Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Aleksandar Aleksandrov,

plaignant,

et


G. Zavitz ltée,

intimé.

Dossier du Conseil : 28677-C

Référence neutre : 2011 CCRI 602

Le 8 août 2011

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (le Code).

Parties
M. Aleksandar Aleksandrov, plaignant se représentant lui-même;
M. Rick Brown, pour G. Zavitz ltée.

I – Nature de la plainte

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 24 mars 2011, le Conseil a reçu de M. Aleksandar Aleksandrov une plainte dans laquelle il allègue que son employeur, G. Zavitz ltée (Zavitz), l’avait congédié parce qu’il avait refusé de travailler en vertu de la partie II du Code.

[3] L’agent de santé et de sécurité (l’ASS) qui a enquêté sur ce refus de travailler a conclu que la situation dont M. Aleksandrov s’était plaint ne constituait pas un danger aux termes du Code. L’ASS a aussi donné des instructions à Zavitz relativement à des contraventions à deux dispositions distinctes de l’article 128 du Code ayant trait au processus établi pour traiter les refus de travailler.

[4] Zavitz a soutenu qu’il n’avait pas imposé de mesures disciplinaires à l’égard de M. Aleksandrov, mais que ce dernier avait plutôt quitté son emploi.

[5] Pour les motifs exposés ci-dessous, Zavitz n’a pas convaincu le Conseil qu’il n’avait pas pris de mesures qui avaient forcé M. Aleksandrov à quitter son emploi en raison des préoccupations en matière de sécurité que ce dernier avait soulevées en vertu de la partie II du Code.

II – Faits

[6] M. Aleksandrov a été embauché par Zavitz comme chauffeur de camion le ou vers le 2 février 2010. Le 14 décembre 2010, M. Aleksandrov a refusé de prendre le chargement qui lui avait été attribué. Il a décrit l’incident de la manière suivante :

Le 14 décembre 2011, j’ai reçu une suspension. J’ai été suspendu parce que j’avais refusé d’utiliser un camion de rechange au lieu de mon camion dédié, comme l’avait demandé mon répartiteur. En fait, le changement de camion est une pratique courante dans cette entreprise. Malheureusement, les camions de rechange sont très sales et l’idée de devoir dormir dans un de ces camions me rend malade. J’ai reçu une copie de mon avis de suspension, qui expliquait clairement que j’allais être congédié si je refusais de nouveau de changer de camion.

(traduction)

[7] La version des faits de Zavitz est exposée dans l’« Avis de mesure disciplinaire – suspension d’une journée » (traduction), daté du 15 décembre 2010 :

Le 14 décembre 2010, vous avez refusé de prendre un chargement parce que vous étiez insatisfait du camion qui vous avait été attribué ce jour-là. Il ne s’agit pas d’un motif raisonnable pour refuser une tâche, sauf s’il y a une préoccupation légitime en matière de sécurité. En l’espèce, comme on vous a offert de l’équipement convenable pour faire le trajet prévu, nous vous imposons une suspension d’une journée, le 15 décembre 2010.

...

Alex, nous apprécions votre travail et, si nous arrivons à régler ces questions, je crois qu’il n’y aura pas d’autre incident. Toutefois, conformément à la politique de mesures disciplinaires progressives de l’entreprise, je dois vous informer que tout nouvel incident entraînera une sanction plus sévère.

(traduction)

[8] Le 24 janvier 2011, M. Aleksandrov est allé chez le médecin et a reçu une ordonnance relativement à une éruption cutanée qui s’était développée. M. Aleksandrov croyait que cette éruption avait été causée par le matelas de son camion. Il a demandé au répartiteur de Zavitz la permission d’acheter son propre matelas et de l’installer dans son camion.

[9] Le 25 janvier 2011, le répartiteur a appelé M. Aleksandrov et lui a demandé de changer de camion pour livrer le prochain chargement qui lui avait été attribué. M. Aleksandrov a répondu qu’il ne pouvait pas changer de camion à cause de l’éruption cutanée qu’il avait mentionnée la veille. Ce jour-là, M. Aleksandrov a rencontré M. Rick Brown, le gestionnaire de la sécurité et de la conformité de Zavitz, à ce sujet.

