Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada,

plaignante,

et


VIA Rail Canada inc.,

intimée.

Dossier du Conseil : 28500-C

Référence neutre : 2011 CCRI 569

Le 21 février 2011

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. John Bowman et Me David P. Olsen, Membres.

Procureurs inscrits au dossier
Me James L. Shields, pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada;
Me William Hlibchuk, pour VIA Rail Canada inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – La nature de la plainte

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 11 février 2011, le Conseil a rendu une décision sommaire dans la présente affaire. Il a conclu que l’avis de négociation du 25 août 2010 envoyé par VIA Rail Canada inc. (VIA) ne répondait pas aux exigences du paragraphe 49(1) du Code. Le Conseil a rejeté la plainte de négociation de mauvaise foi déposée par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (la CFTC). Les présentes constituent les motifs détaillés de cette décision sommaire.

[3] Le 10 décembre 2010, le Conseil a reçu une plainte de pratique déloyale de travail de la CFTC, qui alléguait que VIA avait manqué à son obligation de négocier collectivement de bonne foi.

[4] La CFTC a prétendu que VIA avait donné un avis de négociation irrégulier, aux termes du paragraphe 49(1) du Code, et que son insistance tenace à négocier selon les termes de cet avis contrevenait à l’article 50 du Code, qui impose l’obligation de négocier de bonne foi.

[5] VIA a répondu que son avis initial était valide et que, subsidiairement, la deuxième lettre qu’elle avait envoyée constituait un avis valide. VIA a prétendu qu’elle avait tenté, à diverses occasions, d’entamer des négociations visant à conclure une nouvelle convention collective, ce qui démontrait qu’elle n’avait pas négocié de mauvaise foi.

[6] Pour les motifs qui suivent, le Conseil a conclu que l’avis initial de VIA n’était pas conforme aux exigences du paragraphe 49(1) du Code. Une deuxième lettre, datée du 4 octobre 2010, était cependant suffisante, compte tenu des circonstances spéciales de la présente affaire, pour entamer le processus de négociation collective. Le Conseil a aussi conclu que la conduite de VIA, décrite dans les observations des parties, ne contrevenait pas aux obligations que lui impose l’article 50 du Code.

II – Les faits

[7] La CFTC et VIA sont parties à une convention collective qui devait venir à échéance le 31 décembre 2010.

[8] Le 25 août 2010, plus de quatre mois avant la date d’expiration de la convention collective, VIA a envoyé à la CFTC un avis de négociation, dont le libellé se lisait comme suit :

Veuillez accepter la présente comme un avis de négociation pour renouveler les conventions collectives nos 1.4 et 4.2 actuellement en vigueur entre VIA Rail Canada inc. et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada.

Nous sommes disposés à vous rencontrer lors des semaines du 6 et du 13 septembre 2010. Veuillez nous mentionner si ces dates vous conviennent pour échanger des propositions et entamer des négociations collectives.

(traduction)

[9] La CFTC n’a pas répondu à la lettre de VIA.

[10] Le 4 octobre 2010, VIA a écrit une deuxième lettre à la CFTC, dans laquelle elle déclarait :

Le 25 août 2010, nous vous avons signifié un avis de négociation, conformément au paragraphe 49(1) du Code canadien du travail. À ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse de votre part.

Vous avez reçu notre avis il y a de cela plus de six semaines. Nous voulons vous rappeler votre obligation de négocier et la nécessité de vous en acquitter en temps opportun.

Nous sommes toujours disposés à vous rencontrer pour échanger des demandes et entamer des négociations, et ce, sans délai.

(traduction)

[11] La CFTC n’a pas répondu à la deuxième lettre de VIA.

