Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et


Colispro inc.,

intimée,

et


Teamsters/Québec, Local 931,

agent négociateur,

et


2645-0858 Québec inc.; 9188-6960 Québec inc.; 9177-8837 Québec inc.; 9173-7536 Québec inc.; Plani-Gestion R.B. (2006) inc.; 9037-6740 Québec inc.; Binom Trans inc.; Olttrans inc.; 2849-5067 Québec inc.; Transport Michel Gauthier inc.; Davlin inc.,

parties intéressées.

Dossier du Conseil : 28781-C

Référence neutre : 2011 CCRI 613

le 15 novembre 2011

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Mes Claude Roy, Graham J. Clarke et William G. McMurray, Vice-présidents.

Représentants des parties au dossier
Me Jean-François Beaudry, pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes;
Mes Richard Bernèche et Paul A. Venne, pour Colispro inc.;
Me Pierre-André Blanchard, pour Teamsters/Québec, Local 931;
M. Yves Meunier, pour 2645-0858 Québec inc.;
M. Jean Montpetit, pour 9188-6960 Québec inc.;
M. Gérald Lalonde, pour 9177-8837 Québec inc. et 2849-5067 Québec inc.;
M. Louis Robitaille, pour 9173-7536 Québec inc.;
M. Roger Beaudin, pour Plani-Gestion R.B. (2006) inc.;
M. Normand Gadoury, pour 9037-6740 Québec inc.;
M. Marian Batrinu, pour Binom Trans inc.;
M. Cornel Nicolae, pour Olttrans inc.;
M. Jean-Jacques Perreault, pour Transport Michel Gauthier inc.;
M. Dave Lemelin, pour Davlin inc.

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Après avoir examiné les observations des parties et les documents présentés à l’appui de leurs positions respectives, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente affaire sans tenir d’audience.

[2] Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Claude Roy, Vice-président.

I – Nature de la demande

[3] Il s’agit d’une demande présentée le 25 mai 2011, en vertu de l’article 18 du Code, par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le requérant, le STTP ou le syndicat), qui vise à obtenir le réexamen de la décision rendue le 4 mai 2011 dans l’affaire Colispro inc., 2011 CCRI 588 (RD 588).

[4] Dans cette décision, le Conseil a fait droit à une objection préliminaire soulevée par l’employeur, Colispro inc. (l’employeur), dans le cadre d’une demande d’accréditation présentée par le STTP (dossier du Conseil no 27855-C), à savoir que l’autorité de la chose jugée s’applique dans le contexte de cette demande d’accréditation et qu’il y a absence de preuve de changements ou de faits nouveaux relativement à une partie intéressée, soit 2645-0858 Québec inc.

[5] Dans le cadre de la présente demande de réexamen, le requérant a demandé la suspension des procédures dans le dossier no 27855-C en vertu de l’alinéa 16(l) du Code. Le 15 juin 2011, estimant qu’aucune des parties ne s’opposait à la demande de remise de l’audience prévue pour les 29 et 30 juin 2011, et compte tenu qu’il n’appréhendait aucun préjudice pour les parties, le Conseil a fait droit à la demande. En conséquence, les journées d’audience ont été annulées et remises sine die.

II – Les faits

[6] Dans la décision RD 588, le Conseil a résumé les faits de l’affaire à l’étude comme suit :

[1] Colispro inc. (également appelée Nationex) est une entreprise de transport interprovincial faisant la livraison de différents types de colis. Elle fait affaire partout au Canada.

[2] Le 7 décembre 2009, le syndicat a présenté une demande d’accréditation afin de représenter une unité de négociation décrite comme suit :

« Tous les voituriers (Brokers) et les chauffeurs, propriétaires ou locataires de leur véhicule, partie à un contrat verbal ou écrit, devant transporter des colis ou enveloppes, ainsi que les chargeurs, de l’établissement de St-Hubert de Nationex-Colispro inc., à l’exclusion des employés visés par l’ordonnance no 8424-U du Conseil canadien des relations industrielles travaillant à l’établissement de St-Hubert. »

[3] Parmi les voituriers visés par cette demande d’accréditation, on retrouve l’entreprise 2645-0858 Québec inc., dirigée par M. Yves Meunier. Dans une décision du 3 mars 2008, Yves Meunier / 2645-0858 Québec inc., 2008 CCRI LD 1770, le Conseil a déterminé que les activités de transport de cette entreprise relèvent de la compétence fédérale et sont assujetties au Code. Le 11 avril 2008, le Conseil a rendu une ordonnance d’accréditation en faveur de Teamsters/Québec, Local 931 (les Teamsters) pour une unité de négociation comprenant tous les chauffeurs, contracteurs dépendants de 2645-0858 Québec inc. (ordonnance no 9444-U).

