Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Motifs de décision

Section locale 362 de la Fraternité internationale des Teamsters (General Teamsters),

requérante,

et


Reimer Express Lines ltée, faisant affaire sous la raison sociale YRC Reimer,

intimée.

Dossier du Conseil : 28574-C

Référence neutre : 2011 CCRI 585

Le 29 avril 2011

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. John Bowman et Me David P. Olsen, Membres.

Avocats inscrits au dossier
Me Clayton H. Cook, pour la section locale 362 de la Fraternité internationale des Teamsters (General Teamsters);
Me Michael Horvat, pour Reimer Express Lines ltée, faisant affaire sous la raison sociale YRC Reimer.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut rendre sa décision sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

I – Nature de la plainte

[2] Le 4 février 2011, le Conseil a reçu une plainte de pratique déloyale de travail (PDT) et une demande de déclaration de lock-out illégal de la section locale 362 de la Fraternité internationale des Teamsters (General Teamsters) (les Teamsters). Selon les Teamsters, Reimer Express Lines ltée, faisant affaire sous la raison sociale YRC Reimer (Reimer), a enfreint l’article 50 (autant la disposition relative au gel des conditions d’emploi que l’obligation de négocier de bonne foi), l’alinéa 94(1)a) (ingérence de l’employeur) et l’article 92 (lock-out illégal) du Code.

[3] Le litige opposant les parties découle principalement d’une lettre d’entente (la LE) qu’elles ont négociée pendant la période d’application de la convention collective. Cette LE confirmait, entre autres choses, des concessions salariales faites par les employés et la suspension de l’obligation de Reimer de verser des cotisations au régime de retraite. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la LE est restée en vigueur après l’expiration de la convention collective et pendant la période de gel prévue par le Code.

[4] Reimer nie les allégations des Teamsters, mais elle a aussi demandé au Conseil de rejeter les plaintes en vertu du paragraphe 98(3) du Code et de les renvoyer à l’arbitrage en vertu de la convention collective.

[5] Le Conseil a décidé, en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code, de reporter à plus tard l’audition de la présente affaire. C’est l’interprétation de la LE conclue par les parties qui est au cœur du litige. Un arbitre devrait pouvoir trancher pratiquement toutes les questions qui opposent les parties. Les Teamsters ont déjà présenté un grief de principe. Après l’arbitrage et à la demande des parties, le Conseil se penchera sur les questions restantes, le cas échéant.

II – Faits et position des parties

[6] Les Teamsters représentent une unité de négociation de 39 employés de Reimer, qui est composée de :

tous les employés de Reimer Express Lines Ltd. travaillant au terminal d’Edmonton, à l’exclusion des mécaniciens, des contremaîtres et ceux de niveau supérieur au contremaître, du personnel de bureau, des ventes et des commis, des propriétaires-exploitants et des grands routiers.

[7] Les Teamsters et Reimer ont conclu une convention collective qui est entrée en vigueur le 5 avril 2005 et qui a expiré le 31 mars 2010.

[8] Le 30 septembre 2009, les Teamsters et Reimer ont négocié la LE qui est au cœur du litige. La LE découlait de la situation économique difficile dans laquelle se trouvait Reimer.

[9] La LE était censée prolonger la durée de la convention collective pour une période de neuf mois, c’est-à-dire du 31 mars 2010 au 31 décembre 2010.

[10] Dans la LE, les Teamsters ont accepté diverses choses, y compris une réduction salariale de 0,33 $ l’heure et la suspension de l’obligation de Reimer de verser des cotisations au régime de retraite. Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation et la manière d’appliquer la disposition suivante (disposition d’annulation) de la LE :

Toutes les modalités, à l’exception de la date d’expiration, reviendront aux modalités de base prévues à la convention collective qui a été conclue le 15 septembre 2006 et qui expirera le 31 mars 2010.

(traduction)

[11] Après le 31 décembre 2010, Reimer a continué de rémunérer les employés en fonction du taux réduit fixé par la LE. De plus, elle n’a fait aucune cotisation au Prairie Teamsters Pension Plan (le régime de retraite).

[12] Les Teamsters prétendent que Reimer n’a pas respecté la disposition d’annulation de la LE qui, selon eux, l’obligeait à appliquer les conditions d’emploi qui existaient avant la conclusion de la LE. Pour étayer leur argument, les Teamsters ont mentionné une lettre du 1er février 2011 de Reimer, où cette dernière avait notamment affirmé ce qui suit :

Lors de la dernière ronde de négociations, qui avait mené à la conclusion de la LE ayant expiré le 31 décembre 2010, les parties s’étaient engagées à ce que la présente ronde de négociations mène à la conclusion, « AVANT » le 31 décembre 2010, d’une nouvelle convention collective qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2011.

Conformément à cette intention, nous suspendrons toutes les modifications initialement prévues pour le 1er janvier 2011 et reporterons toute modification ultérieure au 31 décembre 2010 à la présente ronde de négociations.

