Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters,

plaignante,

et


Guilde de la marine marchande du Canada,

intimée.

Dossier du Conseil : 28601-C

Référence neutre : 2011 CCRI 605

Le 23 septembre 2011

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. John Bowman et Me David P. Olsen, Membres.

Procureurs inscrits au dossier
Me Lisa Triano, pour la section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters;
Me Kimberley H.W. Turner, c.r., pour la Guilde de la marine marchande du Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par M. John Bowman, Membre.

I – Introduction

[1] Le 22 février 2011, la section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters (les Teamsters ou le plaignant) a déposé une plainte auprès du Conseil, alléguant que la Guilde de la marine marchande du Canada (la Guilde ou l’intimée) avait enfreint les alinéas 95f), 95g) et 95i) et l’article 96 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) lorsqu’elle avait déposé des accusations internes contre trois de ses membres relativement à la participation de ces derniers à une campagne infructueuse des Teamsters qui visait à remplacer la Guilde à titre d’agent négociateur d’un groupe d’employés qui travaillent pour Upper Lakes Shipping Limitée (ULS ou l’employeur).

[2] Les Teamsters allèguent que le dépôt de ces accusations constitue l’exercice de représailles contre ces trois personnes, qui sont des syndiqués de la base membres de l’intimée, en réponse à l’exercice par ceux-ci du droit que leur confère le Code de changer d’agent négociateur exclusif.

II – Contexte

[3] En septembre 2010, les Teamsters ont présenté une demande au Conseil afin de remplacer la Guilde à titre d’agent négociateur d’un groupe d’employés travaillant dans le secteur du transport maritime. Cette demande avait été présentée dans le délai prescrit et les Teamsters avaient des appuis suffisants parmi les employés pour que le Conseil décide d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. Avant la présentation de cette demande d’accréditation, la Guilde avait avisé un de ses membres, M. Grant Ostemaier, qu’il faisait face à des accusations internes. M. Ostemaier était membre de l’unité de négociation et avait fait campagne en faveur des Teamsters. Au début du mois de novembre 2010, les Teamsters ont déposé une plainte de pratique déloyale de travail auprès du Conseil, alléguant que la Guilde avait enfreint diverses dispositions du Code en réponse à la campagne de maraudage des Teamsters, y compris en portant des accusations contre M. Ostemaier. Les parties ont réglé cette plainte. Ce règlement prévoyait notamment une entente selon laquelle les accusations portées contre M. Ostemaier seraient abandonnées. Le dépouillement des bulletins de vote du scrutin de représentation a révélé que la Guilde avait réussi à conserver son accréditation.

[4] À la fin du mois de décembre 2010, M. Ostemaier et deux autres membres de l’intimée, M. Bill Kadwell et M. Donald McLeod, ont été avisés que la Guilde avait déposé des accusations internes contre eux. Ces accusations étaient fondées sur l’article 13.05 des statuts du syndicat, qui est ainsi rédigé :

13.05 Les membres de la Guilde ont le devoir de promouvoir les intérêts et les objets de la Guilde. Sans limiter la portée de ce qui précède, sera contraire au code d’éthique le fait pour un membre de :

(a) faire ou permettre que soit fait tout acte favorisant ou privilégiant un autre organisme syndical au détriment de la Guilde.

[5] M. Kadwell et M. McLeod, des syndiqués de la base membres de la Guilde, avaient fait campagne en faveur des Teamsters pendant la période précédant le scrutin de représentation. Les Teamsters ont déposé la présente plainte auprès du Conseil en réponse aux accusations déposées par la Guilde. En mars 2011, la Guilde a décidé de suspendre les trois membres du syndicat du 14 mars au 31 décembre 2011. Les trois membres avaient été donnés le choix de payer une amende de 1800 $ au lieu de purger leur suspension. Deux des membres ont payé l’amende, mais l’autre, M. Kadwell, a refusé de le faire. Les trois membres ont continué de travailler comme d’habitude, car l’employeur n’a pas appliqué les suspensions. Les trois membres ont aussi continué à poursuivre le processus d’appel interne du syndicat concernant leur suspension. En date de la présente décision, les résultats de ces appels restaient inconnus, et aucune audience d’appel n’avait encore été fixée lorsque le Conseil a entendu l’affaire.

