Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

British Columbia Maritime Employers Association,

requérante,

et


International Longshore and Warehouse Union, section locale 500,

intimée.

Dossier du Conseil : 28669-C

Référence neutre : 2011 CCRI 578

Le 7 avril 2011

Le Conseil se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Une audience a été tenue par vidéoconférence le 29 mars 2011.

Représentants inscrits au dossier
Me Israel Chafetz, c.r., pour la British Columbia Maritime Employers Association;
Me Craig Bavis, pour l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500.

I – Nature de la demande

[1] Le 25 mars 2011, le Conseil a reçu de la British Columbia Maritime Employers Association (BCMEA) et des entreprises de débardage qui en sont membres une demande de déclaration de grève illégale fondée sur l’article 91 du Code.

[2] La BCMEA allègue que l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, (l’ILWU) a déclaré ou autorisé une grève illégale à l’encontre des membres de la BCMEA à partir du 26 mars 2011.

[3] L’ILWU a répondu à cette demande le 28 mars 2011, en soutenant notamment que le Conseil devait exercer son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Selon l’ILWU, les parties ne s’entendaient pas sur les droits et les obligations prévus à leur convention collective, y compris sur la question de savoir si l’article 21.05, qui porte sur les « activités ininterrompues » (traduction), s’applique au chargement du grain par trou de remplissage.

[4] La BCMEA a présenté sa réplique le matin du 29 mars 2011. Après avoir examiné les observations écrites des parties, le Conseil a tenu une audience par vidéoconférence l’après-midi du 29 mars 2011. Peu après le début de l’audience, le Conseil a avisé les parties qu’il voulait d’abord entendre les observations des parties relativement au moyen préliminaire de l’ILWU, selon lequel l’affaire devait être renvoyée à l’arbitrage.

[5] Après avoir entendu les parties au sujet de cette question préliminaire, le Conseil a statué de vive voix qu’il avait été convaincu de renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Les motifs de la décision du Conseil sont énoncés ci-après.

II – Faits et position des parties

[6] La BCMEA et l’ILWU sont parties à une convention collective qui a expiré le 31 mars 2010. La clause de prorogation de cette convention fait en sorte qu’elle est encore en vigueur.

[7] Le litige entre les parties découle de leurs interprétations divergentes de la convention collective quant au chargement par trou de remplissage ainsi que sur la portée d’un protocole d’entente conclu en 2003 (le PE de 2003).

[8] Habituellement, le grain est chargé directement dans la cale à marchandise d’un navire par les écoutilles de chargement, qui sont de larges ouvertures pratiquées dans le pont. Toutefois, lorsque la météo est défavorable, cette méthode fait que le grain devient mouillé et avarié. Par conséquent, lorsqu’il pleut, les navires sont chargés au moyen de « trous de remplissage » situés sur le dessus des écoutilles du navire.

[9] La BCMEA soutient que la méthode de chargement par trou de remplissage est sécuritaire et qu’elle a fait l’objet de deux études techniques. De plus, la BCMEA a invoqué des commentaires faits par Transports Canada au sujet de la méthode de chargement par trou de remplissage.

[10] L’ILWU soutient que la pratique pourrait être dangereuse, car elle fait que la poussière de grain risque de s’enflammer et d’exploser.

[11] Le 15 mars 2011, M. Jack Vogt, le directeur des relations du travail de la BCMEA, a écrit au vice-président de l’ILWU, M. Mike Rondpré, au sujet d’une conversation qu’ils avaient eue. M. Vogt a commencé sa lettre de la manière suivante :

Comme nous en avons discuté ce matin, les employés n’ont pas le droit de refuser des tâches de chargement par trou de remplissage, car cela représente une violation de la convention collective et du Code canadien du travail. Vous avez dit que les employés « ont le droit de refuser de faire le chargement par trou de remplissage s’ils croient que ce travail est dangereux ». Comme vous le savez, RHDC a déjà rendu une décision sur la question et elle a autorisé les employeurs à continuer de charger les navires au moyen des trous de remplissage.

(traduction)

[12] Dans sa lettre, M. Vogt a averti l’ILWU que, si un seul de ses membres décidait de ne pas accomplir une tâche de chargement par trou de remplissage, la BCMEA considérerait cela comme un refus de travailler concerté et pourrait réclamer des dommages-intérêts.

