Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Société canadienne des postes,

requérante,

et


Association des officiers des postes du Canada;

Ruby Sapra,

intimées.

Dossier du Conseil : 28328-C

Référence neutre : 2010 CCRI 558

Le 29 décembre 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

Procureurs inscrits au dossier
Me Chris Meaney, pour la Société canadienne des postes;
Me George Rontiris, pour l’Association des officiers des postes du Canada;
Me Kenneth Alexander, pour Mme Ruby Sapra.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la demande

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente demande de réexamen sans tenir d’audience.

[2] Le 13 août 2010, la Société canadienne des postes (la SCP) a fait part au Conseil de sa préoccupation selon laquelle, dans une décision, le Conseil avait omis de trancher une question qu’elle avait soulevée dans ses observations écrites.

[3] Dans la décision Ruby Sapra, 2010 CCRI 533 (Sapra 533), le Conseil a accueilli une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ). Le Conseil a ordonné que le grief de Mme Sapra soit renvoyé à l’arbitrage et que son agent négociateur, l’Association des officiers des postes du Canada (l’AOPC), paie les honoraires raisonnables de l’avocat choisi par Mme Sapra. Le Conseil a aussi annulé tout délai prévu à la convention collective pour le renvoi du grief de Mme Sapra à l’arbitrage.

[4] Le banc de révision a conclu que, dans la décision Sapra 533, le Conseil a omis d’examiner et de trancher une question que la SCP avait soulevée dans ses observations écrites. Par souci de célérité, le banc de révision rendra l’ordonnance de redressement indiquée afin de trancher cette affaire de façon définitive.

II – Faits

[5] Le 23 juillet 2010, dans la décision Sapra 533, le Conseil a conclu que l’AOPC avait agi de manière arbitraire en retirant le grief de Mme Sapra, par lequel celle-ci cherchait à contester la démission qu’elle avait remise à la SCP. Selon le Conseil, en persistant à dire que sa décision était fondée uniquement sur un avis juridique protégé par le secret professionnel de l’avocat, l’AOPC n’a pas expliqué de façon satisfaisante le processus qu’elle avait suivi pour décider ou non de renvoyer le grief de Mme Sapra à l’arbitrage :

[64] Selon le Conseil, les affaires David Coull, précitée; et Terry Griffiths, précitée, peuvent se distinguer de l’affaire en l’espèce, parce que l’AOPC reconnaît que l’avis juridique est le seul élément dont elle a tenu compte pour retirer le grief. Même si on lui a donné de nombreuses occasions d’expliquer pourquoi elle avait retiré le grief, soit dans des observations écrites, lors de la réunion de gestion de l’affaire et lors de l’audience, l’AOPC a persisté à dire qu’elle avait retiré le grief en se fondant uniquement sur l’avis juridique, à propos duquel elle invoquait le secret professionnel de l’avocat. Tel qu’il est mentionné ci-dessus, le fait que l’AOPC a obtenu un avis juridique ne la décharge pas de l’obligation à laquelle elle est tenue en vertu de l’article 37 de se pencher sur le bien-fondé de l’affaire et de rendre une décision motivée fondée sur les circonstances du dossier de la plaignante. La preuve démontre que l’AOPC ne l’a pas fait.

[6] Dans la décision Sapra 533, le Conseil a décrit la position de la SCP comme suit :

[36] L’employeur ne s’est pas prononcé sur le bien-fondé de la plainte. Il a fait valoir par écrit qu’il devrait pouvoir bénéficier des délais négociés avec le syndicat pour la présentation des griefs et le renvoi de ceux-ci à l’arbitrage, si le Conseil concluait qu’il y a eu violation du Code. L’employeur a refusé de présenter des observations à l’audience.

[7] Après avoir conclu que l’AOPC avait enfreint le Code, le Conseil a ordonné les mesures de redressement suivantes :

[66] À titre de mesure de redressement pour la violation par l’Association de l’article 37 du Code, le procureur de la plaignante a demandé, comme il a été mentionné précédemment, que la démission soit annulée et que la plaignante soit réintégrée dans ses fonctions. Cependant, il n’appartient pas au Conseil de se prononcer sur le bien-fondé d’un grief.

[67] Compte tenu de la conclusion du Conseil que l’Association a enfreint l’article 37 du Code, le Conseil ordonne par la présente que l’AOPC renvoie à l’arbitrage le grief de la plaignante relatif à sa démission et qu’il paie les honoraires raisonnables de l’avocat choisi par la plaignante pour l’instruction du grief. Le Conseil annule tout délai qui pourrait par ailleurs empêcher le renvoi du grief à l’arbitrage.

