Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat des travailleuses et travailleurs de Coach Canada - CSN,

requérant,

et


Syndicat uni du transport, section locale 1624; Trentway-Wagar inc.; 3329003 Canada inc.,

intimés.

Dossier du Conseil : 27831-C
Référence neutre : 2010 CCRI 493
Le 16 février 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. Daniel Charbonneau et André Lecavalier, Membres.

Procureurs inscrits aux dossiers
Me Philippe-André Tessier, pour Trentway-Wagar inc. et 3329003 Canada inc.;
Me Cynthia D. Watson, pour le Syndicat uni du transport, section locale 1624; et
Me Benoît Laurin, pour le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Coach Canada - CSN.

L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant examiné les documents soumis par les parties, le Conseil constate que cette documentation est suffisante pour statuer sur la présente demande de révocation sans tenir d’audience.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I - Nature de la demande

[1] Le 25 novembre 2009, le Conseil a reçu du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Coach Canada - CSN (CSN) une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 19.1 du Code canadien du travail (Partie I - Relations du travail) (le Code) :

19.1 Dans le cadre de toute affaire dont il connaît, le Conseil peut, sur demande d’un syndicat, d’un employeur ou d’un employé concerné, rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie.

[2] La mesure de redressement demandée par la CSN comprenait une ordonnance du Conseil (ordonnance no 9727-U) enjoignant aux intimés de respecter une ordonnance rendue le 14 octobre 2009 en faveur de la CSN. Celle-ci a également demandé une ordonnance d’interdiction relativement au prélèvement de cotisations syndicales du salaire des membres de son unité de négociation pour le compte d’un autre agent négociateur.

[3] La demande d’ordonnance provisoire accompagnait la plainte de pratique déloyale de travail (dossier no 27832-C) alléguant violation des alinéas 94(1)a), 95a), 95b) et 50a) du Code déposée par la CSN.

[4] Les intimés sont 3329003 Canada inc., Trentway-Wagar inc. et le Syndicat uni du transport, section locale 1624 (SUT).

[5] Le Conseil est actuellement saisi de plusieurs autres dossiers mettant en cause les mêmes parties, dont une demande de déclaration d’employeur unique (dossier no 27623-C), une demande de déclaration de vente d’entreprise (dossier no 27814-C) et les plaintes de pratique déloyale. À la conclusion des actes de procédure, le Conseil a tenu une réunion de gestion de l’affaire le 19 janvier 2010 pour examiner la meilleure façon de traiter les multiples dossiers.

[6] Le Conseil a décidé d’accueillir la demande d’ordonnance provisoire présentée par la CSN afin de reconfirmer le statu quo, en attendant qu’il soit statué sur le bien-fondé des autres dossiers. Voici les motifs du Conseil.

II - Faits

[7] Le 22 juin 2009, la CSN a présenté une demande d’accréditation pour représenter une unité de négociation chez 3329003 Canada inc. Cette société à numéro exploitait une entreprise connue également sous le nom de Autocar Connaisseur inc., qui oeuvrait dans le secteur du transport interprovincial.

[8] La société à numéro, ainsi que Trentway-Wagar inc. (les Employeurs), se sont opposées à ce que le Conseil instruise la demande d’accréditation de la CSN. Selon les Employeurs, Trentway-Wagar exerçait un contrôle presque complet sur la société à numéro et elles exerçaient leurs activités en tant qu’employeur unique. Trentway-Wagar inc. et 3329003 Canada inc. ont présenté une demande de déclaration d’employeur unique au Conseil le 8 juillet 2009 (dossier no 27623-C).

[9] Les Employeurs ont fait valoir, tout comme le SUT, que l’existence d’un employeur unique faisait en sorte qu’une unité de négociation du SUT composée d’employés de Trentway-Wagar en Ontario visait automatiquement les employés non syndiqués de Montréal que la CSN cherchait à représenter.

[10] Les employeurs et le SUT ont demandé au Conseil de différer sa décision sur la demande d’accréditation de la CSN jusqu’à ce qu’il ait tranché également la question de l’employeur unique.

[11] Le Conseil, par ordonnance no 9727-U datée du 14 octobre 2009, a accrédité la CSN pour représenter l’unité de négociation chez 3329003 Canada inc.

