Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Mikeal Totten,

requérant,

et

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies,

intimée,

et

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (maintenant connue sous le nom de chemin de fer Canadien Pacifique Kansas City),

employeur.

Dossier du Conseil : 035820-C

Référence neutre : 2024 CCRI 1110

Le 30 janvier 2024

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, et de Mes Annie G. Berthiaume et Sylvie M.D. Guilbert, Vice‑présidentes.

Représentants des parties au dossier

M. Mikeal Totten, en son propre nom;

M. Wade Phillips, pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies;

Me Trisha Gain, pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (maintenant connue sous le nom de chemin de fer Canadien Pacifique Kansas City).

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la demande sans tenir d’audience.

I. Nature de la demande et contexte

[2] Le 22 juin 2022, M. Mikeal Totten (le requérant) a présenté, en vertu de l’article 18 du Code, une demande de réexamen de la décision rendue par le Conseil dans Totten, 2022 CCRI LD 4723 (LD 4723).

[3] Cette décision portait sur une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) contre la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies (le syndicat). Dans cette plainte, le requérant soutenait que le syndicat avait agi de manière arbitraire, discriminatoire et entachée de mauvaise foi lorsqu’il a refusé d’appuyer sa demande d’indemnisation à la suite de la mise en œuvre d’une entente de la dernière chance (EDC) négociée entre les parties.

[4] Dans la LD 4723, le Conseil a conclu que M. Totten n’avait pas établi de preuve suffisante à première vue que son syndicat avait manqué à son DRJ, et il a rejeté la plainte. Plus précisément, le Conseil a conclu que le requérant n’avait pas démontré que le syndicat avait, dans son défaut d’appuyer la demande d’indemnisation du requérant, agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi.

[5] Dans la présente demande de réexamen, le requérant fait valoir deux arguments principaux.

[6] Il soutient que le Conseil a mal interprété les éléments de preuve présentés à l’appui de sa plainte. Il affirme que le Conseil a mal compris sa position, et que ses conclusions à cet égard étaient erronées et injustes. Il demande au Conseil de réexaminer sa décision à la lumière des renseignements qui figuraient initialement au dossier et des renseignements supplémentaires fournis à l’appui de la présente demande.

[7] Le requérant soutient également que le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le syndicat n’avait pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi dans le traitement de sa demande d’indemnisation. En outre, il soutient que le Conseil semble avoir accepté, comme étant crédible, uniquement l’interprétation du syndicat en ce qui concerne l’EDC négociée entre les parties et avoir omis de tenir compte des documents qu’il a déposés à l’appui de sa plainte de manquement au DRJ.

[8] Le Conseil note que le requérant a, le 17 juin 2022, présenté une demande de contrôle judiciaire de la LD 4723 et que la Cour fédérale a récemment renvoyé cette demande à la Cour d’appel fédérale (CAF). Dans sa demande, M. Totten soutient essentiellement que le Conseil a fondé sa décision dans la LD 4723 sur des renseignements faux et trompeurs. La demande est toujours en instance devant la CAF au moment de la publication des présents motifs.

[9] Après avoir examiné attentivement les documents versés au dossier, le Conseil rejette la demande de réexamen présentée par le requérant.

II. Analyse et décision

[10] Le pouvoir du Conseil de réexaminer ses décisions se trouve à l’article 18 du Code, et il est bien établi. L’article 18 prévoit que le Conseil « peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet » (c’est nous qui soulignons). Le Conseil a eu recours à cet article à diverses fins, notamment pour réexaminer les décisions qu’il a rendues en vertu de la partie I (Relations du travail) du Code; de la partie II (Santé et sécurité au travail) du Code, relativement aux plaintes pour représailles; et de la partie III du Code (Durée normale du travail, salaire, congés et jours fériés).

[11] Ainsi, le pouvoir du Conseil de réexaminer ses décisions est discrétionnaire, et celui-ci ne l’exerce pas souvent. Le Conseil ne réexaminera ses décisions que dans des circonstances exceptionnelles (voir Rana c. Fraternité internationale des Teamsters, section locale 938, 2020 CAF 190; et Melville, 2021 CCRI 987). Il en est ainsi parce que les décisions du Conseil sont censées être définitives (voir le paragraphe 22(1) du Code).

