Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat des agents de sécurité Garda, Section CPI-CSN,

requérant,

et


Corporation de Sécurité Garda Canada,

employeur,

et

Union des agents de sécurité du Québec - Syndicat des Métallos, section locale 8922,

agent négociateur.

Dossier du Conseil : 27823-C
Référence neutre : 2010 CCRI 549
Le 12 novembre 2010

Le Conseil, composé de Mes Louise Fecteau, Graham J. Clarke et William G. McMurray, Vice-présidents, a étudié les observations présentées par les parties.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Dans la présente affaire, le Conseil estime que les documents versés au dossier lui suffisent pour trancher l’affaire sans tenir d’audience.

Procureurs inscrits au dossier
Me Éric Lévesque, pour le Syndicat des agents de sécurité Garda, Section CPI-CSN;
Me Jean Martel, pour la Corporation de Sécurité Garda Canada;
Me Nicolas Charron, pour l’Union des agents de sécurité du Québec - Syndicat des Métallos, section locale 8922.

Les motifs de la décision de la majorité ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente. La dissidence a été rédigée par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la demande

[1] Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 18 du Code par le Syndicat des agents de sécurité Garda, Section CPI-CSN (la CSN ou le requérant), le 18 novembre 2009, dans laquelle il sollicite le réexamen de la décision rendue par le Conseil le 18 octobre 2009 (Corporation de Sécurité Garda Canada, 2009 CCRI 477) (RD 477). Dans cette affaire, le Conseil a rejeté une demande d’accréditation à l’égard d’une unité de négociation composée des agents de sécurité au service de la Corporation de Sécurité Garda Canada (Garda ou l’employeur) qui sont affectés à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) au Centre de prévention de l’immigration (CPI) de Citoyenneté et Immigration Canada, situé à Laval.

[2] Les employés visés par la demande d’accréditation sont représentés par un syndicat accrédité par la Commission des relations du travail du Québec, soit l’Union des agents de sécurité du Québec Syndicat des Métallos, section locale 8922 (le Syndicat des Métallos).

[3] Garda s’était opposée à la demande d’accréditation au motif que les activités de sécurité qu’elle exerce auprès de l’ASFC sont assujetties à la compétence provinciale ainsi qu’aux dispositions d’un décret québécois, soit le Décret sur les agents de sécurité, R.R.Q. c. D-2, r.1. L’employeur remettait en question la compétence du Conseil pour se saisir d’une demande d’accréditation présentée dans le contexte d’un maraudage.

[4] Le Conseil a entendu les parties à l’audience tenue du 28 au 30 avril 2009, ainsi que le 27 mai 2009, et a rejeté la demande d’accréditation présentée par la CSN pour deux motifs. Le premier motif a trait à la compétence du Conseil et se lit comme suit dans la décision RD 477 :

[122] Le Conseil doit donner raison à Garda et à l’agent négociateur quant au rejet de cette demande d’accréditation tant sur la question préliminaire relative à la compétence du Conseil que sur la question de la recevabilité de la demande.

[123] Le travail de gardiennage et de transport effectué par les agents de sécurité de Garda ne constitue pas une partie intégrante, vitale et essentielle des activités de l’ASFC au CPI. Il n’est qu’accessoire à toutes les activités menées par l’ASFC, tant en ce qui a trait à la surveillance des frontières qu’à l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La preuve à cet effet est prépondérante.

[5] S’appuyant notamment sur un témoignage entendu à l’audience, le Conseil a affirmé ce qui suit dans la décision RD 477 :

[124] Le témoignage de Mme Marilyne Paradis, chef des opérations de l’ASFC au CPI, a clairement démontré que l’immeuble du CPI sert à héberger des personnes non violentes et que le Centre a comme objectif de garder réunis les membres d’une même famille. Les personnes violentes sont transférées au Centre de détention de Rivière-des-Prairies et ce sont toujours les agents de l’ASFC qui prennent les décisions à cet effet.

[125] Ce témoin a précisé que le CPI est un centre d’hébergement à sécurité moyenne, qu’il n’est pas identifié au Service correctionnel du Canada et qu’il n’est pas exploité selon les directives de cet organisme. Les agents de sécurité de Garda n’ont aucun pouvoir pour ce qui est de décider de la détention des prévenus ou d’enquêter, d’arrêter, d’interroger ou de libérer une personne. Ils n’ont pas accès aux dossiers des personnes détenues et n’ont pas à les identifier. De plus, Mme Paradis a clairement indiqué que les agents ne font pas de transport interprovincial, bien que cette tâche soit prévue dans le contrat.

[126] Le Conseil doit décider de la demande d’accréditation en fonction de l’analyse des activités de Garda au CPI. À la lumière de cette analyse, le Conseil conclut qu’elles ne sont pas dissociables de ses autres activités de gardiennage et de transport. Bien qu’elles soient nécessaires, elles ne sont pas vitales ou essentielles à l’entreprise fédérale. Il ne s’agit pas d’activités de sécurité essentielles, comme c’est le cas dans un aéroport, et aucune autre preuve qu’il puisse s’agir d’une première ligne de sécurité n’a été présentée au Conseil.

[6] Le deuxième motif de la décision RD 477 se lit comme suit :

[132] Le Conseil conclut également à l’irrecevabilité de la présente demande d’accréditation, car aucun changement opérationnel n’est survenu. De plus, puisqu’un avis de négociation avait dûment été donné le 16 avril 2007 en vue du renouvellement de la convention collective et que des séances de négociation ont eu lieu jusqu’à la signature de la convention le 26 juin 2008, la demande ne respecte pas les délais prescrits à l’alinéa 24(2)d) du Code, puisqu’elle a été présentée le 22 février 2008 (voir The Corporation of the City of Thunder Bay / Telephone Division (exploitée sous la raison sociale Thunder Bay Telephone), précitée).

II – Motifs de réexamen invoqués par la CSN

[7] La CSN allègue que la décision à l’étude contient « des erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code  », et ce, contrairement aux dispositions de l’alinéa 44b) du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement). À cet égard, elle soutient ce qui suit :

a. Eu égard à la preuve présentée devant le Conseil, il appert que la Corporation de Sécurité Garda Canada est une entreprise fédérale soumise aux dispositions du Code canadien du travail, en ce que ses activités sont essentielles et vitales à l’entreprise principale CPI.

b. Le Conseil s’est dissocié de sa propre jurisprudence en regard des des (sic) critères applicables afin de qualifier juridiquement une entreprise fédérale.

[8] Au soutien de sa demande, et s’appuyant sur les principes généralement applicables lorsqu’il s’agit de déterminer si une entreprise de compétence provinciale exerce des activités constituant une partie vitale, essentielle ou intégrante d’une entreprise de compétence fédérale, la CSN invoque plusieurs décisions du Conseil et d’autres tribunaux judiciaires. Elle cite en particulier deux arrêts de la Cour suprême du Canada, soit Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112; et Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115.

[9] La CSN reproche principalement au Conseil d’avoir escamoté toute la question du volet de détention dans son analyse de la preuve dans la décision RD 477 et d’avoir fait fi de toute sa jurisprudence en semblable matière.

[10] La CSN rappelle au Conseil ce qu’est l’ASFC, l’agence dont la mission principale est de fournir des services frontaliers intégrés en matière de sécurité nationale et de sécurité publique. La CSN soutient également que l’ASFC a certaines obligations découlant de la mise en oeuvre et de l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la LIPR), et qu’elle peut, dans le cadre de l’application de cette loi, procéder à l’arrestation de personnes coupables ou soupçonnées d’infraction. La CSN soutient qu’à la suite d’une arrestation, une personne peut être détenue par l’ASFC dans un de ses centres de prévention, soit les CPI dont il est question dans la présente affaire.

[11] La CSN soutient que cette mission dite de « détention » de l’ASFC est énoncée à l’article 4 de la LIPR et que ces activités de détention constituent une partie identifiable de l’entreprise fédérale, activités qui sont exercées par le CPI en son nom. L’article 4 de la LIPR se lit comme suit :

[Compétence générale du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration]

4.(1) Sauf disposition contraire du présent article, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est chargé de l’application de la présente loi.

