Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Section locale 938 de la Fraternité internationale des Teamsters,

requérante,

et

Transpro Freight Systems ltée,

intimée.

Dossier du Conseil : 27027-C

CITÉ : Transpro Freight Systems ltée

Référence neutre : 2008 CCRI 422
Le 3 novembre 2008


Il s’agit d’une demande en vertu de l’article 19.1 du Code canadien du travail, Partie I (le Code).

Demande d’ordonnance provisoire – Coercition et intimidation par l’employeur – Mesures de redressement – Pratique et procédure – Demande découlant d’une plainte antérieure de pratique déloyale de travail alléguant que l’employeur s’était ingéré dans la campagne de recrutement du syndicat – Le syndicat a fait valoir que l’employeur avait enfreint le Code en déclarant à un organisateur syndical qu’il était congédié et en déclarant à d’autres employés que l’entreprise fermerait ses portes en cas de syndicalisation – Le syndicat a fait valoir que les propriétaires-exploitants qui étaient la cible de la campagne de recrutement avaient subi une baisse du revenu depuis que la campagne était devenue publique – « Objectifs » de la partie I du Code au sens où ce terme est utilisé à l’article 19.1? – Un employeur n’est pas tenu au silence au cours d’une campagne de recrutement et peut exprimer un point de vue personnel – Cependant, le Code a également pour objectif clair d’empêcher les employeurs de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses ou d’user indûment de leur influence lorsque les employés songent à se prévaloir des libertés fondamentales qui sont énoncées à l’article 8 – Les nombreuses pratiques déloyales de travail énoncées à l’article 94 et les pouvoirs de redressement du Conseil prévus aux articles 99 et 99.1 ont pour but de renforcer le fait que les employeurs ne peuvent pénaliser les employés parce qu’ils examinent et exercent leurs libertés fondamentales en vertu du Code – Le Conseil n’a pas mis au point de critère définitif aux fins d’une demande présentée aux termes de l’article 19.1 – Le Conseil sait bien que, lorsque les faits pertinents sont contestés, rendre une ordonnance pourrait avoir comme conséquence non souhaitée de conférer un privilège ou un avantage à une partie – Se garder de rendre une ordonnance provisoire lorsque celle-ci serait justifiée porte préjudice à une partie, qui se retrouve alors dans une situation inéquitable, en attendant qu’une audience soit tenue et qu’une décision sur le bien-fondé de l’affaire soit rendue – L’employeur ne nie pas que ses propriétaires ont exprimé à des organisateurs syndicaux clés et à des représentants du syndicat des opinions qui amèneraient une personne raisonnable à croire que son emploi était en péril et que l’entreprise fermerait ses portes si l’effort de syndicalisation se poursuivait – Une ordonnance provisoire a pour but d’assurer la « réalisation des objectifs » de la partie I du Code – Le syndicat a convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire faisant en sorte que les employés connaissent les libertés que leur garantit le Code et qu’ils puissent examiner ces libertés fondamentales sans craindre d’être victimes de représailles – Le Conseil ordonne à l’employeur d’afficher un avis à l’intention des employés et des propriétaires-exploitants à l’égard de leurs droits en vertu du Code, de distribuer une copie de la présente décision à tous les employés et propriétaires-exploitants, et de se garder de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses et d’user indûment de son influence relativement au droit des employés et des propriétaires-exploitants de déterminer s’ils souhaitent ou non adhérer à un syndicat.


La présente affaire a été entendue par un banc du Conseil composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Une audience a été tenue à Toronto (Ontario), le 8 octobre 2008.

Ont comparu
Me Marisa Pollock, pour la section locale 938 de la Fraternité internationale des Teamsters;
Me Hugh R. Dyer, pour Transpro Freight Systems ltée.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la demande

[1] Le 29 août 2008, le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a reçu de la section locale 938 de la Fraternité internationale des Teamsters (Teamsters) une demande d’ordonnance provisoire aux termes de l’article 19.1 du Code, dont voici le libellé :

19.1 Dans le cadre de toute affaire dont il connaît, le Conseil peut, sur demande d’un syndicat, d’un employeur ou d’un employé concerné, rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie.