[10] M. Aleksandrov soutient qu’il a montré son éruption cutanée à M. Brown et lui a dit qu’il croyait qu’elle avait été causée par son travail. M. Aleksandrov allègue que M. Brown l’a congédié parce qu’il avait refusé de prendre le chargement qui lui avait été attribué.

[11] M. Brown conteste la description des faits de M. Aleksandrov, comme le montre la déclaration de M. Brown qui est reproduite dans le rapport d’enquête et décision de l’ASS :

J’ai expliqué cela à Aleks et je lui ai dit que je m’occuperais de faire installer un nouveau matelas dans son camion si c’était ce qu’il voulait, mais que, pour ce trajet, il devait prendre un autre camion et qu’il n’y avait aucune inquiétude en matière de santé, puisqu’il n’avait utilisé aucun autre camion depuis six (6) semaines et que son éruption cutanée était seulement apparue une (1) semaine auparavant. Aleks a alors recommencé à me dire qu’il ne changerait pas de camion et que j’allais devoir le congédier. J’ai répondu en lui expliquant que j’avais du travail pour lui et que je pouvais lui fournir d’autres camions, mais que s’il décidait de prendre ses affaires dans son camion et refusait de travailler, je considérerais cela comme une démission. Aleks a ensuite décidé de sortir et d’aller ramasser ses affaires dans son camion. J’ai envoyé Mike Royer pour surveiller Aleks pendant qu’il ramassait ses affaires et pour récupérer les articles de l’entreprise, notamment les cartes de crédit. Nous avons considéré que la conduite d’Aleks était une démission.

(traduction)

[12] Le 25 janvier 2011, vers 15 h 30, M. Aleksandrov a avisé le Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) qu’il avait refusé de travailler en vertu de la partie II du Code.

[13] Le 27 janvier 2011, deux ASS ont visité les locaux de Zavitz pour enquêter sur le refus de travailler de M. Aleksandrov. Cette enquête a ensuite mené à deux conclusions : premièrement, l’ASS a conclu qu’il n’y avait pas de danger aux termes de la partie II du Code et, deuxièmement, il a conclu que Zavitz avait enfreint deux dispositions de la partie II. L’ASS a donc donné des instructions à Zavitz. Dans une lettre datée du 3 février 2011, l’ASS a décrit les motifs des instructions qu’il avait données à Zavitz :

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes du Code canadien du travail, partie II, ont été enfreintes :

No. / No : 1

128.(10)a) – Code canadien du travail, partie II

Saisi du rapport [sur le refus de travailler fondé sur le paragraphe 9], l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et [...] d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction.

L’employeur n’a pas fait enquête sur le refus de travailler de l’employé conformément à la loi. Aucun membre du comité de santé et de sécurité au travail n’était présent lors de l’enquête.

No. / No : 2

128.(13) – Code canadien du travail, partie II

L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.

L’employeur n’a pas avisé un agent de santé et de sécurité, comme l’exige la loi, après le maintien du refus de travailler de l’employé.

Par conséquent, je vous DONNE PAR LA PRÉSENTE L’INSTRUCTION, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention immédiatement.

En outre, je vous DONNE PAR LA PRÉSENTE L’INSTRUCTION, conformément à l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre des mesures, dans le délai précisé par l’agent de santé et de sécurité, pour veiller à ce que la contravention ne se poursuive pas ni ne survienne de nouveau.

(c’est nous qui soulignons)

[14] L’ASS a ordonné à Zavitz de se conformer à ses instructions et de lui fournir une réponse écrite du comité de santé et de sécurité au travail au plus tard le 17 février 2011.

[15] Le 11 février 2011, l’ASS a envoyé une autre lettre à Zavitz et à M. Aleksandrov pour expliquer sa conclusion selon laquelle il n’y avait aucun danger lorsque M. Aleksandrov avait invoqué son droit de refuser d’effectuer du travail dangereux. Il a mentionné qu’il leur enverrait plus tard un rapport plus détaillé. Certains extraits pertinents de la lettre de l’ASS sont reproduits ci-dessous :

Les 27 janvier et 3 février 2001, j’ai visité le lieu de travail situé au 5795, RUE THOROLD STONE, Niagara Falls (Ontario), L2J 1A1, pour mener une enquête faisant suite au refus de travailler d’Aleksandar Aleksandrov. Au cours de cette visite, j’étais accompagné d’Amy Ferguson, agente de santé et de sécurité.