...

[Compétence générale du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile]

(2) Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est chargé de l’application de la présente loi relativement :

a) au contrôle des personnes aux points d’entrée;

b) aux mesures d’exécution de la présente loi, notamment en matière d’arrestation, de détention et de renvoi;

c) à l’établissement des orientations en matière d’exécution de la présente loi et d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour activités de criminalité organisée;

d) à la prise des décisions au titre des paragraphes 34(2), 35(2) ou 37(2).

(c’est nous qui soulignons)

[12] La CSN ajoute que « la mise en oeuvre de la mission « détention » par l’ASFC doit se faire en respectant des normes nationales, des politiques ministérielles et des directives administratives en matière de détention ».

[13] De plus, au soutien de sa demande, la CSN fait référence au contrat de service intervenu entre l’ASFC et l’employeur, soit le CPI, pour montrer que les normes de travail, les critères de sélection et d’embauche du personnel, le contrôle de la qualité de la prestation du travail, les normes relatives à la tenue des gardiens, les normes de conduite et de rendement, ainsi que les horaires et les affectations des employés du CPI sont tous déterminés par l’ASFC. Par exemple, en matière de prestation de travail, la CSN fait valoir ce qui suit :

Prestation de travail

i. L’ASFC requiert les services des employés de l’employeur intimé pour la conduite de véhicules appartenant à l’ASFC et la surveillance de personnes détenues;

ii. Dans le cadre de la conduite desdits véhicules, les employés de l’employeur intimé doivent assurer le déplacement de prévenus et de bagages selon les instructions données par le gestionnaire du projet de l’ASFC ou son remplaçant;

iii. Toutes les directives, consignes de postes, guide des mesures d’urgence, directives régionales et nationales sont rédigés et fournis par l’ASFC...

[14] La CSN allègue que l’importance de l’encadrement des employés du CPI par l’ASFC témoigne non seulement de l’importance du volet « détention » et de son caractère vital, mais montre également l’intégration de l’entreprise du CPI et de ses employés à l’ASFC.

[15] La CSN estime également que le Conseil est arrivé à une conclusion erronée dans la décision faisant l’objet du réexamen (RD 477) :

[126] ... À la lumière de cette analyse, le Conseil conclut qu’elles ne sont pas dissociables de ses autres activités de gardiennage et de transport...

[16] La CSN croit que la preuve présentée au Conseil a pourtant démontré que Garda n’avait aucun autre contrat du même type que celui conclu avec l’ASFC et qu’elle exerçait essentiellement, entre autres choses, des activités de transport de valeurs et de surveillance d’immeubles et de lieux. La CSN prétend que « l’activité d’hébergement dans un centre de détention dissocie Garda de ses activités habituelles ».

[17] La CSN soutient de plus que le Conseil a aussi commis une erreur en concluant que la durée du contrat entre Garda et l’ASFC influait sur la nature du lien entre les deux parties. Elle soutient que la durée d’un contrat n’a jamais été un critère important dans la détermination de la compétence provinciale ou fédérale.

[18] En dernier lieu, la CSN affirme ne pas comprendre le paragraphe 132 de la décision à l’étude (RD 477). Le paragraphe en question dit ceci :

[132] Le Conseil conclut également à l’irrecevabilité de la présente demande d’accréditation, car aucun changement opérationnel n’est survenu. De plus, puisqu’un avis de négociation avait dûment été donné le 16 avril 2007 en vue du renouvellement de la convention collective et que des séances de négociation ont eu lieu jusqu’à la signature de la convention le 26 juin 2008, la demande ne respecte pas les délais prescrits à l’alinéa 24(2)d) du Code, puisqu’elle a été présentée le 22 février 2008 (voir The Corporation of the City of Thunder Bay / Telephone Division (exploitée sous la raison sociale Thunder Bay Telephone), précitée).

[19] La CSN soutient, au contraire, que si le Conseil avait déterminé que Garda était une entreprise relevant de la compétence fédérale, il s’agirait alors d’une situation dite « de champ libre » et que, de toute façon, la demande d’accréditation présentée le 22 février 2008 l’a été dans le délai prévu au sous-alinéa 24(2)d)(ii) du Code.

[20] La CSN demande au Conseil de réexaminer sa décision et d’accueillir la demande d’accréditation présentée le 22 février 2008.

III – Réponses de l’employeur et du Syndicat des Métallos

A – L’employeur

[21] L’employeur est d’avis que la présente demande de réexamen ne répond pas aux critères énoncés à l’alinéa 44b) du Règlement. Faisant référence à une décision du Conseil dans John D. Kelly, 2002 CCRI 202, il prétend que le réexamen ou la révision d’une décision du Conseil est prévu pour corriger les erreurs graves et non pour s’ingérer dans la décision du Conseil « en y substituant à ses opinions ». L’employeur est d’avis que la CSN tente uniquement d’obtenir une décision différente fondée sur les mêmes faits.

[22] L’employeur estime que la décision RD 477 est fondée sur une analyse de la preuve et des faits présentés par la CSN montrant que les services fournis par Garda ne constituaient pas un élément essentiel et vital des activités de l’ASFC. Il soutient que la CSN n’a pas été en mesure de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui était imposé. Il ajoute que la décision du Conseil « est simplement fondée sur les aspects factuels propres à la situation régissant les relations entre Garda et l’ASFC ».

[23] Enfin, l’employeur est d’avis que la CSN ne soulève aucun fait nouveau qui permettrait au Conseil de modifier la décision RD 477 et qu’elle ne démontre aucune erreur de droit ni déni de justice naturelle.

[24] L’employeur demande au Conseil de rejeter la demande de réexamen de la CSN.

B – Le Syndicat des Métallos

[25] Le Syndicat des Métallos soutient que la CSN n’a pas démontré que le Conseil « a commis une erreur de droit ou de principe qui remet véritablement en question l’interprétation du Code ». Il fait notamment observer ce qui suit :

- le Conseil a rendu une décision très étoffée, et ce, « en appliquant les principes jurisprudentiels et en appréciant la preuve de façon raisonnable sans y commettre aucune erreur de droit ou de principe qui serait de nature à invalider sa décision »;

- aucun des motifs soulevés par la CSN ne démontre que le Conseil a commis des « erreurs de droit ou de principe d’une gravité telle qu’elles auraient pour effet de remettre en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil et d’entraîner la nullité de la décision » faisant l’objet de la présente demande de réexamen;

- la demande de la CSN « équivaut à un moyen déguisé d’en appeler de la décision » du Conseil et constitue un moyen de contester les conclusions de ladite décision;

- la manière dont la CSN attaque la décision RD 477 et les prétentions qu’elle avance pour justifier sa demande de réexamen « sont contraires aux enseignements de la jurisprudence en cette matière ».

[26] Le syndicat renvoie à plusieurs décisions du Conseil relatives à son pouvoir de réexamen, dont celles rendues dans les affaires Transport Besner Inc., 2005 CCRI 329; Robert Adams, 2001 CCRI 121; et Société Radio-Canada, 2002 CCRI 195, pour montrer que la CSN n’a démontré la présence d’aucune des circonstances prévues à l’alinéa 44b) du Règlement.

[27] Relativement à l’allégation de la CSN voulant que le CPI constitue un centre de détention, le Syndicat des Métallos soutient « qu’une telle affirmation n’a jamais été mise en preuve devant le banc initial ni par la CSN, ni par les autres parties ». Le Syndicat des Métallos affirme par ailleurs que le contrat conclu entre l’ASFC et Garda ne contient aucune mention que le CPI est un centre de détention. Il soutient que le contrat indique plutôt que le rôle principal du CPI est « de transporter, d’héberger et d’assurer la sécurité des personnes prévenues ». Il ajoute que la preuve présentée au Conseil indique que le contrat a été conclu entre Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et Garda, et qu’il ne diffère aucunement des autres contrats en ce qui a trait aux activités habituelles de Garda.

[28] Le Syndicat des Métallos demande au Conseil de rejeter la demande de réexamen présentée par la CSN.

