Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Mike Kryshewsky,

plaignant,

et

Société canadienne des postes,

intimée.

CITÉ : Mike Kryshewsky

Dossier du Conseil : 25872-C

Référence neutre : 2008 CCRI 412
Le 7 juillet 2008


Il s’agit d’une plainte déposée en vertu de l’article 147 du Code canadien du travail, Partie II (le Code).

Services postaux – Santé et sécurité – Fardeau de la preuve – Pratique et procédure – Le syndicat a déposé une plainte alléguant que l’employeur avait imposé une sanction pécuniaire au plaignant parce qu’il s’était prévalu des droits prévus par la partie II du Code – Le plaignant est un facteur rural et suburbain – Le plaignant a invoqué son droit de refuser un travail dangereux lorsqu’il a refusé de livrer le courrier en le passant par la fenêtre du côté passager de son véhicule – Le plaignant craignait de se blesser à cause des gestes difficiles répétitifs dans une position incorfortable qu’il devait faire pour livrer le courrier de cette façon – Un agent de santé et de sécurité a donné raison au plaignant – L’employeur a informé les propriétaires des boîtes aux lettres rurales faisant partie de l’itinéraire du plaignant qu’il mettait fin à la livraison du courrier à leurs boîtes aux lettres et qu’ils allaient devoir prendre leur courrier dans un bureau de poste local – Comme le plaignant avait besoin de moins de temps pour livrer le courrier à ces deux boîtes postales communautaires, son revenu a chuté – Le plaignant a allégué que cette baisse de revenu résultait directement du fait qu’il s’était prévalu de ses droits en vertu de la partie II du Code – Le paragraphe 133(6) du Code inverse la charge de la preuve et l’impose à la partie alléguant qu’il n’y a pas eu de contravention – Le plaignant a démontré qu’il avait subi une importante baisse de revenu peu après s’être prévalu de son droit de refuser de travailler – C’est donc l’employeur qui est chargé de convaincre le Conseil que la baisse de revenu du plaignant ne constituait pas une sanction pécuniaire qui lui avait été imposée, en tout ou en partie, parce qu’il s’était prévalu de son droit de refuser un travail dangereux – L’employeur s’est acquitté de sa charge de la preuve – Le Conseil est convaincu que la décision de l’employeur de passer à deux boîtes postales communautaires a été prise par suite de la conclusion d’un agent de santé et de sécurité – Même s’il existait d’autres solutions, le Conseil n’est pas d’avis que la décision de l’employeur d’utiliser deux boîtes postales communautaires, plutôt que d’opter pour les autres solutions, signifie qu’il voulait imposer une sanction pécuniaire au plaignant pour avoir fait part de ses craintes pour sa sécurité – Le Conseil souligne que l’emploi de boîtes aux lettres multiples ou de boîtes postales communautaires était une des propositions avancées par le Comité mixte de santé et de sécurité et par plusieurs personnes intéressées, dont le plaignant lui-même – La position de l’employeur devant l’agent de santé et de sécurité, de même que son choix d’une solution qui lui avait été recommandée par diverses parties intéressées, a convaincu le Conseil que la malheureuse baisse de revenu du plaignant ne constituait pas une sanction pécuniaire imposée pour avoir agi conformément à la partie II du Code – Le Conseil rejette la plainte.


Le Conseil, composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu de l’article 156 du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (le Code) a examiné la plainte susmentionnée.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I–Relations du travail) habilite le Conseil à trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier
M. Gordon Fischer, pour M. Mike Kryshewsky;
Me Zygmunt Machelak, pour la Société canadienne des postes.

I – Nature de la plainte

[1] Le 9 août 2006, M. Mike Kryshewsky a déposé une plainte alléguant que la Société canadienne des postes (SCP) avait violé l’article 147 du Code en imposant à M. Kryshewsky une sanction pécuniaire parce qu’il s’était prévalu des droits prévus par la partie II du Code.