[13] Le 17 mars 2011, M. Rondpré a répondu à M. Vogt et l’a informé que les membres de l’ILWU avaient le droit de refuser ce genre de travail pour des motifs de sécurité et que, par ailleurs, l’ILWU n’acceptait pas l’argument selon lequel le chargement par trou de remplissage était visé par l’article 21.05 de la convention collective, intitulé « activités ininterrompues » :

Les travailleurs attitrés au chargement du grain avaient le droit de refuser d’effectuer ce genre de tâches et il n’y a aucun doute que certains travailleurs trouvent ce travail dangereux : ils ont refusé de le faire et accepté d’autres tâches. Si, suivant vos instructions, le service de répartition modifiait cette règle et ne permettait plus aux travailleurs, sans imposer de mesure disciplinaire, de refuser d’effectuer les tâches qui, selon eux, représentent un danger pour leur santé ou leur sécurité, ces mêmes travailleurs refuseraient probablement d’effectuer ces tâches en vertu de l’article 7.03 de la convention collective (qui prévoit le droit de refuser d’effectuer des tâches jugées dangereuses, etc.).

Pour ce qui est de vos commentaires au sujet de l’adoption de motions par nos membres, je vous fais remarquer que vous vous prononcez sur l’administration d’un syndicat et que c’est vous qui cherchez à modifier les règles quant aux tâches de chargement par trou de remplissage. Des travailleurs attitrés au chargement du grain ont refusé d’effectuer ces tâches depuis que le service de répartition a commencé à les attribuer, et il existe un lien entre ces refus et l’article 7.03. C’est la note de service que vous avez envoyée hier qui a modifié la façon dont le service de répartition traite cette question, et, comme vous l’avez reconnu, cela est contraire à la convention collective.

De plus, sachez que, pour l’application de l’article 21.05 de la convention collective, il n’existe aucune entente qui permettrait de mener ces nouvelles tâches de chargement par trou de remplissage en tant qu’activités ininterrompues. Une telle entente est nécessaire pour que le travail puisse continuer pendant les périodes de pause et de repas. Par conséquent, je vous informe que le syndicat cessera de traiter ces tâches comme une activité ininterrompue après le 25 mars 2011, à moins que nous concluions une entente conformément à l’article 21.05 de la convention collective.

(traduction)

[14] Le 21 mars 2011, M. Vogt a répondu à M. Rondpré en présentant sa propre interprétation des circonstances selon lesquelles les employés pourraient refuser d’effectuer le chargement par trou de remplissage, et il a soutenu que le chargement par trou de remplissage était visé par l’article 21.05 de la convention collective depuis longtemps :

La BCMEA affirme que les employés n’ont pas le droit de refuser d’effectuer le chargement par trou de remplissage, et que de tels refus seraient réputés être un arrêt de travail concerté et donc une violation de la convention collective et du Code canadien du travail. La note de service que j’ai envoyée aux répartiteurs de la BCMEA n’a rien changé – au contraire, elle a confirmé la pratique de répartition actuelle. Notre service de répartition a réaffirmé que la pratique de répartition actuelle ne permet pas aux employés de refuser des tâches de chargement par trou de remplissage. On s’attend à ce que les employés qui se connectent pour obtenir du travail acceptent les tâches offertes, se présentent au travail et s’abstiennent d’exercer tout moyen de pression illégal.

Je tiens aussi à répondre à votre commentaire selon lequel les employés qui jugent que ce travail « représente un danger pour leur santé ou leur sécurité refuseraient probablement d’effectuer ces tâches en vertu de l’article 7.03 ». Ce commentaire est inquiétant, compte tenu du fait que Transports Canada a déjà conclu que le chargement par trou de remplissage est sécuritaire et que vous avez signé récemment une entente portant que « la BCMEA et l’ILWU conviennent qu’il a été jugé que le chargement par trou de remplissage, décrit en détail dans les procédures de travail actuelles, ci-jointes, constitue une pratique de travail sécuritaire... ».

Un employé peut seulement refuser d’effectuer une tâche lorsqu’il croit que, dans des circonstances précises, le fait d’effectuer ce travail constituerait un danger pour sa santé ou sa sécurité. Dans un tel cas, l’employé a l’obligation de décrire précisément ses préoccupations en matière de sécurité par rapport au danger allégué. En l’espèce, le chargement par trou de remplissage a déjà fait l’objet d’une décision : les employés doivent donc s’y plier. Toute conduite contraire représenterait un refus de mauvaise foi et une violation de l’article 7.01 de la convention collective. Cette position est conforme à la jurisprudence applicable à notre secteur.