[12] Le Conseil a récemment expliqué son processus de réexamen dans Melville et a fourni des indications concernant son pouvoir discrétionnaire d’intervenir dans l’une de ses décisions. Il a rappelé que « le processus de réexamen n’[est] pas une procédure d’appel et qu’il ne [doit] pas être utilisé comme un moyen de présenter à nouveau les observations présentées devant le banc initial » (paragraphe 11). Il a ajouté que « le requérant doit soulever une question sérieuse et présenter un dossier convaincant concernant l’un des trois motifs de réexamen » (paragraphe 42). Le Conseil a reconnu les trois principaux motifs de réexamen suivants :

[13] Il incombe au requérant d’établir l’existence de l’un des motifs de réexamen susmentionnés.

[14] Néanmoins, le Conseil reçoit couramment des demandes de réexamen qui ne font que plaider une cause une deuxième fois. Dans bon nombre de ces cas, les mêmes requérants présentent simultanément une demande de contrôle judiciaire à la CAF, ce qui peut mener à un dédoublement de la procédure. Les motifs restreints qui peuvent justifier une intervention du Conseil à la suite d’un réexamen sont bien établis. Or, le Conseil remarque que les requérants ont une tendance notable et croissante à lui demander essentiellement de réexaminer ses décisions parce qu’ils ne sont pas d’accord avec l’issue de l’affaire. Il semble que le rôle du Conseil relativement aux demandes de réexamen soit mal compris, ce qui a incité le Conseil à simplifier le processus de réexamen et la manière dont il traite les demandes de cette nature. Le Conseil souhaite profiter des présents motifs pour clarifier le processus de réexamen, réaffirmer les principes directeurs qui s’y appliquent et expliquer ce à quoi les parties peuvent s’attendre à l’avenir.

A. Motifs de réexamen

1. Des faits nouveaux qui ne pouvaient être obtenus auparavant

[15] Il peut arriver que des faits nouveaux soient découverts après que le Conseil a rendu sa décision. Comme le Conseil l’a expliqué dans Melville, il ne procédera à un réexamen pour ce motif que s’il conclut que le requérant n’aurait pu obtenir les faits nouveaux et les exposer plus tôt en faisant preuve de diligence raisonnable et en déployant des efforts suffisants. Le Conseil doit également être persuadé que les faits nouveaux auraient probablement modifié la décision initiale. Ainsi, les faits doivent être importants au regard de la ou des questions principales tranchées par le Conseil dans la décision initiale.

[16] Il ne suffit pas simplement de présenter des renseignements supplémentaires au Conseil pour justifier que celui-ci procède à un réexamen. Il incombe à la partie qui soulève les faits nouveaux de démontrer pourquoi elle n’a pas été en mesure de fournir ces renseignements durant la procédure initiale et de convaincre le Conseil qu’ils auraient modifié l’issue de l’affaire.

[17] D’après l’expérience du Conseil, les parties contestent souvent une décision parce qu’elles ne sont pas d’accord avec sa conclusion. Le cas échéant, celles-ci demandent au Conseil de revoir ses conclusions en fonction des faits et des éléments de preuve qui ont été présentés durant la procédure initiale.

[18] D’abord, il convient de souligner que le Conseil, dans ses décisions, n’est pas tenu de faire mention de tous les éléments de preuve présentés par une partie ni de répondre à chacun des arguments qu’elle a soulevés (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62; 3 R.C.S. 708).

[19] Ensuite, le Conseil réitère qu’une demande de réexamen n’est pas censée constituer, pour le requérant, une deuxième chance de plaider sa cause ni une occasion de demander au Conseil de réévaluer les éléments de preuve et de substituer sa propre évaluation ou interprétation des faits à celle du banc initial. Lors de la procédure initiale, il incombe au banc d’examiner tous les éléments et les circonstances de l’affaire et de soupeser les renseignements fournis par toutes les parties, puis de tirer des conclusions sur les faits et d’appliquer le droit à ces faits (voir Jaime, 2018 CCRI 886; et Williams c. Section locale 938 de la Fraternité Internationale des Teamsters, 2005 CAF 302 (Williams)). Cela n’est donc pas le rôle du Conseil en matière de réexamen.