[2] L’affaire a été réassignée en mai 2008 au présent banc composé d’un seul membre, en vertu de l’alinéa 12.01(1)a) et de l’article 156 du Code.

II – Les faits

[3] M. Kryshewsky, un facteur rural et suburbain (FRS), travaille dans la région de Dauphin, au Manitoba.

[4] En août 2005, M. Kryshewsky s’est prévalu de son droit de refuser un travail dangereux parce qu’il craignait d’être heurté par d’autres véhicules à un endroit donné de son itinéraire. Le problème a été résolu avec l’aide d’un agent de sécurité de la SCP. Le Comité mixte de santé et de sécurité s’est aussi penché sur la question et s’est demandé s’il ne serait pas préférable d’utiliser des boîtes aux lettres multiples.

[5] M. Kryshewsky était en congé pour six mois, de septembre 2005 à mars 2006, quand la SCP a mis en oeuvre ses Procédures de sécurité professionnelle (PSP) à l’intention des facteurs ruraux et suburbains, en vertu desquelles les FRS comme M. Kryshewsky devaient livrer le courrier dans les boîtes aux lettres rurales en le passant par la fenêtre du côté passager de leur véhicule.

[6] Avant de partir en congé, M. Kryshewsky devait sortir de son véhicule pour mettre le courrier dans les boîtes aux lettres des clients.

[7] Le 9 mars 2006, juste après son retour au travail, M. Kryshewsky a invoqué une seconde fois son droit de refuser un travail dangereux en vertu de la partie II du Code, lorsqu’il a refusé de livrer le courrier en le passant par la fenêtre du côté passager de son véhicule. Il craignait de se blesser à cause des gestes difficiles répétitifs dans une position incorfortable qu’il devait faire pour livrer le courrier de cette façon.

[8] M. Kryshewsky a rencontré un représentant local de la SCP, en compagnie du coprésident du Comité mixte de santé et de sécurité, pour trouver des solutions. Ils en ont conjointement proposé trois, dont la mise en place de boîtes aux lettres multiples (BLM) à différents endroits ou l’embauche d’un assistant chargé de mettre le courrier dans les boîtes aux lettres en le passant par la fenêtre du côté du passager. La SCP a rejeté ces propositions en déclarant que les PSP étaient appropriées.

[9] Un agent de santé et de sécurité nommé en vertu de la partie II du Code a enquêté sur le second refus de travailler de M. Kryshewsky. Et M. Kryshewsky et la SCP lui ont fait part de leur point de vue sur la question de savoir si livrer le courrier en le passant par la fenêtre du côté du passager constituait un danger.

[10] Le 22 mars 2006, l’agent de santé et de sécurité a donné raison à M. Kryshewsky; il l’a ensuite confirmé le 12 avril 2006 dans une décision écrite. D’après cet agent, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les gestes répétitifs nécessaires pour passer le courrier par la fenêtre du côté droit du véhicule causent une blessure. Qui plus est, arrêter le véhicule sur la route devant chaque boîte aux lettres l’exposait au risque d’être heurté par un autre véhicule.

[11] Le 30 mars 2006, la SCP a informé les propriétaires des boîtes aux lettres rurales faisant partie de l’itinéraire de M. Kryshewsky qu’elle mettait fin à la livraison du courrier à leurs boîtes aux lettres et qu’ils allaient devoir prendre leur courrier dans un bureau de poste local. Par la suite, elle a installé deux boîtes postales communautaires pour ses clients dans ce secteur.

[12] Comme M. Kryshewsky avait besoin de moins de temps pour livrer le courrier à ces deux boîtes postales communautaires, son revenu a chuté de plus de 11 000 $. Il a allégué que cette baisse de revenu résultait directement du fait qu’il s’était prévalu de ses droits en vertu de la partie II du Code.

[13] La SCP a fait valoir que c’était M. Kryshewsky lui-même qui avait proposé l’emploi de boîtes postales communautaires dans le passé, en raison de ses craintes pour sa sécurité, et que la baisse de son revenu n’était attribuable qu’à une diminution de sa charge de travail. Cette baisse ne constituait pas une sanction pécuniaire imposée parce qu’il s’était prévalu de ses droits en vertu de la partie II du Code.