[2] La demande d’ordonnance provisoire des Teamsters fait suite à la plainte de pratique déloyale de travail qu’ils ont déposée antérieurement (dossier 26994-C) à l’encontre de Transpro Freight Systems Ltd. (Transpro) et dans laquelle ils ont allégué notamment que Transpro s’est ingérée dans leurs activités de recrutement. Dans cette plainte, les Teamsters ont demandé au Conseil de rendre une ordonnance de redressement, notamment d’accorder l’accréditation automatique aux termes de l’article 99.1 du Code. Transpro est un courtier en services de transport de marchandises générales.

[3] En attendant que soit entendue leur plainte de pratique déloyale de travail, les Teamsters ont demandé l’ordonnance provisoire suivante au paragraphe 27 de leur demande :

a) Une ordonnance obligeant l’employeur à maintenir toutes les conditions d’emploi, y compris les fonctions professionnelles, de tous les membres de l’unité de négociation, au moins jusqu’à ce que la plainte de pratique déloyale de travail soit tranchée par le Conseil;

b) Une ordonnance obligeant l’employeur à cesser de recourir à l’intimidation, à la menace et à la coercition des chauffeurs au moyen de messages selon lesquels ils perdraient leur emploi s’ils participaient aux activités syndicales;

c) Une ordonnance obligeant l’employeur à cesser de harceler les organisateurs syndicaux près de son établissement;

d) Une ordonnance obligeant l’employeur à fournir une copie de la décision du Conseil à chacun de ses employés, ainsi qu’un résumé des droits des employés de se syndiquer en vertu du Code;

e) Une ordonnance obligeant l’employeur à afficher dans le lieu de travail une copie de la décision du Conseil ainsi qu’un résumé des droits des employés prévus à l’article 94 du Code;

f) Une ordonnance permettant aux employés d’assister à trois réunions d’une heure avec le syndicat, pendant les heures de travail, aux dates et aux endroits déterminés par le syndicat;

g) Toute autre ordonnance ou déclaration que les plaignants peuvent demander et que le Conseil juge indiquée.

(traduction)

[4] Les Teamsters ont également demandé que l’employeur assume les frais liés à la demande d’ordonnance provisoire.

[5] Transpro a demandé au Conseil de rejeter la demande d’ordonnance provisoire pour plusieurs motifs. Elle a soulevé des questions sur la qualité de la preuve par affidavit des Teamsters en application du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement). Transpro a également fait valoir que, même si les Teamsters avaient des arguments défendables, la prépondérance des inconvénients jouent en faveur de Transpro, puisque aucun employé n’a été congédié ni n’a perdu de travail.

[6] Transpro a également fait valoir que, même si certains gestes posés par ses représentants ont pu donner naissance à des arguments défendables, Transpro a remédié à ces gestes en modifiant son comportement et en faisant parvenir à ses employés une lettre les informant de leurs droits en vertu du Code.

II – Faits

[7] Chaque partie a déposé de nombreux affidavits concernant les faits de la présente affaire. Le Conseil résumera le contexte de la présente demande.

[8] En mai 2008 ou vers cette date, M. Bill Harrigan, un propriétaire-exploitant de Transpro, a communiqué avec M. John Hull, un représentant des Teamsters, pour entreprendre une campagne de recrutement. M. Hull et M. Harrigan ont commencé à recueillir des cartes d’adhésion auprès des chauffeurs en juin-juillet 2008.

[9] À la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, un autre propriétaire-exploitant, M. Faizudden Mohammed, qui emploie deux autres chauffeurs pour ses véhicules, s’est joint aux efforts et a commencé à parler à d’autres chauffeurs et à recueillir des cartes d’adhésion signées.

