50] Inversement, le CCRT a conclu, dans Ottawa Taxi Owners and Brokers Association (1984), 56 di 73 (CCRT no 464) (Blue Line), que les déplacements de taxis d’un côté à l’autre de cette même frontière, dont certains se produisaient quotidiennement, n’étaient pas suffisants pour conclure que l’employeur relevait de la compétence fédérale.

[51] Comme il a été mentionné précédemment, TNT a, dans la présente affaire, présenté un tableau qui, affirme‑t‑elle, dresse le bilan de ses déplacements transfrontaliers pour pratiquement les trois dernières années. Le STTP a contesté l’exactitude de ce tableau et fait valoir qu’une ancienne employée, dont le nom n’a pas été divulgué, avait fait environ trois à quatre déplacements de ce genre par semaine, pour un total estimé à 144 déplacements interprovinciaux par année.

[52] Le STTP a donné à entendre qu’il était possible que d’autres employés fassent la même chose, mais il n’a fourni aucune information précise à ce sujet.

[53] Le Conseil a estimé qu’il pouvait trancher la question de la compétence, même à partir de la preuve que le STTP lui a présentée.

[54] La jurisprudence indique clairement que le Conseil doit adopter une approche qualitative, et non une approche quantitative, pour trancher cette question. En d’autres mots, la conclusion du Conseil n’est pas tributaire du fait qu’il accepterait le nombre de déplacements annuels indiqué par TNT, soit 68 déplacements (pour 2011), ou le nombre indiqué par le STTP, à savoir au moins 144 déplacements annuels.

[55] Le Conseil doit plutôt établir si les déplacements interprovinciaux de TNT sont réguliers et continus, par opposition à une situation où ces déplacements se feraient exclusivement de façon sporadique, occasionnelle, irrégulière ou exceptionnelle.

[56] À cette fin, le Conseil doit se demander si ces déplacements font partie des activités normales et habituelles de TNT. La faible proportion de ces déplacements interprovinciaux, par rapport à l’ensemble des activités de TNT, n’est pas un facteur déterminant pour trancher la question de la compétence.

[57] Dans The Gray Line of Victoria Ltd. (1989), 77 di 169 (CCRT no 741), le Conseil a abordé certaines affaires clés dans lesquelles le critère de l’activité « régulière et continue » a été élaboré. À cet égard, le Conseil a cité Regina v. Toronto Magistrates, Ex Parte Tank Truck Transport Ltd., [1960] O.R. 497 (H.C.J.) (Tank Truck), jugement qui confirmait que des activités interprovinciales occasionnelles ou irrégulières ne suffisent pas à faire d’une entreprise provinciale une entreprise fédérale. La Cour s’est exprimée comme suit dans Tank Truck, précité :

Je suis d’accord avec le procureur de l’intimé lorsqu’il affirme que ce n’est pas parce qu’une entreprise a la capacité de faire des déplacements transfrontaliers ou d’étendre ses activités à l’extérieur d’une province qu’elle le fait effectivement. Il faut attribuer un sens aux mots « reliant » et « s’étendant » employés à l’alinéa 92(10)a). Par exemple, une compagnie de camionnage ou de taxi qui transporte de la marchandise ou des passagers occasionnellement ou à intervalles réguliers d’une province à une autre pourrait difficilement être considérée comme une entreprise visée par l’alinéa 92(10)a). Comme on peut le lire dans Winner et Underwater Gas Developers, une entreprise exerce une activité et je crois que pour que l’on puisse parler d’une entreprise « reliant » ou « s’étendant », l’activité doit être continue et régulière…

(QL, paragraphe 31; traduction)

[58] Dans Tank Truck, la Cour en est arrivée à la conclusion que le transport de la marchandise par camion au Québec s’étendait à l’intérieur de cette province et s’effectuait avec une régularité raisonnable; les activités de l’entreprise relevaient donc de la compétence fédérale. En revanche, dans The Gray Line of Victoria Ltd., précitée, le Conseil a conclu que Gray Line n’était pas une entreprise fédérale parce que les déplacements interprovinciaux non prévus et sporadiques n’étaient pas suffisants pour assujettir l’entreprise à la compétence fédérale. Le Conseil a conclu ce qui suit :

Nous sommes convaincus que, prises globalement, les activités normales et habituelles de Gray Line sont provinciales et que l’entreprise ne s’adonne à des activités extraprovinciales que de façon intermittente et occasionnelle. Nous déclinons donc toute compétence.

(page 179)

[59] Le Conseil est convaincu que les qualificatifs « occasionnels » et « sporadiques » décrivent correctement les déplacements interprovinciaux de TNT, dont le STTP n’a pas contesté le caractère ponctuel. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant, il ne ressort pas de la preuve que ces déplacements faisaient partie du travail régulier des chauffeurs de TNT. En fait, TNT a allégué que ces déplacements n’étaient clairement pas inscrits à l’horaire et qu’ils se produisaient quand le gestionnaire du dépôt le jugeait utile.

[60] Il n’a pas été contesté que TNT faisait habituellement appel à des entrepreneurs tiers pour faire des livraisons à destination et à partir de la région de Hull‑Gatineau. Cela explique peut‑être la fréquence réduite des déplacements dans une région qui devrait manifestement faire partie du territoire desservi par l’exploitation d’Ottawa de TNT. TNT a expliqué que les déplacements interprovinciaux qu’elle faisait elle‑même avaient généralement lieu lorsque les entrepreneurs tiers n’étaient pas disponibles, en particulier lorsque le facteur temps était crucial.

