Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Guy Plante,

plaignant,

et


Trentway-Wagar inc. et 3329003 Canada inc.,

intimées.

Dossiers du Conseil : 28040-C, 28086-C, 28090-C

Référence neutre : 2011 CCRI 582

Le 21 avril 2011

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. André Lecavalier et Daniel Charbonneau, Membres. L’audience a été tenue à Montréal (Québec), du 9 au 11 février 2011.

Ont comparu
Me Daniel Charest, pour M. Guy Plante;
Mes Louise Baillargeon et Philippe-André Tessier, pour Trentway-Wagar inc. et 3329003 Canada inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature des plaintes

[1] Le Conseil a été saisi de trois plaintes de pratique déloyale de travail (PDT) déposées par M. Guy Plante en vertu de l’article 94 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). M. Plante était employé par Trentway-Wagar inc. (TWI) jusqu’à son congédiement, le 15 avril 2010. TWI exploite une entreprise de transport interprovincial par autobus.

[2] Le 25 mars 2010, le Conseil a reçu la première plainte de PDT de M. Plante, par laquelle il contestait une suspension de 14 jours qui lui avait été imposée parce qu’il avait prétendument refusé de travailler en mars 2010.

[3] Le 17 avril 2010, M. Plante a déposé une deuxième plainte de PDT, par laquelle il contestait son congédiement du 15 avril 2010.

[4] Le 19 avril 2010, le Conseil a reçu la troisième plainte de PDT de M. Plante, par laquelle il contestait une suspension d’une journée qui lui avait été imposée le 25 janvier 2010, là encore parce qu’il avait prétendument refusé de travailler.

[5] M. Plante allègue qu’on lui a imposé des mesures disciplinaires en raison de son implication au sein du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Coach Canada – CSN (CSN). Au contraire, TWI affirme que, compte tenu de son emploi dans le secteur du transport, M. Plante a commis des fautes graves en refusant d’effectuer du travail qui lui avait été donné par des répartiteurs de TWI. Selon TWI, lorsque les chauffeurs d’autobus, y compris M. Plante, ne demandent pas congé conformément à la procédure bien établie, on s’attend à ce qu’ils soient disponibles lorsqu’un répartiteur communique avec eux pour leur donner leur prochaine affectation.

[6] TWI avait le fardeau de prouver que les mesures disciplinaires qu’elle avait imposées à M. Plante n’étaient pas attribuables aux activités syndicales de ce dernier. M. Plante avait participé à la campagne de syndicalisation du CSN, et il était le secrétaire-trésorier de ce syndicat.

[7] Le Conseil conclut que TWI ne s’est pas déchargée du fardeau de la preuve que lui imposait le Code. Les mesures disciplinaires imposées par TWI à M. Plante avaient un lien avec les activités syndicales de celui-ci. Cependant, cette conclusion ne signifie pas que le comportement de M. Plante était irréprochable.

II – Faits

[8] Les plaintes de PDT de M. Plante représentent les affaires les plus récentes liées à la demande d’accréditation présentée le 22 juin 2009 par le CSN.

[9] La campagne de syndicalisation du CSN à TWI a été décrite de façon détaillée dans les décisions 3329003 Canada inc. et Trentway-Wagar inc., 2010 CCRI 493 (décision RD 493), et Trentway-Wagar inc., 2010 CCRI 550.

[10] Le 14 octobre 2009, le Conseil a accrédité le CSN à titre d’agent négociateur d’une unité de négociation d’employés de TWI. Après la présentation de la demande d’accréditation, une vente d’entreprise au sens du Code a eu lieu entre 3329003 Canada inc. et TWI. Par souci de commodité, dans les présentes, seule TWI sera désignée comme l’employeur de M. Plante.

[11]Malgré le fait que le Conseil avait accrédité le CSN à titre d’agent négociateur, TWI a décidé de commencer à prélever des cotisations syndicales du salaire des membres de l’unité de négociation représentée par le CSN, mais de les remettre à la section locale 1624 du Syndicat uni des transports (le SUT). TWI a aussi décidé d’appliquer aux employés membres de cette unité de négociation la convention collective qu’elle avait conclue avec le SUT.