IV – Réplique de la CSN

[29] En réplique, la CSN précise que, contrairement à ce que soutiennent le Syndicat des Métallos et l’employeur, elle ne tente pas de faire changer d’opinion le Conseil siégeant en réexamen en raison d’une pure insatisfaction ni simplement d’obtenir une décision différente fondée sur les mêmes faits. Faisant référence à la décision du Conseil dans l’affaire Rivtow Marine Ltd. et Tiger Tugz Inc., 1999 CCRI 30, la CSN soutient que le Conseil a, de fait, commis « une erreur de droit ou de principe en utilisant le critère strict du caractère vital et essentiel alors que le terme « essentiel » a été interprété dans son acceptation large comme englobant la notion de « raisonnablement nécessaire » ».

[30] La CSN soutient que le problème posé dans la décision à l’étude est le fait que le Conseil a « littéralement escamoté un volet raisonnablement nécessaire, vital, essentiel et faisant partie intégrante des activités de l’entreprise fédérale, soit les activités de détention ». Elle affirme que « le Conseil a commis des erreurs de droit en ne jaugeant pas à son mérite la mission même de l’ASFC au CPI » aux termes de la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, L.C. 2005, c. 38, et de la LIPR. Il précise que « le volet détention est donc au coeur même de la mission législative de l’ASFC » et que « personne d’autre que les employés de Corporation de Sécurité Garda Canada ne vaquent à ces activités pour le compte de l’ASFC au CPI ». Sans cet apport, soutient la CSN, l’ASFC ne pourrait aucunement assumer sa mission législative.

[31] La CSN soutient de plus que, dans le cadre des services qu’elle fournit au CPI, sous le contrôle de l’ASFC, Garda prend en charge les prévenus aux points d’entrée au Canada, les escorte au CPI, les détient au CPI, dans des établissements en tout point conformes à un centre de détention, et escorte au point de renvoi les prévenus qui, au terme d’un processus réglementaire ou quasi judiciaire prévu par la LIPR, sont renvoyés en dehors du Canada.

[32] La CSN soutient que « la mise en oeuvre de la mission « détention » par l’ASFC doit se faire en respectant des normes nationales, des politiques ministérielles et des directives administratives en matière de détention auxquelles les employés de l’employeur sont soumis directement ou indirectement ».

[33] Relativement au contrat auquel Garda est assujettie, la CSN fait valoir qu’il est impossible de minimiser ou d’omettre le volet « détention », puisque l’objet même du contrat le prévoit. Elle cite une clause du contrat en question qui prévoit ce qui suit :

Le rôle principal du Centre de Prévention de l’immigration (CPI) est de transporter, d’héberger et d’assurer la sécurité des personnes prévenues en vertu de la LIPR et autres protocoles d’ententes afférents. Notre objectif est de soutenir les opérations de l’ASFC en prenant en charge toutes personnes prévenues en respectant les normes nationales et politiques ministérielles en matière de détention. Ainsi, l’équipe du CPI vise à assurer la sécurité des différents acteurs impliqués dans le cadre de l’exécution de la Loi (volet détention), et ce, tant pour les prévenus que pour nos partenaires sur le terrain.

(sic)

[34] La CSN affirme de plus que la preuve présentée à l’audience a « largement démontré que les prévenus sont détenus dans un centre de détention où ils sont hébergés et surveillés pendant la durée du processus réglementaire ou quasi judiciaire dont ils sont l’objet par le gouvernement canadien », et ce, conformément à la LIPR.

[35] La CSN prétend que les activités de « surveillance » et « d’hébergement » exercées par Garda « sont aussi essentielles, vitales et raisonnablement nécessaires aux activités principales de l’activité fédérale de l’ASFC ».

[36] La CSN renvoie à la jurisprudence du Conseil qu’elle a citée au soutien de sa demande, soit Securiguard Services Limited, 2005 CCRI 342 (confirmée par un banc de révision du Conseil dans Securiguard Services Limited, 2006 CCRI LD 1379); et A.S.P. Incorporated, 2006 CCRI 368. Elle soutient que le Conseil devrait également qualifier les activités de Garda au CPI de vitales et d’essentielles dans le cadre des activités fédérales principales.

V – Les questions à trancher

[37] La présente affaire soulève principalement la question suivante : le Conseil a-t-il commis une erreur de droit ou de principe au sens de l’alinéa 44b) du Règlement lorsqu’il a conclu ce qui suit au paragraphe 123 de la décision RD 477 :

[123] Le travail de gardiennage et de transport effectué par les agents de sécurité de Garda ne constitue pas une partie intégrante, vitale et essentielle des activités de l’ASFC au CPI. Il n’est qu’accessoire à toutes les activités menées par l’ASFC, tant en ce qui a trait à la surveillance des frontières qu’à l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La preuve à cet effet est prépondérante.

[38] Subsidiairement, le banc de révision doit déterminer l’incidence, si tant est qu’il y en ait une, de l’erreur d’interprétation qu’a pu commettre le Conseil quant à la question des délais pour présenter une demande d’accréditation, dans un cas comme celui en l’espèce, c’est-à-dire lorsqu’il existe déjà une accréditation provinciale. Il s’agit en fait du paragraphe 132 de la décision RD 477, qui se lit comme suit :

[132] Le Conseil conclut également à l’irrecevabilité de la présente demande d’accréditation, car aucun changement opérationnel n’est survenu. De plus, puisqu’un avis de négociation avait dûment été donné le 16 avril 2007 en vue du renouvellement de la convention collective et que des séances de négociation ont eu lieu jusqu’à la signature de la convention le 26 juin 2008, la demande ne respecte pas les délais prescrits à l’alinéa 24(2)d) du Code, puisqu’elle a été présentée le 22 février 2008 (voir The Corporation of the City of Thunder Bay / Telephone Division (exploitée sous la raison sociale Thunder Bay Telephone), précitée).

VI – Analyse

[39] L’article 18 du Code confère au Conseil le pouvoir de réexaminer ses décisions. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée sont énoncées à l’article 44 du Règlement, qui est libellé comme suit :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code comprennent les suivantes :

a) la survenance de faits nouveaux qui, s’ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un réexamen, l’auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3.

[40] Le Conseil accorde une grande importance au caractère définitif de ses décisions, conformément au paragraphe 22(1) du Code. Ainsi le renversement d’une décision du Conseil demeure l’exception plutôt que la règle. Il incombe au requérant, qui a le fardeau de la preuve, de démontrer qu’il existe de sérieuses raisons, voire des circonstances exceptionnelles, qui justifieraient le réexamen d’une décision (voir 591992BC Ltd., 2001 CCRI 140).

A – La question de la compétence constitutionnelle

[41] De l’avis du requérant, la décision à l’étude contiendrait des erreurs de droit ou de principe remettant véritablement en question l’interprétation du Code, eu égard à la preuve qu’il dit avoir présentée au Conseil. Le requérant ajoute que le Conseil a fait fi de sa propre jurisprudence à l’égard des critères applicables lorsqu’il s’agit de « qualifier juridiquement » une entreprise fédérale. Selon le requérant, l’erreur qu’aurait commise le Conseil se rapporte au volet des activités de détention. Le requérant allègue que le Conseil a escamoté ce volet.

[42] La majorité du banc de révision n’est pas de cet avis et croit plutôt que la décision à l’étude montre que le Conseil a respecté rigoureusement les principes juridiques applicables lorsqu’il s’agit de déterminer sa compétence dans des cas, comme celui de Garda, où l’employeur exerce généralement des activités relevant de la compétence provinciale. Il lui fallait être convaincu que les activités de Garda pour le compte du CPI étaient dissociables de ses autres activités de gardiennage et de transport, et qu’elles étaient vitales ou essentielles à l’entreprise fédérale qu’est l’ASFC. Or, selon la preuve entendue, ce n’était pas le cas.

