Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

George Court,
plaignant,
et
John Grant Haulage ltée,
intimée.

Dossier du Conseil : 27121-C
Référence neutre : 2010 CCRI 498
Le 10 mars 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (le Code), a examiné la plainte susmentionnée.

Une audience a été tenue à Toronto (Ontario) les 14 et 15 juillet 2009.

Ont comparu

M. George Court, en son propre nom;
Me Harvey Capp, c.r., pour John Grant Haulage ltée.

I – Aperçu

[1] Le 24 octobre 2008, le Conseil a reçu de M. George Court une plainte fondée sur le paragraphe 133(1) de la partie II du Code.

[2] M. Court allègue que son employeur, John Grant Haulage ltée (JGH), l’a congédié parce qu’il a refusé d’effectuer du travail dangereux, ce qui constituerait une violation de l’article 147 du Code.

[3] M. Court allègue que JGH l’a suspendu et renvoyé chez lui le 11 juillet 2008 au lieu de mener l’enquête de sécurité exigée par l’article 128 du Code.

[4] M. Court soutient aussi que, lorsqu’il a été congédié le 28 juillet 2008, JGH a refusé de lui fournir une lettre de congédiement et s’est contentée de lui lire le contenu de cette lettre. Selon M. Court, cela constitue une violation du paragraphe 147.1(2) du Code.

[5] JGH soutient qu’elle a suspendu puis congédié M. Court parce qu’il a refusé de conduire son camion gros porteur le 11 juillet 2008 et qu’il a, selon JGH, falsifié des documents pour étayer ses allégations de conditions de travail dangereuses.

[6] L’agent négociateur qui représente M. Court, la section locale 879 de la Fraternité internationale des Teamsters (les Teamsters), a d’abord été informé de la plainte de M. Court. M. Court a aussi déposé auprès du Conseil une plainte de manquement au devoir de représentation juste contre les Teamsters relativement aux nombreux griefs qu’il a présentés à l’encontre de JGH.

[7] Lorsque M. Court s’est opposé à toute participation des Teamsters dans la présente plainte, les procureurs des Teamsters ont avisé le Conseil qu’ils ne participeraient plus à l’instance.

[8] À l’audience, JGH a soutenu que M. Court n’avait pas de « motifs raisonnables », au sens de l’article 128 du Code, de croire qu’il existait un danger et que, par ailleurs, il avait choisi de régler l’affaire en vertu de sa convention collective. M. Court avait présenté un grief le 11 juillet 2008. Les Teamsters ont retiré ce grief le 28 juillet 2008, le même jour où JGH a officiellement congédié M. Court.

[9] Le Conseil conclut que JGH a enfreint le Code lorsqu’elle a pris des mesures disciplinaires à l’encontre de M. Court. Les présents motifs expliquent la décision du Conseil.

II – Faits

[10] JGH est un transporteur de marchandises sèches en vrac, notamment du ciment et des résines. JGH est propriétaire de ses propres camions et semi-remorques et elle emploie environ 85 chauffeurs.

[11] JGH a une relation de négociation collective avec les Teamsters.

[12] Le Code de la route de l’Ontario, L.R.O. 1990, c H.8, exige que les chauffeurs tiennent ce qu’on appelle un carnet de route. Le chauffeur doit y inscrire les heures où : i) il est en repos, ii) il est en service mais ne conduit pas, iii) il conduit. Le carnet de route indique les endroits où les livraisons sont faites, les périodes où le chauffeur et le véhicule se trouvent dans le dépôt de JGH et tous les retards qui peuvent se produire sur les lieux.

[13] Le chauffeur doit aussi inscrire dans le carnet de route tout problème d’entretien relatif au camion ou à la semi-remorque.

[14] Les chauffeurs doivent aussi remplir un document distinct intitulé le Rapport quotidien d’inspection du véhicule (le rapport d’inspection). Ce document est constitué de trois pages identiques : la première page, blanche, est donnée à JGH, la deuxième est donnée au chauffeur et la troisième est insérée dans un carnet d’inspection conservé dans le camion.

[15] Comme le rapport d’inspection est imprimé sur du papier autocopiant, les renseignements inscrits sur la première page sont reproduits automatiquement sur les deuxième et troisième pages.

[16] À la fin de son quart de travail, le chauffeur doit apporter la première page du rapport d’inspection au bureau du service d’entretien de JGH pour que ce service puisse décider s’il est nécessaire d’effectuer des travaux sur le camion ou sur la semi-remorque.

[17] Le chauffeur inspecte son véhicule avant et après chaque trajet et, au besoin, il inscrit des commentaires dans le rapport d’inspection. Des renseignements semblables peuvent aussi être inscrits dans le carnet de route.

[18] JGH a embauché M. Court le 5 février 2008. Avant son embauche, il travaillait comme chauffeur de camion gros porteur depuis environ huit ans.

[19] La période probatoire de M. Court prévue à la convention collective a pris fin en mars 2008.

[20] Le 10 juillet 2008, M. Court a conduit le camion 1316 et utilisé la semi-remorque 851.

[21] Dans l’entrée du 10 juillet 2008 de son carnet de route, M. Court a signalé des problèmes d’essuie-glaces pour le camion et de clignotants pour la semi-remorque. Il a aussi noté que la carte du contrôlographe ne fonctionnait pas. Le carnet de route ne comportait aucune mention de problèmes avec le climatiseur ou l’indicateur de vitesse du camion.

[22] M. Court a aussi rempli le rapport d’inspection. Les parties conviennent que la première entrée indique que « les essuie-glaces ne nettoient pas le pare-brise » (traduction). Deux lignes plus loin, la deuxième entrée indique que « les clignotants de la semi-remorque ne fonctionnaient plus après le trajet » (traduction).

[23] Selon la documentation présentée par JGH, et comme l’a confirmé son directeur de l’entretien, M. Horace Ellens, les essuie-glaces du camion 1316 avaient été réparés le 10 juillet 2008.

[24] Le principal point en litige entre M. Court et JGH est de savoir si, dans l’avant-midi du 11 juillet 2008, M. Court a ajouté subrepticement des entrées au rapport d’inspection du 10 juillet 2008.

[25] Les témoignages portant sur les événements du 11 juillet 2008 sont inconciliables. Il est impossible que la version des faits des témoins de JGH et celle de M. Court soient toutes deux vraies. Il ne s’agit pas simplement d’interprétations divergentes des mêmes événements.

[26] Au contraire, il faut que le Conseil décide laquelle de ces versions des faits correspond fidèlement aux événements du 11 juillet 2008.