[12] Le 26 octobre 2010, VIA a écrit une lettre à l’honorable Lisa Raitt, ministre du Travail (la ministre) pour lui présenter une demande de conciliation :

L’actuelle convention collective entre VIA Rail Canada inc. (la société) et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (le syndicat) vient à échéance le 31 décembre 2010. Un avis visant à entamer les négociations collectives a été donné par la société au syndicat le 25 août 2010. Malgré les demandes répétées de la société, le syndicat a omis ou refusé d’entamer des négociations collectives.

Nous ne connaissons pas les questions faisant l’objet du différend entre les parties, en raison de l’omission ou du refus du syndicat de participer aux négociations collectives.

Les parties n’ont pas conclu l’entente visée à l’article 87.4 du Code canadien du travail quant au maintien des activités.

La société demande l’assistance d’un conciliateur pour aider les parties à réviser les conventions collectives actuelles.

(traduction)

[13] VIA a envoyé à la CFTC une lettre datée du 26 octobre 2010, par laquelle elle lui acheminait une copie de l’avis de différend qu’elle avait fait parvenir à la ministre.

[14] Le 16 novembre 2010, le directeur général du Service fédéral de médiation et de conciliation (le SFMC), M. Guy Baron, a avisé VIA et la CFTC que la ministre avait nommé deux personnes à titre de conciliateurs. M. Baron a indiqué aux parties que les conciliateurs communiqueraient avec elles sous peu afin de prévoir des dates de rencontres.

[15] Le 18 novembre 2010, la CFTC, par le truchement de son avocat, a écrit à la ministre et s’est opposée à la nomination de conciliateurs. Selon la CFTC, l’avis de négociation du 25 août 2010, envoyé en vertu du paragraphe 49(1), était nul :

Comme votre ministère en est conscient, la convention collective entre VIA Rail Canada inc. et la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada ne vient pas à échéance avant le 31 décembre 2010. Conformément aux dispositions de la convention collective et au paragraphe 49(1) du Code, toute partie peut signifier à l’autre partie un avis de négociation collective dans les quatre mois précédant la date d’expiration de la convention collective, soit entre le 1er septembre et le 31 décembre 2010. VIA a censément tenté de signifier un avis de négociation collective le 25 août 2010, ce qui est nettement à l’extérieur du délai prescrit par le Code et la convention collective.

...

En raison du fait que VIA n’a pas signifié un avis dans le délai prescrit par les dispositions du Code, toute demande subséquente formulée par VIA en vertu du paragraphe 71(1) est nulle. Une condition préalable à l’envoi d’un avis de différend en vertu de l’article 71 est la signification d’un avis de négociation collective valide, conformément au paragraphe 49(1) du Code.

Selon notre cliente, l’avis de négociation collective et l’avis de différend censément envoyé en vertu de l’article 71 du Code sont invalides. Il s’ensuit que toute nomination subséquente de conciliateurs est aussi invalide.

À cet égard, nous souhaitons vous informer que notre cliente a l’intention, au même moment qu’elle vous achemine la présente, de signifier à VIA un avis valide pour entamer les négociations collectives.

(traduction)

[16] Le 17 novembre 2010, la CFTC a envoyé à VIA un avis de négociation en vertu du paragraphe 49(1) du Code et a proposé la tenue d’une rencontre à Montréal, du 15 au 17 décembre 2010 inclusivement.

[17] Dans sa lettre datée du 3 décembre 2010, VIA consentait à la tenue d’une rencontre aux dates prévues, mais dans le cadre du processus de conciliation du SFMC :

Nous accusons réception de votre proposition de tenir une rencontre à Montréal, du 15 au 17 décembre 2010, pour entamer les négociations concernant le renouvellement des conventions collectives.

Nous sommes prêts à vous rencontrer à ces dates dans le cadre du processus de conciliation, conformément à notre avis de négociation signifié le 25 août 2010, dans lequel nous avons proposé des dates de rencontre en septembre 2010. Selon votre convenance, nous pourrions nous rencontrer sans l’assistance des conciliateurs lors de la première séance, afin d’échanger nos demandes.