[4] En réponse à la présente demande d’accréditation, Nationex conteste non seulement le fait qu’elle soit l’employeur des employés visés par la demande mais soulève une objection préliminaire fondée sur l’autorité de la chose jugée au regard de l’entreprise 2645-0858 Québec inc. et de ses chauffeurs.

[5] Nationex soutient que l’ordonnance d’accréditation rendue par le Conseil le 11 avril 2008 bénéficie de l’autorité de la chose jugée pour cette entreprise puisqu’il y aurait identité d’objet, de cause et de parties dans la présente instance.

[7] Le Conseil a fait droit à l’objection préliminaire de l’employeur en s’exprimant dans les termes suivants :

[34] Dans le présent dossier, comme le souligne Nationex dans ses observations, rien dans la preuve ne montre qu’il y a eu de changement juridique ou factuel qui soit survenu depuis l’ordonnance que le Conseil a rendue le 11 avril 2008, au regard des liens entre 2645-0858 Québec inc. et ses chauffeurs, contracteurs dépendants. Aucune preuve à cet égard n’a été présentée par le syndicat.

[35] Il est vrai que le Conseil peut, en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’article 18 du Code, réviser une ordonnance d’accréditation à la lumière de faits nouveaux et de l’évolution du contexte particulier des relations du travail. Cependant, la demande actuelle du syndicat équivaut presque à une demande de rétractation de jugement déposée par un tiers plutôt qu’à une demande de révision. En effet, le syndicat n’était pas une partie au dossier d’accréditation initiale. Il n’est dès lors pas en mesure de se prononcer sur l’état de faits qui a conduit le Conseil à rendre son ordonnance d’accréditation du 11 avril 2008.

[36] Dans sa réplique, le syndicat invoque que le Conseil aurait été en quelque sorte mal renseigné par les parties et il soutient que « lors de l’enquête ayant mené à l’ordonnance 9444-U, les parties ont omis de mettre en preuve l’ensemble des faits pertinents à la détermination de la dépendance économique ». Cependant, lors de sa plaidoirie, le syndicat n’a pas fait valoir l’existence de faits nouveaux qui permettraient au Conseil de justifier le réexamen de sa décision et conclure qu’un nouvel employeur emploie désormais les chauffeurs et contracteurs dépendants de l’entreprise 2645-0858 Québec inc. En 2008, cette entreprise a elle-même déclaré être l’employeur de ces employés. Contrairement au syndicat, cette entreprise était bel et bien l’une des parties au dossier. Cependant, cette entreprise n’a jamais demandé au Conseil de réviser l’ordonnance d’accréditation ayant déterminé son statut d’employeur. C’est d’ailleurs aussi le cas des Teamsters, l’agent négociateur qui était concerné par cette détermination. La position du syndicat devient alors aussi inusitée que celle d’un tiers qui soutiendrait qu’une femme ne pouvait légitimement, quelques années auparavant, affirmer être la mère de son enfant.

[37] Le syndicat n’a pas fait valoir qu’une vente d’entreprise, un transfert d’actifs ou une cessation quelconque d’activités aurait pu faire en sorte que 2645-0858 Québec inc. ne devrait plus être considérée comme l’employeur des employés visés.

...

[39] Le Conseil en vient aux mêmes conclusions dans la présente affaire. Cela est d’autant plus vrai que, dans le cas qui nous occupe, le syndicat n’a jamais été partie au dossier d’accréditation ayant mené le Conseil à rendre l’ordonnance du 11 avril 2008.

...

[41] Le Conseil ne peut certes aujourd’hui modifier ou annuler l’ordonnance d’accréditation qu’il a rendue le 11 avril 2008 à la demande d’un autre syndicat, qui n’était pas partie au dossier de la demande d’accréditation déposée le 26 septembre 2007 et qui se trouve maintenant insatisfait de l’ordonnance rendue.

[42] Pour toutes ces raisons, le Conseil conclut qu’il ne peut réviser l’ordonnance d’accréditation du 11 avril 2008, et déclare que les chauffeurs et contracteurs dépendants de 2645-0858 Québec inc. ne peuvent être visés par la demande d’accréditation déposée par le syndicat en date du 7 décembre 2009, en raison du fait que leur véritable employeur a déjà été déterminé.