[8] Dans sa lettre datée du 13 août 2010, la SCP a fait référence à ses observations écrites du 24 avril 2009, dans lesquelles elle avait soulevé la question d’une responsabilité potentielle eu égard aux dommages-intérêts supplémentaires :

Nous vous remercions pour votre lettre datée du 23 avril 2009. Postes Canada ne se prononcera pas sur le bien-fondé de la plainte déposée contre le syndicat. Postes Canada soutient que, si le Conseil concluait que le Code a été enfreint, elle ne devrait pas être tenue responsable des conséquences directes ou indirectes de la violation et elle devrait pouvoir se prévaloir de tous les délais négociés avec le syndicat relativement à la présentation et au renvoi des griefs à l’arbitrage.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[9] Dans ses observations écrites du 24 avril 2009, la SCP avait soulevé deux questions distinctes :

  1. l’ampleur de sa responsabilité en cas de violation du Code;
  2. les délais négociés pour le renvoi des griefs à l’arbitrage.

[10] Le 16 août 2010, la SCP a écrit de nouveau au Conseil pour clarifier sa demande principale qui visait à ce que le banc initial revoit la décision Sapra 533. Subsidiairement, la SCP a demandé au Conseil de réexaminer la décision Sapra 533.

[11] Dans sa lettre datée du 12 octobre 2010, l’AOPC a soutenu que la SCP avait eu deux occasions de soulever la question de sa responsabilité potentielle mais qu’elle ne l’avait pas fait : la SCP n’a pas répliqué à la réponse de l’AOPC datée du 23 avril 2009, ni n’a soulevé la question lors de l’audience tenue les 25 et 26 février 2010.

[12] Dans sa réplique datée du 21 octobre 2010, la SCP a de nouveau fait référence à sa lettre datée du 24 avril 2009. À son avis, elle avait fait valoir sa position quant à sa responsabilité potentielle eu égard aux dommages-intérêts accordés, et a laissé entendre que c’était plutôt l’AOPC qui avait omis de répondre à sa position.

[13] La SCP a soutenu que le Conseil pouvait réexaminer la décision Sapra 533, sur le fondement d’une erreur de principe ou d’un déni de justice naturelle.

III – Analyse et décision

[14] Dans la décision Ted Kies, 2008 CCRI 413, le Conseil s’est penché sur le processus de réexamen. Le réexamen n’est pas un appel, mais plutôt un processus de nature exceptionnelle. Dans cette décision, le Conseil a énuméré les divers motifs qu’un requérant devrait plaider à l’appui de sa demande de réexamen.

[15] Le Conseil est d’avis que la présente demande de réexamen doit être analysée en tenant compte de sa pratique de longue date relativement au rôle de l’employeur dans les plaintes de manquement au DRJ.

[16] En règle générale, l’employeur a un rôle d’observateur en ce qui concerne le bien-fondé d’une plainte de manquement au DRJ.

[17] Une plainte de manquement au DRJ oppose un membre d’une unité de négociation à son syndicat. Le litige porte sur le processus décisionnel interne du syndicat, un examen qui, habituellement, ne concerne pas l’employeur.

[18] De plus, le Conseil ne veut pas que les employeurs assument l’obligation qu’ont les syndicats de défendre leurs processus. Dans la majorité des cas, les plaintes de manquement au DRJ sont déposées par des personnes inexpérimentées. Il incombe au syndicat d’expliquer son processus, que ce soit par l’intermédiaire de ses propres représentants ou d’un avocat externe.

[19] Dans la récente décision Ronald Schiller, 2009 CCRI 435, le Conseil a résumé sa pratique de longue date en la matière :

[36] Les employeurs ont un rôle limité dans les plaintes de manquement au devoir de représentation juste. Le Conseil explique brièvement pourquoi au paragraphe 47 de Virginia McRaeJackson et autres, précitée :

[47] L’employeur n’est pas une partie principale dans les procédures fondées sur l’article 37. Ses actions ne sont pas en cause, et il n’a rien à défendre. Dans la pratique, on l’ajoute à la liste des parties comme partie intéressée, puisque le résultat de la plainte (autrement dit le redressement imposé par le Conseil s’il l’accueille) peut avoir des répercussions sur ses intérêts. C’est pour cette raison que le Conseil donne à l’employeur la possibilité de présenter ses observations sur la question du redressement. L’employeur n’est qu’un observateur en ce qui concerne le bien-fondé de la plainte.

[37] Le Conseil a statué dans James H. Rousseau (1995), 98 di 80; et 95 CLLC 220-064 (CCRT no 1127) que « [l]e Conseil refusera d’entendre de la part de l’employeur une deuxième défense pour le syndicat » (pages 110; et 143,561). Le Conseil a aussi expliqué, dans André Gagnon (1986), 63 di 194 (CCRT no 547), qu’il a limité le rôle de l’employeur afin d’éviter que le syndicat et l’employeur fassent front commun dans des plaintes de manquement au devoir de représentation juste :

La pratique du Conseil, au nom d’un minimum de fair-play envers le plaignant, est d’inviter l’employeur à s’en tenir à un rôle très discret dans les causes portant sur une violation de l’article 136.1 [maintenant l’article 37], du moins quant au bien-fondé de la plainte. En revanche, on l’invitera à se manifester lorsqu’il sera question de redressements susceptibles de neutraliser les conséquences négatives d’une pareille pratique déloyale, si le Conseil devait y faire droit.

