Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada),
plaignant,
et
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada,
intimée.

Dossier du Conseil : 27311-C
Référence neutre : 2010 CCRI 501
Le 16 mars 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. André Lecavalier et Daniel Charbonneau, Membres. Une audience a eu lieu du 2 au 4 février 2010 à Edmonton (Alberta).

Ont comparu

M. Robert Fitzgerald, représentant national, assisté de M. Barry Kennedy, pour le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada); et
M. Simon-Pierre Paquette, assisté de M. Louie Timoteo, pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature des plaintes

[1] Le 9 février 2009, le Conseil a reçu deux plaintes connexes de pratique déloyale de travail déposées par le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada) (les TCA) contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN).

[2] Les TCA ont allégué que le refus d’accorder un congé pour affaires syndicales à M. John Dowell, le président d’une section locale à Edmonton, enfreignait les alinéas 94(3)a), b) et e) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code).

[3] Les TCA ont de plus allégué que l’abolition, au même moment, des postes de commis principal aux opérations (CPO), dont celui occupé par M. Dowell, constituait également une pratique déloyale de travail.

[4] Les TCA ont aussi fait valoir que le CN avait enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code en abolissant les postes de CPO à Edmonton. Selon les TCA, les actes qu’aurait posés le CN ont amené des membres de l’unité de négociation à perdre confiance dans leur capacité à les représenter.

[5] Les TCA ont renvoyé le Conseil à la demande en instance fondée sur l’article 18 qu’ils ont présentée dans le dossier du Conseil no 26569-C, où ils contestent le prétendu retrait, par le CN, de tâches relevant de l’unité de négociation du personnel de bureau.

[6] Le banc, qui n’est pas saisi de cet autre dossier, a pu comprendre d’après les observations des parties que, dans le dossier no 26569-C, les TCA ont demandé au Conseil de déterminer si certains postes au sein du CN sont visés par l’unité de négociation existante du personnel de bureau des TCA. Dans ce dossier, on cherche également à apporter une importante mise à jour à la description actuelle de l’unité de négociation du personnel de bureau.

[7] Les plaintes présentées par les TCA en l’espèce ne font pas mention de l’article 18 du Code ni ne demandent d’interpréter la portée de l’unité de négociation du personnel de bureau des TCA.

[8] À titre de redressement, les TCA ont demandé, entre autres, que le CN rétablisse les postes abolis de CPO à la gare de triage de Walker à Edmonton et qu’aucune autre tâche ne soit retirée des postes relevant de l’unité de négociation qui sont visés par le certificat d’accréditation délivré par le Conseil jusqu’à ce que ce dernier ait tranché la demande fondée sur l’article 18 dans le dossier no 26569-C.

II – Faits

[9] Le CN exploite l’atelier de locomotives diesel Walker situé à Edmonton. Son centre de reconstruction de locomotives répare les locomotives du CN.

[10] Le CN et les TCA sont liés par ce que les parties appellent la « Convention collective 5.1 » (traduction). Cette convention collective s’applique aux journaliers, aux magasiniers et aux unités de personnel mobile. Deux postes d’employé de bureau sont régis par la convention collective, tout comme l’étaient les postes de CPO à l’époque pertinente.

[11] Les CPO exécutaient différentes tâches, y compris beaucoup d’entrée de données dans les divers systèmes de traitement de l’information de l’atelier. Ils repéraient également, au moyen d’un autre système, toutes les locomotives sur les rails de l’atelier. Les CPO faisaient les appels lorsque venait le temps d’obtenir des taxis pour tous les équipages de transport d’arrivée et pour le ravitaillement direct des locomotives par un camion-citerne. Les CPO orientaient aussi d’autres membres de l’unité de négociation quant à leurs priorités de travail.

[12] Le Conseil a entendu les dépositions de trois témoins : MM. Robert Emond, John Dowell et Barry Kennedy.

[13] M. Emond travaille pour le CN depuis 1982. Il est le directeur de l’atelier des locomotives diesel Walker depuis deux ans et demi. Il dirige toutes les activités menées à l’atelier, y compris la gestion du budget et les relations avec les représentants de la section locale du syndicat. Depuis qu’il est directeur d’atelier, il a participé à une seule conférence conjointe.