(RD 588)

III – Position des parties

A – Le requérant

[8] Le requérant invoque l’existence d’erreurs de droit et de principe dans la décision RD 588 qui vont à l’encontre des interprétations du Code données par le Conseil.

[9] Dans un premier temps, il reproche au Conseil d’avoir commis une erreur de droit en appliquant le principe de l’autorité de la chose jugée à l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008, d’avoir simplement indiqué que ce principe devait être appliqué avec circonspection plutôt que de rejeter cet argument de l’employeur et d’avoir ainsi commis une erreur de droit dans son interprétation de la jurisprudence du Conseil, particulièrement de la décision Bayside Port Employers Association inc., 2004 CCRI 293.

[10] Il soutient également que le Conseil a commis une erreur de droit en appliquant ce principe à la décision du 11 avril 2008, puisqu’il y a absence d’identité des parties.

[11] Relativement à ce premier argument, le requérant soutient que ce principe était inapplicable, puisque le Conseil a fait droit à une demande de révocation de l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008 dans son ordonnance no 10001-U en date du 10 février 2011.

[12] Dans un deuxième temps, le requérant allègue que le Conseil a commis des erreurs de droit et de principe quant à la nature de la demande. Il soutient que le Conseil a analysé sa demande comme une demande en vertu de l’article 18 du Code plutôt qu’une demande d’accréditation en vertu de l’article 24 du Code.

[13] Il estime que le Conseil a commis une erreur de droit en refusant de réexaminer dans le cadre de cette nouvelle demande d’accréditation le statut de l’entreprise 2645-0858 Québec inc. compte tenu de l’ordonnance du 11 avril 2008, d’autant plus que cette ordonnance a été révoquée le 10 février 2011, avant que le Conseil ne rende la décision RD 588 le 4 mai 2011.

[14] Le requérant allègue que, n’étant pas accrédité à titre d’agent négociateur pour représenter aucun des employés visés par la demande, il devait, selon la jurisprudence du Conseil, présenter une demande d’accréditation en vertu de l’article 24 du Code pour pouvoir les représenter (voir CFSK-TV, une division de Canwest Television inc.,2003 CCRI 220). Selon le requérant, une demande en vertu de l’article 18 du Code s’applique au syndicat qui représente déjà le groupe d’employés visés (voir Securicor Canada Limitée, 2004 CCRI 304).

[15] En conséquence, le requérant est d’avis que le Conseil a commis une erreur de droit en accueillant l’objection préliminaire au motif qu’aucun fait nouveau n’a été présenté par le requérant. Il soutient que le Conseil s’est fondé sur cette absence de faits nouveaux pour accueillir l’objection. Il soutient n’avoir jamais nié l’absence de faits nouveaux. Selon le requérant, la présentation d’une demande d’accréditation, particulièrement en période de maraudage, suffit pour que le Conseil examine la nouvelle situation sans être lié par une ordonnance antérieure. Il soutient avoir présenté sa demande d’accréditation pendant la période prévue par le Code, soit plus de 12 mois après l’ordonnance d’accréditation du 11 avril 2008, puisqu’aucune convention collective n’a été conclue entre les deux parties conformément à l’alinéa 24(2)b) du Code. La période de maraudage constitue une période de remise en cause d’une ordonnance d’accréditation.

[16] Il allègue qu’une telle demande, en raison des circonstances particulières, devait être considérée comme une demande de réexamen de l’ordonnance antérieure (CITV SUB inc., 2001 CCRI 134), d’autant plus que cette demande d’accréditation présentée pendant la période de maraudage pour une unité plus importante est suffisante pour que le Conseil l’examine sans être lié par l’ordonnance antérieure.

[17] Il soutient qu’en accueillant l’objection de l’employeur, le Conseil rend l’ordonnance immuable. Selon le requérant, une telle conclusion ne peut que constituer une erreur de droit et de principe remettant véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil.

[18] Le requérant allègue qu’aucune convention collective n’a été signée par suite de l’ordonnance d’accréditation no 9444-U du 11 avril 2008 en raison de la dépendance économique de 2645-0858 Québec inc. à Nationex-Colispro et du contrôle des conditions et de l’exécution du travail par cette dernière. Le Conseil se devait d’annuler ou de modifier cette ordonnance afin de favoriser l’accès à la négociation d’une convention collective aux employés visés par cette demande.