(traduction)

[13] Dans ses observations, Reimer affirme avoir continué à appliquer les conditions d’emploi qui existaient tout juste avant le début de la période de gel prévue à l’alinéa 50b) du Code. Elle soutient que, lorsque les parties ont établi les modalités de la LE, elles voulaient que ces modalités s’appliquent jusqu’à la conclusion d’une nouvelle convention collective.

[14] Le 1er février 2011, les Teamsters ont présenté un grief de principe selon lequel Reimer n’avait pas respecté les taux de rémunération prévus à la convention collective et n’avait pas versé les cotisations au régime de retraite exigées par la convention.

[15] Reimer demande au Conseil de rejeter la plainte des Teamsters et d’appliquer le paragraphe 98(3) du Code, car la même question est déjà instruite par un arbitre en droit du travail :

97.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu aux paragraphes 24(4) ou 34(6), aux articles 37, 47.3, 50, 69, 87.5 ou 87.6, au paragraphe 87.7(2) ou aux articles 94 ou 95;

b) soit à une personne d’avoir contrevenu à l’article 96.

...

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

(c’est nous qui soulignons)

[16] Les Teamsters avancent que le Conseil ne peut pas exercer son pouvoir de rejet aux termes du paragraphe 98(3) du Code parce que leur demande de déclaration de lock-out illégal a été présentée en vertu de l’article 92 du Code, ci-dessous, plutôt qu’en vertu de l’article 97. Subsidiairement, les Teamsters demandent au Conseil d’exercer sa compétence en partant du principe qu’il est le mieux placé pour trancher les questions en litige, et ce, même si un arbitre en droit du travail pourrait lui aussi avoir compétence pour interpréter la convention collective.

[17] En outre, les Teamsters ont affirmé que la conduite de Reimer contrevenait aux dispositions sur le gel des conditions d’emploi :

Le Conseil ne devrait pas hésiter à conclure que le refus de rémunérer les employés membres de l’unité de négociation conformément à la convention collective (c’est-à-dire d’appliquer les taux antérieurs à la prolongation) constitue une violation de l’alinéa 50b) du Code.

(traduction)

[18] L’alinéa 50b) du Code est ainsi rédigé :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

...

b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n’ont pas été remplies, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.

[19] Les Teamsters ont aussi soutenu qu’il y avait eu lock-out illégal. Selon eux, la définition donnée au lock-out par le Code peut inclure « la modification unilatérale des conditions d’emploi », ce qui correspond à leur interprétation de la manière dont Reimer applique actuellement la convention collective. Les Teamsters allèguent que Reimer a cherché à forcer les employés à accepter ses propositions quant à la nouvelle convention collective.

[20] Le Code définit le « lock-out » de la manière suivante :

3.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

...

« lock-out » S’entend notamment d’une mesure – fermeture du lieu de travail, suspension du travail ou refus de continuer à employer un certain nombre des employés – prise par l’employeur pour contraindre ses employés, ou aider un autre employeur à contraindre ses employés, à accepter des conditions d’emploi.

[21] L’article 92 du Code porte sur les demandes de déclaration de lock-out illégal :

92. À la demande du syndicat qui prétend qu’un employeur a déclaré ou provoqué un lock-out en violation de la présente partie ou est sur le point de le faire, le Conseil peut, après avoir donné à l’employeur la possibilité de présenter des arguments, déclarer le lock-out illégal et, à la demande du syndicat, rendre une ordonnance enjoignant à l’employeur :

a) ainsi qu’à toute personne agissant pour son compte, de s’abstenir de déclarer ou provoquer le lock-out;

b) ainsi qu’à toute personne agissant pour son compte, de mettre fin au lock-out et de permettre aux employés concernés de reprendre leur travail;

c) de porter immédiatement à la connaissance des employés visés par le lock-out, réel ou potentiel, les ordonnances rendues en application des alinéas a) ou b).

[22] Les Teamsters se fondent sur les mêmes faits pour prétendre que Reimer s’est ingérée dans leurs droits de représentation, enfreignant ainsi l’alinéa 94(1)a) du Code. Selon les Teamsters, en ne cherchant pas à obtenir leur consentement pour maintenir le statu quo, Reimer s’ingère dans les droits de représentation du syndicat :

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[23] Par ailleurs, les Teamsters ont aussi prétendu que Reimer n’avait pas respecté l’obligation de négocier de bonne foi que lui impose l’alinéa 50a) du Code, mais « par manque de temps, l’argument relatif à l’alinéa 50a) sera seulement abordé pendant l’audience.» (traduction) :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

  1. se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;
  2. faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[24] Reimer a présenté un résumé des séances de négociation collective qui avaient été tenues avec les Teamsters à l’automne 2010 et en 2011. Le 15 janvier 2011, les employés représentés par les Teamsters ont rejeté l’offre contractuelle de Reimer.