A – Version des faits de JGH quant aux événements du 11 juillet 2008

[27] Le directeur général de JGH, M. Ralph Shepley, a témoigné que, le matin du 11 juillet 2008, un répartiteur l’avait informé que M. Court avait refusé de conduire le camion 1316. M. Shepley avait alors ordonné à M. Court de faire une inspection avant-départ du véhicule et de se mettre au travail. M. Shepley a témoigné avoir dit à M. Court qu’un refus de travailler constituerait un motif de congédiement. M. Court aurait répondu à M. Shepley qu’il ne pouvait pas le forcer à « travailler dans des conditions dangereuses » (traduction) et que le climatiseur et l’indicateur de vitesse du camion 1316 ne fonctionnaient pas la veille.

[28] M. Shepley a témoigné que M. Court avait refusé de faire une inspection avant-départ du véhicule, ce qui aurait permis de vérifier si le climatiseur et l’indicateur de vitesse fonctionnaient.

[29] Après que M. Court eut dit qu’il avait noté les problèmes de climatiseur et d’indicateur de vitesse dans son rapport d’inspection la veille, M. Shepley a demandé à M. Court d’aller chercher le carnet d’inspection dans le camion 1316. L’une des trois copies du rapport d’inspection du 10 juillet devait se trouver dans ce carnet.

[30] M. Shepley a témoigné que M. Court avait tardé à revenir avec le carnet d’inspection. Il a dit que le rapport d’inspection du 10 juillet contenu dans ce carnet avait été modifié. Lorsque M. Shepley a demandé ce qui s’était passé à M. Ellens, le directeur de l’entretien, ce dernier l’a informé que M. Court était venu dans son bureau, avait pris la première page du rapport d’inspection (la copie de JGH), était sorti de son bureau pendant quelques minutes et y était revenu avec la première page du rapport. M. Ellens a témoigné avoir remarqué que des entrées avaient été ajoutées à la première page du rapport d’inspection. Tout de suite après que M. Court eut quitté son bureau le 11 juillet 2008, M. Ellens a ajouté une note manuscrite pour préciser que sa copie du rapport d’inspection avait été modifiée.

[31] Des caméras vidéo installées dans les locaux de JGH ont filmé M. Court en train de se rendre au bureau de M. Ellens, d’en sortir avec certains documents et d’y retourner après quelques minutes.

[32] Selon M. Shepley, la seule façon d’expliquer pourquoi M. Court est allé chercher la première copie du rapport d’inspection est qu’il voulait s’assurer que les trois copies incluaient les mêmes renseignements modifiés. Par contre, la copie de M. Ellens était la seule à porter sa note manuscrite parce qu’il ne disposait pas des deuxième et troisième pages du rapport d’inspection du 10 juillet.

[33] M. Shepley a ensuite convoqué M. Geoff Seaton, le délégué syndical en chef des Teamsters, pour l’informer des événements. M. Shepley a aussi averti M. Seaton des conséquences qu’aurait la décision de M. Court de ne pas obtempérer lorsqu’on lui avait ordonné de se mettre au travail. Après avoir parlé à M. Seaton et au propriétaire de JGH, M. Shepley a décidé de suspendre M. Court en attendant la conclusion d’une enquête. M. Seaton a immédiatement escorté M. Court à l’extérieur de la propriété. JGH a aussi fourni aux Teamsters un « rapport d’incident concernant un employé » (traduction) au sujet de M. Court. M. Seaton a signé ce document et en a accusé réception.

[34] Avant de quitter les locaux de JGH le 11 juillet 2008, M. Court a présenté un grief dans lequel il a notamment fait les allégations suivantes :

Je crois que l’employeur me traite injustement et me harcèle parce qu’il refuse de me fournir un camion climatisé, comme le prévoit notre convention collective. Il veut me forcer à conduire le camion 1316, qui n’est pas climatisé et dont l’indicateur de vitesse ne fonctionne pas. J’aimerais que l’employeur arrête de me harceler et d’essayer de me forcer à conduire ce camion. Tous les autres chauffeurs ont droit à des camions climatisés.

(traduction; souligné dans l’original)

[35] L’article 17.8 de la convention collective fait bel et bien mention de la climatisation des camions de JGH, mais les parties n’interprètent pas cet article de la même façon. Tout compte fait, l’interprétation de l’article 17.8 de la convention n’est pas pertinente relativement à la présente plainte en matière de sécurité.

[36] M. Shepley a témoigné que les essuie-glaces du camion 1316 avaient été réparés en raison de la note que M. Court avait inscrite dans le rapport d’inspection du 10 juillet 2008. M. Shepley a aussi expliqué qu’un autre employé avait examiné le camion 1316 plus tard dans la journée et qu’il avait conclu que la climatisation et l’indicateur de vitesse fonctionnaient bien.

[37] M. Shepley a déclaré que, si, comme l’a prétendu M. Court pendant son témoignage, l’indicateur de vitesse avait cessé de fonctionner au milieu de la journée le 10 juillet, alors rien n’aurait empêché M. Court de l’inscrire dans le rapport d’inspection et le carnet de route. Selon M. Shepley, lorsque M. Court avait prétendument découvert la défaillance de l’indicateur de vitesse, il était de retour dans les locaux de JGH et aurait facilement pu soulever la question en personne.

[38] En contre-interrogatoire, M. Shepley n’a pas nié avoir averti M. Court deux fois que, s’il continuait à refuser de travailler, il allait être congédié.

[39] M. Ellens a expliqué pourquoi il avait signé et daté la première page du rapport d’inspection du 10 juillet 2008 après que M. Court l’eût emportée hors de son bureau pendant un certain temps. Selon M. Ellens, M. Court avait un air « penaud » lorsqu’il avait rapporté le document en question. M. Ellens a dit qu’il avait remarqué immédiatement que le document comportait de nouvelles notes écrites au sujet de la climatisation et de l’indicateur de vitesse.

B – Version des faits de M. Court quant aux événements du 11 juillet 2008

[40] M. Court a allégué que M. Shepley lui avait dit de prendre le camion 1316 et de commencer sa livraison quotidienne sans faire la moindre inspection avant-départ. M. Court aurait alors dit à M. Shepley qu’il invoquait son droit de refus de travailler en cas de danger et qu’il voulait utiliser un autre camion.