[20] Dans le cadre d’une demande de réexamen, le Conseil n’interviendra pas simplement sur la base de l’opinion d’une partie qui estime que celui-ci n’a pas compris les faits ou qu’il a tiré la mauvaise conclusion. En résumé, le Conseil doit être convaincu qu’il y a des faits nouveaux qui n’auraient pu être obtenus au cours de la procédure initiale en faisant preuve d’une diligence raisonnable. De plus, le Conseil doit être persuadé que les faits en question sont importants au regard de la ou des questions principales qu’il devait trancher et qu’ils auraient modifié l’issue de l’affaire. Or, il s’agit d’un critère exigeant qui n’est pas souvent rempli.

2. Une erreur grave dans l’interprétation du Code

[21] Comme il a été expliqué dans Melville, il peut y avoir des situations où le Conseil a commis une erreur de droit ou de principe qui remette véritablement en question l’interprétation du Code. Par exemple, le Conseil peut décider de donner suite à une demande de réexamen si la décision initiale contient une erreur grave dans l’interprétation du Code ou dans l’application d’un critère juridique, ou si la décision qui fait l’objet d’un réexamen établit un nouveau précédent ou modifie une politique établie sans qu’il y ait eu un examen suffisant. Il est fondamental que le Conseil tienne compte de ces circonstances et les rectifie au besoin.

[22] Le Conseil ne procédera à un réexamen pour ce motif que s’il conclut que la demande soulève, à première vue, une question importante de droit ou de principe qui jette un doute sérieux sur l’interprétation du Code par le Conseil. En substance, l’erreur doit être telle qu’elle nécessite l’intervention du Conseil pour éviter toute confusion au sein des entités sous réglementation fédérale, parce que la décision initiale s’écarte nettement des précédents établis et remet significativement en question l’interprétation ou l’application du Code.

[23] Il ne suffit pas de présenter les mêmes arguments ou d’ajouter des arguments qui auraient dû être présentés au banc initial (voir Melville; et Buckmire, 2013 CCRI 700). Il ne suffit pas non plus d’affirmer que l’erreur est importante ou substantielle ni de citer une décision dans laquelle le Conseil a tiré une conclusion différente. Il incombe à la partie alléguant que le Conseil a commis une erreur de droit de démontrer que l’erreur de droit alléguée soulève de sérieuses préoccupations quant à l’interprétation du Code ou de la politique du Conseil et pose un risque considérable pour l’application cohérente et ordonnée du Code. Ainsi, le requérant doit décrire la question de droit ou le principe en cause; l’erreur exacte dans la décision initiale; et en quoi l’erreur présumée soulève de sérieuses préoccupations quant à l’interprétation du Code par le Conseil.

[24] Dans le cadre d’une demande de réexamen, le Conseil n’interviendra pas uniquement parce qu’une partie soutient qu’il a commis une erreur de droit.

3. Un manquement aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle

[25] Les parties ont certains droits procéduraux lorsqu’elles participent à une procédure devant le Conseil. La violation par le Conseil de l’un de ces droits serait également considérée comme un motif valable de réexamen. Les droits procéduraux peuvent être divisés en deux grandes catégories : (1) le droit d’être dûment informé de l’instance et d’avoir la possibilité de se faire entendre; et (2) le droit d’être jugé par un décideur impartial sans parti pris.

[26] En ce qui concerne la possibilité de se faire entendre, le Conseil doit veiller à ce que les participants au processus soient informés de l’instance et aient la possibilité de faire connaître leurs points de vue et leurs positions sur les questions que tranche le Conseil. Ainsi, le Conseil peut décider de donner suite à une demande de réexamen s’il conclut que cela n’a pas été le cas.

[27] Toutefois, le Conseil souhaite rappeler aux parties qu’il dispose de vastes pouvoirs procéduraux en vertu de l’article 16 du Code et que, conformément à l’article 16.1 du Code, il peut trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience en personne ou de vive voix. Par conséquent, il est essentiel que les parties à une procédure fournissent leurs observations complètes par écrit lorsqu’elles sont invitées à le faire, car le Conseil peut se prononcer sur une question sans aucun autre avis. Si une partie néglige ou refuse de fournir sa position ou ses renseignements par écrit, elle ne pourra invoquer un manquement aux principes d’équité procédurale comme motif de réexamen.