Veuillez prendre note que conformément au paragraphe 129(4) de la partie II du Code canadien du travail, l’agent de santé et de sécurité soussigné estime qu’il n’existe pas de danger.

De plus, veuillez prendre note que conformément au paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail, l’employé susmentionné n’a pas droit, en vertu des articles 128 ou 129, de continuer de refuser à travailler.

Enfin, veuillez en outre prendre note que conformément au paragraphe 129(7), l’employé susmentionné, ou une personne désignée par l’employé à cette fin, peut interjeter appel de la décision dudit agent de santé et de sécurité par écrit devant l’agent des appels dans les dix (10) jours suivant la réception du présent avis.

Un rapport complet de l’agent de santé et de sécurité soussigné sera fourni à l’employeur ainsi qu’à l’employé dès que possible.

(traduction)

[16] Le 16 mars 2011, l’ASS a transmis à M. Aleksandrov et à Zavitz son rapport d’enquête et décision (le rapport). Les conclusions de fait de l’ASS sont énoncées au point 5 de la section II du rapport :

5. Conclusions de fait de l’agent de santé et de sécurité :

  • L’employeur susmentionné relève de la compétence fédérale, car il offre des services de transport interprovincial pour compte d’autrui.
  • L’employé travaillait pour l’employeur au moment où il a refusé de travailler
  • Ce refus était lié à la santé et à la sécurité, particulièrement à une maladie de la peau.
  • L’employé a montré son éruption cutanée à l’employeur.
  • L’employé a affirmé qu’il croyait que l’éruption cutanée était causée par le milieu de travail.
  • L’attribution d’un camion dédié est une pratique quasi normale chez l’employeur.
  • Des camions de remplacement ont été fournis à l’employé lorsque son camion dédié était en réparation.
  • Lors de son enquête, l’employeur a notamment demandé à l’employé depuis quand il souffrait de l’éruption cutanée et quand il avait utilisé un autre camion pour la dernière fois.
  • L’employé a acheté un nouveau matelas en raison de ses symptômes.
  • L’employeur a proposé d’installer le nouveau matelas après que l’employé aurait effectué le trajet prévu.
  • L’employeur n’a demandé aucun document médical à l’employé.
  • L’employeur n’a pas confié d’autre travail à l’employé en attendant qu’il puisse mener une enquête avec le comité.
  • L’employeur n’a pas avisé un membre représentant les employés du comité de santé et de sécurité au travail.
  • L’employeur n’a pas avisé le Programme du travail de RHDCC du refus de travailler.
  • En date du 11 mars 2011, l’employeur n’a pas fourni de clarification ou de raisons écrites à l’employé pour expliquer les motifs du congédiement de l’employé, même si ce dernier l’a demandé.
  • Un relevé d’emploi, daté du 27 janvier 2011, a été rempli et indique que la cessation d’emploi découlait d’une « démission ».
  • Les véhicules inspectés par les agents de santé et de sécurité le 3 février 2011 (les camions T-104 et T-143) semblaient propres et bien rangés, mais une odeur de fumée de cigarette a été décelée.
  • L’employé avait déjà fait l’objet de mesures disciplinaires et reçu une suspension d’une journée parce qu’il avait refusé de prendre un chargement – cet incident découlait aussi du refus de l’employé d’utiliser un camion de rechange.
  • Le travailleur avait aussi soulevé des préoccupations en matière de sécurité dans le contexte de ce premier incident.

(traduction; souligné dans l’original)

[17] À la section III de son rapport, l’ASS a conclu qu’il n’y avait aucune preuve que les camions avaient causé l’éruption cutanée de M. Aleksandrov :

L’agent de santé et sécurité a conclu qu’il n’y a aucun danger, car l’employé utilisait le même camion depuis plusieurs semaines lorsque l’éruption cutanée est apparue. De plus, les cabines des camions inspectés (T-104 et T-143) semblaient propres et, bien qu’une odeur de fumée de cigarette ait été décelée, rien ne permet de conclure que les cabines des camions avaient causé l’éruption ou encore que le fait d’utiliser un camion de rechange aurait aggravé le problème médical de l’employé.