[41] M. Court a témoigné que le 10 juillet était une journée chaude, que la climatisation du camion 1316 ne fonctionnait pas et que le système de ventilation soufflait de l’air chaud sur lui pendant qu’il conduisait. Il a dit qu’il avait extrêmement chaud et se sentait déshydraté. M. Court a témoigné qu’il s’était presque endormi au volant. Une fois de retour chez lui, il avait découvert qu’il avait des rougeurs au dos. Il avait donc décidé de ne plus conduire le camion 1316. M. Court a en outre déclaré que, vers le milieu de la journée du 10 juillet, l’indicateur de vitesse de son camion avait cessé de fonctionner. À la fin de son quart de travail, M. Court a rempli son carnet de route et le rapport d’inspection.

[42] M. Shepley avait demandé à M. Court d’aller chercher le carnet d’inspection dans le camion 1316. Comme il arrive parfois que certaines pages des rapports d’inspection soient illisibles, M. Court est aussi allé chercher la première page du rapport d’inspection, laquelle se trouvait dans le bureau de M. Ellens. M. Court s’est assuré que les trois pages du rapport étaient identiques et que tout ce qui avait été inscrit sur la première page avait bel et bien été reproduit sur la troisième page, celle qui était insérée dans le carnet d’inspection.

[43] M. Court a témoigné que M. Shepley l’avait envoyé attendre dans la salle à manger pendant que M. Seaton, le délégué syndical en chef des Teamsters, rencontrait l’employeur. M. Shepley a ensuite avisé M. Court qu’il allait être suspendu jusqu’à la conclusion d’une enquête. Selon M. Court, personne ne l’a informé de ses droits relativement à un refus de travailler dans des conditions dangereuses. Il a aussi allégué que la question de la falsification de documents n’avait pas été soulevée le 11 juillet 2008, et qu’il en avait seulement eu connaissance lorsque l’employeur avait contesté sa demande d’assurance-emploi.

[44] Lors de son contre-interrogatoire, M. Court a reconnu qu’il n’avait pas fait d’inspection avant-départ ou examiné le camion 1316 pour vérifier si ses préoccupations en matière de sécurité étaient fondées. Selon lui, comme le camion 1316 se trouvait encore là où il l’avait laissé le 10 juillet, rien n’avait été fait pour répondre à ses préoccupations de la veille.

[45] Lorsqu’il a été contre-interrogé, M. Court a dit qu’il ne se souvenait pas à quelle heure, le 10 juillet 2008, il avait remarqué que la climatisation ne fonctionnait pas. Par contre, il se souvenait que l’indicateur de vitesse ne fonctionnait pas quand il avait terminé sa première livraison de la journée le 10 juillet 2008, vers midi.

[46] Lors de son contre-interrogatoire, M. Court a expliqué l’emplacement des diverses entrées qu’il avait faites dans le rapport d’inspection portant sur le camion 1316. La note au sujet des essuie-glaces se trouvait au haut du rapport d’inspection, alors que celles qui avaient trait à la climatisation et à l’indicateur de vitesse se trouvaient tout en bas de la page. Les commentaires portant sur la semi-remorque 851 se trouvaient entre les deux. M. Court a avancé que l’emplacement de ces entrées pouvait être attribuable au fait qu’il avait rempli le document de bas en haut.

[47] Le 16 juillet 2008, M. Court a déposé une plainte fondée sur la partie II du Code auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada. C’est M. Court qui avait d’abord communiqué avec l’agent de santé et de sécurité.

[48] Le 28 juillet 2008, JGH et les Teamsters se sont rencontrés pour faire passer à la deuxième étape le grief présenté le 11 juillet par M. Court. Lors de cette réunion, JGH a avisé M. Court qu’elle avait décidé de le congédier. Il semble que JGH ait lu à M. Court les motifs de son congédiement, mais qu’elle ne lui ait pas fourni de lettre de congédiement. À l’audience, M. Shepley a témoigné que JGH avait pour politique de ne pas fournir de lettres de congédiement.

[49] Il semble qu’après avoir discuté avec un agent de santé et de sécurité, le comité mixte de santé et de sécurité de JGH s’est réuni le 31 juillet 2008 et a conclu que M. Court ne faisait pas face à une situation dangereuse lorsqu’il avait refusé de travailler. Selon l’exposé des faits de M. Shepley, qui a été reproduit dans le procès-verbal de la réunion du comité mixte, le fait d’exiger une inspection avant-départ ne constituait pas une procédure dangereuse.

[50] Un agent de santé et de sécurité a finalement rencontré JGH. Cette dernière a alors signé une promesse de conformité volontaire (PCV), dans laquelle elle a notamment pris l’engagement suivant : « L’employeur doit veiller à ce que le processus relatif au droit de refus de travailler en cas de danger soit suivi conformément aux paragraphes (1) à (14). » (traduction).

[51] M. Court a déposé sa plainte fondée sur la partie II du Code auprès du Conseil le 24 octobre 2008, c’est-à-dire dans les 90 jours suivant son congédiement par JGH.

III – Questions en litige

[52] Plusieurs questions sont en litige dans la présente affaire :

  1. M. Court a-t-il exercé son droit de refus de travailler en cas de danger?
  2. Est-ce une situation où M. Court n’avait pas le droit de refuser d’effectuer le travail parce que l’activité en cause constituait une « condition normale de son emploi »?
  3. M. Court a-t-il choisi, conformément au paragraphe 128(7) du Code, de se prévaloir des dispositions de sa convention collective pour régler l’affaire?
  4. Le Conseil a-t-il compétence pour instruire la plainte de M. Court selon laquelle celui-ci avait droit, en vertu du paragraphe 147.1(2), à des motifs écrits expliquant son congédiement?
  5. Un élément de preuve essentiel a-t-il été modifié afin d’étayer le refus de travailler?
  6. M. Court avait-il un motif raisonnable de refuser de travailler?
  7. Quelle incidence l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code a-t-il eue sur l’analyse des « motifs raisonnables »?
  8. S’il y a eu violation du Code dans la présente affaire, quelle est la mesure de redressement indiquée?

IV – Analyse et décision

1. M. Court a-t-il exercé son droit de refus de travailler en cas de danger?

[53] M. Court soutient qu’il avait clairement avisé JGH qu’il refusait d’effectuer du travail dangereux. JGH soutient que M. Court s’était simplement plaint et qu’il n’avait pas refusé de travailler en vertu du Code.

[54] Le Conseil est convaincu que M. Court avait clairement exprimé son intention à JGH.

[55] La documentation présentée par JGH et les témoins qu’elle a fait comparaître ont démontré clairement que M. Court avait exercé son droit de refus de travailler en cas de danger. En fait, le litige découle plutôt du profond désaccord entre JGH et M. Court quant au danger posé par le travail en question.