[12] Ces gestes, entre autres, ont forcé le Conseil à rendre, dans la décision RD 493, précitée, une ordonnance provisoire pour confirmer le statut d’agent négociateur accrédité du CSN et pour exiger que TWI et le SUT remboursent les cotisations syndicales qui avaient été prélevées du salaire des employés membres de l’unité de négociation représentée par le CSN.

A – Premier incident – Dimanche le 24 janvier 2010 (l’aéroport)

[13] M. Plante, qui conduisait habituellement des autobus nolisés pour TWI, a présenté une demande pour effectuer d’autre travail pour TWI à l’Aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal (l’aéroport Trudeau). Le travail de chauffeur à l’aéroport Trudeau consiste normalement à conduire des autobus-navettes entre les stationnements et l’aérogare.

[14] TWI a donné une formation d’un jour à M. Plante, journée pour laquelle il a été payé. M. Plante a effectué son seul quart de travail à l’aéroport Trudeau le 21 janvier 2010.

[15] Le dimanche 24 janvier 2010, vers 18 h 30, une répartitrice de TWI a parlé avec M. Plante au sujet de son affectation du mardi suivant, le 26 janvier 2010. Après cette conversation, elle a rédigé le compte rendu d’incident suivant :

J’ai appelé Guy pour confirmer l’affectation C8019 de mardi, mais il m’a dit qu’il ne travaillerait pas à l’aéroport et qu’il avait demandé à quelqu’un de rayer son nom de la liste. J’ai expliqué à Guy qu’il avait été affecté en bonne et due forme, mais il a répété qu’il ne travaillerait pas à l’aéroport. Quand je lui ai dit que ça serait considéré comme un refus de travailler, il a commencé à se plaindre des problèmes qu’il a depuis qu’il doit faire affaire avec nous. Je lui a dit qu’il lui faudrait en parler à la direction et j’ai répété que, pour l’instant, on allait considérer qu’il refusait de travailler. Il a dit « parfait »...

(traduction)

[16] M. Plante a témoigné que, après avoir effectué son quart de travail à l’aéroport Trudeau le 21 janvier 2010, et après que TWI avait essayé de l’affecter de façon permanente à l’aéroport, il avait parlé au gestionnaire de TWI responsable des activités à l’aéroport Trudeau, M. Richard Lebeau. M. Plante a soutenu qu’il avait seulement accepté de faire du travail de relève à l’aéroport Trudeau et non du travail permanent.

[17] M. Plante a laissé entendre que M. Lebeau avait accepté d’annuler son affectation permanente à l’aéroport. En fin de compte, cette affectation a été donnée à un autre employé.

[18] Lorsqu’il a été contre-interrogé, M. Plante a reconnu que sa plainte de PDT ne faisait état d’aucune conversation avec M. Lebeau. Il a aussi admis que, lorsqu’il avait rencontré le directeur général de Montréal, M. Daniel Thibault, le 25 janvier 2010 pour discuter de l’incident à l’aéroport, il n’avait pas du tout mentionné une conversation avec M. Lebeau.

[19] M. Plante a aussi témoigné que M. Lebeau lui avait dit qu’il communiquerait de nouveau avec lui au sujet de sa demande.

[20] Le 25 janvier 2010, TWI – plus précisément, M. Thibault – a rencontré M. Plante pour discuter de l’incident du 24 janvier. Au cours de cette rencontre, M. Thibault a avisé M. Plante qu’il pouvait être représenté par les représentants du SUT qui se trouvaient là, mais que les représentants du CSN pouvaient seulement assister à la rencontre à titre d’observateurs.

[21] Toujours le 25 janvier 2010, le CSN a envoyé à M. Thibault une lettre dressant la liste des dirigeants et des représentants du CSN. Selon cette lettre, M. Plante était membre du comité exécutif et occupait le poste de secrétaire-trésorier.