[6] Comme les faits pertinents n’étaient pas en litige, le Conseil a donné aux parties l’occasion de présenter d’autres arguments juridiques par vidéoconférence ou en échangeant de nouvelles observations écrites. Les parties ont choisi la deuxième option et se sont échangé des arguments juridiques supplémentaires.

III – Position des parties

A – Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters

[7] Les Teamsters soutiennent que les accusations portées contre les trois membres de la Guilde étaient manifestement déposées en réponse à l’exercice par ces derniers de leurs droits en vertu du Code de changer de syndicat, et que la Guilde a donc enfreint les alinéas 95f), 95g) et 95i) et l’article 96 du Code en agissant de la sorte. Les Teamsters soutiennent aussi que l’article des statuts de la Guilde sur lequel les accusations internes étaient fondées est contraire à la loi et qu’il devrait être déclaré sans effet.

[8] Les Teamsters soutiennent que ces accusations faisaient partie d’une vaste campagne par laquelle la Guilde cherchait à intimider ses membres et à les dissuader d’exprimer leur volonté réelle lors du scrutin de représentation tenu en novembre 2010. Ils font valoir que ces activités ont empêché les employés d’exprimer leur volonté réelle et font en sorte qu’un nouveau scrutin de représentation ne pourrait pas refléter fidèlement la volonté des employés. À titre de redressement pour les prétendues violations du Code, les Teamsters demandent ce qui suit :

  • une conclusion selon laquelle la Guilde a enfreint les articles du Code susmentionnés;
  • une ordonnance selon laquelle l’article des statuts de la Guilde sur lequel étaient fondées les accusations est illégal et sans effet;
  • une ordonnance forçant le retrait des accusations et l’annulation de toute sanction;
  • une ordonnance selon laquelle un avis informant les employés de la décision du Conseil doit être affiché dans le milieu de travail;
  • une ordonnance obligeant la Guilde à transmettre par la poste la décision du Conseil à ses membres;
  • une ordonnance accréditant les Teamsters à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation, ou, subsidiairement, une ordonnance prévoyant la tenue d’un scrutin de représentation;
  • une ordonnance obligeant la Guilde à payer les dépens des Teamsters.

B – Guilde de la marine marchande du Canada

[9] La Guilde soutient que la plainte doit être rejetée parce que les accusations portées contre les trois membres représentaient un exercice légitime par la Guilde de son droit de protéger l’intégrité de son unité de négociation. Elle dit qu’un syndicat a le droit de prendre des mesures disciplinaires contre un membre qui appuie une campagne de maraudage, à condition que les accusations aient un lien juste et raisonnable avec la conduite du membre. La Guilde soutient aussi que la plainte fondée sur les alinéas 95f) et 95g) du Code est prématurée, car les membres accusés se sont prévalus de leur droit d’appel contre les sanctions et ce processus n’est pas terminé. De plus, la Guilde soutient que les Teamsters n’ont pas le pouvoir de représenter les trois employés nommés dans la plainte et que ces derniers sont capables de déposer eux-mêmes des plaintes.

[10] La Guilde fait observer aussi que certaines des mesures de redressement demandées par les Teamsters, notamment celle visant à accréditer les Teamsters à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation, dépassent les pouvoirs conférés au Conseil. La Guilde soutient que les Teamsters ont déjà eu l’occasion d’obtenir cette accréditation lors du scrutin de représentation, qu’ils ont perdu, et qu’ils cherchent maintenant à obtenir l’accréditation « par voie détournée » (traduction), c’est-à-dire au moyen de la plainte.

