Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et

Société canadienne des postes; Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc.; Les services Santé Claude Gervais inc.; Entreprise David Tan inc.; Gestion Noura A. Shahid inc., Gestions Fortier-Allan inc.; 2321-5510 Québec inc.,

employeurs,

et

Uniprix inc.; 3908852 Canada inc.; Bishara Pharma inc.; Société J. Lacroix inc.; Gestion Morico inc.; Louise Fortin Paquette Pharmacienne; Familiprix inc.; Groupe Hébert, Ferlatte inc.; Gingras, Hébert et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.; Hébert et Associé, Pharmaciens, s.e.n.c.; Charest-Pharma inc.; St-Louis Pharma inc.; Pointe Ste-Foy Pharma inc.; Hébert, Ferlatte et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.; Pharmacie Sylvie Champagne Pharmacien inc.; Pharmacie Mathieu Sabourin et Mathieu Labonté Pharmaciens inc.,

parties intéressées.

Dossier du Conseil : 27977-C

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et

Société canadienne des postes; Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc.; Les entreprises Kim Luu inc.; Les gestions Magdi Tebechrani inc.; 9183-0067 Québec inc.; Service de Gestion Jean-Michel Guillotte inc.; 9159-8532 Québec inc.,

employeurs,

et

Uniprix inc.; 3908852 Canada inc.; Bishara Pharma inc.; Société J. Lacroix inc.; Gestion Morico inc.; Louise Fortin Paquette Pharmacienne; Familiprix inc.; Groupe Hébert, Ferlatte inc.; Gingras, Hébert et Associés Pharmaciens s.e.n.c.; Hébert et Associé, Pharmaciens, s.e.n.c.; Charest-Pharma inc.; St Louis Pharma inc.; Pointe Ste-Foy Pharma inc.; Hébert, Ferlatte et Associés, Pharmaciens s.e.n.c.; Pharmacie Sylvie Champagne Pharmacien inc.; Pharmacie Mathieu Sabourin et Mathieu Labonté Pharmaciens inc.,

parties intéressées.

Dossier du Conseil : 27978-C

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et

Société canadienne des postes; Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc.; Gestions Lucap inc.; 9070-4701 Québec inc.; Carophil inc.; Gestion Lise Hamel-Chartrand inc.; Gestion Riteal inc.; La corporation de gestion E.A. Michot,

employeurs,

et

Uniprix inc.; 3908852 Canada inc.; Bishara Pharma inc.; Société J. Lacroix inc.; Gestion Morico inc.; Louise Fortin Paquette Pharmacienne; Familiprix inc.; Groupe Hébert, Ferlatte inc.; Gingras, Hébert et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.; Hébert et Associé, Pharmaciens, s.e.n.c.; Charest-Pharma inc.; St-Louis Pharma inc.; Pointe Ste-Foy Pharma inc.; Hébert, Ferlatte et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.; Pharmacie Sylvie Champagne Pharmacien inc.; Pharmacie Mathieu Sabourin et Mathieu Labonté Pharmaciens inc.; Gestion H.B. Duyen Nguyen (2010) inc.,

parties intéressées.

Dossier du Conseil : 27979-C

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et

Société canadienne des postes; Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc.; 9186-9750 Québec inc.; Gestion Christian Duguay inc.; 9195-9965 Québec inc.; Les gestions Syl-Von inc.; Gestion Réjean Mimeault inc.; Entreprises AD Sidera inc.; 9209-3152 Québec inc.,

employeurs,

et

Uniprix inc.; 3908852 Canada inc.; Bishara Pharma inc.; Société J. Lacroix inc.; Gestion Morico inc.; Louise Fortin Paquette Pharmacienne; Familiprix inc.; Groupe Hébert, Ferlatte inc.; Gingras, Hébert et Associés, Pharmaciens s.e.n.c.; Hébert et Associé, Pharmaciens, s.e.n.c.; Charest-Pharma inc.; St-Louis Pharma inc.; Pointe Ste-Foy Pharma inc.; Hébert, Ferlatte et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.; Pharmacie Sylvie Champagne Pharmacien inc.; Pharmacie Mathieu Sabourin et Mathieu Labonté Pharmaciens inc.,

parties intéressées.

Dossier du Conseil : 27980-C

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

requérant,

et

Société canadienne des postes; Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc.; 9013-5617 Québec inc.; 2970-9177 Québec inc.; 9199-8468 Québec inc.; Entreprises Jami Elate inc.; 7302622 Canada inc.,

employeurs,

et

Uniprix inc.; 3908852 Canada inc.; Bishara Pharma inc.; Société J. Lacroix inc.; Gestion Morico inc.; Louise Fortin Paquette Pharmacienne; Familiprix inc.; Groupe Hébert, Ferlatte inc.; Gingras, Hébert et Associés, Pharmaciens s.e.n.c.; Hébert et Associé, Pharmaciens, s.e.n.c.; Charest-Pharma inc.; St-Louis Pharma inc.; Pointe Ste-Foy Pharma inc.; Hébert, Ferlatte et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.; Pharmacie Sylvie Champagne Pharmacien inc.; Pharmacie Mathieu Sabourin et Mathieu Labonté Pharmaciens inc.,

parties intéressées.

Dossier du Conseil : 27981-C

Référence neutre : 2013 CCRI 690

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, ainsi que de MM. Patrick J. Heinke et Norman Rivard, Membres, a étudié les dossiers mentionnés ci-dessus.

Ont comparu
Mes Jean-François Beaudry et Stéphanie Lindsay, pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes;
Mes Luc Beaulieu et Lukasz Granosik, pour la Société canadienne des postes;
Mes Guy Lemay, Josiane L’Heureux et Guy Lavoie, pour Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc.;
Me Richard Lacoursière, pour Les services Santé Claude Gervais inc., Gestion Noura A. Shahid inc., et Gestions Fortier-Allan inc.;
Mes Christopher Deehy et Shawn Connely, pour Entreprise David Tan inc., 2321-5510 Québec inc.;
Me Sylvie Thibault, pour 9070-4701 Québec inc., 9183-0067 Québec inc., 9159-8532 Québec inc., Carophil Inc.,
Me Paul A. Venne, pour Service de Gestion Jean-Michel Guillotte inc.;
Me Shai Mergui, pour Gestion Lucap inc.;
Me Nancy Boyle, pour Gestion H.B. Duyen Nguyen (2010) inc., Gestion Riteal inc.;
Mes Louis-Philippe Bourgeois et Louis-Philippe Taddeo, pour La corporation de gestion E.A. Michot;
Me Marc Charland, pour Les entreprises Kim Luu inc., Les gestions Magdi Tebechrani inc.,
Mes Sylvain Lefebvre et Amélie Fahey, pour Gestion Christian Duguay inc., 9195-9965 Québec inc., 9186-9750 Québec inc., Entreprises AD Sidera inc., Gestion Réjean Mimeault inc., Gestion Christian Duguay inc.;
Me Pierre Martel, pour Les gestions Syl-Von inc., Entreprises Jami Elate inc.;
Mes Marie Garel et Jean-René Ranger, pour 9199-8468 Québec inc.;
Me David Banon, pour 7302622 Canada inc.;
Me Annie Francescon, pour Uniprix inc.;
Mes Philippe-André Tessier et Jean-Denis Boucher, pour 3908852 Canada inc., Bishara Pharma inc., Société J. Lacroix inc., Gestion Morico inc., Louise Fortin Paquette Pharmacienne;
Me Jacques Reeves, pour Familiprix inc.;
Me Simon-Pierre Hébert, pour Groupe Hébert, Ferlatte inc., Gingras, Hébert et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c., Charest-Pharma inc., St-Louis Pharma inc., Pointe Ste-Foy Pharma inc., Hébert, Ferlatte et Associés, Pharmaciens, s.e.n.c.;
Me Dany Milliard, pour Pharmacie Sylvie Champagne Pharmacien inc.;
Me Luc Jobin, pour Pharmacie Mathieu Sabourin et Mathieu Labonté Pharmaciens inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

I. Nature des demandes

[1] Il s’agit de cinq demandes d’accréditation déposées simultanément par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le STTP ou le syndicat) le 26 février 2010 en vertu de l’article 24 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) et de cinq demandes de déclaration d’employeur unique en vertu de l’article 35 du Code. Le syndicat cherche à être accrédité pour représenter des employés travaillant aux comptoirs postaux de différentes pharmacies franchisées (les franchisés) de Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc. (Pharmaprix), circonscrites dans un secteur géographique donné. Le syndicat vise la Société canadienne des postes (la SCP ou Postes Canada) à titre d’employeur des employés des comptoirs postaux et subsidiairement, il soutient que la SCP, Pharmaprix et les franchisés forment un employeur unique dans chacun des dossiers. Les employeurs visés par les demandes, selon les cinq secteurs géographiques visés dans les cinq dossiers en instance, sont les suivants :

[2] Dossier 27977-C : la SCP, Pharmaprix, Les services Santé Claude Gervais inc., Entreprise David Tan inc., Gestion Noura A. Shahid inc., Gestions Fortier-Allan inc. et 2321-5510 Québec inc.;

[3] Dossier 27978-C : la SCP, Pharmaprix, Les entreprises Kim Luu inc., Les gestions Magdi Tebechrani inc., 9183-0067 Québec inc., Service de Gestion Jean-Michel Guillotte inc. et 9159-8532 Québec inc.;

[4] Dossier 27979-C : la SCP, Pharmaprix, Gestions Lucap inc., 9070-4701 Québec inc., Carophil inc., Gestion Lise Hamel-Chartrand inc. (maintenant Gestion H.B. Duyen Nguyen (2010) inc.), Gestion Riteal inc. et La corporation de gestion E.A. Michot;

[5] Dossier 27980-C : la SCP, Pharmaprix, 9186-9750 Québec inc., Gestion Christian Duguay inc., 9195-9965 Québec inc., Les gestions Syl-Von inc., Gestion Réjean Mimeault inc., Entreprises AD Sidera inc. et 9209-3152 Québec inc.