Le syndicat a l’obligation d’éviter toute interruption de travail probable. Nous nous attendons donc à ce que vos membres aient été informés qu’il a été déclaré que le chargement de grain par trou de remplissage constitue une pratique de travail sécuritaire. De plus, je tiens à vous rappeler que les dirigeants de la section locale 500 de l’ILWU (dont vous faites partie) ont signé une entente portant sur le chargement du grain. Dans cette entente, le syndicat s’est engagé à aviser ses membres que la pratique de chargement du grain par trou de remplissage, qui est décrite dans les procédures de travail actuelles, a été approuvée.

(traduction)

[15] L’ILWU soutient que, compte tenu du différend qui oppose les parties, le Conseil devrait renvoyer la demande de déclaration de grève illégale à l’arbitrage. Selon l’ILWU, le dernier paragraphe de la lettre du 17 mars 2011 de M. Rondpré ne démontre pas l’existence d’un refus de travail concerté. M. Rondpré aurait plutôt laissé entendre que l’article 21.05 de la convention collective ne s’applique pas au chargement par trou de remplissage, et que la convention collective oblige donc les parties à négocier à ce sujet :

21.05 ACTIVITÉS ININTERROMPUES

L’Association peut établir et maintenir des activités ininterrompues pour le compte de tout employeur dans les secteurs où elles n’existent pas actuellement (c’est-à-dire qu’une telle activité ne peut être interrompue pour aucune raison, y compris pendant les périodes de pause ou de repas, etc.). L’Association doit aviser le Syndicat quarante-cinq (45) jours avant la mise en œuvre de toute activité ininterrompue et, si nécessaire, les discussions sont tenues au sein du Comité mixte des relations du travail. Lorsqu’une activité ininterrompue est mise en œuvre, l’Association doit veiller à ce que chaque employé ait une période de repas et des périodes de pause. Tout litige relatif à la mise en œuvre d’une activité ininterrompue peut être renvoyé à un arbitre de secteur.

Une fois l’affaire renvoyée à l’arbitrage, le Syndicat peut choisir que l’affaire soit entendue lors de la prochaine date d’arbitrage prévue, peu importe que l’audition d’une autre affaire soit déjà prévue ce jour-là. Dans un tel cas, toutes les autres affaires devant être instruites par l’arbitre seront reportées en conséquence. La partie dont l’affaire devait être entendue cette date-là peut alors choisir que l’affaire soit instruite par l’arbitre de secteur suppléant. Les frais liés à l’audition de toute affaire renvoyée à l’arbitre de secteur en vertu du présent article sont assumés à parts égales par les parties.

(traduction)

[16] L’ILWU soutient aussi qu’il n’a jamais été prévu que le PE de 2003 s’appliquerait au chargement par trou de remplissage.

[17] Les commentaires faits par les parties dans leur correspondance, quant à savoir si un membre de l’ILWU peut refuser une tâche de chargement par trou de remplissage pour des motifs liés à la sécurité, concernaient les articles suivants de la convention collective :

7.01 Le syndicat convient que, pendant la durée de la convention collective, il n’y aura pas de ralentissement du travail ou de grève, d’arrêt ou d’interruption de travail ou de refus de travailler ou de continuer de travailler.

...

7.03 À moins qu’un employé croie de bonne foi que le fait d’exécuter une tâche dans des circonstances précises constituerait un danger pour sa santé ou sa sécurité, il n’a pas le droit de refuser de travailler. Toute question de santé ou de sécurité soulevée au travail fait immédiatement l’objet d’une enquête et, si elle n’est par réglée, elle est traitée sur-le-champ par un représentant du syndicat et un représentant de l’Association, qui cherchent ensemble à régler la situation. Si aucune entente n’est conclue, l’une ou l’autre des parties peut renvoyer la question à l’arbitrage pour règlement sommaire ou décision, comme le prévoit l’article 6 de la présente convention. Le syndicat s’engage de bonne foi à ce que l’article 7.03 ne soit pas utilisé pour se dérober à l’article 7.01 de la présente convention.

(traduction)

[18] L’ILWU a informé le Conseil que la convention collective conclue avec la BCMEA offrait aux parties la possibilité de faire appel tant à un arbitre du travail qu’à un arbitre de secteur. Normalement, ces arbitres sont disponibles à court préavis et peuvent rendre une décision rapidement.