[14] Le terme « conférence conjointe » désigne les réunions tenues périodiquement par les TCA et le CN pour examiner les griefs. Il est possible de renvoyer les griefs à l’arbitrage sans tenir d’abord une conférence conjointe, mais les parties préfèrent se rencontrer et tenter de régler de façon informelle les griefs en suspens.

[15] M. John Dowell a occupé le poste de président du comité de négociation de l’unité de négociation d’Edmonton pendant environ 16 ans. Il est devenu récemment le président de la section locale. Son ancienneté chez le CN remonte à mars 1982.

[16] Le dernier témoin était M. Barry Kennedy. À l’époque pertinente, il était le représentant régional du Conseil National 4000 des TCA pour l’Ouest du Canada. M. Kennedy était habituellement le représentant principal des TCA lors des conférences conjointes tenues à Edmonton.

[17] Dans leurs plaidoiries finales, les parties ont prétendu que certains témoins étaient plus crédibles que d’autres ou se rappelaient mieux des faits, mais le Conseil a jugé que les trois témoins se sont montrés francs et honnêtes durant leurs témoignages. Il y avait des différences évidentes entre leur version respective des faits, mais d’après le Conseil, ces différences sont seulement attribuables à la difficulté de se rappeler de faits survenus dans le passé. Le Conseil a trouvé crédibles et honnêtes les trois témoins.

[18] Les plaintes de pratique déloyale de travail des TCA concernent deux incidents. Le premier incident peut être appelé l’incident concernant le « congé pour affaires syndicales », et le second, l’« abolition des postes de CPO ».

A – Incident concernant le congé pour affaires syndicales

[19] La convention collective entre les parties contient plusieurs dispositions sur les congés. En particulier, les articles 17.3 et 17.4 se lisent comme suit :

17.3 Les présidents de la section locale ou les membres autorisés de comité ont droit, sur demande, au transport gratuit conformément au règlement sur les laissez-passer, ainsi qu’à un congé sans solde pour enquêter sur les griefs, les examiner et les modifier.

17.4 L’employé a droit, sur demande, au transport gratuit conformément au règlement sur les laissez-passer, ainsi qu’à un congé sans solde pour assister aux assemblées générales de la section locale ou à d’autres assemblées du syndicat. Ce congé n’est accordé que s’il ne nuit pas aux activités de la société ni n’entraîne de frais additionnels pour celle-ci.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[20] Le CN et les TCA s’étaient entendus pour tenir une conférence conjointe de trois jours en janvier 2009. M. Emond croyait qu’il participerait à la conférence conjointe avec un autre représentant du CN, M. Barry Laidlaw. Selon le témoignage de M. Emond, il s’agissait de la deuxième conférence conjointe à laquelle il prendrait part depuis qu’il occupe son poste actuel.

[21] M. Dowell a demandé un congé pour affaires syndicales en tant que président de la section locale. Selon M. Dowell, l’article 17.3 de la convention collective lui donnait automatiquement droit à ce congé. M. Dowell devait participer à la même conférence conjointe que M. Emond.

[22] La preuve était contradictoire quant à la question de savoir si M. Emond était au courant de la demande de M. Dowell. Dans leurs observations écrites, les TCA ont allégué que M. Dowell avait d’abord parlé à M. Emond le ou vers le 16 janvier 2009 afin de lui demander un congé pour affaires syndicales en vertu de l’article 17.3 de la convention collective. Selon ces mêmes observations, M. Emond savait depuis le début que M. Dowell participerait à la même conférence conjointe que lui.

[23] M. Emond, en revanche, a prétendu ne pas savoir que la demande de M. Dowell se rapportait à la même conférence conjointe, selon les observations écrites du CN.

[24] Quand M. Dowell a témoigné à l’audience, il a décrit la manière dont il a demandé, le 13 janvier 2009 ou vers cette date, à M. Doug Bonner, un commis relevant de M. Emond, s’il pouvait obtenir un congé pour affaires syndicales en vue de participer à la prochaine conférence conjointe. Selon le témoignage de M. Dowell, M. Bonner lui a dit qu’il obtiendrait le congé, comme dans le cas des griefs antérieurs.

[25] M. Dowell a témoigné avoir présumé que M. Bonner devait avoir reçu de M. Emond l’autorisation nécessaire pour accorder le congé.

[26] Selon M. Dowell, peu de temps avant la date de la conférence conjointe, M. Bonner l’a avisé que le congé pour affaires syndicales avait été refusé en raison de l’interdiction du temps supplémentaire décrétée récemment par le CN et de la pénurie de CPO disponibles pour le remplacer.