[12] Aucune partie n’a présenté une demande officielle de réexamen en vertu de l’article 18 du Code et de l’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement) relativement à l’accréditation de la CSN. Le SUT a cependant présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale, une procédure qui est toujours en instance.

[13] La CSN a envoyé un avis de négociation à 3329003 Canada inc. le ou vers le 13 novembre 2009. La CSN a aussi demandé, dans une autre lettre envoyée la même date, que les cotisations syndicales soient prélevées du salaire des employés membres de son unité de négociation et versées à la CSN.

[14] 3329003 Canada inc. a refusé de négocier, étant donné les affaires en instance devant le Conseil, notamment la demande de déclaration d’employeur unique ainsi que la nouvelle demande de déclaration de vente d’entreprise de la CSN. Cette dernière demande se rapportait à des changements qui avaient touché 3329003 Canada inc. à l’automne 2009 (dossier no 27814-C).

[15] Le ou vers le 19 novembre 2009, la CSN a appris que 3329003 Canada inc. ou Trentway-Wagar inc. prélèverait les cotisations syndicales du salaire des employés de Montréal et les verserait au SUT.

[16] Les Employeurs n’ont pas contesté le fait que les cotisations syndicales avaient bel et bien été prélevées du salaire des employés de Montréal et versées au SUT, comme l’indique le paragraphe 16 de leur réponse du 10 décembre 2009 à la demande d’ordonnance provisoire de la CSN :

16. On reconnaît que les deux intimées, 3329003 Canada inc. et Trentway-Wagar inc., ont reçu toutes les pièces mentionnées aux paragraphes 16, 17, 18 et 19. Toutefois, le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Coach Canada - CSN a sciemment persisté et envoyé un avis de négociation à ces mêmes intimées alors que la personne morale, 3329003 Canada inc., n’avait plus d’employés à son service. Comme il n’y avait pas de solution viable compte tenu du fait que le CCRI semblait avoir rendu une ordonnance d’accréditation prématurément, l’intimée Trentway-Wagar inc. a avisé tous les employés concernés, par l’entremise de son directeur général, Daniel Thibault, qu’elle accéderait à la demande du SUT et prélèverait les cotisations syndicales du salaire brut des employés en question et les verserait au SUT...

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[17] Les Employeurs ont soutenu que 3329003 Canada inc. avait été englobée dans Trentway-Wagar inc. et que l’unité de négociation du SUT en Ontario visait maintenant les employés de Montréal. Par conséquent, Trentway-Wagar inc. a prélevé les cotisations syndicales conformément, semble-t-il, à la convention collective du SUT visant l’unité en Ontario.

[18] Les Employeurs ont aussi demandé dans leur réponse à la plainte de la CSN que le Conseil suspende l’exécution de son ordonnance no 9727-U accréditant la CSN en attendant que la Cour d’appel fédérale entende la demande de contrôle judiciaire ou qu’il réexamine, annule ou modifie cette ordonnance après avoir instruit le reste des dossiers.

[19] Le SUT a soutenu que, parce que le certificat que lui a délivré le Conseil ne prévoit pas de limite géographique, il est l’agent négociateur exclusif de tous les employés de Trentway-Wagar inc. Le SUT a écrit ce qui suit aux paragraphes 8 à 11 de ses observations du 11 décembre 2009 :

8. Dans la même veine, le SUT ne peut avoir commis une pratique déloyale de travail ou une autre violation du Code du fait qu’il a accepté des cotisations syndicales au nom d’employés qui font partie à juste titre de ses unités de négociation établies depuis longtemps en vertu d’un certificat du Conseil déjà existant;

9. Subsidiairement, et en tout état de cause, Trentway-Wagar a fusionné avec Autocar Connaisseur (3329003 Canada inc) en 2007. Par conséquent, conformément aux dispositions de l’article 44 du Code canadien du travail, le SUT est demeuré par le fait même l’agent négociateur exclusif;

10. Subsidiairement encore, et en tout état de cause, 3329003 Canada inc. a complètement cessé ses activités le 1er octobre 2009, soit avant qu’un certificat ne soit délivré à la requérante, la CSN. Puisque Trentway-Wagar était l’employeur de tous les anciens employés de 3329003 Canada inc., le SUT était, et est toujours, l’agent négociateur exclusif en vertu du certificat du Conseil déjà existant. Un certificat délivré par la suite ne peut avoir pour effet de miner les droits de négociation déjà existants;

11. En fait, la CSN a reconnu que les employés en question sont au service de Trentway-Wagar (d’où sa demande fondée sur l’article 44 du Code). Tous les employés de Trentway-Wagar font partie de l’unité de négociation exclusive du SUT déjà existante, et le SUT en est l’agent négociateur exclusif. Même dans le meilleur des cas, la demande de la requérante doit être rejetée, car les employés en question ont été transférés avant la date du certificat délivré à la CSN...

