Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Tony Aker,

plaignant,

et


United Parcel Service du Canada ltée,

intimée.

Dossier du Conseil : 27248-C
Référence neutre : 2009 CCRI 474
Le 23 octobre 2009

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu de l’article 156 du Code canadien du travail (Partie II - Santé et sécurité au travail) (le Code).

Représentants des parties au dossier
M. Tony Aker, en son propre nom;
Me Crystal A. Gamble, pour United Parcel Service Canada ltée.

I - Nature de la plainte

[1] Le 9 janvier 2009, le Conseil a été saisi d’une plainte déposée par M. Tony Aker (M. Aker), qui alléguait violation de la partie II du Code. M. Aker soutenait que son employeur, United Parcel Service Canada ltée (UPS), l’avait congédié le 4 décembre 2008 pour des raisons liées, en totalité ou en partie, à des questions relatives à la santé et à la sécurité qu’il avait soulevées en vertu de la partie II du Code.

[2] UPS a nié les allégations et a présenté les faits expliquant sa décision de congédier M. Aker.

[3] Le Conseil a conclu que M. Aker ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve que lui impose le Code consistant à démontrer que son congédiement par UPS constituait une mesure de représailles interdite par l’article 147 du Code.

II - Audience

[4] L’article 16.1 prévoit ce qui suit :

16.1 Le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience.

[5] Le Conseil a d’abord tenu une réunion de gestion de l’affaire le 16 avril 2009. Le 17 avril 2009, le Conseil a envoyé aux parties une lettre faisant suite à la réunion de gestion de l’affaire dans laquelle il résumait certaines des discussions ayant eu lieu lors de ladite réunion. Le Conseil y précisait qu’il n’avait pas décidé s’il allait tenir ou non une audience.

[6] Le Conseil a ensuite envoyé aux parties une lettre datée du 12 mai 2009 les informant qu’il tiendrait une audience les 14 et 15 octobre 2009.

[7] Au cours de sa préparation en vue de l’audience, le Conseil s’est rendu compte qu’il serait en fait en mesure de trancher la plainte à partir des observations écrites exhaustives des parties. Le Conseil a immédiatement avisé les parties de l’annulation de l’audience afin de leur éviter toute autre dépense relativement à la présente affaire.

III - Faits

[8] M. Aker a décrit dans sa plainte un incident qui s’est produit le 18 novembre 2008. Un collègue (M. F) l’aurait agressé dans la salle de bain des hommes sur les lieux de travail de UPS. M. Aker a signalé l’incident aux autorités de UPS. Celles-ci ont appelé la police et un policier a interrogé M. Aker à propos de l’incident.

[9] Ce n’était pas le premier incident entre M. Aker et M. F.

[10] UPS a renvoyé M. Aker chez lui pour plusieurs jours, le temps qu’elle fasse enquête sur la situation. UPS a ensuite demandé à M. Aker de se présenter au travail le 4 décembre 2008 et l’a avisé de son congédiement justifié. UPS a également congédié M. F le même jour.

[11] M. Aker décrit dans sa plainte divers incidents qui se sont produits au cours des années précédentes et qui, à son avis, montrent qu’il a été la cible de harcèlement en milieu de travail. Ces incidents comprenaient d’autres altercations entre M. Aker et M. F.

[12] M. Aker soutient que UPS n’aurait pas dû le congédier, d’autant plus, selon lui, qu’il était la victime innocente lors de l’incident du 18 novembre 2008.

[13] UPS a déposé des observations détaillées à propos de la relation entre M. Aker et M. F. UPS a fourni des copies de politiques qu’elle a établies, dont celles portant sur le harcèlement et la prévention de la violence.

[14] UPS a documenté le dossier personnel de M. Aker, y compris les altercations qu’il avait eues précédemment avec M. F. UPS a précisé les mesures qu’elle avait prises pour régler ces divers incidents, dont certaines étaient des mesures disciplinaires.

[15] À propos de l’incident du 18 novembre 2008, UPS a décrit les mesures qu’elle a prises dès que l’incident a été porté à son attention, notamment appeler la police.

[16] UPS a affirmé avoir suspendu M. Aker ainsi que M. F en attendant les résultats de son enquête. Dans le cadre de son enquête, elle a rencontré M. Aker, M. F ainsi que les témoins de l’incident.

[17] UPS a décidé en fin de compte de congédier et M. Aker et M. F, après avoir examiné leurs dossiers personnels et leurs dossiers disciplinaires. UPS nie avoir congédié M. Aker parce qu’il avait soulevé des questions relatives à la sécurité et affirme l’avoir plutôt congédié parce qu’il représentait une menace à la sécurité.

[18] M. Aker et UPS ont des points de vue très différents sur les faits relatifs aux incidents s’étant produits au cours des années. Comme il en sera question sous peu, bien qu’un arbitre puisse devoir choisir quelle version des faits il doit croire dans le cadre d’une plainte pour congédiement injustifié déposée en vertu de l’article 240 de la partie III du Code, le Conseil n’a pas à se livrer au même exercice approfondi pour exercer les pouvoirs restreints que lui confère l’article 133 du Code.