[43] En ce qui a trait à l’allégation du requérant selon laquelle le Conseil aurait escamoté le volet des activités de détention, la majorité n’est pas non plus de cet avis. Il ressort clairement de la décision à l’étude que le Conseil a tenu compte de l’argument du syndicat relativement au volet de détention et qu’il a conclu, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, que les activités de sécurité exercées par les gardiens de sécurité de Garda n’étaient pas des activités de sécurité essentielles, comme c’est le cas dans un aéroport. Selon la majorité, le volet des activités de détention a été au coeur même du débat de la décision à l’étude; toutefois, le requérant n’a pas su convaincre le Conseil que les agents de sécurité de Garda exerçaient des activités de détention. La décision RD 477 dit d’ailleurs ce qui suit à cet égard :

[120] De l’avis du requérant, la détention est une composante essentielle de l’ASFC. C’est ce volet, dont les aspects de la surveillance et du transport sont confiés aux agents de Garda, qui rend les activités menées par cette dernière nécessaires et vitales au CPI.

[121] C’est cette question que le Conseil doit trancher, c’est-à-dire si ces aspects de « surveillance » et de « transport » liés à la détention sont accessoires aux activités de l’ASFC au CPI ou s’ils en sont des éléments vitaux, essentiels et nécessaires.

...

[123] Le travail de gardiennage et de transport effectué par les agents de sécurité de Garda ne constitue pas une partie intégrante, vitale et essentielle des activités de l’ASFC au CPI. Il n’est qu’accessoire à toutes les activités menées par l’ASFC, tant en ce qui a trait à la surveillance des frontières qu’à l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La preuve à cet effet est prépondérante.

[124] Le témoignage de Mme Marilyne Paradis, chef des opérations de l’ASFC au CPI, a clairement démontré que l’immeuble du CPI sert à héberger des personnes non violentes et que le Centre a comme objectif de garder réunis les membres d’une même famille. Les personnes violentes sont transférées au Centre de détention de Rivière-des-Prairies et ce sont toujours les agents de l’ASFC qui prennent les décisions à cet effet.

[125] Ce témoin a précisé que le CPI est un centre d’hébergement à sécurité moyenne, qu’il n’est pas identifié au Service correctionnel du Canada et qu’il n’est pas exploité selon les directives de cet organisme. Les agents de sécurité de Garda n’ont aucun pouvoir pour ce qui est de décider de la détention des prévenus ou d’enquêter, d’arrêter, d’interroger ou de libérer une personne. Ils n’ont pas accès aux dossiers des personnes détenues et n’ont pas à les identifier. De plus, Mme Paradis a clairement indiqué que les agents ne font pas de transport interprovincial, bien que cette tâche soit prévue dans le contrat.

[126] Le Conseil doit décider de la demande d’accréditation en fonction de l’analyse des activités de Garda au CPI. À la lumière de cette analyse, le Conseil conclut qu’elles ne sont pas dissociables de ses autres activités de gardiennage et de transport. Bien qu’elles soient nécessaires, elles ne sont pas vitales ou essentielles à l’entreprise fédérale. Il ne s’agit pas d’activités de sécurité essentielles, comme c’est le cas dans un aéroport, et aucune autre preuve qu’il puisse s’agir d’une première ligne de sécurité n’a été présentée au Conseil.

(c’est nous qui soulignons)

[44] Le requérant estime que la décision du Conseil dans l’affaire Securiguard Services Limited (342), précitée, est similaire à celle à l’étude. Cependant, la majorité du banc de révision ne partage pas ce point de vue. Le contexte de la sécurité dans les aéroports demeure très particulier, notamment depuis les événements du 11 septembre 2001. Dans l’affaire susmentionnée, le Conseil était saisi d’une demande d’accréditation présentée par l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district des transports 140, section locale 16, en vue de représenter un groupe d’employés de Securiguard Services Limited (Securiguard) qui fournissaient des services de sécurité périphérique à l’aéroport international de Vancouver. Securiguard soutenait que le Conseil n’avait pas compétence pour accréditer le syndicat.

[45] Le Conseil a décrit la question de la compétence dans Securiguard Services Limited (342), précitée, de la manière suivante :

[3] Afin de décider si le syndicat peut être accrédité sous le régime du Code canadien du travail, il faut déterminer si le contrat de services de Securiguard est dissociable de ses autres contrats de services et si l’entreprise fait partie intégrante de l’aéroport international de Vancouver, une autre entreprise fédérale.

[46] Autrement dit, le Conseil s’est penché sur deux questions principales :

1) le contrat de services de l’employeur est-il dissociable de ses autres contrats de services?

2) l’entreprise fait-elle partie intégrante d’une entreprise fédérale?

[47] Le Conseil était d’avis que les services contractuels fournis par Securiguard à l’aéroport international de Vancouver étaient différents de ceux prévus dans le cadre des contrats conclus avec d’autres clients. Pour déterminer si le contrat de services de l’employeur était dissociable de ses autres contrats de services, le Conseil a examiné les faits suivants :

[29] ...

  • l’importance des services de contrôle de l’accès périphérique par rapport aux autres activités de sûreté aéroportuaire;
  • les connaissances spécialisées et la formation continue requises pour satisfaire aux exigences des règlements;
  • l’utilisation des caméras de sécurité de l’aéroport pour surveiller la circulation à l’intérieur de l’aéroport;
  • la participation aux enquêtes sur les infractions à la sûreté pour le compte de l’aéroport;
  • l’affectation exclusive d’employés à l’exécution du contrat de l’aéroport;
  • l’obligation de détenir un laissez-passer de zone réglementée pour travailler à l’aéroport.

[48] S’appuyant également sur les facteurs et critères établis par la Cour suprême du Canada, notamment dans l’arrêt Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada, précité, le Conseil a conclu que les services fournis par Securiguard à l’aéroport étaient suffisamment liés aux activités de l’Administration de l’aéroport pour être dissociables de ses contrats de service courants. Selon le Conseil, il existait un lien suffisant entre l’aéroport, en tant qu’entreprise fédérale principale, et Securiguard, en tant qu’exploitation accessoire, pour conclure que ses relations du travail relevaient de la compétence fédérale.

[49] Or, la majorité du banc de révision est d’avis que les circonstances dans l’affaire à l’étude sont différentes. Les éléments de preuve que le Conseil a examinés n’ont pas montré que le contrat en vertu duquel Garda fournissait des services de sécurité au CPI était dissociable de ses autres contrats, en vertu desquels elle fournit des services d’agents de sécurité. La preuve montre que l’affectation des employés de Garda au CPI n’est pas exclusive; Garda fournit des services de sécurité et de transport à plusieurs autres entreprises au Québec et peut affecter ses agents de sécurité à d’autres entreprises afin de leur permettre de compléter leurs heures de travail hebdomadaires. De plus, les agents ne reçoivent pas de formation spécialisée lorsqu’ils sont affectés au CPI. La preuve montre aussi que les activités de prise en charge et de transport des prévenus, de menottage, de fouille et de détention s’effectuent sous l’autorité d’un agent de l’ASFC, et que les agents de Garda n’ont donc aucun pouvoir décisionnel à cet égard. Les services de sécurité de base fournis par Garda à ses autres clients comprennent le travail de garde, de surveillance, de sécurité ou de protection de personnes, de biens ou de lieux. De plus, les agents de Garda procèdent à des fouilles et, lorsqu’ils ont l’autorisation de le faire, donnent des avis d’infraction. Bref, rien ne montre que les services fournis par Garda au CPI sont dissociables de ses autres activités.

[50] Il est vrai que la décision Securigard Services Limited (342), précitée, a servi de fondement à plusieurs autres décisions, y compris celles rendues dans les affaires Securiguard Services Limited, 2006 CCRI LD 1517; A.S.P. Incorporated, précitée; et Nova Scotia Division of the Canadian Corps of Commissionaires, 2007 CCRI LD 1647.