(traduction)

III – Santé et sécurité au travail aux termes de la partie II du Code

[18] La partie II du Code prévoit notamment un régime qui protège les employés des représailles lorsqu’ils soulèvent des préoccupations en matière de santé et de sécurité.

[19] Dans l’arrêt Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51, la Cour d’appel fédérale a résumé en quoi la partie II empêche l’employeur de sanctionner un employé qui exerce légitimement les droits prévus par le Code :

[43] Une lecture attentive de ces dispositions législatives mène aux constatations suivantes :

  1. le paragraphe 128(1) prévoit qu’un « employé au travail » est en droit, inter alia, de refuser de travailler dans un lieu ou d’accomplir certaines tâches « s’il a des motifs raisonnables de croire » qu’il existe un danger pour lui de travailler dans son lieu de travail ou que l’exercice de ses tâches constitue un danger pour lui;
  2. l’exception à ce principe se retrouve au paragraphe 128(2) qui prévoit qu’un employé ne peut invoquer l’article 128 au soutien d’un refus de travailler dans un lieu ou d’accomplir certaines tâches lorsque « le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi »;
  3. un employeur ne peut, aux termes de l’article 147, prendre ou menacer de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui exerce, de façon légitime, des droits en vertu de la partie II du Code intitulée « Santé et sécurité au travail » dont fait partie l’article 128;
  4. lorsque l’employeur a agi de façon contraire à l’article 147, un employé peut déposer une plainte écrite au Conseil, aux motifs « que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147 ».
  5. par ailleurs, l’article 147.1 permet à un employeur, lorsque le processus d’enquête et d’appel prévu aux articles 128 et 129 est complété, de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui a exercé ses droits « délibérément » de façon abusive.

[44] Voilà le contexte législatif dans lequel se situe la plainte de la demanderesse, qui prétend que suite à l’exercice de ses droits en vertu de l’article 128, la GRC lui a donné un ordre de retour au travail, ordre qu’elle a réitéré à plus d’une reprise, en la menaçant de mesures disciplinaires si elle maintenait son droit de refus.

[20] L’article 128 du Code prévoit notamment le droit des employés de refuser de faire du travail dangereux et l’obligation de faire enquête lors de tels refus :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

Exception

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

Navires et aéronefs

(3) L’employé se trouvant à bord d’un navire ou d’un aéronef en service avise sans délai le responsable du moyen de transport du danger en cause s’il a des motifs raisonnables de croire :

a) soit que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) soit qu’il est dangereux pour lui de travailler à bord;

c) soit que l’accomplissement d’une tâche à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

Le responsable doit aussitôt que possible, sans toutefois compromettre le fonctionnement du navire ou de l’aéronef, décider si l’employé peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question, de travailler dans ce lieu ou d’accomplir la tâche, et informer l’employé de sa décision.

Interdiction du refus

(4) L’employé qui, en application du paragraphe (3), est informé qu’il ne peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose, de travailler dans le lieu ou d’accomplir la tâche, ne peut, pendant que le navire ou l’aéronef où il travaille est en service, se prévaloir du droit de refus prévu au présent article.

Définition de « en service »

(5) Pour l’application des paragraphes (3) et (4), un navire ou un aéronef sont en service, respectivement :

a) entre le démarrage du quai d’un port canadien ou étranger et l’amarrage subséquent à un quai canadien;

b) entre le moment où il se déplace par ses propres moyens en vue de décoller d’un point donné, au Canada ou à l’étranger, et celui où il s’immobilise une fois arrivé à sa première destination canadienne.

Rapport à l’employeur

(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

Option de l’employé

(7) L’employé informe alors l’employeur, selon les modalités – de temps et autres – éventuellement prévues par règlement, de son intention de se prévaloir du présent article ou des dispositions d’une convention collective traitant du refus de travailler en cas de danger. Le choix de l’employé est, sauf accord à l’effet contraire avec l’employeur, irrévocable.

Mesures à prendre par l’employeur

(8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

Maintien du refus

(9) En l’absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l’employé, s’il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l’employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

Enquête

(10) Saisi du rapport, l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et, selon le cas :

a) d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b) du représentant;

c) lorsque ni l’une ni l’autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n’est disponible, d’au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l’employé.