[61] Selon le Conseil, les déplacements interprovinciaux effectués pour ramasser ou livrer des marchandises ne font pas partie des activités normales et habituelles de TNT. Ces déplacements doivent plutôt être qualifiés de sporadiques ou d’occasionnels.

[62] Les activités normales et habituelles de TNT sont celles d’un transitaire qui a pris la décision, sciemment à ce qu’il semble, de ne pas se livrer à des activités de transport interprovincial ou international. Dans Fastfrate, précité, la majorité des juges de la CSC a conclu qu’une entreprise a le droit d’organiser ses affaires en fonction des principes de droit constitutionnel :

[47] En l’espèce, il existe des précédents sur l’expédition de marchandises que notre Cour a cités avec approbation. Si aucune raison convaincante n’a été donnée pour justifier que l’on s’écarte de cette jurisprudence, les parties devraient pouvoir s’y fier et organiser leurs affaires en conséquence.

3 – TNT pourrait‑elle faire partie, ou constituer une partie vitale ou essentielle, d’une entreprise fédérale?

[63] Comme le mentionne le Manuel, TNT internationale exerce ses activités dans le monde entier. Le Conseil n’a pas pu établir, à partir des observations initiales des parties, quelle était la nature des activités de TNT internationale pour le Canada. Il était impossible d’établir clairement s’il existait des liens entre les activités de transport de l’exploitation de TNT d’Ottawa, d’une part, et les activités que TNT internationale exerce à l’échelle mondiale, d’autre part.

[64] Par exemple, si TNT internationale transportait régulièrement par avion des marchandises à destination et à partir d’Ottawa (ou d’un autre endroit au Canada), il pourrait y avoir lieu de se demander si les livraisons locales faites par la suite par TNT constituent une partie vitale ou essentielle de cette entreprise interprovinciale ou internationale. Dans la même veine, on pourrait se demander si TNT pourrait être considérée comme une partie indissociable de l’exploitation mondiale de TNT internationale.

[65] Selon le Manuel, TNT internationale se livre à des activités de transport international importantes sur les autres continents. Mais il n’y avait, dans les observations initiales, aucune indication à savoir si une situation comparable existait en Amérique du Nord, et en particulier au Canada.

[66] TNT a informé le Conseil, comme il a été mentionné précédemment, qu’aucune entreprise associée à TNT internationale n’assurait des services de transport interprovinciaux ou internationaux pour le compte de TNT afin de permettre à cette dernière de faire des livraisons au Canada.

[67] Selon le Conseil, la tenue d’une audience à cet égard n’est pas nécessaire. Bien qu’il soit en désaccord avec les faits allégués par TNT, le STTP n’a présenté aucun fait qui aurait contredit la description que TNT a donnée de ses opérations et de ses liens opérationnels avec TNT internationale. Si des éléments de preuve contradictoires avaient été présentés au Conseil, la tenue d’une audience aurait pu s’avérer nécessaire.

[68] Dans la présente affaire, en l’absence de toute allégation concrète selon laquelle des entreprises liées à TNT internationale transportent régulièrement pour TNT des marchandises canadiennes d’une province à l’autre ou à l’étranger, TNT ne peut être considérée comme étant une partie vitale ou essentielle de cette entreprise possiblement assujettie à la compétence fédérale. Dans la même veine, les faits donnent à penser que TNT, bien qu’elle soit clairement une entreprise connexe, ne constitue pas, avec TNT internationale, une entreprise unique et indissociable qui transporte des marchandises à partir et à destination du Canada.

VI –  Conclusion

[69] Le Conseil est convaincu que TNT est un transitaire, tel que ce type d’entreprise a été décrit dans Fastfrate, précité. La majorité des juges de la CSC s’est expressément opposée à l’analyse de ce type d’entreprise qui avait été faite antérieurement par le CCRT dans DHL, précitée. N’eût été de l’arrêt Fastfrate, précité, le Conseil aurait très bien pu souscrire à certains arguments juridiques présentés par le STTP en l’espèce.

[70] À la différence de la situation dans Fastfrate, précité, TNT se charge elle‑même de certains déplacements interprovinciaux. Quoi qu’il en soit, et sans égard à leur nombre exact, le Conseil n’a pas été convaincu que ces déplacements constituent un aspect régulier et continu de l’entreprise de TNT. Ces déplacements ne suffisent pas pour que le statut de TNT passe de celui de transitaire, ou d’entreprise de transport intraprovincial, à celui d’entreprise de transport interprovincial.

[71] De la même manière, le Conseil n’a pas été convaincu que TNT fait partie, ou constitue une partie vitale ou essentielle, d’une entreprise interprovinciale de TNT internationale. TNT internationale ne transporte pas de marchandises à destination ou à partir du Canada pour TNT. Ce fait distingue TNT de certaines entreprises de messagerie qui exercent leurs activités à l’intérieur et à l’extérieur du Canada.

[72] TNT ne relève pas de la compétence du Conseil, et le Conseil doit en conséquence rejeter la demande d’accréditation du STTP.

[73] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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