Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier,
plaignant,
et
Expertech Bâtisseur de réseaux inc.,
intimé.

Dossier du Conseil : 25396-C
Référence neutre : 2009 CCRI 481
Le 26 novembre 2009

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, de Me Judith F. MacPherson, c.r., et de Me William G. McMurray, Vice-présidents.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant examiné toutes les observations et pièces jointes figurant au dossier, le Conseil est convaincu que les documents dont il dispose lui suffisent pour statuer sur la présente plainte sans tenir d’audience.

Procureurs inscrits au dossier

Me Micheil M. Russell, pour le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier;
Me David M. Chondon, pour Expertech Bâtisseur de réseaux inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la plainte

[1] La présente affaire porte sur une plainte de pratique déloyale de travail que le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (le SCEP) avait d’abord déposée auprès du Conseil le 9 novembre 2004. Au départ, le Conseil avait rejeté la plainte du SCEP, au motif que celle-ci pouvait être réglée à l’arbitrage. Un banc de révision du Conseil a, par la suite, annulé la décision du Conseil de renvoyer l’affaire à l’arbitrage, et a plutôt mis la plainte du SCEP en suspens pendant que les parties étaient engagées dans le processus d’arbitrage.

[2] Les parties ont obtenu deux décisions arbitrales relativement à leurs droits prévus par deux conventions collectives distinctes.

[3] Après que les décisions arbitrales eurent été rendues, le SCEP a demandé au Conseil de statuer sur le bien-fondé de sa plainte initiale.

[4] Puisque le banc initial n’était pas disponible, le Conseil a mandaté un nouveau banc en octobre 2009 pour traiter la plainte du SCEP de manière accélérée.

[5] Après avoir examiné attentivement les observations des parties et les décisions arbitrales, le Conseil a décidé de rejeter la plainte du SCEP pour les motifs exposés ci-après.

II – Faits

[6] Le SCEP est un syndicat national qui représente environ 150 000 employés travaillant dans divers secteurs de l’économie partout au Canada, y compris les télécommunications. Bell Canada a fondé Expertech Bâtisseur de réseaux inc. (Expertech) en 1996 pour prendre possession de ses divisions qui s’occupaient de l’installation du matériel de central téléphonique et de la construction d’installations extérieures. Bell est restée propriétaire d’une partie importante d’Expertech.

[7] Le SCEP est partie à deux conventions collectives distinctes avec Expertech : une applicable aux « employés de métier » et une autre applicable aux « employés de bureau ».

[8] La question au coeur de la plainte de 2004 du SCEP concernait l’admissibilité des membres de chaque unité de négociation aux prestations de retraite anticipée.

[9] Le Conseil a d’abord examiné la plainte du SCEP dans Expertech Bâtisseur de réseaux inc., 2005 CCRI 337 (Expertech 337). Le Conseil a décrit la thèse du SCEP comme suit au paragraphe 2 :

[2] Le SCEP allègue qu’Expertech n’a pas respecté ses engagements, pris au cours de la dernière série de négociations concernant le régime, et qu’elle a nui à la représentation, par le SCEP, de ses membres, ce qui a engendré une perception selon laquelle la capacité du syndicat de bien représenter ses membres était diminuée.

[10] La question principale portait sur l’article 25 des conventions collectives distinctes s’appliquant aux employés de métier et aux employés de bureau. Le libellé de l’article 25 n’est pas le même dans chaque entente.

[11] Le SCEP a soutenu que les modalités de l’entente du 15 avril 2003, qui ont permis d’arrêter la version définitive des conventions collectives, permettant aux membres des deux unités de négociation de toucher des prestations de retraite anticipée. Expertech n’acceptait pas cette interprétation sur le fond, mais a soutenu, à titre préliminaire, que la question du droit aux prestations de retraite anticipée était plutôt une question qui devait être réglée à l’arbitrage, selon l’interprétation des conventions collectives régissant les parties. Au cours de cet exercice, l’arbitre aurait à trancher le statut juridique des modalités de l’entente.

