Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Motifs de décision

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies,

requérante,

et

Genesee & Wyoming inc., exploitée sous la raison sociale Huron Central Railway HCRY,

employeur.

CITÉ : Genesee & Wyoming inc., exploitée sous la raison sociale Huron Central Railway HCRY

Dossier du Conseil : 26192-C

Décision no 388
Le 10 juillet 2007


Demande d’accréditation présentée en vertu de l’article 24 du Code canadien du travail, Partie I.

Demande d’accréditation – Exactitude de la preuve d’adhésion – Pratique et procédure – Le syndicat a présenté une demande d’accréditation en y joignant le certificat d’exactitude signé qui a été utilisé au cours du processus d’accréditation – L’enquête du Conseil a permis de constater que certaines des cartes d’adhésion n’avaient pas été signées par les personnes dont le nom figurait sur la carte – Le syndicat a indiqué qu’il souhaitait retirer trois des cartes qu’il avait jointes au départ à sa demande d’accréditation – L’agent enquêteur a demandé au syndicat de lui fournir une explication sur les trois cartes d’adhésion qu’il avait demandé au Conseil de retirer – Le syndicat n’a pas répondu – Le processus d’accréditation prévu au Code confère certains privilèges importants aux requérants – Ces privilèges imposent à tout requérant et au Conseil l’obligation d’assurer l’exactitude de la preuve d’adhésion qui est soumise – Le Conseil est d’avis que le dépôt d’une preuve d’adhésion irrégulière par la requérante doit entraîner le rejet de la demande d’accréditation.


Le Conseil était composé de Me Graham Clarke, Vice-président, et de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham Clarke, Vice-président.

I – Introduction

[1] Les présents motifs de décision portent sur une demande d’accréditation présentée au Conseil le 16 mars 2007. Le Conseil a décidé de rejeter la demande d’accréditation en raison des doutes sérieux qu’il éprouvait au sujet de l’exactitude de la preuve d’adhésion de la requérante.

[2] Dans les présents motifs, on explique la manière dont le Conseil en est arrivé à cette conclusion.

II – Faits

[3] La Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies (la requérante), a présenté une demande d’accréditation auprès du Conseil en vue de représenter approximativement 20 employés de Genesee & Wyoming Inc., exploitée sous la raison sociale Huron Central Railway (l’employeur). La requérante a déposé auprès du Conseil le certificat d’exactitude qui a été utilisé au cours du processus d’accréditation et qui a permis de confirmer notamment que les demandes d’adhésion « ont effectivement été signées par les employés intéressés, aux dates indiquées, et qu’elles ont été acceptées au nom du syndicat ».

[4] Le certificat d’exactitude signé a permis de confirmer également « que les cotisations syndicales ou les droits d’adhésion inscrits comme ayant été reçus ont de fait été versés par les employés intéressés, en leur propre nom et aux dates indiquées ».

[5] La requérante a reconnu également, en signant le certificat d’exactitude, « que l’agent enquêteur détient le pouvoir d’étudier et de vérifier tous les documents et déclarations présentés par les parties à la présente demande ».

[6] Au cours de l’enquête menée par le Conseil, l’agent enquêteur s’est demandé si certains des employés dont le nom figure sur les cartes d’adhésion soumises avaient effectivement signé ces cartes et payé les droits requis de 5 $.

[7] Dans une lettre datée du 18 avril 2007, la requérante, par l’intermédiaire de son conseiller juridique, a indiqué qu’elle souhaitait retirer trois des cartes qu’elle avait jointes au départ à sa demande d’accréditation.

[8] Dans une lettre datée du 2 mai 2007, l’agent enquêteur a demandé à la requérante, en lui laissant plusieurs messages, de lui fournir les coordonnées des personnes qui étaient chargées de recueillir les cartes pour la requérante, dont leurs nom et prénom, leur adresse et leurs numéros de téléphone résidentiels.

[9] Cette demande de l’agent enquêteur est restée sans réponse.

[10] Dans une autre lettre, datée du 18 mai 2007, l’agent enquêteur a demandé à la requérante de répondre à sa lettre du 2 mai 2007 concernant les coordonnées des personnes qui étaient chargées de recueillir les cartes d’adhésion et de lui fournir une explication sur les trois cartes d’adhésion qu’elle avait demandé au Conseil de retirer.