[56] Toutefois, lorsque les parties n’arrivent pas à s’entendre, ce n’est pas à l’employeur de trancher la question, mais plutôt à l’agent de santé et de sécurité.

[57] Le procès-verbal de la réunion extraordinaire du 31 juillet 2008 du comité mixte de santé et de sécurité contient une déclaration écrite de M. Shepley. Selon M. Shepley, M. Court avait averti clairement JGH qu’elle ne pouvait pas le forcer à « travailler dans des conditions dangereuses » (traduction) :

Ralph [Shepley] a ordonné clairement à George [Court] de faire l’inspection avant-départ du camion et de se mettre au travail immédiatement. George a de nouveau refusé et a commencé à dire que, en vertu de la convention collective, l’entreprise devait lui fournir un camion climatisé et que la climatisation ne fonctionnait pas dans ce camion-là. Ralph a demandé « l’as-tu écrit dans le rapport hier? » car George avait utilisé le camion la veille. George a répondu « oui » et a dit que « l’indicateur de vitesse ne fonctionnait pas non plus » et que je ne pouvais pas le forcer à « travailler dans des conditions dangereuses ». Je lui ai répondu d’aller chercher le carnet d’inspection du camion 1316.

(traduction)

[58] La version des faits de M. Shepley est restée la même pendant tout son témoignage. En contre-interrogatoire, M. Court a demandé à M. Shepley s’il savait qu’il avait refusé de travailler parce qu’il croyait que le travail était dangereux. M. Shepley a répondu : « Je reconnais que tu as dit que le travail était dangereux, mais, à mon avis, il n’y avait pas d’activité dangereuse. » (traduction).

[59] Pendant son contre-interrogatoire, M. Shepley a répété que selon lui, l’affirmation de M. Court selon laquelle le travail était dangereux était non fondée.

[60] Le paragraphe 128(6) du Code oblige l’employé a faire part à l’employeur de ses préoccupations en matière de sécurité :

128(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

[61] Le Conseil est convaincu que M. Court a respecté l’obligation prévue au paragraphe 128(6) en faisant rapport à JGH. L’obligation de l’employé se limite à avertir l’employeur qu’il invoque son droit de refus de travailler (voir John P. Grogan (1986), 67 di 183 (CCRT no 594)).

2. Est-ce une situation où M. Court n’avait pas le droit de refuser d’effectuer le travail parce que l’activité en cause constituait une « condition normale de son emploi »?

[62] JGH soutient que M. Court a refusé d’effectuer une inspection avant-départ de son véhicule. Selon JGH, cette inspection constitue une condition normale de l’emploi et n’était pas un motif valable de refus de travailler. M. Court prétend qu’on ne lui a jamais demandé d’effectuer une inspection avant-départ, mais il allègue que M. Shepley lui a ordonné de conduire le camion sans faire l’inspection nécessaire.

[63] L’alinéa 128(2)b) du Code empêche l’employé de refuser de travailler si la situation dangereuse constitue une condition normale de son emploi :

128.(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

...

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

[64] Cette disposition n’est d’aucun secours à JGH.

[65] L’alinéa 128(2)b) du Code s’applique aux situations comportant un danger, au sens où ce terme est défini dans le Code. Autrement dit, même s’il existe un danger, si ce danger constitue une condition normale de l’emploi, l’employé ne peut pas refuser de travailler. Par exemple, certaines tâches d’un pompier travaillant à un aéroport pourraient présenter un danger qui constituerait une condition normale de son emploi.

[66] L’alinéa 128(2)b) n’empêche pas un employé d’invoquer son droit de refus de travailler à l’égard des conditions normales de son emploi. En effet, une condition normale d’emploi peut très bien devenir dangereuse, par exemple, si une machine utilisée devenait dangereuse.

3. M. Court a-t-il choisi, conformément au paragraphe 128(7) du Code, de se prévaloir des dispositions de sa convention collective pour régler l’affaire?

[67] Le paragraphe 128(7) du Code permet à l’employé de se prévaloir d’une procédure relative au refus de travailler en cas de danger prévue à sa convention collective plutôt que de la partie II du Code :

128.(7) L’employé informe alors l’employeur, selon les modalités – de temps et autres – éventuellement prévues par règlement, de son intention de se prévaloir du présent article ou des dispositions d’une convention collective traitant du refus de travailler en cas de danger. Le choix de l’employé est, sauf accord à l’effet contraire avec l’employeur, irrévocable.

(c’est nous qui soulignons)

[68] Le Code permet aux parties d’inclure dans leurs conventions collectives des dispositions relatives au refus de travailler en cas de danger.

[69] JGH n’a pas convaincu le Conseil que cette disposition du Code s’applique d’une quelconque façon à la situation de M. Court.

[70] JGH soutient que l’existence de la procédure de règlement des griefs prévue à la convention collective, ainsi que de la section de son guide des politiques où le droit de refus de travailler prévu au Code est décrit de façon générale, suffit pour faire en sorte que l’affaire soit traitée exclusivement en vertu de la convention collective.

[71] Une procédure d’arbitrage habituelle, comme celle dont l’article 57 de la partie I du Code exige la présence dans toutes les conventions collectives, ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 128(7) du Code. De même, la description stéréotypée du droit des employés de refuser de travailler en cas de danger qui se trouve dans le guide des politiques de JGH ne fait non seulement pas partie de la convention collective, mais elle n’est qu’un simple résumé de la procédure prévue au Code. Il ne s’agit pas du genre de « dispositions... traitant du refus de travailler en cas de danger » exigées par le Code.

[72] Les éléments de preuve présentés ont démontré que le grief de M. Court portait principalement sur le fait qu’il était convaincu d’avoir droit à un camion climatisé.

[73] Les Teamsters ont retiré ce grief à la deuxième étape, le jour même où JGH a congédié M. Court.

[74] Dans les circonstances, il n’existait aucune procédure alternative en matière de refus de travailler en cas de danger dont M. Court aurait pu se prévaloir. D’ailleurs, même si M. Court avait disposé d’une autre procédure pour traiter son refus de travailler, rien ne lui permettait de prendre une décision éclairée à cet égard.

4. Le Conseil a-t-il compétence pour instruire la plainte de M. Court selon laquelle celui-ci avait droit, en vertu du paragraphe 147.1(2), à des motifs écrits expliquant son congédiement?

[75] Le paragraphe 147.1(2) du Code exige que l’employeur fournisse à l’employé les motifs écrits des mesures disciplinaires prises à son égard :

147.(2) L’employeur doit fournir à l’employé, dans les quinze jours ouvrables suivant une demande à cet effet, les motifs des mesures prises à son égard.