Nous vous saurions gré de confirmer votre présence, selon ces conditions, dès que possible pour que nous puissions finaliser les arrangements.

(traduction)

[18] Le 6 décembre 2010, la CFTC a répondu à la lettre de VIA datée du 3 décembre 2010 :

Nous sommes très déçus de la manière dont VIA Rail s’est comportée dans cette affaire. Les questions qui nous occupent sont d’une importance cruciale pour les deux parties.

Néanmoins, nous sommes encouragés par la réponse de VIA, dans laquelle elle mentionne qu’elle est prête à nous rencontrer. Comme nous l’avons souligné dans notre avis de négociation daté du 17 novembre 2010 et notre lettre datée du 1er décembre 2010, nous sommes prêts à vous rencontrer à Montréal, du 15 au 17 décembre, pour échanger des propositions et entamer des négociations visant à renouveler les conventions collectives nos 1.4 et 4.2.

Veuillez prendre note que nous utiliserons la journée du 15 décembre 2010 pour nous consulter à l’interne et que le processus de négociation avec VIA Rail débutera le 16 décembre en matinée et se poursuivra jusqu’au 17 décembre 2010. À ce moment-là, nous pourrons prévoir d’autres dates pour nos négociations.

Comme nous l’avons mentionné à VIA, notre position est que votre avis de négociation daté du 25 août 2010 n’est pas valide et que, par conséquent, toutes les procédures entreprises à la suite de cet avis sont nulles. Nous ne reconnaissons pas la validité du processus de conciliation amorcé par VIA. En contrepartie, l’avis de négociation de la CFTC était à l’intérieur du délai prescrit par le Code et par les conventions collectives en cause. Nous rencontrerons donc VIA pour des négociations visant à renouveler les conventions collectives, comme l’exige l’article 50 du Code, et non dans le cadre du processus de conciliation auquel vous renvoyiez dans votre lettre du 3 décembre 2010.

En tenant compte de ces facteurs, et comme vous l’avez fait remarquer dans votre lettre du 3 décembre 2010, l’assistance de conciliateurs ne sera pas requise pour les rencontres du 15 au 17 décembre 2010.

(traduction)

[19] Le 10 décembre 2010, le Conseil a reçu la présente plainte de la CFTC, qui allègue que VIA n’a pas négocié collectivement de bonne foi en insistant pour négocier selon les termes de son avis du 25 août 2010.

III–Les questions en litige

[20] La présente affaire soulève trois questions :

1) L’avis de VIA daté du 25 août 2010 était-il conforme au paragraphe 49(1) du Code?

2) La lettre de VIA datée du 4 octobre 2010 constituait-elle un avis de négociation valide au sens du paragraphe 49(1)?

3) VIA a-t-elle manqué à son obligation de négocier de bonne foi?

IV–Les dispositions législatives pertinentes

[21] Le Conseil a examiné, entre autres choses, les dispositions suivantes du Code dans les deux langues officielles :

49.(1) Toute partie à une convention collective peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration, ou au cours de la période plus longue fixée par la convention, transmettre à l’autre partie un avis de négociation collective en vue du renouvellement ou de la révision de la convention ou de la conclusion d’une nouvelle convention.

...

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

a) sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent :

(i) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

(ii) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective;

...

71.(1) Une fois donné l’avis de négociation collective, l’une des parties peut faire savoir au ministre, en lui faisant parvenir un avis de différend, qu’elles n’ont pas réussi à conclure, renouveler ou réviser une convention collective dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) les négociations collectives n’ont pas commencé dans le délai fixé par la présente partie;

b) les parties ont négocié collectivement mais n’ont pu parvenir à un accord.

(2) La partie qui envoie l’avis de différend en fait parvenir sans délai une copie à l’autre partie.