[19] Finalement, le requérant allègue qu’un entrepreneur, bien que constitué en personne morale, peut être reconnu comme étant un entrepreneur dépendant. Cette allégation n’est toutefois pas contestée par l’employeur.

[20] Le requérant n’a pas répliqué aux observations de l’employeur sur la présente demande de réexamen comme il en avait le droit.

B – L’employeur

[21] Dans un premier temps, l’employeur soutient le bien-fondé de la décision RD 588 en faisant l’analyse du processus décisionnel suivi par le Conseil. À cet effet, il allègue que le Conseil a expliqué les circonstances dans lesquelles 2645-0858 Québec inc. a été reconnue comme employeur des employés que le requérant veut maintenant représenter en se reportant à l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008 et à la décision du Conseil ayant conduit à la délivrance de cette ordonnance, soit Yves Meunier / 2645-0858 Québec inc., 2008 CCRI LD 1770.

[22] Il souligne que le Conseil a fait un résumé exact des faits qui lui ont été présentés pendant les six jours d’audience. Selon l’employeur, au moment de la présentation de la demande d’accréditation le 7 décembre 2009, l’un des voituriers en cause, soit 2645-0858 Québec inc., était un employeur reconnu dans l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008, et ce, après que le Conseil ait eu à déterminer quelle entreprise entre Nationex-Colispro et 2645-0858 Québec inc. était le véritable employeur des salariés de cette dernière. D’où l’objection préliminaire soulevée par l’employeur dans le cadre de la demande d’accréditation du 7 décembre 2009.

[23] L’employeur renvoie à la position du requérant exposée dans son argumentation écrite dans le dossier no 27855-C, lequel a toujours soutenu que sa demande d’accréditation devait être analysée comme une demande de réexamen de l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008. À plusieurs occasions, tant le Conseil que l’employeur ont invité le requérant à exposer les changements qui seraient survenus depuis cette ordonnance et qui pourraient justifier le fait que 2645-0858 Québec inc. ne devrait pas être l’employeur de ses employés.

[24] Selon l’employeur, aucune preuve n’a été présentée au Conseil pendant les six jours d’audience voulant qu’un changement quelconque soit survenu depuis l’ordonnance no 9444-U. Il renvoie de plus à la demande de réexamen du requérant dans laquelle ce dernier confirme l’absence de faits nouveaux.

[25] Il soutient que le Conseil a donné toutes les occasions et toute la latitude au requérant pour démontrer qu’il y a eu des modifications qui pourraient justifier le réexamen de l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008 et que ce dernier n’a rien fait en conséquence.

[26] Selon l’employeur, le seul fait que l’ordonnance no 9444-U ait été révoquée le 10 février 2011 ne modifie en rien le bien-fondé de celle-ci le jour de la présentation de la demande d’accréditation, soit le 7 décembre 2009, et le maintien continu de ce bien-fondé vu l’absence de faits nouveaux.

[27] Dans un deuxième temps, l’employeur analyse les reproches formulés par le requérant à l’encontre de la décision du Conseil afin de démontrer tant leur inexactitude que l’absence de leur fondement. En renvoyant à la décision Ted Kies, 2008 CCRI 413, il rappelle qu’une partie qui demande un réexamen en invoquant une erreur de droit ou de principe a le lourd fardeau de démontrer le bien-fondé de ses prétentions.

[28] L’employeur réfute l’argument du requérant selon lequel le Conseil n’a pas tenu compte de la nature de sa demande et qu’il l’a analysée comme une demande en vertu de l’article 18 du Code plutôt qu’une demande en vertu de l’article 24 du Code, en renvoyant aux passages pertinents de la décision RD 588. En renvoyant particulièrement à un passage de l’argumentation écrit du requérant du 20 août 2010 dans le dossier no 27855-C, l’employeur mentionne que le Conseil rappelle dans sa décision qu’il s’agit effectivement d’une demande d’accréditation que le syndicat lui demande de traiter également comme une demande de réexamen de l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008.