[28] Le Conseil n’interviendra pour ce motif que lorsqu’une partie à une procédure n’a pas eu la possibilité de participer au processus.

[29] En ce qui concerne le droit d’être jugé par un décideur impartial sans parti pris, le Conseil doit agir avec impartialité dans l’exercice de ses fonctions quasi judiciaires. Il ne peut avoir de prédisposition envers un résultat ou une partie en particulier. Le Conseil et les tribunaux ont confirmé qu’un décideur est présumé être impartial, à moins que des éléments de preuve n’indiquent le contraire (voir Association des employeurs maritimes, 2019 CCRI 909, confirmée par la CAF dans Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs, section locale 375 (Syndicat canadien de la fonction publique), 2020 CAF 29).

[30] Il ne suffit pas d’attirer l’attention sur certaines constatations ou conclusions dans la décision du Conseil pour étayer une allégation de partialité (voir TELUS Communications Inc., 2005 CCRI 317). Le fardeau de démontrer que le décideur a un parti pris et qu’il est partial incombe à la partie qui fait cette allégation.

[31] Il est important de souligner que le Conseil a été établi en qualité de conseil représentatif. Les membres du Conseil ont tous travaillé au sein de différentes organisations, dont des cabinets d’avocats, des employeurs sous réglementation fédérale et des syndicats locaux ou nationaux qui représentent les employés de divers secteurs et industries. Les membres ont, dans le cadre de ces affectations, acquis les connaissances et l’expérience nécessaires pour s’acquitter correctement et avec compétence de leurs fonctions à titre de membres du Conseil. Le Code prévoit expressément que la présidente peut confier certaines affaires à des bancs tripartites, composés d’un membre qui représente l’employeur et d’un membre qui représente les employés. Ces bancs ont de l’expérience et des connaissances en matière de relations du travail et d’emploi, ce qui leur permet de rendre des décisions éclairées. Les affiliations antérieures des membres de ces bancs peuvent soulever des questions quant à l’objectivité et à l’impartialité des décisions rendues en faveur d’une partie ou d’une autre. Toutefois, vu la structure législative qui régit le Conseil, l’existence de ces liens antérieurs ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité en l’absence d’autres motifs (voir TELUS Communications Inc., 2001 CCRI 125; et Beaulieu, 2011 CCRI 570).

[32] Le Conseil prend très au sérieux les allégations de partialité, mais elles doivent être fondées sur des faits et des éléments de preuve réels. Essentiellement, la partie qui soutient que le décideur n’est pas impartial doit démontrer qu’une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... [croirait] que... [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » (voir Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369).

[33] Le Conseil ne procédera à un réexamen pour un motif de partialité que s’il conclut que la demande soulève, à première vue, des questions sérieuses relatives à la partialité, fondées sur des faits et des éléments de preuve réels. Le Conseil n’interviendra pas uniquement parce qu’une partie soutient que les constatations ou les conclusions du Conseil démontrent un parti pris ou en raison des antécédents de l’arbitre en matière de relations du travail et d’emploi.

B. Recevabilité de la demande

[34] Il importe de souligner qu’une demande de réexamen doit être présentée dans les 30 jours suivant la date où la décision du Conseil a été rendue (voir le paragraphe 45(2) du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement)). Cependant, le Conseil peut proroger le délai (voir l’alinéa 16m.1) du Code et l’article 46 du Règlement).

[35] Selon la jurisprudence du Conseil et le principe du caractère définitif de ses décisions, le Conseil s’abstient généralement de proroger le délai pour la présentation d’une demande de réexamen, à moins qu’il n’existe des raisons impérieuses de le faire (voir l’article 22 du Code). Pour décider s’il proroge le délai prescrit aux fins de la présentation d’une demande de réexamen, le Conseil examinera la question de savoir si le requérant a fait preuve d’une diligence raisonnable (voir Société Radio-Canada (1994), 93 di 214 (CCRT no 1056)). De plus, c’est au requérant qu’il incombe de fournir des motifs suffisants pour justifier une prorogation de délai (voir VIA Rail Canada inc., 2007 CCRI 381).

