Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Alliance de la Fonction publique du Canada,

requérante,

et


Aéroport de Québec inc.,

employeur.

Dossier du Conseil : 26929-C
Référence neutre : 2010 CCRI 557
Le 14 décembre 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, ainsi que de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres. Une conférence préparatoire a eu lieu en décembre 2008 et une conférence téléphonique s’est tenue le 22 janvier 2009 en vue d’une audience qui était prévue pour le mois de février 2009. Les parties ont par la suite demandé au Conseil de reporter l’audience parce qu’elles étaient en période de négociation en vue du renouvellement de la convention collective, laquelle est expirée depuis le 31 décembre 2008. Le 23 juin 2010, en réponse à la demande des parties de garder le dossier en suspens jusqu’au 30 octobre 2010, le Conseil a accordé la demande mais a fixé l’audience en novembre 2010 dans l’éventualité où les parties ne seraient pas parvenues à s’entendre. Finalement, le Conseil a entendu les parties à Québec les 8 et 9 novembre 2010.

Ont comparu
Me James Cameron, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada;
Me Alphonse Lacasse, pour l’Aéroport de Québec inc.

Les motifs de la décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

Le syndicat a fait entendre trois témoins, soit MM. Richard Côté, Robert Picard et Normand Pelletier. L’employeur a fait entendre un témoin, Mme Geneviève Desroches.

I – Contexte et nature de la demande

[1] Il s’agit d’une demande de révision de la structure de l’unité de négociation présentée le 16 juin 2008 en vertu de l’article 18.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la requérante ou le syndicat). Le syndicat demande au Conseil de scinder l’unité de négociation pour laquelle il est l’agent négociateur accrédité de sorte que l’unité soit divisée en deux unités distinctes.

[2] En date du 23 juillet 2008, l’Aéroport de Québec inc. (l’employeur) a présenté une objection préliminaire par laquelle il demandait au Conseil de rejeter la demande de révision présentée par le syndicat, étant donné que le Conseil avait déterminé, le 3 juillet 2001, qu’une seule unité était habile à négocier collectivement, et ce, malgré le fait que le syndicat en avait demandé deux.

[3] Dans une lettre administrative transmise aux parties le 12 novembre 2008, le Conseil, après avoir examiné les positions respectives des parties, a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel le principe de la chose jugée s’appliquerait dans la présente affaire. De plus, le Conseil a fait observer que les relations du travail avaient pu évoluer depuis le moment où il avait rendu l’ordonnance d’accréditation, le 3 juillet 2001, et rappelé le pouvoir qui lui est conféré en vertu de l’article  18.1 du Code.

[4] L’unité faisant l’objet de la présente demande a été déterminée par le Conseil le 3 juillet 2001 et le certificat d’accréditation a été délivré le 14 août 2001 (ordonnance no 8104-U). Le 6 juin 2007, en réponse à une demande conjointe des parties aux fins d’actualiser la description de l’unité de négociation à la suite de la création de nouveaux postes, le Conseil a rendu une nouvelle ordonnance (ordonnance no 9290-U) qui se lit comme suit :

tous les employés de l’Aéroport de Québec inc., à l’exclusion du directeur général, de la conseillère à la planification stratégique et soutien à la haute direction, de l’adjointe à la direction générale, du directeur exploitation, du directeur finances et administration, de l’adjointe de direction, du directeur développement, du chef de services techniques et entretien, du chef de service incendie, du chef de service aéroportuaire, du commis ressources humaines, de la directrice adjointe finances et administration, du contrôleur, comptabilité, du directeur, gestion immobilière et direction de projet, et de l’adjointe de direction.

[5] La demande du syndicat vise donc à scinder cette unité, de sorte que les pompiers puissent former une unité distincte de l’unité générale décrite ci-dessus. Il faut préciser qu’en 2001, le syndicat avait demandé d’exclure les pompiers de l’unité générale et que le Conseil avait refusé en expliquant son raisonnement comme suit :

En vertu de l’article 27(1) du Code, le Conseil a jugé qu’une seule unité regroupant tous les employés incluant les pompiers est habile à négocier collectivement. En arrivant à cette conclusion, le Conseil a considéré l’historique de la négociation collective entre les parties, le fait que le plan de mutation s’applique à tous les employés, la mobilité de la main d’oeuvre et la communauté d’intérêt entre les employés...

[6] L’accréditation du syndicat par le Conseil, en août 2001, a été rendue dans le contexte de la cession des aéroports, dont celui de Québec, par Transport Canada, à des entités privées, soit dans ce cas-ci, en faveur de la société Aéroport de Québec inc. Deux syndicats revendiquaient alors l’accréditation à titre d’agent négociateur et, à la suite d’un scrutin, l’Alliance de la Fonction publique du Canada a été reconnue comme agent négociateur. Avant leur transfert à l’Aéroport de Québec inc., les pompiers, pour lesquels le syndicat demande une unité séparée, étaient assujettis à une convention collective cadre. Cette entente cadre, dont les parties signataires étaient le Conseil du Trésor du Canada et le présent syndicat, contenait plusieurs conventions collectives dont l’une pour les pompiers.

[7] Les parties ont signé une première convention collective le 23 juin 2004. Celle-ci est expirée depuis le 31 décembre 2008. Les parties sont en période de négociation pour le renouvellement de la convention collective et, à ce jour, seul le volet normatif a été réglé.

II – La preuve

[8] D’entrée de jeu, le Conseil a rappelé aux parties que le fardeau de la preuve reposait sur les épaules du syndicat puisqu’il est la partie requérante dans la présente demande, et qu’il lui faut, pour convaincre le Conseil de faire droit à sa demande, établir que l’unité actuelle n’est plus habile à négocier collectivement.