[22] Même si la lettre dressant la liste des représentants du CSN a été envoyée la même journée où TWI a tenu une rencontre d’enquête avec M. Plante au sujet de l’incident à l’aéroport, à savoir le 25 janvier 2010, le Conseil est convaincu que ces deux événements ne sont pas reliés.

[23] TWI a décrit le processus qu’elle suit lorsqu’elle impose des mesures disciplinaires à des employés. En cas de refus de travailler, la première étape est de relever l’employé de ses fonctions. La deuxième étape est d’obtenir la version des faits de l’employé. La troisième étape consiste en une discussion entre les gestionnaires de TWI – si l’incident concerne un employé de Montréal, MM. Thibault, Terry Huizenga et John Crowley y prendront part. La quatrième étape est le choix de la mesure qui sera imposée, le cas échéant. La cinquième étape est d’aviser officiellement l’employé de la mesure qui lui sera imposée.

[24] Selon les témoins de TWI, un employé qui refuse de travailler à trois reprises sera congédié.

B – Deuxième incident – 9 mars 2010 (magasinage avec son fils)

[25] Le mardi 9 mars 2010, vers 14 h 55, un répartiteur de TWI, M. Andrew Welch, a appelé M. Plante afin de lui donner du travail pour le 10 mars 2010. M. Plante a refusé ce travail, ce qui a obligé M. Welch à rédiger le compte rendu d’incident suivant :

J’ai appelé Guy pour l’informer de son affectation de mercredi. Il a refusé ce travail en disant qu’il devait aller magasiner avec son fils ce jour-là. J’ai consulté Terry, puis j’ai dit à Guy que, comme il était chauffeur à temps plein et que le système montrait qu’il était disponible le 10 mars, cela allait être considéré comme un refus de travailler. Il a dit que c’était parfait et qu’il ne travaillerait pas mercredi.

(traduction)

[26] Par des conversations antérieures, M. Welch savait que M. Plante aidait à prendre soin de sa mère malade. M. Plante avait fait part de cette situation à M. Welch auparavant, après que M. Thibault lui avait conseillé de le faire.

[27] M. Plante a témoigné que M. Welch avait répondu sèchement quand il lui avait dit devoir aller magasiner avec son fils et que M. Welch l’avait ensuite mis en attente pour parler avec M. Huizenga. Selon M. Plante, la brusquerie de M. Welch l’avait empêché d’ajouter qu’il devait aussi s’occuper de certaines tâches pour sa mère.

[28] Vers le 16 mars 2010, M. Thibault a rencontré M. Plante en compagnie de représentants du CSN. M. Plante a expliqué qu’il avait refusé de travailler le 9 mars 2010 parce qu’il devait s’acquitter d’obligations familiales envers sa mère.

[29] Plus tard, M. Plante a appelé le bureau de Peterborough au sujet de la rencontre du 16 mars 2010. Le répartiteur a transféré l’appel de M. Plante à M. Huizenga. Ce dernier a alors avisé M. Plante qu’il avait été congédié. M. Plante a demandé qu’on lui explique en français les motifs de son congédiement. M. Huizenga a alors appelé M. Thibault, qui s’est joint à la conversation téléphonique et a confirmé à M. Plante qu’il avait été congédié.

[30] Peu après, M. Thibault a appris qu’en fait, la mesure imposée à M. Plante avait été réduite à une suspension de 14 jours. Le 16 mars 2010, M. Thibault a laissé un message téléphonique à M. Plante pour confirmer qu’il allait être suspendu du 10 au 25 mars 2010.

C – Troisième incident – avril 2010 (refus de travailler et plainte d’un client)

[31] Une autre répartitrice de TWI, Mme Dawn Wilmshurst, a témoigné au sujet de deux conversations qu’elle avait eues avec M. Plante en avril 2010.

[32] Mme Wilmshurst a témoigné que, le samedi 10 avril 2010, elle avait appelé M. Plante au sujet de l’affectation du 12 avril 2010 de celui-ci. M. Plante l’a informée qu’il n’était pas disponible cette journée-là. Mme Wilmshurst a alors rappelé à M. Plante la procédure qu’il devait suivre pour éviter une allégation de refus de travailler. Mme Wilmshurst a donné cette affectation à un autre chauffeur, mais elle n’a pas rédigé de compte rendu d’incident.