IV - Dispositions législatives applicables

[19] La partie II du Code contient des dispositions importantes qui protègent les employés contre des mesures de représailles lorsqu’ils cherchent à exercer leurs droits en matière de santé et sécurité au travail.

[20] L’article 147 interdit à l’employeur de prendre des mesures de représailles :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre ou menacer de prendre des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné ou est sur le point de le faire dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un

renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[21] L’article 133 établit le double rôle du Conseil quand il doit se pencher sur des mesures de représailles :

Plainte au Conseil

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

Délai relatif à la plainte

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

Restriction

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

Exclusion de l’arbitrage

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

Fonctions et pouvoirs du Conseil

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

Charge de la preuve

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

i) Droit de refuser d’effectuer du travail dangereux

[22] La plupart des affaires présentées au Conseil en vertu de la partie II découlent de l’exercice par un employé de son droit de refuser de travailler s’il a des motifs raisonnables de croire que la situation pose un danger. Les articles 128 et 129 du Code établissent un régime détaillé que les employés et les employeurs doivent suivre lorsque le droit de refuser du travail est en cause.

[23] Le paragraphe 133(6) du Code inverse le fardeau de la preuve lorsqu’un plaignant allègue que des mesures de représailles ont été prises à la suite de son refus d’effectuer du travail dangereux. Dans de tels cas, il incombe à l’employeur de prouver qu’il n’a pas imposé de mesures disciplinaires à un employé parce qu’il a exercé le droit que lui garantit le Code de refuser du travail.

[24] Le Conseil avait auparavant son mot à dire sur l’existence du danger, mais les derniers éléments de ce pouvoir lui ont été retirés après l’adoption du projet de loi C-12 (2000, ch. 20), Loi modifiant la partie II du Code canadien du travail.

[25] La plainte de M. Aker ne fait pas mention de l’exercice du droit de refuser d’effectuer du travail dangereux prévu à l’article 128 du Code.

ii) Protection générale contre les mesures de représailles

[26] Si des mesures de représailles sont prises parce qu’un employé a demandé l’application d’autres dispositions de la partie II, le Conseil peut examiner la situation et intervenir, au besoin. Essentiellement, la partie II du Code limite maintenant le rôle du Conseil à examiner les représailles.

iii) Recours concurrents

[27] Le Conseil a décrit sa compétence limitée en matière de santé et sécurité au travail dans la décision Air Canada, 2007 CCRI 394 :

[59] La partie II du Code n’accorde pas de pouvoirs au Conseil en ce qui concerne l’administration ou l’application des dispositions régissant le fonctionnement des comités de santé et de sécurité. Son libellé actuel n’autorise pas le Conseil à statuer sur la myriade de différends ayant trait à l’administration ou au fonctionnement de ces comités, qui existent aussi bien dans des entreprises syndiquées que dans des entreprises non syndiquées. À titre d’exemple, la partie II ne permet pas au Conseil de déterminer l’étendue de la formation requise, le niveau de ressources ou le nombre d’heures pendant lesquelles les membres des comités doivent être libérés de leurs fonctions en vol, dans les centaines, voire les milliers de lieux de travail de compétence fédérale. Elle n’accorde pas non plus au Conseil le pouvoir de fixer le taux régulier de rémunération des employés qui siègent aux comités de santé et de sécurité.

[60] La seule compétence qui est accordée au Conseil sous le régime de la partie II du Code est celle d’instruire les plaintes alléguant que l’employeur a sévi contre un employé qui s’est prévalu des droits que lui accorde l’article 147 du Code, qui prévoit ceci.

(c’est nous qui soulignons)

[28] Des procédures concurrentes peuvent être entamées en vertu du Code pour le même incident. Par exemple, l’article 127.1 établit la marche à suivre si un employé croit qu’il y a eu violation de la partie II du Code. Le paragraphe 127.1(8) précise en quelles circonstances un employé peut renvoyer une plainte à l’agent de santé et sécurité (l’agent) :

La plainte fondée sur l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie peut être renvoyée par l’employeur ou l’employé à l’agent de santé et de sécurité dans les cas suivants :

a) l’employeur conteste les résultats de l’enquête;

b) l’employeur a omis de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation faisant l’objet de la plainte dans les délais prévus ou d’en informer les personnes chargées de l’enquête;

c) les personnes chargées de l’enquête ne s’entendent pas sur le bien-fondé de la plainte.

[29] L’agent peut donner des instructions pour qu’il soit remédié à la violation d’une disposition de la partie II :

Mesures spéciales de sécurité

Cessation d’une contravention

145.(1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Confirmation par écrit

(1.1) Il confirme par écrit toute instruction verbale :

a) avant de quitter le lieu de travail si l’instruction y a été donnée;

b) dans les meilleurs délais par courrier ou par fac-similé ou autre mode de communication électronique dans tout autre cas.

[30] Il semble que M. Aker ait déposé une plainte alléguant violation de la partie II qui a, par la suite, donné lieu à des instructions de la part d’un agent : voir l’instruction donnée par M. Daniel Roy le 16 janvier 2009 en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code.