[6] Dossier 27981-C : la SCP, Pharmaprix, 9013-5617 Québec inc., 2970-9177 Québec inc., 7302622 Canada inc. (ou 139273 Canada inc.), 9199-8468 Québec inc. et Entreprises Jami Elate inc.

II. Modalités procédurales

[7] La présente décision porte sur la question de la compétence constitutionnelle du Conseil, laquelle a été soulevée d’entrée de jeu par la SCP, Pharmaprix et les franchisés dans l’ensemble des cinq présents dossiers. Ces parties ont alors soutenu que les activités exercées dans les comptoirs postaux des franchisés visés relevaient de la compétence provinciale. On compte 28 franchisés visés par les cinq dossiers. Compte tenu du nombre important de franchisés, ces derniers ont accepté de s’identifier à un « modèle » opérationnel et organisationnel de travail. Un document intitulé « admissions sur la question constitutionnelle » a donc été déposé en preuve le 15 mai 2012 (document signé par tous les franchisés qui a été transmis au Conseil le 18 mai 2012), et le syndicat donnait son accord à ce document le 22 mai 2012. Les « modèles » sont basés sur la preuve administrée par les franchisés au cours des audiences, et chacun des franchisés a été identifié à l’un de ces trois modèles.

[8] Le « modèle A » (basé sur la structure de Carophil inc.) regroupe : Gestion Riteal inc.; 2970-9177 Québec inc., 9195-9965 Québec inc.; Carophil inc.; Gestions Magdi Tebechrani inc.

[9] Le « modèle B » (basé sur la structure de Service de Gestion Jean-Michel Guillotte inc.) regroupe : Entreprises Kim Luu inc.; Gestion Lise Hamel-Chartrand inc. (maintenant Gestions H.B. Duyen Nguyen (2010) inc.); Gestions Syl-Von inc.; Entreprises AD Sidera inc.; 9070-4701 Québec inc.; 9209-3152 Québec inc.; Gestions Lucap inc.; Service de gestion Jean Michel Guillotte inc.; 9013-5617 Québec inc. 9159-8532 Québec inc.; Gestion Christian Duguay inc.; Entreprises David Tan inc; 9186-9750 inc.; 9199-8468 Québec inc.; Gestion Noura A. Shahid inc.; Entreprises Jami Elate inc.

[10] Le « modèle C » (basé sur la structure de Les services Santé Claude Gervais inc. et de Gestion Réjean Mimeault inc.) regroupe : 139273 Canada inc.; Services Santé Claude Gervais inc; Gestions Fortier-Allan inc.; Gestion Réjean Mimeault inc.; La corporation de gestion E.A. Michot; 2321-5510 Québec inc.; 9183-0067 Québec inc.

[11] Le Conseil s’est aussi penché sur la question du véritable employeur, laquelle a été ajoutée en cours d’instance dans le cadre d’une décision procédurale prise le 20 juin 2011. Le Conseil a alors déterminé qu’il ne pouvait trancher la question de la compétence constitutionnelle sans identifier le véritable employeur des employés travaillant aux comptoirs postaux visés par les demandes d’accréditation. De l’avis du Conseil, ces deux questions étaient intimement liées et nécessitaient d’être étudiées conjointement.

[12] En raison de l’importance des éléments de preuve annoncés par le syndicat relativement à la question du véritable employeur dans les cinq dossiers, des délais et des coûts occasionnés, et par souci d’assurer une saine administration de la justice, le Conseil a déterminé qu’il entendrait d’abord la preuve sur la question du véritable employeur dans le dossier no 27977-C. Les quatre autres dossiers ont donc été mis en suspens jusqu’à ce que le Conseil ait tranché la question constitutionnelle et la question du véritable employeur dans le dossier no 27977-C. Il est à noter cependant que la présentation de la preuve des parties relativement à la question constitutionnelle pour les cinq dossiers a été complétée.

[13] Les parties au dossier 27977-C ont par ailleurs déposé en preuve, le 24 novembre 2011, des admissions de faits sur la question du véritable employeur.

[14] Il faut mentionner en outre que plusieurs autres objections préliminaires ont été soulevées par la SCP. Le Conseil a informé les parties qu’il se prononcerait sur ces objections si nécessaire, après avoir d’abord tranché la question constitutionnelle et la question du véritable employeur. Par ailleurs, dans le cadre d’une décision procédurale prise le 20 octobre 2011, le Conseil a déterminé qu’il traiterait de la demande subsidiaire de déclaration d’employeur unique du syndicat dans le dossier no 27977-C que si cela s’avérait nécessaire après avoir tranché la question constitutionnelle et la question du véritable employeur dans ce dossier. Le Conseil a alors précisé qu’il était possible que cette demande puisse être tranchée en se penchant sur la documentation au dossier et à la lumière de la preuve déjà entendue sur la question constitutionnelle et sur la question du véritable employeur.

[15] Dix-sept (17) journées d’audience ont été tenues sur la question constitutionnelle et sur celle du véritable employeur, soit les 6, 8 et 10 décembre 2010, le 27 avril 2011, le 9 mai 2011, les 8, 9, 10 et 20 juin 2011, le 20 octobre 2011, les 24 et 25 novembre 2011, le 26 avril 2012, les 14, 15, 30 et 31 mai 2012. Par la suite, les parties ont présenté des plaidoiries écrites sur les deux questions à l’étude et le Conseil a pris le dossier en délibéré le 6 décembre 2012.

III. Décisions intérimaires

[16] Plusieurs décisions intérimaires ont été rendues par le Conseil dans les présentes affaires, soit avant ou en cours d’instance :

  • Le 14 juin 2010, le Conseil rendait une décision, Société canadienne des postes, 2010 CCRI LD 2369 (LD 2369), rejetant une objection préliminaire déposée par la SCP, Pharmaprix et l’ensemble des franchisés visant à faire rejeter les demandes du syndicat en invoquant qu’elles ne respectaient pas les exigences du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement) et plus particulièrement les alinéas 10d) et e) dudit Règlement. Les demandes de réexamen de cette décision ont été rejetées par le Conseil dans 9013-5617 Québec inc., 2010 CCRI LD 2449;
  • Le 20 octobre 2010, le Conseil rendait une décision, Société canadienne des postes, 2010 CCRI LD 2447 (LD 2447), accordant la qualité de parties intéressées (restreinte) à Uniprix ainsi qu’aux franchisés Uniprix, et ce, uniquement dans le cadre de la détermination de la compétence constitutionnelle du Conseil;
  • Le 8 avril 2011, le Conseil rendait une décision, Société canadienne des postes, 2011 CCRI LD 2531 (LD 2531), accordant la qualité de parties intéressées (restreinte) à Familiprix ainsi qu’aux franchisés Familiprix, et ce, uniquement dans le cadre de la détermination de la compétence constitutionnelle du Conseil;
  • Le 7 juin 2011, le Conseil rendait une décision, Société canadienne des postes, 2011 CCRI LD 2575 (LD 2575), rejetant une demande de la SCP visant la transmission d’un avis à des tierces parties en vertu du paragraphe 11(1) du Règlement;
  • Le 22 mars 2012, le Conseil rendait une décision, Société canadienne des postes, 2012 CCRI 638 (RD 638), relativement à l’admissibilité en preuve d’un rapport d’expert (rapport Seid). Le Conseil a accueilli en partie l’expertise relativement aux règles commerciales propres aux franchises et aux concessions;
  • Le 3 mai 2012, le Conseil rendait verbalement une décision qu’il a confirmée par écrit dans Société canadienne des postes, 2012 CCRI LD 2789 (LD 2789) et dans laquelle il rejetait une demande de non-lieu présentée par la SCP au motif qu’elle n’était pas le véritable employeur.

[17] Par ailleurs, de nombreuses ordonnances de confidentialité ont été émises dans ces dossiers tout au long de la présentation de la preuve par les parties.

IV. Témoignages entendus

[18] Plusieurs témoins furent entendus lors des audiences :

  • Pour le syndicat : M. Jacques Côté, Chef des opérations à la SCP; M. Louis F. O’Brien, Chef d’expérience clientèle à la SCP; M. Frank Cianciullo, Directeur, vente au détail à la SCP; M. Alain Bouvier, Directeur des opérations de levée et livraison à la SCP; Mme Stéphanie Cadieux, étudiante anciennement employée au comptoir postal de la pharmacie exploitée par Gestion Noura A. Shahid inc.; Mme Johanne Rousseau, Commis des postes guichetier et Chef d’équipe à la SCP; Mme Aline Dumouchel, Gérante du comptoir postal, Les services Santé Claude Gervais inc.; Mme Linda Boissonneau, Gestionnaire, vente au détail à la SCP; M. David Tan, pharmacien propriétaire de Entreprise David Tan inc.; Mme Monique Turgeon, Gérante du comptoir postal, Entreprise David Tan inc.; Claude Gervais, pharmacien propriétaire de Les services Santé Claude Gervais inc.
  • Pour Pharmaprix : M. Terrance Landry, Vice-président principal, projet particulier, Pharmaprix.
  • Pour les franchisés : M. Claude Gervais, pharmacien propriétaire de Les services Santé Claude Gervais inc.; Mme Julie Moreau, Gérante de magasin de Les services Santé Claude Gervais inc.; M. Nabil Chikh, Pharmacien propriétaire de Carophil inc.; M. Marc Rousseau, Gérant de magasin de Gestion Réjean Mimeault inc.; M. David Bouhier, Gérant de magasin de Service de Gestion Jean-Michel Guillotte inc.; Mme Yvonne Khamla, pharmacienne propriétaire de Gestion Réjean Mimeault inc.; Mme Sophie Robert, Gérante de la galerie beauté de Les services Santé Claude Gervais inc.
  • Pour la SCP : M. Frank Cianciullo, directeur, ventes au détail à la SCP; M. Alain Bouvier, Directeur des opérations de levée et livraison à la SCP; M. Louis Illiakis, opérateur, Point de service de la vente au détail (PSVD), M. Michael Seid, expert en franchisage.