A – Le syndicat

1 – Le premier témoin

[9] M. Richard Côté est le Vice-président régional, Québec, du syndicat. Il a été auparavant au service de Transports Canada. Il a été notamment responsable du dossier de la cession des aéroports à des entités privées, dont l’Aéroport de Québec inc.

[10] Il a été également responsable de la négociation de la première convention collective entre les parties, laquelle s’est déroulée entre 2001 et 2004. Il indique que la convention collective, d’une durée de quatre ans, a finalement été signée en juin 2004, après 65 jours de négociation. Il précise ne pas être actuellement à la table de négociation pour le renouvellement de ladite convention collective. Il souligne notamment les difficultés liées au fusionnement de huit conventions collectives en une seule, en expliquant qu’auparavant, c’est-à-dire, à l’époque précédant la cession de l’aéroport de Québec à l’entité privée qu’est l’employeur, il y avait plusieurs conventions collectives en vigueur, dont celle des pompiers.

[11] Il soutient que les horaires des pompiers sont différents de ceux des autres employés. Leurs quarts de travail, depuis 2009, varient entre 10 ou 14 heures, c’est-à-dire, soit de 6 h 30 à 16 h 30 ou de 16 h 30 à 6 h 30. Auparavant, les quarts de travail étaient d’une durée de 18 heures.

[12] Le témoin décrit les tensions qui existaient pendant la période de grève qui a eu lieu en 2004. Les pompiers et certains autres corps de métier (cols bleus), alors visés par une entente conclue en 2003 entre les parties pour le maintien de certaines activités en cas de grève ou de lock-out, étaient en faveur de la grève. La grève a été longue, allègue le témoin. Elle a duré 115 jours. Les employés qui souhaitaient le retour au travail et le règlement du conflit, dont les cols blancs, étaient contraints à faire la grève, alors que ceux qui étaient visés par l’entente sur le maintien de certaines activités, dont les pompiers, ne souhaitaient pas le retour au travail, mais étaient néanmoins payés.

[13] Le témoin explique également que le retour des employés après le conflit de travail a été difficile et que la grève a eu des répercussions sur le climat de travail.

[14] Le témoin souligne également qu’une assemblée générale des pompiers membres de l’unité générale a eu lieu en avril 2008 et que 29 sur 30 d’entre eux ont voté en faveur de scinder l’unité actuelle aux fins de créer une unité distincte composée exclusivement de pompiers.

[15] En contre-interrogatoire, le témoin admet que trois porte-parole différents se sont succédé au cours des négociations de la convention collective entre 2001 et 2004. Évidemment, le temps requis pour remplacer ces personnes clés a occasionné des retards. Le témoin admet également avoir eu recours aux médias pour répondre à l’employeur pendant la grève qui s’est poursuivie entre février et la fin mai 2004. Selon lui, cette façon de faire s’explique par le fait que l’employeur s’est livré à des pratiques de désinformation quant aux offres.

2 – Le deuxième témoin

[16] M. Robert Picard est pompier. Il a travaillé à l’aéroport de Dorval entre 1974 et 1981 et depuis 1981, il est au service de l’Aéroport de Québec. Il était à la table de négociation entre 2001 et 2004 à titre de délégué syndical des pompiers. Il est également le représentant des pompiers à la table de négociation pour le renouvellement de la convention.

[17] Le témoin décrit ce qu’est la vie d’un pompier. Leur travail consiste à sauver des vies et à répondre aux urgences et ce sont les premiers intervenants à l’aéroport. Ils interviennent lors de situations d’alertes à la bombe et d’incidents comportant des cas de maladies contagieuses, la présence de matières dangereuses, du piratage ou d’autres situations exceptionnelles. Il indique que le temps de réponse ou de réaction en cas de danger ou d’appel d’urgence est de trois minutes.

[18] Le témoin décrit également le milieu de travail des pompiers et explique qu’il s’agit d’un milieu qui leur est particulier. Les pompiers forment, selon lui, une équipe à part, puisqu’ils travaillent à la caserne et vivent ensemble, mangent ensemble, couchent dans les dortoirs et font du sport ensemble pour garder la forme physique que requiert le métier de pompier.

[19] Tout comme le témoin précédent, il explique les horaires de travail particuliers des pompiers, qui sont complètement différents de ceux des autres employés de l’aéroport. Les pompiers travaillent également les jours fériés comme Noël et le jour de l’An, ainsi que les fins de semaine. Le témoin explique que les situations d’urgence dans lesquelles les pompiers doivent intervenir sont différentes d’autres situations, leurs postes de travail sont différents et il soutient en outre qu’ils font l’objet d’une catégorie d’emploi distincte au sein de la convention collective. Il soutient qu’il n’y a aucune mobilité de la main-d’oeuvre possible entre les pompiers et les membres des autres corps de métier de l’aéroport. Les pompiers ne peuvent non plus faire la grève eu égard au maintien de leurs activités en cas de grève ou de lock-out.

[20] Le témoin décrit la formation exigée pour devenir pompier, qui comprend trois ans de formation pour l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP), sans compter l’obligation, à tous les trois ans après l’obtention du diplôme, de repasser un test de « certification ». La formation des pompiers est également assujettie au Règlement de l’aviation canadien et ceux-ci doivent notamment détenir une formation de première intervention.