49.(1) Either party to a collective agreement may, within the period of four months immediately preceding the date of expiration of the term of the collective agreement, or within the longer period that may be provided for in the collective agreement, by notice, require the other party to the collective agreement to commence collective bargaining for the purpose of renewing or revising the collective agreement or entering into a new collective agreement.

...

50. Where notice to bargain collectively has been given under this Part,

(a) the bargaining agent and the employer, without delay, but in any case within twenty days after the notice was given unless the parties otherwise agree, shall

(i) meet and commence, or cause authorized representatives on their behalf to meet and commence, to bargain collectively in good faith, and

(ii) make every reasonable effort to enter into a collective agreement...

...

71.(1) Where a notice to commence collective bargaining has been given under this Part, either party may inform the Minister, by sending a notice of dispute, of their failure to enter into, renew or revise a collective agreement where

(a) collective bargaining has not commenced within the time fixed by this Part; or

(b) the parties have bargained collectively for the purpose of entering into or revising a collective agreement but have been unable to reach agreement.

(2) The party who sends a notice of dispute under subsection (1) must immediately send a copy of it to the other party.

[22] L’article 5 du Règlement du Canada sur les relations industrielles, DORS/2002-54 (le Règlement), porte sur les avis de négociation donnés en vertu du Code :

AVIS DE NÉGOCIATION COLLECTIVE

5.(1) Un avis de négociation collective donné en vertu de la Loi doit être donné par écrit, daté et signé par la partie qui le donne ou en son nom.

(2) L’avis peut préciser l’article de la Loi qui l’autorise, ainsi que fixer un lieu et une date convenables pour le commencement des négociations collectives.

NOTICE TO COMMENCE COLLECTIVE BARGAINING

5.(1) A notice to commence collective bargaining given under the Act shall be given in writing and be dated and signed by or on behalf of the party giving the notice.

(2) The notice referred to in subsection (1) may specify the section of the Act under which the notice is being given and designate a convenient time and place for the collective bargaining to commence.

V – Analyse et décision

1) L'avis de VIA daté du 25 août 2010 était-il conforme au paragraphe 49(1) du Code?

[23] La plainte de la CFTC soulevait une question juridique concernant le paragraphe 49(1) dont le Conseil n’avait jamais été directement saisi auparavant. Aucune des parties n’a présenté de jurisprudence portant précisément sur ce sujet. Le Conseil n’est au courant d’aucune jurisprudence à cet égard non plus.

[24] La CFTC a prétendu que VIA avait l’obligation de donner son avis de négociation en vertu de l’article 49 dans les quatre mois précédant l’expiration de la convention collective, soit entre le 1er septembre et le 31 décembre 2010. La CFTC a résumé sa position à ce sujet aux paragraphes 23 à 25 de sa plainte :

23. L’insistance de VIA à aller de l’avant avec les négociations, selon les modalités d’un avis de négociation invalide qu’elle a signifié le 25 août 2010, vise à contourner les exigences prévues au paragraphe 49(1) du Code et constitue une négociation de mauvaise foi.

24. Un avis de négocier oblige les parties à se rencontrer et à entamer des négociations, ce qui démarre le compte à rebours menant au droit de grève ou de lock-out. La disposition comprend des exigences de forme et de délai, soit de quatre mois avant l’expiration de la convention collective, à moins que les parties n’en conviennent autrement. Si les avis de négociations pouvaient être envoyés à tout moment, cela pourrait nuire aux nombreuses démarches qui doivent être entreprises si les négociations n’aboutissent pas à une entente, ce qui contreviendrait à l’esprit du Code.

25. La CFTC soutient que l’avis de négociation prématuré envoyé par VIA a, dans les faits, démarré un processus qui pourrait trop rapidement mener à une grève ou un lock-out. VIA ne peut, à ce stade-ci, invoquer irréductiblement son avis de négocier illégal et son avis de différend invalide qu’elle a envoyé par la suite comme fondement de négociations collectives rationnelles.

