Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Lloyd Butt et autres,
requérants,
et

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier,
agent négociateur,
et
XL Digital Services inc., faisant affaire sous la raison sociale Dependable HomeTech,
employeur.

Dossier du Conseil : 28968-C
Référence neutre : 2012 CCRI 621
Le 13 janvier 2012

Le Conseil canadien des relations industrielles était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. David P. Olsen et Norman Rivard, Membres.

Les motifs de la décision de la majorité ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président. Les motifs concourants ont été rédigés par M. David P. Olsen, Membre.

Représentants

M. Lloyd Butt, pour les requérants;
Me J. James Nyman, pour le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier;
M. Ross Jepsen, pour XL Digital Services inc., faisant affaire sous la raison sociale Dependable HomeTech.

I – Contexte

[1] L’article16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la demande de révocation sans tenir d’audience.

[2] Le 22 septembre 2011, le Conseil a reçu de M. Lloyd Butt une demande de révocation. M. Butt, en son propre nom et au nom d’autres personnes, a présenté une demande de révocation en vertu de l’article 38 du Code. L’étape des actes de procédure a pris fin une fois que M. Butt eut présenté son observation finale, le 4 janvier 2012.

[3] M. Butt a présenté une demande en vue d’obtenir la révocation de l’accréditation accordée au Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (le SCEP) d’une unité de négociation de XL Digital Services inc., faisant affaire sous la raison sociale Dependable HomeTech (XL Digital) (ordonnance no 9974-U) :

« tous les employés de XL Digital Services inc., faisant affaire sous la raison sociale Dependable HomeTech, qui travaillent à partir de London (Ontario), à l’exclusion des directeurs et de ceux de rang supérieur ».

[4] Le Conseil, après avoir confirmé sa compétence constitutionnelle dans la décision XL Digital Services inc., faisant affaire sous la raison sociale Dependable HomeTech, 2010 CCRI 543 (XL Digital 543), a rendu une ordonnance provisoire, le 23 août 2010, dans laquelle il a accrédité le SCEP à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation et, après avoir tranché d’autres questions, a rendu une ordonnance finale le 9 décembre 2010 concernant la description de l’unité de négociation.

[5] La Cour d’appel fédérale a confirmé la compétence du Conseil dans l’arrêt XL Digital Services Inc. c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, 2011 CAF 179.

[6] Le SCEP et XL Digital n’ont pas encore conclu une première convention collective.

[7] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil a décidé de rejeter la demande de révocation présentée en vertu de l’article 38 par M. Butt. Le Code accorde une protection accrue à l’agent négociateur lorsque celui-ci négocie une première convention collective. Le SCEP a droit à la protection que le législateur a prévue au Code pour les situations de première convention collective.

II – Analyse et décision

[8] La demande de M. Butt a été présentée en vertu des articles 38 et 39 du Code :

38.(1) Tout employé prétendant représenter la majorité des employés d’une unité de négociation peut, sous réserve du paragraphe (5), demander au Conseil de révoquer par ordonnance l’accréditation du syndicat à titre d’agent négociateur de l’unité.

(2) La demande visée au paragraphe (1) peut être présentée :

a) si l’unité de négociation est régie par une convention collective, seulement au cours de la période pendant laquelle il est permis, aux termes de l’article 24, de solliciter l’accréditation, sauf consentement du Conseil pour un autre moment;

b) en l’absence de convention collective, à l’expiration du délai d’un an suivant l’accréditation.

(3) Dans les cas où l’agent négociateur partie à une convention collective n’a pas été accrédité par le Conseil, tout employé prétendant représenter la majorité des employés de l’unité de négociation régie par la convention peut, sous réserve du paragraphe (5), demander au Conseil de rendre une ordonnance déclarant que l’agent négociateur n’a pas qualité pour représenter les employés de cette unité.

(4) La demande visée au paragraphe (3) peut être présentée :

a) si la convention collective en vigueur est la première conclue par l’employeur et l’agent négociateur :

(i) à tout moment au cours de la première année d’application de la convention,

(ii) par la suite, sauf consentement du Conseil à l’effet contraire, seulement au cours de la période pendant laquelle il est permis, aux termes de l’article 24, de solliciter l’accréditation;

b) dans les autres cas, sauf consentement du Conseil à l’effet contraire, seulement au cours de la période pendant laquelle il est permis, aux termes de l’article 24, de solliciter l’accréditation.

(5) Sauf consentement du Conseil à l’effet contraire, les demandes prévues aux paragraphes (1) ou (3) ne peuvent être présentées au cours d’une grève ou d’un lock-out – non interdits par la présente partie – des employés de l’unité de négociation représentée par l’agent négociateur.

39. (1) Si, à l’issue de l’enquête qu’il estime indiquée – tenue sous forme d’un scrutin de représentation ou sous une autre forme – , il est convaincu que la majorité des employés de l’unité de négociation visée par la demande ne désirent plus être représentés par leur agent négociateur, le Conseil doit rendre une ordonnance par laquelle :

a) dans le cas de la demande prévue au paragraphe 38(1), il révoque l’accréditation du syndicat à titre d’agent négociateur de l’unité;

b) dans le cas de la demande prévue au paragraphe 38(3), il déclare que l’agent négociateur n’a pas qualité pour représenter les employés de l’unité.