V. Contexte et faits

[19] En l’espèce, le Conseil doit décider si la demande d’accréditation déposée en vertu de l’article 24 du Code dans le dossier no 27977-C relève de sa compétence constitutionnelle. Par sa demande, le syndicat vise à faire accréditer les employés travaillant aux comptoirs postaux situés dans les pharmacies identifiées dans ce dossier. La SCP est une société constituée par la Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. C-10 (la Loi sur la SCP). Depuis 1987, la SCP a mis en place un programme de concessions autorisées (« Authorized Dealer Program »). Dans le cadre de ce programme, la SCP et Shoppers Drug Mart inc. (Shoppers) ont conclu une entente-cadre, le 27 avril 2009, visant l’établissement de concessions de comptoirs postaux dans des pharmacies franchisées (le « Master Dealership Agreement »). En vertu de cette entente-cadre, la SCP a accordé à Shoppers (et à Pharmaprix au Québec) le droit d’autoriser certains franchisés, dont ceux visés par les demandes d’accréditation dans la présente affaire, à exploiter un comptoir postal à l’intérieur de leur pharmacie.

[20] Shoppers est l’entité corporative incorporée en vertu des lois du Canada et est autorisée à octroyer des conventions de licences d’exploitation de commerces en utilisant le système Shoppers à l’extérieur du Québec. Pharmaprix est une filiale à part entière de Shoppers. Pharmaprix est autorisée par Shoppers à octroyer, au Québec, des conventions de licence d’exploitation de commerces de vente au détail en utilisant le système Pharmaprix et la marque de commerce Pharmaprix.

[21] Les franchisés dans la présente affaire sont, selon la preuve présentée, tous parties à une convention de licence avec Pharmaprix et peuvent exploiter leurs établissements respectifs sous la marque de commerce Pharmaprix. En vertu d’une entente de reconnaissance, Pharmaprix a par ailleurs accordé à ces franchisés une licence révocable d’exploitation d’un comptoir postal dans leur pharmacie.

VI. Analyse et décision

[22] Le syndicat fait valoir dans la présente affaire que les activités exercées aux comptoirs postaux situés dans les pharmacies des franchisés portent directement sur un sujet de compétence fédérale exclusive, soit « le service postal ». Le paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit ce qui suit à cet égard :

91. … il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

5. Le service postal.

[23] Le syndicat soutient donc que les relations du travail des employés des comptoirs postaux des franchisés sont directement assujetties à la compétence fédérale.

[24] La SCP, Pharmaprix et les franchisés sont plutôt tous d’avis que le Conseil n’a pas la compétence constitutionnelle pour se prononcer sur les demandes d’accréditation présentées par le syndicat. Ils invoquent deux principaux éléments au soutien de leurs arguments. Dans un premier temps, ils estiment que les activités effectuées aux comptoirs postaux ne constituent pas du « service postal » au sens du paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867. Selon eux, il n’y a donc pas d’activités fédérales en cause et, par conséquent, les relations du travail des franchisés concernés ne peuvent pas être assujetties aux lois fédérales dans les dossiers à l’étude.

[25] Les employeurs soulèvent par ailleurs que, même si le Conseil en arrivait à la conclusion que les activités des comptoirs postaux des franchisés relèvent du champ de compétence prévu au paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867, les franchisés visés demeurent des entreprises assujetties à la compétence provinciale et ce, à la lumière des enseignements de la Cour suprême du Canada, notamment dans l’affaire Tessier Ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23.

A. Les activités des comptoirs postaux des franchisés

[26] La SCP a présenté une longue preuve pour tenter de démontrer que les franchisés ne sont en fait que des revendeurs de produits et services de la SCP et qu’ils n’exercent pas les fonctions requises pour se qualifier à titre d’exploitants d’un service postal au sens de la Loi sur la SCP. Elle réfère plus particulièrement le Conseil aux paragraphes 5(1) et 14(1) de cette loi pour faire valoir que la SCP a pour mission exclusive de créer et d’exploiter un service postal comportant le relevage, la transmission et la distribution de messages, renseignements, fonds ou marchandises, dans le régime intérieur (national) et dans le régime international. Ces dispositions législatives se lisent comme suit :

5. (1) La Société a pour mission :

a) de créer et d’exploiter un service postal comportant le relevage, la transmission et la distribution de messages, renseignements, fonds ou marchandises, dans le régime intérieur et dans le régime international;

b) d’assurer les prestations, ainsi que la réalisation et la fourniture des produits, qu’elle estime utiles à son exploitation;

c) d’assurer, à l’intention ou pour le compte des administrations fédérales, provinciales, régionales ou municipales ou des établissements qui en relèvent, ou, d’une façon générale, à l’intention de quiconque, les prestations dont elle s’estime capable sans inconvénient pour la réalisation des autres objectifs de sa mission.

14. (1) Sous réserve de l’article 15, la Société a, au Canada, le privilège exclusif du relevage et de la transmission des lettres et de leur distribution aux destinataires.

[27] Elle soutient, de concert avec Pharmaprix et les franchisés, que ces derniers n’exploitent pas un service postal de quelque façon que ce soit. La SCP estime que les franchisés ne sont que des points de contact pour le public, en offrant des services autorisés par la SCP au même titre que ceux que l’on retrouve dans des dépanneurs, Costco et épiceries, faisant ainsi référence par exemple à la vente de timbres.

[28] Selon la SCP, le « service postal » au sens constitutionnel ne débuterait qu’au moment de l’activité de relevage effectuée par les employés de la SCP. Or, selon elle, le dépôt d’une lettre dans un comptoir postal relèverait du pré-relevage et non du relevage. Elle s’appuie à cet égard sur le témoignage de M. Alain Bouvier, Directeur des opérations de levée et livraison à la SCP, qui a longuement témoigné en ce sens pour expliquer au Conseil ce que sont les activités de relevage, de transmission et de distribution.

[29] Le syndicat n’est pas de cet avis. Il estime que les activités exercées aux comptoirs postaux chez les franchisés sont dans la portée exclusive du parlement du Canada et que les relations du travail des franchisés peuvent être soumises aux lois fédérales. Le syndicat réfère le Conseil à deux décisions de la Cour d’appel fédérale, soit Société canadienne des postes c. Syndicat des postiers du Canada [1989] 1 C.F. 176 (C.A.); et TurnAround Couriers inc. c. Société canadienne des postes, 2012 CAF 36 (TurnAround), ainsi qu’à une décision de la Cour suprême du Canada dans Reference Re Minimum Wage Act of Saskatchewan, [1948] S.C.R. 248, pour faire valoir que la notion de « service postal » visée par le paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867 comprend notamment les activités exercées aux comptoirs postaux des franchisés en l’espèce.

[30] Dans l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale TurnAround, précité, la Cour a justement dû examiner si les activités de TurnAround, qui consistaient à ramasser, transporter et livrer − en vélo ou à pied − moyennant rétribution des lettres et petits colis de nature urgente dans la région de Toronto, constituaient du « service postal » au sens du paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans cette affaire, le Conseil avait décidé que les activités de TurnAround relevaient de la compétence fédérale en matière de « service postal », telle qu’établie au paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[31] La Cour a conclu que les activités de TurnAround étaient indépendantes de tout contrat ou autre type de relation avec la SCP et que ses services étaient ni offerts ni compris dans le monopole légal exercé par la SCP. La Cour a, par conséquent, renversé la décision du Conseil. Dans son analyse, la Cour a eu recours à la description faite par un expert des caractéristiques essentielles du service postal canadien et les a résumées comme suit dans TurnAround, précité :

[47] Premièrement, il s’agit d’un service universel dont tous peuvent se prévaloir. Autrement dit, la SCP doit relever le courrier partout au Canada et le livrer à toute adresse canadienne, et elle est tenue d’accepter tout article, jusqu’à concurrence d’un poids donné, que les clients veulent faire livrer.

[48] Deuxièmement, le service doit être fourni à un prix que tous peuvent acquitter. Plus particulièrement, l’éloignement du lieu de livraison n’influe pas sur le coût du service. Cela signifie, en pratique, que le service postal dans les zones densément peuplées subventionne le service postal en région moins peuplée et plus éloignée des grands centres.

[49] Troisièmement, pour s’acquitter de l’obligation de fournir un service universel, accessible à tous à un prix abordable, l’autorité postale doit disposer d’un réseau fonctionnel national. Ce réseau comporte des bureaux de poste et des centres de tri, un système national d’adresses et de codes postaux et un système de paiement (en général, un système de paiement préalable au moyen de l’achat par l’expéditeur des timbres requis).

[50] Quatrièmement, pour garantir que les impératifs d’un service national soient en place et que le réseau nécessaire à son exploitation fonctionne bien le service postal doit être administré ou régi par une entité gouvernementale nationale. Actuellement, la SCP, une société d’État joue ce rôle. Même si le législateur décidait de confier les activités opérationnelles de la SCP à une ou plusieurs sociétés commerciales, une entité régulatrice publique devrait continuer de veiller à la pérennité des caractéristiques fondamentales d’un service postal national, permettant ainsi au Canada de s’acquitter de ses obligations internationales.

[51] Cinquièmement, pour faciliter la transmission et la livraison internationales du courrier, le Traité de Berne, conclu en 1874, a établi l’Union générale des postes qui a par la suite pris le nom d’Union postale universelle (UPU).