Rapports multiples

(11) Lorsque plusieurs employés ont présenté à leur employeur des rapports au même effet, ils peuvent désigner l’un d’entre eux pour agir en leur nom dans le cadre de l’enquête.

Absence de l’employé

(12) L’employeur peut poursuivre son enquête en l’absence de l’employé lorsque ce dernier ou celui qui a été désigné au titre du paragraphe (11) décide de ne pas y assister.

Maintien du refus de travailler

(13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.

Notification des mesures prises

(14) L’employeur informe le comité local ou le représentant des mesures qu’il a prises dans le cadre du paragraphe (13).

(c’est nous qui soulignons)

[21] L’article 129 du Code, entre autres, confie à l’ASS le rôle de faire enquête sur le refus de travailler et permet à l’employeur de confier d’autre travail convenable à l’employé pendant cette enquête (paragraphe 129(5)) :

129.(1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

Rapports multiples

(2) Lorsque plusieurs employés maintiennent leur refus, ils peuvent désigner l’un d’entre eux pour agir en leur nom dans le cadre de l’enquête.

Absence de l’employé

(3) L’agent peut procéder à l’enquête en l’absence de toute personne mentionnée aux paragraphes (1) ou (2) qui décide de ne pas y assister.

Décision de l’agent

(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

Continuation du travail dans certains cas

(5) Avant la tenue de l’enquête et tant que l’agent n’a pas rendu sa décision, l’employeur peut exiger la présence de l’employé en un lieu sûr proche du lieu en cause ou affecter celui-ci à d’autres tâches convenables. Il ne peut toutefois affecter un autre employé au poste du premier que si les conditions suivantes sont réunies :

a) cet employé a les compétences voulues;

b) il a fait part à cet employé du refus de son prédécesseur et des motifs du refus;

c) il croit, pour des motifs raisonnables, que le remplacement ne constitue pas un danger pour cet employé.

Instructions de l’agent

(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

Appel

(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

(c’est nous qui soulignons)

[22] L’article 133 énonce les conditions qui encadrent le droit de l’employé de déposer une plainte de représailles relativement à l’exercice des droits prévus à la partie II du Code. Dans les cas où un employé invoque son droit de refuser de travailler, le paragraphe 133(6) du Code inverse le fardeau de la preuve :

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

Délai relatif à la plainte

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

Restriction

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

Exclusion de l’arbitrage

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

Fonctions et pouvoirs du Conseil

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

Charge de la preuve

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

(c’est nous qui soulignons)

[23] L’article 147, auquel il est fait référence au paragraphe 133(1), interdit à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires dans certaines circonstances :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

IV – Questions en litige

[24] Pour trancher la plainte de M. Aleksandrov, le Conseil doit se pencher sur deux questions :

  1. M. Aleksandrov avait-il un motif raisonnable de refuser de travailler le 25 janvier 2011?
  2. Zavitz s’est-il acquitté du fardeau de la preuve en vertu du paragraphe 133(6) du Code pour établir qu’il n’avait pas enfreint le Code?

V – Analyse et décision

1 – M. Aleksandrov avait-il un motif raisonnable de refuser de travailler le 25 janvier 2011?

[25] Pour que M. Aleksandrov puisse poursuivre sa plainte, le paragraphe 128(1) du Code exige que le Conseil soit convaincu que M. Aleksandrov avait « des motifs raisonnables de croire » que le travail en question était dangereux. Dans George Court, 2010 CCRI 498, le Conseil a examiné la jurisprudence antérieure relative à l’exigence de « motifs raisonnables » pour qu’une plainte fondée sur la partie II du Code soit recevable. Le Conseil a décrit ce « seuil » aux paragraphes 104 à 107 de George Court :

[106] Récemment, dans l’arrêt Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, lorsqu’un employé n’avait pas de motif raisonnable de croire qu’une demande de retourner au travail constituait un risque pour sa santé ou sa sécurité, la plainte en matière de santé et de sécurité serait rejetée.

[107] JGH soutient que M. Court n’avait pas de « motifs raisonnables de croire » qu’il existait un danger et qu’il cherchait à invoquer son droit de refuser de travailler plutôt pour d’autres motifs, y compris parce qu’il croyait que la convention collective lui donnait droit à un camion climatisé.