IV – Analyse et décision

[11] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Après avoir examiné les observations des parties, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

[12] Les Teamsters allèguent que la Guilde a enfreint les alinéas 95f), 95g) et 95i) et l’article 96 du Code. Ces dispositions sont reproduites ci-dessous :

95. Il est interdit à tout syndicat et à quiconque agit pour son compte :

...

f) d’expulser un employé du syndicat ou de le suspendre, ou de lui refuser l’adhésion, en lui appliquant d’une manière discriminatoire les règles du syndicat relatives à l’adhésion;

g) de prendre des mesures disciplinaires contre un employé ou de lui imposer une sanction quelconque en lui appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline du syndicat;

...

i) de faire des distinctions injustes à l’égard d’une personne en matière d’emploi, de condition d’emploi ou d’adhésion à un syndicat, d’user de menaces ou de coercition à son encontre ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

  1. elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie, ou peut le faire,
  2. elle a révélé – ou est sur le point de le faire – des renseignements en exécution ou prévision de l’obligation qui lui est imposée à cet effet dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie,
  3. elle a présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie.

96. Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

[13] Les parties ont fourni au Conseil la jurisprudence pertinente quant à l’interprétation donnée par le Conseil à l’article 95 du Code, qui était auparavant l’article 185. Dans la décision Frank J. Nowotniak et Gordon E. Ostby et autres (1979), 34 di 835; et [1979] 2 Can LRBR 466 (CCRT no 194), le Conseil s’est prononcé sur une allégation selon laquelle le syndicat avait fait preuve de discrimination contre certains membres qui avaient cherché à le remplacer par un autre agent négociateur. Dans cette décision, le Conseil a interprété expressément la disposition qui est aujourd’hui le sous-alinéa 95i)(i) du Code. Dans cette affaire, le syndicat avait modifié ses statuts et refusé de réintégrer certains employés dans le syndicat. Le Conseil s’est exprimé ainsi à cet égard :

Nous concluons que l’article 7(4) a été adopté pour empêcher certains dissidents, sinon tous, et particulièrement MM. Ostby et Nowotniak, d’être réintégrés dans le syndicat parce qu’ils ont présenté au Conseil une requête en accréditation et qu’ils ont témoigné au cours des procédures pertinentes et y ont participé. Ce fait va à l’encontre de l’alinéa 184 i) du Code maintenant l’alinéa 95(i) .

(pages 849; et 477)

[14] Dans James Carbin (1984), 59 di 109; et 85 CLLC 16,013 (CCRT no 492), le Conseil a rejeté une plainte où il était allégué que le syndicat avait enfreint l’article 185 du Code en expulsant un employé du syndicat parce que cet employé avait appuyé un syndicat rival lors d’une campagne de représentation. Dans cette décision, le Conseil a noté que l’emploi du membre n’était pas menacé par son expulsion du syndicat, que le membre avait été traité de la même manière que d’autres membres eux aussi expulsés pour avoir soutenu l’autre syndicat et que le Conseil ne devait donc pas intervenir dans les affaires internes du syndicat.

[15] Pendant les années 1990, le Conseil a instruit plusieurs affaires qui portaient sur des mesures disciplinaires syndicales internes prises dans le cadre d’une campagne de représentation qui opposait le Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes (le STTP) et l’Union des facteurs du Canada (l’UFC). Dans Paul Horsley et autres (1991), 84 di 201; et 15 CLRBR (2d) 141 (CCRT no 861), le Conseil a conclu que le syndicat avait enfreint l’alinéa 95g) du Code lorsqu’il avait expulsé certains de ses membres parce qu’ils avaient appuyé un autre syndicat lors d’une campagne de maraudage. Les paragraphes suivants résument bien les raisons pour lesquelles le Conseil a estimé que cette conduite enfreignait le Code, et ils sont instructifs pour les fins de la présente décision :

Le fond du problème dans la présente affaire, c’est l’insistance du SPC pour que les plaignants renoncent à être membres de l’UFC, qui est sans aucun doute le syndicat de leur choix. Cela nous incite de toute évidence à soupçonner une violation de la liberté fondamentale d’association des plaignants prévue par l’article 8 du Code, que nous avons d’ailleurs cité. Le Conseil a déjà déclaré que ce droit fondamental d’un employé d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites est la pierre angulaire du Code. C’est une liberté fondamentale sacro-sainte qui ne peut être sapée ni par les employeurs, ni par les syndicats, ni par qui que ce soit. En l’occurrence, toutefois, nous souscrivons au raisonnement exprimé par le Conseil dans James Carbin, supra, de sorte que, dans notre examen des plaintes, nous avons toujours été très conscients de la nécessité de respecter à la fois les droits individuels des plaignants et ceux du SPC de gérer ses propres affaires et de se protéger dans une situation de maraudage.