[27] MM. Emond et Dowell conviennent qu’ils ont discuté de la demande de congé de ce dernier. M. Emond a dit avoir parlé à M. Dowell le ou vers le 19 janvier 2009, et lui avoir expliqué qu’en raison des besoins opérationnels, le congé ne pouvait pas être accordé.

[28] M. Emond a cependant dit à M. Dowell que si celui-ci pouvait changer de quart avec un autre CPO, il accorderait le congé, pourvu que celui-ci n’entraîne pas de frais additionnels pour le CN.

[29] Après la discussion initiale du 19 janvier 2009, au cours de laquelle M. Emond a confirmé à M. Dowell que le congé avait été refusé, ils ont eu un autre entretien le 20 janvier 2009. À ce moment-là, ils savaient tous deux que leur présence à la conférence conjointe, prévue au départ pour le 20 janvier, avait été reportée au 21 janvier, de nouveau à 14 h.

[30] Durant l’entretien du 20 janvier, M. Dowell a mentionné à M. Emond que sa rencontre avait été reportée au 21 janvier. D’après le témoignage de M. Emond, celui-ci s’est seulement rendu compte à ce moment-là que M. Dowell lui demandait explicitement un congé pour affaires syndicales en vue de participer à la même conférence conjointe que lui.

[31] M. Emond a proposé de différer leur conférence conjointe au début de la matinée, tout de suite après le quart de M. Dowell, en l’occurrence un quart de 12 heures entre 18 h et 6 h le lendemain, selon un horaire de quatre jours. M. Dowell a refusé cette proposition.

[32] Le Conseil comprend tout à fait pourquoi M. Dowell ne voudrait pas participer à une conférence conjointe immédiatement après un quart de nuit de 12 heures.

[33] Le 21 janvier 2009, les TCA ont présenté un grief à l’encontre du refus par le CN d’accorder un congé pour affaires syndicales à M. Dowell en application de l’article 17.3 de la convention collective.

B – Abolition des postes de CPO

[34] Les TCA ont allégué que l’abolition des postes de CPO visait directement à exercer des représailles contre M. Dowell pour avoir présenté son grief concernant le refus d’accorder le congé pour affaires syndicales.

[35] Le Conseil a entendu un témoignage selon lequel il n’y avait pas assez de personnes disponibles pour combler les postes de CPO. Même si les CPO touchaient une rémunération supérieure à celle des autres membres de l’unité de négociation, M. Emond a témoigné que le stress du travail et la difficulté de donner des consignes aux autres membres de l’unité de négociation rendent le poste peu attrayant.

[36] Les TCA ont répliqué dans leurs éléments de preuve que le CN n’avait jamais publié de communiqué en vertu des articles 12 et 16.5 de la convention collective afin de combler les postes vacants de CPO. Les parties ne contestent pas qu’aucun grief n’a été présenté relativement à l’omission de publier un communiqué à cette fin.

[37] M. Emond a témoigné que le CN lui avait donné pour instruction de supprimer les postes de CPO en raison du nombre élevé d’heures supplémentaires accumulées. Le lendemain de la présentation du grief de M. Dowell concernant le congé pour affaires syndicales, M. Emond a évoqué en présence de certains membres de l’unité de négociation la possibilité d’apporter des changements aux postes de CPO. La conversation initiale que M. Emond a eue avec M. Dowell, la première personne qu’il a abordée, portait sur la transformation des postes de CPO en postes de superviseur.

[38] M. Emond a témoigné que cette idée avait été rapidement rejetée et que le CN a plutôt décidé d’abolir les postes de CPO en donnant à leur titulaire un préavis de quatre jours en vertu de l’article 13.2 de la convention collective :

13.2 En cas de réduction de personnel, un préavis de quatre jours ouvrables sera donné aux employés réguliers dont les postes sont abolis, sauf lorsqu’il y a une grève ou un arrêt de travail par les employés du secteur ferroviaire, auquel cas un préavis plus court peut être fourni. Le président de la section locale recevra copie de tout avis écrit.