[108] JGH n’a pas seulement présenté des éléments de preuve au sujet de la prétendue falsification de documents clés par M. Court, mais aussi plusieurs témoignages selon lesquels il n’y avait aucun danger le matin du 11 juillet 2008. Ces témoignages portaient sur l’inspection du camion 1316 faite le jour même par des employés de JGH, sur la nécessité, pour des raisons de sécurité, de faire l’inspection avant-départ et sur le rapport du comité mixte de santé et de sécurité daté du 30 octobre 2008, c’est-à-dire deux jours après que JGH eût congédié M. Court.

[109] Forcément, le seuil nécessaire pour conclure qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » est faible. Il s’agit d’une question distincte de celle de savoir s’il existait réellement un danger. Le Conseil a appliqué le critère des motifs raisonnables à des cas extraordinaires. Dans la grande majorité des cas, le Conseil a conclu que l’employé avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait un danger, et ce, même lorsqu’il a été démontré plus tard que cette croyance était erronée.

[26] Le Conseil est convaincu que M. Aleksandrov avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait un danger. Le Conseil n’évalue pas si M. Aleksandrov avait raison de croire à l’existence de ce danger. À cet égard, l’enquête ultérieure de l’ASS a conclu qu’il n’y avait aucun danger au sens du Code.

[27] Cependant, les faits révèlent que M. Aleksandrov croyait que l’éruption cutanée, qui l’avait poussé à consulter un médecin et pour laquelle il avait reçu une ordonnance, était causée par son milieu de travail. De plus, la veille de son refus de travailler, M. Aleksandrov avait demandé la permission d’installer son propre matelas dans son camion pour s’en servir lorsqu’il aurait à dormir dans la cabine pour effectuer certains trajets.

[28] Comme l’a souligné l’ASS au point 5 de la section II de son rapport, Zavitz avait « proposé d’installer le nouveau matelas après que l’employé aurait effectué le trajet prévu » (traduction; souligné dans l’original).

[29] Zavitz a contesté auprès de l’ASS l’existence d’un quelconque danger – ce qu’il avait le droit de faire –, mais il n’a pas soutenu que le refus de travailler de M. Aleksandrov était en quoi que ce soit un prétexte visant à régler une autre situation en milieu de travail, par exemple un conflit de travail de longue date.

[30] M. Aleksandrov a rempli l’exigence d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’il s’exposait à un danger dans le milieu de travail. Le Code prévoit que, dans un tel cas, la situation doit faire l’objet d’une enquête en bonne et due forme, y compris, au besoin, en la soumettant à l’examen d’un ASS indépendant.

2 – Zavitz s’est-il acquitté du fardeau de la preuve en vertu du paragraphe 133(6) du Code pour établir qu’il n’avait pas enfreint le Code?

[31] Si un employé a exercé légitimement son droit de refuser de travailler en vertu des articles 128 ou 129, le paragraphe 133(6) du Code a deux effets. D’abord, il prévoit que la présentation même de la plainte « constitue une preuve de la contravention ». Ensuite, il impose à l’intimé le fardeau de prouver le contraire.

[32] Dans les circonstances en l’espèce, Zavitz n’a pas convaincu le Conseil qu’il n’y avait pas eu de contravention au Code.

[33] Zavitz a expliqué sa position aux paragraphes 15 à 19 de sa réponse, datée du 27 avril 2010 :

15. Aleksandar Aleksandrov a quitté son emploi – il n’a pas été congédié.

16. Le paragraphe 128(5) du Code canadien du travail permet à l’employeur de confier d’autre travail convenable à l’employé pendant l’enquête. Nous cherchions seulement à exercer ce droit.

17. Comme Aleks est un chauffeur professionnel, il était approprié de lui donner des tâches de chauffeur pendant que nous menions enquête sur ses plaintes.

18. Si, au lieu de démissionner, Aleks avait suivi la procédure établie et collaboré davantage à l’enquête, nous aurions pu lui donner un camion acceptable pour le trajet prévu, pendant que les modifications demandées étaient apportées à son camion dédié.

19. Aleks reconnaît lui-même qu’il savait que G. Zavitz Ltd., comme la plupart des entreprises de camionnage, fournit des camions de rechange lorsque le camion dédié est en réparation.