[19] L’ILWU a dit craindre qu’une ordonnance du Conseil restreigne le droit des employés de soulever des préoccupations en matière de sécurité en vertu de l’article 7.03 de la convention collective. Il soutient que les parties ont déjà convenu que l’article 7.03 donne compétence à un arbitre du travail pour répondre rapidement à tout refus de travailler.

[20] L’ILWU a soutenu que le Conseil pouvait plutôt reporter à plus tard sa décision et fixer des délais serrés dans lesquels les parties pourraient soumettre leur litige à l’arbitrage.

[21] La BCMEA affirme qu’il lui faut obtenir un redressement à l’égard de l’avis clair et sans équivoque que lui avait donné l’ILWU, qui disait avoir l’intention de ne plus appliquer la disposition sur les « activités ininterrompues » au chargement par trou de remplissage après le 25 mars 2011. Compte tenu de cet avis clair de l’ILWU, la BCMEA a demandé au Conseil de rendre une ordonnance prospective, en soutenant que le Conseil n’a pas à attendre qu’un préjudice soit causé pour rendre une ordonnance.

[22] La BCMEA soutient que toutes les préoccupations en matière de sécurité relatives au chargement par trou de remplissage ont été prises en compte dans deux rapports techniques et une décision de Transports Canada. Selon elle, le litige est survenu lorsqu’elle a avisé l’ILWU que tout membre qui refuserait d’effectuer des tâches de chargement par trou de remplissage ferait l’objet de mesures disciplinaires.

[23] La BCMEA a rappelé au Conseil un principe bien connu en arbitrage : « obéir d’abord, présenter un grief ensuite ». La BCMEA affirme que, lorsque l’ILWU a modifié unilatéralement une pratique bien établie au lieu de respecter ce principe, elle s’est vue forcée de demander une déclaration de grève illégale.

[24] La BCMEA a aussi informé le Conseil que les parties avaient négocié l’article 21.05 de la convention collective avant le PE de 2003, ce qui laisse entendre que le chargement par trou de remplissage était visé par la disposition sur les « activités ininterrompues » dès le départ.

[25] Dans sa réponse, l’ILWU a souligné que les positions adoptées par les parties démontraient l’existence d’interprétations très différentes de la convention collective et qu’il revient à un arbitre, et non au Conseil, de résoudre ce différend.

[26] À la fin de la présentation des arguments, et après une brève délibération, le Conseil a avisé de vive voix les parties de sa décision :

Le Conseil a été convaincu de reporter à plus tard sa décision sur l’affaire, en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code.

Certains éléments du litige opposant les parties concernent manifestement l’interprétation de la convention collective. Le Conseil reporte donc sa décision à plus tard, afin de permettre à ce processus d’avoir lieu.

Cependant, le traitement de ce dossier est seulement reporté, le dossier n’est pas clos. Si les circonstances l’exigeaient, le Conseil n’hésiterait pas à trancher la demande et, après avoir étendu les témoignages pertinents et les arguments des parties, à intervenir, si nécessaire.

(traduction)

III – Analyse et décision

[27] L’article 91 du Code indique ce qui suit :

91.(1) S’il estime soit qu’un syndicat a déclaré ou autorisé une grève qui a eu, a ou aurait pour effet de placer un employé en situation de contravention à la présente partie, soit que des employés ont participé, participent ou participeront vraisemblablement à une telle grève, l’employeur peut demander au Conseil de déclarer la grève illégale.

(2) Saisi de la demande visée au paragraphe (1), le Conseil peut, après avoir donné au syndicat ou aux employés la possibilité de présenter des arguments, déclarer la grève illégale et, à la demande de l’employeur, rendre une ordonnance pour :

a) enjoindre au syndicat d’annuler sa décision de déclarer ou d’autoriser une grève, et d’en informer immédiatement les employés concernés;

b) interdire à tout employé de participer à la grève;

c) ordonner à tout employé qui participe à la grève de reprendre son travail;

d) sommer tout syndicat dont font partie les employés touchés par l’ordonnance visée aux alinéas b) ou c), ainsi que les dirigeants ou représentants du syndicat, de porter immédiatement cette ordonnance à la connaissance des intéressés.