(traduction)

[39] M. Emond a expliqué les raisons pour lesquelles le CN avait donné le préavis de quatre jours et aboli les postes de CPO. Mis à part le nombre d’heures supplémentaires, M. Emond a décrit la pénurie de CPO ainsi que la diminution de travail imputable à la récente récession. Il a donc partagé les tâches des CPO; ainsi, certaines des fonctions de commis ont été confiées aux autres commis tandis qu’une partie du travail consistant à donner des directives aux autres employés a été assignée aux gestionnaires du CN.

[40] M. Emond a également dit qu’une grande partie des fonctions des CPO, qui consistaient à entrer des données, avaient été supprimées parce que le CN avait remplacé les technologies de l’information disparates par des systèmes plus sophistiqués qui communiquent mieux entre eux. Selon M. Emond, le volume de données à entrer a considérablement diminué.

[41] Pour éviter de mettre à pied des CPO, le CN les a tous mutés en fonction de leur ancienneté. Il a aussi protégé leur salaire. Aucun des CPO n’a été mis à pied après avoir été muté à un autre poste au sein de l’unité de négociation des TCA.

[42] Les TCA ont signalé qu’un préavis de quatre jours avait été donné par la suite en vertu de l’article 13.2 de la convention collective, ce qui avait entraîné la mise à pied des employés moins anciens de l’unité de négociation. Il était clair pour le Conseil que ces mises à pied n’avaient pas eu d’incidence sur les personnes qui détenaient au départ les postes de CPO, mais que, bien sûr, le nombre total d’employés de l’unité de négociation avait manifestement diminué après la communication et la mise en oeuvre du deuxième préavis de quatre jours.

[43] Les TCA ont fait valoir tout au long de l’audience que les dispositions de l’article 8 de la convention collective sur les changements technologiques auraient dû s’appliquer à l’abolition des postes de CPO. Aucun grief n’a cependant été présenté à un moment quelconque sur ce point.

III – Analyse et décision

A – Fardeau de la preuve

[44] Le paragraphe 98(4) du Code se lit comme suit :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[45] On a apporté une modification importante à cette disposition en 1978 en réaction à l’arrêt Central Broadcasting Co. Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail, [1977] 2 R.C.S. 112, dans lequel la Cour suprême du Canada avait jugé qu’une ancienne version du paragraphe n’avait pas pour effet de renverser le fardeau de la preuve.

[46] Il est maintenant clair depuis la modification que l’employeur a le fardeau de la preuve en ce qui concerne les pratiques déloyales de travail décrites au paragraphe 94(3) du Code. La plainte constitue elle-même la preuve d’une violation du Code.

[47] La présomption s’applique aux alinéas 94(3)a), b) et e) du Code, dispositions sur lesquelles se fondent les TCA :

94.(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant – ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir – , ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat,

(ii) elle a été expulsée d’un syndicat ou suspendue pour une raison autre que le défaut de paiement des cotisations périodiques, droits d’adhésion et autres paiements qui incombent sans distinction à tous ceux qui veulent adhérer au syndicat ou y adhèrent déjà,

(iii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie, ou peut le faire,

(iv) elle a révélé – ou est sur le point de le faire – des renseignements en exécution ou prévision de l’obligation qui lui est imposée à cet effet dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie,

(v) elle a présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie,

(vi) elle a participé à une grève qui n’est pas interdite par la présente partie ou exercé un droit quelconque prévu par cette dernière;

b) d’imposer, dans un contrat de travail, une condition visant à empêcher ou ayant pour effet d’empêcher un employé d’exercer un droit que lui reconnaît la présente partie;

...

e) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à un syndicat ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(i) de participer à une procédure prévue par la présente partie, à titre de témoin ou autrement,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de divulguer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie,

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie.

[48] Le renversement du fardeau de la preuve ne s’applique pas à l’alinéa 94(1)a) du Code, qui porte sur l’ingérence de l’employeur dans les affaires syndicales :

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[49] Le CN a présenté sa preuve en premier lors de l’audience tenue à Edmonton, comme c’est souvent le cas quand une partie de l’affaire déclenche l’application de la disposition figurant au paragraphe 98(4) du Code qui renverse le fardeau de la preuve.

B – Le CN a-t-il enfreint les alinéas 94(3)a), b) ou e) du Codelorsqu’il a refusé un congé pour affaires syndicales à M. Dowell et aboli plus tard les postes de CPO?