[33] Mme Wilmshurst a dit que M. Plante connaissait bien la procédure pour une demande de congé et qu’il l’avait suivie sans problème dans le passé.

[34] Le lundi 12 avril 2010, à 0 h 15, Mme Wilmshurst a de nouveau parlé à M. Plante, cette fois au sujet de son affectation du mardi 13 avril.

[35] M. Plante, qui avait dit à Mme Wilmshurst le 10 avril qu’il n’était pas disponible les 12 et 13 avril, a expliqué qu’il ne pouvait pas travailler en raison d’obligations familiales. Mme Wilmshurst a alors rédigé le compte rendu d’incident suivant :

J’ai parlé à Guy le 10 avril 2010. Selon le système, Guy était disponible comme chauffeur le 12 avril 2010. Guy a dit qu’il ne pouvait pas travailler le 12 avril parce que sa mère était hospitalisée et qu’il devait visiter des centres de soins infirmiers et rencontrer un travailleur social afin de préparer la transition de sa mère à un centre de soins infirmiers. Je lui ai demandé s’il avait parlé à Terry Huizenga ou à Daniel Thibault pour demander congé pour cette journée-là. Il a répondu que non.

J’ai de nouveau parlé à Guy le 12 avril 2010 pour confirmer son affectation du 13 avril 2010. Guy m’a informée qu’il avait des « obligations familiales » et ne pouvait pas travailler le 13 avril. Une fois de plus, j’ai informé Guy qu’il n’avait pas congé ce jour-là. Je lui ai redemandé s’il avait parlé à Terry ou à Daniel au sujet de ce congé. Il a dit que non. Guy a expliqué qu’il n’avait pas signé le formulaire de demande de congé. Je lui ai dit que, s’il ne signait pas ce formulaire, on ne pouvait pas lui garantir une journée de congé. Guy a dit « je ne signe plus rien ».

(traduction)

[36] Le 15 avril 2010, M. Thibault a rencontré M. Plante et lui a remis une lettre de congédiement datée du 13 avril. À cette rencontre, M. Plante était accompagné par le président local du CSN.

[37] M. Thibault a témoigné qu’il n’avait pas participé aux discussions portant sur la mesure disciplinaire imposée à M. Plante. M. Thibault n’avait pas rencontré M. Plante pour discuter des circonstances de son refus de travailler d’avril 2010. La lettre de congédiement mentionnait aussi une plainte déposée par un client au sujet de gestes que M. Plante aurait posés en avril 2010, alors qu’il conduisait un autobus nolisé de Montréal jusqu’en Ontario.

[38] Lorsque, pendant son contre-interrogatoire, on a demandé à M. Thibault pourquoi il n’avait pas rencontré M. Plante pour obtenir sa version des faits, il a laissé entendre que M. Plante aurait pu lui en faire part au cours de leur rencontre du 15 avril. Ce jour-là, M. Plante, qui était accompagné d’un représentant du CSN, avait plutôt ramassé la lettre de congédiement puis était parti de façon précipitée.

[39] M. Thibault a expliqué que, mis à part un bref courriel du client faisant état de la plainte à l’encontre de M. Plante, aucune enquête n’avait été menée sur ces incidents.

[40] À l’audience du Conseil, M. Plante a présenté sa version des faits pour la première fois, et il a nié avoir posé le moindre geste répréhensible.

III – Droit

A – Inversion du fardeau de la preuve – paragraphe 98(4)

[41] Les plaintes de PDT font notamment référence au paragraphe 94(3) du Code :

94.(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant – ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir –, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat, ...

[42] Par ailleurs, les plaintes n’indiquent pas quels paragraphes de l’article 94 du Code en particulier étaient en cause.