(traduction)

[20] La CSN a soutenu que les Employeurs et le SUT avaient refusé de respecter l’ordonnance d’accréditation rendue le 14 octobre 2009 par le Conseil en prélevant les cotisations syndicales du salaire des employés de l’unité de négociation de la CSN et en les versant au SUT.

[21] La CSN allègue également, entre autres choses, que les Employeurs et le SUT ont négocié des conditions d’emploi à l’égard des employés membres de l’unité de négociation de la CSN.

III – Ordonnances provisoires

[22] Par souci de commodité, l’article 19.1 est reproduit ci-dessous :

19.1 Dans le cadre de toute affaire dont il connaît, le Conseil peut, sur demande d’un syndicat, d’un employeur ou d’un employé concerné, rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie.

[23] Dans Transpro Freight Systems ltée, 2008 CCRI 422 (Transpro), le Conseil a examiné son pouvoir de rendre des ordonnances provisoires. Le Code ne donne pas autant de directives que la Loi de 1995 sur les relations de travail en donne à la Commission des relations de travail de l’Ontario quant à la manière dont elle peut rendre une ordonnance provisoire et aux circonstances dans lesquelles elle peut le faire.

[24] Le législateur a plutôt décidé d’accorder, à l’article 19.1, un large pouvoir discrétionnaire au Conseil.

[25] Dans Transpro, le Conseil s’est penché sur certains des « objectifs » de la partie I du Code, par exemple l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et la liberté d’association.

[26] Tous les employés ont le droit fondamental de se joindre à un syndicat. Le Code exige toutefois d’un syndicat qu’il démontre qu’il possède l’appui de la majorité des employés d’une unité de négociation habile à négocier collectivement afin d’obtenir les droits et privilèges conférés par le Code. Le Conseil accorde ces droits et privilèges quand il accrédite un syndicat pour représenter une unité de négociation en particulier.

[27] Le Conseil se méfie du risque de rendre prématurément des ordonnances provisoires qui pourraient avoir pour effet involontaire de donner à une partie un privilège ou un avantage au détriment d’une autre. Cependant, se garder de rendre une ordonnance provisoire lorsque celle-ci est justifiée peut facilement porter préjudice à une partie, qui se retrouve alors dans une situation inéquitable, en attendant qu’une audience soit tenue et qu’une décision sur le bien-fondé de sa demande ou de sa plainte soit rendue.

IV - Analyse et décision

[28] De toute évidence, les Employeurs et le SUT croient que le Conseil a commis une erreur fondamentale en accréditant la CSN pour représenter une unité de négociation composée d’employés de 3329003 Canada inc. qui n’étaient pas syndiqués auparavant. Les Employeurs et le SUT maintiennent que 3329003 Canada inc. faisait déjà partie de Trentway-Wagar inc. et que par le fait même, l’accréditation de l’unité du SUT en Ontario visait les employés de Montréal. Les Employeurs et le SUT allèguent donc que le Conseil n’était pas habilité à accréditer la CSN pour représenter une unité de négociation composée d’employés déjà syndiqués.

[29] Les employeurs et le SUT n’ont pas présenté de demande de réexamen en vertu de l’article 18 du Code et de l’article 44 du Règlement. Même si, dans leur réponse à la plainte, les Employeurs ont bel et bien fait référence à l’article 18 et demandé au Conseil de suspendre l’exécution de son ordonnance d’accréditation, l’agent des relations industrielles a précisé dans une lettre datée du 8 janvier 2010 qu’aucune partie n’avait présenté de demande de réexamen officielle à la suite de la décision, rendue par le Conseil le 14 octobre 2009, d’accréditer la CSN. Le délai de 21 jours pour la présentation d’une demande de ce genre est maintenant écoulé.