[29] L’employeur soutient que, dans sa demande de réexamen, le requérant modifie son argumentation en alléguant cette fois que sa demande ne constitue pas une demande de réexamen en vertu de l’article 18 du Code mais plutôt une demande d’accréditation en vertu de l’alinéa 24(2)b), et qu’il change ainsi sa position dans la présente demande de réexamen. Selon l’employeur, le Conseil a bien compris et analysé que la demande d’accréditation présentée par le requérant en vertu de l’article 24 du Code constituait implicitement une demande de réexamen de l’ordonnance antérieure, et ce, peu importe le titre initial du véhicule procédural utilisé.

[30] Il allègue qu’il est faux de soutenir que le Conseil, en rendant sa décision, rend immuable l’ordonnance. Le Conseil a donné au requérant la possibilité de faire réexaminer cette ordonnance antérieure, mais à la condition qu’une preuve justifiant cette intervention lui soit démontrée. Aucune preuve à cet effet n’a été présentée au Conseil et rien dans la demande de réexamen ne fait référence à quelque preuve que ce soit pouvant justifier la décision du Conseil de modifier ou d’annuler l’ordonnance antérieure.

[31] L’employeur soutient que le banc de révision ne peut prendre en considération l’argument du requérant selon lequel aucune convention collective n’a pu être conclue avec Teamsters/Québec, Local 931 (les Teamsters) en raison d’une dépendance économique de 2645-0858 Québec inc. à Nationex/Colispro et du contrôle des conditions et de l’exécution du travail par cette dernière. L’employeur allègue qu’absolument aucune preuve n’a été présentée devant le Conseil sur les motifs pour lesquels aucune convention collective n’a été conclue avec les Teamsters. Cette prétention n’est qu’une hypothèse du requérant, qui n’avait pas à être prise en considération par le Conseil dans la décision RD 588 ni par le banc de révision.

[32] Finalement, l’employeur soutient que le Conseil n’a pas commis d’erreur de droit concernant le principe de l’autorité de la chose jugée, compte tenu de l’article 18 du Code qui lui permet de réexaminer, d’annuler ou de modifier ses décisions et qu’il lui fallait appliquer ce principe avec circonspection. Le Conseil était disposé à réexaminer l’ordonnance no 9444-U mais il a été dans l’impossibilité de le faire parce qu’aucune preuve ni motif n’a été présenté pouvant justifier une telle décision dans les circontances de cette affaire et ce, malgré les six jours d’audience. Le Conseil n’a donc pas eu besoin de prendre une position formelle sur l’argument du principe de l’autorité de la chose jugée, d’autant plus qu’il y avait absence de preuve de faits nouveaux qui lui auraient permis de changer l’état du droit établi entre deux entreprises à l’égard du statut d’employeur de l’un de ceux-ci.

IV – Analyse et décision

A – Le droit applicable

[33] L’article 18 du Code confère au Conseil le pouvoir de réexaminer ses décisions. Cet article prévoit que :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[34] De plus, le paragraphe 22(1) du Code prévoit que les décisions du Conseil sont définitives. Il stipule en effet que :

22.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur les Cours fédérales et dans le cadre de cette loi.

[35] En ce qui concerne l’article 22, la décision du Conseil dans Ted Kies, précitée, précise ce qui suit :

[5] L’article 22 énonce un important objectif en matière de relations de travail; il assure le caractère définitif des décisions rendues par le Conseil. De même, le réexamen effectué sous le régime de l’article 18 constitue l’exception plutôt que la règle, ainsi qu’il est indiqué dans 591992BC Ltd., 2001 CCRI 140 :

« [20] Le Conseil accorde une grande importance au caractère définitif de ses décisions. Ainsi le renversement d’une décision du banc initial demeure l’exception plutôt que la règle. Il incombe au demandeur, qui a le fardeau de la preuve, de démontrer qu’il existe de sérieuses raisons, voire des circonstances exceptionnelles, qui justifieraient le réexamen d’une décision. ... »

[36] Le Conseil a mentionné à plusieurs reprises que son pouvoir de réexamen en vertu de l’article 18 du Code ne peut constituer un processus d’appel de la décision du banc saisi de la demande initiale. Le rôle d’un banc de révision n’est pas de réexaminer la preuve présentée au banc saisi de l’affaire initiale (Professional Personnel Ltd., 2002 CCRI 191; Robert Adams, 2001 CCRI 121; et Rogers Cablesystems Limited, 1999 CCRI 32). Il est établi qu’une divergence d’interprétation du droit ou des principes invoqués ne donne pas ouverture à un réexamen. Un banc de révision doit constater la présence d’une erreur de droit ou de principe qui remet véritablement en question l’interprétation du Code pour justifier une intervention (Transport Besner Inc., 2005 CCRI 329).