[36] Avant d’examiner les motifs de réexamen, le Conseil doit d’abord établir si la demande a été présentée dans le délai prescrit. Si ce n’est pas le cas, elle examinera si le requérant a justifié son retard. Le Conseil acceptera de proroger le délai uniquement dans des circonstances exceptionnelles qui étaient indépendantes de la volonté du requérant.

[37] Si le Conseil conclut que la demande a été présentée hors délai et qu’elle n’est pas assortie de motifs suffisants pour justifier de proroger le délai, il rejettera sommairement la demande.

C. Application à la présente affaire

[38] Après examen du critère qui permet de déterminer s’il y a lieu de réexaminer ses ordonnances et ses décisions, le Conseil se penche maintenant sur la présente affaire. Le Conseil doit d’abord établir la recevabilité de la demande.

1. Recevabilité de la demande

[39] La LD 4723 a été rendue le 18 mai 2022. Le Conseil constate que la demande de réexamen est datée du 28 mai 2022. Or, le Conseil l’a reçue le 22 juin 2022, soit plus de 30 jours après la date à laquelle il a rendu la décision. La demande n’a donc pas été présentée dans le délai prescrit.

[40] Comme il a été expliqué précédemment, le Conseil possède le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai fixé pour la présentation d’une demande. Il examinera si le requérant a fait preuve de diligence raisonnable et si des circonstances exceptionnelles l’ont empêché de présenter sa demande à temps.

[41] En l’espèce, le requérant mentionne qu’il a des problèmes de santé qui ont une incidence sur sa vie quotidienne. Il soutient qu’il a « de la difficulté à s’exprimer » (traduction). Le Conseil comprend que le requérant puisse rencontrer des difficultés à présenter les arguments qu’il avance à l’appui de sa demande. Toutefois, rien ne montre que ses problèmes de santé l’ont empêché de présenter sa demande à temps.

[42] Le Conseil est d’avis que le requérant n’a pas présenté de justification suffisante pour le convaincre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de proroger le délai. Ainsi, la demande est rejetée au motif qu’elle est irrecevable.

2. Bien-fondé de la demande

[43] Même si le Conseil avait accepté de proroger le délai en raison des allégations du requérant concernant son état de santé, il aurait quand même rejeté la demande sur le fond. Le Conseil doit trancher une question en l’espèce : le requérant a-t-il soulevé un motif qui justifie le réexamen de la décision LD 4723 et fourni des arguments et des renseignements suffisants à l’appui de sa demande?

[44] Compte tenu des observations que le requérant a présentées, le Conseil n’est pas convaincu que ce dernier ait réussi à démontrer la preuve d’un motif valable de réexamen en l’espèce.

[45] Premièrement, le requérant soutient que le Conseil a mal interprété les éléments de preuve présentés à l’appui de sa plainte. Il affirme que le Conseil a mal compris sa position et qu’il aurait dû interpréter différemment les faits qui lui ont été présentés.

[46] Le requérant réitère essentiellement les mêmes faits que ceux qui ont été présentés au banc initial et demande au Conseil de réévaluer ces mêmes faits pour en arriver à un résultat différent. Toutefois, comme il a été expliqué ci-dessus et confirmé par la CAF, le Conseil ne peut substituer sa propre appréciation des faits à celle du banc initial (voir Williams). Les renseignements supplémentaires déposés à l’appui de la présente demande ne constituent que des arguments supplémentaires à l’appui de la position initialement adoptée devant le Conseil par le requérant.

[47] Le Conseil est convaincu que le banc initial a pris en compte tous les éléments de preuve fournis par le requérant. Il s’est fondé sur les documents que le requérant avait présentés à l’appui de sa plainte et sur les renseignements supplémentaires qu’il avait été invité à déposer concernant les questions particulières soulevées dans la plainte. Le Conseil ne réexaminera pas les faits et les documents présentés dans le cadre de l’instance initiale pour trancher la question de savoir s’il aurait tiré une conclusion différente. Cela n’est pas l’objet d’une demande de réexamen.

[48] Par conséquent, le Conseil conclut que le requérant n’a pas établi de faits nouveaux qui donneraient lieu à un réexamen de la décision initiale.