[TRADUCTION] La création de l’UPU a opéré l’intégration d’une série de services postaux nationaux en un service international cohérent remarquablement efficient et efficace.

(Affidavit Campbell, dossier de demande de la SCP, p. 17)

L’UPU est à présent un organisme des Nations Unies. Seul un service national peut s’acquitter de l’obligation internationale du Canada de respecter les normes établies par l’UPU en matière de service postal.

[52] Il n’est guère besoin de dire que TurnAround ne présente aucune de ces caractéristiques d’un service postal.

[53] Objets Les caractéristiques susmentionnées permettent en grande partie de dégager les objets poursuivis par l’attribution au Canada, au paragraphe 91(5), d’une compétence législative exclusive en matière de « service postal ». Un service postal national était indispensable au développement économique du Canada et il a joué un rôle déterminant dans l’édification de la nation : voir le dossier de demande de la SCP, p. 44-49; The Politics of Post, p. 27-32. Ce n’est que par l’octroi au législateur fédéral du pouvoir législatif nécessaire que ces objets pouvaient se réaliser.

3. Application en l’espèce

[54] Il ressort de l’analyse qui précède que les mots « service postal », au paragraphe 91(5), renvoient au système national de livraison, dont le fonctionnement, à l’heure actuelle, est assuré directement par la SCP ou géré par elle au moyen de contrats passés avec d’autres entités.

(c’est nous qui soulignons)

[32] Dans l’affaire à l’étude, le Conseil est d’avis que les activités exercées aux comptoirs postaux des franchisés, bien qu’elles ne puissent pas constituer en soi « le service postal » au sens du paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867, font partie intégrante du service postal de la SCP décrit dans TurnAround, précité. Le fait que les comptoirs postaux n’exercent pas l’ensemble des activités de relevage, de transmission et de distribution propres à la SCP ne constitue pas une barrière à la reconnaissance que leurs activités puissent former une partie intégrante du service postal de la SCP de manière dérivée.

[33] Contrairement à la situation qui prévalait dans TurnAround, précité, qui n’avait aucun lien avec la SCP, les franchisés, eux, ont des liens tangibles avec la SCP et ce, par le truchement de l’entente-cadre intervenue le 27 avril 2009 entre Shoppers et la SCP, laquelle a pu permettre l’exploitation d’un comptoir postal dans leur pharmacie respective. Les exigences requises dans l’entente-cadre liant Shoppers à la SCP sont strictes au regard de la manière d’exploiter un comptoir postal et le franchisé y adhère par le biais d’une « entente de reconnaissance » qu’il signe et dans laquelle il reconnaît avoir reçu copie de toutes les dispositions générales et conditions afférentes à l’entente-cadre et à ses annexes. Il est même stipulé dans cette « entente de reconnaissance » que la SCP a le droit d’amender les dispositions générales et conditions de l’entente-cadre en tout temps et que le franchisé convient d’être lié par ces amendements.

[34] L’article 1.1 de l’annexe 1 de l’entente-cadre énonce d’ailleurs précisément que la SCP a mis au point un système pour le développement, l’ouverture et l’exploitation de points de vente au détail spécialisés dans la vente au public de timbres-poste et autres « produits et services postaux » dans des emplacements aménagés de façon uniforme et particulière, faisant usage des techniques de mise en marché et d’équipement particulier.

[35] La preuve montre aussi que l’aménagement du comptoir postal dans la pharmacie du franchisé, son identification aux couleurs et logo de Postes Canada, les équipements, les produits offerts, les normes de qualité, de service et de promotion de Postes Canada, sont tous des éléments fournis et contrôlés par la SCP. Le système Point de service de la vente au détail (PSVD) utilisé aux comptoirs postaux, permet entre autres à la SCP de comptabiliser à distance les transactions réalisées dans un comptoir postal. Les ventes effectuées aux comptoirs postaux sont d’ailleurs incluses dans les revenus de la SCP, comme l’a confirmé le témoin Jacques Côté, Chef des opérations à la SCP. Le système PSVD est par ailleurs utilisé dans tous les bureaux de poste corporatifs de la SCP à travers le Canada, selon le témoin Louis F. O’Brien, Chef d’expérience clientèle à la SCP.

[36] Tous ces éléments amènent le Conseil à conclure que les activités des comptoirs postaux des franchisés font partie intégrante du fonctionnement du réseau national de la SCP. Comme l’a bien expliqué la Cour d’appel fédérale dans TurnAround, précité, les mots « service postal », au paragraphe 91(5), renvoient au système national de livraison dont le fonctionnement, à l’heure actuelle, est assuré directement par la SCP « ou géré par elle au moyen de contrats passés avec d’autres entités ». Dans la présente affaire, les activités des comptoirs postaux des franchisés sont exercées en fonction des contrats signés avec la SCP. De tels comptoirs postaux constituent globalement des points de relais essentiels pour la SCP et ce, même s’ils ne constituent pas directement « le service postal ».

[37] Le Conseil aura l’occasion d’analyser un peu plus loin la compétence dérivée du point de vue constitutionnel. Il tient cependant à préciser dès à présent que les activités des comptoirs postaux, lorsque isolées, pourraient très bien être considérées comme faisant partie intégrante du service postal de la SCP et dès lors être assujetties à la compétence fédérale dérivée. Cela demeurerait vrai même si les comptoirs postaux n’exercent pas l’ensemble des activités de relevage, de transmission et de distribution propres à la SCP. Lorsque, par exemple, le Conseil a déterminé dans le passé que des agents de sécurité à l’aéroport Pearson formaient une unité distincte assujettie à la compétence fédérale dérivée, il est bien certain que ces agents de sécurité n’exerçaient pas l’ensemble des activités propres à un aéroport. Cela n’a pas empêché le Conseil de conclure que leurs services de sécurité constituaient une partie vitale, essentielle et intégrante de l’aéroport Pearson et qu’ils étaient assujettis à la compétence du Conseil (voir A.S.P. Incorporated, 2006 CCRI 368).

[38] Cela étant dit, l’analyse constitutionnelle du Conseil dans la présente affaire ne peut pas prendre fin à cette étape. En effet, contrairement à ce que prétend le syndicat dans ses observations écrites, il n’est pas possible de « faire appel à la dissociation des entreprises » à cette étape de l’analyse. Le syndicat soutient en effet que le comptoir postal forme en soi une entreprise distincte de compétence fédérale directe et que, dès lors, l’analyse constitutionnelle devrait prendre fin ici. Selon lui, les employés des comptoirs postaux visés devraient directement être assujettis à la compétence du Conseil, malgré le fait que le comptoir postal est intégré à une pharmacie. Si l’on appliquait ce raisonnement, cela voudrait dire par exemple qu’un groupe d’employés d’un commerce de détail comme La Baie ou Sears à Ottawa qui s’occupe des livraisons de meubles dans la région de Gatineau devrait être directement assujetti à la compétence fédérale, puisque ces employés exercent des activités de transport interprovincial et ce, même si le commerce de détail pour lequel ils travaillent relève clairement de la compétence provinciale.

[39] Le syndicat estime de plus que, même si le Conseil a décidé qu’il devait aussi déterminer le véritable employeur dans le cadre de l’étude de la question de la compétence constitutionnelle, la qualification de l’entreprise (provinciale ou fédérale) doit se faire sans égard à l’identité, au statut ou à la structure juridique de l’employeur. Avec égard, le Conseil n’est pas de cet avis compte tenu des enseignements de la Cour suprême du Canada, qui seront analysés dans la prochaine section.

B. Les principes constitutionnels établis par la Cour suprême du Canada

1. La présomption de compétence provinciale

[40] Tout d’abord, comme la Cour suprême du Canada l’a rappelé dans NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, il existe une présomption selon laquelle le pouvoir de légiférer sur les relations du travail appartient aux provinces puisqu’il s’agit d’une matière qui relève de la compétence provinciale relative à la propriété et aux droits civils prévue au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.

2. L’analyse fonctionnelle

[41] Toujours dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society, précité, la Cour suprême a expliqué la démarche à suivre lors de la détermination de la compétence constitutionnelle à l’égard des relations du travail. Elle a alors rappelé la portée de l’analyse fonctionnelle qui doit permettre d’évaluer la nature des activités de l’entreprise en tant « qu’entreprise active » :

[12] La démarche qui s’impose pour déterminer si les relations de travail d’une entité sont régies par le droit fédéral ou le droit provincial est une démarche distincte qui, particulièrement, fait appel à une analyse complètement différente de celle utilisée pour déterminer si une loi en particulier excède les limites du pouvoir constitutionnel du gouvernement qui l’a adoptée. Puisqu’il faut présumer que la réglementation des relations de travail relève de la compétence des provinces, la question précise à trancher dans le cadre d’instances portant sur la compétence en matière de relations de travail est de savoir si une entité en particulier entre dans la catégorie des « travaux, entreprises ou affaires du fédéral » et tombe ainsi sous le régime du Code canadien du travail.

[13] Les principes qui sous tendent l’approche déjà bien établie de notre Cour quant à la compétence à l’égard des relations de travail sont énoncés par le juge Dickson, rédigeant au nom d’une Cour unanime, dans Northern Telecom [Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115]. Cette affaire traitait de la compétence sur les relations de travail d’une filiale d’une société de télécommunications elle même incontestablement « une entreprise ou une affaire » fédérale visée à l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. En faisant sienne l’opinion majoritaire rédigée par le juge Beetz dans Construction Montcalm [Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754], le juge Dickson a décrit comme suit le lien entre le partage des compétences et les relations de travail :

(1) Les relations de travail comme telles et les termes d’un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.

(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s’il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.

(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l’application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s’il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.