[10] Au début du mois d’août 2008, les Teamsters ont rendu leur campagne de recrutement chez Transpro davantage publique en postant un de leurs représentants, M. Joe Castellano, près de l’établissement de Transpro, de manière qu’il puisse recueillir un plus grand nombre de cartes d’adhésion.

[11] Les Teamsters ont allégué que les deux propriétaires de Transpro, M. Frank Prosia et M. Joe Carusi, avaient réagi à la campagne de recrutement devenue publique en s’adressant à un certain nombre de chauffeurs et en déclarant que quiconque qui appuyait le syndicat serait congédié et que Transpro fermerait ses portes en cas de syndicalisation.

[12] Même si Transpro n’accepte pas la description des faits tels qu’ils ont été présentés par les Teamsters, elle a produit une preuve par affidavit franche au sujet des gestes posés par MM. Prosia et Carusi.

[13] Ainsi, l’affidavit de M. Prosia, daté du 8 septembre 2008, indique au paragraphe 8 que, le 13 août 2008 : « J’ai dit à M. Shiwprasad que la compagnie congédierait tous les courtiers et qu’elle fermerait ses portes si le syndicat était accrédité » (traduction). M. Shiwprasad est un employé de Transpro qui parlait avec M. Castellano au moment où M. Prosia a formulé ses commentaires.

[14] Dans son affidavit daté du 8 septembre 2008, M. Joe Carusi a admis avoir parlé avec M. Shiwprasad le 13 août 2008 et a dit que, « si la requérante obtenait gain de cause, l’intimée ne pourrait demeurer compétitive dans un secteur d’activité en grande partie non syndiqué et serait probablement contrainte, de ce fait, de fermer ses portes » (traduction).

[15] M. Prosia a confirmé également les commentaires que M. Carusi avait formulés lors d’une autre rencontre, tenue le 13 août 2008, avec M. Mohammed, selon lesquels M. Harrigan « allait probablement être congédié en raison de sa participation à la campagne de recrutement de la requérante et que d’autres personnes risquaient d’être congédiées en raison de leur participation à la campagne de recrutement » (traduction). M. Prosia a déclaré sous serment dans son affidavit que M. Carusi « a déclaré que M. Mohammed n’obtiendrait pas de travail pour ses camions s’il collaborait avec la requérante » (traduction).

[16] M. Carusi a confirmé dans son affidavit daté du 8 septembre 2008 que, lorsqu’il a rencontré M. Mohammed le 13 août 2008, il lui a dit que M. Harrigan « allait probablement être congédié en raison de sa participation à la campagne de recrutement de la requérante et que d’autres personnes risquaient d’être congédiées en raison de leur participation à la campagne de recrutement ». M. Carusi a déclaré également « que M. Mohammed n’obtiendrait pas de travail pour ses camions s’il collaborait avec la requérante ». M. Carusi a demandé à M. Mohammed de fournir à M. Prosia des renseignements sur les activités de recrutement des Teamsters, à défaut de quoi « il pouvait commencer à se chercher un nouvel emploi » (traduction).

[17] M. Prosia a déclaré avoir consulté un avocat chevronné en droit du travail pour la première fois après sa rencontre avec M. Mohammed et avoir obtenu des conseils juridiques sur ses obligations en vertu du Code. Après avoir reçu ces conseils juridiques, M. Prosia a indiqué que M. Carusi avait communiqué avec M. Mohammed, qu’il s’était excusé pour les déclarations qu’il avait faites plus tôt ce jour-là et qu’il avait garanti à M. Mohammed qu’il continuerait d’obtenir du travail malgré ce qu’il avait dit plus tôt.

[18] Dans son affidavit, M. Carusi a déclaré avoir parlé avec M. Prosia, plus tard le même jour, des commentaires obtenus du conseiller juridique. Il indique dans son affidavit s’être excusé auprès de M. Mohammed pour les déclarations qu’il avait faites et lui avoir garanti « que lui et ses employés continueraient d’obtenir du travail malgré ce qu’il avait dit plus tôt » (traduction).