Dans la plainte qu’il a déposée auprès du Conseil, M. Court allègue que JGH a violé cette disposition.

[76] L’analyse contextuelle de la partie II du Code montre clairement que le terme « mesures » employé au paragraphe 147.1(2) renvoie aux mesures disciplinaires énumérées à l’article 147 :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[77] Pendant la réunion où M. Court a été congédié, le propriétaire de JGH lui a lu à haute voix les motifs de ce congédiement. M. Court a demandé une copie du document lu par le propriétaire, mais on lui a répondu de plutôt prendre des notes.

[78] M. Court a demandé les motifs écrits de son congédiement et JGH a refusé cette demande. Le Conseil doit décider s’il a compétence pour se pencher sur une allégation selon laquelle un employeur a refusé de fournir les motifs écrits d’une mesure disciplinaire, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 147.1(2).

[79] Dans Tony Aker, 2009 CCRI 474, le Conseil a examiné comment un seul incident pouvait donner lieu à des plaintes devant diverses instances. Cette décision concernait le congédiement d’un employé qui avait entraîné le dépôt d’une plainte pour représailles auprès du Conseil, d’une plainte de violation de la partie II du Code auprès d’un agent de santé et de sécurité et d’une plainte de congédiement injuste fondée sur la partie III du Code.

[80] La compétence du Conseil à l’égard de la partie II du Code se limite aux représailles (voir les articles 133 et 147). C’est à l’agent de santé et de sécurité que le Code confère le pouvoir général d’enquêter sur la violation des autres dispositions de la partie II du Code et le pouvoir de donner des instructions correctives (voir notamment l’article 127.1 et le paragraphe 145(1) du Code).

[81] Selon le Conseil, le dépôt d’une plainte fondée sur l’article 127.1 auprès d’un agent de santé et de sécurité constitue le recours approprié pour un employé qui, comme M. Court, veut obtenir les motifs écrits d’une mesure disciplinaire qui lui a été imposé, et ce, même si les motifs ont sans contredit trait aux représailles interdites énumérées à l’article 147 du Code. Techniquement, l’article 133 permet de déposer une plainte auprès du Conseil en cas de violation de l’article 147, mais l’article 133 ne mentionne pas explicitement la violation du paragraphe 147.1(2) du Code :

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

[82] Pour ce qui est des mesures de redressement, alors que le paragraphe 145(1) permet à l’agent de santé et de sécurité de donner des instructions pour faire cesser les violations de la partie II du Code, le seul pouvoir conféré au Conseil à cet égard par l’article 134 se limite à remédier aux violations de l’article 147 :

134. S’il décide que l’employeur a contrevenu à l’article 147, le Conseil peut, par ordonnance, lui enjoindre de mettre fin à la contravention et en outre, s’il y a lieu :

a) de permettre à tout employé touché par la contravention de reprendre son travail;

b) de réintégrer dans son emploi tout ancien employé touché par la contravention;

c) de verser à tout employé ou ancien employé touché par la contravention une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la rémunération qui lui aurait été payée s’il n’y avait pas eu contravention;

d) d’annuler toute mesure disciplinaire prise à l’encontre d’un employé touché par la contravention et de payer à celui-ci une indemnité équivalant au plus, à son avis, à la sanction pécuniaire ou autre qui lui a été imposée par l’employeur.

De plus, pour que le Conseil puisse accorder une mesure de redressement, il doit d’abord avoir conclu qu’un employeur a contrevenu à l’article 147 en prenant des mesures de représailles envers un employé.

[83] En pratique, peu importe que les motifs écrits soient fournis volontairement par l’employeur ou en application d’une instruction donnée par l’agent de santé et de sécurité, l’obtention de ces motifs permet à l’employé de mieux juger si les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées constituent des représailles aux termes de l’article 147 du Code. Il serait illogique d’exiger que l’employé dépose d’abord une plainte fondée sur le Code afin que le Conseil puisse alors ordonner à l’employeur de respecter l’exigence de fournir des motifs écrits, à supposer que le Conseil ait même ce pouvoir.

[84] De toute manière, dans le processus de traitement d’une telle plainte, les motifs invoqués par l’employeur pour les mesures disciplinaires auraient déjà été divulgués à l’étape des observations. Le Code exige que l’employeur fournisse les motifs à l’employé avant cette étape-là.

[85] Néanmoins, ces observations au sujet de la compétence du Conseil ne signifient pas que l’omission de fournir des motifs écrits ne pourrait pas constituer des représailles à l’égard d’un employé qui a « cherché à... faire appliquer [les dispositions de la présente partie] » (voir l’alinéa 147c) du Code). Toutefois, le pouvoir d’obliger l’employeur à fournir les motifs écrits des mesures disciplinaires revient principalement à l’agent de santé et de sécurité, qui peut agir beaucoup plus rapidement que le Conseil.

5. Un élément de preuve essentiel a-t-il été modifié afin d’étayer le refus de travailler?

[86] Le Conseil s’est penché sur divers témoignages à ce sujet. Il n’y a aucun doute que M. Court est une personne intelligente qui porte attention aux détails.

[87] Toutefois, le Conseil doit décider si un élément de preuve essentiel a été modifié en l’espèce. Le Conseil a conclu que M. Court avait effectivement falsifié certains documents pour étayer ce qu’il avait dit à M. Shepley, c’est-à-dire que, le 10 juillet 2008, il avait inscrit dans le rapport d’inspection les problèmes de climatisation et d’indicateur de vitesse de son camion.

[88] Plusieurs éléments ont mené le Conseil à cette conclusion.

[89] Le Conseil trouve que M. Court a décrit les événements du 11 juillet 2008 de façon hésitante. Par exemple, malgré le fait que les parties avaient échangé des documents avant l’audience, y compris des images tirées d’une vidéo, M. Court a d’abord prétendu qu’il n’était peut-être pas la personne qui apparaissait dans ces images.

[90] M. Court a reconnu plus tard qu’il était bel et bien la personne figurant dans la vidéo, mais il a ensuite contesté la nature des documents qu’on le voit tenir dans la vidéo.

[91] M. Ellens a témoigné sans hésitation à propos des événements du 11 juillet 2008. Il a dit que M. Court était venu le voir pour obtenir la copie blanche du rapport d’inspection. Lorsque M. Court avait rapporté le document peu après, M. Ellens avait remarqué que M. Court se comportait étrangement et que certains ajouts manuscrits avaient été faits au rapport d’inspection. M. Ellens avait alors immédiatement signé le document et inscrit l’heure à laquelle il avait remarqué ces changements.