(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l’exploitation d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s’il s’agit d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire fédérale. [p. 132]

[14] Il a ensuite énoncé un « critère fonctionnel » servant à déterminer si une entité est « fédérale » et doit être assujettie au régime fédéral de relations de travail. Il importe de signaler que le juge Dickson n’a pas eu recours au « contenu essentiel » du chef de compétence sur les télécommunications pour déterminer, dans le cadre de l’analyse fonctionnelle, la nature des activités de la filiale :

(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation.

(6) Pour déterminer la nature de l’exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’« entreprise active », sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière. [Je souligne; p. 132.]

3. L’arrêt Tessier de la Cour suprême du Canada

[42] Par ailleurs, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tessier, précité, a rendu une décision de grand intérêt relativement au partage de la compétence constitutionnelle en matière de relations du travail. Dans cette affaire, l’entreprise Tessier offrait des services de location de machinerie lourde et de grue, de transport routier intraprovincial ainsi que d’entretien et de réparation d’équipement. Certaines de ses grues servaient à faire du débardage. Tessier soutenait que ses activités de débardage relevaient de la compétence fédérale en matière de transport maritime et que, par conséquent, elle n’était pas assujettie à la législation provinciale en matière de santé et de sécurité au travail. La Cour suprême était alors saisie d’un pourvoi à l’encontre de la décision de la Cour d’appel du Québec, qui avait déterminé que la législation provinciale devait s’appliquer.

[43] Dans un premier temps, la Cour suprême a rappelé l’existence d’une présomption selon laquelle le pouvoir de légiférer sur les relations du travail appartient aux provinces. En revanche, la Cour a précisé que le palier fédéral peut avoir compétence en matière de relations du travail dans deux circonstances :

  • lorsque l’emploi s’exerce dans le cadre d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’un commerce qui relève directement de la compétence fédérale (la compétence directe);
  • lorsque l’emploi se rapporte à une activité faisant partie intégrante d’une entreprise assujettie à la compétence fédérale (la compétence dérivée).

a. La compétence dérivée

[44] Comme pour les cas où la compétence est directe, la Cour suprême a de plus rappelé que dans le cas de la compétence dérivée, il faut examiner la nature fonctionnelle essentielle de l’entreprise en question pour déterminer si cette nature constante est telle que l’entreprise fait partie intégrante d’une entreprise fédérale. Cette analyse, nous dit la Cour, doit mettre l’accent sur la relation entre l’activité, les employés concernés et l’entreprise fédérale à laquelle le travail des employés est censé profiter. La Cour souligne aussi qu’il faut alors examiner le lien entre l’entreprise fédérale et l’activité censée en former une partie intégrante dans la perspective de chacune de ces entités. Cette analyse se fait en évaluant dans quelle mesure l’exploitation efficace de l’entreprise fédérale dépend des services fournis par l’entreprise connexe en litige, tout en soupesant l’importance de ces services pour cette entreprise connexe. La Cour précise également que des éléments exceptionnels ne sauraient définir la nature fonctionnelle essentielle d’une entreprise.

[45] La Cour a par ailleurs fait état de deux contextes dans lesquels elle a déjà conclu à l’assujettissement à la compétence fédérale dans le cadre de la compétence dérivée :

  • lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale constituent la totalité ou la majeure partie des activités de l’entreprise connexe en litige;
  • lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale sont exécutés par des employés appartenant à une unité fonctionnelle particulière qui peut se distinguer structurellement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe, soit une unité de travail distincte.

[46] Voici comment la juge Abella, au nom de la Cour, s’est exprimée à ce sujet dans Tessier, précité :

[48] Jusqu’à présent, la Cour a appliqué le critère relatif à la compétence dérivée en matière de relations de travail dans deux contextes. Premièrement, elle a confirmé que l’assujettissement à la réglementation fédérale peut être justifié lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale constituent la totalité ou la majeure partie de l’entreprise connexe (Affaire des débardeurs [Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529] ; Union des facteurs du Canada [Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178]).

[49] Deuxièmement, la Cour a reconnu qu’il pourrait pareillement être justifié d’appliquer la réglementation fédérale lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale sont exécutés par des employés appartenant à une unité fonctionnelle particulière qui peut se distinguer structuralement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe. Dans Northern Telecom 2 [Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733], par exemple, les installateurs formaient un groupe opérationnellement indépendant du reste de Telecom. La Cour a donc pu considérer que la nature opérationnelle essentielle du service d’installation en faisait une entité distincte, comme l’a indiqué le juge Dickson :

. . . les installateurs sont assez distincts, pour ce qui est de leurs fonctions, du reste des opérations de Telecom. [. . .] Ils ne travaillent jamais dans les locaux de Telecom; ils travaillent dans les locaux de leurs clients. Quant à Bell Canada, l’installation se fait principalement dans ses locaux mêmes et non chez ses clients. [. . .] Les installateurs n’ont aucun contact véritable avec les autres opérations de Telecom. Les opérations principales de fabrication de Telecom tombent, de l’aveu des parties, sous la compétence provinciale, mais il n’y a absolument rien d’artificiel à conclure que les installateurs de Telecom relèvent d’une compétence constitutionnelle différente. [p. 770 771]

(Voir aussi Ontario Hydro, où seules les personnes travaillant dans le cadre des installations de production d’énergie nucléaire étaient assujetties à la réglementation fédérale; Johnston Terminals and Storage Ltd. c. Association des employés du port de Vancouver, section locale 517, [1981] 2 C.F. 686 (C.A.), et Actton Transport Ltd. c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 272, 5 B.C.L.R. (5th) 1, où le travail de certains employés pouvait être séparé de l’entreprise générale de l’employeur et relevait, par conséquent, d’une compétence différente en matière de travail.)

C. Application à la présente affaire

1. L’entreprise à analyser et le véritable employeur

[47] Dans un premier temps, il s’avère important de préciser que l’identité du véritable employeur était importante pour déterminer la question constitutionnelle dans la présente affaire. En effet, pour évaluer si les employés des comptoirs postaux sont assujettis ou non à la compétence fédérale, encore faut-il déterminer pour quelle entreprise ils travaillent. Pour procéder à l’analyse de la nature fonctionnelle essentielle de l’entreprise, il faut effectivement pouvoir d’abord identifier quelle entité constitue « l’entreprise active » en litige. Rappelons à cet égard que le syndicat soutient que l’employeur des employés des comptoirs postaux est la SCP et que le comptoir postal est l’entité à analyser du point de vue constitutionnel. Le syndicat est par ailleurs d’avis que les franchisés ne constituent que des intermédiaires, soit en quelque sorte le rôle d’une agence auprès de la SCP. Il soutient que le niveau d’autonomie des employés dans un comptoir postal est très limité et surtout encadré par un système permettant à la SCP d’user d’un tiers (les franchisés) pour procéder à la sélection et à l’embauche de ces employés.

[48] L’article 1.2 de l’annexe de l’entente-cadre conclue entre la SCP et Shoppers prévoit pourtant que le comptoir postal doit être implanté à l’intérieur « d’une entreprise hôte préexistante ». En effet, les comptoirs postaux visés dans la présente affaire ont tous été implantés au sein d’une pharmacie préexistante.

[49] La preuve entendue démontre de plus que l’« entreprise active » est véritablement la pharmacie et non le comptoir postal. Le comptoir postal est en fait un des départements de la pharmacie, de la même façon qu’on y retrouve par exemple un comptoir des cosmétiques et un comptoir photo. Selon la preuve au dossier, sa superficie représente tout au plus 5 % de celle de la superficie totale de la pharmacie. Par ailleurs, les témoignages entendus démontrent que la raison pour laquelle les franchisés ont accepté d’exploiter un comptoir postal est parce qu’il permet d’accroître l’achalandage et les ventes de la pharmacie. On comprend d’ailleurs pourquoi il se situe à l’arrière de la section commerciale, afin que la clientèle puisse circuler dans cette section avant d’y accéder.

[50] En outre, le syndicat n’a pas présenté de preuve qui peut démontrer que la SCP est le véritable employeur des employés du comptoir postal. La preuve au dossier a plutôt renforcé la position de la SCP, de Pharmaprix et des franchisés voulant que les franchisés soient les véritables employeurs de ces employés. Il faut aussi rappeler ici que des admissions de faits sur la question du véritable employeur ont été déposées en preuve dans le dossier no 27977-C. Ces admissions énoncent ce qui suit :