[51] En revanche, même si la décision Securiguard Services Limited (342), précitée, a été employée presque exclusivement pour justifier la compétence du Conseil dans le cadre de la sécurité périphérique dans les aéroports, il est important de souligner le paragraphe suivant de la décision Securiguard Services Limited (LD 1379), précitée, dans laquelle le Conseil a confirmé cette décision :

... la question de la compétence en matière des services de sécurité périphérique dans les aéroports a subi d’importants changements et elle continue d’évoluer. Le Conseil s’empresse donc d’ajouter qu’une décision établissant la compétence en matière de sécurité périphérique dans le contexte de l’exploitation d’un seul aéroport n’est pas déterminante de la compétence en la matière dans tous les aéroports, ni ne modifie nécessairement la jurisprudence établie dans la mesure où elle s’applique à des services de sécurité fournis pour le compte d’autres entreprises fédérales relevant de la compétence provinciale. Chaque demande doit être évaluée en tenant compte des circonstances qui lui sont propres. Nul doute que, dans le climat actuel de mesures de sécurité accrues dans les aéroports, la jurisprudence pertinente continuera de s’enrichir et d’évoluer au fil des décisions rendues par le présent Conseil et par d’autres conseils ou commissions des relations du travail.

(page 9; c’est nous qui soulignons)

[52] Ainsi, la décision Securiguard Services Limited (342), précitée, ne modifie pas nécessairement le principe selon lequel les services de sécurité fournis pour le compte d’autres entreprises fédérales relèvent de la compétence provinciale. Ce principe ressort de la décision que le prédécesseur du Conseil, soit le Conseil canadien des relations du travail, avait rendue dans l’affaire Service de protection Burns International Ltée et Société canadienne des postes (1989), 78 di 39; et 3 CLRBR (2d) 264 (CCRT no 746). Dans cette décision, le Conseil avait conclu que les tâches des agents de sécurité affectés à des établissements de la Société canadienne des postes ne relevaient pas de la compétence fédérale, car les agents de sécurité s’occupaient fondamentalement du contrôle de l’accès; ils ne fournissaient pas « un service directement lié aux fonctions principales de relevage, de transmission et de distribution du courrier de Postes Canada ».

[53] Dans un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53; [2009] 3 R.C.S. 407, la majorité a réitéré le principe selon lequel la compétence fédérale en matière de relations du travail est interprétée de façon restrictive. Dans cette affaire, la majorité de la Cour suprême a conclu que les relations du travail de la succursale de Consolidated Fastfrate Inc. à Calgary relevaient de la compétence provinciale. Fastfrate confiait le transport interprovincial des marchandises à des sociétés ferroviaires et de camionnage et, sauf dans un cas particulier, ses employés ne contribuaient aucunement à l’exploitation du réseau de transport de ces sociétés. Fastfrate ramassait et regroupait les marchandises dans la province d’où elles étaient expédiées et dégroupait et livrait les marchandises en provenance d’une autre province.

[54] La majorité de la Cour a déterminé qu’une entreprise qui fournit des services de regroupement et de dégroupement, ainsi que des services locaux de ramassage et de livraison, ne devient pas une entreprise interprovinciale en raison d’une structure organisationnelle nationale intégrée ou des contrats qu’elle conclut avec des tiers interprovinciaux.

[55] Bien que la portée de cette décision semble se limiter au domaine du transport interprovincial, la Cour suprême a toutefois réitéré les principes énoncés dans l’arrêt Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada, précité, et a souligné que la question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation.

[56] Ainsi, la question de la compétence constitutionnelle, que ce soit dans le contexte des services de sécurité périphérique dans les aéroports ou des services de sécurité dans un centre de prévention de l’immigration, tels que ceux dont il est question ici, doit être examinée en tenant compte des circonstances particulières de chaque dossier et dépend de la nature des activités en question.

[57] Faut-il rappeler également que le Conseil, dans l’affaire à l’étude, a tenu une audience de quatre jours et a entendu plusieurs témoins, dont trois appelés par le requérant qui, en contre-interrogatoire, ont tous admis que les gardiens de sécurité de Garda au CPI n’avaient aucun pouvoir d’arrestation, d’enquête, d’interrogation ou de détention.

[58] Il semble donc que la preuve qui a été présentée à l’audience n’a pas convaincu le Conseil d’appliquer l’exception au principe voulant que la compétence provinciale s’applique en matière de relations du travail.

[59] Il est vrai par ailleurs que, dans la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt Bhagat Ram Mehmi, [2004] OLRB Rep. January/February 16, la Commission des relations de travail de l’Ontario (la Commission) a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre la plainte, et ce, parce qu’elle estimait que les activités de l’entreprise en question relevaient de la compétence fédérale. Il s’agissait d’une plainte qu’un agent de sécurité de Group 4 Falck, affecté à un centre de détention de l’immigration situé en Ontario, avait déposée à l’encontre de son syndicat. Dans la décision à l’étude, le Conseil fait référence à l’arrêt Bhagat Ram Mehmi, précité, sans toutefois préciser le contexte de l’affaire. Le présent banc a analysé cette décision et la majorité conclut, en toute déférence, qu’elle se distingue de celle à l’étude. Premièrement, la Commission a tenu une consultation et non une audience publique comme c’est le cas dans l’affaire à l’étude. L’occasion d'appeler des témoins et de présenter une preuve est plus restreinte lors d'une consultation. Deuxièmement, les agents de sécurité dont il était question accomplissaient un rôle semblable à celui d’agents des services correctionnels. Le Centre de détention en question servait à détenir des personnes qui avaient violé la LIPR et qui, en conséquence, avaient été arrêtées ou étaient détenues par Immigration Canada parce qu’il y avait des raisons de croire qu’elles ne comparaîtraient pas ou même qu’elles constituaient un danger pour le public. Or, selon la preuve présentée dans la présente affaire, les gardiens de sécurité travaillent dans un immeuble situé à Laval, Québec, qui sert à héberger des personnes prévenues non violentes et aux fins de garder réunis les membres d’une même famille, ce qui exige des mesures de sécurité moins rigoureuses que celles décrites ci-haut dans l’arrêt Bhagat Ram Mehmi, précité.

[60] Par ailleurs, les parties à la convention collective dans l’arrêt Bhagat Ram Mehmi, précitée avaient conclu une entente à l’effet que les lois fédérales s’appliquaient dans les circonstances. Or, dans la présente affaire, les activités de sécurité exercées par Garda au Québec, y compris celles exercées au CPI, sont assujetties aux dispositions d’un décret québécois sur les agents de sécurité adopté en vertu de la Loi sur les décrets de convention collective, L.R.Q. c. D-2. Cette loi québécoise prévoit que des parties à une convention collective dans un secteur d’activité donné peuvent demander au gouvernement du Québec d’étendre par décret certaines dispositions de cette convention collective à l’ensemble des employés et des employeurs de ce secteur. Par conséquent, la majorité du banc de révision n’est pas convaincue que la décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario dans l’arrêt Bhagat Ram Mehmi, précité, puisse s’appliquer dans les circonstances particulières de l’affaire à l’étude, et ce, compte tenu de l’étendue de la preuve présentée à l’audience.

[61] Pour les motifs énoncés ci-dessus, la majorité du banc de révision n’est pas convaincue que le Conseil a commis une erreur de droit en concluant que les activités de Garda au CPI relèvent de la compétence provinciale. La majorité estime que le Conseil a appliqué tous les critères établis par la jurisprudence concernant la question de la compétence constitutionnelle et qu’il a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents, y compris l’aspect « détention » soulevé par le requérant. Par conséquent, la majorité rejette la partie de la demande de réexamen portant sur la compétence constitutionnelle du Conseil.

B – La question subsidiaire : la recevabilité de la demande d’accréditation

[62] Relativement à la question subsidiaire soulevée par le requérant touchant la question de la recevabilité de la demande d’accréditation, la majorité du banc de révision est d’avis que cette question est purement théorique, compte tenu du fait que le Conseil a décliné sa compétence dans la décision RD 477. Cependant, le Conseil tient à préciser que, dans les cas où les parties croyaient à tort que leurs relations du travail relevaient de la compétence provinciale, la convention collective conclue en vertu du régime des lois provinciales constitue généralement une convention valide en vertu des dispositions du Code, comme s’il s’agissait d’une reconnaissance volontaire (voir Cable T.V. Limitée (1979), 35 di 28; [1980] 2 Can LRBR 381; et 80 CLLC 16,019 (CCRT no 188); Emde Trucking Ltd. (1985), 60 di 66; et 10 CLRBR (NS) 1 (CCRT no 501); et The Corporation of the City of Thunder Bay / Telephone Division (exploitée sous la raison sociale Thunder Bay Telephone) (1994), 96 di 67; et 27 CLRBR (2d) 87 (CCRT no 1097)).