[21] Les pompiers, selon le témoin, doivent également garder une très grande forme physique. Ils sont les premiers intervenants de l’aéroport et doivent d’ailleurs se soumettre à un examen médical annuel. Leurs perspectives de carrière se limitent à celle de devenir capitaine.

[22] Le témoin précise être au courant d’un seul cas où une personne occupant un poste d’opératrice d’équipement lourd ou de technicienne, entretien aérodrome, a été mutée à un poste de pompier. Il précise qu’il s’agit d’un cas unique et ajoute que la personne en question avait déjà été pompière en 1994 et qu’un poste de pompier était devenu vacant en 2004. Le témoin précise que, malgré le fait que cette personne avait déjà été pompière, elle a été assujettie à une période de probation de six mois.

[23] Le témoin précise également qu’à d’autres aéroports au Canada, tels que ceux de Montréal, Winnipeg et Edmonton, les pompiers font partie d’une unité distincte de celle des autres employés de l’aéroport.

[24] Le témoin décrit la période de négociation entre 2001 et 2004. Il souligne que beaucoup de divergences et de frustration étaient au rendez-vous, notamment en raison du fait que les pompiers et d’autres corps de métier étaient assujettis à une entente de maintien de certaines activités en conformité avec le paragraphe 87.4(1) du Code. Il allègue également que les horaires de travail différents des pompiers font en sorte que leurs congés de maladie sont comptabilisés de façon différente. Il en est de même pour le temps supplémentaire. Un nombre minimum de pompiers est requis 24 heures sur 24. Toutes ces différences créent, de l’avis du témoin, des tensions et des frustrations lors des négociations, comme ce fut le cas lors de la négociation de la première convention collective.

[25] Il décrit la situation qui existait lors du vote de grève en 2004. Les pompiers ont voté en faveur de la grève alors qu’ils travaillaient tous. Il souligne que, d’après la réaction des autres employés, ceux-ci semblaient croire que la grève se tenait pour les pompiers seulement. Il estime que les autres employés éprouvaient de la rancune envers les pompiers.

[26] Relativement aux négociations actuelles pour le renouvellement de la convention collective, le témoin reconnaît que l’ambiance est meilleure. Il y a eu, selon le témoin, 48 rencontres de négociation pour régler le volet normatif. De l’avis du témoin, le volet monétaire sera plus ardu et il estime que la situation sera aussi difficile que lors de la première négociation. Il précise que les pompiers ont changé de classification et qu’ils se trouvent depuis un an dans la même classification que les électriciens, les plombiers et les mécaniciens. Selon lui, cette reclassification a une incidence significative pour les pompiers puisqu’ils se retrouvent en haut de l’échelle salariale. Par conséquent, leurs perspectives d’augmentation salariale sont minces. Selon le témoin, aucune affinité ne justifie que les pompiers demeurent dans l’unité générale de négociation.

[27] En contre-interrogatoire, le témoin indique qu’il est présent à la table de négociation pour représenter les pompiers et admet que la négociation présentement en cours pour le renouvellement de la convention collective se déroule bien. Il déclare que l’ambiance est meilleure et que les points litigieux ont été réglés à la suite de bons échanges. Il soutient que des compromis ont été faits de part et d’autre.

[28] Le témoin admet que d’autres groupes d’employés de l’aéroport ont également des horaires différents de ceux des autres employés, comme c’est le cas, par exemple, des électriciens et des plombiers qui ont des horaires de 5 h à 19 h du lundi au vendredi inclusivement. Par ailleurs, pendant l’hiver, les opérateurs d’équipement lourd doivent être présents 24 heures sur 24, sept jours par semaine, et n’ont pas de congés fériés.

[29] Relativement au comité de reclassification qui a été formé à l’automne 2006, le témoin admet que ce comité était prévu dans la convention collective et qu’il y a lui-même représenté les pompiers, bien que ces derniers n’étaient pas d’accord d’y participer. Le témoin admet que le processus suivi par le comité était correct et que les décisions ont été prises par consensus. Il avance toutefois que la reclassification des pompiers n’a jamais été revendiquée par ces derniers et déplore le fait que la formation des pompiers et le fait qu’ils doivent subir un test de recertification à tous les trois ans n’ont pas été considérés comme éléments déterminants dans le processus de reclassification. Il souligne que les pompiers ont demandé une révision de la décision du comité de reclassification relativement à leur nouvelle classification, mais cette demande a été rejetée.

[30] En ce qui a trait à la mobilité de la main-d’oeuvre chez les pompiers, le témoin est catégorique sur ce point et affirme qu’elle est inexistante, mis à part le cas d’une opératrice d’équipement lourd qui a obtenu un poste de pompière en 2005. Il précise d’ailleurs que cette employée avait déjà été pompière auparavant et que, malgré cela, elle a dû être « recertifiée » et c’est ce qui explique sa période de probation de six mois.

[31] Le témoin reconnaît aussi que d’autres corps de métier sont assujettis au maintien de leurs activités en cas de grève ou de lock-out, tels les opérateurs d’équipement lourd, alors qu’ils ne sont pas régis par le Règlement de l’aviation canadien.

[32] Le témoin admet également que les pompiers sont aussi représentés au comité des relations du travail traitant des griefs, au comité de santé et de sécurité au travail, ainsi qu’au comité conjoint relatif aux assurances collectives et au fonds de pension des employés. Le témoin confirme également qu’il n’y a pas de grief en suspens. Il admet enfin que la réception de Noël des employés s’est tenue à la caserne des pompiers l’an passé, afin de donner aux pompiers en devoir l’occasion d’y assister.