[12] Dans Expertech 337, précitée, le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de statuer sur la plainte, conformément au paragraphe 98(3) du Code :

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[13] Le Conseil a conclu qu’un arbitre était mieux placé pour traiter d’un conflit d’interprétation de conventions collectives :

[40] Pour décider si les membres du SCEP ont droit au régime de retraite anticipée, il faut interpréter les dispositions des deux conventions collectives. Cette décision est au coeur du présent différend. Le Conseil considère qu’il ne convient pas de se livrer à un tel exercice compte tenu de la nature de la question soulevée, des circonstances entourant la présente plainte et du fait que des griefs portant sur cette question ont été présentés. Contrairement à la situation évoquée dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, précitée, il n’existe pas de preuve que l’employeur a contrevenu à plusieurs reprises à la convention collective dans la présente affaire ou a fait fi de la décision arbitrale, car aucune décision du genre n’a encore été rendue.

[14] Le 14 octobre 2005, le SCEP a présenté une demande de réexamen de la décision rendue dans Expertech 337, précitée. Un banc de révision du Conseil a fait droit à la demande du SCEP (Expertech Bâtisseur de réseaux inc., 2006 CCRI LD 1438) (LD 1438), annulé la décision initiale et reporté sa décision sur le bien-fondé de la plainte pendant que les parties étaient en arbitrage :

Dans la présente demande, le SCEP demande au Conseil de réexaminer, en vertu de l’article 18 du Code et de l’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, la décision du banc initial au motif que certains faits n’ont pas été portés à l’attention du Conseil et que le banc initial a commis une erreur de droit ou de principe qui remet véritablement en question l’interprétation du Code et contrevient aux principes de justice naturelle.

En raison du volume de sa charge de travail actuelle, le Conseil a dû retarder le moment de rendre une décision écrite dans le présent dossier. Cependant, comme il est saisi de la présente demande de réexamen depuis un bon moment et qu’il a appris qu’une audience d’arbitrage connexe devait avoir lieu au cours du mois, le Conseil a décidé d’informer les parties de la décision relative à la demande de réexamen par voie de la décision sommaire suivante.

Après avoir examiné les observations des parties et les documents versés au dossier, le Conseil a décidé i) d’accueillir la demande de réexamen, ii) d’annuler la décision du banc initial et, conformément à l’alinéa 16l.1) du Code, iii) de reporter sa décision à l’égard des plaintes initiales parce qu’il estime qu’elles pourraient être réglées par arbitrage ou par tout autre mode de règlement. Par conséquent, le Conseil demeure saisi de la plainte initiale.

(pages 2-3)

[15] Le Conseil a essentiellement temporisé, ce que permet l’alinéa 16l.1) du Code :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

16.l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

[16] Expertech et le SCEP ont retenu les services de l’arbitre G.T. Surdykowski (l’arbitre) pour trancher leur différend relatif aux conventions collectives. Le 30 octobre 2006, l’arbitre a rendu une décision préliminaire sur le statut de l’alinéa 4a) des modalités de l’entente du 15 avril 2003 :

[17] L’alinéa 4a) des modalités de l’entente se lisait comme suit :

4. Régime de retraite

a. La Compagnie consent à ce que tout changement apporté au Régime de retraite qui s’appliquerait aux employés de Bell Canada représentés par le SCEP et qui surviendrait pendant la durée d’application de la présente convention collective soit revu par Expertech avec les représentants du SCEP et s’applique aux employés admissibles d’Expertech qui sont représentés par le SCEP, sous réserve de la ratification par les employés d’Expertech.