[63] Cela dit, la majorité du banc de révision est d’avis que le Conseil a commis une erreur de droit en concluant à l’irrécevabilité de la demande d’accréditation. La majorité du banc de révision estime que, si le Conseil avait déterminé que Garda est une entreprise relevant de sa compétence, la demande d’accréditation présentée le 22 février 2008 était recevable, puisqu’elle respectait les délais prescrits par le sous-alinéa 24(2)d)ii) du Code. En effet, il s’agissait d’une convention collective d’une durée de plus de trois ans, laquelle était en vigueur depuis le 8 novembre 2002 et s’était terminée le 1er juillet 2007. La demande d’accréditation a été présentée le 22 février 2008, soit après le début des trois derniers mois d’application de la convention collective. Il s’agissait comme le soutient le requérant d’un « champ libre ». L’avis de négociation qui avait été donné le 16 avril 2007 en vue du renouvellement de la convention collective n’avait pas pour effet de modifier la durée de la convention collective existante, mais plutôt d’entamer les négociations en vue de conclure une nouvelle convention collective.

[64] Par conséquent, si le Conseil avait déterminé qu’il avait la compétence constitutionnelle requise pour examiner la demande d’accréditation, la majorité du banc de révision aurait accueilli la partie de la demande de réexamen portant sur la question de la recevabilité de la demande d’accréditation.

VII – Conclusion

[65] Pour les motifs énoncés ci-dessus, la présente demande de réexamen est rejetée.

Dissidence de Me Graham J. Clarke, Vice-président

I – Introduction

[66] J’ai eu l’occasion d’examiner les motifs invoqués par mes collègues pour confirmer la décision RD 477 et, en toute déférence, je ne souscris pas à leur conclusion selon laquelle le Conseil n’a pas la compétence constitutionnelle en l’espèce.

[67] Garda fournit des services d’agents de sécurité à l’ASFC qui s’en sert dans ses CPI. Les CPI ne pourraient pas fonctionner sans l’aide indispensable fournie par les agents de sécurité dans le cadre de leurs activités quotidiennes.

II – Les questions en litige

[68] Les présents motifs porteront sur trois questions :

  1. Le rôle d’un banc de révision dans une affaire de compétence constitutionnelle;
  2. Les agents de sécurité font-ils partie intégrante des activités de l’ASFC? et
  3. La demande d’accréditation a-t-elle été présentée dans les délais prévus à l’article 24 du Code?

III – Analyse et décision

A – Le rôle d’un banc de révision dans une affaire de compétence constitutionnelle

[69] Une demande de réexamen n’est pas un appel.

[70] En effet, en ce qui concerne les affaires qui relèvent de la compétence exclusive du Conseil, un banc de révision doit résister à la tentation de substituer son pouvoir discrétionnaire ou son jugement à celui du banc initial.

[71] Ne pas faire preuve de la retenue nécessaire, en plus de retarder le processus des relations du travail et d’augmenter les coûts pour les parties, pourrait donner lieu à des demandes de réexamen dans pratiquement toutes les affaires. Un manque de retenue équivaut à ne pas tenir compte de l’importance de la clause privative du Code qui porte sur le caractère définitif des décisions du Conseil.

[72] Comme il est prévu à l’article 44 du Règlement, un banc de révision ne doit intervenir que si une erreur de droit a été commise et, de plus, que si cette erreur remet véritablement en question l’interprétation du Code :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code comprennent les suivantes :

...

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil.

[73] Ces principes sont établis depuis longtemps et les bancs de révision les respectent habituellement.

[74] Dans les affaires qui traitent de la question de la compétence constitutionnelle du Conseil, un banc de révision doit intervenir s’il croit que la décision du banc initial sur la compétence était erronée.

[75] Toutefois, dans le cadre d’un réexamen, un banc de révision doit accepter les conclusions de fait du banc initial. En l’espèce, ce dernier a entendu des témoignages pendant plusieurs jours. Il n’appartient pas au banc de révision de tirer des conclusions de fait différentes.

B – Les agents font-ils partie intégrante du travail de l’ASFC?

[76] La présente partie est divisée en trois sections distinctes :

  1. les faits d’ordre constitutionnel;
  2. les principes constitutionnels;
  3. l’application du droit aux faits.

1 – Les faits d’ordre constitutionnel

[77] Par l’entremise de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), l’ASFC a conclu un contrat avec Garda en vertu duquel cette dernière fournit des services d’agents de sécurité dans certains CPI à Laval et à Montréal (Québec).

[78] La CSN a présenté au Conseil une demande d’accréditation dans le but de représenter ces agents de sécurité.

[79] La Commission des relations du travail du Québec a déjà accrédité le Syndicat des Métallos pour représenter ces mêmes agents de sécurité.

[80] Dans la décision RD 477, on a décrit comment, au Québec, un décret s’applique aux entreprises qui, comme Garda, fournissent des services d’agents de sécurité et impose des conditions d’emploi à l’échelle provinciale. Le Syndicat des Métallos était partie à la convention collective des agents de sécurité travaillant au CPI.

[81] L’énoncé des travaux du contrat décrivait le rôle et l’objectif du CPI prévus dans la LIPR :

Le rôle principal du Centre de Prévention de l’Immigration (CPI) est de transporter, d’héberger et d’assurer la sécurité des personnes prévenues en vertu de la LIPR et autres protocoles d’ententes afférents. Notre objectif est de soutenir les opérations de l’ASFC en prenant en charge toutes personnes prévenues en respectant les normes nationales et politiques ministérielles en matière de détention. Ainsi, l’équipe du CPI vise à assurer la sécurité des différents acteurs impliqués dans le cadre de l’exécution de la Loi (volet détention), et ce, tant pour les prévenus que pour nos partenaires sur le terrain.

(sic)

(page 14)

[82] En vertu du contrat, Garda s’engage à fournir à l’ASFC des services d’agents de sécurité non armés en uniforme pour la surveillance et le transport des personnes détenues en conformité avec la LIPR. (RD 477, paragraphe 15)

[83] La preuve a démontré que les personnes détenues au CPI de Laval étaient des immigrants en situation irrégulière au Canada ou devant être extradés. (RD 477, paragraphe 20)

[84] Les agents de sécurité s’occupent principalement du transport, de la surveillance et de la détention de ces personnes, en attente de la décision de l’ASFC. (RD 477, paragraphe 21)

[85] Sous l’autorité d’un agent de l’ASFC, les agents de sécurité peuvent prendre en charge des prévenus, s’occuper de leur transport, les menotter ou les placer en détention. (RD 477, paragraphe 25)

[86] Les agents de l’ASFC, qui ont été décrits par un témoin comme  ceux qui nous gèrent  , peuvent demander tel ou tel agent de sécurité pour un transport donné. (RD 477, paragraphe 31)

[87] Les agents de sécurité s’occupent de la surveillance et du transport des prévenus au CPI. Ces activités peuvent comprendre le menottage, qui se fait toujours selon les instructions des agents de l’ASFC. (RD 477, paragraphes 49 et 58)

[88] Les agents de sécurité peuvent transporter les prévenus à toute heure du jour, à partir des aéroports, des postes de douane ou des postes de police. Ils peuvent les amener à l’hôpital (rarement), chez le dentiste, aux ambassades ou à la cour. (RD 477, paragraphes 59 et 69)

[89] Lorsque les agents de sécurité transportent des prévenus à partir d’aéroports, ils sont escortés par des patrouilleurs de l’aéroport. (RD 477, paragraphe 60)

[90] Les agents de sécurité transportent les prévenus violents du CPI, qui est décrit comme étant un « centre d’hébergement à sécurité moyenne », à un centre de détention à sécurité plus élevée, mais seulement selon les ordres d’un agent de l’ASFC. (RD 477, paragraphe 66)

[91] Les agents de sécurité fouillent, menottent et mettent en cellule des prévenus lorsqu’un agent de l’ASFC leur en donne l’ordre. (RD 477, paragraphe 60)

[92] Les parties ne contestent pas ces faits, qui, comme il a été illustré dans ce qui précède, proviennent du témoignage de divers témoins. Ce qui diffère entre les parties, c’est l’application de principes de droit constitutionnel à ces faits.