[28] Le Conseil souscrit à la position de la BCMEA voulant qu’une déclaration de grève illégale puisse être prospective. Dans la décision British Columbia Maritime Employers Association, 2007 CCRI 397, le Conseil a fait une déclaration de grève illégale même si aucun préjudice n’avait encore été causé :

[93] Nous concluons que les membres de la BCMEA n’auront pas d’employés identifiés qui possèdent une habilitation de sécurité à la date de mise en application. Il n’est pas nécessaire d’entendre une preuve volumineuse et des contre-interrogatoires pour en arriver à la conclusion que la situation diminuera ou limitera le rendement des membres de la BCMEA.

[94] Si l’application de la décision antérieure du Conseil dans Association des employeurs maritimes, précitée, aux faits de l’espèce suffit pour trancher le litige, nous considérons également que la décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) dans Toronto District School Board, [2003] OLRB Rep. January/February 138, nous est utile puisqu’elle porte sur un cas où les effets d’un refus concerté ne se feront sentir qu’à une date ultérieure.

[95] Dans Toronto District School Board, précité, l’employeur avait modifié l’une de ses politiques ayant trait aux postes de responsabilité (PDR), en supprimant notamment le poste de « chef de service ».

[96] La Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEEESO) a contesté le nouveau modèle mis en place par l’employeur et donné instruction à ses membres, par écrit, de boycotter le processus.

[97] Les enseignants se sont donc abstenus de postuler les PDR. L’employeur a fait valoir que cela compromettait l’application des programmes et le fonctionnement des écoles.

[98] La CRTO a conclu que la situation équivalait à une grève illégale :

25. ... La Fédération souligne que les cours vont continuer de se donner et que les programmes vont continuer d’être exécutés sans interruption même si le conseil est incapable d’instaurer son nouveau système de PDR. Peut-être bien, mais il reste que les cours ne seront pas donnés et que les programmes ne seront pas offerts exactement de la manière dont le conseil l’envisageait. Le fait de ne pas mettre en place le nouveau système aura des conséquences, limitées certes, sur l’exécution des programmes scolaires et le fonctionnement des écoles. Indépendamment du droit du conseil d’introduire le nouveau système de PDR de la manière dont il l’a fait, aux fins de statuer sur la question limitée qu’on me demande de trancher, je dois déterminer si la définition d’une « grève » contenue dans la Loi sur l’éducation envisage l’ingérence, si partielle qu’elle soit, dans l’exécution des programmes. Je conclus qu’en conseillant à ses membres de ne pas postuler le nouveau PDR qui avait été affiché, la Fédération entend limiter ou perturber l’exécution des programmes scolaires et le fonctionnement des écoles du conseil.

(Toronto District School Board, précité, page 144; traduction)

[99] La CRTO a rejeté l’argument selon lequel les préoccupations de l’employeur pouvaient être qualifiées, au mieux de conjectures :

26. ... Le boycottage décrété par la Fédération a un impact sur la structure organisationnelle actuelle du conseil; il convient dès lors d’accorder au conseil toute mesure de redressement à laquelle il a droit.

(Toronto District School Board, précité, page 145; traduction)

[100] Nous sommes d’avis que la consigne que l’ILWU a donnée à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire est une situation identique, indépendamment des questions portant sur la validité, au refus de s’enregistrer décrit dans Association des employeurs maritimes, précitée, et au refus de postuler les PDR décrit dans Toronto District School Board, précité.

[29] Le Code permet au Conseil de faire une déclaration de grève illégale avant que des préjudices ne soient causés. Toutefois, l’ILWU soutient que le Conseil devrait reporter sa décision sur la présente demande parce que les parties ont la possibilité de recourir à l’arbitrage.

[30] L’alinéa 161.1) du Code indique ce qui suit :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

[31] Dans la décision Trevor William Emile Rees, 2010 CCRI 499, le Conseil s’est prononcé sur son pouvoir de reporter sa décision. Cette affaire concernait une plainte de manquement au devoir de représentation juste dans laquelle le redressement demandé était essentiellement le même que celui qui était demandé simultanément à un arbitre du travail :

[16] Le paragraphe 60(1.1) du Code permet à un arbitre de proroger tout délai applicable aux procédures de grief et à l’arbitrage :

60.(1.1) L’arbitre ou le conseil d’arbitrage peut proroger tout délai – même expiré – applicable aux procédures de grief ou à l’arbitrage prévu par la convention collective s’il est d’avis que la prorogation est justifiée et ne porte pas atteinte indûment aux droits de l’autre partie.