[92] Le Conseil juge peu plausible l’explication de M. Court selon laquelle il voulait s’assurer que les trois copies du rapport d’inspection étaient identiques et que toute l’information inscrite sur la copie du dessus avait été reproduite sur les autres copies. La façon la plus simple de savoir si toutes les copies étaient identiques aurait été d’examiner la copie qui se trouvait dans le carnet d’inspection du camion. Il s’agissait de la troisième copie et de la dernière page du rapport d’inspection. Si les notes de M. Court y figuraient, elles apparaissaient inévitablement sur les deux premières pages du rapport d’inspection.

[93] M. Court a plutôt obtenu les trois copies du rapport d’inspection, ce qui lui a donné l’occasion de modifier les trois pages afin que son ajout semble avoir été fait le 10 juillet 2008. Pour ce faire, M. Court devait obtenir la copie blanche qui se trouvait dans le bureau de M. Ellens.

[94] Le Conseil note aussi l’emplacement des passages en litige dans le rapport d’inspection. M. Court avait écrit qu’il y avait un problème avec les essuie-glaces du camion. Deux lignes plus bas, il avait mentionné un problème avec les clignotants du camion.

[95] Cependant, les commentaires relatifs au climatiseur et à l’indicateur de vitesse ne suivent pas immédiatement l’entrée portant sur les essuie-glaces; ils se trouvent plutôt tout en bas de la page. M. Court a affirmé qu’il avait peut-être rempli le document de bas en haut, mais il est plus probable qu’il avait rajouté ces entrées en bas de la page, là où il y avait assez d’espace pour décrire ce qu’il avait dit à M. Shepley le matin du 11 juillet 2008.

[96] Le Conseil conclut que M. Court a modifié le rapport d’inspection le 11 juillet 2008.

6. M. Court avait-il un motif raisonnable de refuser de travailler?

[97] À l’audience, JGH a affirmé que M. Court n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il existait un danger et qu’il n’était donc pas protégé par la partie II du Code.

[98] Le Conseil a toujours reconnu l’importance des protections en matière de sécurité qui constituent maintenant la partie II du Code. Pour que ces protections soient efficaces, on ne peut pas tolérer que des employés soient intimidés pour les empêcher d’exercer leurs droits.

[99] Dans le passé, le prédécesseur du présent Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), était préoccupé par le recours abusif aux dispositions du Code relatives à la santé et à la sécurité au travail. On craignait que, si un employé exerçait son droit de refus de travailler pour des motifs cachés, cela puisse miner l’efficacité du régime de santé et de sécurité établi par le Code.

[100] Ainsi, dans des affaires où on soupçonnait le plaignant d’avoir exercé son droit de refus de travailler pour des motifs illégitimes, le CCRT a rendu certaines décisions qui traitent principalement l’expression « motifs raisonnables de croire » employée au paragraphe 128(1) du Code :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(c’est nous qui soulignons)

[101] Le CCRT a décrit le principe de la façon suivante :

L’employé doit se prévaloir judicieusement du droit que lui reconnaît l’article 82.1 de refuser un travail et ne doit y recourir que pour des raisons de sécurité. Abuser de ce droit en l’utilisant à d’autres fins, par exemple pour marquer des points dans la négociation collective, finira à la longue par compromettre les objectifs visés par la Partie IV [maintenant partie II] du Code. Dans une atmosphère de méfiance et d’hostilité, il est impossible d’accroître la sécurité et d’améliorer l’hygiène au travail par le dialogue et la collaboration. Chaque fois que le refus d’exécuter un travail coïncidera avec d’autres conflits en relations du travail, le Conseil se montrera particulièrement minutieux dans l’examen de la question.

(William Gallivan (1981), 45 di 180; et [1982] 1 Can LRBR 241 (CCRT no 332), pages 189; et 248)

[102] Le CCRT a reconnu qu’un employé pouvait avoir un motif raisonnable de croire qu’il existait un danger même si une enquête ultérieure démontrait qu’il n’y avait aucun danger au sens du Code. Toutefois, le CCRT voulait aussi éliminer les cas d’abus :

Comme il le rappelait alors, le Conseil n’a pas besoin d’être convaincu qu’un danger existait au moment du refus pour qu’un employé bénéficie de la protection de l’alinéa 147a). Les employés peuvent se tromper dans leur évaluation d’un danger, mais ils doivent démontrer au Conseil leur propre conviction de l’existence d’un danger pour que celui-ci soit à son tour convaincu qu’ils avaient un motif raisonnable d’agir comme ils l’ont fait.

Les raisons données par MM. Gélinas et Fontaine pour expliquer leur refus ne constituent pas un motif raisonnable. Le Conseil n’est pas prêt à accepter que des facteurs, qui ont une longue expérience de travail, décident, de l’intérieur d’un taxi, en se contentant de regarder dehors, que la livraison du courrier constitue un danger pour leur santé et leur sécurité justifiant un refus de travailler fondé sur un motif raisonnable.

Les plaignants n’ont pas convaincu le Conseil que le motif allégué était le motif véritable et raisonnable du refus. Le Conseil est plutôt convaincu que la vraie raison du refus est l’insatisfaction et la frustration résultant de l’abolition du comité sur les conditions atmosphériques défavorables. Le Conseil est disposé à admettre que la décision de l’employeur de mettre fin à une entente négociée, de façon unilatérale, sans aviser le syndicat et sans discuter de solutions alternatives avec lui, soit une source de mécontentement et de frustration.

(Jocelyn Simon et autres (1993), 91 di 1 (CCRT no 988), pages 10-11)

[103] Le CCRI a continué de tenir compte des « motifs raisonnables de croire » de l’employé en appliquant un critère à deux volets pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 147 du Code :

[71] Pour qu’un employé puisse jouir de la protection du Code, son refus doit être invoqué dans des circonstances où il est raisonnable de croire qu’un danger existe (ainsi qu’il est prévu au paragraphe 128(1), « a des motifs raisonnables de croire »). Donc, cette conviction doit à la fois être sincère et fondée sur un motif raisonnable. Le Conseil a adopté une perspective élargie de ce qui constitue un « motif raisonnable ». Dans la mesure où le refus est fondé sur des inquiétudes réelles en matière de sécurité, le Conseil déterminera que l’employé doit jouir de la protection entière du Code, même si ces inquiétudes peuvent par la suite être jugées sans fondement (voir Dennis C. Atkinson (1992), 89 di 76 (CCRT no 958)).