[37] Un requérant ne peut plaider de nouveau les mêmes questions devant un banc différent ou contester les questions et les faits tranchés par le banc saisi de l’affaire initiale. À cet effet, le Conseil a clairement indiqué dans TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363 que :

[46] Comme l’article 22 du Code précise que les décisions du Conseil sont définitives, ses pouvoirs en matière de réexamen sont limités et ne sont pas censés constituer un processus permettant d’en appeler d’une décision, de plaider à nouveau les mêmes questions devant un banc différent ou de contester les questions et faits tranchés par le banc initial. Par conséquent, l’annulation de la décision d’un banc initial demeure l’exception plutôt que la règle. Il incombe au requérant d’établir l’existence de motifs valables ou de circontances exceptionnelles justifiant le réexamen d’une décision.

[38] Les motifs qui peuvent être invoqués à l’appui d’une demande de réexamen sont énoncés à l’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), qui se lit comme suit :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code comprennent les suivantes :

  1. la survenance de faits nouveaux qui, s’ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un réexamen, l’auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;
  2. la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil;
  3. le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle;
  4. toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3.

[39] La Cour d’appel fédérale a confirmé que la liste des motifs énoncés à cet article n’est pas exhaustive et ne touche pas la portée du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 18 du Code (voir ADM Agri-Industries Ltée c. Syndicat National des Employés de Les Moulins Maple Leaf (de l’Est), 2004 CAF 69; Société des Arrimeurs de Québec c. Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 3810, 2008 CAF 237; et Syndicat des débardeurs du port de Québec c. Société des arrimeurs de Québec inc., 2011 CAF 17).

[40] L’alinéa 28c) du Code précise que c’est à la date de la présentation de la demande d’accréditation, ou à celle que le Conseil juge indiquée, que le syndicat doit avoir l’appui de la majorité des employés de l’unité pour être accrédité. Cet article se lit comme suit :

28. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat lorsque les conditions suivantes sont remplies :

...

c) il est convaincu qu’à la date du dépôt de la demande, ou à celle qu’il estime indiquée, la majorité des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

[41] Dans Ted Kies, précitée, le Conseil a précisé que si une partie demande un réexamen d’une décision en invoquant une erreur de droit ou de principe, elle a le lourd fardeau de démontrer le bien-fondé de ses prétentions :

[16] Le banc de révision peut intervenir si une erreur de droit ou de principe a été commise dans la décision initiale et que cette erreur remet véritablement en question l’interprétation du Code.

[17] Aux termes de l’article 45 du Règlement, l’auteur de la demande doit énoncer, avec des arguments à l’appui, non seulement l’erreur de droit ou de principe exacte dont il allègue l’existence, mais également la raison pour laquelle cette erreur remet véritablement en question l’interprétation donnée au Code par le banc initial. Selon ce critère à deux volets, une erreur de droit ou de principe n’entraînera pas nécessairement l’annulation de la décision du banc initial à l’issue d’une demande de réexamen.

[42] Le Conseil a également indiqué à plusieurs reprises qu’une partie qui présente une demande de réexamen ne peut ni invoquer des faits qu’elle n’a pas plaidés initialement ni soulever de nouveaux arguments juridiques qu’elle aurait pu soulever au banc saisi de l’affaire initiale. Dans Ted Kies, précitée, le Conseil mentionne à cet effet que :

[18] L’allégation d’une erreur de droit vise uniquement les arguments juridiques qui ont été présentés au banc initial. Une partie ne peut habituellement invoquer des faits qu’elle n’a pas plaidés initialement, pas plus qu’elle ne peut, dans le cadre d’un réexamen, soulever de nouveaux arguments juridiques qu’elle aurait pu présenter au banc initial (voir Bell Canada (1979), 30 di 112; et [1979] 2 Can LRBR 435 (CCRT no 192)). Le Conseil peut faire preuve de plus de souplesse sur cette question lorsqu’il doit se pencher sur des questions relatives à sa compétence constitutionnelle à l’égard des parties.

B – Décision

[43] Après analyse des observations des parties, le Conseil en vient à la conclusion de rejeter la demande de réexamen en l’espèce. À l’invitation des parties et à la suite des renvois qu’elles ont faits, le Conseil a également pris connaissance des observations écrites déposées dans le dossier no 27855-C au soutien de la demande d’accréditation et de celles relatives à sa contestation par l’employeur.