[17] Le même jour où il a ajouté le paragraphe 60(1.1) au Code, le législateur a aussi ajouté l’alinéa 16l.1) :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

[18] L’alinéa 16l.1) n’autorise pas le Conseil à rejeter la plainte de M. Rees. À cet égard, cette disposition est très différente du paragraphe 98(3) du Code :

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[19] L’alinéa 16l.1) permet au Conseil de suspendre sa procédure lorsqu’une instance de relations de travail possiblement plus pertinente est en cours.

[20] Le législateur a ajouté l’alinéa 16l.1) précisément pour ce genre de situation. Un arbitre est présentement saisi du grief de congédiement de M. Rees. L’arbitre est compétent, en vertu du paragraphe 60(1.1) du Code, pour décider s’il prorogera le délai prévu à la convention collective et entendra l’argumentation sur le bien-fondé du grief de M. Rees.

[21] Le Conseil préfère ne pas court-circuiter l’arbitre. Chose plus importante encore, l’arbitre examinera la question simple de savoir s’il va proroger les délais, mais l’affaire dont le Conseil est saisi est plus complexe. En bref, la présente affaire porte sur la question de savoir si l’omission d’un agent négociateur de respecter un délai prévu à la convention collective constitue un manquement au devoir de représentation juste.

[22] Le Conseil devrait probablement entendre les arguments des parties sur cette question, puisque sa jurisprudence n’établit pas que chaque erreur commise par un syndicat constitue nécessairement un manquement au devoir de représentation juste. Le Conseil n’exige pas la perfection des syndicats.

[23] Plutôt que d’amorcer un processus qui pourrait s’avérer caduque, et puisque l’audience devant le Conseil pourrait ne pas se terminer avant la date d’arbitrage prévue, le Conseil préfère reporter sa décision sur la question du manquement au devoir de représentation juste et permettre à l’arbitre de décider s’il proroge le délai de présentation du grief de M. Rees, en vertu du paragraphe 60(1.1) du Code.

[32] La situation impliquant la BCMEA et l’ILWU est semblable, compte tenu de leurs interprétations divergentes de la convention collective.

[33] Manifestement, la BCMEA croit que les interprétations de la convention collective avancées récemment par l’ILWU ne sont pas défendables. Selon elle, le chargement par trou de remplissage est régi par l’article 21.05 de la convention collective, et des décisions ont confirmé qu’il ne s’agit pas d’une pratique dangereuse pour l’application de l’article 7.03 de la convention.

[34] En l’espèce, le Conseil a été persuadé que le différend entre les parties peut être réglé rapidement dans le cadre de la convention collective. Les parties ont créé un système d’arbitrage accéléré qui répond à leurs besoins particuliers au port de Vancouver.

[35] Bien que le Conseil ait été tenté par la proposition de l’ILWU de fixer des délais serrés pour l’arbitrage de l’affaire, le Conseil préfère ne pas empêcher l’arbitre d’être maître de sa procédure. Néanmoins, le Conseil s’est fié aux assertions de l’ILWU quant à la rapidité avec laquelle les arbitres du travail ou les arbitres de secteur peuvent rendre une décision dans pareilles circonstances.

[36] En date de l’audience, il n’avait pas plu depuis le 25 mars 2011, et il n’avait donc pas été nécessaire d’utiliser les trous de remplissage pour charger le grain. La BCMEA est préoccupée par ce qui arriverait s’il devait pleuvoir, car le chargement du grain s’effectue de façon presque continue au port.

[37] Si nécessaire, et seulement s’il était convaincu qu’un arbitre ne pourrait pas y répondre, le Conseil tiendra compte des changements factuels importants qui pourraient survenir dans le présent dossier. L’instruction de cette affaire est simplement reportée à plus tard pour permettre à l’arbitrage d’avoir lieu; le dossier n’est pas clos.

[38] Le Conseil croit fermement que les parties régleront leur différend rapidement dans le cadre de la convention collective et l’aviseront lorsque l’affaire aura été réglée définitivement, le cas échéant.

IV – Conclusion

[39] Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Conseil a été persuadé que le différend qui oppose la BCMEA et l’ILWU découle principalement de leurs interprétations divergentes de la convention collective et de documents connexes.

[40] Par conséquent, en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code, le Conseil reporte à plus tard sa décision sur la demande de déclaration de grève illégale, et ce, afin de permettre que l’affaire soit réglée en vertu de la convention collective.

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