Nous sommes bien conscients que ce dont on a privé les plaignants, c’est de leur statut de membres du SPC et non de l’UFC, et qu’on peut par conséquent se demander comment cela peut porter atteinte à leurs libertés fondamentales. Dans ce contexte, il faut se rappeler que le Code confère aux employés le droit de tenter de changer d’agent négociateur ou de faire révoquer les droits de représentation de leur agent négociateur accrédité et de cesser d’être syndiqués, si c’est ce que la majorité des employés membres de l’unité de négociation veulent. Le Code prévoit d’ailleurs des périodes d’ouverture précisément pour que ces employés puissent se livrer à ces activités qui, cela va sans dire, sont tout à fait licites, car les intéressés ne font qu’exercer des libertés fondamentales reconnues et protégées par le Code. Si les plaignants ont subi des sanctions disciplinaires pour avoir refusé de renoncer à leurs libertés fondamentales, il y a de toute évidence eu violation de l’alinéa 95g) du Code, particulièrement si le SPC a tenté d’atteindre un objectif illégal en appliquant ses normes de discipline syndicales aux plaignants de façon discriminatoire.

(pages 208; et 147-148)

[16] Dans Nathalie Beaudet-Fortin (1997), 105 di 98; 40 CLRBR (2d) 161; et 98 CLLC 220-029 (CCRT no 1216), le Conseil a conclu que le syndicat avait enfreint les alinéas 95f) et 95g) du Code en expulsant la plaignante du syndicat parce que celle-ci avait appuyé un autre syndicat lors d’une campagne de maraudage qui avait échoué. Le Conseil a expliqué ses conclusions de la manière suivante :

Certes, le syndicat, en agissant de la sorte a cherché à protéger ses intérêts institutionnels. Sa décision avait pour objet de pénaliser la plaignante pour avoir agi, à son avis, contrairement aux intérêts du syndicat alors que celle-ci avait exercé de façon conforme au Code son droit de changer d’agent négociateur. Dans de telles circonstances, le monopole de représentation syndicale impose certaines limites au syndicat accrédité qui entend réagir aux prises de position de certains de ses membres lors de maraudage. S’il est vrai que la participation à des activités de maraudage peut constituer une menace et une atteinte à l’intégrité de l’agent négociateur, le Code prévoit cependant que les employés de l’unité de négociation et les membres du syndicat ont le droit, à des périodes déterminées, de tenter de changer d’agent négociateur et d’inciter d’autres employés à changer d’agent négociateur afin de remettre en cause le statut de l’agent accrédité. C’est pourquoi les employés ne peuvent, pour cette raison seulement, être privés de façon absolue du droit de demeurer membre de l’agent négociateur accrédité en cas d’échec de la campagne de maraudage.

Or, en l’espèce, la décision du syndicat d’expulser la plaignante indéfiniment a eu précisément pour effet de priver Mme Beaudet-Fortin, de façon absolue, de la faculté d’exercer librement son choix de continuer à être membre de l’agent négociateur accrédité après la campagne de maraudage, en l’occurrence le STTPC, et de participer aux activités de ce dernier et, par conséquent, de la priver du droit de traiter avec son représentant exclusif en ce qui a trait à la détermination de ses conditions de travail, au même titre que les autres employés de l’unité de négociation qui adhèrent au syndicat dans ce but...