[19] Le 13 août 2008, le conseiller juridique des Teamsters a envoyé une lettre dans laquelle il contestait le traitement réservé à M. Mohammed. Transpro a allégué n’avoir reçu cette lettre qu’après que M. Carusi s’était excusé auprès de M. Mohammed. Le 15 août 2008 ou vers cette date, Transpro a envoyé des lettres à tous ses propriétaires-exploitants et employés pour les informer notamment de leur droit de choisir d’adhérer à un syndicat.

[20] La preuve par affidavit des Teamsters diffère à de nombreux égards de celle qu’a produite Transpro. À titre d’exemple, alors que MM. Carusi et Prosia ont allégué que M. Mohammed avait dit avoir été contraint par M. Harrigan de signer une carte d’adhésion au syndicat, M. Mohammed nie avoir fait cette déclaration.

[21] Les Teamsters ont déposé d’autres affidavits, notamment celui de M. Harrigan, dans lequel il donnait à entendre que son revenu avait accusé une baisse depuis le 13 août 2008. M. Harrigan estime que la baisse résultait de ses activités syndicales. C’est ce qui explique la demande d’ordonnance provisoire des Teamsters visant à maintenir les conditions d’emploi des employés.

[22] Transpro, quant à elle, a allégué dans ses affidavits que tout le travail avait été attribué exactement ainsi qu’il l’avait été précédemment.

III – Observations des parties

A – Teamsters

[23] Les Teamsters ont invoqué deux arguments principaux dans leur demande d’ordonnance provisoire. Premièrement, ils ont fait valoir que Transpro avait essentiellement admis avoir enfreint le Code, notamment en déclarant à un organisateur syndical qu’il était congédié et en déclarant à d’autres employés que l’entreprise fermerait ses portes en cas de syndicalisation.

[24] Deuxièmement, les Teamsters ont fait valoir que les propriétaires-exploitants qui étaient la cible de la campagne de recrutement avaient subi une baisse du revenu depuis que la campagne était devenue publique.

[25] Les Teamsters ont fait valoir qu’une ordonnance provisoire visant à protéger les revenus était nécessaire, puisque la baisse du revenu des propriétaires-exploitants signifiait qu’ils seraient peut-être contraints de quitter Transpro pour se chercher un autre emploi mieux rémunéré. Dans les faits, cela paralyserait l’efficacité de la campagne de recrutement.

[26] Même si Transpro maintient que les affaires sont menées comme elles l’étaient auparavant, les Teamsters contestent cette affirmation et prétendent qu’aucune réponse précise n’a été opposée à l’allégation selon laquelle les personnes qui avaient participé à la campagne de recrutement avaient subi une baisse du revenu.

[27] Les Teamsters ont fait valoir que le Conseil doit remédier au fait que, à leur avis, les employés « crèvent de faim » à l’heure actuelle, à défaut de quoi toute la plainte de pratique déloyale de travail pourrait devenir théorique.

B – Transpro

[28] Transpro a fait valoir que la demande était en réalité une tentative des Teamsters de soutenir une campagne de recrutement qui avait échoué. Deuxièmement, elle a soutenu que les Teamsters souhaitaient que le Conseil rende une ordonnance à caractère punitif prévoyant notamment le maintien des gains antérieurs des employés, sans égard aux difficultés économiques qui pourraient avoir une incidence sur l’entreprise.

[29] Transpro a fait valoir que les employés obtiennent du travail comme ils en ont obtenu par le passé, sans aucun changement. Si le revenu des employés a changé, c’est par suite d’un ralentissement du travail chez Transpro.

[30] Transpro a contesté ce qu’elle a appelé l’« ordonnance draconienne » demandée par les Teamsters, étant donné le contexte économique difficile. Une ordonnance provisoire accordant aux employés un revenu garanti et faisant fi de la baisse des volumes serait fort préjudiciable à Transpro.