(traduction)

[18] L’arbitre devait déterminer si l’alinéa 4a) des modalités de l’entente faisait partie des deux conventions collectives. L’arbitre a décrit le différend au paragraphe 28 de sa décision préliminaire :

28. La question du « caractère essentiel » ne se pose pas en l’espèce. La Compagnie ne conteste pas le fait que le litige entre les parties peut faire l’objet d’arbitrage. Le syndicat ne cherche pas à invoquer l’alinéa 4a) comme fondement pour une réclamation supplémentaire ou distincte. Il cherche à s’y fier, à titre de partie de la convention collective, pour prétendre que la Compagnie a enfreint les deux conventions collectives. La question préliminaire est la suivante : l’alinéa 4a) constitue-il une partie des conventions collectives ou seulement un guide d’interprétation, ce que concède la Compagnie?

(traduction)

[19] L’arbitre a conclu que l’alinéa 4a) des modalités de l’entente ne faisait pas partie des deux conventions collectives :

38. Je déclare donc que l’alinéa 4a) des deux modalités de l’entente du 15 avril 2003 jointes aux deux ententes de principe du 15 avril 2003 ne fait pas partie de la convention collective des « employés de métiers et de services », ni de celle des « employés de bureau et de soutien ».

(traduction)

[20] Dans sa décision définitive rendue le 6 décembre 2006, l’arbitre a décrit ainsi la question qui était au coeur du différend dont il était saisi :

3. La question soulevée par les griefs porte sur le droit des employés d’Expertech visés par la convention collective des employés de métier et par celle des employés de bureau à un programme de retraite volontaire anticipée (RVA) que le syndicat a négocié avec Bell Canada (Bell) après la conclusion des négociations avec Expertech et la signature des conventions collectives.

(traduction)

[21] L’arbitre a retenu la thèse du SCEP, mais seulement à l’égard de la convention collective des employés de métier :

40. Le grief portant sur la convention collective des employés de métiers est accueilli. À cet égard :

1. JE DÉCLARE qu’Expertech a enfreint la convention collective des employés de métier entrée en vigueur le 9 mai 2003, lorsqu’il a refusé de donner à ses employés visés par la convention collective accès aux clauses du régime de retraite portant sur la RVA de Bell Canada de 2004.

(traduction)

[22] Par contre, l’arbitre a rejeté le grief portant sur la convention collective des employés de bureau. Les résultats divergents s’expliquent par le libellé différent de l’article 25 des conventions collectives respectives.

[23] Le 18 décembre 2006, l’avocat du SCEP a écrit au Conseil et a joint des copies des décisions de l’arbitre. Le SCEP a demandé au Conseil d’instruire sa plainte initiale déposée en 2004 :

Compte tenu de ce développement, le SCEP écrit au Conseil pour lui demander d’instruire la plainte maintenant. Le SCEP demande qu’une audience soit prévue dans la présente affaire. Le SCEP soutient que celle-ci n’a pas été entièrement réglée à l’arbitrage; par conséquent, le SCEP demande respectueusement que la plainte soit instruite.

(traduction)

[24] L’avocat d’Expertech a fait valoir, dans sa lettre au Conseil datée du 22 décembre 2006, que les divergences entre les parties avaient été entièrement réglées à l’arbitrage :

... Les questions pouvaient faire l’objet d’arbitrage; l’historique des négociations et les dispositions pertinentes de la convention collective ont été examinés de manière exhaustive au cours de la procédure d’arbitrage. Il est avancé que notre client ne devrait pas être tenu de participer à des procédures multiples et coûteuses, simplement parce que le requérant n’a pas obtenu tout ce qu’il avait demandé au chapitre des redressements lors du processus d’arbitrage. Par conséquent, nous demandons que le Conseil rejette la plainte précitée.

(traduction)

[25] Le 28 mars 2007, le Conseil a reçu une lettre de l’avocat du SCEP qui mentionnait que toutes les questions liées aux employés de métier avaient été réglées, mais qu’il désirait néanmoins aller de l’avant avec la plainte relative aux employés de bureau.