(pages 117-118; 182-183; et 143,234; souligné dans l’original)

[17] Dans Nathalie Beaudet-Fortin, précitée, le Conseil a mentionné James Carbin, précitée, mais il n’a pas appliqué le raisonnement qui y avait été suivi. Le Conseil a conclu que l’approche adoptée dans James Carbin, précitée, était trop étroite en raison de l’importance considérable qui avait été accordée au fait que le plaignant n’avait pas perdu son emploi à cause des mesures disciplinaires prises par le syndicat et du poids trop faible donné au fait que l’expulsion du plaignant lui avait privé de sa liberté d’association. Dans la mesure où les décisions du Conseil dans Nathalie Beaudet-Fortin, précitée, et James Carbin, précitée, divergent quant à l’application de l’article 95 du Code, le Conseil estime que l’approche établie dans Nathalie Beaudet-Fortin est préférable parce qu’elle protège expressément les membres des syndicats des représailles lorsqu’ils exercent leur droit légal de changer d’agent négociateur. Cette approche correspond davantage à l’objet de l’article 95 du Code, particulièrement de l’alinéa 95i).

[18] Il convient aussi de souligner un autre aspect de la jurisprudence, à savoir que des règles différentes s’appliquent aux mesures disciplinaires qu’un syndicat prend en réponse à une campagne de maraudage lorsque le membre en cause occupe un poste au sein du syndicat. Par exemple, dans Paul Horsley et autres, précitée (pages 208; et 147-148), le Conseil a fait valoir que les plaignants avaient été destitués de leurs postes de délégué syndical avant d’être expulsés par le syndicat. Le Conseil a conclu qu’il s’agissait d’une mesure raisonnable, car il s’agissait d’une affaire interne du syndicat relativement à un conflit d’intérêts potentiel.

[19] Le Conseil note que la Guilde a soulevé la question de savoir si les plaintes fondées sur les alinéas 95f) et 95g) du Code étaient recevables. Les paragraphes 97(4) et 97(5) du Code sont pertinents à cet égard :

97.(4) Sous réserve du paragraphe (5), la plainte reprochant à un syndicat ou à une personne agissant pour son compte d’avoir violé les alinéas 95f) ou g) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été observées :

a) le plaignant a suivi la procédure – présentation de grief ou appel – établie par le syndicat et à laquelle il a pu facilement recourir;

b) le syndicat a :

  1. soit statué sur le grief ou l’appel d’une manière que le plaignant estime inacceptable,
  2. soit omis de statuer, dans les six mois qui suivent la date de première présentation du grief ou de l’appel;

c) la plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant était habilité au plus tôt à le faire conformément aux alinéas a) et b).

(5) Le Conseil peut, sur demande, statuer sur les plaintes visées au paragraphe (4) bien qu’elles n’aient pas fait l’objet du recours prévu s’il est convaincu :

a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sur la plainte sans retard;

b) soit que le syndicat n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

[20] Le paragraphe 97(4) du Code prévoit qu’une plainte fondée sur l’alinéa 95f) ou 95g) ne peut pas être déposée avant que le plaignant ait épuisé ses droits d’appel internes établis par le syndicat. En l’espèce, les plaignants ont interjeté appel de leur suspension, mais leurs appels n’avaient pas encore été entendus en date du dépôt de la plainte. Le paragraphe 97(5) du Code permet au Conseil de statuer sur une plainte même si le processus d’appel n’est pas terminé.

[21] Compte tenu des circonstances de la présente affaire, le Conseil a décidé de rendre une décision même si l’issue du processus interne d’appel établi par le syndicat n’est pas encore connue. Plusieurs raisons ont motivé ce choix, notamment le fait que la Guilde n’a fourni au Conseil aucun renseignement quant au moment où ces appels vont être entendus. Ainsi, le Conseil ne disposait d’aucun élément de preuve qui lui aurait permis de conclure que les appels allaient être entendus rapidement. Le Conseil est d’avis que la présente affaire doit être tranchée sans plus attendre et il a donc décidé de rendre sa décision immédiatement, en vertu du paragraphe 97(5) du Code. Il faut aussi souligner que l’argument relatif au délai pour déposer les plaintes ne s’applique pas à l’allégation selon laquelle la Guilde aurait enfreint le sous-alinéa 95i)(i) du Code.