[14] Ni l’une ni l’autre des parties n’ont demandé que le Conseil tienne une audience en l’espèce.

III – Dispositions législatives

[15] L’alinéa 147c) de la partie II du Code interdit à un employeur d’imposer une sanction pécuniaire à un employé pour s’être prévalu des droits prévus par la partie II du Code :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

...

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c’est nous qui soulignons)

[16] Le paragraphe 133(1) du Code autorise un employé ou son représentant à porter plainte par écrit au Conseil :

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

[17] Dans les cas où un employé invoque son droit de refuser un travail dangereux, le paragraphe 133(6) du Code inverse la charge de la preuve et l’impose à la partie alléguant qu’il n’y a pas eu contravention de la partie II du Code :

133.(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[18] M. Kryshewsky a démontré qu’il avait subi une importante baisse de revenu peu après s’être prévalu de son droit de refuser de travailler.

[19] C’est donc la SCP qui est chargée de convaincre le Conseil que la baisse de revenu de M. Kryshewsky ne constituait pas une sanction pécuniaire qui lui avait été imposée, en tout ou en partie, parce qu’il s’était prévalu de son droit de refuser un travail dangereux.

IV – Analyse et décision

[20] Le Conseil n’a aucun doute que M. Kryshewsky a toujours été de bonne foi en disant craindre pour sa sécurité. En outre, un agent de santé et de sécurité s’est dit d’accord avec M. Kryshewsky pour dire que le travail qu’on lui enjoignait de faire en application des PSP constituait un danger pour lui.

[21] Le Conseil a néanmoins conclu que la SCP s’est acquittée de sa charge de la preuve en démontrant que sa décision d’utiliser des boîtes postales communautaires n’a pas été prise par mesure de représailles contre M. Kryshewsky pour avoir exprimé ses craintes pour sa sécurité.

[22] Le Conseil est convaincu que la décision de la SCP de passer à deux boîtes postales communautaires a été prise par suite de la conclusion d’un agent de santé et de sécurité qu’il était dangereux pour les FRS de livrer le courrier comme on demandait à M. Kryshewsky de le faire.

[23] Même s’il existait d’autres solutions, le Conseil n’est pas d’avis que la décision de la SCP d’utiliser deux boîtes postales communautaires plutôt que d’opter pour les autres solutions signifie qu’elle voulait imposer une sanction pécuniaire à M. Kryshewsky pour avoir fait part de ses craintes pour sa sécurité.

[24] Le Conseil souligne que l’emploi de BLM ou de boîtes postales communautaires était une des propositions avancées par le Comité mixte de santé et de sécurité et par plusieurs personnes intéressées, dont M. Kryshewsky lui-même.

[25] De plus, dans sa décision du 10 avril 2006, l’agent de santé et de sécurité a résumé les arguments de droit de la SCP selon lesquels livrer le courrier conformément aux PSP ne constituait pas un danger. La SCP avait soutenu, dans sa réponse à la démarche de M. Kryshewsky quand celui-ci s’était prévalu de ses droits en vertu du Code, qu’on pourrait apaiser toutes ses craintes pour sa sécurité en modifiant son véhicule.

[26] La SCP a tenté de défendre ses PSP; si elle avait réussi à le faire, elle aurait pu poursuivre la livraison personnelle du courrier à ses clients, ce qui aurait maintenu la charge de travail connexe de M. Kryshewsky.

[27] La position de la SCP devant l’agent de santé et de sécurité, de même que son choix d’une solution qui lui avait été recommandée par diverses parties intéressées, a convaincu le Conseil que la malheureuse baisse de revenu de M. Kryshewsky ne constituait pas une sanction pécuniaire imposée pour avoir agi conformément à la partie II du Code.

[28] Pour tous les motifs qui précèdent, le Conseil rejette la plainte.

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