[26] Le 4 mai 2007, un banc différemment constitué du Conseil a mentionné ce qui suit aux parties :

Le Conseil tient à aviser les parties que, à ce stade-ci, il est d’avis que le litige entre les parties quant à savoir si toutes les questions ont été réglées et, plus précisément, si Expertech doit offrir des RVA/PCS à un plus grand nombre d’employés de l’unité de négociation des employés de bureau et de soutien, peut être tranché par le Conseil sans que celui-ci tienne une audience. Par conséquent, le Conseil ne fixera pas d’audience et rendra sa décision en temps opportun.

(traduction)

[27] Malheureusement, le banc en question n’a pu rendre la décision promise.

[28] En octobre 2009, afin de statuer sur la plainte déposée en 2004 par le SCEP, le Conseil a suggéré que l’affaire soit tranchée par un banc différemment constitué. Les parties ne se sont pas opposées à cette façon de procéder.

III – Analyse et décision

[29] Dans Expertech 337, précitée, le Conseil a rejeté la plainte du SCEP. La LD 1438, précitée, a réactivé la plainte du SCEP pendant que les parties étaient en arbitrage. Ces décisions, ainsi que celle rendue par l’arbitre, ont permis au présent banc de saisir pleinement les questions faisant l’objet du litige entre les parties.

[30] Dans Expertech 337, précitée, la majorité du Conseil était convaincue que les questions pouvaient être renvoyées à l’arbitrage, et les plaintes ont été rejetées. Cette décision supposait qu’un arbitre pouvait trancher les questions.

[31] Dans la décision sommaire rendue dans LD 1438, précitée, le Conseil semblait adopter une démarche plus prudente lorsqu’il a exercé son pouvoir, en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code, de reporter à plus tard sa décision sur la plainte du SCEP.

[32] Le recours à l’alinéa 16l.1) fait en sorte que le Conseil reste saisi de la plainte, et lui permet de l’examiner à une date ultérieure, si nécessaire.

[33] Le Conseil a conclu que les différends entre le SCEP et Expertech concernaient l’interprétation donnée aux conventions collectives par les parties.

[34] L’arbitre a examiné la question de savoir si l’alinéa 4a) des modalités de l’entente faisait partie ou non des conventions collectives. Il a décidé que cet alinéa n’en faisait pas partie. Cependant, il était prêt à se servir de l’alinéa 4a) des modalités de l’entente comme guide d’interprétation des conventions collectives, si nécessaire.

[35] Même lorsqu’il a examiné l’alinéa 4a) des modalités de l’entente, l’arbitre a conclu que l’interprétation qu’il convient de donner à la convention collective applicable aux employés de métier soutenait la thèse du SCEP, alors que l’interprétation qu’il convient de donner à la convention collective de l’unité des employés de bureau ne la soutenait pas.

[36] Dans ces circonstances, en rétrospective, nous souscrivons à la décision rendue dans Expertech 337, précitée, qu’il était à propos que le Conseil rejette la présente plainte en faveur de l’arbitrage. Le Conseil garde toujours le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 98(3), de rejeter la plainte du SCEP :

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[37] Le fait que les questions avaient déjà été traitées au cours du processus d’arbitrage n’a pas pour effet d’écarter ce pouvoir discrétionnaire fondamental, dont le but est d’empêcher une prolifération de recours portant sur les mêmes litiges.

[38] À notre avis, l’élément fondamental du présent différend était la divergence d’opinions au sujet de l’entente conclue par les parties à la table de négociation. Autant le SCEP qu’Expertech sont des parties avisées qui possèdent une grande expérience de la négociation. Il existe une abondante jurisprudence arbitrale au sujet de la recevabilité de la preuve tirée des négociations pour aider à interpréter la convention collective. Il ne s’agit pas d’une sphère qui relève du Conseil.

[39] Compte tenu de l’examen détaillé des questions par l’arbitre, le Conseil rejette la plainte du SCEP.

[40] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.