(traduction)

[25] Selon VIA, son avis envoyé le 25 août 2010 était conforme à l’article 49 du Code, puisque les vraies négociations n’auraient lieu qu’après le début de la période de quatre mois. VIA a résumé sa position aux paragraphes 25 à 28 de sa réponse :

25. La Cour d’appel du Québec a reconnu que l’avis de négocier ne peut être envoyé à tout moment, puisque cela perturberait la paix et la stabilité industrielles. Cependant, un avis qui précède le début de la période de négociation de quelques jours ne risque pas de causer de tels problèmes.

26. De plus, aucun préjudice n’a été allégué du fait que VIA a, à l’avance, avisé qu’elle souhaitait entamer des négociations au tout début de la période de négociation prévue par la loi, plutôt que de se traîner les pieds, d’abord en restant muette, et ensuite au moyen d’une opposition procédurale formaliste, ce que la CFTC est manifestement en train de faire, d’abord en faisant fi de l’avis, et maintenant en déposant la présente plainte, à l’encontre des efforts de bonne foi de VIA pour négocier et conclure une convention collective, conformément à l’article 50 du Code.

27. Un avis anticipé ne contraint pas l’autre partie à se présenter à la table des négociations à la réception de l’avis; cela ne fait qu’amorcer la phase des négociations à la date la plus rapprochée prévue par le Code ou par la convention collective, soit le 1er septembre 2010 en l’espèce. Dans la présente affaire, VIA a proposé qu’une rencontre se tienne lors des semaines du 6 et du 13 septembre 2010, ce qui est bien à l’intérieur du délai prévu par le Code et par la convention collective.

28. Contrairement à ce qu’allègue la CFTC, cet avis anticipé ne nuit pas aux démarches qui doivent être entreprises si les négociations ne devaient pas aboutir à une entente, et ne contrevient nullement à l’esprit ou à la lettre du Code.

(traduction; souligné dans l’original)

[26] Le Conseil a examiné le paragraphe 49(1) et a conclu que l’avis envoyé par VIA le 25 août 2010 ne répondait pas aux exigences du Code.

[27] Le libellé du paragraphe 49(1) semble, initialement, soutenir à la fois l’interprétation de la CFTC et celle de VIA. Au premier coup d’œil, les versions anglaise et française du paragraphe 49(1) ne semblent pas mettre l’accent sur le même point.

[28] Dans la version française, toute l’importance est centrée sur la transmission, en soi, de l’avis dans les quatre mois précédant la date d’expiration de la convention collective : « Toute partie... peut, au cours des quatre mois précédant sa date d’expiration... transmettre... un avis de négociation... ».

[29] Par contre, on peut soutenir que la version anglaise met l’accent, non pas sur la transmission de l’avis, mais sur l’importance du délai de quatre mois au cours duquel toute partie « may... require the other party to the collective agreement to commence collective bargaining for the purpose of renewing or revising the collective agreement or entering into a new collective agreement. ».

[30] Si l’on souscrit à l’interprétation de la CFTC selon laquelle un avis au sens du paragraphe 49(1) ne peut être donné avant la première journée de la période de quatre mois, cela signifie que les parties ne pourront utiliser toutes les journées de la période de quatre mois à des fins de négociations collectives réelles.

[31] Il est improbable que les parties entament réellement des négociations la journée même de la réception de l’avis.

[32] L’alinéa 50a) du Code peut laisser supposer que l’avis puisse être donné peu avant le début de la période de négociation collective de quatre mois. L’alinéa 50a) se lit ainsi : « sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties, l’agent négociateur et l’employeur doivent ... ».

[33] Ces termes peuvent répondre à la préoccupation de la CFTC selon laquelle une partie ne peut donner un avis de négociation au moment qui lui convient, possiblement des mois avant les quatre mois précédant la date d’expiration de la convention collective. Un tel avis serait invalide aux termes du libellé de l’alinéa 50a), lequel contient un délai de vingt jours pour entamer des négociations collectives.