[31] L’article 240 de la partie III du Code permet à un employé comme M. Aker de contester le fait qu’un employeur fédéral comme UPS ait eu des motifs valables de le congédier :

240.(1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

[32] Le paragraphe 242(1) permet qu’une plainte soit renvoyée à l’arbitrage :

242.(1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

[33] M. Aker a exercé ses droits en vertu de l’article 240 du Code et conteste son congédiement devant un arbitre.

[34] Il est essentiel de souligner les limites de la compétence du Conseil en vertu de la partie II, étant donné qu’il peut y avoir des procédures concurrentes. Le Conseil ne se penche pas sur les questions qui relèvent de la compétence de l’agent ou de l’arbitre.

V - Analyse et décision

[35] Puisqu’il n’y a pas eu refus d’effectuer du travail dangereux en l’espèce, le fardeau de la preuve incombe à M. Aker. C’est à lui de convaincre le Conseil que UPS a pris des mesures de représailles en le congédiant le 4 décembre 2008. Si le Conseil est convaincu que le congédiement de M. Aker était lié à des motifs autres que ses préoccupations en matière de sécurité fondées sur la partie II du Code, la plainte sera rejetée.

[36] Dans sa lettre du 3 avril 2009 au Conseil, M. Aker avance que le Conseil devrait trancher, entre autres, les questions suivantes :

Ce dont nous devons discuter et ce qu’il faut établir est ce qui s’est produit le 18 novembre 2008;

Ce que nous devons déterminer est si UPS a pris des mesures suffisantes avant le 18 novembre 2008 en réaction aux plaintes relatives à la sécurité formulées par M. Tony Aker;

UPS a-t-elle créé un milieu de travail sécuritaire pour M. Tony Aker durant les six dernières années pendant lesquelles (M. F) l’a attaqué/harcelé/agressé;

...

Il faut chercher à savoir si UPS avait des motifs suffisants, des raisons valables et des preuves justifiant d’enlever à M. Tony Aker son emploi et sa protection en matière de santé.

(traduction; souligné dans l’original)

[37] Il ne s’agit pas du genre de question que le Conseil examine en vertu de la partie II. Comme le montre l’extrait de la décision Air Canada, précitée, le pouvoir du Conseil est plutôt limité à déterminer si UPS a puni M. Aker pour avoir exercé l’un des divers droits visés par l’article 147 du Code.

[38] M. Aker n’a pas convaincu le Conseil que son congédiement par UPS le 4 décembre 2008 était une mesure de représailles parce qu’il avait tenté de faire appliquer la protection que prévoit la partie II du Code. Le simple fait que les questions de sécurité aient été soulevées en même temps qu’a eu lieu la prétendue conduite inappropriée n’empêche pas un employeur d’évaluer s’il doit maintenir en poste l’employé.

[39] Par exemple, s’il y a du harcèlement ou des conflits en milieu de travail, il n’est pas interdit à l’employeur d’imposer des mesures disciplinaires simplement parce qu’il se pourrait que la partie II du Code soit en cause. Cependant, pour les employeurs relevant de la compétence fédérale comme UPS, l’article 240 du Code permet à l’employé qui n’est pas assujetti à une convention collective de demander que son employeur prouve devant un arbitre indépendant qu’il avait des motifs valables de le congédier.

[40] Pourquoi M. Aker n’a-t-il pas convaincu le Conseil que UPS avait contrevenu à l’article 147 du Code?

[41] Il est clair que, durant une période de temps considérable, il y avait des conflits en milieu de travail entre M. Aker et M. F. Le dossier personnel de M. Aker contient une quantité considérable de renseignements à propos des incidents entre ces personnes. Des mesures disciplinaires ont été prises par le passé à la suite de certains de ces incidents.

[42] UPS a prouvé à la satisfaction du Conseil que, pendant un certain nombre d’années, elle a tenté de régler les conflits entre M. Aker et M. F. M. Aker n’a pas nié qu’un bon nombre d’incidents avaient été documentés. Cependant, il est clair qu’il ne souscrit pas à la version des faits de UPS à l’égard de tous les incidents passés.

[43] UPS aurait peut-être eu plus de difficulté à convaincre le Conseil si l’incident du 18 novembre 2008 avait été un incident isolé qui avait immédiatement mené au congédiement de M. Aker. Cependant, le Conseil ne peut faire fi du contexte important, soit la situation entre M. Aker et M. F, sur lequel s’appuie UPS.

[44] Le Conseil ne détermine pas si UPS avait ou non des motifs valables de congédier M. Aker. L’arbitre se penchera sur cette question. Cependant, le Conseil accepte que UPS a congédié M. Aker en raison de ses altercations passées avec M. F en milieu de travail. Elle a pris des mesures identiques en ce qui concerne M. F. Par conséquent, M. Aker n’a pas été congédié parce qu’il invoquait les droits que lui garantit la partie II du Code et le congédiement ne constituait pas une violation de l’article 147.

[45] Le Conseil rejette la plainte.

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