[11] L’agent enquêteur a mentionné à la requérante que son enquête confidentielle indiquait que les signatures figurant sur les cartes ne correspondaient pas à celles qu’il avait obtenues. En outre, les personnes en cause paraissaient ne pas avoir payé les droits requis de 5 $.

[12] La requérante n’a pas répondu à la seconde demande de renseignements de l’agent enquêteur.

III – Analyse et décision

[13] Bien que certaines provinces tendent à privilégier la tenue de scrutins obligatoires dans le cadre de toute demande d’accréditation, le Code continue de privilégier un processus d’accréditation fondé sur la signature de cartes d’adhésion. À l’issue de la révision la plus récente du Code – au milieu des années 1990 – le groupe de travail Sims a recommandé, dans son rapport intitulé Vers l’équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision (Ottawa : Développement des ressources humaines Canada, 1995), de laisser intact le processus d’accréditation fondé sur la signature de cartes d’adhésion. Les modifications apportées au Code en 1999 n’ont pas inclus la tenue de scrutins de représentation obligatoires dans le processus d’accréditation.

[14] Le processus d’accréditation prévu au Code confère certains privilèges importants aux requérants. Non seulement le Conseil se prononcera-t-il habituellement sur l’appui dont jouit l’agent négociateur à la date de la présentation de la demande d’accréditation, mais il ordonnera à titre exceptionnel seulement la tenue d’un scrutin de représentation si un requérant a déposé une majorité de cartes d’adhésion signées en sa faveur.

[15] Ces privilèges imposent à tout requérant et au Conseil l’obligation d’assurer l’exactitude de la preuve d’adhésion qui est soumise.

[16] Le Conseil, par l’entremise de ses agents des relations du travail, effectue un examen confidentiel de la preuve d’adhésion du requérant pour s’assurer que celle-ci est exacte et qu’elle exprime clairement la volonté des membres de l’unité de négociation proposée. Le Conseil ne peut accorder les avantages importants qu’offre le Code qu’à ceux qui satisfont aux exigences législatives claires.

[17] La preuve d’adhésion est à la fois confidentielle et extrêmement délicate. L’agent enquêteur rédige, à l’intention du Conseil seulement, un rapport confidentiel concernant l’exactitude de cette preuve. Les tribunaux ont toujours protégé cette fonction du Conseil, qui ressortit à l’intérêt public, et la nécessité de ne pas divulguer le contenu du rapport aux parties (voir Maritime-Ontario Freight Lines Limited c. Teamsters Local Union 938 (2001), 278 N.R. 142 (C.A.F., dossier no A-574-00)).

[18] Dans la présente affaire, l’enquête menée par l’agent enquêteur a permis de constater que certaines des cartes d’adhésion n’avaient pas été signées par les personnes dont le nom figurait sur la carte. Le Conseil est convaincu que cette conclusion est juste.

[19] L’agent enquêteur a, à deux reprises, demandé à la requérante de lui fournir certains renseignements. L’omission de cette dernière de répondre aux demandes de renseignements écrites de l’agent confirme également la conclusion du Conseil selon laquelle la requérante a déposé une preuve d’adhésion irrégulière et inexacte dans son désir d’être accréditée.

[20] Malheureusement, ce n’est pas la première fois que le Conseil doit se pencher sur un cas de tentative par une partie de contourner les exigences claires du Code. Dans l’affaire Technair Aviation Ltée (1990), 81 di 146; et 14 CLRBR (2d) 68 (CCRT no 812), le Conseil canadien des relations du travail, le prédécesseur du Conseil actuel, a été appelé à se pencher sur un cas semblable.

[21] Dans l’affaire Technair Aviation Ltée, précitée, l’agent enquêteur avait informé les parties de certaines irrégularités relevées au cours de l’enquête confidentielle sur la preuve d’adhésion. On a donné au syndicat requérant l’occasion de formuler des commentaires sur les irrégularités alléguées.

[22] Plutôt que de profiter de cette occasion qui lui était offerte, le syndicat requérant a écrit au Conseil et lui a demandé de retirer sa demande.

[23] Le Conseil a permis de nouveau au syndicat requérant de formuler des commentaires, à défaut de quoi il trancherait la demande d’accréditation.