[44] Le Conseil constate que le banc saisi de l’affaire initiale n’a pas commis d’erreur de droit ou de principe qui remet véritablement en question l’interprétation du Code en décidant de faire droit à l’objection préliminaire soulevée par l’employeur et en constatant l’absence de preuve de faits nouveaux ou de tout changement concernant l’employeur 2645-0858 Québec inc.

[45] Le Conseil constate que le requérant a présenté une demande d’accréditation le 7 décembre 2009 à titre d’agent négociateur d’une unité comprenant :

Tous les voituriers (Brokers) et les chauffeurs, propriétaires ou locataires de leur véhicule, partie à un contrat verbal ou écrit, devant transporter des colis ou enveloppes, ainsi que les chargeurs, de l’établissement de St-Hubert de Nationex-Colispro inc., à l’exclusion des employés visés par l’ordonnance no 8424-U du Conseil canadien des relations industrielles travaillant à l’établissement de St-Hubert.

[46] L’employeur a, à bon escient, soulevé le fait que l’un des voituriers visés, soit 2645-0858 Québec inc., à l’égard desquels le requérant demande l’accréditation, est déjà reconnu par le Conseil comme étant un employeur, et ce, par suite de l’ordonnance d’accréditation rendue le 11 avril 2008 (no 9444-U). En effet, dans une décision rendue le 3 mars 2008, le Conseil, à la suite d’une admission faite par 2645-0858 Québec inc., a décidé que cette entreprise était l’employeur des chauffeurs que l’agent négociateur Teamsters/ Québec, local 931, voulait représenter (Yves Meunier / 2645-0858 Québec inc., précitée). Cette ordonnance et cette décision n’ont pas été contestées et aucune demande de réexamen n’avait été présentée pour les remettre en question ni pour les faire modifier à la date de la présentation de la demande d’accréditation du requérant le 7 décembre 2009.

[47] L’employeur a soulevé son objection préliminaire en invoquant le principe de l’autorité de la chose jugée. Le Conseil n’a pas commis d’erreur de droit concernant ce principe lorsqu’il a mentionné que : « l’autorité de la chose jugée devait être appliquée avec circonspection » (RD 588, paragraphe 22), étant donné le pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code et l’évolution constante des relations du travail. Le Conseil a fait référence à la décision Bayside Port Employers Association inc., précitée, et son interprétation n’est pas erronée.

[48] Ce que le Conseil retient à propos de l’argument soulevé par l’employeur, c’est que ce n’est pas tant en raison de ce principe juridique que le banc saisi de l’affaire initiale a fait droit à l’objection, mais bien plus en raison du fait qu’aucune preuve de changements ne lui a été présentée quant à l’ordonnance d’accréditation no 9444-U et au statut d’employeur de 2645-0858 Québec inc. Si une telle preuve avait été présentée, le Conseil y aurait porté attention, car il était disposé à analyser de nouveau la situation, mais ses conclusions sont claires. Le Conseil n’a pu le faire vu l’absence totale de preuve de changements ou de faits nouveaux concernant cet employeur.

[49] Le banc de révision a pris acte de l’admission du requérant de l’absence de preuve de faits nouveaux. Le Conseil constate à cet effet que le banc saisi de l’affaire initiale a entendu une preuve pendant six jours et qu’il a consacré une journée spéciale aux procureurs, soit le 17 mars 2011, pour leur permettre de présenter leur arguments sur l’objection préliminaire. Une lecture attentive des conclusions du banc saisi de l’affaire initiale démontre clairement que le requérant n’a présenté absolument aucune preuve de faits nouveaux ou de changements, à la date de la présentation de sa demande d’accréditation, soit le 7 décembre 2009, qui justifieraient l’annulation ou la modification de l’ordonnance no 9444-U du 11 avril 2008.

[50] Tel que l’a demandé le requérant, le banc saisi de l’affaire initiale a bel et bien analysé sa demande d’accréditation présentée en vertu de l’article 24 du Code en tenant compte de son pouvoir de réviser l’ordonnance no 9444-U en vertu de l’article 18 du Code. Dans ses observations écrites du 20 août 2010 au soutien de sa demande d’accréditation, le requérant a bien indiqué que sa demande doit être examinée également comme une demande de réexamen de l’ordonnance no 9444-U en vertu de l’article 18 du Code. C’est précisément ce que le Conseil a fait dans sa décision. Malheureusement pour lui, le requérant n’a présenté aucune preuve pendant les six jours d’audience pouvant démontrer quelque changement ou fait nouveau que ce soit à l’égard du statut d’employeur de 2645-0858 Québec inc.