(page 206)

[38] Dans certains cas, le Conseil peut autoriser l’employeur à fournir des renseignements à propos du bien-fondé de la plainte, afin de tirer certains faits au clair, mais il reste que, en règle générale, le rôle de l’employeur doit se limiter à celui d’observateur. Il appartient au syndicat de défendre lui-même ses actions.

[20] Le Conseil peut accorder à l’employeur le droit d’intervenir de façon restreinte relativement au bien-fondé de la plainte de manquement au DRJ s’il est allégué que le plaignant et le syndicat ont collaboré afin de se servir du Conseil pour renvoyer un grief à l’arbitrage malgré l’expiration du délai prévu (voir la décision Mireille Desrosiers, 2001 CCRI 124) :

[40] L’employeur, malgré le fait qu’il soit mis en cause peut comparaître, mais son droit d’intervention au débat est en principe limité et restreint. Il pourrait toutefois être autorisé à soulever des objections de compétence, de hors-délai et même à participer activement à l’enquête s’il s’avérait qu’il y a risque de collusion entre le salarié et le syndicat : Brenda Haley (1980), 41 di 295; [1980] 3 Can LRBR 501; et 81 CLLC 16,070 (CCRT no 271).

[21] Néanmoins, sauf dans ces cas exceptionnels, le rôle normal de l’employeur se limite à présenter des observations sur la question des mesures de redressement. Cela est attribuable au fait que la responsabilité potentielle de l’employeur peut être engagée lorsque l’on permet qu’un grief, par ailleurs présenté à l’extérieur du délai, soit renvoyé à l’arbitrage.

[22] Dans sa lettre datée du 24 avril 2009, la SCP a expliqué – comme le font la majorité des employeurs relevant de la compétence fédérale dans de tels cas – qu’elle ne se prononcerait pas sur le bien-fondé de la plainte de manquement au DRJ de Mme Sapra. Cependant, la SCP a manifestement soulevé auprès du banc initial sa préoccupation d’avoir à assumer une responsabilité accrue si le Conseil accueillait la plainte de Mme Sapra.

[23] Essentiellement, la SCP soutenait que, si le Conseil accueillait la plainte, sauf pour la violation du Code commise par l’AOPC, l’affaire aurait été renvoyée à l’arbitrage beaucoup plus tôt. Ainsi, selon la SCP, l’AOPC devrait être responsable de tous les dommages-intérêts supplémentaires attribuables au fait que Mme Sapra a dû déposer une plainte de manquement au DRJ.

[24] Le banc de révision conclut que, dans la décision Sapra 533, le banc initial ne s’est pas penché sur les observations de la SCP qui portaient spécifiquement sur les mesures de redressement.

[25] Dans la décision Sapra 533, le banc initial s’est contenté, au paragraphe 36, de reproduire le commentaire de la SCP selon lequel elle « devrait pouvoir bénéficier des délais négociés avec le syndicat pour la présentation des griefs et le renvoi de ceux-ci à l’arbitrage » (traduction), mais il n’a pas reproduit la deuxième observation de la SCP, selon laquelle « elle ne devrait pas être tenue responsable des conséquences directes ou indirectes de la violation » (traduction).

[26] Il n’y a aucun doute que la SCP a respecté la politique du Conseil quant au rôle restreint de l’employeur dans le cadre d’une plainte de manquement au DRJ. Elle comprenait les limites de son rôle et a simplement rappelé au Conseil que la violation du Code commise par l’AOPC ne devait pas lui porter préjudice.

[27] Le banc de révision est d’avis que le banc initial qui a rendu la décision Sapra 533 a omis, par inadvertance, de se pencher sur l’observation de la SCP quant à l’effet que les mesures de redressement éventuellement accordées pouvaient avoir sur ses intérêts. Cette erreur de bonne foi a convaincu le banc de révision d’intervenir.

[28] La SCP ne devrait pas être tenue responsable des dommages-intérêts supplémentaires que l’arbitre pourrait accorder relativement à la période pendant laquelle la plainte de manquement au DRJ de Mme Sapra a été instruite par le Conseil.

[29] Par conséquent, le Conseil modifie sa décision dans l’affaire à l’étude en ce qui a trait aux mesures de redressement. Par souci de clarté, le Conseil précise que la SCP ne peut pas être tenue responsable des dommages-intérêts que l’arbitre pourrait accorder relativement à la période allant de la date où Mme Sapra a déposé sa plainte auprès du Conseil (le 3 mars 2009) à la date où la décision Sapra 533 a été rendue (le 23 juillet 2010). C’est l’AOPC qui sera responsable de tous les dommages-intérêts accordés à Mme Sapra relativement à cette période.

[30] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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