[31] Transpro a également fait valoir que la preuve par affidavit anecdotique des Teamsters, y compris la preuve contenant des informations dont la source n’est pas révélée, ne devrait pas l’emporter sur la preuve par affidavit claire produite par Transpro sur la situation actuelle de l’entreprise et la manière dont le travail est attribué. Elle a examiné les conditions énoncées à l’article 18 du Règlement et fait remarquer que le déposant doit fournir la source de ses informations. Transpro a fait valoir que les affidavits des Teamsters contenaient un trop grand nombre d’exemples de sources anonymes.

[32] Transpro s’est prononcée également sur l’analyse de la prépondérance des inconvénients qu’elle proposait au Conseil d’entreprendre. De l’avis de Transpro, il serait tout à fait déraisonnable de la forcer à garantir le revenu des employés, compte tenu d’une preuve fort contestée. Transpro a fait valoir que la plupart des cas d’ordonnance provisoire portent sur le rétablissement dans ses fonctions d’un employé clé qui a été congédié. Elle a allégué également qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas de congédiement d’un représentant syndical clé, mais d’un cas où une entreprise a tenu des propos malvenus, puis a corrigé ces erreurs immédiatement.

[33] Transpro a également fait valoir que permettre aux Teamsters de rencontrer des employés pendant les heures de travail irait à l’encontre de l’esprit de l’alinéa 95d) du Code et ferait fi du fait que les propriétaires-exploitants sont rémunérés sur le seul fondement des kilomètres qu’ils parcourent.

[34] Transpro a rejeté toutes les mesures de redressement demandées et a prétendu également que les commissions des relations de travail n’adjugent pas les frais, tout particulièrement dans les cas de demande d’ordonnance provisoire.

C – Réplique des Teamsters

[35] Les Teamsters ont fait valoir que Transpro fournissait sa propre preuve au sujet du succès de la campagne de recrutement des Teamsters. Rien ne justifiait les conclusions qu’elle a demandé au Conseil de tirer.

[36] Les Teamsters a indiqué qu’il existe une preuve non contestée selon laquelle la campagne s’était bien déroulée jusqu’aux événements du 13 août 2008.

[37] Les Teamsters ont rappelé au Conseil qu’il détenait un vaste pouvoir de redressement et que maintenir le revenu des employés représente le seul moyen d’assurer que les parties sont sur le même pied d’égalité, étant donné ce qui s’est produit.

[38] Les Teamsters ont également fait valoir que Transpro n’a déposé aucune preuve pour contredire les témoignages produits par les déposants qui confirmaient que leur revenu avait diminué depuis que la campagne était devenue publique.

[39] De l’avis des Teamsters, le Conseil peut ordonner le maintien du salaire des employés et peut ensuite superviser l’effet de son ordonnance.

IV – Analyse et décision

[40] Par souci de commodité, l’article 19.1 du Code dit ce qui suit :

19.1 Dans le cadre de toute affaire dont il connaît, le Conseil peut, sur demande d’un syndicat, d’un employeur ou d’un employé concerné, rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie.

[41] Contrairement à l’article 98 de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, qui fournit beaucoup de directives à la Commission des relations de travail de l’Ontario sur la manière dont elle peut rendre une ordonnance provisoire et le moment où elle autorisée à le faire, le Code confère plutôt au Conseil le vaste pouvoir discrétionnaire énoncé à l’article 19.1.

[42] Quels sont les « objectifs » de la partie I du Code au sens où ce terme est utilisé à l’article 19.1?

[43] Le préambule du Code aide à cerner certains des objectifs qui sous-tendent la partie I, comme l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et la liberté d’association :

Attendu : qu’il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;

que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations du travail fructueuses permettant d’établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs;

que le gouvernement du Canada a ratifié la Convention no 87 de l’Organisation internationale du travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical et qu’il s’est engagé à cet égard à présenter des rapports à cette organisation;

que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu’il estime que l’établissement de bonnes relations du travail sert l’intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès,

Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte...