[72] La raison de cette règle est qu’il faut éviter de dissuader les employés de faire valoir leur droit en leur imposant le fardeau de prouver que leurs craintes sont bien fondées. Par conséquent, lorsqu’il se penche sur une plainte de représailles découlant de l’exercice du droit de refuser de travailler en vertu du Code, le Conseil s’intéressera principalement aux raisons pour lesquelles l’employeur a décidé de prendre des mesures disciplinaires au lieu de s’interroger sur le caractère raisonnable de la position de l’employé (voir Michael P. Chaney, [2000] CCRI no 47).

...

[77] La décision du Conseil à l’égard d’une plainte est prise à l’issue d’un processus comprenant deux étapes. Dans un premier temps, le Conseil doit déterminer si le plaignant a agi conformément à la partie II du Code lorsqu’il a exercé son refus de travailler. S’il est convaincu que le droit de refuser de travailler a été exercé en conformité avec le Code, le Conseil doit, dans un deuxième temps, déterminer si la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire au plaignant était motivée par des facteurs qui sont liés, même de loin, au droit de l’employé de refuser de travailler. En d’autres termes, l’employeur doit démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, la mesure disciplinaire a été imposée pour des motifs autres que l’employé avait invoqué son droit de refuser de travailler.

(Kenneth G. Lequesne, 2004 CCRI 276)

[104] Récemment, dans l’arrêt Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, lorsqu’un employé n’avait pas de motif raisonnable de croire qu’une demande de retourner au travail constituait un risque pour sa santé ou sa sécurité, la plainte en matière de santé et de sécurité serait rejetée.

[105] JGH soutient que M. Court n’avait pas de « motifs raisonnables de croire » qu’il existait un danger et qu’il cherchait à invoquer son droit de refus de travailler plutôt pour d’autres motifs, y compris parce qu’il croyait que la convention collective lui donnait droit à un camion climatisé.

[106] JGH n’a pas seulement présenté des éléments de preuve au sujet de la prétendue falsification de documents clés par M. Court, mais aussi plusieurs témoignages selon lesquels il n’y avait aucun danger le matin du 11 juillet 2008. Ces témoignages portaient sur l’inspection du camion 1316 faite le jour même par des employés de JGH, sur la nécessité, pour des raisons de sécurité, de faire l’inspection avant-départ et sur le rapport du comité mixte de santé et de sécurité daté du 30 octobre 2008, c’est-à-dire deux jours après que JGH eut congédié M. Court.

[107] Forcément, le seuil nécessaire pour conclure qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » est faible. Il s’agit d’une question distincte de celle de savoir s’il existait réellement un danger. Le Conseil a appliqué le critère des motifs raisonnables à des cas exceptionnels. Dans la grande majorité des cas, le Conseil a conclu que l’employé avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait un danger, et ce, même lorsqu’il a été démontré plus tard que cette croyance était erronée.

[108] Le fait que le Conseil a conclu que M. Court avait falsifié le rapport d’inspection ne veut pas nécessairement dire que les préoccupations initiales de M. Court en matière de sécurité n’étaient pas réelles. Le Conseil trouve étrange que M. Court ait exigé qu’on lui fournisse un camion climatisé conformément à la convention collective si, comme l’affirme JGH, la climatisation du camion 1316 fonctionnait bel et bien. En l’absence d’une enquête de l’agent de santé et de sécurité, le Conseil est privé des éléments de preuve objectifs qui auraient permis de savoir si M. Court cherchait à monter une affaire de toutes pièces ou s’il voulait plutôt étayer davantage une cause existante qui ouvrait droit aux protections prévues à la partie II du Code.

[109] Dans les circonstances, même si, compte tenu de la falsification du rapport d’inspection, le Conseil est préoccupé par les motifs de M. Court, le Conseil conclut que le rapport fait par M. Court à JGH au sujet du mauvais fonctionnement de la climatisation est suffisant pour atteindre le faible seuil des « motifs raisonnables de croire » établi par le paragraphe 128(1) du Code. Le Conseil ne se prononcera pas sur la question de savoir s’il s’agissait d’un danger aux termes du Code.

7. Quelle incidence l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code a-t-il eue sur l’analyse des « motifs raisonnables »?

[110] Lorsqu’il a modifié le Code en 2000, le législateur a ajouté le paragraphe 147.1(1) à la partie II :

147.1(1) À l’issue des processus d’enquête et d’appel prévus aux articles 128 et 129, l’employeur peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé qui s’est prévalu des droits prévus à ces articles s’il peut prouver que celui-ci a délibérément exercé ces droits de façon abusive.

[111] M. Court soutient que le paragraphe 147.1(1) du Code s’applique à sa situation. Selon lui, JGH n’a pas mené l’enquête exigée par le Code. Au lieu de cela, JGH l’a suspendu, puis congédié. JGH n’a jamais demandé à un agent de santé et de sécurité de faire enquête.

[112] JGH est d’avis que le paragraphe 147.1(1) s’applique seulement lorsqu’un employé a abusé à plusieurs reprises des droits prévus à la partie II du Code. JGH fonde cette interprétation sur la dernière partie du paragraphe 147.1(1), qui est libellée comme suit : « si [l’employeur] peut prouver que [l’employé] a délibérément exercé ces droits de façon abusive » (c’est nous qui soulignons).

[113] Dans l’arrêt récent Saumier c. Canada (Procureur général), précité, la Cour d’appel fédérale a résumé les principes applicables aux dispositions de la partie II du Code qui ont trait au droit de refus de travailler :

[43] Une lecture attentive de ces dispositions législatives mène aux constatations suivantes :

(i) le paragraphe 128(1) prévoit qu’un « employé au travail » est en droit, inter alia, de refuser de travailler dans un lieu ou d’accomplir certaines tâches « s’il a des motifs raisonnables de croire » qu’il existe un danger pour lui de travailler dans son lieu de travail ou que l’exercice de ses tâches constitue un danger pour lui;

(ii) l’exception à ce principe se retrouve au paragraphe 128(2) qui prévoit qu’un employé ne peut invoquer l’article 128 au soutien d’un refus de travailler dans un lieu ou d’accomplir certaines tâches lorsque « le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi »;

(iii) un employeur ne peut, aux termes de l’article 147, prendre ou menacer de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui exerce, de façon légitime, des droits en vertu de la partie II du Code intitulée « Santé et sécurité au travail » dont fait partie l’article 128;

(iv) lorsque l’employeur a agi de façon contraire à l’article 147, un employé peut déposer une plainte écrite au Conseil, aux motifs « que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147 ».