  1. (1) Pharmaprix inc. est autorisée par Shoppers Drug Mart inc. à octroyer au Québec, des conventions de licences d’exploitation de magasins de vente au détail utilisant le système de Pharmaprix inc. et la marque de commerce Pharmaprix;
  2. (2) Le « Pharmacien-propriétaire » (pour le bénéfice des présentes, cette expression sera présumée comprendre le pharmacien à titre individuel et/ou sa compagnie de gestion selon le contexte) partie à une convention de licence avec Pharmaprix inc. peut exploiter une « Pharmacie » sous la marque de commerce « Pharmaprix »;
  3. (3) Les Pharmacien-propriétaires visés par les requêtes en accréditation dans le présent dossier sont parties à la convention de licence déposée sous PX-2;
  4. (5) Les comptoirs postaux sont situés dans le magasin de vente au détail de l’établissement;
  5. (7) Les candidatures proviennent de diverses sources, soit notamment par le dépôt à la Pharmacie de curriculum vitae par les candidats, par références ou par le biais de candidatures via le site internet de Pharmaprix;
  6. (13) Le taux de salaire payable à tous les employés de la Pharmacie (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal) est déterminé par le Franchisé;
  7. (14) Dans la détermination du taux de salaire, le Franchisé peut s’inspirer d’une échelle de salaires, laquelle est préparée par Pharmaprix suivant une étude de marché. Le Franchisé est libre de suivre cette échelle salariale et peut donc également déterminer le taux de salaire en fonction d’autres critères ou circonstances tels que l’expérience du candidat, la pénurie de personnel, l’urgence de l’embauche ou en fonction de tout autre motif qu’il juge approprié;
  8. (15) La détermination des avantages sociaux (par exemple : primes, vacances, assurance-collective, rabais-employés, congés) pour les employés de la Pharmacie (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal) est effectuée par le Franchisé;
  9. (16) Le registre de paie est le même pour l’ensemble des employés de la Pharmacie (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal) et le paiement du salaire et des avantages sociaux s’effectue par le Franchisé selon une même méthode et une même fréquence pour tous les employés;
  10. (22) Les demandes d’absences des employés de la Pharmacie (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal) sont adressées au Franchisé;
  11. (23) La confection et la détermination des horaires pour les employés de la Pharmacie (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal) est effectuée par le Franchisé;
  12. (25) Le Franchisé ouvre et maintient un dossier personnel concernant chaque employé de la Pharmacie (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal), s’inscrit et paye les cotisations d’employeur à la Commission des normes du travail, à la Commission de la santé et la sécurité au travail, à la Régie des rentes du Québec, à l’Assurance maladie du Québec, etc. pour tous les employés de la Pharmacie (incluant les commis au comptoir postal) et émet annuellement les formulaires, relevés 1 et T-4, pour tous les employés de la Pharmacie (incluant tous les employés du comptoir postal);
  13. (26) Le Franchise remet, le cas échéant, les lettres de référence et les relevés d’emploi aux employés (incluant les employés notamment affectés au comptoir postal) dont l’emploi est terminé et le cas échéant, gère toute plainte ou réclamations formulée par les employés ou les anciens employés auprès notamment la Commission de la santé et de la sécurité au travail, la Commission des normes du travail ou tout autre organismes pouvant être saisi d’une plainte ou d’une réclamation;

(sic)

[51] Outre ces admissions de faits, le Conseil a pu entendre les témoignages de deux pharmaciens-propriétaires (MM. Claude Gervais et David Tan), d’une gérante de pharmacie (Mme Julie Moreau) et de deux gérantes de comptoirs postaux (Mmes Monique Turgeon et Aline Dumouchel) dans le cadre de la question du véritable employeur au dossier no 27977-C. La preuve entendue et les admissions des parties relativement au fait que les témoignages de M. Claude Gervais et de Mmes Monique Turgeon et Aline Dumouchel valent aussi pour les personnes exerçant les mêmes fonctions auprès d’autres franchisés visés dans ce dossier ont été concluantes. Elles ont en effet démontré que les franchisés dans ce dossier sont en charge de la dotation, y compris de la détermination du nombre d’employés affectés au comptoir postal. Sauf pour le premier employé affecté au comptoir postal d’une pharmacie, dont la formation encadrée par la SCP est dispensée à l’externe, ce sont les franchisés qui assurent la formation des employés affectés au comptoir postal. Ce sont en outre les franchisés qui procèdent à l’évaluation et à la supervision quotidienne du travail des employés du comptoir postal ainsi qu’à l’assignation de leurs tâches et à leur fin d’emploi, le cas échéant. Les franchisés déterminent les uniformes que ces employés doivent porter. Ils portent d’ailleurs le même uniforme que celui de l’ensemble des employés de la pharmacie, à l’exception des employés de l’officine et de ceux du comptoir des cosmétiques.

[52] Il est vrai que la SCP a prévu des conditions très serrées relativement au fonctionnement des comptoirs postaux en concluant l’entente-cadre avec Shoppers (le « Master Dealership Agreement »). Le Conseil a bien analysé les commentaires de M. Michael Seid, expert en franchisage, sur cette question. Il ressort de son témoignage et de la portion de son rapport déposée en preuve que ces conditions serrées sont caractéristiques du type de relation entre un franchiseur et un franchisé. M. Seid a expliqué à ce sujet qu’il est nécessaire pour un franchiseur (comme la SCP en l’instance) d’établir des standards afin d’assurer la distribution de produits et services spécifiques. Le Conseil accède à cet égard à l’argument de la SCP voulant qu’il existe une différence fondamentale entre le contrôle des standards d’une marque (la marque « Postes Canada » en l’occurrence) et le contrôle quotidien sur les conditions de travail des employés.

[53] Dans l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, décision invoquée par le syndicat, la SCP et les franchisés, la Cour suprême du Canada a fait état des principes applicables à la détermination du véritable employeur en droit du travail. Dans cette affaire, le litige découlait de l’utilisation d’une agence de placement de personnel et de la présence d’une relation tripartite. Le juge Lamer, alors juge en chef, a fait valoir qu’il fallait adopter une approche globale et souple. Il s’est exprimé ainsi au nom de la majorité :

[48]…À mon avis, dans un contexte de rapports collectifs régis par le Code du travail, il est primordial que l’employé temporaire puisse négocier avec la partie qui exerce le plus grand contrôle sur tous les aspects de son travail -- et non seulement sur la supervision de son travail quotidien. De plus, lorsqu’un certain dédoublement de l’identité de l’employeur se produit dans le cadre d’une relation tripartite, l’approche plus globale et plus souple a l’avantage de permettre l’examen de la partie qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire. Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur-salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

[54] Les admissions de faits et l’ensemble de la preuve entendue dans l’affaire qui nous occupe démontrent que les franchisés dans le dossier no 27977-C détiennent le contrôle fondamental sur l’ensemble des conditions de travail des employés des comptoirs postaux au sens où la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), précité.

[55] Pour toutes ces raisons, le Conseil a déterminé que le véritable employeur des employés affectés aux comptoirs postaux dans le dossier no 27977-C ne peut tout simplement pas être la SCP. C’est le franchisé qui est l’employeur des employés qui sont affectés au comptoir postal de sa pharmacie.

[56] Dans ces circonstances, c’est bel et bien la pharmacie qui constitue l’entreprise active en litige. C’est dès lors la nature fonctionnelle essentielle de la pharmacie qu’il faudra analyser du point de vue constitutionnel et non celle du comptoir postal.

2. L’analyse de la nature fonctionnelle essentielle de la pharmacie

[57] Comme les franchisés l’ont fait valoir, les activités normales et habituelles d’une pharmacie sont de deux types : 1) sa mission première est l’exercice de la pharmacie conformément à la Loi sur la pharmacie, L.R.Q., chapitre P-10; 2) la seconde est la vente au détail.

[58] L’article 27 de la Loi sur la pharmacie du Québec prévoit d’ailleurs que seul un pharmacien inscrit au tableau de l’Ordre des pharmaciens du Québec peut être propriétaire d’une pharmacie. M. Claude Gervais, pharmacien-propriétaire de Les services Santé Claude Gervais inc., a d’ailleurs confirmé lors de son témoignage que la pharmacie ne peut ouvrir ses portes sans qu’il y ait un pharmacien présent sur les lieux.

[59] Puisque la nature fonctionnelle et essentielle des activités d’un franchisé apparaît clairement comme étant l’exercice de la pharmacie et la vente au détail, il nous est possible de conclure que nous sommes en présence d’une entreprise active de nature locale qui relève en soi de la compétence provinciale en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867.

[60] Dès lors, s’il était possible de conclure à l’application de la compétence du Conseil, il faudrait nécessairement que ce soit dans le cadre de la compétence constitutionnelle dérivée et non directe puisque les activités de la pharmacie ne relèvent pas directement d’une matière assujettie à la compétence fédérale.

[61] Comme cela a été énoncé précédemment dans l’arrêt Tessier, précité, la Cour suprême du Canada a expliqué les deux contextes dans lesquels il est possible d’appliquer la compétence fédérale dérivée en matière de relations du travail à une entreprise qui relève en soi de la compétence provinciale. Cela est effectivement possible lorsque 1) les services fournis à l’entreprise fédérale constituent la totalité ou la majeure partie des activités de l’entreprise connexe en litige; ou 2) lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale sont exécutés par des employés appartenant à une unité fonctionnelle particulière qui peut se distinguer structurellement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe en litige (une unité de travail distincte).

[62] Dans cette affaire, la Cour suprême a par ailleurs fait état qu’en l’absence d’une unité de travail distincte, même si le travail des employés visés par le litige est essentiel au fonctionnement d’une entreprise fédérale, cela n’a pas pour effet de rendre fédérale une entreprise autrement provinciale « si ce travail ne représente qu’une partie négligeable de l’emploi du temps des employés ou qu’un aspect mineur de la nature essentielle constante de l’exploitation ». Voici comment la juge Abella s’est exprimée à ce sujet au nom de la Cour dans Tessier, précité :

[50] Le présent pourvoi offre à la Cour une première occasion d’examiner les conséquences constitutionnelles d’une situation où des employés qui exécutent le travail ne forment pas une unité de travail distincte et sont pleinement intégrés à l’entreprise connexe. J’estime que même si le travail de ces employés est essentiel au fonctionnement d’une entreprise fédérale, cela n’a pas pour effet de rendre fédérale une entreprise autrement locale si ce travail ne représente qu’une partie négligeable de l’emploi du temps des employés ou qu’un aspect mineur de la nature essentielle constante de l’exploitation…

(c’est nous qui soulignons)

[63] Afin de déterminer si les activités des comptoirs postaux peuvent être assujetties à la compétence fédérale dérivée dans la présente affaire, il faudra donc procéder à l’analyse suivante. Dans un premier temps, il faudra déterminer si les services d’un comptoir postal représentent la totalité ou la majeure partie des activités de la pharmacie. Si c’est le cas, le Conseil pourrait dès lors avoir la compétence requise. Sinon, il faudra dans un deuxième temps évaluer si les services du comptoir postal sont fournis par des employés appartenant à une unité de travail distincte. Si c’est le cas, la compétence fédérale dérivée pourrait alors trouver application pour cette unité de travail distincte.

a. Les services du comptoir postal représentent-ils la totalité ou la majeure partie des activités de la pharmacie?