[49] Deuxièmement, le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le syndicat n’avait pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi dans le traitement de sa demande d’indemnisation. En outre, il soutient que le Conseil semble avoir accepté, comme étant crédible, uniquement l’interprétation du syndicat en ce qui concerne l’EDC négociée entre les parties et avoir omis de tenir compte des documents qu’il avait déposés à l’appui de sa plainte de manquement au DRJ.

[50] Le Conseil doit déterminer si la demande permet d’établir, à première vue, une erreur de principe ou de droit importante. Le Conseil ne réexaminera ses décisions pour ce motif que si l’erreur de droit soulève de sérieuses préoccupations quant à l’interprétation du Code ou de la politique du Conseil (voir Melville).

[51] En l’espèce, le requérant avance que le Conseil a commis une erreur, sans toutefois expliquer la nature ou la gravité de l’erreur. Le Conseil n’a pas été convaincu pas plus qu’il ne conclut qu’il ait commis une erreur qui jette un doute sérieux sur l’interprétation du Code. La décision ne crée pas de précédent et ne concerne pas une nouvelle disposition ni un nouvel argument. De l’avis du Conseil, les erreurs alléguées par le requérant reposent sur les faits particuliers de l’affaire, lesquels ont été examinés et soupesés par le banc initial.

[52] Il ne suffit pas de présenter les mêmes arguments que ceux qui ont été présentés au banc initial. Par conséquent, le Conseil conclut que le requérant n’a pas établi l’existence d’une erreur importante de droit ou de principe qui pourrait donner lieu à un réexamen.

[53] Comme il a été mentionné précédemment, le Conseil n’exercera généralement son pouvoir discrétionnaire de réexamen que si le requérant présente un dossier convaincant lié à l’un des trois motifs de réexamen. La demande de réexamen du requérant ne satisfait pas à ce critère. Par conséquent, le Conseil a jugé inutile d’obtenir des observations de la part du syndicat et a décidé de rejeter sommairement la demande.

[54] Le Conseil fait également remarquer que la demande de contrôle judiciaire présentée à la CAF est toujours en instance et que le requérant pourra, au moment opportun, exposer à la CAF les raisons pour lesquelles il n’est pas d’accord avec la LD 4723.

D. Conclusion

[55] Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que la demande de réexamen du requérant est irrecevable. Même si la demande avait été considérée comme ayant été présentée à temps, le requérant n’a soulevé aucun motif qui justifierait le réexamen de la LD 4723, Par conséquent, la demande est rejetée.

III. Nouvelle approche dans l’analyse des demandes de réexamen

[56] Ayant tranché la présente demande, le Conseil passera maintenant à la manière dont il traitera dorénavant les demandes de réexamen.

[57] Comme il a été mentionné plus haut dans les présents motifs, le nombre de demandes de réexamen a augmenté considérablement au cours des deux dernières années. Le Conseil doit donc simplifier le processus de réexamen et la manière dont il traite ces demandes afin d’assurer une saine gestion de sa charge de travail dans le domaine et une utilisation efficace de ses ressources limitées.

A. Le réexamen n’est pas une condition préalable à une demande de contrôle judiciaire

[58] Le Conseil souligne que, dans bien des cas, les requérants qui présentent une demande de réexamen au Conseil présentent en même temps une demande de contrôle judiciaire à la CAF. Il est alors fréquent que les parties demandent à la CAF de suspendre la demande de contrôle judiciaire jusqu’à ce que le Conseil ait tranché la demande de réexamen. Si la demande de réexamen est rejetée, une deuxième demande de contrôle judiciaire est souvent présentée à la CAF. Il en résulte un dédoublement des procédures et une utilisation inefficace des ressources judiciaires, ce qui n’est pas dans l’intérêt public.

[59] Le Conseil souhaite rappeler aux parties que le processus de réexamen prévu à l’article 18 du Code n’est pas une procédure d’appel établie par la loi. En d’autres termes, une demande de réexamen n’est pas une condition préalable pour présenter une demande de contrôle judiciaire à la CAF.