[44] L’article 8 du Code confirme la liberté fondamentale de tous les employés d’adhérer à un syndicat. Les employeurs jouissent d’un droit semblable d’adhérer à une organisation patronale :

8.(1) L’employé est libre d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites.

(2) L’employeur est libre d’adhérer à l’organisation patronale de son choix et de participer à ses activités licites.

[45] Même si le Code encourage la pratique des libres négociations collectives et la liberté d’association, il exige également qu’un syndicat jouisse de l’appui de la majorité au sein d’une unité habile à négocier collectivement pour jouir des droits et des privilèges que le Code confère à un agent négociateur accrédité :

28. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a) il a été saisi par le syndicat d’une demande d’accréditation;

b) il a défini l’unité de négociation habile à négocier collectivement;

c) il est convaincu qu’à la date du dépôt de la demande, ou à celle qu’il estime indiquée, la majorité des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

[46] Un employeur n’est pas tenu au silence au cours d’une campagne de recrutement et peut exprimer un point de vue personnel. Cependant, le Code a également pour objectif clair d’empêcher les employeurs de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses ou d’user indûment de leur influence lorsque les employés songent à se prévaloir des libertés fondamentales qui sont énoncées à l’article 8. L’alinéa 94(2)c) reconnaît la liberté d’expression limitée de l’employeur, mais il en souligne également les limites :

94.(2) Ne constitue pas une violation du paragraphe (1) le seul fait pour l’employeur :

...

c) soit d’exprimer son point de vue, pourvu qu’il n’ait pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace.

[47] Les nombreuses pratiques déloyales de travail énoncées à l’article 94 et les pouvoirs de redressement du Conseil prévus aux articles 99 et 99.1 ont pour but d’appuyer un objectif clé du Code, à savoir que les employeurs ne peuvent pénaliser les employés, sous forme par exemple d’un congédiement, d’une mise à pied, d’une mesure disciplinaire ou d’une autre forme d’intimidation, parce qu’ils examinent et exercent leurs libertés fondamentales en vertu du Code.

[48] Le Conseil n’a pas mis au point de critère définitif aux fins d’une demande présentée aux termes de l’article 19.1. Il doit faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de son pouvoir de rendre des ordonnances provisoires. Il sait bien que, lorsque les faits pertinents sont contestés, rendre une ordonnance pourrait avoir comme conséquence non souhaitée de conférer un privilège ou un avantage à une partie. Chaque partie a fait valoir que rendre une ordonnance, ou refuser de le faire, donnerait à l’autre partie un avantage injuste.

[49] De l’avis du Conseil, se garder de rendre une ordonnance provisoire lorsque celle-ci serait justifiée porte préjudice à une partie, qui se retrouve alors dans une situation inéquitable, en attendant qu’une audience soit tenue et qu’une décision sur le bien-fondé de l’affaire soit rendue.

[50] Dans la présente affaire, les Teamsters ont convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire.

[51] Même si la portée et la mesure des commentaires de Transpro et des gestes posés devront être déterminées dans le cadre de l’audience sur le bien-fondé de la plainte de pratique déloyale de travail, Transpro ne nie pas que ses propriétaires ont exprimé à des organisateurs syndicaux clés et à des représentants des Teamsters des opinions qui amèneraient une personne raisonnable à croire que son emploi était en péril et que l’entreprise fermerait ses portes si l’effort de syndicalisation se poursuivait.