(2) En l’absence de convention collective applicable à l’unité de négociation, l’ordonnance visée à l’alinéa (1)a) ne peut être rendue par le Conseil que s’il est convaincu que l’agent négociateur n’a pas fait d’effort raisonnable en vue de sa conclusion.

(c’est nous qui soulignons)

[9] Il est utile de comparer le degré d’effort que le législateur exige d’un agent négociateur aux termes du paragraphe 39(2), à celui exigé pour s’acquitter de l’obligation de négocier de bonne foi à l’alinéa 50a) :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;

(c’est nous qui soulignons)

[10] L’obligation de négocier de bonne foi exige que les parties fassent « tout effort raisonnable pour conclure une convention collective ». À la suite de l’accréditation initiale, le paragraphe 39(2) du Code accorde une protection au nouvel agent négociateur contre une demande de révocation, à moins qu’il n’ait « pas fait d’effort raisonnable en vue de [conclure une convention collective] ».

[11] Dans Genge, 2007 CCRI 395 (Genge 395), le Conseil a examiné l’analyse traditionnelle employée par son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), lorsque celui-ci interprétait le paragraphe 39(2) (anciennement le paragraphe 138(2)) :

[24] Compte tenu de l’interprétation du Code retenue dans J. Phillips et autres, [(1978), 34 di 603; and (1979) 1 CLRBR 180 (CLRB no. 168)], le CCRT ne pouvait que rejeter l’argument du syndicat selon lequel le paragraphe 39(2) s’applique à n’importe quelle situation de relations en négociations collectives pour autant que l’agent négociateur ait fait un effort raisonnable pour conclure une convention collective :

« Le syndicat fait valoir une interprétation de l’expression « en vigueur » qui la rendrait applicable dans toutes les situations de relation syndicale-patronale, même s’il existe une longue histoire de négociations, que plusieurs conventions collectives se sont succédées et que les employés connaissent bien la négociation collective et leur agent négociateur. Il soutient qu’il s’agit d’encourager la négociation collective et, qu’à cette fin, le paragraphe 138(2) [maintenant paragraphe 39(2)] restreint la liberté qu’ont les employés de révoquer l’accréditation; cependant le paragraphe 124(2) [maintenant paragraphe 24(2)] autorise à changer d’agent négociateur. Le tort que perçoit le syndicat est trop grand. Notre conclusion selon laquelle le paragraphe 138(2) [maintenant paragraphe 39(2)] doit s’appliquer aux deux situations se fonde sur une solide expérience. Nous ne voyons aucun motif valable pour lequel le Parlement aurait restreint la liberté des employés jusqu’au point que le syndicat prétend...

(J. Phillips et autres, précitée, pages 613; et 188) »

[25] Lorsque le paragraphe 39(2) s’applique à un cas particulier, J. Phillips et autres, précitée, et les décisions ultérieures du Conseil nous enseignent que l’agent négociateur bénéficie alors de la protection de cette disposition, dans la mesure où il démontre qu’il a négocié avec l’employeur et qu’il a consulté les membres de l’unité de négociation et communiqué avec eux.

[26] Bref, dans J. Phillips et autres, précitée, le CCRT n’était pas disposé à limiter la liberté de choix des employés de manière à ce qu’en faisant un effort raisonnable pour conclure une convention collective, l’agent négociateur puisse échapper à la révocation de son accréditation. Au contraire, en interprétant le Code et les diverses relations en négociations collectives qui existent entre les employeurs et les syndicats, le CCRT a conclu que l’intention du législateur était que le paragraphe 39(2) s’applique seulement à l’agent négociateur qui a été accrédité, mais qui n’a pas encore conclu une convention collective ou dans les cas où les parties ont acquis le droit de grève ou de lock-out.

[27] Dans J. Phillips et autres, précitée, le CCRT a également déterminé que le Conseil doit examiner la situation à la date de présentation de la demande de révocation plutôt qu’à la date à laquelle il rend sa décision, étant donné que la situation des parties peut changer dans l’intervalle.

[28] Le Conseil actuel a fait sienne cette interprétation de longue date du paragraphe 39(2) et l’a appliquée dans des cas semblables (voir Les Meszaros et autres, [2002] CCRI no 188; et 95 CLRBR (2d) 124).

[29] Bref, l’agent négociateur peut solliciter la protection du paragraphe 39(2) du Code :

1. S’il négocie une première convention collective ou si les parties ont acquis le droit de grève ou de lock-out;

2. S’il a fait un effort raisonnable pour conclure une convention collective avec l’employeur;

3. Sous réserve des nuances contenues dans la jurisprudence du Conseil, s’il a consulté les membres de l’unité de négociation et les a tenus informés du progrès des négociations.

[12] Lorsque le Conseil applique le critère à trois volets énoncé dans Genge 395 aux faits en l’espèce, il est évident que le SCEP a droit à la protection accordée par le paragraphe 39(2) du Code. Le Conseil examinera chaque volet du critère de manière distincte.