(v) par ailleurs, l’article 147.1 permet à un employeur, lorsque le processus d’enquête et d’appel prévu aux articles 128 et 129 est complété, de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui a exercé ses droits « délibérément » de façon abusive.

[44] Voilà le contexte législatif dans lequel se situe la plainte de la demanderesse, qui prétend que suite à l’exercice de ses droits en vertu de l’article 128, la GRC lui a donné un ordre de retour au travail, ordre qu’elle a réitéré à plus d’une reprise, en la menaçant de mesures disciplinaires si elle maintenait son droit de refus.

[114] Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale, l’analyse traditionnelle du Conseil au sujet de la question de savoir si l’employé avait des « motifs raisonnables de croire » qu’il existait un danger est encore applicable. Cette question préliminaire sert à décider si l’employé pouvait se prévaloir des protections prévues à la partie II du Code.

[115] Le paragraphe 147.1(1) influence la façon dont le Conseil analyse les plaintes en matière de sécurité. Avant l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code, le Conseil intervenait lorsqu’il concluait qu’un employeur avait pris des mesures disciplinaires parce qu’un employé avait exercé ses droits en matière de sécurité. Cette pratique était comparable à celle qui s’applique aux affaires de pratiques déloyales de travail visées par la partie I du Code, où le Conseil accorde un redressement si la mesure disciplinaire contestée avait trait, en tout ou en partie, à un sentiment antisyndical.

[116] Par contre, le nouveau paragraphe 147.1(1) permet explicitement à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires même si la conduite de l’employé avait trait à l’expression de préoccupations en matière de sécurité. Cependant, il y a un délai pour la prise de telles mesures disciplinaires. De plus, l’employeur doit démontrer que l’employé a délibérément exercé de façon abusive les droits importants que lui confère la partie II du Code à cet égard.

[117] Le paragraphe 147.1(1) du Code accorde d’importantes garanties procédurales aux employés : avant de pouvoir prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’un employé qui a délibérément exercé ses droits de façon abusive, l’employeur doit faire enquête et, le cas échéant, attendre la conclusion du processus d’appel. Cette restriction garantit qu’il existera un dossier de preuve complet lorsque le Conseil sera saisi de l’affaire.

[118] En l’espèce, M. Court avait fait part de ses préoccupations en matière de sécurité à JGH. Le Conseil a conclu que M. Court avait un motif raisonnable de croire à l’existence d’un danger et qu’il bénéficiait donc des protections prévues à la partie II du Code. Il est vrai que JGH avait entamé une enquête, mais elle a suspendu M. Court quand elle a appris qu’il avait falsifié des documents.

[119] Selon le Conseil, si JGH voulait se fonder sur la falsification de documents pour prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de M. Court parce qu’il avait exercé ses droits de façon abusive, le paragraphe 147.1(1) du Code obligeait d’abord JGH à faire enquête. La falsification de documents clés pendant une enquête sur la sécurité correspondrait au genre d’exercice abusif de droits envisagé au paragraphe 147.1(1) du Code.

[120] Toutefois, comme elle a pris des mesures disciplinaires à l’encontre de M. Court avant la fin de l’enquête exigée par le Code, JGH n’a pas respecté les exigences du paragraphe 147.1(1). Par conséquent, JGH ne pouvait pas se prévaloir du droit de prendre des mesures disciplinaires, même des questions de sécurité.

[121] Depuis l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code, il faut appliquer un critère à trois volets aux affaires de refus de travailler en cas de danger :

  1. L’employé a-t-il satisfait au faible seuil des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger?
  2. L’employeur a-t-il enfreint l’article 147 du Code en prenant des mesures disciplinaires à l’encontre d’un employé parce que celui-ci s’était prévalu des droits en matière de sécurité prévus à la partie II du Code?
  3. Si l’employeur a pris des mesures disciplinaires, l’a-t-il fait après la tenue d’une enquête complète et, le cas échéant, après la conclusion du processus d’appel, et ces mesures disciplinaires ont-elles été imposées seulement parce que l’employé avait délibérément exercé de façon abusive les droits prévus à la partie II du Code?

[122] Compte tenu de l’inversion du fardeau de la preuve opérée par le paragraphe 133(6) du Code, JGH n’a pas convaincu le Conseil que les mesures disciplinaires qu’elle avait prises à l’encontre de M. Court n’avaient rien à voir avec la sécurité au travail. Comme elle n’avait pas mené l’enquête complète exigée par la partie II du Code, JGH ne pouvait pas se fonder sur le paragraphe 147.1(1). JGH a donc enfreint le Code lorsqu’elle a pris des mesures disciplinaires à l’encontre de M. Court.

8. S’il y a eu violation du Code dans la présente affaire, quelle est la mesure de redressement indiquée?

[123] Les pouvoirs de redressement dont dispose le Conseil lorsqu’il conclut qu’un employeur a enfreint l’article 147 du Code sont énoncés à l’article 134 du Code.

[124] Le Conseil déclare que JGH a enfreint le Code en prenant des mesures disciplinaires à l’encontre de M. Court parce que celui-ci avait fait part à JGH de ses préoccupations en matière de sécurité. JGH ne pouvait pas se prévaloir du paragraphe 147.1(1) du Code parce qu’elle n’avait pas mené d’enquête complète avant d’imposer une sanction à M. Court pour la falsification de documents.

[125] L’article 134 du Code donne au Conseil le pouvoir discrétionnaire d’accorder des mesures de redressement allant au-delà d’une simple déclaration.

[126] M. Court n’a pas demandé à être réintégré dans son poste. De plus, puisqu’il avait été embauché le 5 février 2008, il n’était pas au service de JGH depuis longtemps.

[127] En vertu de l’alinéa 134c) du Code, le Conseil ordonne à JGH de verser à M. Court sa rémunération normale pour la période allant du 11 juillet 2008, date de sa suspension, au 14 octobre 2008, date où JGH a signé la PCV dans le cadre du processus d’enquête relatif à la partie II du Code.

[128] Compte tenu du fait que M. Court a falsifié le rapport d’inspection – un acte de nature à miner l’intégrité du régime de santé et de sécurité établi par le Code –, le Conseil n’accorde aucune autre mesure de redressement à M. Court (voir David Baker, 2000 CCRI 75).

[129] Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la somme qui doit être payée à M. Court, un agent des relations industrielles du Conseil pourra les aider. Le Conseil tranchera toute question demeurant en litige au moyen d’observations écrites.

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