[60] La CAF a confirmé que le processus de réexamen du Conseil ne constitue pas un autre recours approprié, subsidiairement à la procédure de contrôle judiciaire (voir Rogers Communications Canada Inc. c. Metro Cable T.V. Maintenance, 2017 CAF 127, aux paragraphes 16‑18) et a, en 2021, réaffirmé qu’il n’était pas nécessaire de présenter une demande de réexamen avant de présenter une demande de contrôle judiciaire (voir Ducharme c. Air Transat A.T. Inc., 2021 CAF 34).

[61] Bref, une partie qui est mécontente d’une décision du Conseil peut directement présenter une demande de contrôle judiciaire à la CAF. Il n’y a pas lieu de présenter une demande de réexamen au Conseil avant de présenter, ou dans le but de présenter, une demande de contrôle judiciaire à la CAF. En outre, le critère de réexamen que le Conseil applique ne vise pas à reproduire la procédure de contrôle judiciaire de la CAF. Le Conseil n’examine pas le caractère raisonnable du raisonnement exposé dans ses décisions ou de leur résultat. Au contraire, la portée du pouvoir de réexamen du Conseil est beaucoup plus restreinte que la portée d’un contrôle judiciaire. Le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire de réexaminer des décisions seulement en de très rares occasions. Par conséquent, les requérants devraient tenir compte de ces conditions pour déterminer si la présentation d’une demande de réexamen est approprié et s’il constitue une utilisation efficace des ressources.

B. Le réexamen est discrétionnaire

[62] L’article 18 du Code prévoit que le Conseil « peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet ». Le Conseil a recours à cet article à diverses fins. Par exemple, c’est au titre de cet article que le Conseil examine les descriptions d’unités de négociation contenues dans les ordonnances d’accréditation existantes à la suite d’un changement organisationnel. De même, c’est en vertu de ce pouvoir que le Conseil peut modifier une ordonnance d’accréditation pour tenir compte de la création de nouveaux postes. Le Conseil peut également intervenir dans ses ordonnances ou ses décisions pour corriger une erreur technique ou un oubli manifeste. Par ailleurs, le Conseil peut, de son propre chef, procéder à un réexamen s’il a connaissance d’un problème, procédural ou non, susceptible d’avoir eu une incidence sur l’une de ses décisions (voir A.S.P. Incorporated, 2010 CCRI 538). Si une erreur de droit ou de compétence ou si un sérieux problème de justice naturelle est porté à son attention, le Conseil n’a pas besoin d’attendre un contrôle judiciaire pour agir et corriger la situation.

[63] C’est en vertu de ce vaste pouvoir discrétionnaire que le Conseil accepte les demandes de réexamen de ses décisions. L’objectif du processus de réexamen est de permettre au Conseil de corriger des erreurs évidentes dans ses décisions et de concilier des interprétations du Code diamétralement divergentes afin d’apporter certitude et clarté à ceux qui sont régis par les dispositions du Code. Ce pouvoir de réexamen permet au Conseil d’agir sans que l’intervention d’une cour soit nécessaire. Cependant, les requérants ont de plus en plus tendance à utiliser le processus de réexamen pour contester les décisions du Conseil, parce qu’ils ne sont pas satisfaits du résultat et qu’ils cherchent à obtenir une décision différente. Comme il a été expliqué précédemment, le processus de réexamen ne prévoit pas de droit d’appel; il n’oblige pas le Conseil à réexaminer les faits et à rendre une nouvelle décision. Si la demande est présentée dans le délai prescrit, le Conseil exercera son pouvoir discrétionnaire de réexamen d’une décision antérieure seulement si le requérant invoque l’un des trois motifs énoncés plus haut, que l’on peut ainsi résumer :

  1. un fait nouveau qui n’aurait pu être communiqué au Conseil dans le cadre de la procédure initiale, et ce, même en faisant preuve d’une diligence raisonnable, et qui aurait probablement modifié la décision;

  2. une erreur grave de droit ou de principe qui soulève de sérieuses préoccupations quant à l’interprétation et à l’application du Code;

  3. un manquement aux principes de justice naturelle qui a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du requérant.

[64] Le critère de réexamen est exigeant, et le Conseil intervient rarement pour réviser ou modifier ses décisions.