[50] Le Conseil est convaincu dans les circonstances de l’espèce que le CN s’est acquitté du fardeau de la preuve que lui impose le paragraphe 98(4) du Code. Le refus d’accorder un congé pour affaires syndicales à M. Dowell et l’abolition subséquente des postes de CPO étaient des événements distincts mettant en jeu des interprétations différentes de la convention collective entre les parties plutôt que des pratiques déloyales de travail.

[51] Le Conseil a reproduit ci-dessus certaines des dispositions de la convention collective sur les congés. M. Dowell et les TCA ont fait valoir que le CN n’avait d’autre choix que de lui accorder un congé pour affaires syndicales lorsqu’il le demandait en application de l’article 17.3. Le CN a prétendu en revanche que M. Emond ne savait pas que M. Dowell avait demandé le congé pour s’occuper des griefs parce qu’il n’a mentionné la conférence conjointe que très tard dans le traitement de la demande de congé.

[52] Le CN a prétendu en outre que M. Dowell n’était pas censé être au travail à 14 h les 20 et 21 janvier; il n’avait donc pas l’obligation d’accorder le congé pour affaires syndicales.

[53] Le Conseil a bel et bien constaté que M. Dowell a peut-être reçu des messages contradictoires de MM. Bonner et Emond. M. Dowell a présumé que M. Bonner avait dit à M. Emond que la demande de congé avait pour objet de permettre à son auteur de participer à la conférence conjointe, mais rien ne prouvait que c’était le cas. En effet, dans son témoignage au sujet de l’intervention de M. Bonner, M. Dowell a laissé entendre que MM. Emond et lui-même avaient fait preuve de bonne foi relativement à la demande de congé. L’information fournie par M. Dowell à M. Bonner n’a tout simplement pas été transmise à M. Emond.

[54] Dans le même ordre d’idées, le fait que M. Emond ait participé auparavant à seulement une conférence conjointe laisse croire au Conseil que son expérience relativement récente de son nouveau poste l’empêchait de présumer, comme l’auraient fait MM. Dowell et Kennedy, qu’il allait de soi que le président de la section locale participe à la conférence conjointe en question. Aucun élément de preuve ne contredit le témoignage de M. Emond selon lequel il n’a appris la participation de M. Dowell que la veille de la conférence conjointe.

[55] M. Dowell a présenté un grief à l’égard du refus d’accorder le congé pour affaires syndicales. Le Conseil sait que le grief a franchi toutes les étapes de la procédure établie dans la convention collective, mais qu’il n’a pas encore été renvoyé à l’arbitrage. Il y a manifestement une question à trancher : la manière dont il faut appliquer la disposition sur le congé pour affaires syndicales dans le cas de M. Dowell. Les TCA ont souligné que, contrairement au congé plus général prévu à l’article 17.4, l’article 17.3 de la convention collective n’était pas subordonné aux besoins opérationnels du CN.

[56] Il revient à un arbitre, et non au Conseil, de trancher ce débat d’interprétation entre les parties concernant la convention collective.

[57] En outre, le Conseil n’a pas conclu que l’entretien initial qu’a eu M. Emond le 22 janvier à propos des changements à apporter aux postes de CPO ainsi que l’abolition subséquente de ces postes visaient à exercer des représailles contre M. Dowell pour avoir présenté son grief concernant le congé pour affaires syndicales le 21 janvier 2009. Le CN s’est acquitté de son fardeau en expliquant les raisons pour lesquelles il a décidé de réorganiser une partie de ses effectifs.

[58] Le Conseil n’exprime aucune opinion sur le droit conféré par la convention collective au CN de réorganiser des postes comme ceux de CPO. Cette question se rapporte peut-être à la demande présentée par les TCA en vertu de l’article 18 dans le dossier no 26569-C, un dossier dont le présent banc n’est pas saisi.

[59] Les témoignages de MM. Emond et Dowell ont démontré que ces deux hommes entretenaient, et continuent d’entretenir, une relation de travail harmonieuse. Cette bonne relation de travail ne s’accorde pas avec l’intention d’exercer des représailles contre M. Dowell pour avoir présenté un grief au sujet des droits que lui reconnaît la convention collective. L’abolition des postes de CPO sera analysée en plus amples détails dans la prochaine section.

[60] Le CN a convaincu le Conseil que le refus d’accorder le congé pour affaires syndicales, le grief de M. Dowell et les changements apportés par la suite aux postes de CPO n’étaient pas des mesures interreliées empreintes d’un sentiment antisyndical.

C – L’abolition des postes de CPO a-t-elle enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code?