[43] Les parties conviennent que le paragraphe 94(3) a été invoqué dans les plaintes de PDT et que c’était donc TWI qui avait le fardeau de la preuve, en application du paragraphe 98(4) du Code :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[44] Dans la récente décision Federal Express Canada ltée, 2010 CCRI 519, le Conseil s’est prononcé sur les obligations de l’employeur intimé lorsqu’il traite de la disposition sur l’inversion du fardeau de la preuve :

[38] En vertu de la disposition portant sur l’inversion du fardeau de la preuve au paragraphe 98(4), le Conseil se penche sur l’explication que l’employeur intimé donne de la situation. Le Conseil doit être convaincu que les mesures prises par l’employeur ne sont pas fondées sur un sentiment antisyndical. Le fardeau qui repose sur l’intimé en application du paragraphe 98(4) a été résumé comme suit au paragraphe 97 de l’affaire Denis Rousseau, 2007 CCRI 393 :

... l’employeur a le fardeau de réfuter, selon la prépondérance de la preuve, les allégations donnant ouverture à la plainte, à savoir qu’il était au courant des activités syndicales du plaignant et qu’il en a notamment tenu compte dans sa décision de mettre fin à l’emploi du plaignant.

[39] Le fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, reste inchangé; celui-ci ne devient pas plus lourd selon la gravité des questions soulevées. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, a récemment confirmé la norme de preuve en matière civile :

[49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[40] Dans la même veine, le fardeau incombe toujours à l’employeur intimé. Il n’est pas transféré au plaignant. Cependant, la preuve présentée par le plaignant est souvent cruciale pour permettre au Conseil d’examiner le contexte et de déterminer si l’employeur s’est acquitté de son fardeau.

[41] Il existe rarement une preuve directe de la présence d’un sentiment antisyndical. Le Conseil doit plutôt établir, en se fondant sur le contexte global, si le sentiment antisyndical a joué un rôle, aussi petit soit-il, dans les mesures prises par l’employeur.

[45] Le Conseil accepte la référence faite par TWI au résumé de la pratique générale s’appliquant à ce genre de plainte de PDT, résumé que L’honorable M. George Adams a présenté dans Canadian Labour Law, 2e édition, vol. 2, Aurora, Canada Law Book, 2010 :

10.130 Les dispositions législatives canadiennes qui interdisent de congédier ou de traiter d’autre manière discriminatoire un employé « à cause » ou « en raison » de ses activités syndicales légitimes ont été interprétées par les tribunaux comme exigeant un examen pour vérifier si « l’adhésion à un syndicat a joué un rôle dans la décision de l’employeur de congédier l’employé, que ce soit comme motif principal ou secondaire, ou encore comme l’une de plusieurs raisons, sans égard à leur importance respective ». Il n’est pas nécessaire que le motif répréhensible constitue le motif déterminant. Comme l’employeur n’avouera vraisemblablement pas son sentiment antisyndical, les tribunaux administratifs doivent s’en remettre à la preuve circonstancielle pour tirer des conclusions sur les motifs de l’employeur. Ces considérations peuvent inclure des éléments de preuve relatifs à la manière dont le congédiement a été fait ou à la crédibilité des témoins ainsi qu’à « l’existence d’une activité syndicale et la connaissance qu’il en avait, une conduite inhabituelle ou atypique de sa part découlant de sa connaissance de cette activité syndicale, une conduite antisyndicale antérieure et toutes les autres anomalies” », notamment une disproportion entre la mesure disciplinaire imposée et la faute alléguée.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[46] Le Conseil a examiné la preuve circonstancielle en l’espèce et a tiré des conclusions sur la question de savoir si les activités syndicales de M. Plante avaient joué un rôle dans la décision de TWI. Le Conseil accepte la proposition de TWI selon laquelle la participation d’un employé à des activités syndicales n’empêche pas que cet employé soit tenu responsable des conséquences de son comportement :

Même s’il est clair que M. Sandhu prenait part à des activités syndicales, à la connaissance de l’employeur, ces activités syndicales ne protégeaient pas M. Sandhu contre un congédiement ou une mesure disciplinaire, si l’employeur pouvait démontrer que sa décision n’était pas motivée par un sentiment antisyndical. En effet, les employés ne peuvent recourir aux dispositions sur les pratiques déloyales de travail prévues dans le Code pour se protéger contre des mesures disciplinaires qui résultent de leur propre mauvaise conduite...
(D.H.L. International Express Ltd. (1995), 99 di 126; et 28 CLRBR (2d) 297 (CCRT no 1147), pages 132; et 303-304)