[34] Abstraction faite de la possible ambiguïté, le Conseil souscrit à l’interprétation du paragraphe 49(1) par la CFTC. Plusieurs éléments justifient cette conclusion.

a) L’interprétation des lois bilingues

[35] Les versions anglaise et française du Code font également autorité. Le Conseil ne peut accorder préséance à une version aux dépens de l’autre, mais doit plutôt parvenir à un sens qui soit à la fois acceptable et commun :

La règle de base régissant l’interprétation des lois bilingues est celle du sens partagé ou commun. Lorsqu’il y a divergence entre les deux versions d’une loi bilingue, le sens commun aux deux versions ou partagé par celles-ci devrait être adopté, à moins que ce sens soit inacceptable pour une raison ou une autre.

(traduction; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, Canada, LexisNexis Canada inc., 2008, page 100)

[36] Le Conseil est d’avis que le sens commun du paragraphe 49(1) prévoit le moment où un avis peut être donné, afin d’imposer l’obligation de négocier collectivement. Le Conseil fait remarquer que l’en-tête précédant immédiatement les articles 48 à 50 du Code est « Obligation de négocier collectivement ».

[37] Le paragraphe 49(1) établit la manière formelle par laquelle naît cette obligation. L’article 50 du Code impose ensuite certaines obligations aux parties, une fois que l’avis au sens du paragraphe 49(1) a été donné.

[38] L’avis au sens du paragraphe 49(1) est le mécanisme par lequel on garantit que l’autre partie sait que l’obligation d’entamer des négociations collectives est enclenchée. L’article 50 impose alors aux parties des obligations autant subjectives qu’objectives.

b) Le Règlement

[39] Le Règlement prévoit les formalités d’un avis de négociation nécessaires pour que l’autre partie à la convention collective soit au courant qu’elle est liée par l’obligation de négocier collectivement.

[40] Aux termes du paragraphe 5(1) du Règlement, les seules exigences relatives à l’avis sont que celui-ci soit donné par écrit, daté et signé par la partie qui le donne ou en son nom.

[41] Le législateur exige un minimum de formalité en ce qui concerne l’avis au sens du paragraphe 49(1) du Code.

[42] Le paragraphe 5(2) mentionne que l’avis peut fixer un lieu et une date pour les négociations collectives, mais de tels renseignements ne sont pas une condition préalable à un avis valide.

[43] Sans être concluants, les renseignements exigés par le Règlement, plus particulièrement la date de l’avis, soutiennent la position du Conseil que le paragraphe 49(1) est axé sur le moment précis où l’avis de négociation est transmis.

c) La prolongation du délai pour transmettre l’avis au sens du paragraphe 49(1)

[44] Aux termes du paragraphe 49(1), les parties sont libres d’inclure, dans leur convention collective, une période plus longue pour donner un avis au sens du paragraphe 49(1). Cependant, ils ne peuvent négocier une période plus courte que la période de quatre mois prévue au paragraphe 49(1) : Reimer Express Lines Ltd. (1993), 93 di 139 (CCRT no 1046).

[45] En l’absence d’une entente entre VIA et la CFTC pour prolonger la période de quatre mois au cours de laquelle l’avis peut être transmis, les deux parties ont l’obligation de respecter la période de quatre mois prévue par la loi.

[46] Si le Conseil devait accepter l’interprétation du paragraphe 49(1) de VIA, cela aurait pour effet de faire fi du pouvoir discrétionnaire conjoint que le Code confère aux parties de prolonger la période au cours de laquelle elles peuvent donner l’avis au-delà de l’actuelle période de quatre mois prévue au paragraphe 49(1).

d) Les pratiques de relations du travail

[47] Le Conseil est également au fait des pratiques courantes concernant les avis de négociation. Bien que cela ne soit pas concluant, le monde des relations du travail reconnaît généralement que les dispositions telles que le paragraphe 49(1) du Code établissent la première date à laquelle ou après laquelle une partie peut donner un avis de négociation.