[22] Dans sa réponse initiale à la plainte, la Guilde s’est réservé le droit de soutenir que les Teamsters n’avaient pas la qualité nécessaire pour déposer une plainte au nom des trois personnes en cause. Dans des observations présentées ultérieurement au Conseil, la Guilde a de nouveau soulevé la question du droit des Teamsters de représenter les trois employés, mais cette objection était seulement abordée superficiellement. Le Conseil reçoit souvent des plaintes de pratique déloyale de travail déposées par un syndicat qui allègue qu’un employeur a pris des mesures illicites contre certains employés qui appuyaient le syndicat. Généralement, le Conseil n’exige pas que ce syndicat fournisse des déclarations confirmant que le syndicat représente chacun des employés nommés dans la plainte. En l’espèce, il n’y a aucun doute que les trois employés visés par la plainte soutenaient activement les Teamsters – il s’agit d’ailleurs du fondement des mesures disciplinaires internes dont ils ont fait l’objet. Le Conseil rejette donc l’objection de la Guilde et il conclut que les Teamsters ont la qualité nécessaire pour représenter les trois employés nommés dans la plainte.

[23] L’application des principes juridiques pertinents aux faits en cause – faits qui ne sont pas en litige – révèle que les trois employés ont fait l’objet d’accusations et de mesures disciplinaires internes parce qu’ils avaient exercé leur droit fondamental prévu par le Code de changer de syndicat. Aucun de ces trois membres n’occupait de poste au sein de la Guilde. Toutes les parties reconnaissent que ces employés ont appuyé les Teamsters et fait campagne en leur faveur pendant la période qui a précédé le scrutin de représentation. Les trois employés avaient le droit fondamental de participer à une procédure prévue par le Code, à savoir une demande de maraudage (délogement). La Guilde ne peut pas punir ces employés parce qu’ils ont exercé la liberté d’association prévue à l’article 8 du Code. Manifestement, les accusations déposées contre les trois membres constituaient des représailles visant à les punir par suite des activités par lesquelles ils ont soutenu les Teamsters. Le Conseil conclut que les accusations constituent une violation évidente du sous-alinéa 95i)(i) du Code. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que le Conseil décide si la Guilde a aussi enfreint les alinéas 95f) ou 95g) ou encore l’article 96 du Code.

[24] Concernant les mesures de redressement indiquées pour répondre à la violation de l’article 95 du Code, le Conseil estime que la Guilde a raison de dire que les redressements réclamés par les Teamsters sont beaucoup trop vastes. Le plaignant n’a pas démontré que les résultats du scrutin de représentation dont le Conseil avait ordonné la tenue ne reflétaient pas fidèlement la volonté des employés. De même, le plaignant n’a pas convaincu le Conseil qu’il devrait déroger à sa pratique normale et ordonner que l’intimée paye les dépens liés au dépôt de la plainte. Le Conseil refuse aussi de se prononcer sur la légalité de l’article 13.05 des statuts de l’intimée, sur lequel étaient fondées les accusations portées contre les trois membres en cause. Comme le Conseil a conclu que la manière dont l’intimée avait appliqué cette disposition enfreignait le Code, il n’est pas nécessaire que le Conseil aille plus loin et intervienne davantage dans les affaires internes du syndicat.

[25] Le Conseil ordonne l’application des mesures de redressement suivantes :

  1. toute sanction infligée aux trois employés en lien avec les accusations internes déposées par l’intimée doit être annulée immédiatement et toute amende payée par ces employés à l’intimée doit être remboursée sur-le-champ;
  2. l’intimée doit transmettre la décision du Conseil par la poste à tous les employés faisant partie de son unité de négociation dans les 30 jours suivant la date des présentes et elle doit confirmer au Conseil, par écrit, que ces mesures de redressement ont été mises en œuvre.

[26] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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