B – Communication des éléments de preuve attendus

[47] L’alinéa 27(1)b) du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement) exige que les parties fournissent des résumées des témoignages anticipés :

27.(1) La partie qui entend présenter une preuve doit déposer auprès du Conseil les documents ci-après en six exemplaires :

...

b) une liste des témoins cités – noms, adresses, professions – accompagnée d’un sommaire de l’information que chacun d’eux est censé fournir sur les questions soulevées par la demande, la réponse ou la réplique, le cas échéant.

(c’est nous qui soulignons)

[48] Le Règlement prévoit aussi les conséquences auxquelles s’expose la partie qui néglige de le faire :

27.(4) Le Conseil peut refuser de considérer tout document ou témoignage invoqué par la partie qui a négligé de se conformer aux paragraphes (1), (2) ou (3).

[49] La présente affaire a mis en évidence certains problèmes de nature procédurale qui surviennent lorsqu’aucune des deux parties ne prépare de résumé des témoignages anticipés; le fait d’y indiquer dans une seule phrase que le témoignage portera sur des incidents soulevés dans les plaidoiries ne satisfait pas aux exigences du Règlement.

[50] En l’espèce, pour l’incident à l’aéroport, M. Plante a allégué que M. Lebeau l’avait informé qu’on ne lui donnerait plus d’affectations à l’aéroport Trudeau.

[51] TWI a décidé de ne pas faire témoigner M. Lebeau en réplique. Elle s’est plutôt contentée du témoignage fait par M. Plante dans son contre-interrogatoire, selon lequel M. Lebeau aurait dit qu’il allait consulter M. Thibault au sujet de la demande de M. Plante.

[52] Quand elle a présenté ses arguments, TWI a laissé entendre que, jusqu’à ce moment-là, M. Plante n’avait jamais mentionné avoir eu une conversation avec M. Lebeau, que ce soit au cours de la rencontre du 25 janvier 2010, dans sa plainte de PDT ou dans un résumés des témoignages anticipés.

[53] Le Conseil a adopté une politique explicite qui exige la production de documents et d’éléments de preuve avant l’audience. Cette pratique encourage les parties à jouer cartes sur table et à chercher des façons de régler l’affaire. Elle permet aussi au Conseil de bien se préparer pour les audiences.

[54] En relations du travail, il existe une pratique, unique au Québec, qui permet à la partie à laquelle incombe le fardeau de la preuve d’appeler le plaignant ou l’auteur du grief comme premier témoin. Contrairement aux provinces qui appliquent les principes de common law, au Québec, la partie qui a le fardeau de la preuve n’est pas liée par le témoignage du plaignant. Néanmoins, cette pratique constitue une forme de communication des faits de la partie opposée.

[55] Dans le passé, le Conseil a respecté cette pratique québécoise de longue date. En l'espèce, le plaignant n'a pas été le premier témoin appelé. Cependant, même s'il avait été le premier témoin, ce processus n'aurait pas remplacé l’obligation de se conformer aux dispositions du Règlement qui exigent la présentation d’un résumé des témoignages anticipés de chaque témoin.

[56] Le Règlement a été conçu de façon à éviter que les parties soient surprises par les éléments de preuve présentés. Cette règle n’assure pas seulement des audiences équitables, elle permet aussi au Conseil de mener ses audiences efficacement et d’éviter des ajournements qui entraînent une perte de temps.

IV – Analyse et décision

[57] Le Conseil conclut que, même si M. Plante n’a pas toujours agi dans l’intérêt de TWI ou même dans son propre intérêt, l’empressement apparent de TWI à le congédier était partiellement motivé par un sentiment antisyndical. Certaines des réactions irréfléchies de M. Plante ont été provoquées par la conduite de TWI.