[61] Tel qu’il est mentionné précédemment, la présomption établie au paragraphe 98(4) du Code ne s’applique pas à l’alinéa 94(1)a). Il peut y avoir eu violation de cet alinéa sans qu’il soit conclu à l’existence d’un sentiment antisyndical.

[62] Les TCA ont fait valoir qu’ils avaient présenté au Conseil une demande en instance fondée sur l’article 18, dans laquelle il est question de situations semblables où le CN aurait retiré des tâches relevant de l’unité de négociation.

[63] Selon les TCA, ces mesures du CN les font mal paraître aux yeux de leurs membres.

[64] Le Conseil convient qu’il y a manifestement des questions en litige importantes de relations de travail entre le CN et les TCA dans ce domaine. Toutefois, d’après le Conseil, ces différends concernent des interprétations fort différentes de plusieurs dispositions de la convention collective.

[65] Par exemple, les TCA ont fait valoir que le CN aurait dû publier un communiqué pour combler les postes de CPO en application de l’article 16.5 (et, semble-t-il, de l’article 12) de la convention collective. Les TCA ont prétendu que, si un communiqué adéquat avait été publié, il n’y aurait pas eu de pénurie de CPO. Cette pénurie constitue un des facteurs sur lesquels s’est fondé le CN quand il a décidé d’abolir les postes en question.

[66] Toutefois, les TCA n’ont jamais présenté de grief en vertu de l’article 16.5 de la convention collective quant à la nécessité de publier un communiqué.

[67] Les TCA ont aussi fait valoir que le CN n’était pas habilité à retirer des tâches relevant de l’unité de négociation et à les confier aux gestionnaires. Cela déclenche directement l’application de l’article 2.2 de la convention collective :

2.2 Les superviseurs, les employés non réguliers et les employés d’autres unités de négociation n’accompliront pas en temps normal du travail exécuté depuis longtemps par les membres de la présente unité de négociation.

(traduction)

[68] Le Conseil croit encore une fois que l’interprétation à donner à l’article 2.2 de la convention collective est du ressort d’un arbitre. Cette disposition a pour objet de protéger le travail relevant de l’unité de négociation, mais elle exige que le travail en question soit « exécuté depuis longtemps » (traduction) par ses membres. Il semble que les éléments de preuve du CN concernant le fait que les gestionnaires ont peut-être fait auparavant une partie du travail des CPO vise à invoquer l’expression « exécuté depuis longtemps ».

[69] Le Conseil est réticent à se pencher sur des questions d’interprétation de la convention collective, vu la possibilité que les parties aient établi depuis longtemps des pratiques qui ont une incidence sur l’interprétation qu’il convient de donner à une disposition particulière. De plus, ce rôle d’interpréter la convention collective appartient à un arbitre en relations du travail.

[70] Le Conseil est du même avis quant à l’argument des TCA que le préavis de quatre jours donné par le CN en vertu de l’article 13.2 de la convention collective était inadéquat, et qu’il fallait plutôt donner un préavis de 120 jours conformément aux dispositions de l’article 8 de la convention applicables aux changements technologiques.

[71] Selon le Conseil, il revient à un arbitre chevronné dans l’interprétation de cette convention collective particulière de trancher la question du caractère adéquat du préavis, surtout compte tenu de la procédure d’arbitrage accéléré sur laquelle se sont entendues les parties.

IV – Conclusion

[72] Le Conseil estime que le CN s’est acquitté de son fardeau de démontrer que les mesures qu’il a prises à ses installations d’Edmonton l’avaient été pour des raisons opérationnelles, et n’étaient pas empreintes d’un sentiment antisyndical. Il n’appartient pas au Conseil de déterminer si ces raisons opérationnelles respectaient la convention collective entre les parties.

[73] Le Conseil n’est pas convaincu non plus que les divergences d’opinion entre les parties concernant les obligations imposées par la convention collective équivalent à une intervention, au sens où ce mot est employé à l’alinéa 94(1)a) du Code.

[74] Le banc en l’espèce n’était pas saisi d’une demande fondée sur l’article 18 analogue à celle que les TCA avaient présentée plus tôt dans le dossier no 26569-C. Le Conseil n’exprime aucune opinion sur cette demande. La présente décision porte uniquement sur les plaintes de pratique déloyale de travail déposées par les TCA.

[75] Le Conseil rejette les plaintes.

[76] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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