(traduction)

[34] Le Conseil tient pour acquis que, en renvoyant au « paragraphe 128(5) », Zavitz voulait plutôt renvoyer au paragraphe 129(5), précité, qui porte sur l’assignation de l’employé à d’autres tâches convenables pendant que le processus de refus de travailler suit son cours.

[35] Personne n’a soutenu que Zavitz avait agi de mauvaise foi lorsqu’il avait traité les préoccupations de M. Aleksandrov le 25 janvier 2011. Néanmoins, soit Zavitz n’a pas compris la nature du refus de M. Aleksandrov, soit il a simplement décidé qu’il avait eu tort de refuser de travailler. Malgré l’exigence fixée par la partie II du Code (paragraphe 128(13)) de communiquer avec un agent de santé et de sécurité lorsqu’un employé et un employeur ne s’entendent pas sur l’existence d’un danger, Zavitz a plutôt voulu forcer M. Aleksandrov à utiliser un camion de rechange.

[36] La position de Zavitz et la lettre d’avertissement datée du 15 décembre 2010, par laquelle il avait indiqué qu’un autre refus de tâche entraînerait des mesures disciplinaires plus sévères, n’ont laissé que deux choix à M. Aleksandrov : il pouvait soit conduire un camion de rechange même s’il croyait que les véhicules étaient la cause de son éruption cutanée, soit subir une sanction supplémentaire.

[37] Puisque M. Aleksandrov faisait essentiellement face à un ultimatum, le Conseil rejette l’allégation de Zavitz selon laquelle M. Aleksandrov avait quitté son emploi de son plein gré. Si Zavitz avait respecté la partie II du Code, la situation aurait fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme.

[38] Au paragraphe 16 de sa réponse, Zavitz a invoqué son droit d’assigner M. Aleksandrov à d’autres tâches convenables. Compte tenu des circonstances en l’espèce, cela n’est pas une défense suffisante. D’abord, les autres tâches ne peuvent pas être le même genre de travail qui représente un danger de l’avis de l’employé. M. Aleksandrov alléguait que c’était l’état des cabines qui avait causé son problème médical. La situation aurait peut-être été différente si la question avait porté sur un problème mécanique quant à un seul véhicule, plutôt que sur la préoccupation générale soulevée par M. Aleksandrov.

[39] Ensuite, de toute manière, le paragraphe 129(5) du Code permet à l’employeur d’assigner l’employé à d’autres tâches convenables, mais seulement après s’être conformé à l’obligation d’aviser un ASS, comme l’exige le paragraphe 128(13). En l’espèce, Zavitz n’a jamais communiqué avec un ASS.

[40] Zavitz a contesté l’allégation de M. Aleksandrov selon laquelle il existait un danger lorsqu’il avait refusé de travailler. Le Code établit une procédure claire que l’employeur doit suivre pour mener enquête sur de telles divergences d’opinions légitimes. Toutefois, au lieu d’appliquer la procédure prévue par les articles 128 et 129, Zavitz a exigé que M. Aleksandrov effectue la tâche qui lui avait été attribuée, mais avec un camion de rechange, même si M. Aleksandrov continuait à croire que cette tâche était dangereuse.

[41] Le Conseil estime que ces faits empêchent Zavitz de s’acquitter du fardeau que lui impose le paragraphe 133(6) du Code.

[42] Le Conseil est convaincu que la relation d’emploi entre Zavitz et M. Aleksandrov a pris fin parce que ce dernier avait refusé d’effectuer du travail qu’il jugeait dangereux. M. Aleksandrov a seulement quitté son emploi lorsque Zavitz a exigé qu’il effectue la tâche qu’il avait déjà refusé de faire et qui n’avait pas fait l’objet d’une enquête en bonne et due forme suivant le Code.

VI – Mesures de redressement

[43] Le Conseil déclare que Zavitz a enfreint le Code.

[44] Le Conseil se réserve le pouvoir de rendre d’autres ordonnances de redressement en vertu de l’article 134 du Code, mais il veut d’abord que les parties se rencontrent en présence d’un de ses agents des relations industrielles, qui agira comme médiateur, afin de chercher à régler ces questions, si possible.

[45] Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, le Conseil établira un échéancier pour la présentation de nouvelles observations écrites sur cette question.

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