2 – Les principes constitutionnels

[93] La décision RD 477 comporte une bonne description des principes constitutionnels que la Cour suprême du Canada a établis et que les commissions des relations de travail appliquent régulièrement.

[94] Une description succincte du critère bien connu figure dans l’arrêt Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada, précité :

... il faut d’abord se demander s’il existe une entreprise fédérale principale et en étudier la portée. Puis, il faut étudier l’exploitation accessoire concernée ... les « activités normales ou habituelles » de [cette exploitation] en tant qu’« entreprise active » et le lien pratique et fonctionnel entre ces activités et l’entreprise fédérale principale.

(page 133)

[95] Dans l’arrêt National Protective Service Cie c. Union des agents de sécurité du Québec, Local 8922, D.T.E. no 91T-283 (T.T.), le juge Lesage a conclu que les services généraux et accessoires d’agents de sécurité dans les édifices utilisés par le gouvernement fédéral ne relevaient pas de la compétence fédérale :

Nul ne niera que les ministères fédéraux n’existent pas pour effectuer la sécurité de leurs édifices et effectuer un contrôle du personnel qui y circule et des biens qui y sont situés. C’est pour administrer la chose publique fédérale que le gouvernement existe et la sécurité n’est là que comme apport extrinsèque, comme accessoire, soit strictement une activité de soutien.

(pages 23-24)

[96] Le Conseil a également conclu que la sécurité générale fournie à la Société canadienne des postes (la SCP) par les agents de sécurité d’une tierce partie ne relevait pas de la compétence fédérale. Dans la décision Service de protection Burns International Ltée et Société canadienne des postes, précitée, le Conseil a analysé le lien entre les agents de sécurité et l’entreprise fédérale principale de services postaux de la SCP :

Somme toute, bien que les locaux d’une entreprise doivent être propres et sûrs, de telles fonctions générales, quoique nécessaires, sont loin d’être vitales ou essentielles à une entreprise fédérale particulière. À notre avis, les services que Burns fournit à la Société ne font pas partie intégrante de l’entreprise principale de la Société; il s’agit plutôt d’un des nombreux aspects

généraux d’une entreprise, qu’elle soit fédérale ou provinciale. Il n’y a rien dans ces services de sécurité qui soit réellement ou directement lié au relevage, à la transmission ou à la distribution du courrier. ...

(pages 50; et 274-275; souligné dans l’original)

[97] Il est utile aux fins d’analyse d’établir la distinction entre le travail général d’agent de sécurité dans un immeuble qui abrite des bureaux du gouvernement fédéral et les fonctions particulières qui sont vitales et essentielles pour l’entreprise fédérale. Cette distinction porte principalement sur l’intégration fonctionnelle des services d’un employeur à l’entreprise fédérale principale.

[98] Dans la décision Securiguard Services Limited (RD 342), précitée, le Conseil a conclu que les agents de sécurité qui fournissaient des services de sécurité périphérique à un aéroport étaient vitaux pour l’entreprise fédérale principale de transport aérien et que leurs services étaient dissociables des autres activités provinciales de l’entreprise de sécurité :

[34] À la lumière de ces réponses, le Conseil est d’avis que les services de Securiguard à l’aéroport sont suffisamment liés aux activités de l’Administration de l’aéroport pour être dissociables de ses contrats de services courants. Rien n’indique que le personnel d’entretien, les libraires, les marchands, les restaurateurs et les autres fournisseurs de services sont pareillement tenus de se conformer à la Loi sur l’aéronautique ou que leurs activités sont essentielles à l’exploitation de l’aéroport.

[99] Dans la décision Bhagat Ram Mehmi, précitée, la Commission des relations de travail de l’Ontario (la CRTO) a examiné la question de sa compétence à l’égard des agents de sécurité travaillant dans un Centre canadien de surveillance de l’immigration, qui a été décrit, dans des mots semblables à ceux utilisés pour décrire un CPI, comme étant un centre de détention à sécurité minimale. La CRTO a déclaré qu’elle n’avait pas compétence parce que les services des agents de sécurité étaient essentiels au fonctionnement du centre de détention et en faisaient partie intégrante :

26. Selon moi, les employés visés en l’espèce sont tout à fait différents de ceux dont il est question dans les causes fédérales. Immigration et Citoyenneté Canada a décidé d’exploiter un centre de détention dans un hôtel converti. Les agents de sécurité visés ne font pas que simplement fournir des services dans l’immeuble, ils font partie intégrante de l’entreprise. Ils transportent et assurent la garde de prévenus. Sans ces services, le centre de détention ne pourrait pas fonctionner.

(traduction)

[100] Il s’agit de savoir si les services des agents de sécurité fournis par Garda font partie intégrante du fonctionnement du CPI, comme dans Bhagat Ram Mehmi, précité, ou s’ils ne sont que des services accessoires comme il a été conclu dans National Protective Service Cie c. Union des agents de sécurité du Québec, Local 8922, précité, ou dans Service de protection Burns International Ltée et Société canadienne des postes, précitée.

3 – L’application du droit aux faits : les agents de sécurité de Garda font partie intégrante de l’ASFC

[101] Dans la décision RD 477, le Conseil a correctement saisi la tâche qui lui incombait d’appliquer le droit aux faits :

[115] En appliquant ces principes à la présente demande d’accréditation, le Conseil doit déterminer si les activités de Garda constituent une partie essentielle de l’exploitation du CPI par l’ASFC, c’est-à- dire si ces activités sont intimement liées à cette entreprise fédérale et si le travail des agents de sécurité fait partie intégrante de l’activité fédérale en question.

[116] Le Conseil doit déterminer la nature de l’exploitation et surtout considérer l’entreprise visée dans ses activités normales ou habituelles en tant qu’entreprise active et analyser s’il existe une intégration fonctionnelle à l’entreprise fédérale qui permettrait de conclure à un lien vital, fondamental et essentiel avec celle-ci.

[102] Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je suis d’avis que Garda relève de la compétence du Conseil. Les services des agents de sécurité comportent des tâches régulières qui sont essentielles aux activités d’immigration fédérale de l’ASFC. Les tâches régulières que les agents de sécurité effectuent quotidiennement auprès des prévenus au CPI sont à des années-lumière du type de services généraux de sécurité d’immeuble qui relèvent de la compétence provinciale.

[103] Avant d’expliquer davantage les raisons qui m’ont amené à conclure que le Conseil a compétence, je dois formuler quelques observations sur certains facteurs soulevés dans la décision RD 477 qui, à mon humble avis, ne devraient avoir aucune influence sur la conclusion relative à la compétence.

[104] En analysant l’intégration fonctionnelle des services de Garda dans la décision RD 477, le Conseil a fait mention de la convention collective existante de Garda et du décret québécois :

[127] ... Tous les agents de sécurité de Garda sont régis par la même convention collective et le même Décret, ce qui facilite le recrutement du personnel qui est effectué à même les listes de Garda et de l’agent négociateur, car la preuve a démontré que le taux de roulement du personnel de Garda au CPI de l’ASFC est très élevé.

[105] La facilité de recrutement et un taux élevé de roulement du personnel ne sont pas des éléments à prendre en compte dans le cadre d’une décision d’ordre constitutionnel, peu importe l’extrême importance qu’ils peuvent avoir pour l’exploitation d’une entreprise.

[106] Le banc initial a également tenu compte de la durée du contrat conclu entre Garda et TPSGC :

[128] En ce qui concerne le critère relatif à la nature du lien entre Garda et l’ASFC au CPI, il s’agit essentiellement d’un lien contractuel de courte durée qui va expirer en novembre 2009. Garda peut soumissionner pour un nouveau contrat de trois ans sans option de renouvellement.