[65] Toutefois, d’après l’expérience du Conseil, le processus de réexamen est souvent utilisé pour plaider l’affaire initiale une seconde fois ou pour exprimer son mécontentement à l’égard des conclusions de fait et des décisions du Conseil. Les requérants soutiennent généralement que le fait, pour le Conseil, de ne pas avoir adopté leur position équivaut à une grave erreur de droit ou de fait. Le Conseil consacre beaucoup de temps et de ressources à l’examen des questions soulevées dans ces demandes. Dans certains cas, le Conseil résume essentiellement les faits et explique le droit une seconde fois pour démontrer que la décision initiale ne comportait pas d’erreur. Il en résulte un dédoublement de la procédure et une utilisation inefficace des ressources. Le réexamen n’est pas, et ne devrait pas être, un processus dans lequel le Conseil doit réexpliquer le droit et justifier sa décision initiale.

[66] Afin de garantir une utilisation prudente et judicieuse de ses ressources, le Conseil estime qu’il est nécessaire de simplifier la manière dont il traite les demandes de réexamen. Ainsi, ces demandes n’amèneront plus le Conseil à exposer tous les faits une seconde fois ou à réexpliquer le droit applicable; un banc du Conseil l’aura déjà fait dans la décision initiale, et le Conseil ne mobilisera pas ses ressources limitées pour refaire l’exercice. Au lieu de cela, le Conseil appliquera un processus d’examen préliminaire, tel qu’il est décrit ci-après.

C. Processus d’examen préliminaire

[67] À la lumière de ses observations sur le processus de réexamen et de son large pouvoir discrétionnaire, le Conseil mettra en œuvre un nouveau processus d’examen préliminaire pour ce type de demandes.

[68] Dans toute demande le réexamen d’une décision du Conseil, le requérant doit présenter sa demande dans le délai prescrit, soulever une question sérieuse et produire un dossier convaincant concernant l’un des trois motifs de réexamen. Il ne suffit pas de présenter les mêmes arguments ou d’ajouter des arguments qui auraient dû être présentés au banc initial.

[69] Dès réception d’une demande de réexamen, les parties en seront informées, mais aucune observation ne sera demandée à ce moment-là.

[70] Un banc du Conseil effectuera un premier examen de la demande de réexamen afin de déterminer s’il y a lieu d’y donner suite. S’il conclut que la demande de réexamen est hors délai ou qu’elle ne soulève pas, à première vue, de manière appropriée ou convaincante l’un des trois motifs susmentionnés, le Conseil n’examinera pas la demande et la rejettera sommairement dans une courte décision-lettre. Le Conseil est d’avis qu’il n’est pas nécessaire de fournir de longs motifs expliquant pourquoi la demande ne remplit pas le critère requis pour justifier son intervention. En rejetant la demande, le Conseil refusera en fait de s’écarter du raisonnement qu’il a exposé dans sa décision initiale et donnera pleinement effet au caractère définitif de ses décisions, tel qu’il est énoncé dans le Code (voir, par exemple, le paragraphe 22(1) du Code).

[71] En revanche, si le Conseil estime que la demande a été présenté dans le délai prescrit et que l’un des trois motifs a été soulevé à juste titre dans les circonstances, il demandera à la partie adverse de présenter ses observations et jugera l’affaire sur le fond.

[72] Le processus d’examen préliminaire est un exercice discrétionnaire explicite dans le cadre duquel le Conseil évalue l’importance des erreurs alléguées et la nécessité de son intervention. Ce processus est similaire au processus de demande d’autorisation d’appel, mais il est fondé sur le pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil par l’article 18 du Code.

[73] De l’avis du Conseil, cette approche assurera une utilisation prudente et judicieuse de ses ressources tout en respectant les droits et les recours des parties prévus par le Code, et elle est conforme à celle d’autres conseils et commissions des relations du travail qui ont mis en œuvre une approche simplifiée semblable relativement aux demandes de réexamen (voir Construction and General Workers’ Union, Local No. 92 and Mikisew Maintenance Ltd. / MM Limited Partnership and Mikisew Fleet Maintenance / MFM Limited Partnership, [2021] Alta. L.R.B.R. LD‑037).

 

 

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Ginette Brazeau
Présidente

 

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Annie G. Berthiaume
Vice-présidente

 

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Sylvie M.D. Guilbert
Vice-présidente

 

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