[25] À titre de redressement, les Teamsters demandent notamment au Conseil de déclarer qu’il y a eu lock-out illégal et d’ordonner à Reimer de payer les salaires et les autres avantages dus en application de la convention collective initiale ainsi que l’arriéré de salaire.

III – Analyse et décision

[26] Le Conseil a le pouvoir de reporter à plus tard sa décision sur une question qui pourrait être réglée par arbitrage :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

[27] L’article 67 du Code porte sur les conventions collectives en général, et le paragraphe 67(2) traite expressément de la durée d’une convention collective :

67.(2) La présente partie n’a pas pour effet d’empêcher les parties à une convention collective de prévoir la révision de toute disposition de celle-ci ne portant pas sur sa durée.

(c’est nous qui soulignons)

[28] Le Conseil renvoie les parties au paragraphe 67(2) du Code pour ce qui est des ententes visant à modifier la durée des conventions collectives en vigueur. Si le Conseil devait éventuellement trancher certaines des questions en litige, il pourrait demander aux parties de se prononcer sur la pertinence du paragraphe 67(2) à l’égard de la présente affaire.

[29] Le Conseil a examiné les observations des parties et il est convaincu que toutes les questions en litige ont trait à l’interprétation de la convention collective et de la LE conclues par les parties. En règle générale, ce genre de question relève de la compétence d’un arbitre de griefs plutôt que d’une commission des relations du travail. S’il y a ambiguïté, le contexte de la négociation de la LE pourrait être pertinent. C’est l’arbitre qui serait le mieux placé pour trancher de telles questions.

[30] Compte tenu des faits et des arguments de parties résumés ci-dessus, le Conseil est convaincu qu’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code afin de reporter sa décision à plus tard. Chaque question soulevée dans la présente affaire découle d’interprétations divergentes de la convention collective et, plus encore, de la disposition d’annulation de la LE.

[31] Récemment, dans la décision Trevor William Emile Rees, 2010 CCRI 499, le Conseil s’est prononcé sur les circonstances dans lesquelles il peut reporter à plus tard une décision en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code :

[17] Le même jour où il a ajouté le paragraphe 60(1.1) au Code, le législateur a aussi ajouté l’alinéa 16l.1) :

« 16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement. »

[18] L’alinéa 16l.1) n’autorise pas le Conseil à rejeter la plainte de M. Rees. À cet égard, cette disposition est très différente du paragraphe 98(3) du Code :

« 98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage. »

[19] L’alinéa 16l.1) permet au Conseil de suspendre sa procédure lorsqu’une instance de relations de travail possiblement plus pertinente est en cours.

[20] Le législateur a ajouté l’alinéa 16l.1) précisément pour ce genre de situation. Un arbitre est présentement saisi du grief de congédiement de M. Rees. L’arbitre est compétent, en vertu du paragraphe 60(1.1) du Code, pour décider s’il prorogera le délai prévu à la convention collective et entendra l’argumentation sur le bien-fondé du grief de M. Rees.

[21] Le Conseil préfère ne pas court-circuiter l’arbitre. Chose plus importante encore, l’arbitre examinera la question simple de savoir s’il va proroger les délais, mais l’affaire dont le Conseil est saisi est plus complexe. En bref, la présente affaire porte sur la question de savoir si l’omission d’un agent négociateur de respecter un délai prévu à la convention collective constitue un manquement au devoir de représentation juste.

[32] En l’espèce, le Conseil estime qu’un arbitre pourra trancher la question de savoir s’il y a bel et bien eu violation de la convention collective. Cette décision sera pertinente à l’égard de la demande de déclaration de lock-out illégal présentée par les Teamsters. De même, selon la décision de l’arbitre, la réponse à la question de savoir si le gel des conditions prévu par la loi a été enfreint pourrait devenir évidente.

[33] La question de déterminer si Reimer s’est ingérée dans les droits de représentation des Teamsters, au sens de l’alinéa 94(1)a) du Code, dépendra aussi, dans une certaine mesure, de la décision de l’arbitre.

[34] Le Conseil estime que, selon la réponse que l’arbitre donnera à cette question d’interprétation, toutes les questions en litige pourraient être tranchées définitivement. Néanmoins, l’alinéa 16l.1) du Code – dont l’application entraîne seulement la suspension d’une affaire, contrairement au paragraphe 98(3), qui entraîne son rejet – permet au Conseil de rester saisi du litige et de le régler, au besoin, après qu’un arbitre a rendu sa décision.

[35] Puisque les Teamsters ont présenté un grief de principe, c’est pour le Conseil la meilleure façon de traiter l’affaire. Le Conseil préfère ne pas court-circuiter l’arbitre, à qui revient le rôle fondamental d’interpréter la convention collective des parties ainsi que les documents connexes comme la LE.

[36] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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