[48] Par exemple, la Commission des relations de travail de l’Ontario a conclu, au paragraphe 9 de Evans Lumber and Builders Supply Limited, [2006] OLRB Rep. March/April 149, que l’avis de négociation au sens de l’article 59 de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario ne pouvait être donné avant le début de la période de 90 jours.

[49] Ce consensus général peut expliquer pourquoi le Conseil n’a pas été saisi de cette question particulière par le passé.

2) La lettre de VIA datée du 4 octobre 2010 constituait-elle un avis de négociation valide au sens du paragraphe 49(1)?

[50] VIA a présenté un argument subsidiaire selon lequel sa lettre du 4 octobre 2010 répondait aux exigences du paragraphe 49(1) du Code. VIA, au paragraphe 33 de sa réponse, a écrit ce qui suit :

33. Si le Conseil devait décider que l’avis de négociation du 25 août 2010 envoyé par VIA n’est pas conforme à l’article 49 du Code, VIA soutient, avec égards, que la lettre datée du 4 octobre 2010 envoyée à la CFTC constitue aussi un avis de négociation valide, qui, dans les faits, rend totalement théorique la question soulevée par la CFTC à l’égard de l’avis du 25 août. En effet, cette lettre du 4 octobre invitait à nouveau la CFTC à entamer le processus de négociation, et cela, bien à l’intérieur du délai prévu par le Code et par la convention collective.

(traduction; souligné dans l’original)

[51] La CFTC, aux paragraphes 7 et 8 de sa réplique, a contesté l’allégation selon laquelle la deuxième lettre de VIA pouvait remédier à l’irrégularité fondamentale de son avis du 25 août 2010 :

7. De plus, VIA ne peut tenter de remédier maintenant à l’irrégularité fondamentale commise en renvoyant à sa lettre du 4 octobre 2010. Contrairement aux affirmations de l’avocat de VIA, la lettre n’incorpore pas par renvoi l’avis de négociation invalide. Le critère concernant cette incorporation par renvoi a été énoncé par l’arbitre Christie dans Re Nova Scotia Civil Service Com’n and Nova Scotia Government Employees Assoc. (1980), 24 L.A.C. (2d) 319, à la page 326 :

« ... la notion d’incorporation par renvoi, dans le contexte de l’interprétation du document ... implique de lire le document et de traiter celui-ci comme s’il incluait des mots, que ce soit une simple phrase ou la totalité d’un autre document, le document principal prévoyant explicitement, ou par déduction nécessaire, que cela doit être lu comme en faisant partie. Les mots situés ailleurs qui doivent être lus afin de donner un sens au document principal peuvent être considérés comme étant incorporés par déduction nécessaire. La simple reconnaissance, dans le document principal, qu’un autre document existe ou pourrait exister ne constitue pas une incorporation par renvoi. »

8. La lettre du 4 octobre 2010 reconnaît simplement l’existence de l’avis de négociation irrégulier du 25 août 2010. L’employeur ne peut pas, à ce stade-ci, prétendre que la simple mention d’un avis de négociation irrégulier dans une lettre subséquente constitue un nouvel avis de négociation valide, conformément aux dispositions du Code.

(traduction)

[52] Comme il a été mentionné auparavant, les seules conditions obligatoires exigées pour donner un avis de négociation valide au sens du paragraphe 49(1) sont régies par le paragraphe 5(1) du Règlement.

[53] Les conditions exigées pour donner un avis valide au sens du paragraphe 49(1) sont que celui-ci soit écrit, daté et signé par la partie qui le donne ou en son nom.

[54] Le paragraphe 5(2) du Règlement mentionne qu’une partie peut fournir d’autres renseignements, tels qu’une suggestion de date et de lieu pour les négociations collectives, mais ces renseignements ne sont pas obligatoires.