[52] Bien que Transpro paraisse avoir tiré profit des conseils d’un avocat chevronné en droit du travail et qu’elle ait pris certaines mesures pour modifier les gestes qu’elle avait posés, le mal était fait. Même si M. Mohammed n’a pas été congédié de droit après que l’on eut consulté un conseiller juridique, le fait est que les propriétaires de l’entreprise lui ont dit qu’il était congédié. La lettre du 15 août 2008 aux employés sur leurs droits est bien plus qu’un simple résumé des droits des employés en vertu du Code. Cela ne signifie pas cependant que le Conseil en est arrivé à la conclusion que cette lettre a violé le Code.

[53] Une ordonnance provisoire a pour but d’assurer la « réalisation des objectifs » de la partie I du Code. Les Teamsters ont convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire faisant en sorte que les employés de Transpro connaissent les libertés que leur garantit le Code et qu’ils puissent examiner ces libertés fondamentales sans craindre d’être victimes de représailles.

[54] Cependant, le Conseil n’est pas convaincu qu’il y a lieu d’ordonner le maintien des conditions d’emploi étant donné que la question de savoir s’il y a eu un changement a été vivement contestée. Cette question sera abordée dans le cadre de l’audience sur le bien-fondé de la plainte. Le Conseil conserve un vaste pouvoir de redressement, selon sa conclusion sur le bien-fondé de la plainte des Teamsters. Conformément à la pratique qu’il a adoptée par le passé, le Conseil n’adjugera pas les frais dans la présente demande d’ordonnance provisoire.

V – Ordonnance

[55] Par conséquent, après avoir examiné les documents et les observations des parties, le Conseil ordonne à Transpro, en vertu de l’article 19.1 du Code :

1. d’afficher l’avis joint (Annexe A) dans un endroit bien en vue dans son établissement, où il est le plus susceptible d’attirer l’attention des employés et propriétaires-exploitants de Transpro;

2. de distribuer une copie de la présente décision à tous les employés et propriétaires-exploitants de Transpro;

3. de se garder de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses et d’user indûment de son influence relativement au droit des employés et des propriétaires-exploitants de déterminer s’ils souhaitent ou non adhérer à un syndicat.


Annexe A

Code canadien du travail

Avis aux employés

Affiché sur ordonnance du Conseil canadien des relations industrielles

Le Conseil canadien des relations industrielles a ordonné à Transpro d’afficher le présent avis et de se garder de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses ou d’user indûment de son influence relativement au droit des employés et des propriétaires-exploitants de déterminer s’ils souhaitent ou non adhérer à un syndicat.

Le Conseil n’a tenu aucune audience sur le bien-fondé de la plainte de pratique déloyale de travail des Teamsters et n’a encore tiré aucune conclusion à cet égard. Cependant, il a rendu une ordonnance provisoire parce que certains gestes posés par Transpro peuvent avoir eu une incidence sur le droit des Teamsters et celui des employés et propriétaires-exploitants de Transpro d’examiner et d’exercer leurs droits en vertu du Code.

Chaque employé et propriétaire-exploitant est libre d’adhérer au syndicat de son choix et de participer aux activités syndicales licites.

Les employés et propriétaires-exploitants ont le droit de ne pas être victimes de discrimination ou de ne pas être pénalisés par un employeur du seul fait qu’ils cherchent à exercer leurs droits en vertu du Code.

L’alinéa 94(2)c) du Code permet à un employeur ou à une personne qui agit pour le compte d’un employeur d’exprimer un point de vue personnel sur un syndicat, pourvu que l’employeur n’ait pas recours à la coercition, à l’intimidation, à la menace, qu’il ne fasse aucune promesse et qu’il n’ait pas usé indûment de son influence.

Le Conseil détient un vaste pouvoir de redressement pour remédier aux violations du Code.

Ceci est un avis officiel du Conseil qu’on ne doit ni enlever ni altérer.

Le présent avis doit demeurer affiché chez Transpro pendant 60 jours de travail consécutifs dans un endroit où il est le plus susceptible d’attirer l’attention des employés et des propriétaires-exploitants visés de Transpro.

Fait ce 3e jour de novembre 2008.

Graham Clarke
Vice-président

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