[24] Le syndicat requérant a envoyé une autre lettre, dans laquelle il s’est dit étonné de ne pouvoir retirer sa demande. À titre subsidiaire, il a proposé la tenue d’un scrutin de représentation. Le Conseil a rejeté la demande d’accréditation. Le Conseil n’est pas tenu d’accueillir la demande de désistement d’un requérant. Il peut ou non y consentir. De même, un scrutin de représentation ne permet pas de remédier aux irrégularités relevées dans la preuve d’adhésion d’un requérant.

[25] Dans l’affaire Technair Aviation Ltée, précitée, le Conseil avait mis au jour la falsification de signatures d’employés sur certaines cartes d’adhésion. Il a refusé de passer outre à la preuve d’adhésion invalide et de soustraire les cartes du nombre total des cartes d’adhésion soumises à l’appui de l’accréditation. Le Conseil a plutôt conclu que des irrégularités fondamentales avaient été commises et qu’il n’avait d’autre choix que de rejeter la demande du syndicat.

[26] Dans l’affaire Technair Aviation Ltée, précitée, le Conseil en est arrivé à la conclusion suivante :

Le Conseil considère essentiel que les dispositions du Code et du Règlement soient appliquées dans toute leur plénitude et en tout temps. Le Conseil a toujours rigoureusement, et avec raison, interprété et appliqué le Code de façon à ce que le droit d’association s’exerce en toute liberté. Un des moyens pour arriver à cette fin est la confidentialité attachée à l’appartenance syndicale, confidentialité qui a pour effet d’exclure l’employeur d’une partie de l’enquête entourant une demande d’accréditation (voir Réseau de Télévision Quatre Saisons Inc. (1990), 79 di 195; et 90 CLLC 16,047 (CCRT no 779)). Cette approche est bien fondée et elle doit continuer à prévaloir. En contre-partie, toutefois, le Conseil doit prendre les moyens de s’assurer, justement, que l’exercice du droit d’association se fait librement et conformément à la loi. Des situations comme celles révélées dans le présent dossier ne présentent pas cette caractéristique. Par ailleurs, aucun motif valide de nature à favoriser l’établissement de saines relations de travail n’a été soumis par le requérant au soutien de sa demande de désistement.

(pages 157-158; et 79)

[27] Dans la présente affaire, le Conseil est d’avis lui aussi que le dépôt d’une preuve d’adhésion irrégulière par la requérante doit entraîner le rejet de la demande d’accréditation. Ainsi que le prévoit l’article 38 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, la requérante devra, en raison de ce rejet, attendre six mois avant de présenter une nouvelle demande d’accréditation.

[28] Dans l’affaire K.D. Marine Transport Ltd. (1982), 51 di 130; et 83 CLLC 16,009 (CCRT no 400), le Conseil canadien des relations du travail a déjà indiqué que les conséquences seront immédiates et graves dans les affaires de ce genre :

Le Conseil est parfaitement conscient de la nécessité d’obtenir des preuves sur les adhésions syndicales et accorde beaucoup d’importance à l’authenticité des documents démontrant les désirs des employés. Toute fraude ou falsification de cartes de membres ou des dossiers, comme des signatures contre-faites, des cartes postdatées ou antidatées, ou méthodes incorrectes de paiement des frais d’adhésion, pourrait entraîner des conséquences immédiates et graves.

(pages 144; et 16,076)

[29] On pourrait soutenir que le fait de rejeter simplement une demande d’accréditation et d’appliquer l’interdiction de présenter une demande d’accréditation pendant six mois ne semble pas être une « conséquence grave », puisque le syndicat requérant qui est de bonne foi pourrait voir sa demande d’accréditation rejetée et pourrait devoir faire face à la même interdiction.

[30] Toutefois, dans les cas où un syndicat requérant continue d’adopter le type de comportement auquel le Conseil a conclu dans la présente affaire, ce dernier pourrait décider notamment d’ordonner la tenue de scrutins de représentation aux fins d’une demande d’accréditation subséquente ou de vérifier l’exactitude des accréditations passées en vertu du pouvoir de révision général dont il est investi. Heureusement, de telles mesures n’ont pas été requises par le passé.

[31] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande d’accréditation est rejetée. Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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