3 – Le troisième témoin

[33] M. Normand Pelletier est conseiller syndical et médiateur en chef dans le cadre des négociations actuelles. Il est un employé permanent du syndicat. Jusqu’en 2006, il était enquêteur à l’Agence du revenu du Canada. M. Pelletier explique que l’avis de négociation en vue du renouvellement de la convention collective a été transmis à l’employeur en 2007. Les négociations ont débuté en mars 2009. Le volet normatif de la nouvelle convention a été réglé après une cinquantaine de séances de négociation. Tout comme le témoin précédent, il déclare que la négociation jusqu’à maintenant s’est déroulée de manière cordiale et avec respect.

[34] Il prétend que le volet monétaire est tout autre chose et que déjà, avant même le début des négociations avec l’employeur, beaucoup de frustrations entre les différents groupes d’employés se sont manifestées. Le témoin indique au Conseil qu’avant la cession des aéroports au secteur privé, les pompiers étaient au même niveau que les pompiers de la Défense nationale, donc, leur classification d’emploi était toujours comparée à celle des fonctionnaires fédéraux. Il dit également craindre les répercussions de la négociation de la première convention collective. Il prétend que les demandes des pompiers sont discordantes de celles des autres groupes d’employés. Les horaires de travail particuliers des pompiers, conjugués aux autres conditions de travail distinctes de celles des autres groupes d’employés, justifient qu’ils soient exclus de l’unité générale. Il allègue que le milieu de travail des pompiers est différent de celui des autres groupes d’employés. Les pompiers créent des liens très étroits entre eux. À ce jour, le témoin révèle que les demandes salariales et les attentes des pompiers sont beaucoup plus élevées que celles des autres employés syndiqués. Il souligne que les résultats d’une étude effectuée en 2004 par la firme Sobecco   qui portait sur la comparaison d’un même groupe d’emploi, dont les pompiers  indiquaient que les pompiers de l’aéroport de Québec étaient moins bien rémunérés, ce qui explique notamment les attentes élevées de ces derniers. Par exemple, les pompiers de l’aéroport de Halifax reçoivent un salaire de 20 à 25 % plus élevé que ceux de l’aéroport de Québec. Pour montrer la distinction entre les pompiers et les autres groupes d’employés syndiqués de l’aéroport, le témoin précise que la convention collective actuelle prévoit un chapitre particulier pour les pompiers. Le témoin affirme clairement que des problèmes majeurs sont à prévoir si les pompiers demeurent dans l’unité de négociation actuelle.

[35] Relativement au plan d’évaluation des emplois produit en preuve par l’employeur, le témoin indique que les pompiers se situent au rang le plus élevé de l’échelle salariale comparativement aux autres corps d’emploi compris dans leur classe. Il voit là un problème majeur tant que les pompiers demeureront dans l’unité générale.

B – L’employeur

[36] L’employeur a fait entendre un témoin. Il s’agit de Mme Geneviève Desroches, spécialiste en environnement et en système de gestion de la sécurité. Le témoin indique avoir participé aux travaux du comité relatif au plan d’évaluation des emplois avec trois membres du syndicat. Chaque corps d’emploi, ou poste, a d’abord été classifié. Selon le plan d’évaluation des emplois, les pompiers ont été placés dans la classe 4, avec les concierges service clientèle, les électriciens, les mécaniciens, les plombiers, les techniciens en informatique et les agents de planification et d’entretien préventif. Chaque classe d’emploi a par la suite été évaluée en pourcentage pour lui donner une valeur, et ce, selon divers facteurs et sous-facteurs qui avaient été préalablement déterminés par le comité. Toute évaluation du comité pouvait être contestée. Les pompiers, selon le témoin, ont d’ailleurs demandé et obtenu une réévaluation à la hausse de leur corps d’emploi.

[37] En contre-interrogatoire, le témoin indique qu’avant de siéger au comité d’évaluation des emplois, elle n’avait jamais eu de formation en ce sens, ni d’ailleurs, selon elle, les autres membres du comité. Le témoin indique que la pondération de chacun des facteurs ou sous-facteurs est d’une grande importance car le poids de chacun de ces facteurs est déterminant dans le résultat de l’évaluation de chaque emploi. Par exemple, selon le document du plan d’évaluation des emplois produit en preuve, le facteur  dextérité/coordination  a été pondéré à 5,8 % alors que les  conditions physiques désagréables  ont été pondérées à 4,1 %. Le témoin admet que les pompiers étaient en désaccord avec le choix des facteurs. Ils contestaient, selon elle, au moins la moitié d’entre eux dont, par exemple, la pondération du facteur  ressources humaines  qui était évalué à 8,3 %. Le témoin dit ne pas avoir tenu compte du fait que les pompiers doivent, à tous les trois ans, se soumettre à la « recertification » ni de la mise à jour des connaissances. Seule l’acquisition de nouvelles connaissances a été prise en compte. Il en est de même pour la question de la langue anglaise. La maîtrise de la langue anglaise parlée ou écrite n’a pas été un critère ou facteur retenu, puisque le capitaine de l’équipe des pompiers pourrait intervenir, le cas échéant.

III – Arguments des parties

A – Le syndicat

[38] D’entrée de jeu, le procureur du syndicat admet que le fardeau lui incombe de convaincre le Conseil du bien-fondé de modifier l’ordonnance d’accréditation rendue en 2001, laquelle créait une unité générale regroupant, entre autres, les pompiers. Il souligne également avoir le fardeau de démontrer au Conseil que l’unité actuelle n’est pas en mesure de négocier efficacement le renouvellement de la convention collective qui est expirée depuis le 31 décembre 2008. Il indique que le Conseil a le pouvoir de modifier la structure de négociation actuelle et que les faits produits en preuve le justifient.