[64] La preuve au dossier montre que les ventes effectuées dans les comptoirs postaux représentent un pourcentage minime des revenus des franchisés. Selon le témoignage de M. Terrance Landry, Vice-président principal, projet particulier, Pharmaprix, Shoppers Drug Mart inc., le comptoir postal d’un franchisé ne représente qu’environ 3 % de son chiffre d’affaires global. Rappelons que dans l’arrêt Tessier, précité, les activités de débardage en litige représentaient 14 % du chiffre d’affaires de Tessier et la Cour suprême a considéré que ces activités ne constituaient qu’« une partie relativement minime de son entreprise globale ».

[65] Les pharmacies visées dans la présente affaire comptent environ une cinquantaine d’employés chacune et, d’après les témoignages entendus, on compterait tout au plus six ou sept employés affectés à un comptoir postal.

[66] La Cour suprême dans l’arrêt Tessier, précité, en faisant référence à une autre de ses décisions dans Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178, a estimé qu’« un pourcentage ténu d’activité locale ne saurait changer la nature d’une entreprise faisant par ailleurs partie intégrante du service postal » (paragraphe 19). Il faut en déduire qu’a contrario, un pourcentage ténu d’activités faisant partie intégrante du service postal ne saurait changer la nature d’une entreprise essentiellement de nature locale.

[67] En sachant que l’implantation d’un comptoir postal représentait avant tout pour les franchisés une occasion d’accroître l’achalandage et les ventes de leur pharmacie déjà existante, il est possible de conclure qu’il ne s’agit que d’un aspect mineur de la nature essentielle constante de leur pharmacie.

[68] Le Conseil arrive donc à la conclusion que les services fournis par un comptoir postal ne représentent ni la totalité ni la majeure partie des activités de la pharmacie et qu’ils ne peuvent donc pas être assujettis à la compétence fédérale à cet égard.

b. Les services du comptoir postal sont-ils fournis par des employés appartenant à une unité de travail distincte?

[69] Reste maintenant au Conseil à déterminer s’il pourrait appliquer la législation fédérale uniquement pour les services fournis par les employés travaillant aux comptoirs postaux des franchisés en tant qu’« unité de travail distincte » au sens où l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Tessier, précité. Pour en arriver à ce constat, le Conseil doit être convaincu que les employés en question appartiennent à une unité fonctionnelle particulière laquelle se distingue structurellement sur le plan constitutionnel du reste des activités des franchisés.

i. Les témoignages entendus

[70] Il est à noter que la seule employée d’un comptoir postal à avoir témoigné à la demande du syndicat est Mme Stéphanie Cadieux.

[71] Mme Cadieux a travaillé pour le franchisé Gestion Noura A. Shahid de juin 2009 à juin 2010. Elle a travaillé en premier lieu au comptoir postal et a reçu sa formation de la responsable du comptoir postal du franchisé, Mme Jiny Roy. C’est d’ailleurs Mme Roy qui était sa superviseure. Elle a expliqué que le logiciel de formation intégré au système PSVD utilisé au comptoir postal, qui se nommait Anita, et le manuel de procédures provenaient de la SCP. Elle a indiqué que trois personnes, incluant elle-même, travaillaient au comptoir postal. Ses heures étaient variables et les heures d’ouverture du comptoir postal étaient différentes de celles de la pharmacie. Le comptoir postal fermait une heure plus tôt que le reste de la pharmacie. À l’aide d’un croquis dudit comptoir postal déposé en preuve, Mme Cadieux a décrit son environnement de travail et elle a expliqué comment débutait une journée de travail pour elle. Mme Cadieux a montré par la suite comment s’effectuait notamment le traitement d’une poste-lettre à l’aide du système PSVD. Elle a expliqué qu’il ne lui était pas possible d’effectuer la vente d’un produit de la section commerciale à l’aide du système PSVD et qu’elle devait alors indiquer aux clients de payer le produit auprès des caisses de la section commerciale. Interrogée par le Conseil, Mme Cadieux a affirmé avoir travaillé également sur le « plancher » (section commerciale) de la pharmacie vers la fin de sa période d’embauche, puis au comptoir des cosmétiques. Elle a dit avoir reçu une formation de commis de plancher. C’est le gérant de la pharmacie (ou l’assistante-gérante) qui lui a donné sa formation. Elle a aussi mentionné qu’au cours de sa période de travail auprès du franchisé, elle a travaillé la majorité du temps au comptoir postal mais que vers la fin de son emploi, 50 % de son temps s’effectuait sur le « plancher », puis à la fin, 100 % de son temps était affecté sur le plancher seulement. C’était en fait l’assistante-gérante de la pharmacie qui déterminait avec Mme Cadieux le temps à effectuer soit sur le plancher comme commis, soit au comptoir postal. Mme Cadieux portait l’uniforme du franchisé, qu’elle travaille ou non au comptoir postal. C’était en fait le même uniforme dans les deux cas. Seule une épinglette indiquant « comptoir-postal » sous son nom différait lorsqu’elle travaillait au comptoir postal. Ses conditions d’emploi étaient déterminées par le gérant de la pharmacie et puis Mme Jiny Roy supervisait ses horaires de travail. Mme Roy relevait du gérant de la pharmacie. S’il y avait des précisions à apporter à Mme Cadieux au niveau de son travail, c’est soit Mme Roy qui intervenait lorsqu’elle travaillait au comptoir postal ou l’assistante-gérante de la pharmacie lorsqu’elle travaillait sur le « plancher ».

[72] M. Claude Gervais a aussi été entendu par le Conseil dans le cadre de la présentation de la preuve des franchisés. Il est le pharmacien-propriétaire de trois franchisés Pharmaprix à Boucherville, dont l’une est visée par les demandes d’accréditation, soit Les Services Santé Claude Gervais inc. M. Gervais a décrit l’organisation de la pharmacie qui est visée par une demande d’accréditation dans le dossier à l’étude. Il a expliqué que c’est sa commis-comptable, Mme Sandra Boucher, qui est responsable de la comptabilité complète de la pharmacie, y compris celle du comptoir postal. Cette dernière doit cependant être entrée manuellement dû au fait que le logiciel de la SCP ne communique pas avec le système centralisé de la pharmacie. Les payes de tous les employés, y compris pour les employés affectés au comptoir postal, sont préparées par la commis-comptable. M. Gervais emploie environ 55 personnes. C’est la gérante de la pharmacie, Mme Julie Moreau, qui est responsable de l’embauche et qui gère le personnel, fait les évaluations du rendement, y compris pour les employés travaillant au comptoir postal, sauf pour le personnel de l’officine et du comptoir des cosmétiques. C’est en effet M. Gervais qui est directement responsable de l’officine. Par ailleurs, le département des cosmétiques (la galerie beauté) relève d’une gérante spécifique, Mme Sophie Robert. Les salaires des employés de la pharmacie (sauf ceux de la galerie beauté et de l’officine) sont déterminés par Mme Moreau ou par M. Gervais lui-même si le nouvel employé requiert un salaire plus important que ce qui est prévu. Les employés à temps plein de M. Claude Gervais bénéficient d’assurances collectives. En cas d’absence, ils se rapportent à leur supérieur immédiat respectif – c’est la même chose pour les autorisations de s’absenter. Les heures de travail sont déterminées par les superviseurs, Mme Moreau, Mme Robert ou lui-même, tout dépendant des départements. Les évaluations, les mesures disciplinaires et la formation s’effectuent par les superviseurs. Pour le département des cosmétiques, la formation se donne parfois à l’extérieur par les fournisseurs, tels que Guerlain, Chanel, etc. et elle est parfois payée par ces derniers. M. Gervais a par ailleurs confirmé que les employés du comptoir postal portent les mêmes uniformes que ceux portés par les commis plancher.

[73] Un des éléments importants du témoignage de M. Gervais a été d’expliquer que, parmi les six ou sept employés affectés au comptoir postal de sa pharmacie, aucun n’est entièrement assigné aux tâches du comptoir postal. Il a en effet expliqué qu’ils peuvent parfois travailler sur le plancher pour placer de la marchandise, à la caisse ou au comptoir photo. Il a par ailleurs précisé que lorsque ces employés sont affectés au comptoir postal pour un même bloc d’heures, il arrive à l’occasion qu’on leur demande de placer de la marchandise sur les tablettes de la section commerciale qui sont situées près du comptoir postal. La personne affectée au comptoir postal peut en outre, en l’absence de clients au comptoir postal, découper des étiquettes de prix pour la pharmacie ou s’occuper des cartes de souhaits de la section commerciale.

[74] Mme Sophie Robert a aussi été entendue comme témoin du franchisé Les services Santé Claude Gervais inc. à titre de gérante de la galerie beauté. Elle a entre autres confirmé s’occuper de la formation des employés affectés à la galerie beauté et a expliqué que les formations étaient parfois offertes par les fournisseurs comme Chanel, etc. Elle a aussi expliqué que les normes de mise en étalage et de présentation ainsi que les prix des produits cosmétiques sont déterminés par les fournisseurs. Les fournisseurs fixent de plus avec elle les objectifs de vente annuellement.