[107] Dans les circonstances particulières de l’affaire à l’étude, la durée de la relation entre Garda et l’ASFC n’a pas à être prise en compte aux fins de trancher la question de la compétence constitutionnelle. La durée d’un contrat peut parfois être prise en compte, comme dans l’arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; dans cette affaire, la relation ne durait que le temps de la construction d’une piste d’atterrissage d’un aéroport. En revanche ici, même si Garda n’a pas obtenu un contrat de longue durée, l’ASFC a toujours recours à des agences de sécurité qui fournissent les types de services exécutés par les agents de sécurité de Garda. Les services demeurent les mêmes peu importe l’entrepreneur qui les fournit.

[108] Dans la décision RD 477, le Conseil a également tenu compte des lois du Québec portant sur les agents de sécurité ainsi que de la mobilité et des droits d’ancienneté :

[129] Le Conseil a également examiné l’historique de la législation et de la réglementation applicables aux agents de sécurité au Québec. Il retient de son examen l’élément de la mobilité de la main-d’oeuvre possible pour les agents de sécurité de Garda affectés au CPI ainsi que celui de l’accumulation de l’ancienneté au sein même de Garda, prévus dans la convention collective, et ce, peu importe l’endroit où le travail est exécuté.

[109] Il peut être utile, à titre d’information, d’expliquer le fonctionnement d’un décret en vertu du droit du travail du Québec et l’incidence du décret sur les agents de sécurité qui relèvent de la compétence provinciale. Cependant, le décret n’est aucunement pertinent lorsqu’il faut trancher entre la compétence fédérale ou la compétence provinciale. Dans le même ordre d’idées, la mobilité et les droits d’ancienneté existants n’ont jamais été des facteurs à prendre en compte pour établir la compétence d’une commission des relations de travail dans une affaire donnée.

[110] Tirer la conclusion que Garda relève de la compétence fédérale pourrait avoir une incidence sur les droits des agents de sécurité. Cependant, ce type de conséquence n’a jamais été un facteur à prendre en compte dans le cadre d’une décision d’ordre constitutionnel.

[111] En outre, dans le Code, on a reconnu les défis auxquels sont confrontés les agents de sécurité dont l’emploi est régi par une série de contrats à durée déterminée. Le Code traite explicitement des agents de sécurité affectés au contrôle de sécurité des passagers. Ces protections peuvent être élargies pour s’appliquer aux autres services de sécurité relevant de la compétence fédérale :

47.3(1) Au présent article, « fournisseur précédent » s’entend de l’employeur qui, en vertu d’un contrat ou de toute autre forme d’entente qui n’est plus en vigueur, fournissait :

a) soit des services de sécurité à l’embarquement à un autre employeur ou à une personne agissant en son nom dans un secteur d’activités visé à l’alinéa e) de la définition de « entreprise fédérale » à l’article 2;

b) soit des services réglementaires à un autre employeur ou à une personne agissant en son nom dans tout secteur d’activités réglementaire, les règlements étant pris par le gouverneur en conseil sur recommandation du ministre.

(2) L’employeur qui remplace un fournisseur précédent à titre de fournisseur de services, au titre d’un contrat ou de toute autre forme d’entente, est tenu de verser aux employés qui fournissent les services en question une rémunération au moins égale à celle à laquelle les employés du fournisseur précédent qui fournissaient les mêmes services ou des services essentiellement similaires avaient droit en vertu d’une convention collective à laquelle la présente partie s’appliquait.

[112] La question de savoir si les agents de sécurité seraient plus avantagés s’ils relevaient d’une compétence plutôt que de l’autre n’est pas non plus un facteur à prendre en compte dans le cadre d’une analyse constitutionnelle.

[113] Malheureusement, le statu quo en matière de relations du travail peut être perturbé lorsqu’il y a conflit entre la compétence fédérale et la compétence provinciale : Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, précité. La prévention d’une telle perturbation n’est toutefois pas un facteur à prendre en compte dans ces instances.

[114] Dans la décision RD 477, le Conseil a aussi souligné à plusieurs reprises le fait que les agents de sécurité n’agissaient que sous les ordres des agents de l’ASFC. Le Conseil ne dit pas pourquoi le fait que les agents de sécurité n’exerçaient pas les mêmes pouvoirs de gestion ou de supervision que les agents de l’ASFC a une incidence sur la question de la compétence constitutionnelle. Il s’agit de déterminer exactement ce que les agents de sécurité font dans le cadre de l’entreprise fédérale principale de l’ASFC et non pas s’ils ont le pouvoir, de leur propre chef, d’enquêter sur des personnes, d’arrêter ou de détenir des personnes.

[115] Les faits présentés dans la décision RD 477 démontrent que les services fournis par Garda à l’ASFC, par l’entremise de ses agents de sécurité, font partie intégrante du CPI. Les agents de sécurité ne font pas que fournir des services de sécurité générale d’immeuble au CPI. Leurs fonctions en matière de sécurité sont explicitement liées à la manière dont le CPI s’acquitte de son mandat relatif aux prévenus dont il a la garde et la surveillance.

[116] La notion même de « prévenu » englobe le fait que celui-ci n’est pas libre de ses allées et venues. Le contrat prévoit que les agents de sécurité personnifieront la coercition inhérente aux activités quotidiennes dans un CPI.

[117] Dans le cadre de ce rôle, les agents de sécurité transportent des prévenus à différents endroits. À l’occasion, ils menottent des prévenus. Ils les fouillent et les mettent en cellule. Le travail est effectué dans une installation à sécurité moyenne et non pas dans un édifice public. Si un prévenu est violent, les agents de sécurité peuvent l’amener dans un centre de détention à sécurité plus élevée.

[118] Les fonctions des agents de sécurité à cet égard sont vitales et essentielles au déroulement des activités quotidiennes d’un CPI. Il n’importe pas de savoir jusqu’à quel point les agents de sécurité participent aux différents aspects du système d’immigration canadien. La question porte principalement sur les fonctions qu’ils exercent dans les CPI en question.

[119] En raison des activités normales et habituelles de ses agents de sécurité, une partie de l’entreprise provinciale de Garda est dissociable et devient assujettie au Code.

[120] Compte tenu des faits exposés par le Conseil dans la décision RD 477, le raisonnement de la CRTO dans Bhagat Ram Mehmi, précité, s’applique également en l’espèce. Jusqu’à ce qu’il ait rendu la décision RD 477, le Conseil avait déclaré qu’il avait compétence à l’égard des agents de sécurité dans ces situations. Bien que les décisions antérieures, en soi, ne constituent pas un motif pour conclure en faveur de la compétence fédérale, et que chaque cas doive être analysé en fonction de son bien-fondé, les faits en l’espèce ne donnent pas à penser qu’il faut déroger à la pratique établie.

[121] Je suis d’avis que la CSN a écarté la présomption en faveur de la compétence provinciale en matière de relations de travail : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46.

C – Délai de présentation de la demande d’accréditation

[122] Compte tenu du rôle d’un banc de révision tel qu’il a été décrit plus haut, la question en litige aurait dû être renvoyée au banc initial. La conclusion et les motifs pour lesquels la demande de la CSN était hors délai figurent au complet au paragraphe 132 de la décision.

[123] Les motifs sur lesquels repose cette conclusion sont vagues. Il n’appartient pas à un banc de révision d’analyser l’affaire de novo. On aurait plutôt dû demander au banc initial de formuler l’analyse juridique sur laquelle il s’est fondé pour en arriver à sa conclusion, ce qui, le cas échéant, aurait permis à un banc de révision d’examiner la question adéquatement : Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158.

[124] Par conséquent, j’aurais conclu que le Conseil avait compétence pour trancher la demande d’accréditation déposée par la CSN. J’aurais de plus renvoyé au banc initial la question du délai de présentation de la demande d’accréditation, étant donné le fait que les motifs à l’appui de sa conclusion étaient vagues.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.