1. S’agit-il d’une situation de première convention collective?

[13] Les parties ne contestent pas que le SCEP et XL Digital négocient une première convention collective pour cette unité de négociation. Les parties n’ont pas acquis le droit de grève ou de lock-out.

2. Le SCEP a-t-il fait « un effort raisonnable » pour conclure une première convention collective?

[14] Le paragraphe 39(2) exige qu’un agent négociateur ait fait « un effort raisonnable » pour éviter la révocation de sa nouvelle accréditation. Dans la présente affaire, le SCEP, par suite de son accréditation, n’est pas resté inactif et ne s’est pas contenté de son droit exclusif de représenter les employés de son unité de négociation.

[15] À titre d’exemple, le SCEP a contesté la demande de contrôle judiciaire présentée par XL Digital visant la décision du Conseil selon laquelle il avait la compétence constitutionnelle sur les employés qui offraient des services aux clients de Rogers Cable Communications inc.

[16] Depuis qu’il a rendu son ordonnance d’accréditation, le Conseil a été appelé à trancher diverses affaires présentées par le SCEP pour le compte de son unité de négociation à XL Digital. Parmi celles-ci, on relève une allégation selon laquelle XL Digital a enfreint la période de gel prévue par l’alinéa 50b) du Code et n’a pas négocié de bonne foi en vertu de l’alinéa 50a) du Code. Le règlement ultime de ces plaintes n’a pas vraiment

d’importance quant à la présente affaire, mais ces allégations démontrent les efforts du SCEP pour le compte de son unité de négociation nouvellement accréditée.

[17] Les observations, y compris celles de M. Butt, confirment que le SCEP a négocié avec XL Digital pour conclure une convention collective. XL Digital et le SCEP ont négocié à plusieurs reprises. Le ministre du Travail a nommé un conciliateur pour aider le SCEP et XL Digital dans leurs négociations.

[18] Dans l’ensemble, ces efforts démontrent que le SCEP a fait « un effort raisonnable » pour conclure une convention collective.

3. Le SCEP a-t-il tenu les membres de son unité de négociation informés des négociations?

[19] Le SCEP a aussi pris des mesures pour tenir les membres de l’unité de négociation informés de ses progrès. Il a créé un site Web à leur intention. Il a aussi tenu des réunions, y compris celle du 17 août 2011, à laquelle M. Butt semble avoir assisté.

[20] Bien que M. Butt conteste la qualité des efforts déployés par le SCEP, ses observations confirment néanmoins que le SCEP a communiqué de manière continue, par diverses façons, avec les membres de l’unité de négociation. Certains membres de l’unité de négociation peuvent être d’avis que leur agent négociateur nouvellement accrédité aurait pu faire les choses différemment. Le Conseil ne croit pas que l’unanimité soit possible en de telles matières.

[21] Ces points de vue ne sont pas déterminants quant à la question de savoir si l’agent négociateur a tenu les membres de l’unité de négociation informés de ses efforts.

III – Conclusion

[22] À la lumière des faits de la présente affaire, le Conseil doit rejeter la demande de révocation présentée en vertu de l’article 38 par M. Butt. Le SCEP a droit à la protection que lui accorde le paragraphe 39(2) du Code.

[23] M. Butt a allégué dans sa demande que les employés avaient initialement été trompés lorsqu’ils avaient signé des cartes d’adhésion, puisqu’ils avaient été avisés que le Conseil tiendrait un scrutin de représentation.

[24] Dans le cadre d’une demande de révocation présentée en vertu de l’article 38 comme celle de M. Butt, les motifs pour lesquels les employés veulent la révocation ne sont pas en litige. En fait, à moins que le paragraphe 39(2) ne s’applique, comme c’est le cas en l’espèce, une demande de révocation qui recueille un appui de plus de 50 % des employés sera tranchée seulement sur la base des résultats du scrutin de représentation.

[25] Le Conseil aimerait cependant souligner que sa circulaire d’information no 7, qui concerne les demandes d’accréditation et qui est accessible au public sur son site Web, donne des renseignements généraux quant au processus d’accréditation. Comme l’indique cette circulaire, les scrutins de représentation ne sont pas obligatoires. Dans la plupart des cas, lorsque les cartes d’adhésion signées démontrent qu’un syndicat a l’appui de la majorité, il n’y a pas de scrutin. Le système d’accréditation par cartes prévu par le Code est bien connu au sein de la communauté des relations du travail et est maintenant en vigueur depuis plus de 40 ans.

[26] Par conséquent, le Conseil applique le paragraphe 39(2) du Code et rejette la demande de M. Butt.

Motifs concourants de M. David P. Olsen, Membre

[27] Je souscris à la conclusion de la majorité du Conseil de rejeter la demande de révocation présentée en vertu de l’article 38. J’en arrive cependant à cette conclusion pour le motif que le requérant, selon la preuve dont dispose le Conseil, ne représente pas la majorité des employés de l’unité de négociation.

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