[75] Comme mentionné précédemment, le Conseil a aussi eu la chance d’entendre le témoignage du pharmacien franchisé David Tan ainsi que celui de la gérante du comptoir postal du franchisé Les services Santé Claude Gervais inc. (Madame Aline Dumouchel) et celle du comptoir postal du franchisé Entreprise David Tan inc. (Madame Monique Turgeon). Ces témoignages ont permis de confirmer le niveau d’intégration des activités d’un comptoir postal à celui d’une pharmacie.

ii. Analyse

[76] Il est vrai que le comptoir postal peut paraître comme étant physiquement divisé des autres départements de la pharmacie puisqu’il constitue une section bien encadrée tout au fond de la section commerciale. Cela étant dit, le niveau de divisibilité structurelle que le Conseil doit évaluer dans le cadre de son analyse constitutionnelle ne doit pas se limiter à un emplacement physique au sein de l’entreprise ou au fait qu’il puisse y avoir un département spécifique. Bien des entreprises comptent de nombreux départements parmi leurs équipes de travail, comme par exemple des services juridiques, des services administratifs ou encore des services informatiques. Il n’est pas rare que ces départements soient physiquement séparés les uns des autres et parfois même situés sur différents étages ou dans différents édifices. Il n’en demeure pas moins que leurs activités peuvent être entièrement intégrées les unes aux autres du point de vue opérationnel et former des composantes intégrales d’une entreprise active. Bien que ces départements paraissent comme étant des groupes distincts au sein de l’entreprise, ils ne constituent pas nécessairement pour autant des « unités fonctionnelles particulières qui peuvent se distinguer structurellement du reste de l’entreprise » du point de vue constitutionnel.

[77] Aux yeux du Conseil, il en est de même pour un comptoir postal, puisqu’il constitue un département bien intégré à la mission de vente au détail d’une pharmacie. Rappelons d’ailleurs que la vocation principale du comptoir postal est précisément, d’après l’ensemble des témoignages entendus, d’augmenter les ventes de la pharmacie. Le comptoir postal apparaît donc comme un des maillons de la structure fondamentale de la pharmacie à titre de commerce d’une nature locale. Il en est de même de ses autres départements tels le comptoir des cosmétiques ou le comptoir photo.

[78] Il faut de plus rappeler que les employés du comptoir postal sont toujours en contact avec les activités de la pharmacie et qu’ils travaillent constamment dans la pharmacie elle-même.

[79] Dans l’arrêt Tessier, précité, la Cour suprême nous réfère à l’arrêt de Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733 (Northern Telecom 2) pour nous montrer un exemple où elle a déterminé que des employés appartenaient à une unité fonctionnelle particulière se distinguant structurellement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe. Le syndicat a d’ailleurs invoqué cette décision dans sa plaidoirie écrite. Il y a lieu de rappeler de nouveau les commentaires formulés par la Cour à ce sujet :

[49]…Dans Northern Telecom 2, par exemple, les installateurs formaient un groupe opérationnellement indépendant du reste de Telecom. La Cour a donc pu considérer que la nature opérationnelle essentielle du service d’installation en faisait une entité distincte, comme l’a indiqué le juge Dickson :

…les installateurs sont assez distincts, pour ce qui est de leurs fonctions, du reste des opérations de Telecom. […] Ils ne travaillent jamais dans les locaux de Telecom; ils travaillent dans les locaux de leurs clients. Quant à Bell Canada, l’installation se fait principalement dans ses locaux mêmes et non chez ses clients. […] Les installateurs n’ont aucun contact véritable avec les autres opérations de Telecom. Les opérations principales de fabrication de Telecom tombent, de l’aveu des parties, sous la compétence provinciale, mais il n’y a absolument rien d’artificiel à conclure que les installateurs de Telecom relèvent d’une compétence constitutionnelle différente.

[pages 770-771]

[80] Or, la preuve dans la présente affaire nous montre que, contrairement à l’arrêt Northern Telecom 2, les employés des comptoirs postaux travaillent au sein des pharmacies puisque les comptoirs postaux sont situés dans l’enceinte même de la pharmacie et non de la SCP. La preuve nous indique également que les employés travaillent au service de la clientèle des franchisés et sont parfaitement intégrés aux autres employés, comme nous l’indique d’ailleurs les éléments contenus dans les admissions déposées en preuve. La rémunération, les conditions de travail, le code vestimentaire, les avantages sociaux, le registre de paie, les mesures disciplinaires, les heures de travail, les évaluations du rendement sont tous des éléments qui permettent de convaincre le Conseil que ces employés sont parfaitement intégrés aux activités de la pharmacie. De plus, les témoignages de Mme Cadieux et de M. Gervais indiquent qu’il peut y avoir mobilité dans les tâches effectuées par les employés affectés aux comptoirs postaux puisqu’ils peuvent être amenés à travailler dans les allées commerciales de la pharmacie.

[81] Relativement à la formation des employés affectés aux comptoirs postaux, bien que la preuve nous indique qu’au moins une personne reçoit une formation encadrée par la SCP, par la suite, c’est la personne responsable ou en charge du comptoir postal qui verra à former les futurs employés qui y seront affectés.

[82] Dès lors, le Conseil ne peut conclure que la preuve entendue fait en sorte qu’il y ait divisibilité des activités du comptoir postal du reste des activités commerciales de la pharmacie.

[83] Le Conseil est par ailleurs sensible à l’argument des franchisés selon lequel le fait de distinguer les employés affectés au comptoir postal des autres employés signifierait que, pour un quart de travail donné, un employé effectuant des tâches au comptoir postal pourrait se retrouver assujetti à la compétence fédérale pour une partie de son quart de travail et assujetti à la compétence provinciale pour l’autre partie du même quart lorsqu’il effectue des tâches de mise en tablette pour la pharmacie. Dans sa réplique, le syndicat a fait valoir à ce sujet que le Conseil n’a pas à se préoccuper des conséquences pratiques de l’attribution des relations du travail à la compétence fédérale et qu’il s’agit d’une simple difficulté à laquelle les employeurs auront à s’ajuster. Les franchisés ont, avec raison, cité le juge Beetz de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Construction Montcalm Inc. c. Com. Sal. Min., [1979] 1 R.C.S. 754, qui impliquait une situation semblable. Il s’était alors exprimé ainsi au nom de la majorité de la Cour :

…Il en résulterait une grande confusion. Par exemple, un ouvrier dont le travail consiste à couler du ciment serait soumis alternativement à la compétence fédérale et à la compétence provinciale aux fins de l’adhésion syndicale, de l’accréditation, de la convention collective et des salaires, selon qu’il coule du ciment un jour sur une piste d’atterrissage et le lendemain sur une route provinciale. Je ne peux croire que la Constitution exige un tel morcellement.

(page 776)

[84] Le Conseil estime en effet qu’il ne peut entériner une interprétation constitutionnelle qui ferait en sorte que la Constitution puisse être ainsi morcelée et inapplicable de manière continue.

[85] Il ressort donc, à la lumière de la preuve dans la présente affaire, que les services des comptoirs postaux ne sont pas fournis par des employés appartenant à une unité de travail distincte du point de vue constitutionnel.

VII. Conclusion

[86] Pour les raisons exprimées ci-avant, le Conseil conclut que, malgré le fait que les activités exercées aux comptoirs postaux des franchisés puissent constituer des activités qui font partie intégrante du « service postal » au sens du paragraphe 91(5) de la Loi constitutionnelle de 1867, il n’a pas la compétence constitutionnelle pour statuer sur la demande d’accréditation déposée par le syndicat dans le dossier no 27977-C. À la lumière de la preuve entendue et de la jurisprudence étudiée, il ressort que les franchisés sont les véritables employeurs des employés des comptoirs postaux visés par la demande d’accréditation dans ce dossier et que c’est la pharmacie qui constitue l’entreprise active en l’espèce. Les activités fédérales exercées aux comptoirs postaux des franchisés ne représentent qu’une infime portion des activités normales et habituelles de ces franchisés, qui sont celles d’une pharmacie assujettie à la compétence provinciale. Les activités fédérales des franchisés sont par ailleurs indivisibles de leurs autres activités et les employés qui exercent ces activités fédérales ne forment pas une unité de travail distincte du point de vue constitutionnel. Les activités des franchisés demeurent donc globalement des activités de pharmacie et de commerce de détail qui, par leur nature fonctionnelle essentielle, relèvent de la compétence provinciale au sens de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans ces circonstances, le Conseil n’a pas la compétence constitutionnelle pour accorder la demande d’accréditation dans le dossier no 27977-C et doit par conséquent la rejeter.

[87] Par ailleurs, le Conseil a déterminé qu’il ne traiterait la demande subsidiaire de déclaration d’employeur unique du syndicat dans le dossier no 27977-C que si cela s’avérait nécessaire, après avoir tranché la question constitutionnelle et la question du véritable employeur dans ce dossier. Le Conseil a déjà déterminé que, à la lumière de la preuve entendue, les employés visés par la demande d’accréditation du syndicat étaient des employés des franchisés et qu’ils étaient assujettis à la compétence provinciale. Dans un tel contexte, la demande de déclaration d’employeur unique ne pourrait être analysée qu’en prenant comme point de départ que les employés dans chacun des comptoirs postaux visés œuvrent auprès d’un franchisé assujetti à la compétence provinciale. Si le syndicat a des arguments écrits complémentaires à faire valoir relativement à sa demande de déclaration d’employeur unique subsidiaire dans le dossier no 27977-C, il pourra les transmettre au Conseil au plus tard le 13 septembre 2013. Par la suite, les autres parties auront 20 jours pour transmettre leur réponse. Le syndicat pourra répliquer dans les 20 jours qui suivent.

[88] Enfin, le Conseil demande au syndicat de lui indiquer s’il entend fournir une preuve différente relativement aux quatre autres dossiers qui ont été mis en suspens, soit ceux portant les numéros 27978-C, 27979-C, 27980-C et 27981-C. Il demande au syndicat de lui transmettre ses observations à cet égard au plus tard le 13 septembre 2013. Par la suite, les autres parties auront 20 jours pour transmettre leur réponse. Le syndicat pourra répliquer dans les 20 jours qui suivent.

[89] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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