[58] C’est TWI qui a choisi de ne pas tenir compte de l’ordonnance d’accréditation du Conseil, de commencer à prélever des cotisations syndicales du salaire des employés membres de l’unité de négociation du CSN et de les remettre au SUT. C’est aussi TWI, au cours d’une rencontre avec M. Plante au sujet de son prétendu refus de travailler à l’aéroport Trudeau, qui a dit à M. Plante que ses confrères du CSN pouvaient seulement assister à titre d’observateurs et que M. Plante devait avoir recours aux services des représentants du SUT.

[59] Bien que ces agissements n’aient pas donné à M. Plante carte blanche pour faire fi des responsabilités liées à son emploi, ils permettent de mieux comprendre l’état de la situation à ce moment-là.

[60] La preuve circonstancielle démontre que TWI était particulièrement empressée de congédier M. Plante. TWI est un employeur syndiqué qui a une relation de négociation collective de longue date avec le SUT en Ontario.

[61] Compte tenu de son expérience en la matière, l’empressement de TWI à congédier M. Plante – abstraction faite des gestes irréfléchis de M. Plante – s’écartait non seulement de ses propres normes, mais aussi de celles qui sont généralement appliquées en relations du travail.

[62] Pour ce qui est de la suspension d’une journée, le Conseil est convaincu que M. Plante n’a peut-être pas été très coopératif lorsque la répartitrice de TWI a communiqué avec lui. Néanmoins, il semble que M. Plante avait discuté de la situation de l’aéroport Trudeau avec M. Lebeau. Les parties conviennent qu’une conversation a eu lieu. M. Plante croyait qu’il avait seulement accepté de faire du travail de relève à l’aéroport Trudeau. Il ne voulait pas y être affecté de façon permanente, car il conduisait habituellement des autobus nolisés pour TWI.

[63] M. Lebeau n’a pas été appelé à témoigner pour débattre de la teneur de ses conversations avec M. Plante ou de son affectation initiale de travail à l’aéroport.

[64] Pour ce qui est du deuxième incident, le Conseil est convaincu que, si M. Plante l’avait voulu, il aurait eu tout le temps nécessaire pour mentionner à M. Welch les tâches qu’il devait effectuer pour aider sa mère. Le Conseil conclut que M. Welch a témoigné de façon crédible et directe. M. Welch n’a pas été contre-interrogé au sujet du temps insuffisant qu’il aurait prétendument accordé à M. Plante pour donner toutes les raisons qui l’empêchaient de travailler le jour prévu.

[65] De fait, M. Welch, qui était au courant de l’état de santé de la mère de M. Plante et qui avait même inscrit une note dans le système de répartition à ce sujet, a rappelé M. Plante pour l’aviser que l’explication du magasinage serait considérée comme un refus de travailler. Selon le Conseil, il est fort peu probable que, si M. Plante avait voulu mentionner les tâches qu’il devait faire pour sa mère, il ne l’aurait pas fait après avoir été informé de la position de TWI. De plus, si M. Plante devait bel et bien aider sa mère malade, il est difficile de comprendre pourquoi il aurait d’abord dit qu’il devait aller magasiner avec son fils.

[66] Toutefois, malgré le comportement discutable de M. Plante, TWI n’a pas suivi la procédure disciplinaire qu’elle dit appliquer dans les cas de refus de travailler.

[67] TWI semblait empressée de congédier M. Plante après le deuxième refus de travail de celui-ci. TWI est un employeur syndiqué d’expérience qui fait régulièrement affaire avec des syndicats. Sa décision d’informer M. Plante, le secrétaire-trésorier du CSN, qu’il était congédié, pour ensuite modifier la mesure quelques heures plus tard, est exactement le genre de conduite qui éveille les soupçons du Conseil lorsqu’il soupèse la preuve circonstancielle.

[68] Le Conseil doit donc conclure que TWI avait d’abord décidé de congédier M. Plante après son deuxième refus de travail, malgré sa procédure générale qui prévoyait le congédiement après trois refus de travailler. La réduction ultérieure de la mesure n’influence en rien la conclusion du Conseil selon laquelle le poste qu’occupe M. Plante au sein du CSN avait été pris en considération.