[55] Selon le Conseil, la CFTC a été avisée, le 4 octobre 2010, que VIA souhaitait que des rencontres aient lieu afin de négocier le renouvellement de leur convention collective. La lettre du 4 octobre 2010 a été signifiée à l’intérieur de la période de quatre mois prévue au paragraphe 49(1) du Code.

[56] Compte tenu des circonstances uniques de la présente affaire, y compris l’interprétation du paragraphe 49(1) pour la toute première fois, le Conseil conclut que l’objectif du paragraphe 49(1), c’est à dire, qu’un avis de négociation soit donné à une partie, a été rempli.

[57] Il s’ensuit que, dans les circonstances de la présente affaire, où un avis de négociation prématuré a été transmis, la lettre de VIA datée du 4 octobre 2010 constituait un avis au sens du paragraphe 49(1) du Code.

3) VIA a-t-elle manqué à son obligation de négocier de bonne foi?

[58] L’alinéa 50a) oblige les parties à se rencontrer pour entamer des négociations collectives de bonne foi et à faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. La Cour suprême du Canada a décrit l’essence de cette obligation dans l’arrêt Royal Oak Mines inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369 :

42. L’alinéa 50a) du Code canadien du travail prévoit une double obligation. Non seulement les parties doivent négocier de bonne foi, mais encore elles doivent faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les deux éléments sont d’égale importance et une partie déroge à cette disposition si elle ne remplit pas les deux obligations. Il peut fort bien y avoir des exceptions mais, en règle générale, l’obligation d’entamer des négociations de bonne foi doit être appréciée selon une norme subjective alors que celle de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention doit être évaluée selon une norme objective, le Conseil prenant en considération les normes et pratiques comparables dans le secteur d’activités. C’est la deuxième partie de l’obligation qui empêche une partie de se dérober en prétendant qu’elle tente sincèrement de conclure une entente alors qu’objectivement ses propositions sont tellement éloignées des normes acceptées dans le secteur d’activités qu’elles doivent être tenues pour déraisonnables.

[59] Dans la présente affaire, la CFTC et VIA avaient une divergence d’opinions légitime à propos d’un avis de négociation au sens du paragraphe 49(1) du Code. Il n’y avait pas de précédent portant précisément sur ce point. S’il y en avait eu, entraîner la situation dans une impasse aurait alors posé de sérieux problèmes devant le Conseil : CICT-TV Calgary, CanWest Global Communications Corp., 2003 CCRI 247.

[60] Le Conseil conclut que VIA avait l’intention subjective d’entamer des négociations collectives. De plus, selon une analyse objective de tous les faits présentés par les deux parties, VIA a fait des efforts raisonnables pour négocier.

[61] Même si l’on exclut le fait qu’il a été conclu que l’avis de VIA daté du 25 août 2010 était irrégulier, VIA a écrit une fois de plus à la CFTC le 4 octobre 2010 et lui a fait part de sa volonté de négocier collectivement.

[62] Puisque VIA ne recevait pas de réponse de la CFTC, elle a écrit à la ministre et a demandé que des conciliateurs soient nommés.

[63] La CFTC a transmis son propre avis de négociation, le 17 novembre 2010. Les deux parties ont convenu de se rencontrer du 15 au 17 décembre 2010 pour entamer le processus. Les négociations n’ont probablement pas eu lieu, en raison des divergences d’opinions des parties concernant le paragraphe 49(1) du Code. La présente décision règle ce différend.

[64] Après avoir pris en considération toutes ces circonstances, le Conseil rejette la plainte de négociation de mauvaise foi déposée contre VIA.

[65] Le Conseil espère que la présente décision portant sur un nouveau point de droit ainsi que la décision sommaire rendue antérieurement permettront aux parties d’aller de l’avant et de mener leurs négociations collectives conformément aux obligations imposées par le Code.

[66] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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