[30] Il y a une demande de contrôle judiciaire en instance contestant la décision du Conseil d’accréditer la CSN. Toutefois, il ressort clairement de la jurisprudence du Conseil que celui-ci ne suspend pas l’exécution de ses décisions du simple fait qu’une demande de contrôle judiciaire a été présentée : Société Radio-Canada, 2002 CCRI 193. De même, la Cour d’appel fédérale hésite à suspendre des procédures du Conseil étant donné l’importance d’instruire rapidement les questions de relations du travail : Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters c. Canadian Airport Workers Union, 2009 CAF 44.

[31] En outre, le Conseil ne suspend pas l’exécution d’une de ses ordonnances à la demande d’une partie qui a refusé de la respecter, plutôt que de la contester en exerçant les recours juridiques habituels.

[32] Le Conseil a accrédité la CSN pour représenter les employés de Montréal qui n’étaient pas syndiqués auparavant et qui travaillaient pour 3329003 Canada inc. au moment de la présentation de la demande d’accréditation.

[33] Le Conseil tiendra une audience pour permettre aux Employeurs et au SUT de faire valoir leurs arguments concernant l’existence d’un employeur unique, et de commenter la demande de la CSN visant la déclaration de vente d’entreprise.

[34] Le Conseil rappelle aux parties qu’il reste toujours habilité à trancher les questions relatives à la portée intentionelle de toutes les ordonnances d’accréditation qu’il rend. Selon l’article 18 du Code, une partie peut demander au Conseil d’interpréter la portée de son certificat. Ni les Employeurs ni le SUT n’ont présenté, à quelque moment que ce soit, une demande concernant la portée de l’unité du SUT accréditée en Ontario.

[35] Si le Conseil décide de rendre une déclaration d’employeur unique ou une déclaration de vente d’entreprise après avoir entendu les affaires sur le fond, le Code permet aux parties de demander au Conseil de réviser la structure des unités de négociation en question : voir l’article 45 du Code. La révision serait visée par l’article 18.1 du Code, qui décrit la procédure de révision de la structure des unités de négociation. Le Conseil pourrait décider de fusionner les unités de négociation et de déterminer qui sera le seul agent négociateur, mais il n’est pas obligé de le faire.

[36] La CSN a convaincu le Conseil que les Employeurs et le SUT ont décidé de se comporter comme si l’unité de négociation du SUT visait déjà les employés de Montréal, et ce, malgré l’ordonnance d’accréditation rendue par le Conseil en faveur de la CSN et en dépit du fait qu’aucune décision n’a été prise quant aux autres dossiers connexes toujours en cours.

[37] Étant donné l’ordonnance d’accréditation du Conseil en faveur de la CSN, le Conseil réitère et confirme que celle-ci reste l’agent négociateur des employés de 3329003 Canada inc. travaillant à Montréal jusqu’à ce que le Conseil modifie le statu quo dans des décisions futures ou que la Cour d’appel fédérale lui enjoigne de le faire.

[38] Entre-temps, les Employeurs et le SUT doivent respecter les décisions et ordonnances actuelles du Conseil, y compris l’ordonnance d’accréditation de la CSN du 14 octobre 2009.

[39] Par conséquent, le Conseil :

  1. confirme que la CSN est et reste l’agent négociateur accrédité pour représenter les employés de 3329003 Canada inc., conformément à l’ordonnance d’accréditation du Conseil datée du 14 octobre 2009;
  2. ordonne aux Employeurs de rembourser sur-le-champ à tous les employés de Montréal auprès desquels ils ont prélevé des cotisations syndicales versées au SUT toutes les sommes prélevées, plus les intérêts;
  3. ordonne au SUT de rembourser sur-le-champ tous les fonds qu’il a reçus des Employeurs qui avaient été prélevés au titre des cotisations syndicales du salaire des employés faisant partie de l’unité de négociation de la CSN;
  4. confirme que 3329003 Canada inc. reste tenue de négocier collectivement avec la CSN jusqu’à ce que la situation change, que ce soit en raison d’une ordonnance du Conseil ou d’une ordonnance de la Cour d’appel fédérale;
  5. ordonne aux Employeurs de transmettre copie de la présente décision à tous les membres de l’unité de négociation de la CSN dans les cinq (5) jours de la date de la présente décision, et de confirmer par écrit au Conseil et aux autres parties que cela a été fait.

[40] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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