[69] Fait plus important encore aux yeux du Conseil, le fait que TWI se soit empressée de congédier M. Plante en raison du dernier refus de travailler allégué et d’une plainte d’un client a fait en sorte que TWI ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve que lui imposait le Code.

[70] Le Conseil accepte le témoignage de Mme Wilmshurst selon lequel, le 10 avril 2010, elle avait informé M. Plante qu’il devait communiquer avec M. Huizenga ou M. Thibault lorsqu’il ne pouvait pas travailler. Exceptionnellement, après cette conversation, Mme Wilmshurst n’a pas donné d’affectation à M. Plante pour le 12 avril. Lorsqu’elle a rappelé M. Plante le 12 avril pour confirmer l’affectation de celui-ci pour le 13 avril, M. Plante n’avait toujours pas communiqué avec qui que soit ou demandé congé pour ce jour-là. Il a simplement dit qu’il ne pouvait pas travailler.

[71] Malgré le comportement provocateur de M. Plante, TWI n’a absolument pas respecté sa propre procédure disciplinaire.

[72] D’abord, M. Thibault n’a jamais demandé à M. Plante sa version des faits. Le Conseil reconnaît que, compte tenu des faits en cause, si TWI avait choisi de mener une enquête, cette enquête ne devait pas nécessairement être approfondie. Cependant, la propre procédure de TWI exigeait la tenue d’une telle rencontre.

[73] Ensuite, en matière de relations du travail, il est tout à fait hors du commun qu’un employeur syndiqué ne veuille pas rencontrer un employé pour faire enquête sur les circonstances d’une plainte vague déposée par un client. D’ailleurs, la plainte en question se limitait à un seul courriel et TWI n’avait fait aucun suivi quant aux incidents allégués. TWI a simplement inclus l’information relative à la plainte du client dans la lettre de congédiement.

[74] C’est à l’audience du Conseil que M. Plante a pu donner sa version des faits pour la première fois.

[75] Finalement, le Conseil a de la difficulté à accepter la prétention de M. Thibault selon laquelle M. Plante avait eu des chances équitables de fournir des explications au cours de la rencontre du 15 avril 2010, où TWI lui avait remis sa lettre de congédiement. Cette lettre était datée du 13 avril 2010, soit seulement un jour après les incidents en cause. Ce genre d’indifférence envers les explications d’un employé représente le genre de preuve circonstancielle qui laisse croire au Conseil que la décision de l’employeur était entachée par un sentiment antisyndical, du moins partiellement.

V – Conclusion

[76] Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que TWI ne s’est pas déchargée du fardeau de la preuve qui lui était imposé par le paragraphe 98(4) du Code. TWI n’a pas su démontrer que les mesures disciplinaires qu’elle avait imposées à M. Plante n’étaient aucunement influencées par le fait que M. Plante était un membre actif du CSN et un de ses dirigeants.

[77] Vu l’empressement de TWI à congédier M. Plante, et ce, même s’il ne s’était pas comporté de façon irréprochable, le Conseil doit conclure que la participation de M. Plante aux activités du CSN a joué un rôle dans la décision de le congédier.

[78] Le Conseil ordonne donc à TWI de réintégrer M. Plante dans son poste dans les 10 jours suivant la réception de la présente décision.

[79] Les parties ont 30 jours pour s’entendre sur le montant de l’indemnité due à M. Plante en application du sous-alinéa 99(1)c)(ii) et du paragraphe 99(2) du Code. Le comportement de M. Plante est l’un des facteurs pertinents quant à cette détermination, comme l’a expliqué le Conseil dans de nombreuses décisions antérieures. Les parties pourront demander l’aide d’un agent des relations industrielles du Conseil à cet égard.

[80] Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, elles pourront, dans les 21 jours suivant la période de 30 jours susmentionnée, présenter au Conseil leurs observations écrites au sujet de l’indemnité qu’il convient d’accorder. Le Conseil fixera ensuite le montant de cette indemnité.

[81] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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