[39] Il soutient que la négociation de la première convention collective montre clairement le peu d’affinités entre les pompiers et les autres corps d’emploi faisant partie de l’unité de négociation. Les négociations se sont poursuivies pendant trois ans, ont nécessité 65 séances de négociation et ont donné lieu à une grève d’une durée de 115 jours au cours de l’hiver. Il souligne qu’il s’agit là de la plus longue grève par des employés d’un aéroport au pays, que les effets de cette grève perdurent chez les cols blancs et que les tensions ont persisté même après la signature de ladite convention.

[40] Le procureur du syndicat rappelle le témoignage de M. Picard, lequel selon lui, montre que le pompier fait partie d’un groupe à part. Il porte l’uniforme et il doit sauver des vies en cas de danger, tel qu’une alerte à la bombe, la survenance de maladies contagieuses ou un écrasement d’avion. Le travail des pompiers, souligne le procureur, les oblige à avoir un grand esprit d’équipe à la caserne. Ils travaillent ensemble, mangent ensemble, dorment à la caserne et font du sport ensemble pour garder la forme physique et psychologique. Ils ont trois minutes pour intervenir en cas d’urgence. Ils sont régulièrement « testés » pour la forme physique et doivent être « recertifiés » à tous les trois ans, sinon, ils ne peuvent plus continuer à travailler comme pompier.

[41] Le procureur soutient qu’il n’y a aucune mobilité de la main-d’oeuvre possible entre les pompiers et les membres des autres corps de métier syndiqués. Il relève une seule exception, soit le cas de Mme Villeneuve, qui avait déjà été pompière à l’aéroport.

[42] Le procureur rappelle au Conseil que, lors de la négociation de la première convention collective, laquelle a été ponctuée d’une grève de 115 jours, tous les pompiers ont voté en faveur de la grève, et ce, en dépit du fait qu’ils étaient rémunérés puisqu’ils étaient assujettis au maintien des services dits essentiels. Il rappelle également le scrutin récent où 29 pompiers sur 30 se sont prononcés en faveur de scinder l’unité actuelle. Il souligne que les autres employés syndiqués souhaitent également exclure les pompiers de l’unité générale.

[43] Il rappelle également au Conseil que le volet dit « normatif » de la présente négociation pour le renouvellement de la convention collective, expirée depuis décembre 2008, a nécessité 55 séances de négociation. Rappelant le témoignage de M. Pelletier, le procureur soutient que le volet monétaire de la négociation sera difficile. Le témoin Pelletier a déclaré qu’il existe déjà des frictions parmi les employés de la classe 4, vu les revendications élevées des pompiers. Il prévoit que les pompiers voteront en faveur de la grève une fois de plus.

[44] Le procureur rappelle également le témoignage de Mme Desroches, touchant le plan d’évaluation des emplois et la pondération en pourcentage donnée aux divers facteurs ou critères. La preuve, souligne le procureur, montre l’importance de la pondération de chacun des facteurs. Il souligne, par exemple, qu’une pondération de seulement 8,2 % a été donnée au facteur « conditions de travail », lequel comprend les conditions physiques et psychologiques qui sont très importantes pour les pompiers mais moins importantes pour plusieurs autres classes d’emploi.

[45] Enfin, le procureur rappelle au Conseil que la réalité démontre que la particularité du corps d’emploi des pompiers milite en faveur de scinder l’unité générale de négociation et de créer une unité distincte pour ces derniers. Le procureur du syndicat rappelle au Conseil les facteurs dont il tient compte lors de la création et du maintien de grandes unités, en invoquant des décisions du Conseil, dont celle de AirBC Limited (1990), 81 di 1; 13 CLRBR (2d) 276; et 90 CLLC 16,035 (CCRT no 797). Il souligne que ces facteurs, dont la mobilité latérale des employés, la stabilité, le régime commun de conditions d’emploi, ne sont pas au rendez-vous dans la présente affaire et, en conséquence, il demande au Conseil de faire droit à la demande.

B – L’employeur

[46] Le procureur de l’employeur se dit surpris des propos du procureur du syndicat lorsqu’il indique que les pompiers voteront encore en faveur de la grève dans le cadre de la présente négociation. Il soutient que cet énoncé va à l’encontre même de l’essence du Code. Il allègue que le Conseil ne peut donner son aval à un tel énoncé. Il y a 96 employés dans la classe d’emploi 4 dans laquelle sont compris les pompiers. Les pompiers représentent environ 20 % de cette classe d’emploi.

[47] Il souligne également qu’il est normal qu’il existe des marges salariales entre les employés travaillant pour un aéroport tel celui de Québec et ceux travaillant, par exemple, à Toronto. Il ajoute que la situation des pompiers n’est pas unique et que d’autres groupes d’emploi ont aussi des conditions distinctes les uns des autres. Par exemple, souligne-t-il, les opérateurs d’équipement lourd ont des horaires de travail qui leur sont particuliers.

[48] Relativement au nombre de séances de négociation touchant le volet normatif du renouvellement de la convention, le procureur rappelle au Conseil que trois représentants du syndicat se sont succédé à la table de négociation, ce qui explique en partie la durée de la négociation pour régler ce volet. Il soutient que, déjà, des séances de travail ont été amorcées les 18 et 28 octobre 2010 pour aborder le volet monétaire et que les parties n’étaient pas à couteaux tirés.