[51] Dans sa demande de réexamen, le requérant soutient un nouvel argument qui n’a pas été plaidé devant le banc saisi de l’affaire initiale. Il allègue que sa demande d’accréditation aurait dû être analysée sous l’angle d’une demande présentée pendant une période de maraudage permise en vertu de l’alinéa 24(2)b) du Code, soit après l’expiration des douze mois qui suivent la date d’accréditation de l’agent négociateur, Teamsters/Québec, Local 931, soit le 11 avril 2008, et sans qu’une convention collective ne soit signée avec l’employeur.

[52] Tel qu’il a été mentionné précédemment, un requérant ne peut plaider en réexamen un argument juridique qu’il n’a pas soutenu devant le banc saisi de l’affaire initiale. Afin de bien clarifier la situation, si tant est que le Conseil tienne compte de cet argument, celui-ci n’aurait pas été retenu, car la question de l’employeur désigné dans l’ordonnance no 9444-U, soit 2645-0858 Québec inc., demeurait la même. Ce n’est pas parce que le requérant désire représenter une unité de négociation composée d’un plus grand nombre d’employés, dans laquelle sont inclus les employés de 2645-0858 Québec inc., qu’il peut prétendre faire annuler l’ordonnance no 9444-U sous prétexte que sa demande d’accréditation est présentée en vertu de l’alinéa 24(2)b). La question de l’employeur désigné dans cette ordonnance demeure la même. La demande du requérant ne visait pas le groupe précis d’employés décrit dans l’ordonnance no 9444-U, mais plutôt un groupe d’employés plus nombreux qui étaient inclus dans l’unité proposée, et surtout qui travaillaient pour un autre employeur, soit Colispro inc. La vraie raison pour laquelle le Conseil a rejeté la demande du requérant, c’est qu’il ne lui a pas été présenté de preuve qui lui aurait permis de modifier ou d’annuler l’ordonnance no 9444-U. De plus, aucune preuve n’a été présentée au Conseil concernant les motifs pour lesquels aucune convention collective n’a été conclue avec Teamsters/Québec, Local 931.

[53] Il reste évidemment à trancher la question de la révocation de l’ordonnance no 9444-U accordée par le Conseil dans l’ordonnance no 10001-U du 10 février 2011. Le Conseil a reçu, le 28 juillet 2010, une demande de révocation de l’ordonnance no 9444-U présentée par un employé de 2645-0858 Québec inc., lequel soutenait que la majorité des employés membres de l’unité de négociation ne voulait plus être représentée par Teamsters/Québec, Local 931. Conformément à l’alinéa 28(c) du Code, le Conseil se devait d’analyser la demande d’accréditation du requérant à la date de la présentation de cette demande, soit le 7 décembre 2009, et non pas à la date de la présentation de la demande de révocation, soit le 28 juillet 2010, ni à celle du 10 février 2011, date de l’ordonnance de révocation no 10001-U. Toute la preuve administrée l’a été en fonction de la situation des parties au 7 décembre 2009, et d’avoir agi autrement aurait été une erreur de droit commise par le banc saisi de l’affaire initiale qui ne pouvait adjuger au-delà de la preuve présentée. Il est vrai que la décision sur l’objection préliminaire a été rendue le 4 mai 2011, soit après que l’ordonnance de révocation no 10001-U eut été rendue, mais cette situation ne change absolument rien quant à la date où le Conseil devait examiner la situation des parties, soit le 7 décembre 2009, et ce, vu l’absence de preuve de changements ou de faits nouveaux.

[54] En l’espèce, le Conseil conclut qu’aucune erreur de droit ou de principe remettant véritablement en question l’interprétation du Code n’a été démontrée par le requérant à l’égard de la décision RD 588. Bien au contraire, c’est avec la plus grande circonspection que le banc saisi de l’affaire initiale a analysé l’argument de l’employeur concernant l’autorité de la chose jugée et il a fondé sa décision d’accueillir l’objection préliminaire sur l’absence de preuve par le requérant de changements ou de faits nouveaux concernant l’employeur 2645-0858 Québec inc. au 7 décembre 2009.

V – Conclusion

[55] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de réexamen du requérant est rejetée.

[56] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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