[49] Selon le procureur, rien dans la preuve du syndicat ne montre que l’unité actuelle n’est plus habile à négocier collectivement, mis à part des intérêts qu’il qualifie « d’égocentriques » de la part des pompiers.

[50] Il souligne que les exigences pour la formation des pompiers ne sont pas exceptionnelles non plus. Plusieurs corps de métier à l’aéroport exigent également un diplôme d’études professionnelles, tels que les électriciens, les plombiers et les soudeurs. Il prétend de plus que la preuve a montré que les pompiers sont représentés à tous les niveaux dans les comités syndicaux-patronaux au sein de l’entreprise, allant du comité des relations du travail aux comités d’assurances collectives et de santé et de sécurité au travail.

[51] Relativement au plan d’évaluation des emplois, le procureur de l’employeur se dit surpris de la négativité manifestée à l’endroit du travail du comité conjoint à cet égard, alors que le système de classification a été prévu à l’article 35.06 de la convention à la demande expresse du syndicat. Il ajoute que le travail du comité a d’ailleurs été fait en étroite collaboration avec le syndicat. Le procureur de l’employeur allègue que rien dans la preuve du syndicat ne justifie de scinder l’unité générale déterminée par le Conseil en 2001 ou de créer une unité distincte pour les pompiers.

[52] Le procureur de l’employeur produit un cahier de jurisprudence et de doctrine, rappelant les critères appliqués dans le cadre de demandes semblables à celle présentée par le syndicat en l’espèce. Il rappelle que le fait que certains employés, dont les pompiers, risquent d’avoir à travailler en cas de grève ou de lock-out afin de respecter les exigences de l’article 87.4 du Code n’impose aucune contrainte au Conseil quant à la détermination ou la révision de la structure des unités de négociation.

[53] Il demande au Conseil de rejeter la demande du syndicat.

IV – Le droit

[54] Le paragraphe 18.1(1) du Code se lit comme suit :

18.1(1) Sur demande de l’employeur ou d’un agent négociateur, le Conseil peut réviser la structure des unités de négociation s’il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement.

[55] Le fardeau de la preuve incombe, comme on le sait, à la partie qui allègue que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement. Le Conseil a étudié cette question dans l’affaire Expertech Bâtisseur de réseaux inc., 2002 CCRI 182, où il a déclaré ce qui suit :

[108] Contrairement à l’article 45, le paragraphe 18.1(1) prévoit que le Conseil doit être convaincu que les unités en question « ne sont plus habiles à négocier collectivement ». Ce libellé implique la preuve d’une inadéquation de la structure des unités de négociation actuelles ou une sorte de preuve par la négative...

[56] Relativement à la nature et au contenu du fardeau de la preuve, le Conseil est d’avis qu’il est nettement plus élevé que dans le cadre d’une demande de révision présentée en vertu du paragraphe 18.1(2) et des articles 35 et 45 du Code. Le législateur, en tous les cas, a pris la peine de préciser au paragraphe 18.1(1) qu’il fallait que le Conseil soit convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement, ce qui n’est pas le cas des articles 35 et 45 du Code.

[57] Le Conseil est d’avis qu’il faut, pour ce faire, établir un sérieux degré de preuve pour justifier la révision de la structure actuelle des unités de négociation, plutôt que de simplement montrer qu’une autre structure serait habile ou plus habile à négocier collectivement.

[58] À cet égard, le Conseil décidait dans l’affaire Société Radio-Canada, 2003 CCRI 218, une décision majoritaire, ce qui suit :

[113] Comme la nouvelle disposition législative est différente de l’ancienne, et bien que le Conseil reconnaisse que la partie intéressée doit s’acquitter d’une certaine charge de la preuve, il ne souscrit pas entièrement aux idées du SCEP quant à la nature et au contenu de cette charge. Il estime qu’il ne faudrait pas toujours interpréter le paragraphe 18.1(1) comme s’il imposait un critère exigeant ou une lourde charge de la preuve, mais plutôt lui donner une définition compatible avec le libellé du Code dans son contexte, compte tenu des faits pertinents... Les faits et les circonstances qui ont mené l’employeur ou un agent négociateur à demander une révision doivent être soigneusement pesés... le Conseil doit envisager la situation globalement dans son contexte, sans nécessairement imposer une charge de la preuve que les dispositions pertinentes du Code n’exigent ni n’impliquent dans leur contexte factuel et législatif. Le Conseil n’est donc pas d’avis que les dispositions du paragraphe 18.1(1) sur la révision des unités de négociation imposent nécessairement un critère exigeant ni une lourde charge de la preuve.

(c’est nous qui soulignons)

[59] Dans l’affaire précitée, un des points soulevés par le membre minoritaire portait sur le fait qu’à ses yeux, la majorité du banc favorisait un  élargissement considérable de la portée des motifs justifiant des révisions de la structure des unités de négociation  en vertu du paragraphe 18.1(1), tandis que le Conseil avait jusqu’alors fondé ses décisions sur des raisons impératives.

[60] La décision précitée a fait l’objet d’une demande de réexamen présentée en vertu de l’article 18 du Code. Dans sa demande, le requérant (le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier) prétendait que le législateur, par le truchement du paragraphe 18.1(1) du Code, avait habilité le Conseil à réviser la structure des unités de négociation existantes et avait dès lors établi un test moins exigeant que celui qui existait auparavant.

[61] Dans sa décision Société Radio-Canada, 2003 CCRI 253, le Conseil a rejeté unanimement la demande de révision et s’est exprimé ainsi relativement à la question des motifs pouvant justifier la révision de la structure des unités de négociation en vertu du paragraphe18.1(1) du Code :

[68] Les membres de la majorité du banc initial ont conclu, essentiellement que, pour les fins d’une révision fondée sur le paragraphe 18.1(1) du Code, il est nécessaire de tenir compte globalement et de manière équilibrée de tous les facteurs pertinents, y compris les raisons qui ont motivé la demande de réexamen. Ils ont également conclu qu’ils ne devaient pas attendre, pour s’attaquer aux problèmes liés aux unités de négociation, que ces problèmes deviennent graves ou complètement intolérables, dans la mesure où il est évident que les unités de négociation sont devenues inhabiles à négocier collectivement. Ils se sont également prononcés en faveur de l’utilisation d’une approche globale plutôt que d’une approche strictement réparatrice comme c’est actuellement le cas dans les décisions du Conseil relativement aux demandes de déclaration d’employeur unique ou de vente d’entreprise. Le présent banc souscrit à cette approche globale et équilibrée, qui consiste à tenir compte du contexte dans lequel est présentée une demande de révision fondée sur l’article 18.1, de même que de l’ensemble des faits et des circonstances.

[69] En dépit de ce qu’en pense le requérant, ces conclusions ne signifient certainement pas, pour le présent banc, que le Conseil a mis de côté l’obligation d’établir qu’il existe des raisons impératives ou sérieuses de réviser la structure des unités de négociation en vertu du paragraphe 18.1(1) du Code...

...

[73] Par conséquent, le présent banc du Conseil ne peut pas souscrire à la position du requérant selon laquelle la décision de la majorité repose entièrement sur la conclusion à laquelle elle en est arrivée que le législateur, par le truchement du paragraphe 18.1(1) du Code, a habilité le Conseil à réviser la structure des unités de négociation existantes et a dès lors établi un test moins exigeant que celui qui existait auparavant...

...

[77] Ainsi qu’il a été précisé précédemment, le banc de révision ne partage pas le point de vue selon lequel le Conseil a éliminé le « test des raisons impératives » en rendant la décision faisant l’objet du présent réexamen. La lecture de la décision dans son ensemble et plus précisément l’extrait au paragraphe 69 cité plus haut indique clairement que le Conseil continue d’exiger la preuve qu’il existe des raisons impératives ou sérieuses avant de réviser la structure des unités de négociation.

(c’est nous qui soulignons)

[62] Dans l’affaire Rogers Cablesystems Limited, 2000 CCRI 51, le Conseil a décidé qu’il fallait des raisons impératives pour réviser la structure de l’unité de négociation en vertu du paragraphe 18.1(1) du Code. Il s’est exprimé ainsi à cet égard :

[31] Aux termes des nouvelles dispositions de l’article 18.1, il ne suffit pas de démontrer que la structure demandée est plus appropriée que celle qui existe actuellement; il doit exister des motifs contraignants pour lesquels la structure de négociation n’est plus appropriée et nécessite l’intervention du Conseil...

(c’est nous qui soulignons)

[63] Quant aux facteurs pertinents pour l’application du paragraphe 18.1(1) du Code, le Conseil, dans l’affaire Société Radio-Canada (218), précitée, s’est prononcé comme suit :

[114] ... Les parties et le Conseil devraient être disposés à s’attaquer aux problèmes et aux situations auxquelles ils sont confrontés d’une façon souple, en visant à assurer des relations du travail efficaces ainsi qu’une gestion du personnel et des pratiques de négociation collective saines et constructives. Le Conseil ne devrait pas refuser de s’attaquer à des problèmes dans les cas où des unités ne sont plus habiles à négocier collectivement avant qu’ils ne deviennent graves, voire complètement intolérables, s’il est évident que les unités en question ne sont plus habiles à négocier dans la mesure où ces problèmes sapent nettement l’efficacité des relations du travail.

(c’est nous qui soulignons)

V – Décision

[64] Il n’y a pas de doute que le Conseil, comme toutes les instances qui régissent les relations du travail au Canada, hésite à autoriser le fractionnement d’une unité existante à moins qu’il existe des raisons importantes de le faire, comme il a été mentionné dans l’analyse de la jurisprudence récente décrite plus haut. Le fractionnement d’une unité d’accréditation constitue donc une exception.

[65] Dans la présente instance, à la lumière des observations du syndicat et de la preuve qui lui ont été présentées au cours des deux jours d’audience, le Conseil conclut qu’il doit scinder l’unité. Les arguments justifiant la fragmentation de l’unité de négociation actuelle en deux unités sont nombreux.

[66] Dès novembre 2000, après la cession par Transports Canada de l’Aéroport de Québec à l’employeur, une société privée, le syndicat avait demandé au Conseil de créer une unité distincte pour les pompiers. En vertu du paragraphe 27(1) du Code, le Conseil avait alors déterminé qu’une seule unité regroupant tous les employés, incluant les pompiers, était habile à négocier collectivement. En arrivant à cette conclusion, le Conseil avait alors, à raison, tenu compte de l’historique de la négociation collective entre les parties, c’est-à-dire le Conseil du Trésor et le syndicat, du fait que le plan de mutation s’appliquait à tous les employés, de la mobilité de la main-d’oeuvre et de la communauté d’intérêts des employés.

[67] Que s’est-il passé depuis qui puisse justifier la décision du Conseil de modifier l’unité de négociation actuelle? Existe-t-il des motifs impérieux d’adopter un point de vue différent? En premier lieu, il y a la question de la négociation de la première convention collective des employés nouvellement transférés à l’Aéroport de Québec inc. entre le nouvel employeur et le syndicat. Ces négociations qui ont débuté en 2001 ont duré trois ans et, comme la preuve l’a démontré, n’ont pas été sans heurts et ont laissé des blessures. En plus d’être longues, elles ont donné lieu à une grève d’une durée de 115 jours. La preuve a montré que les négociations ont été une source de frustration, non seulement pour les pompiers qui appuyaient la grève, mais également pour les classes d’employés qui souhaitaient le retour au travail.

[68] La convention collective est expirée depuis décembre 2008, soit presque deux ans déjà. Les parties ont entamé les négociations pour le renouvellement de la convention mais n’ont conclu que récemment le volet normatif. Le volet monétaire, un élément certes très important de la négociation, reste encore à faire. La preuve montre qu’il a fallu une quarantaine de séances de négociation pour que les parties parviennent à s’entendre sur le volet normatif. Il est vrai que trois représentants syndicaux se sont succédé à la table de négociation, mais le témoignage de M. Pelletier, le négociateur en chef du syndicat, a été précis. Les négociations s’annoncent ardues et des problèmes importants sont à prévoir si les pompiers demeurent dans l’unité générale.

[69] Les pompiers sont également insatisfaits des conclusions du plan d’évaluation des emplois produit en preuve par l’employeur. Selon la preuve, leur insatisfaction porte sur le fait que la pondération en pourcentage, basée sur des facteurs et sous-facteurs déterminés au préalable, ne tient pas compte de la formation continue à laquelle sont assujettis les pompiers puisqu’ils sont tenus de repasser une « recertification » à tous les trois ans. De plus, le fait que l’on exige d’eux des conditions de travail qui n’ont aucune commune mesure avec celles des autres classes d’emploi n’a pas ou peu été pris en compte par le comité conjoint sur l’évaluation des emplois. De plus, toujours en ce qui a trait au plan d’évaluation des emplois, et tel que l’a indiqué le témoin Pelletier, le fait que les pompiers se situent au rang le plus élevé de l’échelle salariale comparativement aux autres corps d’emploi compris dans leur classe, laisse présager des problèmes majeurs pour la négociation à venir du volet monétaire en vue du renouvellement de la convention collective expirée depuis le 31 décembre 2008.

[70] Par ailleurs, la preuve a aussi montré qu’il n’y a aucune mobilité de la main-d’oeuvre possible entre les pompiers et les autres catégories d’employés syndiqués de l’aéroport, mis à part l’exception d’une personne qui avait déjà été pompière 10 années auparavant, et ce, compte tenu de la formation spécialisée des pompiers et l’assujettissement de ces derniers au Règlement de l’aviation canadien. Un autre motif impérieux de scinder l’unité générale repose également sur le fait que les pompiers, à tout le moins dans un aéroport, forment un groupe d’employés distinct. Ils portent l’uniforme, travaillent, mangent, dorment à la caserne des pompiers et exercent ensemble des activités sportives parce que la fonction qu’ils occupent le requiert.

[71] Les faits démontrent aussi que les pompiers, bien qu’ils soient assujettis actuellement à une même convention, ont des conditions de travail, tant sur le plan des horaires de travail, des congés et des heures supplémentaires, distinctes de celles des autres employés membres de l’unité générale.

[72] Par conséquent, le Conseil est d’avis que la preuve qui lui a été présentée répond au critère énoncé au paragraphe 18.1(1) du Code et aux critères élaborés par la jurisprudence du Conseil relativement au degré de preuve requis pour le convaincre de scinder l’unité actuelle au motif qu’elle n’est plus habile à négocier collectivement. Se fondant également sur l’expérience difficile qu’a été la négociation de la première convention collective de travail, et selon la preuve entendue, et ce, plus de neuf ans après la délivrance de l’ordonnance d’accréditation, le Conseil a été à même d’apprécier l’à-propos de modifier l’unité actuelle.

[73] Dans une décision du Conseil rendue le 23 janvier 2003, dans l’affaire Les Remorqueurs du Québec Limitée, 2003 CCRI 213, la demande de révision de la structure de l’unité de négociation a été accueillie. Le Conseil a scindé l’unité, comme en l’espèce, pour former une unité distincte comprenant les capitaines de bateaux-pilotes. Dans cette affaire, les parties étaient aussi en négociation pour le renouvellement de la convention collective expirée deux ans auparavant. Le Conseil a dit ceci à l’égard de la capacité de conclure une convention collective :

[23] L’impossibilité de conclure une convention collective qui puisse satisfaire les intérêts divergents des deux groupes doit aussi être prise en considération. Tel que noté plus haut, la capacité de conclure une convention collective est l’essence même de la viabilité d’une unité de négociation et le critère le plus important dans la détermination de l’habileté à négocier collectivement.

[74] Pour tous ces motifs, le Conseil accueille la demande du syndicat et scinde l’unité de négociation accréditée le 14 août 2001 et modifiée le 6 juin 2007 par ordonnance no 9290-U. Ainsi, le Conseil confirme que l’ordonnance d’accréditation no 9290-U exclura dorénavant les pompiers. Par ailleurs, le Conseil rend une nouvelle ordonnance visant une nouvelle unité comprenant les pompiers uniquement. En ce qui concerne cette dernière, le Conseil est convaincu que la requérante répond à tous les critères essentiels à l’accréditation, y compris la représentation d’une majorité des employés dans l’unité.

[75] Les ordonnances relatives aux présents motifs de décision seront acheminées sous pli séparé.

[76] Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Conseil accueille la demande du syndicat. Il s’agit d’une décision unanime.

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